La lettre juridique n°332 du 8 janvier 2009 : Environnement

[Jurisprudence] Condamnation de la France pour durée importante de persistance de manquement dans la transposition de la Directive "OGM"

Réf. : CJCE, 9 décembre 2008, aff. C-121/07, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5514EBT)

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N2178BII

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 07 Octobre 2010

La nécessité de transposer les Directives européennes dans les délais impartis est souvent présentée, au-delà de l'obligation juridique, comme une obligation morale et politique. Si, en ce sens, la France se doit de tenir les engagements souscrits, cela ne l'empêche pas de figurer régulièrement parmi les "mauvais élèves" du classement établi par la Commission européenne. Pour autant, des progrès incontestables ont été enregistrés ces dernières années, que ce soit en France ou dans d'autres Etats membres. C'est, environ, tous les six mois que la Commission européenne publie un tableau d'affichage du marché intérieur permettant de faire état de l'avancement de la transposition des Directives dans tous les Etats membres de l'Union européenne, qui est en soi un instrument précieux de comparaison entre les Etats membres et de motivation des administrations en charge de la transposition. Il ressort, aujourd'hui, du dernier tableau d'affichage du marché intérieur publié par la Commission européenne le 19 juillet 2008 (1), que les Etats membres n'ont jamais fait mieux en matière de transposition, en droit national, de règles du marché intérieur arrêtées d'un commun accord. En moyenne, seul 1 % des Directives relatives au marché intérieur dont le délai de mise en oeuvre a expiré n'ont pas encore été transposées en droit national. Ce chiffre est en baisse par rapport à décembre 2007 (1,2%). Les Etats membres satisfont donc, déjà, au nouvel objectif de 1 % fixé par les chefs d'Etat, qui doit être atteint d'ici à 2009, au plus tard. Dix-huit Etats membres affichent un déficit de transposition égal ou inférieur au nouvel objectif, la Bulgarie étant le premier Etat membre à pouvoir se targuer d'un déficit de 0 %. Dix Etats membres ont obtenu leur meilleur résultat à ce jour, dont la France avec un taux de transposition de 0,9 %.

La tendance générale est, également, positive en ce qui concerne l'application correcte des règles du marché intérieur : quinze Etats membres sont parvenus à réduire le nombre de procédures d'infraction engagées à leur encontre. Néanmoins, le nombre total de ces procédures demeure relativement élevé, et la mise en conformité prend trop de temps et ce sont les dispositions en matière d'environnement qui demeurent à l'origine du plus grand nombre de procédures (23 %), suivies par celles en matière de fiscalité et d'union douanière (18 %).

Aujourd'hui, à côté de l'accroissement de la pression politique, les administrations françaises sont conduites à renforcer leur vigilance en matière de transposition, du fait de la plus grande fermeté des autorités juridictionnelles communautaires et nationales. Ainsi, par exemple, dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 (2), le Conseil constitutionnel a, opportunément, souligné que la transposition en droit interne d'une Directive communautaire résultait d'une "exigence constitutionnelle".

Les autorités communautaires se veulent, également, plus fermes dans l'application correcte du droit communautaire et n'hésitent plus, aujourd'hui, à condamner réellement les Etats membres en cas de non application du droit communautaire. Utilisée d'abord avec parcimonie par la Commission pour exercer une sorte de pression juridico-politique sur l'Etat membre, la procédure de condamnation au paiement d'une sanction pécuniaire a, depuis, en certains cas et malgré une procédure contentieuse lourde permettant largement à l'Etat fautif de se mettre en conformité, été menée à son terme. A ce jour, quatre sanctions ont été prononcées dont deux concernent la France (3). Dans l'affaire dite des "poissons sous taille" (non-respect de la taille minimale des poissons pêchés), la France s'est acquittée d'une somme forfaitaire de 20 millions d'euros et d'une astreinte semestrielle de 57,8 millions d'euros payée une fois (4). Quelques mois plus tard, le 14 mars 2006, la CJCE condamnait, de nouveau, la France au paiement d'une astreinte de 31 650 euros par jour de retard pour ne pas avoir mis en oeuvre correctement les mesures figurant dans la Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (5). Au total, cette astreinte a coûté 700 000 euros à la France, qui s'est mise en conformité avec le droit communautaire grâce à l'article 2 de la loi n° 2006-406 du 5 avril 2006 (6).

