Lexbase Public n°367 du 26 mars 2015 : Urbanisme

[Jurisprudence] Le permis de construire précaire : un régime d'exception constitutionnel

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 18 février 2015, n° 385959, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6000NBT)

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par Marie-Odile Diemer, docteur en droit public, élève avocate, cabinet Fidal

le 26 Mars 2015

Il n'est pas nouveau que le droit de l'urbanisme soit menacé des foudres constitutionnelles, concernant notamment le régime juridique des autorisations d'urbanisme. Dans une décision du 18 février 2015, le Conseil d'Etat a pourtant refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC relative à la constitutionnalité des dispositions législatives concernant le permis de construire précaire, jugeant que l'objet des dispositions relatives aux permis de construire précaires est d'autoriser, à titre exceptionnel, des constructions temporaires qui, sans respecter l'ensemble de la règlementation d'urbanisme applicable, répondent à une nécessité caractérisée, tenant notamment à des motifs d'ordre économique, social, culturel ou d'aménagement, et ne dérogent pas de manière disproportionnée aux règles d'urbanisme applicables eu égard aux caractéristiques du terrain d'assiette, à la nature de la construction et aux motifs rendant nécessaire le projet. Par une référence assez longue au principe d'égalité il va protéger un régime exceptionnel du droit de l'urbanisme. Il n'était pour une fois pas question pour le Conseil d'Etat de sauver de l'illégalité ou des irrégularités les précieux documents d'urbanisme que délivrent chaque jour les collectivités. La Haute juridiction devait revêtir la casquette de juge constitutionnel et protéger des risques d'annulation une législation entière et dérogatoire au sein du Code de l'urbanisme.

Se posait la question suivante : le législateur a-t-il eu raison de prévoir des cas dérogatoires au sein du Code de l'urbanisme au regard de la précarité du permis délivré ? En expliquant clairement que le permis précaire est un régime en accord avec les grands principes constitutionnels, le Conseil d'Etat balaie les doutes qui pouvaient subsister.

De façon classique, la Haute juridiction reprend alors les conditions désormais balisées de la QPC pour rejeter les trois questions posées, en considérant qu'aucune d'elles ne revêtaient de caractère sérieux. De manière plus surprenante, le Conseil d'Etat s'est attaché à défendre la validité constitutionnelle des dispositions législatives du permis précaire sur le terrain précis du principe d'égalité.

En l'espèce, l'histoire est classique : un maire délivre un permis de construire. Moins de deux mois plus tard, ce dernier est attaqué par la voie de l'excès de pouvoir. Cependant, le permis délivré est un permis précaire qui est, par définition, temporaire. Il s'agissait en l'occurrence de la demande d'implantation d'un chapiteau de cirque dans un square. La société X, qui s'était vue accorder le permis, ne pensait pas que ses démarches administratives devaient la placer d'office dans des démarches contentieuses. L'association de valorisation du quartier introduisit en effet une requête devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation du permis litigieux.

Le 20 novembre 2014, la vice-présidente de la 7ème section du tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande, transmet par ordonnance la requête au Conseil d'Etat en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3). En d'autres termes, la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité est lancée. Elle devait passer le filtre du Conseil d'Etat. Ce dernier a estimé, dans la décision rapportée, qu'il n'y avait cependant pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question qu'il n'a pas jugé nouvelle et ne présentait pas de caractère sérieux.

On aurait pu penser, de manière évidente que les problématiques relatives aux documents d'urbanisme soient cependant plus régulièrement confrontées au droit de propriété. Mais les grandes décisions récentes en la matière ne concernent pas automatiquement ce champ protégé du droit constitutionnel. La constitutionnalité de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4348IXC) concernait d'ailleurs la problématique du droit au recours (1). Il est cependant assez rare que les Hautes juridictions se prononcent sur l'existence même d'une autorisation d'urbanisme, en cela l'arrêt mérite l'attention (2).

Trois questions de constitutionnalité se sont alors posées précisément devant les juges du Palais Royal : les dispositions litigieuses contrevenaient-elles au principe d'égalité, à la Charte de l'environnement, et enfin, posaient-elles un problème de compétence du législateur ?

Cette décision ne marquera pas les juristes par la référence à la Charte de l'environnement, que le Conseil d'Etat évince d'ailleurs rapidement. Il insiste sur le caractère exceptionnel du régime qui justifie à lui seul les dérogations à certaines règles issues du droit de l'environnement. Le Conseil précise, par ailleurs, que le titulaire a dans tous les cas l'obligation de faire procéder à un état descriptif des lieux et à une remise en état du terrain d'assiette. Il balaie ainsi d'un "en tout état de cause" l'éventuel caractère sérieux de la question. C'est également le cas concernant la compétence du législateur en la matière qu'il valide de manière tout aussi lapidaire au regard de ce que lui permet la Constitution concernant, notamment, le principe de libre administration des collectivités territoriales.

