La lettre juridique n°600 du 5 février 2015 : Avocats/Champ de compétence

[Jurisprudence] Exercice illégal de la profession d'avocat : condition d'habitude non requise

Réf. : Cass. crim., 14 janvier 2015, n° 13-85.868, F-D (N° Lexbase : A4631M9E)

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universtities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

le 17 Mars 2015

Radié de l'Ordre des avocats du barreau de Paris, le prévenu, qui n'avait pas obtenu de réinscription, était poursuivi pour avoir illégalement exercé la profession d'avocat. Par un arrêt infirmatif, la cour d'appel a déclaré le prévenu coupable et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement. Un pourvoi fut formé contre cette décision. Le demandeur à la cassation estimait qu'il était poursuivi pour un fait unique et l'infraction n'était donc pas caractérisée, faute de démontrer le caractère habituel de l'exercice illégal de la profession. La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 14 janvier 2015, rejette le pourvoi : "attendu que pour dire établi le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat, l'arrêt retient que le prévenu, après avoir été suspendu puis radié de l'ordre des avocats, a assisté Mme I., le 21 février 2007 devant le Conseil des prud'hommes dans l'instance opposant celle-ci à l'un des salariés de la société qu'elle dirigeait ; attendu qu'en se prononçant ainsi, et dès lors que, d'une part, le prévenu ne présentait aucune des qualités requises par l'article R. 1453-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0387ITI) pour assister une partie devant le conseil de prud'hommes, d'autre part l'habitude n'est pas un élément constitutif du délit prévu et réprimé par les articles 4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), la cour d'appel a justifié sa décision". Bien qu'elle ne soit pas nouvelle (1), la formulation de cette décision doit retenir l'attention.

Par un premier attendu, la Cour de cassation rapporte la solution des juges du fond exposant deux conditions nécessaires pour établir le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat (I) : le prévenu est dépourvu du titre d'avocat et il exerce des activités réservées à cette profession.

Le deuxième attendu traduit le contrôle réalisé par la Cour de cassation sur la qualification retenue par les juges. D'une part, elle vérifie que le prévenu ne tirait pas d'une disposition spéciale une légitimité pour exercer l'activité litigieuse. D'autre part, la Cour rappelle que la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif du délit (II).

I - Les éléments constitutifs de l'infraction

Selon le premier attendu de la décision rapportée, le délit est établi lorsque les actes relevant du ministère de l'avocat (A) sont accomplis par une personne dépourvue du titre (B).

A - Les actes relevant du ministère de l'avocat

L'exercice illégal de la profession d'avocat est prévu et réprimé par les articles 4 et 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Au terme de la première disposition, "nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation". L'alinéa deuxième précise que "ces dispositions ne font pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires spéciales en vigueur à la date de publication de la présente loi". Cette disposition est complétée par l'article 72 de la même loi aux termes de laquelle "sera puni des peines prévues à l'article 433-17 du Code pénal (N° Lexbase : L9633IEI) quiconque aura, n'étant par régulièrement inscrit au barreau, exercé une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats dans les conditions prévues à l'article 4, sous réserve des conventions internationales". A l'opposé, l'exercice d'activité ne relevant de la sphère protégée des avocats ne permet pas de caractériser l'infraction (2).

La formulation de l'article 4 interdit l'accomplissement, même unique, des actes visés (3) : le délit est donc caractérisé dès le premier acte. Les termes de l'article 72 ne formulent pas de liste aussi précise mais sanctionnent l'exercice d'une ou plusieurs activités réservées (4). Il existe donc entre les deux textes une évolution sémantique de l'"acte", isolé et ponctuel, vers l'"activité", plus diffuse et continue.

B - Le défaut de la qualité d'avocat

A défaut de titre d'avocat, l'exercice des "actes" et "activités" visés par les articles 4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971 caractérise l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat. En conséquence, il faut, mais il suffit, que le prévenu ait été dépourvu de la qualité d'avocat au moment où il a accompli les actes litigieux (5), fut-ce par une radiation temporaire.

Tel était bien le cas en l'espèce : l'avocat avait été radié du barreau de Paris sans obtenir une nouvelle inscription auprès d'un autre barreau. C'est donc dépourvu de la qualité d'avocat qu'il s'était présenté devant le conseil de prud'hommes aux côtés de l'une des parties. Pourtant, il n'entendait visiblement pas rester simple spectateur : il ressortait clairement des éléments de la procédure (6) qu'il avait usé de la qualité d'avocat (7) et entendait agir comme tel.

Relevant que le prévenu avait représenté sa cliente et utilisé le titre d"avocat" les juges du fond avaient déclaré le prévenu coupable d'avoir "sans être régulièrement inscrit au barreau, assisté des parties, postulé ou plaidé devant le Conseil de prud'hommes". Cette solution était critiquée par le pourvoi qui arguait que le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat suppose qu'une personne qui n'est pas régulièrement inscrite au barreau "exerce habituellement une activité réservée au ministère des avocats". Cette démonstration est rejetée par la Cour de cassation.

II - Le rejet de la condition d'habitude par la Cour de cassation

Alors que la cour d'appel avait caractérisé le délit en invoquant les actes de l'article 4 pour caractériser l'infraction, le pourvoi s'appuyait, quant à lui, sur les termes de l'article 72 auxquels il ajoutait la condition d'habitude pour réfuter la qualification du délit.

