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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
le 04 Novembre 2011
La question de savoir si la rupture du mariage crée, dans les conditions de vie des époux, une disparité qu'il convient de compenser par l'attribution, à l'un d'eux, d'une prestation compensatoire relève de l'appréciation des juges du fond. Quatre arrêts, rendus par la Cour de cassation le 28 septembre 2011, renseignent sur les éléments que ces professionnels prennent réellement en compte pour évaluer les besoins des parties.
Aux termes de l'article 270 du Code civil (N° Lexbase : L2837DZ4), l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation afin de compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie des époux. Les juges rappellent, régulièrement, que la prestation compensatoire n'est pas destinée à égaliser les fortunes, ni à corriger les conséquences du régime matrimonial adopté par les époux ; qu'elle doit permettre de pallier l'importance du déséquilibre des situations économiques respectives des conjoints et que, pour le surplus, les simples espérances successorales, par définition incertaines, n'ont pas à être prises en compte.
En vertu de l'article 271 du Code civil (N° Lexbase : L3212INB), la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Parmi les besoins et ressources, le juge prend en considération, notamment, la durée du mariage ; l'âge et l'état de santé des époux ; leur qualification et leur situation professionnelle au regard du marché du travail ; leurs droits existants et prévisibles ; leur situation en matière de pensions de retraite et leur patrimoine, tant en capital qu'en revenu, après liquidation du régime matrimonial, en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite résultant des choix professionnels faits, pendant la vie commune, pour l'éducation des enfants ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne.
Dans les quatre affaires examinées par la Cour de cassation le 28 septembre 2011, la prestation compensatoire fut acceptée et refusée deux fois. Les juges du fond ont systématiquement pris en considération : la durée du mariage, l'âge des époux, l'existence d'enfants et, enfin, les revenus et le patrimoine des époux. Ces éléments ont-ils tous la même importance, l'un d'eux est-il prépondérant ?
S'agissant de la durée du mariage, il est évident que, plus l'union a duré, plus la rupture risque de créer des disparités dans les conditions de vie des époux. Néanmoins, cela n'est pas systématique. La prestation compensatoire a été acceptée dans les affaires où le mariage avait duré 34 ans (et la vie commune 27 ans, pourvoi n° 09-14.835) et 38 ans (et la vie commune 24 ans, pourvoi n° 10-25.867). En revanche, elle a été refusée dans l'affaire où le mariage n'avait duré que 11 ans (et la vie commune 7 ans, pourvoi n° 10-24.392), mais également lorsque celui-ci avait résisté 38 ans (et la vie commune 24 ans, pourvoi n° 10-25.867).
L'âge des époux va de pair avec la longévité du mariage. Plus celui-ci a duré, plus les époux sont âgés, mais cela ne suffit pas pour admettre aisément l'octroi d'une prestation compensatoire. Les époux étaient âgés de 57 et 58 ans (pourvoi n° 09-14.835) et de 50 et 40 ans (pourvoi n° 10-20.774) dans les affaires où la prestation compensatoire a été accordée et de 44 et 47 ans (pourvoi n° 10-24.392) et 59 et 55 ans (pourvoi n° 10-25.867) dans les cas où elle a été refusée.
L'existence d'enfants n'est pas non plus un élément déterminant. La prestation compensatoire n'est pas forcément octroyée lorsque les couples ont eu des enfants et refusée dans le cas contraire. Le 28 septembre 2011, elle a été accordée lorsque les époux avaient eu un enfant (pourvoi n° 09-14.835) et semble-t-il aucun enfant (pourvoi n° 10-20.774) et a été refusée dans les deux affaires où les époux avaient eu deux enfants (pourvois n° 10-24.392 et n° 10-25.867). Le temps déjà accordé ou devant encore être accordé pour leur éducation a à peine été évoqué dans une affaire (pourvoi n° 10-25.867).
Les revenus et le patrimoine des époux sont, en réalité, les éléments qui font vraiment la différence.