L'on doit, aussi, souligner que l'astreinte exigée dans l'affaire dite "poissons sous taille" a été la plus lourde jusque là infligée par la CJCE et que c'était, également, la première fois qu'une amende forfaitaire était imposée à un Etat membre : la CJCE ayant estimé, à cette occasion, que le cumul des deux types de sanctions (amendes et astreintes) était possible. Certes, dans les deux cas, la condamnation ne sanctionnait pas à proprement parler un défaut de transposition d'une Directive : dans le premier exemple, c'était l'inexécution de règlements qui était en cause et, dans l'autre affaire, il s'agissait plus d'une mauvaise transposition que d'une absence de transposition ; toutefois les arrêts en question permettaient, ainsi, de préciser la menace.

C'est dans ce contexte de plus grande fermeté et, une nouvelle fois, à travers la France, que la Cour de justice, dans son arrêt en date du 9 décembre 2008, a fixé une nouvelle ligne de jurisprudence relative, cette fois, aux condamnations pécuniaires d'un Etat membre de l'Union européenne consécutives à l'inexécution d'un arrêt de manquement pour non-transposition de Directives.

La requête de la Commission était fondée sur l'inexécution d'un arrêt du 15 juillet 2004 (7), qui constatait le manquement français relatif à la non transposition de la Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés (OGM) (8). Cette Directive aurait du être transposée au plus tard le 17 octobre 2002.

Dès le 5 novembre 2004, la Commission demandait aux autorités françaises de l'informer des mesures adoptées pour faire exécuter l'arrêt. Celles-ci arguaient de la création d'une mission parlementaire d'information sur les OGM, et de la mise en place de décrets concourant partiellement à assurer la transposition (9). Non convaincue par ses mesures, la Commission adressait à la France, le 13 juillet 2005 et conformément à l'article 228 du Traité CE , une lettre de mise en demeure l'informant de l'insuffisance des mesures prises (10). Le délai de deux mois requis n'ayant toujours pas permis la prise de mesures jugées suffisantes, la Commission, conformément à la procédure prévue, adressait un avis motivé à la France lui indiquant son manquement aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 228 §1 du Traité CE. En réaction, les autorités françaises transmettaient à la Commission, le 20 février 2006, le texte d'un projet de loi visant à transposer la Directive 2001/18, dont elle escomptait la publication pour la fin du second semestre 2006. Le 8 mai 2006, ces mêmes autorités l'informaient que le projet de loi avait été adopté par le Sénat le 23 mars 2006, et qu'il avait été déposé à l'Assemblée nationale le 24 mars 2006.

Au final, la Commission a estimé que la France n'avait toujours pas exécuté l'arrêt et a introduit, en conséquence, le 28 février 2007, un recours en manquement sur manquement devant la CJCE fondé sur l'article 228 § 2 du Traité CE, en vue d'imposer la condamnation de la France pour la non transposition, pendant plus de 5 ans, de la Directive sur les OGM, constatée par deux fois par la CJCE mais qui ne prévoyait pas de sanctions financières. Cette fois, la Commission a clairement souhaité condamner la France à verser une somme forfaitaire de 38 millions d'euros (11) et une astreinte journalière de 366 744 euros par jour de retard dans l'exécution de la décision qui sera prise par la Cour de justice.

L'audience a eu lieu le 12 mars 2008 et le 5 juin suivant, l'Avocat général rendait ses conclusions (12) dans lesquelles il reconnaissait les manquements de la France (sur la clause de sauvegarde, notamment), mais dans lesquelles, et de manière assez surprenante, il ne proposait pas à la Cour de condamner la France à une somme forfaitaire. Il n'y avait, en effet, pour lui, pas de "circonstances aggravantes" car la non-transposition n'avait pas "affecté des intérêts publics ou privés de manière inacceptable". Il proposait donc à la Cour de ne condamner la France qu'à une astreinte de 235 764 euros par jour de retard, courrant à compter du jour du prononcé de la décision dans l'affaire en cours.

La Cour de justice va, dans sa décision, prendre le contre-pied des conclusions de son Avocat général. Elle n'a, d'abord, eu aucune peine à constater le manquement de la France à ses obligations de mise en oeuvre de l'exécution d'un arrêt de manquement, dans la mesure où, à la date de l'avis motivé, soit près de 19 mois après l'arrêt du 15 juillet 2004, seul un décret "de portée extrêmement limitée au regard de l'obligation de transposition" avait été adopté.

