La lettre juridique n°737 du 5 avril 2018 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Il faut prouver un mandat avant de pouvoir réclamer une taxation d'honoraires

Réf. : Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 16-22.391, F-P+B (N° Lexbase : A6623XGE)

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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

le 05 Avril 2018

Le contentieux relatif aux honoraires d'avocat est très atypique. Ainsi, le juge taxateur a la possibilité de réduire le montant des honoraires facturés même en présence d'une convention ce qui heurte le principe de la liberté contractuelle (Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 95-15.799 N° Lexbase : A1902ACG ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2707E4Z, JCP éd. G, 1998, 637). Le Bâtonnier puis le juge taxateur n'ont compétence et qualité que pour apprécier le montant des frais et honoraires. Or, le débiteur d'honoraires refuse souvent avec bon sens de régler les honoraires qui lui sont demandés au motif que la prestation de l'avocat n'a pas été à la hauteur de ses espérances, que l'avocat a commis une faute, que sa responsabilité est engagée. Il lui est systématiquement répondu que le taxateur n'a pas compétence pour apprécier la faute éventuelle de l'avocat (Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-17.487 N° Lexbase : A3898A7I ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2780GA9, D., 2000, IR, 80). A ce stade, il n'est donc pas possible d'invoquer une exception d'inexécution, le but de la procédure de taxation est exclusivement de fixer l'honoraire. La Cour de cassation rappelle constamment ce principe. De la même façon, le taxateur n'a pas qualité pour se prononcer sur les conséquences d'un éventuel manquement à l'obligation d'information sur le montant de la rémunération (Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 02-21.318, FS-P+B N° Lexbase : A4922DBW, D., 2004, 2829). Il ne peut pas davantage se prononcer sur le taux de TVA applicable aux honoraires (Cass. civ. 1, 10 décembre 2002, n° 99-12.842 N° Lexbase : A4444A4D, D., 2003, IR, 104). Il est plus rare de voir le débiteur invoquer l'absence de mandat. Et à cet égard, il convient d'être extrêmement prudent. Il est arrivé que le client de l'avocat, qui avait signé une convention d'honoraires pour une assistance en première instance, vienne contester son mandat en cas d'appel faute d'avoir signé une nouvelle convention. La meilleure défense consiste souvent à contester la mission donnée à l'avocat. Pas de mission, pas d'honoraires ! Et ce moyen est régulièrement invoqué devant le juge taxateur qui n'a pas davantage compétence pour apprécier cette difficulté. Le débiteur qui conteste la mission donnée à l'avocat doit, comme en matière de faute, saisir la juridiction de droit commun et non le taxateur pour trancher cette question. L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 8 mars 2018 est une illustration du problème. Dans cette espèce, le client de l'avocat avait soutenu qu'il n'avait donné aucun mandat à l'avocat dont il refusait de payer les honoraires. Le premier président avait invité les parties à "s'expliquer sur la compétence de la juridiction de l'honoraire pour discuter de l'existence du mandat donné à l'avocat". Puis le premier président avait jugé qu'il n'appartient pas au juge de l'honoraire de se prononcer sur l'existence du mandat et il a déclaré la demande de fixation des honoraires irrecevable. Sur pourvoi, la Cour de cassation répond qu'il n'était pas possible de déclarer la demande irrecevable, qu'il y avait seulement lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction compétente pour statuer sur l'existence d'un mandat.

Cette décision est parfaitement justifiée en droit. L'article 174 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L5731IM9) fixe clairement la compétence du taxateur : "les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats ne peuvent être réglées qu'en recourant à la procédure prévue aux articles suivants".

Le juge taxateur n'a donc pas compétence pour apprécier une éventuelle faute de l'avocat ni pour statuer sur l'existence d'un mandat. Mais que doit-il faire si ces questions sont posées ?

Pour ce qui est de l'existence d'un mandat, la Cour de cassation répond qu'il faut faire trancher la question par la juridiction compétente et surseoir à statuer dans cette attente.

