Lexbase Affaires n°312 du 11 octobre 2012 : Sociétés

[Jurisprudence] Opposabilité d'une cession de parts sociales : prescription de l'obligation et recevabilité de l'action en inopposabilité

Réf. : Cass. com . 25 septembre 2012, n° 11-30.018, F-P+B (N° Lexbase : A6271ITG)

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N3860BT7

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

le 11 Octobre 2012

Les exigences légales liées à l'opposabilité d'une cession de parts sociales, souvent présentées comme étant de simples formalités, prennent toute leur importance avec l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 25 septembre 2012. Selon la position adoptée dans l'arrêt, il ressort qu'à défaut d'avoir effectué les démarches requises par les textes, le cédant, pour tenter de faire tout de même produire l'effet d'opposabilité, ne peut invoquer la prescription de ces obligations. En outre, le mandataire liquidateur de la société concernée est recevable à invoquer, au nom des créanciers de la société, l'inopposabilité de la cession des parts sociales.
A titre liminaire, il convient de bien relever la portée de la décision ici examinée car si, en l'espèce il s'agissait d'une société en commandite simple, son impact touche un bien plus grand nombre de sociétés. En effet, les dispositions de l'article L. 221-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5810AIZ) régissent les cessions de parts sociales de société en nom collectif et en commandite simple mais également des SARL, compte tenu du renvoi à ce texte opéré par l'article L. 223-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L5842AI9). En outre, par l'identité de solution retenue par l'article 1865 du Code civil (N° Lexbase : L2062ABY), les sociétés civiles sont également concernées par la position adoptée dans la présente affaire par la Cour de cassation.
Pour aller à l'essentiel, on peut retenir que les textes conditionnent l'opposabilité aux tiers d'une cession de parts sociales à l'accomplissement des formalités d'opposabilité de la cession à la société (formalités de l'article 1690 du Code civil N° Lexbase : L1800ABB ou dépôt d'un original de l'acte contre récépissé) ainsi qu'à la publicité au registre du commerce et des sociétés. En l'espèce, le mandataire liquidateur, agissant dans le cadre de la liquidation judiciaire prononcée à l'encontre de la société dont les parts avaient fait l'objet de la cession litigieuse, avait obtenu devant les juges du fond que cette cession soit déclarée inopposable, pour défaut d'accomplissement des formalités requises. Le pourvoi formé est ici rejeté mais mérite de retenir l'attention en ce qu'il mettait en jeu deux intéressantes questions.

I - La question de la prescription de l'obligation d'accomplissement des formalités requises aux fins d'opposabilité de la cession

Pour tenter d'échapper aux effets dévastateurs de l'inopposabilité de diverses cessions de parts sociales, les demandeurs au pourvoi (cédants des parts sociales) tentaient de faire juger que l'obligation d'accomplir les formalités aux fins d'opposabilité, contenues à l'article L. 221-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5810AIZ), étaient prescrites. Cette approche du régime juridique de l'opposabilité d'une cession de parts sociales nous apparaît bien comme étant inédite. Elle pose une intéressante question et obtient, en l'espèce, une réponse de la Cour de cassation qui nous paraît tout à fait fondée et qui présente l'avantage d'attirer l'attention sur l'impérieuse nécessité de respecter les modalités par lesquelles la cession réalisée sera opposable tant à la société qu'aux tiers.

Il n'est pas douteux que l'article L. 221-14 du Code de commerce, comme l'article 1865 du Code civil, édictent des obligations qui doivent, comme toute règle de droit, être respectées par les personnes qui sont visées. Le pourvoi laissait entendre que ces obligations pourraient disparaître par l'effet de l'écoulement du temps, ou plus précisément que les tiers ne pourraient plus invoquer leur non-respect par l'effet d'une prescription.

On peut, d'abord, évoquer le point particulier qui fondait le pourvoi et qui tenait à l'application, en l'espèce, des dispositions de l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L7242IAH) relatif à la prescription des "obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants". Avant la réforme réalisée sur ce point par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I), ce texte retenait une prescription abrégée de dix ans, dérogatoire au regard de la prescription trentenaire de droit commun. En admettant, pour les besoins du raisonnement, que les obligations de notification et de publicité imposées par les textes précités puissent relever d'une quelconque prescription, l'arrêt ici commenté permet de faire litière de l'argument qui visait à faire entrer ces obligations dans le champ d'application du texte spécial du Code de commerce. En premier lieu, on peut certes tenir compte du fait que l'associé commandité, comme l'associé en nom collectif, se voit attribuer la qualité de commerçant par le seul effet de sa qualité d'associé (C. com., art. L. 221-1 N° Lexbase : L5797AIK et L. 222-1 N° Lexbase : L5814AI8). Pour autant, comme le relève à juste titre la Chambre commerciale, cette prescription abrégée (à l'époque des faits), ne s'applique qu'aux obligations "nées à l'occasion de leur commerce". Or, l'obligation de réaliser les diverses formalités destinées à rendre la cession opposable à la société et aux tiers ne saurait être considérée comme née à l'occasion d'un quelconque commerce. Le cédant, pas plus que le cessionnaire n'agissent dans le cadre de leur commerce en procédant à la cession de parts sociales. C'est la société qui fait le commerce, pas ses associés.

