La lettre juridique n°857 du 11 mars 2021 : Urbanisme

[Jurisprudence] Action en démolition d’une construction irrégulière : la Cour de cassation préserve le champ d’application déjà restreint de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme

Réf. : Cass. civ. 3, 11 février 2021, n° 20-13.627, FS-P+L (N° Lexbase : A80574GI)

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par Valentin Boullet, Avocat au barreau de Bordeaux, SCP Laydeker Sammarcelli Mousseau

le 10 Mars 2021

 


Mots clés : permis de construire • secteurs protégés • démolition
Le juge judiciaire peut valablement ordonner la démolition d’une maison classée postérieurement à la délivrance du permis de construire en zone à risque.


 

La loi dite « Macron » du 6 août 2015 (loi n° 2015-990, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC) a considérablement réduit la possibilité pour les tiers lésés d’obtenir la démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire qui s’avère illégal : désormais, même lorsque le permis a été annulé, le juge judiciaire ne peut ordonner la démolition que si la construction se trouve dans l’un des secteurs spécifiques listés à l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L5016LUC) (zones de protection du patrimoine naturel et architectural ou périmètres exposés à des risques naturels ou technologiques).

Par la décision commentée, qui sera publiée au Bulletin, la Cour de cassation préserve le champ d’application déjà restreint de l’action en démolition en jugeant qu’une telle mesure doit être ordonnée lorsque la construction est située dans l’un des secteurs susvisés au jour où le juge statue, quand bien même elle ne l’était pas au moment de la délivrance du permis de construire.

I. La démolition d’une construction en zone rouge au jour où le juge statue

Après avoir obtenu l’annulation du permis de construire d’une maison d’habitation, une riveraine assigne les propriétaires devant la juridiction civile aux fins d’obtenir sa démolition.

La cour d’appel de Nîmes fait droit à la demande après avoir constaté que, au jour où elle statue, la construction litigieuse se trouve en zone rouge d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) constituant l’une des zones spécifiques visées par l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme (ce qui n’était pas le cas au jour de la délivrance du permis de construire).

Les propriétaires se pourvoient en cassation en faisant valoir qu’il fallait se placer au moment de la délivrance du permis, et non au jour où le juge judiciaire statue sur la démolition, pour apprécier si la construction se trouvait ou non dans l’un des secteurs listés à l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en se fondant sur la nécessité de concilier la sécurité juridique des constructions avec la préservation du patrimoine et des risques.

Elle souligne ainsi que le législateur « n’a pas conféré une impunité aux propriétaires de constructions situées en dehors des zones spécifiquement mentionnées, lesquels demeurent exposés à l’action du représentant de l’État » et a entendu « assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de sécurisation des projets de construction et, d’autre part, la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain, ainsi que la prévention des risques naturels ou technologiques ».

Cette décision dénote la volonté de la Cour de cassation de préserver le champ d’application de l’action en démolition, lequel a déjà été significativement restreint par les évolutions récentes du texte.

II. Une réaction aux restrictions successives de l’action en démolition

En première analyse, la décision commentée tranche une question nouvelle : l’appréciation dans le temps de la situation ou non de la construction dans un des secteurs listés à l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme.

Néanmoins, la motivation tirée de la nécessité d’équilibrer la sécurisation des constructions avec la préservation du patrimoine et des risques, laisse à penser que la Cour de cassation cherche à préserver l’effectivité d’un dispositif qui s’est fortement restreint, suscitant un certain nombre de critiques.

Pour bien mesurer le chemin parcouru jusqu’à la décision ici commentée, il convient de rappeler que :

1) L’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme encadre les conditions dans lesquelles un tiers lésé peut demander au juge judiciaire la réparation (démolition et/ou dommages et intérêts) lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis qui s’avère illégal, de sorte qu’elle se trouve en contrariété avec des règles d'urbanisme ou servitudes d’utilité publique.

Ce texte – dont l’objet est de protéger les constructeurs de bonne foi – ne s’applique pas en cas de travaux réalisés sans autorisation ou en contravention avec l’autorisation obtenue.

2) Le dispositif initial institué en 1977 permettait aux tiers d’obtenir la démolition alors même que le permis de construire était devenu définitif, dans la mesure où l’illégalité du permis pouvait être constatée ultérieurement, à l’occasion du litige judiciaire relatif à la démolition du bien, par le biais d’une question préjudicielle soumise par le juge judiciaire à la juridiction administrative. 

3) Cette situation n’étant pas satisfaisante pour la sécurité juridique des bénéficiaires ayant construit conformément à une autorisation définitive, la loi dite « ENL » du 13 juillet 2006 (loi n° 2006-872, portant engagement national pour le logement N° Lexbase : L2466HKK) a modifié l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme en supprimant le mécanisme du renvoi préjudiciel.

Ainsi, la démolition ne pouvait être ordonnée que si le permis avait préalablement été annulé par la juridiction administrative, de sorte que les constructeurs se savaient à l’abri si le permis n’avait pas été contesté en temps utile et avait donc acquis un caractère définitif.