Le taxateur aurait pu fixer le montant des honoraires et préciser dans sa décision que la question de l'existence d'un mandat devait être soumise à la juridiction compétente. C'est habituellement ce que faisaient les juridictions. Mais cette solution présentait un inconvénient. Le débiteur d'honoraires peu averti, pouvait croire qu'il était condamné et pouvait payer sans engager de nouvelle procédure. Il pouvait aussi se décourager devant l'obligation d'avoir à saisir une nouvelle juridiction. En statuant comme elle l'a fait, la Cour de cassation a pris la décision de protéger davantage le débiteur d'honoraires. En l'absence de certitude sur l'existence d'un mandat, c'est le créancier qui devra prendre l'initiative de faire trancher cette question avant de pouvoir faire taxer ses honoraires et il devra veiller à faire diligence pour éviter une prescription.

Il y a là une évolution. Dans une affaire voisine, la Cour de cassation avait considéré que lorsque des conseils étaient demandés pour le compte d'un tiers, le juge taxateur pouvait parfaitement fixer le montant de l'honoraire sans attendre que l'identité du débiteur (mandataire ou tiers) soit déterminée (Cass. civ. 2, 26 juin 2008, n° 06-11.227, FS-P+B N° Lexbase : A3596D93 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2708E43, D. 2008, AJ, 2007).

Si la décision nous parait justifiée en droit, elle permet cependant de souligner, une fois de plus, que la procédure en matière de taxation est trop complexe et inadaptée.

Cette procédure est trop complexe dans la mesure où elle conduit dans certains cas à mener de front deux procédures pour régler un seul problème : une procédure pour faire évaluer le montant des honoraires dus et une procédure pour faire juger s'il existe bien un mandat, si le débiteur est bien celui qui est recherché ou si l'avocat a commis une faute et engagé sa responsabilité ce qui pourrait justifier une demande de dommages-intérêts ou une exception d'inexécution.

Cette obligation d'engager deux procédures est très dissuasive car le justiciable ne comprend pas le mécanisme qui lui est opposé et a donc le sentiment de ne pas être entendu. Elle conduit à asphyxier la justice de demandes pour des montants qui sont souvent relativement faibles.

A l'heure où on se plaint constamment de la pauvreté des moyens de la justice, il nous semble que cette procédure devrait être modifiée. Les contestations devraient être examinées dans le cadre d'une médiation sous l'égide du Bâtonnier ou de son délégataire et en cas d'échec, le bâtonnier devrait recevoir compétence pour trancher l'ensemble des difficultés et pas seulement pour évaluer le montant des honoraires. Sa décision serait ensuite susceptible d'appel devant une juridiction de droit commun.

Cette solution ne permettrait plus de confier la médiation au médiateur de la consommation ce qui est prévu depuis l'ordonnance 2015-1033 du 20 août 2015, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (N° Lexbase : L3397KGW) car il faut, dans l'intérêt de tous, que toutes les questions de droit puissent être tranchées rapidement en cas d'échec de la médiation.

Il nous semble qu'un tel système permettrait à la fois de dialoguer et d'expliquer et qu'il permettrait d'éviter une multiplication de procédures inutiles.

Mais le système actuel n'est pas seulement complexe et inadapté, il est aussi injuste. Il est exigé aujourd'hui que les avocats rédigent des conventions d'honoraires pour informer leurs clients du coût de leur prestation. Or, cet exercice est souvent redoutable car un avocat ne peut pas toujours percevoir par avance quelle sera l'importance de ses diligences. Y aura-t-il des incidents ? Le client devra-t-il venir une fois ou dix fois en rendez-vous ? Téléphonera-t-il tous les jours ? Ecrira-t-il un courriel quotidien ?

Or, d'un côté on oblige les avocats à faire des conventions (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC, modifiant l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ), qui se contentent souvent de déterminer un taux horaire et n'ont donc pas beaucoup de lisibilité, mais de l'autre et, même lorsque la convention porte sur un montant forfaitaire, on donne pouvoir au taxateur de réduire le montant des honoraires demandés même s'ils sont conformes à la convention.

Pourquoi imposer une convention si celle ce peut être modifiée au gré de l'humeur du taxateur ?

Il nous paraîtrait beaucoup plus logique de s'en tenir au droit commun des contrats et de ne permettre au juge de modifier les termes du contrat qu'en cas de vice du consentement ou d'abus.

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