Lexbase Affaires n°312 du 11 octobre 2012 : Commercial

[Jurisprudence] Une conception jurisprudentielle -toujours- extensive de la notion de "relations commerciales établies"

Réf. : Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-24.301, F-P+B (N° Lexbase : A6004ITK)

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 11 Octobre 2012

La loyauté entre partenaires économiques est un principe fondamental qui s'applique tout au long des relations d'affaires et notamment lorsque l'une des parties décide de rompre ces dernières. Ainsi, le droit français organise-t-il un régime de responsabilité qui permet de sanctionner toute rupture brutale réalisée sans préavis écrit d'une durée suffisante. L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8640IMX), qui édicte cette règle souvent invoquée par la partie qui n'est pas à l'origine de la cessation des relations commerciales, est source d'un important contentieux. D'ailleurs, le champ d'application de ce texte, imaginé à l'origine dans le but de lutter contre certains "déréférencements" abusifs commis dans la grande distribution, n'a cessé de s'étendre, en particulier sous l'impulsion de la jurisprudence de la Cour de cassation. En témoigne une nouvelle fois, un arrêt rendu le 25 septembre 2012 par sa Chambre commerciale. En l'espèce, depuis 1991, une société importait (la société importatrice) du Maroc des potages déshydratés certifiés Halal, fabriqués par la filiale marocaine d'un important groupe international de l'agroalimentaire. Le 4 juillet 2003, la société importatrice a conclu avec la filiale française de ce même groupe un contrat par lequel cette dernière lui concédait l'exclusivité de la distribution en France de ces deux potages, en contrepartie d'engagements d'achats, le contrat étant conclu pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction pour une durée indéterminée, chacune des parties pouvant y mettre fin avec un préavis de douze mois. Le 11 janvier 2008, la filiale française a dénoncé le contrat pour le 16 janvier 2009 ; la société importatrice l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive et brutale. La cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 29 juin 2011, n° 09/17336 N° Lexbase : A2974HW3) a alors condamné la filiale française, jugeant, pour considérer que le préavis de douze mois donné le 11 janvier 2008 était insuffisant, que la relation commerciale litigieuse comprenait la période allant de 1991 à 2003, au cours de laquelle la société importatrice avait distribué les produits litigieux pour la filiale marocaine. La filiale française à l'origine de la rupture de la relation commerciale a donc formé un pourvoi en cassation, estimant qu'en statuant de la sorte tout en admettant que les deux filiales, la société française et la société marocaine, étaient des personnes juridiques distinctes, sans avoir relevé l'existence d'un avenant conclu entre la société française et la société importatrice par lequel les parties auraient entendu reprendre la relation contractuelle précédemment nouée avec la filiale marocaine, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Mais la Chambre commerciale rejette le pourvoi : "après avoir rappelé les termes du préambule du contrat de 2003, selon lequel la [filiale française] souhaitait à son tour commercialiser des produits ethniques et, eu égard aux relations nouées antérieurement par la [société importatrice] avec la [filiale marocaine] pour l'importation des deux potages, avait décidé de prendre appui sur les ressources marketing et industrielles du groupe [...], la cour d'appel a retenu que les parties avaient ainsi entendu se situer dans la continuation des relations antérieures, le but d'un contrat écrit étant de poursuivre et développer les relations existant entre [la société importatrice] et le [groupe de sociétés], en s'appuyant notamment sur l'expérience acquise par [la société importatrice] dans le cadre de son partenariat informel avec la [filiale marocaine] pour la commercialisation des mêmes produits ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, d'où il ressort que la [filiale française] avait poursuivi la relation initialement nouée avec la [filiale marocaine], la cour d'appel a pu retenir que cette relation avait commencé en 1991".

De prime abord, cette solution pourrait surprendre dans la mesure où la Cour de cassation consacre, ce que la demanderesse contestait, le fait que la notion de relations commerciales établies n'exclut pas la possibilité qu'elles aient été nouées entre personnes juridiques distinctes de celles -les relations- qui sont rompues. En effet, il n'est pas ici douteux que les filiales française et marocaine d'un important groupe ne sont pas la même personne morale. Néanmoins, la Chambre commerciale approuve les juges d'appel d'avoir pris en compte la relation initialement nouée avec la filiale marocaine dans la mesure où il ressort de leurs constatations que la filiale française avait poursuivi celle-ci. Pourtant, si l'application à deux filiales d'un même groupe est une nouveauté, le principe sur lequel elle repose s'inscrit dans la jurisprudence développée depuis quelques années par la Cour régulatrice et qui dépasse largement le strict cadre contractuel. En effet, sont visées toutes les relations commerciales quelle qu'en soit la nature, précontractuelle, contractuelle et même post-contractuelle (CA Montpellier, 11 août 1999, Cah. dr. entr., 1999, n° 5, p. 19, obs. Mainguy ; D., 1999, act. jurispr., p. 28, obs. E. P.). Les juges sont même allés jusqu'à ouvrir, dans des termes très généraux et dénués d'ambiguïté, un droit à réparation à la victime par ricochet d'une rupture brutale, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) dans un arrêt du 6 septembre 2012 (Cass. com., 6 septembre 2011, n° 10-11.975, F-P+B N° Lexbase : A5347HXC ; V. Marx, L'admission de l'action en responsabilité délictuelle de la victime par ricochet d'une rupture brutale de relation commerciale établie, Lexbase Hebdo n° 274 du 24 novembre 2011 - édition affaires N° Lexbase : N8856BSS), solution qui s'inscrit directement dans celle de l'arrêt rendu le 6 octobre 2006 par l'Assemblée plénière qui avait alors énoncé que le "tiers à un contrat peut se prévaloir d'un manquement contractuel, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage" (Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255, P+B+R+I N° Lexbase : A5095DR7).

