Réf. : Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, art. 99 (N° Lexbase : L7405IYW)
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par Raphaël Bagdassarian, Avocat, Landwell & Associés
le 13 Février 2014
Sans doute a-t-il aussi pâti de certaines incertitudes qui entourent son application.
Le présent article dresse un état des lieux de ces mesures et des incertitudes qu'elles suscitent.
Quel est le champ d'application de ces obligations documentaires ?
En application de l'article L. 13, II du LPF, l'obligation de présentation de la comptabilité analytique s'impose à l'entreprise qui fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité (dont l'avis de vérification lui a été adressé à partir du 1er janvier 2014), qui tient une comptabilité analytique et qui satisfait à certains critères financiers ou d'appartenance à un groupe.
La remise de la comptabilité analytique suppose donc d'abord que l'entreprise ait fait le choix de tenir une comptabilité analytique ce qui, rappelons-le demeure une option, voire une recommandation pour la doctrine administrative, mais qui ne constitue en aucun cas une obligation. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que le caractère incomplet d'une comptabilité analytique ne suffisait pas à démontrer le défaut de sincérité de la comptabilité (CE 7° et 9° s-s-r., 27 mai 1988, n° 47504, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6598AP3).
Ce caractère optionnel est toutefois à relativiser : la tenue d'une comptabilité analytique est, en pratique, très largement répandue pour les grandes entreprises, et a des conséquences tant sur la gestion de l'entreprise que sur le plan comptable et fiscal. L'absence de comptabilité analytique implique le recours à des méthodes exceptionnelles pour l'évaluation de ses stocks. Elle rend impossible l'utilisation de certaines options comptables pour lesquelles l'inscription à l'actif de certaines dépenses est conditionnée (coûts de développement, logiciels créés par l'entreprise). Elle prive l'entreprise de certaines possibilités de justification ou peut entraîner la perte d'opportunités en matière fiscale (création de secteurs distincts d'activité en matière de TVA). Elle permet enfin le choix de certaines méthodes (méthode de l'avancement appliqué aux contrats à long terme).
Cette condition tenant à la tenue d'une comptabilité analytique sera donc satisfaite pour la majorité des grandes entreprises.
La remise de la comptabilité analytique suppose ensuite que l'entreprise qui tient une comptabilité analytique ait, par ailleurs :
- un chiffre d'affaires supérieur à 152,4 millions d'euros lorsque le commerce principal de l'entreprise consiste à vendre des marchandises, objets, fournitures et denrées à emporter ou à consommer sur place ou à fournir le logement ou à 76,2 millions d'euros dans les autres cas (ces entreprises sont celles qui relèvent de la compétence de la DVNI) ; ou
- un montant d'actif brut total égal ou supérieur à 400 millions d'euros à la clôture de l'exercice (ces entreprises sont d'ailleurs également soumises à l'obligation de communication de leur documentation en matière de prix de transfert en cas de contrôle fiscal prévue à l'article L. 13 AA du LPF [LXB= L1053IZZ]) ; ou
- qu'elle appartienne à un groupe économique significatif, ce qui sera considéré être le cas si l'entreprise
(i) détient, à la clôture de l'exercice, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital ou des droits de vote d'une personne morale ou d'un groupement de personnes de droit ou de fait qui satisfait à la condition de seuil de chiffre d'affaires (chiffre d'affaires excédant 152,4 millions d'euros/76,2 millions d'euros) ou du montant total d'actif brut (supérieur à 400 millions d'euros) ; ou
(ii) est détenue, à la clôture de l'exercice, directement ou indirectement, à plus de la moitié de son capital ou de ses droits de vote par une personne morale ou par un groupement de personnes de droit ou de fait qui satisfait à la condition de seuil de chiffres d'affaires (chiffre d'affaires excédant 152,4 millions d'euros/76,2 millions d'euros) ou du montant total d'actif brut (supérieur à 400 millions d'euros) ; ou
(iii) appartient à un groupe d'intégration fiscale (au sens de l'article 223 A du CGI N° Lexbase : L5018IPK) dont l'un des membres au moins est soumis à cette obligation documentaire en raison de son chiffre d'affaires (excédant 152,4 millions d'euros/76,2 millions d'euros) ou du montant total d'actif brut (supérieur à 400 millions d'euros).
En application de l'article L. 13, III du LPF, l'obligation de présentation des comptes consolidés s'impose, quant à elle, à l'ensemble des entreprises tenues d'établir de tels comptes en application de l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L6319AIU), c'est-à-dire aux sociétés commerciales qui contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises ou qui exercent une influence notable sur celles-ci.