4) Alors que l’on pouvait penser que le dispositif issu de la loi « ENL » était équilibré et avait vocation à s’inscrire dans le temps, il a connu une modification majeure avec la loi Macron du 6 août 2015.

En effet, l’article L. 480-13, dans sa rédaction qui en est issue, subordonne la possibilité d’ordonner la démolition, non seulement à l’annulation préalable du permis de construire (apport de la loi « ENL »), mais désormais également à la condition que la construction soit située dans une des zones de préservation du patrimoine ou de prévention de risques limitativement énumérées par le texte.

Ainsi, quand bien même le permis a été annulé, les tiers lésés ne peuvent plus obtenir la démolition si la construction irrégulière ne se trouve dans l’une des zones spécifiques (lesquelles ne représentent qu’une portion limitée du territoire national).

5) Cette restriction de l’action en démolition a été diversement accueillie par la doctrine et les praticiens.

La Cour de cassation elle-même a semblé circonspecte sur l’équilibre du nouveau dispositif puisque, le 12 septembre 2017, elle a accepté de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) estimant que « ces dispositions sont susceptibles de porter une atteinte disproportionnée au droit à réparation des victimes ».

Néanmoins, par un avis n° 2017-672 QPC rendu le 10 novembre 2017 (N° Lexbase : A1482WYK), le Conseil a estimé que ces dispositions étaient conformes à la Constitution, ce qui a conduit une doctrine autorisée à écrire que « La démolition sanction bien gênante, donc sans doute efficace ou, en toute hypothèse, dissuasive, a connu, ces dernières années, ce que l’on appellera pudiquement, des mouvements divers.

Beaucoup a été fait pour lui enlever son caractère automatique en matière d’illégalité. Les avatars de l’article L. 480-13 sont là pour le démontrer et il n’est pas besoin de revenir sur la restriction considérable que les modifications successives de ce texte ont apporté aux possibilités de démolition avec la bénédiction d’un Conseil constitutionnel débonnaire » [1].

6) La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8) a apporté un correctif à la restriction de l’action en démolition mais uniquement en ce qui concerne le Préfet, l’article L. 480-13 ayant été modifié pour prévoir que le représentant de l’état peut obtenir la démolition, même lorsque la construction n’est pas située dans un des secteurs spécifiques.

C’est d’ailleurs dans cette dernière évolution législative que la Cour de cassation a puisé la motivation de la décision commentée, puisqu’elle retient que si la loi du 6 août 2015 a restreint la possibilité pour les tiers lésés de demander la démolition en dehors des zones spécifiques, la loi du 23 novembre 2018 confère au préfet la faculté d’engager l’action en démolition, y compris en dehors desdites zones.

Et les Hauts magistrats d’ajouter qu’« en maintenant la possibilité pour les tiers d’agir en démolition dans certaines zones présentant une importance particulière, le législateur a entendu assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de sécurisation des projets de construction et, d’autre part, la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain, ainsi que la prévention des risques naturels ou technologiques ».

III. Les constructions en dehors des zones spécifiques ne sont pas à l’abri de tous risques

À s’y pencher de plus près, la motivation de la décision ne répond pas directement à la question soulevée par le pourvoi qui était celle de savoir à quelle date il convenait de se placer pour apprécier si la construction se trouvait ou non dans une des zones permettant aux tiers lésés d’agir en démolition.

Dans le silence du texte, le pourvoi faisait valoir que la restriction issue de la loi « Macron » avait pour but « de donner effet au caractère exécutoire du permis de construire attribué s’agissant des zones non-mentionnées par la loi en permettant au propriétaire de démarrer les travaux de construction sans attendre la purge des recours ».

Il est vrai qu’en subordonnant la démolition à la condition que la construction se trouve dans l’une des zones mentionnées, la loi du 6 août 2015 a pu sembler libérer les constructeurs en dehors desdites zones de la préoccupation de l’annulation éventuelle et donc de la purge de leur permis.

C’était toutefois une manière quelque peu audacieuse de voir les choses, dès lors qu’il résulte de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme que :

- le propriétaire de la construction litigieuse peut toujours être condamné à des dommages et intérêts, même en dehors des zones listées (étant d’ailleurs observé que le mécanisme du renvoi préjudiciel a été maintenu pour ce qui concerne l’obtention de dommages et intérêts) ;

- et que comme il a été dit, le préfet peut agir en démolition, y compris hors des secteurs spécifiques.

À retenir :

La Cour de cassation « enfonce le clou » en permettant donc aux tiers lésés d’obtenir la démolition lorsque la construction litigieuse a été classée dans un des secteurs spécifiques postérieurement à l’obtention du permis de construire.

Cela incitera donc, plus que jamais, à recommander aux titulaires de permis d’attendre la purge de leur autorisation avant d’entreprendre les travaux.

 

[1] H. Périnet-Marquet, La démolition toute en nuance, Construction - Urbanisme n° 7-8, juillet 2019, repère 7.

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