La lettre juridique n°332 du 8 janvier 2009 : Sociétés

[Jurisprudence] Indemnités versées à l'ancien président de Rhodia : condamnation de deux dirigeants à rembourser la somme à la société

Réf. : T. com. Nanterre, 3 décembre 2008, aff. n° 2005F01378, SA Valauret c/ M. Yves-René Nanot, M. Jean-Pierre Clamadieu, SA Rhodia (N° Lexbase : A7473EBE)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 22 Octobre 2014

Décision peu mesurée pour les uns, et traduisant, pour les autres, la juste sanction des excès dans la fixation des indemnités de certains dirigeants, le jugement du tribunal de commerce de Nanterre, en date du 3 décembre 2008, a été commenté dans la presse avec davantage de passion que de recul. Cette "nouvelle affaire Rhodia" intervient, en effet, alors que le Mouvement des entreprises de France (Medef) est en voie de mettre en oeuvre un code de bonne gouvernance concernant les "parachutes dorés" qu'en principe, toutes les sociétés du CAC 40 auront dû adopter, à l'heure où nous écrivons ces lignes. D'aucuns ont fait, ainsi, un lien, un peu rapidement, sans doute, entre ce nouvel encadrement éthique et la sanction que vient de prononcer le tribunal de commerce en condamnant deux des dirigeants actuels de la société Rhodia à rembourser une indemnité transactionnelle versée à son ancien président démissionnaire.
Pourtant, le jugement analysé place résolument cette sanction hors du cadre de ces pratiques dites, selon le terme anglo-saxon, de "golden parachute" puisqu'il s'agissait d'établir la licéité du versement d'une indemnité transactionnelle au titre de la rupture d'un contrat de travail et de la provision, dans les comptes de la société, d'un engagement de retraite y afférant. La question posée ici au juge était, ainsi, fort différente des problématiques relatives aux golden parachutes, puisqu'elle portait sur la source des indemnités versées à un ancien salarié (I), qui n'était, qu'ensuite, devenu dirigeant. En l'espèce, un actionnaire de Rhodia contestait la validité du contrat de travail et demandait au tribunal de commerce de Nanterre d'établir la responsabilité, au titre de la faute de gestion, des auteurs (II) du versement litigieux.

I - Un litige portant sur la source des indemnités versées

La contestation des indemnités versées à l'ancien président de Rhodia (I) trouve son origine dans une controverse entre les dirigeants de la société et un actionnaire qui soulevait l'impossibilité de versement en raison de l'absence de transfert du contrat de travail (II) de Rhône-Poulenc à Rhodia.

A - La contestation des indemnités versées à l'ancien président, ancien salarié du groupe

En 1999, lors de la préparation de l'opération de fusion entre les sociétés Rhône-Poulenc et la société allemande Hoechst, dans l'objectif de créer le groupe pharmaceutique Aventis, Rhône-Poulenc décide de se séparer de son pôle chimie afin de se recentrer sur son coeur d'activité. M. T., auparavant cadre dirigeant puis, directeur général adjoint de Rhône-Poulenc SA en 1992 est placé, à cette occasion, à la tête de ce pôle, étant désigné président directeur général de la société Rhodia, à compter du 25 mars 1997, la filiale devenant définitivement autonome le 15 octobre 1999.

Le 29 janvier 2001, le conseil d'administration de Rhodia souscrit un avenant à un "contrat de règlement de garantie des ressources retraite cadres" (GRCD), conclu, à l'origine, par Rhône-Poulenc. Cet avenant permet de verser un complément de retraite aux salariés ou mandataires sociaux de plus de 50 ans, contre 55 ans auparavant. Le 21 juillet de la même année, le conseil d'administration de Rhodia "constate" que le contrat de travail unissant Rhône-Poulenc et M. T. avait été transféré à Rhodia le 1er novembre 1999, et qu'en conséquence, il s'était trouvé suspendu à cette même date en raison de l'incompatibilité du cumul des fonctions de salarié et de président du conseil d'administration. Il est acté, par ailleurs, que le contrat de travail reprendrait tous ses effets dès la fin du mandat. Le 23 juillet, M. T. donne son accord à l'avenant abaissant l'âge de départ à la retraite et, le 1er août 2001, enfin, il signe un avenant réactualisant son salaire "à la date de la cessation de son mandat" et fixant les modalités financières de rupture de son contrat de travail.

