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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 26 Février 2014
1 - Présentation du projet ".paris" (intervention de Jean-Philippe Clément, Directeur de projets usages et innovations numériques de la Ville de Paris)
Lorsque en 2008, s'est tenu le symposium de l'ICANN, au cours duquel a été abordée la question d'un round de création de nouveaux noms de domaines, la ville de Paris y a immédiatement vu une opportunité pour résoudre les problèmes relatifs à l'utilisation du terme "Paris" par les noms de domaine en ".com", ".fr", etc., et permettre ainsi aux acteurs, désireux de manifester leur appartenance au territoire parisien, de se concentrer sur leurs marques, tout en mettant de côté les conflits que la ville pouvait avoir avec certains utilisateurs.
La ville de Paris a donc été la première métropole mondiale désignée recevable pour les nouvelles extensions. Depuis, la municipalité travaille à cette phase essentielle de lancement du ".paris". Ce ".paris" est en quelque sorte le symbole de la réconciliation entre l'image de Paris, ville éternelle, et tout l'effort porté sur l'innovation. Cette extension s'inscrit dans la dynamique globale des 1 600 nouveaux gTLDs, et plus particulièrement dans les nouveaux projets dits "géographiques".
Le projet du ".paris" est porteur de valeurs fortes : l'innovation, l'art de vivre, la proximité, le haut de gamme, la solidarité.
Jean-Philippe Clément est venu préciser le calendrier :
- la phase de lancement avec un appel à projets pour sélectionner 100 pionniers qui seront les emblèmes du ".paris", pendant six mois avec une mise en ligne prévue pour mai 2014 ;
- la période de sunrise, qui devrait être ouverte en septembre 2014 pour trois mois ;
- l'ouverture générale prévue à la fin de l'année 2014.
Les cent pionniers sont sélectionnés par rapport à des critères très forts, d'une part, en terme de sens, sur leur apport au projet global du ".paris", d'autre part, en terme de contenus et de services déployés, mais également, sur leur apport financier afin de réamorcer un lancement réussi au moment de la sunrise et de l'ouverture générale. Un projet qui consisterait à rediriger le ".paris" vers le site ".com" ou ".fr" n'aura aucune chance d'être retenu ; la ville de Paris exige la présentation d'un site au contenu original.
L'appel à projet est aujourd'hui clos et l'identité des pionniers du ".paris" sera révélée à la fin du mois de février 2014. Ces pionniers auront beaucoup de visibilité sur différents supports : web, affichage municipal, ainsi que dans tous les évènements ponctuant le lancement du ".paris".
Tous les titulaires de droits qui ont un lien direct ou indirect avec Paris, qui sont de bonne foi, pourront prétendre à un nom de domaine en ".paris".
2 - Les garanties juridiques mises en place dans le cadre du lancement du ".paris" (intervention de Marie Berthelot, AFNIC)
L'AFNIC, registre du ".fr" est partenaire de la ville de Paris sur le projet du ".paris". Afin que les pionniers retenus ne soient pas en conflit avec un droit de marque tiers, des garanties sont mises en place dans le cadre du processus de sélection et par la création d'une procédure spécifique de résolution de conflits.
Dans le cadre de la sélection des cent pionniers, l'AFNIC procède à une analyse des candidatures par rapport aux valeurs de la ville de Paris et aux contenus proposés, analyse complétée par une vérification des droits de propriété intellectuelle invoqués par les candidats à partir des bases de données de propriété intellectuelle et en interaction avec la TMCH. Si des marques identiques existent et si un risque est identifié, le candidat pionnier est évincé. Si aucun risque n'est identifié, la candidature sera retenue. Une short liste des candidats pionniers sera donc publiée et accessible à tous sur le site "www.mondomaine.paris.fr", afin que les ayants-droit puissent, le cas échéant, porter réclamation auprès de l'AFNIC et de la ville de Paris.
Certaines garanties sont prises auprès des candidats pionniers par le biais de la conclusion d'un contrat spécifique entre ces derniers et la ville de Paris, relatif aux contenus qu'ils souhaitent mettre sur leur site. En outre, la ville de Paris a manifesté une vraie volonté de respect des droits de propriété intellectuelle, notamment par la mise en place des IP claims tout au long du lancement et pas seulement sur la phase de sunrise, afin que les ayants-droit puissent réagir rapidement si un nom de domaine en ".paris" porte atteinte à leur droit (cf. infra intervention de la TMCH).
