Lexbase Fiscal n°851 du 21 janvier 2021 : Fiscalité internationale

[Focus] L’influence de la clause anti-abus PPT : mais où est donc passée la sécurité juridique du contribuable ?

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par Clément Thomas, Doctorant en fiscalité internationale et européenne a l’université Aix - Marseille et Consultant en fiscalité

le 20 Janvier 2021


Mots-clés : conventions fiscales • anti-abus • clause limitation of benefits • treaty shopping • OCDE 


 

Les conventions fiscales internationales remplissent aujourd’hui divers objectifs. Traditionnellement, leur objectif était la promotion de la prospérité économique mondiale, et, pour ce faire, elles visaient à supprimer les doubles impositions. Reste qu’aujourd’hui, leur utilisation, par les contribuables, motivées par la seule volonté de diminuer, voire de supprimer leur charge fiscale on amener l’introduction, en leur sein, de clauses visant à lutter contre le chalandage fiscal ou de treaty shopping.

En dehors des clauses anti abus, qui seront évoqués ultérieurement, de nombreux articles des conventions fiscales contiennent désormais des dispositifs ayant pour objectif d’éviter les fraudes et les divers abus. À ce titre, il est intéressant de constater la multiplication de ceux-ci depuis quelques années. En effet, la lutte contre l’abus des conventions fiscales a fait l’objet de recommandations tant de la part de l’OCDE (Action 6 du plan Beps) que de la Commission européenne. Cette dernière a notamment recommandé aux États membres, dont la France, dans le cadre du paquet anti-évasion fiscale du 28 janvier 2016, d’insérer dans les conventions fiscales une clause anti-abus générale.

Cela s’est traduit par l’insertion d’une clause anti-abus de types « Principal Purpose Test » dite « PPT ». Cette dernière se distingue de la clause « Limitation of Benefits » dite « LOB » qui ne sera pas traitée dans le cadre de notre étude. La raison étant que la pratique conventionnelle française s’inscrit seulement dans cette première approche. Approche proche de sa tradition juridique en ce qu’elle procède, comme en matière d’abus de droit d’une démarche fondée sur la recherche du but de l’opération, autrement dit, l’intention des auteurs de la norme abusée.

La question qui se pose est alors de savoir qu’elle est l’influence de cette clause dite « PPT » sur la sécurité juridique du contribuable.

Bien que la sécurité juridique du contribuable soit l’élément central de cette étude, il est nécessaire d’évoquer en parallèle la question de la nature même de cette clause, ses origines. Cette idée repose le fait que sa nature dévoile, pour partie, l’argumentation selon laquelle la sécurité juridique du contribuable est actuellement mise à mal.

Évoquer la nature juridique de ladite clause suppose, tout d’abord, d’évoquer sa place parmi les autres dispositions anti-abus applicables dans ce contexte (I). À ce titre il sera question de la prévalence de la clause PPT sur les autres clauses anti-abus. Le but étant de ne pas travestir son rôle potentiel. Cette analyse permettra, ensuite, d’étudier ses conditions d’application et les éventuelles critiques pouvant leur être faites. (II).

I. La place « hiérarchique » de la clause PPT au sein de la lutte contre l’abus conventionnel

Il est intéressant de mentionner la précision selon laquelle la clause PPT prévaut sur toute autre disposition conventionnelle applicable puisque celle-ci s’applique « nonobstant toute disposition » de la convention en cause. Ainsi, ladite clause PPT doit être prise en compte à chaque fois qu’un avantage est obtenu par application de la convention [1]. Le but étant de rendre effectif l’objectif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales indépendamment des dispositions conventionnelles en cause.

À ce titre, il est essentiel de souligner qu’elle s’applique même lorsque les conditions permettant d’échapper à l’application d’une règle anti-abus spécifique contenue dans la convention (telle que la clause LOB) sont satisfaites par le contribuable en cause. Sur ce point il est nécessaire d’évoquer les commentaires de l’OCDE qui précisent que « le fait qu’une personne peut prétendre aux avantages accordés en vertu [de la clause LOB] ne signifie pas que ceux-ci ne peuvent pas être refusés en vertu [de la clause PPT] ». [2]

Toutefois, si la primauté de la règle anti-abus PPT sur les règles de portée spécifique pouvait sembler logique de prime abord, elle ne relève cependant pas d’une évidence absolue, notamment au regard des solutions que l’on retrouve au sein de différents États membres [3].

