La lettre juridique n°737 du 5 avril 2018 : Domaine public

[Jurisprudence] La contestation de la décision de résiliation d'une convention d'occupation du domaine public dans le cadre d'un recours "Béziers II" - conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 8° ch., 21 mars 2018, n° 414334, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9031XIC)

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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 05 Avril 2018

Dans un arrêt rendu le 21 mars 2018, la Haute juridiction a souligné que dans le contentieux de l'expulsion du domaine public, le juge des référés ne saurait déduire l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle au prononcé de la mesure de ce que, dans le cadre d'un recours en reprise des relations contractuelles introduit contre la mesure de résiliation, l'un des moyens dirigé contre l'un des motifs de la décision serait fondé. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt. 1 - Une société d'économie mixte assure la gestion et l'exploitation du port maritime et de pêche de La Ciotat, dans le cadre d'un contrat de concession de service public conclu avec le département des Bouches-du-Rhône.

Le 1er juillet 2010, elle a conclu une convention d'occupation temporaire du domaine public d'une durée de vingt ans avec une société par actions simplifiée, portant sur l'exploitation au sein de locaux commerciaux situés sur le quai de l'Armement et comportant deux niveaux, d'une activité de yacht club/restaurant/café, moyennant une redevance annuelle de 111 000 euros environ. Par avenant du 12 septembre 2012, l'occupante a été autorisée à céder une partie du contrat d'occupation du domaine public, correspondant à la partie des locaux se situant à l'étage, à une société exploitant un restaurant. Le montant de la redevance a été par conséquent ramené à environ 36 000 euros par an. Enfin, l'activité "yacht club/restaurant/café" a été modifiée au profit d'une activité "café/brasserie".

Par une décision du 27 avril 2016, la SEM a prononcé la résiliation unilatérale pour faute du titre domanial délivré à la SAS en se fondant sur cinq fautes distinctes, à savoir des retards répétés de paiement de la redevance d'occupation, un changement de l'activité de café/brasserie en discothèque, un manquement aux obligations de sécurité-incendie, le défaut de communication des statuts de la SAS à la suite de la conclusion de l'avenant à la convention d'occupation temporaire du 12 septembre 2012 et le non-respect des stipulations de l'article VII paragraphe 8 de la convention subordonnant toute cession ou tout apport en société de la convention à l'agrément de la SEM. L'occupante a formé un recours contre la mesure de résiliation devant le tribunal administratif de Marseille et s'est maintenue dans les lieux, ce qui a conduit la gestionnaire du domaine portuaire à saisir le juge des référés de ce même tribunal d'une demande d'expulsion sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU). Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 31 août 2017 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande.

2 - S'agissant d'une mesure de résiliation d'une convention d'occupation temporaire en cours d'exécution, nous sommes dans le champ de la jurisprudence "SARL Icomatex" (CE Sect., 16 mai 2003, n° 249880 N° Lexbase : A7833C8M, Rec. p. 228) qui s'applique à toutes les hypothèses de péremption, retrait ou non renouvellement du titre domanial de l'occupant et impose au juge des référés de rechercher si la demande d'expulsion se heurte à une contestation sérieuse au regard de la nature et du bien-fondé des moyens soulevés par l'occupant à l'encontre de la décision ayant mis fin ou n'ayant pas reconduit le titre d'occupation.

Ce n'est pas la première fois que vous êtes appelés à statuer en cassation dans une configuration contentieuse dans laquelle était demandée au juge des référés l'expulsion d'un occupant dont le contrat d'occupation a été résilié par le gestionnaire ou le propriétaire du domaine, cette mesure de résiliation ayant été contestée dans le cadre d'un recours dit "Béziers II" en reprise des relations contractuelles (CE Sect., 21 mars 2011, n° 304806 N° Lexbase : A5712HIE, Recueil, p. 117) ; voyez votre décision "Société Prathotels" (CE 3° et 8° s-s-r., 11 avril 2012, nos 355356, 355357 N° Lexbase : A6185IIW, aux Tables, p. 741) qui retient qu'il appartient au juge des référés de rechercher, alors que le juge du contrat a été saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, si cette demande d'expulsion se heurte, compte tenu de l'ensemble de l'argumentation qui lui est soumise, à une contestation sérieuse.

3 - C'est donc à juste titre que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille s'est inscrit dans le cadre de la jurisprudence "SARL Icomatex", dont il a cité le considérant de principe, et a recherché si la demande d'expulsion introduite par la SEM se heurtait à une contestation sérieuse au regard de la nature et du bien-fondé des moyens soulevés par l'occupant à l'encontre de la décision de résiliation.