La prestation compensatoire a été accordée lorsque :
- l'époux avait exercé une activité de forain et possédait encore son entreprise : un "Grand Huit" ; vivait chez son amie et avait déclaré 58 000 francs (soit 8 842 euros) de revenus annuels, en 1999, 13 415 euros, en 2000, mais n'avait pas communiqué ses derniers revenus (les magistrats avaient seulement pu relever que, en 2004, il avait réglé ses créanciers sans difficultés et avait obtenu l'aide juridictionnelle dans le cadre de son divorce) ; alors que l'épouse, qui avait travaillé durant toute la vie commune à ses côtés, n'avait bénéficié d'aucun statut et d'aucun salaire et n'obtiendrait, pour cette période, aucun droit à la retraite ; était hébergée par son fils ; n'avait pas de qualification professionnelle et occupait un emploi d'aide à domicile pour un revenu mensuel de moins de 1 000 euros (elle avait d'ailleurs saisi la commission de surendettement des particuliers pour organiser le règlement des nombreuses dettes qu'elle avait contractées). Cette dernière a obtenu 130 000 euros de prestation compensatoire (pourvoi n° 09-14.835) (1) ;
- l'époux, qui avait eu un revenu mensuel d'environ 3 000 euros, avait été licencié et bénéficiait pour une année d'une allocation de 1 600 euros par mois et avait saisi la commission de surendettement ; alors que l'épouse avait un salaire de 1 200 euros par mois ; vivait avec un homme sans emploi et disposait d'un patrimoine en nue-propriété. La cour d'appel a attribué à l'épouse 15 000 euros (montant fixé à 30 000 euros en première instance) de prestation compensatoire (pourvoi n° 10-20.774).
En revanche, la prestation compensatoire ne fut pas accordée lorsque :
- l'époux justifiait d'une rémunération mensuelle de 2 400 euros, détenait des parts dans une société, était propriétaire d'un appartement et usufruitier de deux pièces ; alors que l'épouse, qui avait toujours travaillé, possédait un terrain indivis, un appartement et de l'épargne (195 000 euros) et justifiait d'une rémunération mensuelle de 1 900 euros (pourvoi n° 10-24.392) ;
- l'époux percevait un salaire moyen de 2 400 euros, disposait d'un appartement de fonction ; vivait en concubinage ; avait, pendant la séparation du couple qui avait duré 14 ans, remboursé de nombreux prêts contractés pendant la vie commune, par son épouse, à hauteur de 108 700 euros, et continuait de rembourser l'emprunt qu'il avait contracté pour faire face à ces échéances, à raison de 436 euros par mois ; allait bientôt prendre sa retraite, n'aurait alors plus que 1 100 euros par mois et devrait quitter son logement de fonction ; alors que l'épouse, ayant élevé deux enfants, avait eu une carrière professionnelle entrecoupée par des temps non travaillés ; ses revenus étaient compris entre 1 000 et 1 150 euros par mois ; et ses droits à la retraite, alors estimés assez faible, pouvaient être réévalués, dès lors qu'elle avait encore la perspective de 10 années de travail devant elle (pourvoi n° 10-25.867).
Certes, quatre arrêts ne permettent pas de représenter toutes les situations et surtout toutes les exceptions. Néanmoins, comme pour les échantillons de population lors des sondages, ils sont le reflet de nombreuses autres et renseignent sur les conditions d'attribution de celle-ci. Ils permettent de conclure que, pour l'attribution d'une prestation compensatoire, la différence de revenu et l'écart entre les patrimoines des époux sont les éléments les plus déterminants. Et cela est parfaitement logique. Ce qui change dans la vie d'une personne, après son divorce, ce n'est pas son âge, la durée de son mariage ou la présence d'enfants. Ce qui change, et peut créer une disparité dans les conditions de vie, ce sont les revenus et le patrimoine de son ex-conjoint dont elle bénéficiait et ne bénéficie plus.
Dans un arrêt du 12 octobre 2011, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir rejeté la demande de révision d'une prestation compensatoire versée par un époux qui invoquait que son second mariage, la naissance d'un nouvel enfant et les frais relatifs à une résidence secondaire avec piscine constituaient un changement important dans ses ressources et ses besoins.
"La prestation compensatoire fixée sous forme de rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l'une ou l'autre des parties. La révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge" (C. civ., art. 276-3 N° Lexbase : L2844DZD). Les juges du fond ont admis que pouvaient, par exemple, être pris en considération et justifier une révision de la prestation compensatoire : la mise à la retraite anticipée du débiteur, non prise en compte lors de la fixation du montant de la prestation (2) ; le remariage et la naissance d'un nouvel enfant du débiteur (3) et le concubinage de l'ex-épouse créancière (4).
Dans l'affaire commentée, un homme avait demandé la suppression et, subsidiairement, la réduction de la rente mensuelle viagère allouée à son ex-épouse, à titre de prestation compensatoire. Contre l'arrêt d'appel qui avait rejeté sa demande, il avançait, notamment :
- que le juge, qui statue sur une demande de révision de la prestation compensatoire sous forme de rente, est tenu de prendre en compte tous les besoins de l'époux débiteur. Dès lors, la cour d'appel avait violé l'article 276-3 du Code civil en refusant de retenir, parmi les nouveaux besoins de l'ex-époux, y compris ceux résultant d'un choix libre et personnel de mode de vie, qu'il s'était remarié, que de sa nouvelle épouse, âgée de 58 ans, ne travaillait pas, qu'il était père de trois enfants, ainsi que les frais d'une résidence secondaire avec piscine ;
- que, pour apprécier si les ressources de l'époux débiteur de la prestation compensatoire ont diminué, il doit être tenu compte de l'érosion monétaire, en actualisant la somme initialement fixée au jour de la demande de révision de la prestation compensatoire. En ayant affirmé le contraire, la cour d'appel avait violé l'article 276-3 du Code civil.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a estimé que, après avoir pris en considération la diminution des ressources de l'ex-époux du fait de sa mise à la retraite, la cour d'appel a souverainement estimé que les dépenses qu'il a volontairement engagées pour entretenir et améliorer une résidence secondaire ne correspondaient pas à un besoin, au sens de l'article 276-3 du Code civil, et que, eu égard à l'importance de ses revenus, les charges liées à la naissance d'un nouvel enfant n'étaient pas de nature à le mettre dans l'impossibilité de poursuivre le paiement de la rente.