Selon une jurisprudence ancienne, la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif de l'infraction (8). La règle est reprise en l'espèce rapportée, mais elle n'est formulée qu'après que la cour ait constaté que le prévenu ne présentait aucune des qualités requises par l'article R. 1453-2 du Code du travail (A). Il faut en effet tenir compte des spécificités rédactionnelles des textes dérogatoires à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 : si la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif de l'infraction, il semble néanmoins qu'elle permette d'établir l'élément matériel de l'infraction dans certaines circonstances (B).

A - Le rejet de la condition d'habitude dans les domaines réservés

Selon l'article R. 1453-2 du Code du travail, "les personnes habilitées à assister ou à représenter les parties sont :

1° Les salariés ou les employeurs appartenant à une même branche d'activité ;

2° Les délégués permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariés ;

3° Le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;

4° Les avocats ;

L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement".

Le texte expose donc une liste limitative des personnes susceptibles d'intervenir pour assister ou représenter la partie à l'audience. Différentes catégories "d'habilitation" apparaissent aux côtés des avocats qui ne sont cités qu'en quatrième et dernière position.

Dans l'espèce rapportée, le prévenu aurait pu intervenir sur le fondement de sa qualité d'avocat. Mais il en a été privé par la radiation prononcée par l'ordre des avocats du barreau de Paris. Il ne présentait aucune qualité pour fonder son intervention sur l'une des trois autres hypothèses.

Il en résulte que l'infraction est caractérisée du seul fait que l'individu ait pénétré le périmètre réservé aux avocats. Car c'est bien en cette qualité qu'il s'était présenté et entendait intervenir, comme cela est relevé par les juges du fond et rapporté par la Cour de cassation. C'est la raison pour laquelle l'infraction est caractérisée sans qu'il soit nécessaire d'établir le caractère "habituel" de l'exercice de la profession d'avocat. Le délit est établi par le premier acte d'assistance ou de représentation dès lors que celui-ci relève du domaine protégé des avocats.

B - Le rôle de l'habitude dans la qualification du délit en l'absence de monopole des avocats

La solution de l'espèce rapportée aurait elle été différente si l'audience s'était déroulée devant le tribunal de commerce ? L'article 853 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0828H4G) dispose que "les parties se défendent elles mêmes. Elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix. Le représentant, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial". Il ne s'agit plus de personnes "habilitées", à la différence de l'article R. 1453-2 du Code du travail, et la personne dépourvue du titre d'avocat n'a pas à entrer dans une catégorie définie par le texte. Suffit-il pour autant qu'elle dispose d'un pouvoir spécial pour échapper à la condamnation ?

Dépourvue de la qualité d'avocat, l'individu ne commet pas l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat : l'article 853, en effet, constitue une hypothèse dérogatoire prévue par le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971. La commission d'un fait unique ne suffit donc pas à caractériser le délit. Qu'en est-il cependant lorsque les interventions sont réalisées à titre habituel ? La jurisprudence parait admettre que la faculté pour une partie de se faire assister ou représenter devant le tribunal de commerce par une personne de son choix ne peut avoir pour effet de déroger au principe suivant lequel seuls les avocats peuvent assurer ces fonctions à titre habituel. En conséquence, dans l'hypothèse où la possibilité d'assister ou représenter une partie est largement ouverte, la condition d'habitude serait restaurée et permettrait de caractériser l'infraction (9). A cet égard, la Cour de cassation a précisé que le caractère habituel de l'exercice de l'activité reprochée au prévenu n'est pas établi par la succession, dans une seule et même procédure, de deux interventions lorsque la deuxième est la suite logique de la première (10).


(1) Cass. crim., 5 février 2013, n° 12-81.155, FS-P+B (N° Lexbase : A6410I7K).
(2) TGI Paris, 30ème ch., 13 mars 2014, n° 13248000496 (N° Lexbase : A9855MHH), JCP éd. G., 2014, 578, note Bléry et Teboul.
(3) Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.899, FS-D (N° Lexbase : A7743NAZ).
(4) Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00-83.192 (N° Lexbase : A9294CYU) ; Cass. crim., 18 janvier 2000, n° 98-88.210 (N° Lexbase : A2311CWI).
(5) V. par. ex. Cass. crim., 9 mars 1999, n° 98-84.283 (N° Lexbase : A2006CQD) ; Cass. crim., 13 mars 1996, n° 95-80.223 (N° Lexbase : A4545CS7) ; Cass. crim., 9 juin 1993, n° 92-85.563 (N° Lexbase : A3162CQ8) ; Cass. crim., 18 décembre 1978, n° 76-90.006 (N° Lexbase : A0744CIE).
(6) V. déjà Cass. crim., 5 février 2013, préc., sur la mention de l'assistance en qualité d'avocat dans une ordonnance de référé.
(7) V. également Cass. crim., 18 décembre 1996, n° 96-81.178 (N° Lexbase : A7278CWH).
(8) Cass. crim., 18 décembre 1978, n° 76-90.006 (N° Lexbase : A0744CIE).
(9) Cass. crim., 1er février 2000, n° 99-83.372 (N° Lexbase : A6334CEC).
(10) Cass. crim., 21 octobre 2008, n° 08-82.436, F-PF (N° Lexbase : A1728EBM).

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