En revanche, s'agissant de la sanction pécuniaire, la Cour a pu constater que l'astreinte ne s'imposait plus dans la mesure où, entre-temps, la France avait, le 27 juin 2008, informé la Cour et la Commission de l'adoption de la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008, relative aux organismes génétiquement modifiés (13). La Commission ayant averti la Cour, le 30 juin 2008, qu'elle considérait que cette loi assurait la complète transposition de la Directive précitée. La condamnation à une astreinte ne se justifiait donc plus. Mais, s'agissant de la somme forfaitaire, la Cour a considéré qu'elle pouvait être imposée, même après que l'Etat ait mis fin au manquement, dès lors qu'elle repose, davantage que l'astreinte, sur l'appréciation des conséquences du défaut d'exécution des obligations de l'Etat, particulièrement lorsque le manquement a persisté pendant une longue période. C'est en ce sens que la France a été condamnée, en conséquence, à payer une somme forfaitaire de 10 millions d'euros pour manquement sur manquement à la réglementation communautaire.

C'est, à ce titre, la première fois que la Cour de justice condamne un Etat à une amende alors que la première décision de la Cour a été complètement exécutée (ce qui est bien le cas, puisque la Directive en question a été finalement complètement transposée). La Cour justifie cette décision forte par le fait qu'elle a déjà rendu plusieurs décisions à l'encontre de la France dans le domaine des OGM, et que rien ne justifie la non-exécution de ces décisions. Elle souligne, en outre, que le défaut d'exécution d'arrêt de la Cour "est de nature à porter préjudice à l'environnement et à mettre en danger la santé de l'homme". Au final, si cette décision s'apparente plutôt à une mauvaise nouvelle pour le contribuable français, elle représente certainement une bonne nouvelle pour tous ceux qui prônent une application rigoureuse et diligente de la législation environnementale. La décision étant clairement le témoignage d'un durcissement de la politique communautaire à l'égard des Etats réfractaires dans la transposition des Directives, l'obligation de résultat des Etats membres étant, de la sorte, renforcée (I), mais la décision est aussi le témoignage de l'importance du pouvoir d'appréciation autonome de la Cour de justice dans ce type de contentieux, appréciation qui amène à nuancer le renforcement de l'obligation de résultat dans son application systématique, même si elle est confirmée en l'espèce (II).

I - Une obligation de résultat renforcée pour les Etats membres dans la transposition des Directives

La procédure de sanction financière prévue aux articles 226 et 228 du Traité CE a d'abord été un instrument de persuasion aux mains des autorités communautaires, qui en ont eu un usage avant tout mesuré et sélectif (A). Elle est aujourd'hui plus effectivement utilisée, la Commission comme la Cour de justice souhaitant, davantage, sanctionner les retards prolongés ou les Etats membres défaillants pour une application effective du droit communautaire (B).

A - Une procédure de sanction financière devant d'abord s'analyser comme un instrument de persuasion mesuré et sélectif

Il convient d'abord de rappeler que ce sont les articles 226 et 228 du Traité CE qui fournissent à la Commission les moyens de s'assurer de l'application effective du droit communautaire. L'article 226 du Traité CE dispose, ainsi, que "si la Commission estime qu'un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent Traité, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet Etat en mesure de présenter ses observations". En pratique, la première étape de cette phase précontentieuse passe par l'envoi d'une lettre de mise en demeure, invitant l'Etat membre à présenter ses observations, dans un délai généralement fixé à deux mois. Si la réponse ne parvient pas dans les délais ou si la Commission la juge insuffisante, elle peut, alors, décider d'adresser à l'Etat membre considéré un avis motivé, par lequel elle lui expose les manquements et les actions correctrices à apporter, là encore, en général, dans un délai de deux mois.

A l'issue de cette phase précontentieuse, si l'Etat membre considéré ne s'est pas mis en conformité avec le droit communautaire, la Commission, en application de l'article 226 du Traité CE, peut saisir la Cour de justice, qui rend un arrêt auquel les parties doivent se conformer. Comme le précise le premier paragraphe de l'article 228 du Traité CE, "si la Cour de justice reconnaît qu'un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent Traité, cet Etat est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice".