En outre, une procédure de contestation des noms pionniers a été mise en place. Elle se base sur des critères connus :
- le nom de domaine du registrant doit être identique à celui du tiers revendiquant ou prêter à confusion dans l'esprit du consommateur ;
- le candidat pionnier ne doit avoir aucun droit ou aucun intérêt légitime sur le nom de domaine demandé ;
- le pionnier doit être de mauvaise foi.
Il s'agit d'une procédure interne gérée par la ville de Paris accompagnée par l'AFNIC au coût symbolique de 300 euros afin d'éviter un nombre trop important de contestations intempestives. Le contestataire doit prouver qu'il est détenteur d'une marque en France, que son usage est effectif ou connu du grand public et qu'elle a fait l'objet d'un enregistrement avant juillet 2011, date à laquelle l'ICANN a communiqué sur les nouvelles extensions gTLDs. Il est également envisageable qu'un ayant-droit n'invoque pas une marque mais un droit d'usage, un nom de société, de service...
Le contestataire devra également fournir une argumentation sur la mauvaise foi du candidat pionnier : perturbation des opérations commerciales d'un concurrent, empêcher la reprise du nom, profiter de la renommée, semer la confusion dans l'esprit du consommateur...
3 - La Trademark Clearinghouse (intervention des représentantes de Deloitte Belgium)
Dans le cadre de son programme des nouvelles extensions internet (NewgTLDs), l'ICANN a mis en place des mécanismes de protection de droits des marques face à la liberté de dépôt des noms de domaines. Le principe de la Trademark Clearinghouse, connu également sous l'acronyme TMCH, a été validé en 2009 par l'ICANN. A la suite d'un appel d'offre en 2011, la proposition commune de Deloitte Belgique et IBM a été retenue en 2012 pour opérer cette base mondiale de marques enregistrées. Chaque candidat à un NewgTLD s'est engagé à intégrer la TMCH dans son mode de fonctionnement.
La Clearinghouse est un dépositoire de marques vérifiées par Deloitte, par rapport aux sources officielles. Il s'agit d'un mécanisme de protection global ouvert à tous les titulaires de marques, quelle que soit la juridiction où elle est protégée, et quelle que soit la marque en question (marques en alphabet latin, cyrillique, arabe...)
La Clearinghouse est composée de trois entités liées par contrats : Deloitte Belgique qui a gagné l'appel d'offre de l'ICANN, mandataire de ce dernier pour la mise en oeuvre de la Clearinghouse ; IBM, qui fournit la base de données ; et l'ICANN qui sera à terme propriétaire de cette base de donnée globalisée.
Les clients de Deloitte Belgique sont les titulaires de marques ou les agents qui procèdent à l'inscription des marques à la Clearinghouse et les clients de IBM sont les registres de noms de domaines qui auront accès aux informations nécessaires à l'enregistrement d'un nom de domaine.
La Clearinghouse a deux fonctions :
- l'authentification des marques qui lui sont soumises ;
- la création d'une base de données globale fournissant des informations sur les marques aux nouveaux registres gTLDs.
La marque doit être enregistrée et avoir le statut "vérifiée" pour être protégeable. L'enregistrement permet alors d'avoir accès à deux services privilégiés : la période de sunrise et les notifications. Cette protection est limitée aux labels qui sont générés une fois que la marque est soumise dans la Clearinghouse. Ainsi, par exemple lorsque le titulaire de la marque "Deloitte" la soumet à la Clearinghouse, un seul label sera automatiquement généré par le système, celui correspondant à 100 % de la marque, c'est-à-dire, dans notre exemple, "Deloitte". S'il apparaît dans la marque un caractère spécial qui ne peut pas être traduit dans le nom de domaine, par exemple "Deloitte % Deloitte", deux labels seront générés : d'une part, "DeloitteDeloitte", dans lequel est omis le caractère spécial, et d'autre part, "Deloitte-Deloitte", le tiret, caractère pouvant être présenté dans les noms de domaine, venant alors remplacer le caractère spécial. Les labels sont générés automatiquement et ne peuvent pas être manipulés.
- La période de sunrise
Il s'agit d'une période durant laquelle le titulaire de la marque bénéficie d'un enregistrement prioritaire des noms de domaines correspondant à ses labels. Cette période est de minimum 30 jours à partir du lancement de chaque nouvelle extension et tous les registres sont obligés de l'appliquer.