Il résulte, à notre avis, de ce texte que seules les sociétés qui établissent des comptes consolidés ("sociétés consolidantes") et qui sont situées en France (en raison de la compétence territoriale de l'administration fiscale) doivent être considérées comme soumises à cette obligation documentaire, à l'exclusion des autres sociétés membres du périmètre de consolidation.
Si ce dispositif semble relativement clair quant à son champ d'application ratione personae, il suscite de nombreuses interrogations quant à l'étendue des informations à présenter en application de chacune de ces deux obligations documentaires.
Quels éléments de la comptabilité analytique présenter ?
L'article L. 13 du LPF fait référence à la remise de la comptabilité analytique mais n'en définit pas le contenu.
Or, la notion de comptabilité analytique n'est définie par aucun texte de portée contraignante qu'il s'agisse du CGI, du Code de commerce ou encore du Plan comptable général ("PCG").
Il faut retourner à la lecture du Plan comptable de 1982 ("PCG82"), pour obtenir une définition, non retenue dans le PCG actuel, de ce qu'il faut entendre par la notion de comptabilité analytique. Celle-ci s'entend d'un mode de traitement des données dont les objectifs essentiels sont :
- d'une part,
(i) de connaître les coûts des différentes fonctions assumées par l'entreprise,
(ii) de déterminer les bases d'évaluation de certains éléments de bilan,
(iii) d'expliquer les résultats en calculant les coûts des produits (biens et services) pour les comparer aux prix de vente correspondants, et
(iv) de construire les tarifs ;
- et d'autre part,
(i) d'établir des prévisions de charges et de produits courants (coûts préétablis et budgets d'exploitation, par exemple), et
(ii) d'en constater la réalisation et expliquer les écarts qui en résultent (contrôle des coûts et budgets, par exemple).
La comptabilité analytique se caractérise ainsi autant par sa finalité, celle de fournir tous les éléments de nature à éclairer les prises de décision de l'entreprise, que par sa très grande liberté de mise en oeuvre et de contenu, liberté renforcée par le caractère optionnel de sa tenue.
Dans un tel contexte, on peut s'interroger sur les éléments de comptabilité analytique à présenter pour se conformer à cette nouvelle obligation documentaire.
Cette incertitude avait déjà été relevée par l'auteur même de l'amendement à l'origine de ces dispositifs dans le cadre de la mission d'information sur l'optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international (juillet 2013) : "je suis très favorable à la proposition relative à la transmission de la comptabilité analytique, mais cette notion est difficile à définir juridiquement. Il s'agit d'une excellente proposition, mais le concept est assez peu connu de notre droit puisqu'il n'apparaît qu'à une reprise dans le code général des impôts. Nous avons rencontré le même problème à l'occasion du projet de loi relatif à la fraude fiscale concernant la déclaration des schémas d'optimisation fiscale, lesquels semblent très difficiles à caractériser juridiquement. Avez-vous pu dépasser ces blocages ? [...]". Notons au passage que le dispositif visant à la déclaration des schémas d'optimisation a précisément été censuré par le Conseil constitutionnel en raison de la trop générale et imprécise définition donnée à la notion de schéma d'optimisation fiscale (décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, considérant 91).
L'exposé des motifs de cette mesure révèle, sans surprise, une lecture extensive de la notion de comptabilité analytique, l'objectif de sa remise étant "d'améliorer la connaissance générale et la compréhension de l'activité des groupes et des grandes entreprises [par l'administration fiscale], notamment dans le cadre du contrôle des prix de transfert. La comptabilité analytique et des comptes consolidés sont, en effet, essentiels pour prendre connaissance des différentes fonctions assumées par l'entreprise et des modalités d'évaluation de certains actifs (stocks, production en cours...) qui interviennent dans la détermination du résultat".
Cette position est également celle du Président de la mission d'information sur l'optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international lequel a répondu à la question précitée "Avez-vous pu dépasser ces blocages ?" de la manière suivante : "la comptabilité analytique n'est effectivement pas normée comme la comptabilité générale. On pourrait cependant envisager la transmission de tout document utile, à partir du moment où de tels documents existent".
Sur cette base, l'administration fiscale pourrait être tentée de prétendre à la présentation de l'exhaustivité des informations comprises dans la comptabilité analytique de l'entreprise vérifiée en ce compris les éléments n'ayant concouru, à aucun niveau, directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux ou à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le CGI.
Il nous semble toutefois que conférer une telle portée à cette nouvelle obligation documentaire excéderait le cadre de la procédure de vérification de comptabilité de l'article L. 13 du LPF, dans laquelle s'inscrit cette nouvelle obligation.
En effet, si la procédure de vérification de comptabilité vise certes à examiner la comptabilité de l'entreprise, rappelons que c'est exclusivement dans le but de la comparer aux déclarations souscrites et ainsi de s'assurer de la sincérité de ces dernières.