Lors du conseil d'administration de Rhodia du 3 octobre 2003, M. T. démissionne de tous ses mandats avec effet immédiat. MM. C. et N., qui assistaient à la séance, sont nommés, le premier, président du conseil d'administration à titre temporaire et, le second, mandataire spécial avec le titre de vice-président.

Le 15 octobre 2003, M. T. fait l'objet d'une mesure de licenciement et, le 26 février 2004, ce dernier et Rhodia signent un protocole d'accord mettant fin à toutes leurs relations contractuelles, à l'exception des engagements de retraite (GRCD), moyennant le versement de la somme de 2 112 944 euros à titre "d'indemnité transactionnelle globale et forfaitaire pour solde de tout compte". Quelques jours plus tard, M. N. est nommé président du conseil d'administration et M. C. directeur général de la société Rhodia.

A la suite de l'assemblée générale de la société Rhodia du 31 mars 2004, un actionnaire, la société Valauret (Valauret), met M. N. en demeure de prendre les dispositions nécessaires pour obtenir le reversement, par M. T., de la somme de 2 112 944 euros, lui demandant, en outre, de lui confirmer que ce dernier ne pourrait bénéficier de la retraite complémentaire. Rhodia répondra à cette demande en affirmant qu'elle s'était conformée, en tous points, aux exigences légales et conventionnelles. Valauret ayant posé, au surplus, la question du montant de l'engagement de retraite dont bénéficiait l'ancien président, se verra répondre que cet engagement avait été provisionné par la société à hauteur de 5,3 millions d'euros.

Valauret ayant déjà introduit un recours contre MM. N. et C., tant en raison du préjudice subi par elle-même que par celui, dans le cadre d'une action ut singuli, subi par la société Rhodia, faisait principalement porter sa demande sur la réaffectation de l'engagement de retraite provisionné estimant, par ailleurs, que le versement de 2 112 944 euros était constitutif d'une faute. Les prétentions de Valauret reposaient, ainsi, essentiellement, sur deux fondements textuels : d'une part, les dispositions de l'article L. 225-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5893AI4), qui encadrent le cumul des fonctions de mandataire social et de salarié et, d'autre part, les termes de l'article L. 225-251 du même code (N° Lexbase : L6122AIL), qui établit le régime de responsabilité des administrateurs et du directeur général des sociétés anonymes.

B - Un litige portant, au fond, sur l'existence du contrat de travail de l'ancien président

S'agissant, en premier lieu, de la responsabilité des administrateurs et du directeur général, il était reproché à MM. N. et C. d'avoir commis une série de fautes de gestion en accordant à l'ancien président directeur général des indemnités conventionnelles ainsi qu'en maintenant l'engagement de retraite de la société Rhodia à son profit. Affirmant que constitue une faute de gestion le fait de "conclure une convention contraire aux intérêts de la société ou toute négligence", Valauret invoquait cette contrariété aux intérêts de la société pour voir le tribunal constater la faute du directeur général, M. C., au titre du versement de la somme de 2 112 944 euros à M. T.. Selon ces prétentions, M. C. aurait dû s'opposer à tout versement puisqu'à la date du départ de l'ancien président, il annonçait devoir engager "un vaste plan de redressement", les comptes de la société présentant, à l'époque, une dette de 3 milliards d'euros et, selon le demandeur, un état de quasi-faillite. Ce dernier invoquait, au surplus, la connaissance par M. C. du "montage artificiel" à l'origine du calcul de l'indemnité puisque l'ancien président faisait état dans le quotidien Le Monde, le jour de sa démission (soit avant la fixation de l'indemnité résultant du licenciement ultérieur), de la somme exacte qu'il devait recevoir, ce qui démontrait que ladite indemnité résultait de sa démission des fonctions de mandataire social. A ce titre, enfin, la somme versée ayant été fixée forfaitairement par un avenant du 1er août 2001, M. C., selon Valauret, n'avait aucunement cherché à réduire le montant convenu alors que l'avenant précisait que ce dernier n'était exigible qu'en "absence de toute faute" du bénéficiaire. Se fondant sur des précédents récents du monde des affaires, "à titre de comparaison", il estimait, ainsi, que le directeur général en exercice se devait de solliciter la nullité ou la réduction, selon ses propres termes, du golden parachute ainsi constitué.