De plus, après une analyse détaillée de l'ensemble des ressources et charges des anciens époux au moment où elle statuait, par rapport à la situation prise en compte par le juge du divorce pour la fixation initiale de la prestation, la cour d'appel a souverainement estimé, procédant à la recherche prétendument omise, sans avoir à tenir compte de l'érosion monétaire (s'agissant de la constatation d'un éventuel changement important des ressources et besoins des ex-époux, indépendamment de l'évaluation initiale de la disparité que la rupture du mariage avait créée dans leurs conditions de vie respectives), que la preuve d'un changement important dans la situation de l'une ou l'autre des parties n'était pas rapportée.
La solution peut être critiquée ou approuvée, selon que l'on se place du point de vue du débiteur ou du créancier de la prestation, sous un angle pratique ou juridique
De prime abord, du point de vue du débiteur de la rente, ou sous un angle pratique, la solution peut paraître sévère et peut être critiquée. La prestation compensatoire a un caractère alimentaire qui en limite la révision, certes, mais elle a aussi un caractère indemnitaire qui en autorise la révision (5). Or une telle décision peut laisser entendre qu'un homme ne doit pas se remarier, qui plus est avec une femme qui ne travaille pas, avoir un nouvel enfant et entretenir et améliorer une résidence secondaire si cela accroît ses dépenses au point qu'il ne peut plus verser à son ex-épouse la prestation compensatoire à laquelle il est tenu. Le débiteur d'une prestation compensatoire ne doit pas choisir un mode de vie qui l'empêche d'assumer les obligations nées de son divorce. Une seconde épouse ne peut pas décider de ne pas travailler si cela aboutit à priver la première de sa prestation compensatoire.
En réalité, du point de vue du créancier de la prestation, ou sous un angle juridique, la solution est parfaitement justifiée et doit être approuvée. En matière de prestation compensatoire, comme pour les autres dettes, un débiteur ne doit pas "aggraver" sa situation pour se soustraire à ses obligations. La prestation compensatoire ayant un caractère alimentaire, elle prime sur les frais d'entretien d'une résidence secondaire et, notamment, ceux relatifs à la construction ou à l'aménagement d'une piscine.
Certes, en l'espèce, l'époux avait pris sa retraite et cet événement est souvent considéré, par la jurisprudence, comme un changement important, dans les ressources du débiteur de la prestation compensatoire, justifiant une révision sur le fondement de l'article 276-3 du Code civil. Cependant, en l'espèce, les juges du fond avaient souverainement estimé que tel n'était pas le cas. Certes encore, l'une des dispositions de la convention définitive de divorce du couple prévoyait que la rente pouvait être réduite en cas de diminution des revenus de l'époux de plus de 25 %. Cependant, l'époux n'avait pas, selon la cour d'appel, apporté une telle preuve. En définitive, seuls le second mariage, le nouvel enfant et la maison secondaire pouvaient être considérés comme des "changements importants dans les besoins" de l'époux et permettre la révision de la prestation compensatoire. Cependant, le second mariage et le nouvel enfant constituaient bien des besoins, au sens de l'article 276-3 du Code civil (et auraient donc pu entraîner une révision de la prestation compensatoire), mais les revenus de l'époux étaient suffisamment importants pour lui permettre de poursuivre le paiement de la rente. L'entretien et l'amélioration d'une résidence secondaire, au contraire, grevaient suffisamment les revenus de l'époux pour ne plus lui permettre de poursuivre le paiement de la rente, mais ne constituait pas un besoin, au sens de l'article 276-3 du Code civil. D'après ce texte, le terme "besoin" doit être compris comme "une exigence" ou, au moins, comme quelque chose de "nécessaire". Or, l'entretien et l'amélioration d'une maison secondaire, et plus généralement les dépenses non nécessaires résultant d'un choix libre et personnel de mode de vie, ne sont pas des besoins.
Cet arrêt illustre, une fois encore, que, malgré un divorce, les époux sont unis pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort les sépare !
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