L'arrêt de manquement n'établit pas seulement un constat, il détermine une contrainte. L'autorité de chose jugée qui s'y attache aurait pu suffire à obliger l'Etat condamné à en tirer les conséquences, mais l'article 228 § 1 du Traité CE existe pour le préciser sans équivoque. Il reste que le dispositif de l'arrêt, pas plus qu'il ne comporte d'injonction, ne détermine les solutions à adopter. Dans un arrêt de manquement, la Cour de justice est uniquement tenue de constater qu'une disposition du droit communautaire a été violée sans avoir rien à ajouter. L'Etat membre condamné pour manquement doit déterminer lui-même, exclusivement et pleinement, les mesures à prendre. C'est aux autorités nationales qu'il revient de déterminer, elles-mêmes, les mesures d'exécution à prendre et de le faire dans les plus brefs délais. L'article 228 du Traité CE ne précise pas le délai dans lequel l'exécution d'un arrêt doit intervenir mais "il résulte d'une jurisprudence constante que l'intérêt qui s'attache à une application immédiate et uniforme du droit communautaire exige que cette exécution soit entamée immédiatement et qu'elle aboutisse dans des délais aussi brefs que possible" (14).

Les autorités nationales ne peuvent se retrancher derrière les difficultés propres à leurs ordres juridiques. La France invoquait, notamment, pour justifier son retard, "la circonstance effectivement étayée par le dossier soumis à la Cour que la culture en plein champ d'OGM a suscité, et continue de susciter en France des manifestations violentes, notamment d'arrachage en plein champ, et au fait que le retard mis à exécuter l'arrêt du 15 juillet 2004, Commission c/ France, précité, s'expliquerait notamment par le souci d'éclairer le travail parlementaire et de mener une réforme plus ambitieuse que celle que requiert la Directive 2001/18". La Cour va rejeter cet argument en rappelant une jurisprudence constante selon laquelle "un Etat membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l'inobservation des obligations résultant du droit communautaire", ce qui englobe le cas de résistances de particuliers.

Le deuxième paragraphe de l'article 228 du Traité CE complète cette procédure et en renforce l'efficacité en traitant du cas des Etats qui ne se conforment pas à un premier arrêt de la Cour de justice. En effet, si la Commission estime que l'Etat membre concerné n'a pas pris les mesures requises, elle émet, après avoir donné à cet Etat la possibilité de présenter ses observations, un avis motivé précisant les points sur lesquels l'Etat membre concerné ne s'est pas conformé à l'arrêt de la Cour de justice (cas dit de "manquement sur manquement"). La procédure initiale est donc dans ce cas la même que celle précédemment mentionnée : lettre de mise en demeure, puis nouvel avis motivé et, le cas échéant, nouvelle saisine de la Cour de justice.

La Cour de justice, sur proposition de la Commission, dispose, désormais, de la possibilité d'exercer, au moment du second arrêt de manquement (arrêt de manquement sur manquement), une pression financière sur l'Etat membre défaillant, consistant en l'imposition d'une astreinte ou d'une somme forfaitaire.

L'article 228 du Traité CE précise, ainsi, que "si l'Etat membre concerné n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour dans le délai fixé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice. Elle indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'Etat membre concerné qu'elle estime adapté aux circonstances. Si la Cour de justice reconnaît que l'Etat membre concerné ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte". Cette seconde phase contentieuse, introduite par le Traité de Maastricht, diffère donc de la première, dans la mesure où le Traité prévoit, dans ce cas, la possibilité de sanctions financières à l'encontre des Etats membres qui ne se sont pas conformés à un précédent arrêt de la Cour de justice. En ce sens et au final, la procédure de sanction financière se voulait assez longue, à la fois dans la phase précontentieuse et la phase contentieuse, celle-ci devant, avant tout, servir d'instrument de persuasion vis-à-vis des Etats en infraction.

B - Une procédure de sanction financière qui vise à sanctionner effectivement les retards prolongés ou les Etats membres défaillants

Jusqu'en 2005, dans les procédures engagées au titre de l'article 228 du Traité CE, la Commission ne demandait à la Cour que de condamner l'Etat membre soit à une astreinte, soit à une somme forfaitaire, mais jamais aux deux sanctions en même temps. La commission considérait aussi que l'astreinte était l'instrument le plus adapté pour garantir l'exécution la plus rapide de l'arrêt et elle réservait les sommes forfaitaires à des cas exceptionnels.