Plus encore, au-delà de la contestation de l'indemnité, c'est sa source même que Valauret remettait en question puisqu'il invoquait la nullité du contrat de travail ainsi que de l'avenant fixant l'indemnité. En effet, selon l'actionnaire, le contrat de travail de M. T. n'avait jamais été transféré et, si ce transfert avait pu être réalisé, il aurait dû, en tout état de cause, respecter la procédure des conventions réglementées destinées à protéger la société contre les conflits d'intérêts, en application de l'article L. 225-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L5909AIP). En outre, il apparaissait, selon Valauret, qu'il était "invraisemblable" que, compte tenu du niveau d'expertise interne des services des ressources humaines de Rhodia, M. C. n'ait pas été alerté sur l'irrégularité du versement projeté et de la transaction. Quant au comportement de M. N., Valauret s'appuyait sur sa qualité d'administrateur pour engager sa responsabilité à raison des conséquences d'un défaut de surveillance des dirigeants sociaux.

Devant cette série d'arguments, Rodhia, comme MM. C. et N. réfutaient, en bloc, les prétentions du demandeur. S'agissant, d'abord, du contrat de travail, ce dernier, selon eux, avait été transféré de plein droit lors de la fusion, au titre de l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail (C. trav., art. L. 1224-1, nouv. N° Lexbase : L0840H9Y). Ils affirmaient, également, démontrer le contrôle de ses conditions d'exécution par le "comité homme et organisation" interne, ainsi que l'approbation de sa conclusion, conformément à la procédure des conventions réglementées. Quant à la collusion supposée entre l'ancien président et les dirigeants actuels, ils faisaient également valoir la nécessité de conclure un protocole d'accord afin de prémunir la société contre d'éventuels recours. Les dirigeants précisaient, par ailleurs, que M. T., sachant, dès sa démission de mandataire social, qu'il allait être licencié, avait pu communiquer à la presse le montant de l'indemnité qui allait lui être versée avant la transaction puisqu'il s'agissait d'une somme forfaitaire due en cas de rupture du contrat de travail. Les défendeurs, en outre, dans leurs conclusions, faisaient valoir l'absence de faute de gestion, selon eux, d'abord, parce qu'ils n'avaient pas de pouvoir décisionnel à certaines périodes de l'affaire et, ensuite, par l'obligation qui leur était faite de respecter les stipulations des conventions établies entre M. T. et Rhodia.

II - Le remboursement des indemnités prononcé sur le fondement d'une faute de gestion

C'est précisément cette faute de gestion (A), invoquée par Valauret, qui donne sa dimension à l'affaire, même si le jugement prononcé ne paraît constituer qu'une solution d'espèce, rendue en toute rigueur, mais marquée par le particularisme de la situation de Rhodia (B) depuis la fusion de Rhône-Poulenc et de Hoechst.

A - La démonstration, par le juge, de l'existence d'une faute de gestion

Le tribunal de commerce de Nanterre s'est attaché, avec logique, à l'analyse, dans un premier temps, du transfert du contrat de travail. Face à l'argument essentiel des défendeurs, qui consistait à soutenir que ce transfert résultait de l'opération de fusion et avait été opéré de plein droit, au titre des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail (C. trav., art L 1224-1, nouv.) le juge ne pourra que constater l'insuffisance des preuves matérielles produites par les défendeurs. Ces derniers s'appuyaient, en effet, sur des documents émanant de la société Rhône Poulenc Chimie, attestant du transfert des salariés de cette dernière société à Rhodia. M. T., en revanche, étant salarié de Rhône-Poulenc SA, maison-mère du groupe, rien n'attestait du transfert de son contrat de travail. Le juge en déduit que ce dernier n'a pas été transféré sous le régime de l'article L. 122-12 précité. Constatant, par ailleurs, en considération du contenu de "l'avenant" du 1er août 2001, que ledit avenant régularisait le transfert en laissant à M. T. un "délai raisonnable" à l'issue duquel il se trouvait lié à Rhodia "d'un commun accord", le juge en conclut qu'il s'agissait, en l'espèce, d'un transfert conventionnel et non de plein droit.