- Les Trademark claims notifications
Il s'agit d'un service d'alerte en cas d'enregistrement d'un nom de domaine correspondant aux labels de la marque pendant un minimum de 90 jours après la clôture de la période de sunrise. Ce service avertit à la fois les candidats à la réservation d'un nom de domaine et les détenteurs de marques commerciales enregistrées dans la TMCH d'infractions potentielles.
Le service fonctionne comme suit :
- les titulaires potentiels d'un nom de domaine reçoivent un avis les avertissant d'une tentative d'enregistrement d'un nom de domaine correspondant au nom de la marque commerciale présent dans la base Trademark Clearinghouse ;
- si, après avoir reçu et accusé réception de cet avis, le titulaire du nom de domaine poursuit la procédure d'enregistrement de nom de domaine, le titulaire d'une marque commerciale similaire sera informé de cet enregistrement, et pourra éventuellement prendre les mesures qu'il juge appropriées.
Ce service est particulièrement important pour la garantie des droits. En effet, dans le cadre d'une procédure judiciaire, le tiers ne pourra pas nier sa responsabilité et arguer qu'il ignorait l'existence de la marque.
- La preuve d'usage (POU)
Si le titulaire opte pour la sunrise, il doit prouver l'usage actuel de la marque c'est-à-dire que la marque est communiquée au consommateur afin de distinguer ses produits ou services de ceux de ses concurrents. La preuve d'usage est relativement simple. Deux documents doivent être fournis : la déclaration d'usage et un échantillon de preuve d'usage (ex. : photo d'un produit sur lequel la marque est mentionnée). A noter que, parmi ces preuves d'usages, la TMCH n'accepte pas la présence de la marque dans un nom de domaine, la mention de la marque dans des échanges privés (emails), les licences de marque (même inclue dans un ensemble contractuel comme un bail), ou encore les cartes de visite. etc. Il est toujours possible de soumettre la preuve d'usage après la vérification de la marque.
- Le Signed Mark Data File (SMD file)
Si le titulaire opte pour le sunrise, que sa marque a été vérifiée et que la preuve d'usage a été dûment rapportée, un fichier est automatiquement généré par le système : le SMD file, fichier crypté qui contient toutes les informations de la marque et qui sera transféré par le titulaire au register. Ce dernier le transfèrera au registré qui pourra vérifier avant l'enregistrement d'un nom de domaine dans son extension qu'il n'y a pas de conflit. Ce fichier est téléchargeable sur l'interface et est généré sur validation de la POU.
- Protection étendue aux abused labels
Nouveauté introduite en octobre 2013, la protection de la marque est étendue aux abused labels, c'est-à-dire les variations de la marque utilisées de mauvaise foi ou de manière frauduleuse dans un nom de domaine et qui ont fait l'objet d'une décision de justice ou URDP ayant reconnu, par exemple, que cette utilisation prête à confusion et porte ainsi atteinte au vrai détenteur de la marque. Il est donc possible d'attacher des abused labels pour les marques vérifiées. Les abused labels ne peuvent pas profiter de la période de sunrise mais le service de notification s'applique. Le nombre d'abused labels est limité à 50 par marque.
Il faut communiquer la décision de justice ou URDP qui a reconnu l'usage frauduleux pour pouvoir attacher la variation litigieuse à la marque.
Selon les représentantes de Deloitte, chaque entreprise doit choisir la stratégie la plus adaptée à ses intentions en matière de gTLDs. Trois stratégies ont été identifiées.
- L'approche proactive
Cette approche est adaptée aux entreprises, titulaires d'un portefeuille de marques, ayant un intérêt à en enregistrer certaines comme noms de domaines dans le but de créer un développement marketing autour de ces marques. Ces entreprises auront dont intérêt à enregistrer la marque à la TMCH et opter pour la sunrise afin d'enregistrer rapidement son nom de domaine et assurer sa présence dans les nouveaux gTLDs.
- L'approche préparée
Elle a pour but d'assurer la simple protection de la marque sans volonté particulière de développement d'une stratégie marketing autour de celle-ci. Le titulaire enregistrera alors sa marque dans la TMCH sans opter pour la sunrise et afin de bénéficier des claims notifications.
- L'approche préventive
Cette approche a pour objet de bloquer de manière préventive des gTLDs négatifs. La marque doit obligatoirement être enregistrée au sein de la TMCH pour obtenir une SMD file. Il faut noter que certains registrars, tels que Donuts, proposent une alternative de blocage, la DPML dans le cas de Donuts. En inscrivant une marque dans la DPML, le titulaire de la marque peut bloquer l'ensemble des noms de domaine reprenant cette marque dans toutes les extensions gérées par Donuts pour une période initiale de 5 ans, renouvelable pour 1 à 10 ans.