Le libellé de l'article 228 est, à ce sujet, assez ambigu, dans la mesure où il peut faire l'objet de lectures différentes. Il prévoit que la Cour "indique le montant de la somme forfaitaire ou de l'astreinte à payer par l'Etat membre". La question s'est posée quant à l'interprétation alternative ou cumulative de la disposition en cause. L'emploi de la conjonction "ou" au sein de l'article 228 peut être entendu dans un sens disjonctif et admettre que la disposition n'a pas un caractère punitif mais incitatif. En outre, retenir une interprétation cumulative de l'article 228 serait contraire au principe non bis in idem, interdisant qu'un même comportement fasse l'objet d'une double peine.

L'on peut aussi estimer qu'il convient de focaliser l'interprétation de l'article 228 sur sa raison d'être et sa finalité. En ce sens, les deux types de sanctions remplissent une finalité commune consistant en l'application effective du droit communautaire. Mais, tout en poursuivant une finalité commune résidant dans l'effet utile du droit communautaire, ces deux mesures remplissent des fonctions différentes liées aux circonstances de l'espèce.

C'est ce raisonnement téléologique que retient la Cour, raisonnement courant dans la pratique de la Cour de justice et qui la conduit à conclure à la possibilité de cumul de ces deux types de sanctions à visées différentes, notamment pour la première fois dans l'affaire précitée dite des "poissons sous taille" en 2005. Ce qui est déterminant pour apprécier si l'article 228 § 2 du Traité CE permet d'imposer de manière combinée une somme forfaitaire et une astreinte, c'est la finalité et la raison d'être de cette disposition. Dans certaines situations, le fait d'imposer soit une somme forfaitaire, soit une astreinte, peut apparaître comme n'étant pas une réponse adéquate à un manquement persistant au droit communautaire, en sorte que la combinaison de ces deux instruments est requise.

Il faut tenir compte des fonctions différentes des astreintes et des sommes forfaitaires, de sorte qu'il n'est pas exclu de recourir aux deux, notamment lorsque le manquement aux obligations découlant du droit communautaire, à la fois, a perduré une longue période et tend à persister. L'opportunité de cumuler les deux sanctions doit, ainsi, être déterminée en tenant compte de la nature, de la gravité et de la persistance du manquement constaté.

C'est dans une optique de sécurité juridique et d'application effective du droit communautaire que la Commission demande, désormais, systématiquement à la Cour la condamnation de l'Etat membre défaillant au paiement, non seulement d'une astreinte mais d'une somme forfaitaire. Il y a là une volonté de condamnation de la part de la Commission qui est le témoignage d'un durcissement de sa politique à l'égard des Etats réfractaires dans la transposition des Directives, celle-ci souhaitant sanctionner davantage les retards prolongés (15). Par ailleurs, un montant minimal de somme forfaitaire est fixé pour chaque Etat membre (celui-ci s'élève pour la France à 10,9 millions d'euros). A cela, s'ajoute la décision de la Commission de ne plus se désister en cas de régularisation en cours d'instance, afin d'inciter les Etats à se mettre en conformité le plus rapidement possible. Enfin, un effort est fait par la Commission dans le sens du respect du principe de proportionnalité dans la méthode de calcul des sanctions proposées à la Cour, c'est-à-dire une adaptation des montants, lorsque les circonstances le permettent, en fonction, notamment, des griefs et de la périodicité requise pour apprécier des résultats ou juger de l'efficacité de certaines mesures. La procédure engagée contre la France, à travers l'arrêt d'espèce et les revendications de la Commission, procède de cette nouvelle fermeté imposée par les autorités communautaires dans la transposition des Directives, fermeté affichée ouvertement par la Commission, mais peut-être plus nuancée au niveau de la Cour de justice.

II - Une obligation de résultat nuancée mais réaffirmée par l'appréciation autonome de la Cour de justice

Si la Commission a pu détailler et préciser les orientations de sa politique en matière de sanctions financières à l'égard des Etats membres, ces orientations ne lient pas les autres autorités communautaires et, notamment, la Cour de justice. L'arrêt d'espèce permet, ainsi, de mesurer l'appréciation souveraine du juge communautaire en la matière, appréciation autonome qui complète alors la doctrine classique de la Commission (A), et qui fait naître une approche nouvelle dans la fixation du montant de la sanction pécuniaire (B).