L'arrêt, semble, au regard de ces remarques liminaires d'une importance secondaire dans l'histoire des QPC. Pourtant, une question revêtait une importance particulière, sur laquelle le Conseil s'est d'ailleurs attardé. Le permis précaire est temporaire par nature, et le temps est en effet une donnée primordiale dans cette affaire. Si la société X avait déjà depuis longtemps replié son chapiteau, la transmission éventuelle de la question par le Conseil d'Etat pouvait être déterminante pour les nombreux permis précaires qui sont délivrés régulièrement et enfermés logiquement dans des délais de validité.

Le Conseil avait donc entre ses mains une responsabilité de taille : devait-il se charger de dénoncer le régime si particulier des permis précaires, qui constitue, des termes mêmes du Code de l'urbanisme, des exceptions et des dérogations aux dispositions du permis de construire de droit commun ? En d'autres termes, ces entorses assumées du législateur aux règles balisées du droit de l'urbanisme pouvaient-elles perdurer ? Le Conseil d'Etat estime en tout cas que l'angle du principe d'égalité choisi principalement par les requérants l'empêche de trouver un caractère sérieux à la question posée.

Le régime juridique du permis précaire a connu peu d'évolutions. Depuis l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005, relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme (N° Lexbase : L4697HDC), les dispositions législatives en la matière sont réparties au sein de sept articles du Code de l'urbanisme (C. urb., art. L. 433-1 N° Lexbase : L3542HTD à L. 433-7).

Le premier article reste assez laconique, puisqu'il permet d'identifier le permis précaire uniquement par renvoi à d'autres articles : "Une construction n'entrant pas dans le champ d'application de l'article L. 421-5 (N° Lexbase : L8839IMC) et ne satisfaisant pas aux exigences fixées par l'article L. 421-6 (N° Lexbase : L3427HZX) peut exceptionnellement être autorisée à titre précaire dans les conditions fixées par le présent chapitre. Dans ce cas, le permis de construire est soumis à l'ensemble des conditions prévues par les chapitres II à IV du titre II du présent livre". Les six autres articles concernent les modalités du terme du permis de construire, que ce soit en terme de durée et de frais à la charge du titulaire du permis, ou encore concernant les droits réels que pourraient détenir ce dernier.

Il faut donc se référer à l'article L. 421-5 pour cerner les contours du permis précaire et permettre son identification. Ce dernier précise qu'"un décret en Conseil d'Etat arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, par dérogation aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4, sont dispensés de toute formalité au titre du présent code en raison : a) de leur très faible importance ; b) de la faible durée de leur maintien en place ou de leur caractère temporaire compte tenu de l'usage auquel ils sont destinés ; c) du fait qu'ils nécessitent le secret pour des raisons de sûreté ; d) du fait que leur contrôle est exclusivement assuré par une autre autorisation ou une autre législation [...]".

Il est alors assez compliqué de s'y repérer dans la multitude de régimes des permis de construire. Il existe en effet des permis précaires, mais l'article L. 421-5 concerne plus précisément les constructions temporaires et saisonnières (3). Pourtant la frontière est mince entre ces différents qualificatifs qui ne sont pas soumis au même régime. Les constructions listées à l'article L. 421-5 sont dispensées de toutes formalités. Ce qui n'est pas le cas du permis précaire qui rentre dans la catégorie des autorisations d'urbanisme, même s'il déroge sur de nombreux points au permis de droit commun.

Face à cet "urbanisme à la carte" (4), comment faire effectivement respecter le principe d'égalité ? Le principe de l'égalité est envisagé dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel de différentes manières (5). Les Sages sont en effet exigeants aux cas de discriminations expressément interdites par la Constitution (lorsque sont en cause l'origine, le sexe, la race ou la religion), mais plus prudents, lorsque sont constatées des différences de situation de fait ou de droit potentiellement dérogatoires au principe d'égalité. La formule est désormais figée : "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (6). Le Conseil d'Etat avait déjà pu formuler dans sa jurisprudence le même standard jurisprudentiel permettant au pouvoir réglementaire d'adapter sa réglementation sans craindre les foudres de l'annulation contentieuse (7).