Les marques éligibles à la TMCH sont les marques composées de lettres, de numéros et/ou de caractères spéciaux, uniquement. Les marques purement figuratives ne sont pas éligibles. Désormais, sont acceptées les marques comportant des points, sous réserve, toutefois, de limitations et d'exceptions : sont refusées les marques commençant par un point ou celles qui contiennent une extension déjà approuvée par l'ICANN ou sous examen.
Les marques doivent être enregistrées nationalement ou régionalement, ou avoir été validées par une décision judiciaire, ou encore bénéficier d'une protection issue d'une loi ou d'un Traité international (c'est le cas notamment au Canada pour les marques qui désignent un service public, ainsi que pour les AOC).
Ne sont pas éligibles à la TMCH, les marques en cours d'enregistrement, les marques expirées et non renouvelées, avec un bémol, toutefois pour ces dernières, si le titulaire rapporte la preuve qu'il a demandé le renouvellement et qu'il a procédé au paiement. De même, ne sont pas éligibles les marques qui ont fait l'objet d'une procédure de justice d'annulation ou de rectification ayant abouti.
Le titulaire a le choix d'enregistrer sa marque pour 1 an, 3 ans ou 5 ans en fonction de la stratégie des titulaires de marques. L'enregistrement pour 3 ou 5 ans a notamment l'avantage d'assurer une vérification automatique annuelle de la marque sans que le titulaire n'ait de démarche active à effectuer.
Deux catégories de personnes peuvent effectuer l'enregistrement d'une marque.
Il s'agit, tout d'abord, des titulaires de marques qu'ils soient propriétaires, licenciés ou cessionnaires. Pour les licenciés, la TMCH demande une preuve de la licence attestant qu'ils ont bien reçu du titulaire le droit d'utiliser la marque via un formulaire ad hoc téléchargeable sur le site internet de la TMCH.
Peuvent également enregistrer les marques dans la TMCH les agents agissant pour le compte des titulaires. L'avantage de s'enregistrer via un agent est de limiter le risque que la marque soit jugée incorrecte lors de son examen et éviter ainsi le double paiement en cas de marque non dûment corrigée. En effet, lorsque le formulaire n'est pas correctement complété, le déposant a la possibilité de le modifier une seule fois sans frais. Au second refus, la marque est déclarée non-valide et la seule possibilité de l'inscrire dans la TMCH est de la soumettre de nouveau en payant une nouvelle fois les droits (150 euros pour un enregistrement d'un an).
L'enregistrement s'effectue en quatre étapes :
- s'enregistrer en tant que titulaire ou agent ;
- soumettre les informations mentionnées sur le certificat de la marque dans l'interface de la TMCH ;
- effectuer le paiement pour que la marque soit vérifiée ;
- vérification de la marque par les équipes de la TMCH.
A ce stade, soit la marque est validée, soit la marque est incorrecte en raison d'erreurs ou d'informations manquantes. Dans ce dernier cas, le "déposant" a la possibilité de corriger une seule fois son dossier, qui repart alors en vérification dans son intégralité.
Aujourd'hui, environ 19 000 marques ont été en soumises dans la TMCH avec une importante accélération ces derniers mois, en raison de l'imminence de l'ouverture des premiers nouveaux gTLDS. Cela représente 1 290 titulaires de droits. 92 % des marques sont vérifiées ; elles représentent 100 juridictions différentes. La première juridiction qui soumet des marques à la TMCH est les Etats-Unis, suivis par la France (plus de 1 900 marques), puis l'Allemagne et le Royaume-Uni. Les marques n'étant pas en caractères latins sont au nombre de 600 environ.
La TMCH a créé une page spéciale informant sur les différentes périodes de sunrise qui s'ouvrent.
L'enregistrement dans la TMCH permet notamment de se protéger contre le cybersquatting mais aussi de bénéficier d'une priorité d'enregistrement d'un nom de domaine et donc d'une excellente visibilité sur le web.
En outre, comme évoqué précédemment, l'enregistrement dans la TMCH permet de profiter des périodes de sunrise et des notifications pour tous les nouveau gTLDS créés par l'ICANN. Tous les registres doivent, d'ailleurs, appliquer un minimum de 30 jours de sunrise. Enfin en cas de litige, l'enregistrement dans la TMCH accroît les chances d'obtenir une décision favorable.
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