A - Une appréciation souveraine de la Cour qui complète la doctrine classique de la Commission

La pratique que la Commission tend à adopter dans les règles relatives aux sanctions pécuniaires infligées aux Etats membres qui n'exécutent pas les arrêts de la Cour de justice ne lie, évidemment, pas les autres institutions. Est clairement réaffirmée, en l'espèce, le pouvoir de pleine juridiction de la Cour en matière de fixation de sanctions pécuniaires. Seule la Cour de justice, dans sa fonction juridictionnelle, est, en effet, compétente pour décider de l'opportunité de condamner un Etat membre à une astreinte, à une somme forfaitaire ou aux deux, et pour déterminer le montant effectif de la sanction.

Il ressort de l'arrêt et de l'appréciation de la Cour, qu'il lui appartient, "dans chaque affaire et en fonction des circonstances de l'espèce dont elle se trouve saisie, ainsi que du niveau de persuasion et de dissuasion qui lui parait requis, d'arrêter les sanctions pécuniaires appropriées pour assurer l'exécution la plus rapide possible de l'arrêt ayant précédemment constaté un manquement, et prévenir la répétition d'infractions analogues au droit communautaire" (point 59 de l'arrêt). La Cour rappelant que "si des lignes directrices, telles que celles contenues dans les communications de la Commission, peuvent effectivement contribuer à garantir la prévisibilité et la sécurité juridique de l'action menée par la Commission, il n'en reste pas moins que de telles règles ne sauraient lier la Cour dans l'exercice du pouvoir qui lui est conféré par l'article 228 paragraphe 2, CE" (point 60).

C'est en ce sens que la Cour ne retient pas le cumul de sanctions en l'espèce, rejetant l'astreinte mais retenant la somme forfaitaire pour sanctionner les agissements fautifs des autorités françaises. Il y a là, néanmoins, un raisonnement qui suit celui développé par la Commission en la matière.

Le cumul des astreintes et des sommes forfaitaires vise à mettre fin à la pratique selon laquelle les Etats membres ne s'exécutent souvent que tardivement, parfois seulement à l'extrême fin de la procédure de l'article 228 du Traité CE. La pratique antérieure de la Commission, qui consistait à ne demander à la Cour de prononcer une astreinte qu'en cas de non-exécution après l'arrêt rendu en vertu de l'article 228 du Traité CE, avait pour effet qu'une exécution tardive, mais avant l'arrêt, ne donnait lieu à aucune sanction, de sorte que les Etats membres n'étaient pas efficacement dissuadés de manquer à leurs obligations. La somme forfaitaire est demandée dans l'optique de punir la poursuite de l'infraction entre l'arrêt constatant le manquement et l'arrêt rendu en vertu de l'article 228 du Traité CE.

Cette nouvelle approche de la somme forfaitaire a pour conséquence logique que, lorsqu'un Etat membre met fin à l'infraction après la décision de saisir la Cour, mais avant le prononcé de l'arrêt au titre de l'article 228 du Traité CE, la Commission ne se désistera plus pour cette seule raison. Dans un tel cas, bien que la Cour de justice ne puisse plus décider d'infliger une astreinte puisqu'une telle décision serait devenue sans objet, elle peut, néanmoins, condamner l'Etat membre au paiement d'une somme forfaitaire sanctionnant la durée de l'infraction effective, cet aspect de l'affaire demeurant d'actualité.

Il n'est pas exclu, enfin, dans des cas très particuliers, de ne recourir qu'à la somme forfaitaire. Une telle solution s'avère utile dans des cas exceptionnels de récidive d'infractions caractérisées, ou lorsqu'un Etat membre a pris toutes les mesures requises pour se conformer à l'arrêt, mais que le résultat exigé n'intervient pas avant un certain temps. C'est le cas en l'espèce. Mais si la Cour, ici, dans son appréciation autonome rejoint le raisonnement développé par la Commission, elle va aussi plus loin en fixant une approche nouvelle moins rigide dans la fixation du montant de la sanction pécuniaire.