Il résulte de ce premier argument, que la place attribuée à la clause anti-abus PPT est, par nature, une première source d’insécurité juridique pour le contribuable.

II. L’imprécision juridique quant au terme « principalement fiscal » de la clause PPT

Il faut souligner que la clause anti-abus générale, sous la forme « PPT », présente un champ d’application plus large que la notion d’abus de droit français et d’abus de droit définie par la CJUE comme nous l’avons évoqué précédemment : « les avantages de la convention ne pourront être octroyés s’il est raisonnable de conclure, compte tenu des faits et circonstances, que l’obtention de ces avantages est l’un des principaux motifs de la transaction sauf à démontrer que l’octroi de l’avantage serait en accord avec l’objet et le but de la disposition conventionnelle concernée » [4]. Elle traite donc des montages dont l’un des objectifs « principaux » est fiscal alors que l’abus de droit français, tel qu’évoqué à l’article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L9266LNI), évoque le but « exclusivement » fiscal. En aucun cas, il est ici fait référence au nouvel « mini abus de droit », tels qu’énoncés aux articles 205 A du CGI (N° Lexbase : L3748HLE) et L. 64 A du LPF.

Cette clause anti-abus générale vise, ce faisant, un plus grand nombre de cas. Ce qui témoigne de l’importance de la lutte contre l’utilisation abusive des conventions fiscales. Ainsi, n’est-il pas nécessaire que les conditions de la clause PTT soient plus rigoureusement encadrées. Il semblerait, à tort, que le législateur ne soit pas de cet avis.

Plus précisément, cette insécurité juridique se manifeste par l’instabilité quant à l’interprétation du terme « principalement fiscal ». À ce titre, la rédaction relativement large de l’élément subjectif de la clause anti-abus PPT a attiré la critique de la part de nombreux auteurs qui voient dans « l’un des objets principaux » le signe d’une mauvaise interprétation de celui-ci par comparaison avec ce qui est exigé par les dispositifs anti-abus nationaux et européens originaires [5].. Alors que de nombreux dispositifs anti-abus nationaux, voulant se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour de Justice, avaient, antérieurement au projet BEPS, entrepris la modification substantielle de leur dispositif anti-évasion qui exigeait le caractère « essentiel » voire « exclusif » de l’opération.

Voilà que désormais l’OCDE et par la suite le législateur européen ont pris l’initiative de modifier substantiellement la charge probatoire en substituant le terme « d’exclusivement fiscal » au « principalement fiscal ». Reste que l’insécurité juridique qui en découle ne provient pas de cette substitution mais de l’interprétation hasardeuse qui est faite du terme « principalement fiscal » par l’OCDE. C’est d’ailleurs la même remarque qui  peut être également faite au sujet de l’interprétation de la clause anti-abus dit « montage non authentique » issue des Directives ATA et ATAD 1.

Si l’on faisait une lecture pure et simple de la clause PPT, force est de constater que dès lors qu’une opération couverte par une convention est motivée par deux raisons de même importance, et dont l’une manifeste la recherche d’un bénéfice conventionnel, alors le seuil de l’élément subjectif est atteint [6]. Il en résulte que la clause permet de réprimer une opération motivée par des raisons commerciales frappantes au seul motif que, par ailleurs, la recherche des avantages fiscaux qui leur sont associés traduirait une potentielle utilisation abusive des outils conventionnels [7].

Or il est important de mentionner que ce n’est pas la philosophie originelle que la Cour de justice attribue au critère subjectif de l’abus [8]. De plus, l’intégration de cette clause anti-abus, d’autant plus en y insérant le terme de « principalement fiscal » réduit le rôle initial des conventions fiscales. Sur ce point, de nombreux auteurs considèrent qu’il ne peut y avoir d’utilisation abusive d’une convention fiscale que lorsque la recherche des avantages fiscaux qu’elle confère est au moins « essentielle », sinon « exclusive » dans l’intention du contribuable [9]. Comme il a pu être évoqué au sein de nombreux écrits, la Cour de Justice considère également que l’abus des traités se caractérise qu’à l’aune « d’un ensemble d’éléments objectifs » [10] dont il ressort « que le but essentiel des opérations en cause est l’obtention d’un avantage fiscal ». Ce même constat ressort des dispositifs anti-abus nationaux de portée générale (exemple LPF, art. L. 64), lesquels se divisent entre ceux qui n’admettent que les cas dans lesquels l’intention fiscale du contribuable dans la mise en place de l’opération est exclusive (c’est le cas des dispositifs français avec l’article L.64 du LPF ou hongrois), et ceux qui prévoient qu’elle doit à tout le moins être essentielle (la Suède exige par exemple que l’obtention de l’avantage fiscal soit la raison principale de l’opération incriminée). [11]