Après avoir constaté que la SAS avait introduit une "demande d'annulation" de la décision de résiliation de la convention d'occupation temporaire, le juge des référés a observé que celle-ci avait soulevé divers "moyens de légalité externe et de légalité interne". Il a relevé que la société SAS combattait le motif de la décision tiré du non-respect des stipulations de l'article VII.8 de la convention d'occupation temporaire en soutenant que la circonstance qu'elle se soit dotée d'un nouvel associé ne constituait pas une violation d'une quelconque clause de la convention, qu'elle critiquait le motif tiré du non-respect de l'affectation du local mis à sa disposition en faisant valoir que son activité ne constituait pas à titre principal l'exploitation d'une piste de danse et qu'elle contestait le motif tiré de la méconnaissance systématique des modalités de règlement de la redevance d'occupation en faisant valoir qu'elle avait soldé sa dette, que les retards de paiement de la redevance n'avaient pas eu un caractère systématique et qu'elle avait toujours régularisé, de manière partielle puis en totalité, les retards qui lui étaient reprochés. De ces éléments, le JRTA a déduit que la demande d'expulsion devait être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse.

4 - Les premier, deuxième et quatrième moyens du pourvoi nous paraissent pouvoir être aisément écartés.

4.1.- Par son premier moyen, la SEM soutient que le juge des référés aurait entaché son ordonnance d'erreur de droit en admettant l'existence d'une contestation sérieuse "sans rechercher si ce recours présentait des chances de succès". Mais votre jurisprudence n'articule aucun critère de la sorte. Le bon critère est celui du caractère sérieux de la contestation, sans que l'on puisse exiger du juge des référés, ni qu'il tranche lui-même la contestation soulevée au fond par l'occupant dont le titre a été résilié, ni qu'il se prononce sur la probabilité que le recours au fond soit couronné de succès.

4.2.- La requérante soutient en deuxième lieu que le juge des référés aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en estimant que les moyens soulevés par la SAS à l'appui de son recours en annulation révélaient que la demande d'expulsion se heurtait à une contestation sérieuse. Mais le juge administratif des référés statuant en urgence n'est qu'un juge de l'apparence et de la vraisemblance. Ainsi que le rappelle, en matière de référé-suspension, votre décision de Section "Communauté d'agglomération de Saint-Etienne" (CE, 29 novembre 2002, n° 244727 N° Lexbase : A5285A4I, Rec. p. 421), le juge de cassation ne saurait exercer qu'un contrôle restreint, tenant compte de l'office du juge des référés statuant en urgence, sur l'erreur de droit susceptible d'avoir été commise par celui-ci dans la désignation d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension est demandée. Il n'en va pas différemment en matière de référé mesures utiles.

4.3.- Le quatrième moyen est tiré de ce que le juge des référés aurait entaché son ordonnance d'erreur de droit en s'abstenant de s'interroger in concreto sur la régularité de l'occupation du domaine public, alors que l'irrégularité de l'occupation du domaine public à la date à laquelle il a statué n'était pas sérieusement contestable. Mais cette argumentation nous paraît inopérante. Dans une situation du type "SARL Icomatex", il est certain qu'il y a eu retrait, résiliation ou non-renouvellement du titre domanial et que l'occupant ne peut plus justifier d'un titre en cours de validité ; pour autant, cela ne signifie pas qu'il faudrait accueillir ipso facto la demande d'expulsion. Encore une fois, le bon critère est celui de la contestation sérieuse de la mesure d'éviction du domaine public.

5 - Nous pensons en revanche que le troisième moyen du pourvoi atteint sa cible. Il est tiré de ce le juge des référés aurait commis une erreur de droit en déduisant l'existence d'une contestation sérieuse de l'examen de trois moyens dirigés respectivement contre trois motifs de la mesure de résiliation, alors que le motif tiré du non-respect par l'occupante de ses obligations de sécurité suffisait, à lui-seul, à justifier la résiliation.

Lorsqu'une résiliation pour faute d'une convention d'occupation temporaire est fondée sur une pluralité de motifs, il se peut que la résiliation soit justifiée par l'addition ou la combinaison de fautes de gravité moyenne ou de faible intensité, mais il se peut également que l'un des motifs de résiliation suffise, à lui seul, eu égard à sa gravité, à justifier cette décision.