B - Une approche nouvelle dans la fixation du montant de la sanction pécuniaire

La France a été condamnée, en l'espèce, à payer une somme forfaitaire de 10 millions d'euros pour manquement sur manquement à la réglementation communautaire. C'est à ce titre la première fois que la Cour de justice condamne un Etat à une amende, alors que la première décision de la Cour a été complètement exécutée (ce qui est bien le cas, puisque la Directive en question a été finalement complètement transposée). Il y a là un pas important de franchi par les juges communautaires, d'autant plus que ces derniers n'ont pas suivi les conclusions de l'Avocat général. Celui-ci invitait la Cour à rejeter le paiement d'une somme forfaitaire et à maintenir la pratique de la Commission consistant à appliquer des sanctions "de manière mesurée et sélective". Selon ces conclusions, l'approche systématique consistant à imposer le paiement d'une somme forfaitaire "pourrait être tout à fait disproportionnée au regard des circonstances d'une affaire donnée" (point 74).

Il y avait là, par la présente, une approche plus nuancée dans l'appréciation de la somme forfaitaire, qui dénotait par rapport à la vision plus systématique de la Commission. L'Avocat général estimait, ainsi, que la somme forfaitaire "vise à sanctionner un Etat membre pour son comportement dans le passé [...] lorsque le comportement de l'Etat en cause est caractérisé par des circonstances exceptionnelles qui aggravent le défaut d'exécution pleine et rapide" (point 76 du premier arrêt en manquement).

Ces circonstances aggravantes seraient établies en cas de "défaut de coopération loyale de l'Etat membre avec la Commission en vue de mettre fin à l'infraction en temps opportun" (point 76), ou lorsque le manquement affecte de manière inacceptable des intérêts publics ou privés, a des répercussions sur des domaines d'intérêts communautaires contraignants, ou met en danger un principe fondamental de la communauté.

Sur le fondement de cette conception de la somme forfaitaire, l'Avocat général en déduit "que la méthode de calcul de la somme forfaitaire proposée par la Commission [...] qui est, entre autres, fondée sur le même coefficient que l'astreinte en ce qui concerne la gravité du manquement et le nombre de jours pendant lesquels un tel manquement perdure ne reflète pas ces circonstances spécifiques" (point 78) (16) et que, "dans la présente affaire, la Commission n'a pas établi l'existence de circonstances aggravantes de nature à justifier l'imposition d'une sanction sous la forme d'une somme forfaitaire", notamment quant à la coopération des autorités françaises, l'existence de manoeuvres dilatoires et l'affectation des intérêts publics et privés de manière inacceptable.

Tel n'est pourtant pas l'avis de la Cour de justice qui, si elle confirme l'approche plus nuancée de l'imposition de la somme forfaitaire (17), témoigne de l'existence de plusieurs circonstances justifiant de l'imposition d'une somme forfaitaire. En premier lieu, elle souligne la répétition "de comportements infractionnels" dans un secteur spécifique de l'action communautaire et la persistance du manquement depuis le prononcé de l'arrêt (la Cour souligne, notamment, que les premières mesures conséquentes adoptées en mars 2007 n'ont été prises qu'une année après le délai d'expiration imparti dans l'avis motivé). En second lieu, elle relève que le défaut d'exécution d'arrêt de la Cour présente un degré particulier de gravité en ce qu'il ne permet pas de garantir des objectifs essentiels poursuivis par le législateur communautaire, le défaut d'exécution étant "de nature à porter préjudice à l'environnement et à mettre en danger la santé de l'homme dont la préservation fait partie des objectifs mêmes de la politique communautaire dans le domaine de l'environnement" (point 77).

Finalement, la Cour a, également, tenu compte du fait que, en dépit de l'absence de toutes mesures "conséquentes", les autorités françaises n'ont pas manqué à leur obligation de coopération loyale, ni adopté de mesures délibérément dilatoires. A cet égard, la Cour considère, notamment, que, malgré leur caractère tardif, les mesures d'exécution de mars 2007 ont assuré une transposition tout à fait conséquente de la Directive, seules trois dispositions de cette dernière étant demeurées, selon la Commission, imparfaitement transposées jusqu'à la date du 27 juin 2008. Ceci a conduit la Cour à faire preuve d'une certaine mansuétude à l'égard de la France en ne la condamnant qu'à 10 millions d'euros, la somme forfaitaire minimale, en faisant ainsi une juste appréciation des circonstances de l'espèce. Il y a là, au final, un dépassement remarquable de l'approche systématique de la Commission par une appréciation autonome de la Cour de justice qui, si elle apporte des nuances dans la fixation des sanctions pécuniaires affectant les Etats membres, n'en constitue pas moins une réaffirmation de la sévérité accrue des autorités communautaires pour faire respecter le droit communautaire.


