La lettre juridique n°424 du 20 janvier 2011

La lettre juridique - Édition n°424

Éditorial

Piraterie : quand la globalisation lève l'ambiguïté et achève le mythe

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N1598BRM

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Les mythes ont la vie dure. Voyez celui de la piraterie qui, de manière romantique et sur la base d'une littérature romanesque pléthorique, ressuscite à chaque enfance ; ce mythe, qui conduit mon fils aîné de cinq ans à systématiquement préférer les flibustiers ciliciens à la flotte romaine, même si dans l'Histoire, c'est Pompée qui triompha. Inconsciemment c'est que l'enfant décèle, à travers ces bandits des hautes mers, un espace de liberté, une zone de non- droit, l'archétype de la loi du plus fort teintée, toutefois, d'une certaine morale, puisque le destin funèbre de ces héros fait partie intégrante du mythe qui les entoure. Laissons, dès lors, les enfants loin de la littérature juridique propre à briser leurs fantasmes marins ; elle casserait leur capacité d'évasion et de rébellion. Il sera grand temps, plus tard, de leur expliquer pourquoi les "grands" ont, par un beau matin du 5 janvier 2011, du moins en France, décidé d'achever le mythe, en adoptant une loi relative à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'Etat en mer, chargée, notamment, d'adapter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée le 10 décembre 1982, dite de "Montego Bay". Allez donc leur expliquer que dans un monde marchand global, les Etats ne peuvent pas admettre que leur autorité ne couvre pas les mers et que leur commerce puisse être aujourd'hui, comme hier, mis en péril par quelques trublions sans foi, ni loi.

90 % du commerce mondial s'achemine par voie maritime ; la majorité des affréteurs sont des sociétés ou des Etats occidentaux ; la durée des affrètements oblige les navires à transporter, outre leurs cargaisons, des dollars sonnants et trébuchants pour la paye des marins, le paiement des octrois et autres droits portuaires... Il n'en faut pas plus pour susciter l'envie de ces populations pauvres de la mer de Chine méridionale, du long des côtes de l'Amérique du Sud, du golfe d'Aden, de la mer Rouge, des côtes de la Somalie, du golfe de Guinée et, toujours et encore, de la mer des Caraïbes... pour s'adonner à la flibusterie de bas étage. Selon le Bureau maritime international, plus de 4 000 actes de piraterie ont été enregistrés durant les vingt dernières années ; et si l'on comptait 209 attaques et tentatives durant la période 1994-1999, ce n'est pas moins de 2 463 actes de piraterie qui ont été dénombrés entre 2000 et fin 2006 : l'augmentation est suffisamment exponentielle pour que les instances internationales réagissent fermement et décident, une fois pour toutes, de démythifier la piraterie, levant, enfin, l'ambiguïté historique dont elle pouvait bénéficier jusqu'alors.

La piraterie constitue, en effet, l'un des actes les plus problématiques sur le plan juridique. Il s'agit d'une notion complexe dont il est difficile de donner une définition précise et son caractère interétatique, entraînant une pluralité de compétences, n'a jamais aidé à l'appréhension des malfaiteurs au pied marin. Aujourd'hui, la loi comble un vide juridique et définit la piraterie dans le droit français, permettant aux tribunaux nationaux d'en juger (avec une compétence quasi-universelle), et habilite les forces armées pour intervenir avant ou pendant les faits (notamment pour appréhender les commanditaires). Elle définit, ensuite, les conditions dans lesquelles les pirates présumés pourront être consignés (durée reconductible de rétention, examen de santé, etc.) et porte la peine de vingt à trente ans de réclusion criminelle en cas de détournement de navire commis en bande organisée.