Ceci étant posé, le tribunal s'attache, ensuite, à l'appui d'un raisonnement sans faille, à examiner le contrôle interne de ce transfert. Le fondement de ce contrôle relève, en effet, de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 225-38 du Code de commerce qui établit que : "toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et son directeur général [...] doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration". En l'espèce, les dirigeants de Rhodia, invoquant le transfert de plein droit lié à la fusion, avaient écarté l'application de cette procédure, ce que sanctionne le tribunal qui, s'appuyant sur le caractère conventionnel de l'acte, en conclut, lui, au non-respect des dispositions concernant ces conventions réglementées.

C'est, ainsi, après avoir établi la nature des conventions en cause, que la question de la faute de gestion est examinée. A ce titre, le jugement retient que lorsque M. C. avait pris ses fonctions en 2003, l'avenant du 1er août 2001 avait déjà été signé et cette mention est particulièrement importante pour analyser la décision : "ledit avenant présentait l'apparence d'un acte régulier dont il convenait de respecter les termes". Au surplus, M. T. ayant changé d'attitude quant à son licenciement -l'estimant valide, dans un premier temps, puis abusif, dans un second temps- M. C. avait fait en sorte qu'une "indemnité transactionnelle" soit versée en remplacement d'une seule "indemnité de rupture", replaçant ainsi sa conclusion sous l'égide des articles 2044 et suivants du Code civil. Mieux encore, il avait négocié de façon à ce que ladite indemnité ne dépasse pas le montant prévu par l'avenant du 1er août 2001, les seules conséquences pour Rhodia étant l'application de règles fiscales différentes. Ainsi, le juge d'en conclure que la transaction à l'origine du versement ne saurait être qualifiée de golden parachute, comme le prétendait le demandeur, notamment parce qu'elle n'avait pas pour cause la perte d'un mandat social.

Ces deux séries de motivations ne permettent pas, pour autant, selon le juge, d'affirmer que MM. C. et N. n'ont pas commis de faute. En effet, il relève que Valauret avait fait valoir, par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 avril 2004, que "l'indemnité versée à M. [T] ne [pouvait] résulter de son contrat de travail puisque celui-ci n'[avait] jamais existé avec Rhodia" et que M. N. avait répondu à cette remarque en concluant, dans une lettre adressée à l'actionnaire en qualité de président du conseil d'administration, que "la société s'[était] conformée aux exigences légales et conventionnelles". Ainsi, le tribunal décidera que les deux dirigeants poursuivis, ayant eu leur attention attirée par Valauret sur la situation juridique de M T., "n'ont pas rempli leurs obligations générales de compétence de diligence et d'action dans l'intérêt de la société". Il en conclut que, "par la légèreté de leur décision, [ils] ont abusé de la confiance des actionnaires par une forme de complaisance fautive", et "qu'ils ont commis une faute de gestion ayant contribué à la réalisation du préjudice" subi par Rhodia.

Restait au juge à se déterminer sur une autre faute de gestion invoquée, relative à l'attribution du bénéfice de la retraite complémentaire (GRCD). Il avait, en effet, à répondre aux arguments de Valauret qui faisait valoir que le bénéfice d'une retraite était réservé aux salariés, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, et, qu'en outre, l'engagement pris aurait dû être soumis au régime des conventions réglementées. Valauret soutenait, au surplus, que la jurisprudence est constante pour exclure l'octroi d'un complément de retraite dans un environnement financier comparable à celui que connaissait la société Rhodia (1).

Sur ces derniers points, le tribunal de commerce de Nanterre retient, une fois encore, les arguments présentés par Valauret, estimant, d'une part, que l'avenant portant mise en oeuvre du régime de retraite n'avait pu être transféré, faute de validité du contrat de travail unissant M. T. à Rhodia, et, d'autre part, que la convention établissant l'indemnité transactionnelle excluait expressément de son champ d'application la convention GRCD et que, si cette convention "présentait l'apparence" de la validité, les avertissement répétés de Valauret à ce sujet, auraient dû attirer l'attention des dirigeants sur le fait que M. T. ne pouvait en bénéficier.