(1) Texte intégral de la dernière édition du tableau d'affichage du marché intérieur.
(2) Cons. const., décision n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : A6494DCI), JO, 22 juin 2004, p. 11182.
(3) Les deux autres affaires concernant la Grèce en 2000 (CJCE, 4 juillet 2000, aff. C-387/97, Commission des Communautés européennes c/ République hellénique N° Lexbase : A5902AYA), et l'Espagne en 2003 (CJCE, 25 novembre 2003, aff. C-278/01, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne N° Lexbase : A2987DAU).
(4) CJCE, 12 juillet 2005, aff. C-304/02, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A1671DK4), JO C 217, 3 septembre 2005, p. 3.
(5) CJCE, 14 mars 2006, aff. C-177/04, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5146DNW), JO C 131, 3 juin 2006, p. 10.
(6) Loi n° 2006-406 du 5 avril 2006, relative à la garantie de conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur et à la responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9953HH4), JO, 6 avril 2006, p. 5198.
(7) CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-419/03, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A0935DDY), non publié au recueil, JOCE 2004, C-228, p. 15.
(8) Directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés (N° Lexbase : L8079AUR), JO n° I 106, 17 avril 2001.
(9) Par une note du 20 mars 2007, les autorités françaises ont transmis à la Commission divers textes dont les décrets n° 2007-357 (N° Lexbase : L7243HUS), n° 2007-358 (N° Lexbase : L7244HUT), n° 2007-359 (N° Lexbase : L7245HUU) du 19 mars 2007 (JO, 20 mars 2007, p. 5085, p. 5095, p. 5100) respectivement relatifs à la modification du décret n° 93-774 du 27 mars 1993, fixant la liste des techniques de modification génétique et les critères de classement des OGM (N° Lexbase : L4118ICI), à la dissémination volontaire à tout autre fin que la mise sur le marche de produits composés en tout ou partie d'OGM, à la procédure d'autorisation de mise sur le marché de produits non destinés à l'alimentation composés en tout ou partie d'OGM.
(10) A noter que la France avait, également, été avertie concernant la non-exécution d'un arrêt du 27 novembre 2003 et la non-transposition de la Directive 90/219 sur l'utilisation d'OGM en milieu confiné (CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-429/01, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A2991DAZ).
(11) 46 000 euros par jour de retard à compter du jour où l'arrêt de 2004 a été rendu jusqu'à sa pleine exécution qui sera prise par la CJCE.
(12) Conclusions de l'Avocat général M. Jn Mázák présentées le 5 juin 2008 dans l'affaire C-121/07, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A5514EBT).
(13) Loi n° 2008-595 du 25 juin 2008, relative aux organismes génétiquement modifiés (N° Lexbase : L4998H7A), JO, 26 juin 2008, p. 1021.
(14) Voir, notamment, points 21 et 27 de l'arrêt CJCE, 25 novembre 2003, aff. C-278/01, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne (N° Lexbase : A2987DAU), Rec. P. I-14141.
(15) Cf. Communication en date du 13 novembre 2005 : Mise en oeuvre de l'article 228 Traité CE SEC/2005/1658.
(16) La Commission détermine le montant des sommes forfaitaires selon une méthode en deux étapes : en arrêtant une somme forfaitaire minimale fixe déterminée pour chaque Etat membre selon le facteur "n" (fondé sur le PIB et sur les droits de vote au Conseil), et en appliquant un montant journalier multiplié par le nombre de jours qu'aura duré l'infraction (ce dernier montant sera appliqué si le résultat est supérieur à la somme forfaitaire minimale).
(17) La Cour rappelle, notamment, que "l'imposition éventuelle d'une somme forfaitaire doit, dans chaque cas d'espèce, demeurer fonction de l'ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté, qu'à l'attitude propre à l'Etat membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l'article 228 CE" (point 62).

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