Si, comme le juge la Haute juridiction, et que l'on admet bien volontiers, les obligations destinées à rendre opposable aux tiers une cession de parts sociales ne relèvent pas de la règle spéciale de prescription de l'article L. 110-4 du Code de commerce, il reste à savoir si elles sont justiciables de la prescription de droit commun ou d'aucune prescription. Ce point n'est pas jugé par la Cour de cassation, le moyen tiré de la prescription trentenaire est en effet déclaré irrecevable car nouveau et mélangé de fait et de droit. On ne sait donc pas si, aux yeux de la Cour de cassation, l'obligation d'accomplir les formalités d'opposabilité d'une cession de parts sociales doit s'insérer dans la prescription de droit commun. Pour autant, il s'agit à notre avis d'une interrogation induite de la position adoptée. L'interférence d'une quelconque prescription avec le mécanisme de l'opposabilité à la société ou aux tiers d'une cession de parts sociales laisserait entendre qu'à l'issue de l'écoulement d'un délai, l'opposabilité de la cession serait acquise alors même que les formalités n'auraient pas été effectuées. Plus précisément, ni la société, ni les tiers, ne pourraient invoquer l'inopposabilité de la cession à l'expiration du délai de prescription. A notre avis, le simple énoncé d'une telle hypothèse suffit à déclencher sa réfutation. Ici, comme dans d'autres domaines le temps ne fait rien à l'affaire. L'opposabilité de la cession est sous la dépendance de l'accomplissement de formalités visées par les textes. Certes, la jurisprudence a pu admettre des assouplissements pour faire produire l'opposabilité d'une cession de parts sociales en considération d'autres évènements que ceux figurant aux textes (voir not. retenant l'effet d'opposabilité en cas de publication des statuts mis à jour constatant la cession des parts, Cass. com., 18 décembre 2007, n° 06-20.111, F-P+B N° Lexbase : A1240D3C, Bull. Joly, 2008, p. 287, note P. Le Cannu), mais en dehors de ces hypothèses, il n'a jamais, à notre connaissance, été jugé que l'opposabilité pouvait se trouver acquise mécaniquement par l'effet d'une prescription. L'écoulement du temps n'est pas un mode d'opposabilité d'une cession de parts sociales.

Le présent arrêt devrait être médité par les parties à la cession comme par leurs conseils. On rappellera d'ailleurs que la jurisprudence porte trace de la mise en cause de responsabilité de professionnels, rédacteurs d'actes, qui ont négligé d'assurer les suites requises par les textes pour assurer l'opposabilité à la société et aux tiers de l'opération réalisée (V. not. CA Paris, 1ère ch., sect. A, 20 février 1996, n° 95/8577 N° Lexbase : A7529EPK, Dr. Sociétés, 1996, n° 147 ; Cass. civ. 1, 25 juin 1996, n° 94-14.506 N° Lexbase : A4448AGT, Bull. Joly, 1996, p. 1030, note P. Le Cannu).

II - La question de la recevabilité de l'action en inopposabilité de la cession exercée par un mandataire liquidateur

De manière certes complémentaire et moins spectaculaire, la Cour de cassation juge dans le présent arrêt que le mandataire liquidateur est recevable à agir au nom des créanciers de la société concernée par les cessions de parts sociales litigieuses et qui se trouvait faire l'objet d'une liquidation judiciaire. Dès lors que n'ont pas été réalisées les formalités requises aux fins d'opposabilité, le mandataire liquidateur peut, comme en l'espèce, avoir intérêt à se prévaloir de l'inopposabilité d'une cession de parts sociales afin de poursuivre en paiement, le cas échéant, l'associé cédant en lieu et place du cessionnaire, pour peu que son patrimoine s'avère mieux fourni.

Pour fonder la recevabilité de l'action visant à faire établir l'inopposabilité de la cession des parts sociales, la Cour de cassation expose que le liquidateur, s'il représente le débiteur, "est également investi de la mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers et que cette dualité de fonctions lui confère en tant qu'organe de défense de cet intérêt collectif la qualité de tiers par rapport au débiteur". Par une telle position, la Haute juridiction réaffirme la diversité des rôles qui sont dévolus au liquidateur par le Code de commerce. Il est en effet tout à la fois le représentant des créanciers, le représentant du débiteur et aussi un organe de la procédure collective (pour une telle présentation, voir not. C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 7ème éd., n° 1088 et s.). Il peut ainsi non seulement poursuivre les actions en justice en cours qui intéressent les créanciers et qui auraient été introduites avant le jugement de liquidation, mais aussi introduire des actions nouvelles qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire, ainsi que l'énonce l'article L. 641-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8861INI).

S'il a pu être jugé que le liquidateur ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créancier (Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B N° Lexbase : A8907IEM ; P.-M. Le Corre, in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2012 -1ère esp.-, Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires N° Lexbase : N1549BTK ; JCP éd. E, 1325, note P.-M. Le Corre), cette restriction n'a pas lieu d'être dans le litige ici en cause. En effet, en obtenant l'inopposabilité de la cession de parts sociales, le liquidateur agit bien dans l'intérêt collectif de tous les créanciers de la société en liquidation, dont les titres sont l'objet de la cession contestée. L'effet produit, à savoir la possibilité de poursuivre le cédant, en lieu et place du cessionnaire des parts, au titre de l'obligation solidaire et indéfinie aux dettes sociales profite évidemment à l'ensemble des créanciers de la société en liquidation.

Cet aspect complémentaire de l'arrêt, certes procédural, confirme l'impérieuse nécessité pour le cédant d'effectuer les formalités requises aux fins d'opposabilité à la société et aux tiers de la cession de parts sociales s'il entend être libéré, au moins pour l'avenir, du risque de devoir répondre des dettes sociales.

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