On entend par piraterie tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer ; contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat. La définition internationale de la piraterie issue de l'article 101 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, condamne, également, les commanditaires de ces actes illicites, mettant fin au clivage pirates/corsaires, dont les lettres de marque permettaient aux derniers d'accomplir les mêmes exactions ou presque, sous le sceau, et donc le blanc seing, des Etats commanditaires. Terminé le syndrome "Henry Morgan" qui, en temps de guerre, offrait ses services et une partie des fruits de ses rapines à l'Angleterre, pour battre pavillon noir en temps de paix et arpenter les mers des caraïbes, le Code de la piraterie à la main, comme pour en légaliser les exactions. Cruel pilleur, adepte de la torture, emprisonné en 1672 par le Gouvernement anglais, fait chevalier par Charles II en 1674, le flibustier de Port Royal est l'exemple topique de la complexité de l'appréhension de la piraterie dans le concert international, enjeu de toutes les stratégies pour déstabiliser l'ennemi, hier l'Espagne, aujourd'hui les Etats souverains et les gouvernements en place.

En effet, la désincarnation de la piraterie -adieu les Barbe noire, les Barberousse, les Francis Drake et autre Rackham le rouge- a grandement participé à sa démythification. Désormais, ce sont les gangs internationaux, avatars des mafias et triades, qui gèrent le "business" de la rapine en haute mer, au mépris de l'autorité territoriale des Etats et des intérêts commerciaux en présence, marquant, ainsi, l'ère de la piraterie moderne globalisée. Par conséquent, la réponse des Etats ne pouvait être que mondiale et unanime ; et il n'est donc pas surprenant que la piraterie relève de la juridiction universelle, chaque Etat s'arrogeant le droit d'en découdre avec le crime maritime organisé. La loi reconnaît aux juridictions françaises "une compétence quasi universelle pour juger des actes de piraterie commis hors de France, quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes", lorsque les pirates sont appréhendés par des agents français. Jadis, les Etats souverains considéraient comme hosti humanis generis (crimes contre l'humanité) la piraterie ; l'expression est lourde de sens, à la lumière des crimes du XXème siècle, mais elle exprime le sentiment exacerbé des Etats souverains vis-à-vis de la piraterie, depuis le Ier siècle avant J.-C..

Désormais, la Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies n° 1918, adoptée à l'unanimité en avril 2010, demandant à tous les Etats d'"ériger la piraterie en infraction pénale dans leur droit interne, [d'] envisager favorablement de poursuivre les personnes soupçonnées de piraterie qui ont été appréhendées au large des côtes somaliennes et de [les] incarcérer", est une réalité juridique, en France.

Reste que la loi établit un régime sui generis adapté pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer, au-delà des seuls actes de piraterie, prévoyant la possibilité d'une privation de liberté des membres de l'équipage lors du déroutement d'un navire intercepté, expressément prévue, précisément définie et encadrée par un régime offrant une protection adéquate contre les atteintes arbitraires au droit à la liberté, afin que la France se conforme aux griefs retenus par la Cour européenne des droits de l'Homme, dans l'arrêt "Medvedyev" du 10 juillet 2008 -le syndrome de la garde à vue à la française anti-conventionnelle et anti-constitutionnelle est dans tous les esprits-. Dans De officiis, Cicéron avait beau déclarer les pirates communis hostis omnium, "ennemis communs à tous", échappant aux catégories habituelles du droit et envers lesquels les Etats n'étaient tenus au respect d'aucun devoir, les normes internationales obligent, tout de même, l'Etat de droit et tirent un trait sur la guerre de course ou la loi du talion maritime, pour encadrer, au plus juste, et dans le respect des droits et libertés fondamentaux, l'appréhension de ces pirates des temps modernes qui n'ont, décidément, plus rien de romantique.

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Avocats

[Questions à...] Le collectif "Avocats de combat" - Questions à Maître David Koubbi, avocat à la cour

Lecture: 6 min

N1638BR4

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 24 Janvier 2011

Avocat au barreau de Paris, Maître David Koubbi, associé co-fondateur du Cabinet 28 octobre, a créé un collectif dont l'objet est de faire travailler ensemble des avocats sur des dossiers qui impliquent la défense d'un intérêt supérieur qui aurait été bafoué. Si l'on s'en réfère au portrait que Le Nouvel économiste dresse de lui, il "est devenu le combattant des lynchages médiatiques et judiciaires en tout genre". Lexbase Hebdo - édition professions vous propose cette semaine de revenir avec lui sur le collectif "Avocats de combat". Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le collectif ? Quel a été l'élément déclencheur de sa création ?

