La lettre juridique n°556 du 30 janvier 2014 : Éditorial

"statuo ergo sum" : "je légifère donc je suis"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Le ministère est de retour" : c'est à travers cette formule choc que le ministre de la Culture a entendu exposer deux projets de lois, qu'elle souhaite soumettre prochainement au Parlement (l'un sur la création, l'autre sur le patrimoine), après avoir exposé longuement toutes les raisons pour lesquelles elle n'avait rien ou peu proposé les premiers mois de son investiture. Comme à leur habitude, les responsables politiques cèdent, ainsi, au "statuo ergo sum", autrement dit "je légifère donc je suis".

Depuis Thomas d'Aquin, on pensait qu'il n'y avait que la loi éternelle, qui se confond avec le Verbe divin ; la loi naturelle, qui gouverne tous les Hommes et les éléments qui l'entourent ; la loi humaine, qui spécifie la loi naturelle, en vue du bien commun ; et la loi divine, celle enseignée par les religions des Livres sacrés. Ou plus simplement, avec Bastiat, on comprenait que la loi avait pour but de défendre des droits préexistants : "si chaque homme a le droit de défendre, même par la force, sa Personne, sa Liberté, sa Propriété, plusieurs hommes ont le Droit de se concerter, de s'entendre, d'organiser une Force commune pour pourvoir régulièrement à cette défense". La pensée politique du XXIème siècle va plus loin ou précisément dévoie tout : la loi est, dans les faits, un instrument de communication ; un moyen d'attirer l'attention médiatique, au mieux sur un sujet sociétal important, voire sur une cause partisane, mais également parfois sur la seule personne de son auteur.

Et, comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs ? Cette transsubstantiation de la loi en moyen de communication gouvernementale est des plus cohérentes avec l'individualisme radical des sociétés occidentales, et plus singulièrement européennes, de notre siècle.

D'abord, on conviendra du fait que la construction contemporaine de la pensée politique, et par là de la norme, trouve ses racines dans les maux des totalitarismes tout azimut de la première moitié du XXème siècle. Ces derniers avaient comme point commun la communautarisation radicale de la société avec son pendant inhérent : la négation de l'individu. Ces totalitarismes dévoyaient donc le but premier de la loi qui est d'organiser l'association, la compatibilité des droits et libertés des individus en finissant par nier l'individualité, elle-même ; ce à que la loi n'a jamais entendu procéder.

Ensuite, on admettra que, par réaction au tout communautarisme, dont le scepticisme européen n'est que la partie émergée de l'iceberg, s'est développé, avec l'impérialisme de la société libérale, un individualisme politique -à ne pas confondre avec l'égoïsme, puisque dans le même temps les pays européens se dotaient de mécanismes de solidarité performants-. Nietzsche, et avant lui Stiner, l'emportaient ainsi définitivement lorsque les revendications individualistes, frauduleusement dénommées communautaristes d'ailleurs, supplantaient l'intérêt collectif absolu. Et, il n'est point besoin de faire, ici, la liste des nombreuses "lois de circonstance" ou des lois sacrifiant à l'intérêt d'un petit nombre d'individus, pour s'en assurer.

"Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle qui menace l'individualité est une puissance pour soi et au-dessus de Moi, une puissance qui m'est inaccessible, que je peux bien admirer, honorer, respecter, adorer, mais que je ne puis ni dominer ni mettre à profit, parce que devant elle je me résigne et j'abdique. La société est fondée sur ma résignation, mon abnégation, ma lâcheté, que l'on nomme humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa souveraineté". Voilà ce qu'écrivait Stiner, au début du XIXème siècle, pour faire émerger le concept "d'individu authentique". On admettra, dès lors, qu'au siècle de la détestation des idoles, de la défense des libertés individuelles plus que des libertés collectives, et du refus d'une souveraineté étatique à la Big Brother, la loi peine à tenir la corde entre l'association collective et l'aspiration individualiste ; à trop tirer sur les deux bouts, elle finit par rompre et à s'envoler d'un côté. Et, actuellement, force est de constater que les lois en faveur de la cohésion nationale ne sont pas légion. Il n'est pas certain qu'il suffise d'appeler la dernière réforme des retraites, "loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites", pour que cela nous persuade qu'il s'agit bien d'une loi protégeant l'intérêt de tous, même des générations futures... La loi intervient, aujourd'hui, plus en réaction à un évènement (la crise financière, les dérives fiscales frauduleuses), la manifestation d'intérêts individuels (l'ensemble des lois sociétales contemporaines sont ici concernées) quand elles ne sont pas tout simplement empathiques (en réaction émotive à un drame, le plus souvent). Mais de lois d'organisation structurelle, de lois mûrement réfléchies, concertées... il n'y en a que peu ou prou. Ou alors, on aurait tendance à se satisfaire d'une loi d'habilitation pour promulguer des ordonnances sur, rien de moins, que la réforme du droit des contrats, par exemple.

Enfin, pour se convaincre de ce glissement de la loi vers un instrument de communication de l'individualisme radical, il suffit de constater l'escalade des lois de simplification. Plus on communico-légifère, plus il est indispensable d'effacer les strates précédentes. La majorité des lois de simplification ou de réforme ne remet pas en cause des lois séculaires, mais celles qui sont encore au berceau, qui parfois n'ont pas même fait l'objet d'une application. C'est que les campagnes de communication n'ont pas pour essence de rester dans l'inconscient collectif : la loi si. D'où, inexorablement, la contrariété fondamentale à vouloir faire de la loi un instrument d'existence médiatique...

Alors, oui, il n'est pas inintéressant que le Conseil d'Etat remette à l'honneur, dans ses dernières décisions, "la cohésion nationale", pour rappeler que la loi est à son service.

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