Dans le contentieux de l'expulsion du domaine public, le juge des référés ne saurait donc déduire l'existence d'une contestation sérieuse faisant obstacle au prononcé de la mesure de ce que, dans le cadre du contentieux contractuel de type "Béziers II" introduit contre la mesure de résiliation, l'un des moyens dirigé contre l'un des motifs de la décision serait fondé. Il faut en effet s'assurer qu'aucune des autres fautes invoquées par le gestionnaire du domaine public pour fonder la résiliation de la convention d'occupation temporaire ne pouvait, à elle seule, justifier la mesure de résiliation.

La décision "Commune de Béziers" impose en effet au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices dont la mesure de résiliation est entachée et, le cas échéant, des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général. Ainsi, dans notre hypothèse, si l'occupant pouvait se voir reprocher une ou plusieurs fautes, l'intérêt général s'opposerait, en principe, à une reprise de l'exécution du contrat et le litige aurait vocation à se régler sur le terrain indemnitaire. Ce n'est que dans le cas où aucune faute ne serait imputable à l'occupant que l'annulation de la mesure de résiliation devrait, en principe, s'accompagner de la reprise des relations contractuelles et donc que la mesure d'expulsion serait sérieusement contestable.

Vous pouvez voir, pour la mise en oeuvre de ces principes en matière de référé-suspension de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), une récente décision "Commune d'Erstein" (CE 7° et 2° s-s-r., 16 novembre 2016, n° 401321, aux Tables sur ce point, concl. O. Henrard) rendue dans le cas d'une commune ayant résilié pour fautes une convention de délégation de service public d'un camping pour un ensemble de motifs : défaut de réalisation des investissements prévus au contrat, plaintes d'usagers, défaut de collecte de la taxe de séjour, refus de pratiquer les tarifs validés par la commune, inexécution des obligations en matière de sécurité, d'entretien et de nettoyage. Après avoir relevé que la matérialité d'une partie des faits reprochés à la société n'apparaissait pas, en l'état de l'instruction, sérieusement contestable, vous avez jugé que si la société exploitant le camping soutenait que les fautes commises par elle n'auraient pas atteint un degré de gravité tel qu'il justifiât une résiliation à ses torts exclusifs, une reprise des relations contractuelles à titre provisoire serait, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général.

C'est pourquoi, en s'abstenant de se prononcer sur l'ensemble des motifs de résiliation, il nous paraît que le juge des référés a commis une erreur de raisonnement. A supposer même qu'il ait eu raison de juger pertinente les critiques dirigées par la SAS contre trois des cinq motifs de la mesure de résiliation, le juge des référés ne pouvait en déduire que sa contestation était sérieuse sans s'intéresser aux quatrième et cinquième motifs de résiliation susceptibles de justifier, à eux seuls, la résiliation pour faute et à faire obstacle à une reprise des relations contractuelles.

A minima, la décision est entachée d'une insuffisance de motivation qui est en réalité constitutive d'une erreur de droit, en ce qu'elle se contente de déduire de l'existence de moyens soulevés à l'appui du recours contre la décision de résiliation celle d'une contestation sérieuse de la mesure d'expulsion, sans greffer aucun raisonnement sur ce constat. On pourrait certes lire l'ordonnance comme ayant entendu juger que les moyens pointés par le juge des référés ont été regardés comme traduisant l'existence d'une contestation sérieuse, mais on est gêné par le fait que figurent dans la liste de ces moyens des moyens de régularité qui se suffiraient à eux-mêmes. On en revient donc à une insuffisance de motifs qui donne prise à une cassation pour erreur de droit.

Nous vous invitons à casser l'ordonnance attaquée.

6 - Les éléments apportés par chacune des parties au soutien de ses conclusions étant très riches, il nous semble préférable, nonobstant l'urgence alléguée par la SEM, de renvoyer l'affaire au JRTA de Marseille pour qu'il règle l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, d'autant que la SAS n'a pas défendu devant vous. Dans ce cadre, il appartiendra à la juridiction de renvoi, le cas échéant, conformément à la décision "Commune de Cannes" (CE 8° et 3° s-s-r., 23 septembre 2005, n° 278033 N° Lexbase : A6104DKB), de désigner et analyser précisément les moyens qui fondent, selon lui, le caractère sérieux de la contestation, étant observé, sur un plan terminologique que, s'agissant de moyens invoqués à l'appui d'un recours de type "Béziers II", il s'agit de moyens portant respectivement sur "l'irrégularité" et le "bien-fondé" de la mesure de résiliation, plutôt que de moyens de légalité externe et de légalité interne.

Par ces motifs nous concluons à l'annulation de l'ordonnance attaquée, au renvoi de l'affaire au juge des référés du tribunal administratif de Marseille et à ce que la SAS verse la somme de 3 000 euros à la SEM au titre des frais irrépétibles.

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