David Koubbi : L'impulsion qui a conduit à  la création d'Avocats de combat a plusieurs sources. Tout d'abord, beaucoup de nos cabinets, pour ne pas dire tous, travaillent sur des sujets qui ne donnent pas ou peu lieu à facturation. Il s'agit de dossiers dits pro bono. Quasi systématiquement, nous avons à nous intéresser aux conséquences induites par un dysfonctionnement et, compte tenu de la nature même de ces dossiers, tout autant que des conditions attachées à leur traitement, nous ne pouvons le plus souvent pas nous intéresser à leurs causes.

La question est simple : sommes-nous, en notre qualité d'avocats, en notre qualité d'adversaires quasi "génétiques", capables de travailler ensemble lorsqu'un intérêt supérieur est bafoué, lorsque l'équité est manifestement malmenée, lorsqu'une entité économique, industrielle ou gouvernementale par exemple, entend imposer une décision qui nuit à ceux qui auront à la subir.

J'ai téléphoné à certains de mes confrères contre lesquels j'ai eu à travailler au cours des dix dernières années et dont les qualités professionnelles, humaines, et la pugnacité qu'ils avaient développée, ne m'avaient pas échappé. Je leur ai proposé de participer à ce projet en précisant qu'il conviendrait d'inventer la suite ensemble. Tous ont dit oui.

Avocats de combat n'est pas structuré hiérarchiquement, tous les avocats qui nous rejoignent ont les mêmes obligations et prérogatives.

Lexbase : Comment les avocats membres du collectif vont-ils travailler ?

David Koubbi : Il s'agit de structurer ce qui existe déjà. Les plus jeunes ont toujours demandé conseil auprès de leurs aînés, les moins spécialisés auprès de ceux qui maîtrisent tel ou tel point d'une matière ciblée...

Dans les prochaines semaines, notre site internet sera en ligne et chacun d'entre nous sera en mesure d'inviter ses confrères à participer à l'un des combats qu'il mène ou qu'il mènera à l'avenir. Aucun d'entre nous ne communique sur les combats des autres, sauf à ce que cela soit proposé. Chacun assume la responsabilité pleine et entière des contentieux qu'il mène et des stratégies qu'il retient et bénéficie d'un moyen efficace de les affiner et d'obtenir l'aide des membres avocats d'Avocats de combat quand il en ressent le besoin.

L'objectif est d'échanger autour des dossiers éligibles à un traitement par Avocats de combat, de partager des expériences, de la documentation et de mener simultanément plusieurs actions sur le territoire national contre un même adversaire.

Nous avons à coeur de respecter scrupuleusement les règles qui régissent notre Ordre et y ajoutons, à titre de principe de fonctionnement, que nous demanderons à la partie adverse amiablement de faire ce qu'elle doit une fois, mais une fois seulement.

L'un des objectifs demeure la création d'un regroupement d'avocats dont la voie sera mieux entendue que celle d'un avocat isolé. Les avocats qui nous rejoignent ont fait montre de leur capacité à défendre et à attaquer, de leur goût pour le combat et de leur faciliter à mobiliser des médias autour de causes ou d'affaires dans lesquelles ils ont eu à diligenter lorsque cela est nécessaire.

Que fera un adversaire lorsque il recevra une lettre d'un avocat membre d'Avocats de combat et qu'en allant sur notre site, il constatera qu'aux côtés de celui qui lui écrit, travaillent une cinquantaine ou une centaine d'avocats parmi les plus pugnaces et les plus efficaces ? Si ce qui est demandé à cet adversaire est conforme au droit et à l'équité, il me semble que son intérêt sera de ne pas aller au-delà.

Lexbase : Quels sont les types d'actions menées par Avocats de combat ?