Ainsi, en application de cette seconde lecture, seuls les documents de la comptabilité analytique concourant directement ou indirectement à la formation du résultat vérifié ou à justifier de l'exactitude des résultats indiqués, devraient être communiqués à l'administration fiscale.
En cela, cette nouvelle obligation documentaire viendrait compléter le dispositif préexistant de l'article L. 13 du LPF (recodifié à l'article L. 13, I nouveau du LPF), lequel permettait déjà à l'administration fiscale d'obtenir de l'entreprise vérifié la présentation de sa comptabilité générale.
Il est encore difficile de dire quelle interprétation l'emportera sur l'autre. En revanche, il est fort à prévoir que les vérifications à venir feront office de laboratoire d'essai et donneront l'opportunité à l'administration fiscale de tester toutes les limites de cette obligation.
Dans un tel contexte, il n'est possible que d'encourager les entreprises à procéder, dès à présent, à un audit interne de leur comptabilité analytique, afin qu'elles soient en mesure de présenter, dès le début des opérations de vérification, ce qu'elles pourront légitimement considérer comme constituant leur comptabilité analytique.
Quels éléments des comptes consolidés présenter ?
L'énonciation de l'obligation de présentation des comptes consolidés à l'article L. 13, III du LPF ne laisse pas de surprendre lorsque l'on prend conscience que ces derniers (entendus du bilan consolidé, du compte de résultat consolidé et des annexes) sont déjà publiés annuellement et donc disponibles au public.
Faut-il comprendre que l'objectif recherché était d'obtenir également les écritures de consolidation ? On peut comprendre l'intérêt que l'administration fiscale aurait à ainsi prendre connaissance des résultats de l'ensemble des sociétés du périmètre de consolidation, en ce compris les sociétés implantées à l'étranger et ainsi faire l'économie de la procédure parfois longue et contraignante d'échanges de renseignements avec d'autres Etats pour obtenir les informations qu'elle souhaite sur des sociétés étrangères.
Toutefois, sur la base de la rédaction actuelle de l'article L. 13, III du LPF, rien ne permet de considérer que l'administration fiscale soit en mesure de demander les écritures de consolidation.
La portée pratique de cette nouvelle obligation pourrait être très relative, sauf à considérer que l'enjeu initial de ces mesures résidait dans leur sanction dissuasive (5 du chiffre d'affaires) mais qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel.
Quelle sanction ?
Le texte tel que voté par le Parlement prévoyait en effet que le défaut de présentation de comptabilité analytique ou des comptes consolidés était passible de l'amende prévue à l'article 1729 D du CGI (N° Lexbase : L0054IWW) en cas d'infraction à l'obligation de présenter la comptabilité sous forme dématérialisée, i.e. 5 du chiffre d'affaires par exercice contrôlé (en l'absence de rehaussement) ou 5 du chiffre d'affaires rehaussé (en cas de rehaussement), avec application d'un amende minimale de 1 500 euros (CGI, art. 1729 E nouveau N° Lexbase : L0911IZR).
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision 2013-685 DC du 29 décembre 2013, a toutefois censuré ce dispositif, en considérant que "le législateur a, s'agissant d'un manquement à une obligation documentaire, retenu des critères de calcul en proportion du chiffre d'affaires ou du montant des recettes brutes déclaré sans lien avec les infractions et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées" (considérant n° 110).
Le défaut de présentation de comptabilité analytique ou des comptes consolidés est donc sanctionnée par une amende de 1 500 euros, ce qui pourrait sembler bien peu dissuasif pour les entreprises vérifiées au regard des intérêts en jeu.
La question se pose alors de savoir si l'administration fiscale serait fondée à sanctionner le défaut de présentation de comptabilité analytique ou des comptes consolidés sur le terrain de l'opposition à contrôle fiscal (LPF, art. L. 74 N° Lexbase : L0428IYI), laquelle entraîne une évaluation d'office des bases d'imposition et une pénalité de 100 %.
Il ne semble pas possible d'exclure une telle éventualité, même si celle-ci devrait être circonscrite aux hypothèses caractérisées, où le refus de présentation de la comptabilité analytique priverait l'administration fiscale de la possibilité de vérifier l'exactitude des résultats indiqués dans les déclarations ou des éléments participants à la détermination des résultats vérifiés et donc de procéder aux opérations de vérification. Cette sanction devrait, en revanche, être inapplicable s'agissant des comptes consolidés, dès lors que ceux-ci ne concourent pas à la formation du résultat.
Il est, par ailleurs, fort à prévoir que l'anomalie juridique que constitue toujours une obligation sans sanction (dissuasive) sera rapidement corrigée à la faveur d'un prochain texte législatif.
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