Surtout, le principe sur lequel repose l'arrêt du 25 septembre 2012 n'est pas sans rappeler les précédents jurisprudentiels qui démontrent clairement une conception prétorienne extensive du périmètre de la relation commerciale visée par l'article L. 441, I, 5° du Code de commerce. En effet, alors que, dans un premier temps, la Cour de cassation avait clairement refusé toute action à la victime par ricochet, à défaut de relation commerciale directe entre le tiers et l'auteur de la rupture (Cass. com., 3 novembre 2004, n° 02-17.078, F-D N° Lexbase : A7573DDT), elle est revenue sur sa position en admettant la possibilité pour une société de reprendre par avenant au contrat certains engagements de son prédécesseur et de continuer ainsi une relation commerciale initialement nouée (Cass. com., 29 janvier 2008, n° 07-12.039, FS-P+B N° Lexbase : A6109D4Z). Par la suite, dans le cadre d'un contrat de franchise à durée déterminée et qui avait été poursuivi tacitement, la Cour de cassation avait cassé l'arrêt d'appel qui avait considéré que les relations commerciales qui procèdent de l'exécution de ce contrat, rompues d'accord entre les parties puisqu'aucune d'elles n'a sollicité le renouvellement du contrat, éventualité pourtant envisagée par son article 3, alinéa 2, n'entrent pas dans les prévisions de l'article L. 442-6, I, 5°. En effet, pour la Haute juridiction, les juges du fond n'avaient pas pris en compte l'intégralité de la relation commerciale établie entre les parties (Cass. com., 24 novembre 2009, n° 07-19.248, F-D N° Lexbase : A1493EPY).

Enfin, dans une autre affaire, pour apprécier l'existence de cette relation, les juges du fond avaient pris en considération non seulement les contrats conclus entre les parties mais aussi les conventions qui avaient été conclues entre le distributeur et un précédent fournisseur. Cela se justifiait dans la mesure où le fonds de commerce avait été cédé à la victime de la rupture dans le cadre d'une procédure collective ouverte à l'égard du fournisseur originaire. Une fois encore, la Cour de cassation va dans le sens d'une lecture extensive de la notion de relations commerciales établies : les fonds de commerce ayant été acquis, dans le cadre d'un plan de cession, par la victime de la rupture avec qui le distributeur avait signé un nouveau contrat qui n'était que la reprise, à quelques modifications près, du contrat conclu l'année précédente avec le cédant du fonds, le distributeur avait poursuivi avec son nouveau partenaire la relation commerciale initialement nouée avec le cédant du fonds de commerce. Dès lors que le contrat conclu avec le cessionnaire s'inscrivait dans la lignée des précédents, même conclus avec une autre personne juridique, l'existence d'une relation commerciale était caractérisée (Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-25.323, F-D N° Lexbase : A5217HZA).

C'est, en quelque sorte, un cas de figure similaire qui était présenté à la Cour de cassation dans l'arrêt du 25 septembre 2012 et auquel elle apporte une réponse dans la droite ligne de celle de l'arrêt du 2 novembre 2011, puisqu'elle amet une nouvelle fois que des personnes juridiques distinctes puissent continuer une relation commerciale précédemment nouée. Comme le précise d'ailleurs le rapport de la Cour de cassation pour 2008, la notion de "relation commerciale établie" est une notion non définie qui, comme le note la doctrine, est une notion économique et non juridique. Il convient en conséquence de prendre en compte l'ensemble des éléments qui caractérise la relation en cause, sans se cantonner aux principes juridiques du droit des contrats. Ainsi, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt sous examen, la société qui avait noué la relation initiale avec le distributeur (la société marocaine) et la société qui avait continué cette dernière (la société française) étaient deux filiales d'un même groupe et la relation d'affaires concernait les mêmes produits. On en déduira que la prise en compte de la relation initiale exige que des liens étroits existent entre celle-ci et celle qui fait l'objet d'une rupture, de même qu'entre les entités juridiques concernées. En effet, la relation initiale ne pourra pas être prise en compte si son objet est totalement différent de celui de la relation rompue, ni lorsque les personnes concernées ne s'inscrivent pas dans un cadre juridique (c'est bien le cas de deux filiales qui appartiennent à un même groupe ou de la cession d'un fonds de commerce dans le cadre d'un plan de cession) qui suppose la continuité d'un rapport préexistant. L'identification de la relation commerciale établie qui est essentielle en ce qu'elle déterminera la durée du préavis et donc le montant de l'éventuelle indemnité devant être versée à la victime de la rupture exige ainsi d'avoir une vision d'ensemble. Cet arrêt vient le confirmer, en même temps qu'il renforce une conception extensive de la notion de relation commerciale établie. Ce n'est pas tant le lien direct entre les cocontractants qui détermine la relation établie que le lien indirect qui uni l'ensemble des protagonistes à travers les produits et les modalités de leur distribution. Cette solution illustre une fois de plus l'objectivation de la relation commerciale en unifiant la relation malgré la succession des cocontractants.

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