Le juge, par ailleurs, analysant la décision, prise par MM. N. et C. de provisionner la somme correspondant à l'engagement de retraite à hauteur de 5,3 millions d'euros, estime que ces derniers auraient dû conclure qu'il ne s'agissait pas d'une convention courante conclue à des conditions normales, et qu'elle devait être soumise à la procédure des conventions réglementées. En toute hypothèse, ils auraient également dû, selon le jugement, "dans le cadre d'une bonne gestion, de leur devoir de surveillance et d'information à l'égard des actionnaires", s'informer sur le bien fondé de cette constitution de provision. Ne l'ayant pas fait, ils avaient, ainsi, caractérisé leur "négligence imprudente", ce qui ne permettait pas de les exonérer de leur responsabilité attachée à leur fonction car ils avaient, ce faisant, commis tous deux une faute de gestion.

Les deux dirigeants seront ainsi condamnés, in solidum, à payer à la société Rhodia la somme de 2 112 944 euros versée à M. T. au titre de "l'indemnité de transaction", le juge ordonnant, par ailleurs, la reprise de la provision constituée au titre des engagements de retraite GRCD, privant implicitement, ainsi l'ancien dirigeant de son bénéfice.

B - Une solution d'espèce née du particularisme de la situation de Rhodia

Se pose, alors, la question de la portée à donner à ce jugement, dans un contexte ou la presse financière avait évoqué, dès la solution connue, la mise en oeuvre, par le Mouvement des entreprises de France (Medef), d'un code de bonne conduite visant à encadrer l'attribution et le règlement des "parachutes dorés" au profit des dirigeants. (cf., notamment, Les Echos, 15 décembre 2008). Il nous semble, toutefois, que le jugement du tribunal de commerce de Nanterre s'affranchit, dans sa décision, de toute propension à analyser l'affaire sous d'autres auspices que ceux de la mise en oeuvre rigoureuse et mesurée de la règle de droit objectif.

Une première erreur, en effet, s'agissant de la retraite complémentaire, consisterait à considérer que ce jugement emporte condamnation de la pratique exagérée du golden parachute, le tribunal ayant parfaitement démontré qu'aucune des deux indemnités (de transaction et de retraite) prévue n'avait pour objet de compenser la perte d'un mandat social. La seule question, qui pourrait éventuellement se poser, serait de savoir si lesdites indemnités n'auraient pas eu pour effet d'attribuer, par un artifice de qualification, l'équivalent d'un golden parachute au dirigeant démissionnaire. Aucune circonstance, pourtant, ne va dans le sens de cet argument, pas plus que celui d'une collusion entre le dirigeant sortant et ceux qui étaient en place car, replacée dans l'historique ténébreux de la constitution de Rhodia, l'affaire prend un tout autre aspect. Lors de cette création, en effet, Rhodia s'est vu transférer par l'ancienne mère, Rhône-Poulenc, avec une partie du personnel du groupe, des engagements de retraite considérables. Or, ces engagements étaient, d'une part, destinés aux salariés et, d'autre part, n'avaient pas été souscrits à l'époque ou MM. N. et C. étaient responsables.

Une deuxième erreur serait également commise, à prétendre que M. C. aurait été condamné pour n'avoir pas contesté "l'indemnité transactionnelle" de départ de M. T.. Le juge de première instance établit, en effet, que ce dernier réclamait, après avoir décidé de contester la licéité de son licenciement, 1 million d'euros supplémentaires et que la transaction avait permis de diminuer la somme demandée en revenant à l'indemnité contractuelle prévue dans l'avenant du 1er août 2001.