En l'espèce, le Conseil, pour éviter de renvoyer la question à la Haute juridiction reprend la même formule et l'applique au cas du permis précaire au regard de l'article 6 de la DDHC (N° Lexbase : L1370A9M). Il va alors appuyer sur le caractère précaire de la situation du titulaire du permis de construire justifiant la différence de situation. Il précise ainsi directement que le titulaire du permis de construire précaire ne bénéfice "d'aucun droit au maintien des constructions autorisées". Cette formule se veut sans détours et affirme la particularité du régime des permis précaires. Elle rappelle implicitement la donnée déterminante justifiant l'existence des permis précaire : leur durée limitée.

Il justifie d'ailleurs le caractère dérogatoire du régime en rappelant que la différence de traitement entre ces deux catégories de titulaires est justifiée par l'objet de la loi qui institue ces autorisations de constructions précaires reprenant ici la formule constitutionnelle. Mais surtout, il insiste sur la rationalité du choix opéré par le législateur en rappelant que les dérogations répondent à une nécessité "caractérisée", qui tient, "notamment", à des motifs qui sont d'ordre économique, social, culturel ou d'aménagement. Le juge précise par ce "notamment", que d'autres motifs encore pourraient être évoqués. En d'autres termes, il s'agit de motifs qui répondent aux impératifs d'intérêt général.

Les dérogations prévues ne sont pas non plus disproportionnées par rapport aux règles d'urbanisme au vu de la nature des constructions ou aux motifs qui justifient son existence. En clair, les différences sont toutes justifiées car nécessaires. Toute construction n'a pas vocation à durer. Le permis de construire précaire constitue une variable d'ajustement satisfaisante au permis de droit commun par son objet et sa durée limitée. La différence de régime est justifiée.

Le juge administratif reprend ensuite les dispositions législatives et fournit les exemples d'encadrement du régime. Il rappelle notamment que la puissance publique peut toujours ordonner avant l'expiration du délai l'enlèvement de la construction et que le titulaire est d'ailleurs débiteur d'une obligation de remise en état du terrain d'assiette. La précarité de la situation du titulaire du permis de construire est alors évidente.

Par ces rappels, le Conseil d'Etat fait logiquement implicitement référence à la jurisprudence administrative récente en la matière. Les juges du fond opèrent un contrôle rigoureux sur les autorisations de permis précaires. La cour administrative d'appel de Versailles avait pu préciser qu'une construction précaire doit se justifier par sa faible durée et sa faible importance (8). Le tribunal administratif de Montreuil avait également imposé une motivation obligatoire de la décision par les autorités compétentes pour le délivrer (9).

Le juge administratif opère donc un contrôle suffisant en la matière sur le caractère exceptionnel, ou non, de l'opération envisagée par les collectivités.

Par cette décision QPC non renvoyée, le Conseil d'Etat valide alors un régime législatif suffisamment abouti, en même temps qu'il valide une politique jurisprudentielle administrative encadrant les potentielles dérives des autorités compétentes. Il ne semble pas uniquement valider un régime législatif au regard du principe d'égalité, il valide surtout un régime contentieux administratif assez construit pour contrôler de manière efficace les différences de traitement résultant de différences de situations de fait ou de droit.

Reste à savoir s'il n'a pas dans ce cas implicitement validé constitutionnellement l'article L. 421-5 unifiant ainsi l'ensemble des constructions précaires ou saisonnières de faible importance... Dans ce cas, l'intégralité des constructions précaires ne craindraient plus les menaces constitutionnelles du moment qu'elles sont raisonnablement encadrées législativement et rigoureusement contrôlées jurisprudentiellement.


(1) Cons. const., décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011 (N° Lexbase : A6178HTY) ; CE 6° s-s., 27 juin 2014, n° 380645, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2884MTY).
(2) Voir cependant Cons. const., décision n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010 (N° Lexbase : A8929E9L), concernant la cession gratuite de terrains.
(3) Il existe également des agréments précaires d'installations : C. urb., art R. 510-11 (N° Lexbase : L8255ICQ).
(4) H. Périnet-Marquet, Permis précaire ou permis dérogatoire ?, Construction-Urbanisme, 2006, étude 21.
(5) Cons. const., décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973 (N° Lexbase : A7901ACM).
(6) Cons. const., décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996 (N° Lexbase : A8342ACX).
(7) CE, 10 mai 1974, n° 88032, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0207AZP), p. 74.
(8) CAA Versailles, 13 novembre 2014, n° 12VE03098.
(9) TA Montreuil, 27 juin 2013, n° 1302200.

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