La lettre juridique n°780 du 18 avril 2019 : Filiation

[Brèves] GPA : le tout premier avis consultatif de la CEDH, sur la question de la filiation de la mère d’intention d’un enfant né de GPA à l’étranger !

Réf. : CEDH, 10 avril 2019, avis n° P16-2018-001 (N° Lexbase : A7859Y8L)

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N8537BXH

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 17 Avril 2019

► Pour le cas d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui (GPA) et issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse et alors que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne :

1° le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la «mère légale» ;

2° le droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle l’adoption de l’enfant par la mère d’intention.

 

C’est en ces termes que s’est prononcée la CEDH, dans son premier avis consultatif très attendu, et dont il ressort ainsi, en résumé, que les Etats n’ont pas l’obligation de procéder à la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une GPA à l’étranger pour établir son lien de filiation avec la mère d’intention, l’adoption pouvant être une modalité de reconnaissance de ce lien (CEDH, 10 avril 2019, avis n° P16-2018-001 N° Lexbase : A7859Y8L ; cf. l’Ouvrage "La filiation", La gestation ou maternité pour autrui N° Lexbase : E4415EY8).

 

  • Contexte

 

Pour rappel, l’Assemblée plénière avait saisi la CEDH à titre consultatif, après avoir décidé de surseoir à statuer dans ses deux décisions en date du 5 octobre 2018 (Ass. Plén., 5 octobre 2018, 2 arrêts, n° 10-19.053 N° Lexbase : A8390X8A et n° 12-30.138 N° Lexbase : A8073YAA, P+B+R+I), alors qu’elle avait elle-même été saisie, par la Cour de réexamen des décisions civiles, de deux demandes de réexamen de pourvois en cassation posant la question de la transcription d’actes de naissance établis à l’étranger pour des enfants nés de mères porteuses à la suite de la conclusion avérée ou suspectée d’une convention de GPA (Cass. réexamen, 16 février 2018, deux arrêts, n° 17 RDH 001 N° Lexbase : A7746XDA et n° 17 RDH 002 N° Lexbase : A7747XDB ; lire le commentaire d’Adeline Gouttenoire, Les premières décisions de réexamen en matière civile rendues en matière de GPA, Lexbase, éd. priv., n° 734, 2018 N° Lexbase : N3123BXX).

On rappellera, par ailleurs, que dans deux arrêts rendus le 20 mars 2019 (Cass. civ. 1, 20 mars 2019, deux arrêts, n° 18-14.751 N° Lexbase : A3779Y4Q et n° 18-11.815 N° Lexbase : A3778Y4P, FS-P+B+I), la première chambre civile de la Cour de cassation a également décidé de surseoir à statuer, en attendant l’avis de la CEDH et l’arrêt de l’Assemblée plénière sur la question de la maternité d’intention, à propos de la transcription, sur les registres de l’état civil, des actes de naissance étrangers d’enfants conçus par assistance médicale à la procréation (et non à l’issue d’une convention de gestation pour autrui) ; elle a en effet estimé que, si la question posée n’était pas identique, elle présentait, cependant, un lien suffisamment étroit avec la question de la «maternité d’intention» soumise à la Cour européenne des droits de l’Homme pour justifier qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de son avis et de l’arrêt de l’Assemblée plénière à intervenir.

 

  • Questions soumises à la CEDH

 

Les questions posées par la Cour de cassation dans sa demande d’avis consultatif étaient ainsi formulées :

 

1) en refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, en ce qu’il désigne comme étant sa «mère légale» la «mère d’intention», alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le «père d’intention», père biologique de l’enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la «mère d’intention» ?

 

2) dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ?

 

  • Avis de la CEDH

 

Sur le premier point, la Cour se réfère au principe essentiel selon lequel, chaque fois qu’est en cause la situation d’un enfant, doit primer l’intérêt supérieur de l’enfant.

Elle relève que l’absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée. Elle est consciente de ce que, dans le contexte de la GPA, l’intérêt supérieur de l’enfant ne se résume pas au respect de ces aspects de son droit à la vie privée. Il inclut d’autres éléments fondamentaux, qui ne plaident pas nécessairement en faveur de la reconnaissance d’un lien de filiation avec la mère d’intention, tels que la protection contre les risques d’abus que comporte la GPA et la possibilité de connaître ses origines. Au vu des conséquences négatives sur le droit de l’enfant au respect de la vie privée et du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable, la Cour considère toutefois que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise.

Dans l’arrêt «Mennesson» en cause, la Cour a rappelé que l’étendue de la marge d’appréciation dont disposent les Etats varie selon les circonstances. Ainsi, notamment lorsque comme en la matière il n’y a pas consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, et lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est large. La Cour a toutefois rappelé dans cet arrêt que lorsque comme en l’espèce également s’agissant de la filiation, un aspect particulièrement important de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’Etat est d’ordinaire restreinte. Elle en a déduit qu’il convenait d’atténuer la marge d’appréciation dont disposait l’Etat défendeur. Vu les exigences de l’intérêt supérieur de l’enfant et la réduction de la marge d’appréciation, la Cour est d’avis que, dans une situation telle que visée par la Cour de cassation dans ses questions, le droit au respect de la vie privée d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une GPA, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la «mère légale».

 

Sur le second point, il est dans l’intérêt de l’enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger, conçu avec les gamètes d’une tierce donneuse, que la durée de l’incertitude dans laquelle l’enfant se trouve quant à sa filiation à l’égard de la mère d’intention soit aussi brève que possible. On ne saurait toutefois en déduire que les Etats-parties soient tenus d’opter pour la transcription des actes de naissance légalement établis à l’étranger. La Cour constate en effet qu’il n’y a pas consensus européen sur cette question et observe que l’identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit des moyens à mettre en oeuvre pour reconnaître la filiation. Elle estime donc que le choix des moyens pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des Etats. La Cour considère en outre que l’article 8 de la Convention n’impose pas d’obligation générale pour les Etats de reconnaître ab initio  un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. Ce que requiert l’intérêt supérieur de l’enfant c’est que le lien, légalement établi à l’étranger, puisse être reconnu au plus tard lorsqu’il s’est concrétisé. Il n’appartient pas à la Cour mais aux autorités nationales d’évaluer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, si et quand ce lien s’est concrétisé. On ne saurait déduire de l’intérêt supérieur de l’enfant que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention impose aux Etats de procéder à la transcription de l’acte de naissance étranger en ce qu’il désigne la mère d’intention comme étant la mère légale. D’autres voies peuvent servir convenablement cet intérêt supérieur, dont l’adoption qui, s’agissant de la reconnaissance de ce lien, produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger. Il importe cependant que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en oeuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.

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