Une troisième erreur serait de ne pas prendre la mesure de la dimension procédurale de l'affaire. Placée dans le cadre d'une action ut singuli, intentée, ici, par un seul actionnaire au titre de l'article L. 225-252 du Code de commerce, cette action est dite sociale, car, destinée à réparer le préjudice subi par la société, elle vise à la reconstitution ou au maintien de son capital. Elle s'exerce, ainsi, contre les dirigeants de la société, en l'espèce MM. N. et C., condamnés à verser une somme équivalente à l'indemnité transactionnelle à la société, mais non contre le principal intéressé. Au demeurant, comme le souligne le juge, la transaction, "conclue en application des articles 2044 et suivants du Code civil [revêt] le caractère et l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, selon les énonciations de l'acte". La nature de la transaction ne laissait donc à Valauret que l'opportunité de poursuivre les dirigeants en fonction.

Enfin, une dernière erreur tendrait à estimer que la faute de gestion, dont ont été convaincus les dirigeants, avait été commise à l'occasion de la conclusion des différentes conventions. Souvent, dans l'arrêt, le juge souligne, en effet, l'apparence de licéité du contrat de travail et des avenants qui s'y sont trouvés rapportés. En revanche, il sanctionne l'absence de diligence de MM. N. et C. après que Valauret eut porté à leur connaissance que le contrat de travail de M T. n'avait pas été transféré : ce n'est donc qu'après la fixation de l'indemnité litigieuse, pour n'avoir pas vérifié ce point fondamental, que leur faute a pu être reconnue.

Quant à la solution donnée en matière de retraite complémentaire, on ne saurait voir, dans cette espèce, que l'application par le tribunal de commerce de Nanterre de la jurisprudence constante en la matière, en vertu des dispositions légales applicables à l'époque (2), et qui établit que doivent être soumises au régime des conventions réglementées les engagements qui ne constituent pas des compléments de rémunération. Or, ne constituent de tels compléments que les versements qui présentent les trois caractéristiques suivantes : être la contrepartie de services particuliers rendus à la société par le dirigeant pendant l'exercice de ses fonctions, être proportionnés à ces services et ne pas constituer une charge excessive pour la société (3). En l'espèce, ces conditions n'étant pas réunies et l'engagement litigieux n'ayant pas été soumis à la procédure des conventions réglementées, il encourait la nullité, au titre de l'article L. 225-42, car il avait eu des conséquences dommageables pour la société.

Sans nul doute, l'affaire va connaître de nouveaux développements, un appel ayant été formé contre cette décision. On peut augurer, ainsi, d'un nouvel épisode pour l'"affaire Rhodia" d'autant que M. T., déjà condamné, avec Rhodia, en 2007 par l'AMF (4) pour "communication financière inexacte, imprécise et trompeuse" vient d'être mis en examen, en juin, pour "diffusion de fausses informations" par des juges financiers.


(1) Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-18.367, Mme Hugon c/ Société L'Impeccable et autre (N° Lexbase : A9320ATD), Bull. civ. IV, n° 166 ; Cass. com., 14 juin 2005, n° 02-17.719, M. Bertrand See c/ Société Chaîne et Trame, F-D (N° Lexbase : A7449DIQ) ; Cass. com., 11 octobre 2005, n° 02-13.520, Société Ciments Français c/ M. Pierre Conso, F-P+B (N° Lexbase : A0177DL7). L'actionnaire établissait en, effet, que M. C., lui même, avait déclaré que ces engagements de retraite étaient "tellement exceptionnels" qu'ils auraient du rester au sein de Rhône-Poulenc.
(2) La loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC) soumet, pour les sociétés cotées, tout engagement de ce type à la procédure des conventions réglementées de l'article L. 225-38 du Code de commerce (C. com., art. L. 225-42-1 (N° Lexbase : L9221HZK).
(3) Cass. com., 3 mars 1987, n° 84-15.726, Union de banques à Paris c/ M Lebon (N° Lexbase : A3045AAZ), Gaz. Pal., 1987, p. 264, n. B. Hatoux.
(4) Décision AMF, 24 mai 2007, à l'égard de la société Rhodia et de MM. Jean-Pierre Tirouflet, Patrick Iweins, Pierre Riou et Yves-René Nanot (N° Lexbase : L7503HX8). La cour d'appel de Paris a rejeté les recours formé sur le fonds contre cette décision par Rhodia et par M. Tirouflet (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 20 mai 2008, n° 2007/14651, Société Rhodia SA, M. Jean-Pierre Tirouflet N° Lexbase : A8848D89), lesquels ont, tous deux, formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

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