En conclusion de ces développements, force est de constater que l’insertion de cette clause anti-abus PTT ne manque pas d’attirer de nombreuses interrogations quant à l’éventuelle atteinte à la sécurité juridique du contribuable. En ce sens, toute optimisation fiscale, pour peu qu’elle fasse un usage quelque peu inhabituel de normes juridiques, devient aujourd’hui dangereuse. À cette argumentation, peut en outre être ajouté le fait que jusqu’à récemment [12] le Conseil d’État considérait, au sein de sa jurisprudence, qu’en présence d’un montage purement artificiel, il n’était plus nécessaire pour l’administration fiscale de démontrer l’entièreté des conditions pour l’application de l’article L. 64 du LPF. Ce qui avait pour conséquence d’affaiblir encore la sécurité juridique du contribuable.

Afin de pallier à cette difficulté, la question qui se pose est alors de savoir s’il ne serait pas judicieux que la Cour de justice intervienne sur cette question. Étant à l’origine de l’abus de droit européen et de la sauvegarde des libertés européennes de circulation, son intervention ne pourra être que la bienvenue...

           


[1] V. par ex. CE, 9° et 10° ch.-r., 7 juin 2017, n° 386579, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6110WGE) : JurisData n° 2017-011353 ; Dr. fisc. 2017, n° 36, comm. 430, concl. É. Bokdam-Tognetti, note R. Zaghdoun et Q. Philippe. – V. C. Acard, Fiscalité financière (2e partie) : Dr. fisc. 2018, n° 5, étude 153, spéc. n° 3.

[2] OCDE, Empêcher l'octroi inapproprié des avantages des conventions fiscales, BEPS Action 6, préc. note n° 14, spéc. p. 60.

[3] Par exemple, le Code des impôts allemand (« Abgabenordnung ») fait prévaloir l'application de la règle anti-abus de portée spécifique sur celle de portée générale au nom de la sécurité juridique des contribuables.

[4] Traduction de la clause anti-abus issue du modèle « PPT » proposée par A. de l’Estoile-Campi, « Interprétation des conventions fiscales internationales : la Révolution en Marche ? », Option Finance, 11 septembre 2017.

[5] V. par ex. R. Kok, The Principal Purpose Test in Tax Treaties under BEPS 6 : Intertax, vol. 44, issue 5, 2016, p. 408.

[6] B. Kuzniacki, The Principal Purpose Test (PPT) in BEPS Action 6 and the MLI : Exploring Challenges Arising from Its Legal Implementation and Practical Application, préc. note n° 8, spéc. p. 255.

[7] R. Kok, The Principal Purpose Test in Tax Treaties under BEPS 6, préc. note n° 69, spéc. p. 408.

[8] Abus sous entendu pratique abusive.

[9] B. Kuzniacki, The Principal Purpose Test (PPT) in BEPS Action 6 and the MLI : Exploring Challenges Arising from Its Legal Implementation and Practical Application, préc. note n° 8, spéc. p. 256.

[10] CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc, Leeds Permanent Development Services Ltd, County Wide Property Investments Ltd, pt 75 (N° Lexbase : A0045DNY) : Europe 2006, comm. 128, note F. Mariatte ; RJF, 5/2006, n° 648, p. 383, chron. O. Fouquet ; BDCF, 5/2006, n° 68, concl. L. M. Poiares Maduro. – V. Y. Sérandour, L'abus de droit selon la CJCE. À propos de l'arrêt Halifax (CJCE, 21 févr. 2006, aff. C-255/02) : Dr. fisc. 2006, n° 16, étude 16.

[11] F. Zimmer, Rapport général : Cahiers IFA, vol. 87a., 2002, p. 45.

[12] CE Plénière, 25 octobre 2017, n° 396954, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4471WXU) : JurisData n° 2017-020912 ; Dr. fisc. 2018, n° 2, comm. 64, concl. É. Crépey, note F. Deboissy ; RJF, 1/2018, n° 70.

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