David Koubbi : Les diligences accomplies jusqu'ici au service des familles adoptantes en Haïti pour parvenir à faire rentrer les orphelins dont la procédure d'adoption avait débuté avant le séisme ont été accomplies selon les principes de fonctionnement d'Avocats de combat. Lorsqu'il s'est agi de s'opposer à Monsieur Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères en exercice, de lui faire signifier une sommation par huissier d'avoir à rapatrier les enfants, je voyais bien que mon influence, en tant qu'avocat à la cour de Paris, même épaulé par mon cabinet, mes associés Céline Lemoux et Benoît Pruvost, serait moindre si nous demeurions isolés. J'ai donc demandé l'aide de certains confrères qui ont accepté de me l'apporter.

A la suite de notre déplacement en Haïti, en juillet dernier, à l'occasion duquel nous avons négocié avec les plus hautes instances locales, nous organisons une vente aux enchères publique de plus de 80 oeuvres d'artistes contemporains au profit des habitants du camps de déplacés du "Champs de Mars", cette vente aura lieu le 7 février prochain à 19 heures à Drouot-Montaingne sous le marteau de Maîtres Delettrez et Cornette de Saint Cyr. Nous retournerons sur place pour nous assurer que les fonds seront correctement dépensés pour offrir aux habitants ce qui leur fait défaut.

Nous travaillons également, comme vous le savez, contre le constructeur Renault qui s'obstine à appeler pour la troisième fois l'un de ses modèles par un prénom, alors qu'il n'ignore rien des conséquences que cela emporte sur les enfants concernés et sur leurs familles (1). Ce constructeur avait pris un engagement écrit de ne pas appeler son prochain modèle "Zoé" lorsqu'il répondait en 2005 aux familles qui s'en plaignaient. Nous sommes là pour rappeler à Renault ce qui a été écrit. Plusieurs actions seront menées partout où cela sera possible pour que Renault se rende à l'évidence : les prénoms sont pour les humains. Lors du référé que nous avons eu à plaider, la marque au losange a développé que "Zoé" n'était pas un prénom après que son prestataire a pourtant déclaré "nous utilisons ce prénom pour donner un côté sympathique à cette voiture électrique afin de compenser certaines performances réduites du véhicule". De qui se moque-t-on ? Evidemment que Renault a souhaité utiliser un prénom. Nous entendons bien que le processus industriel est très avancé et que cela pose une difficulté à la marque de revenir en arrière mais en quoi cela concerne-t-il les familles concernées ? Lorsque que vous êtes dans la situation d'un parent qui voit une voiture nommée comme votre propre enfant et qu'on vous explique que ce prénom est utilisé pour "compenser certaines performances réduites" du produit qui va porter le prénom de votre fils ou de votre fille, il y a de quoi s'interroger sur le fonctionnement des services marketing de certaines entreprises... Si la question est : il y a-t-il une limite à ne pas dépasser pour générer du chiffre d'affaires, la réponse, pour nous, est clairement oui. J'imagine que Renault a fait le pari que les gens ne se fédèreraient pas, c'était une erreur.

Plus largement, il y a des sujets de société, des décisions qui sont prises et qui sont destinées à s'appliquer au plus grand nombre qui passent à travers les mailles du filet judiciaire. C'est intolérable dans une société comme la nôtre. Notre rôle doit être, en guise de dernier rempart, de faire en sorte que face à une injustice (je n'ai pas de difficulté à utiliser ce mot), la voix des personnes concernées soit entendue. Nous allons nous intéresser très particulièrement à ce qui assombrit la vie de nos concitoyens et qu'on leur sert comme une fatalité, alors même que nos règles de droit permettent le plus souvent qu'il en soit autrement. Cette formation qui regroupe plusieurs avocats existe désormais et il ne s'agit pas d'attaquer sans discernement ou de s'opposer à tout et n'importe quoi. Certains confrères s'intéressent aux opérateurs de téléphonie mobile, pendant que d'autres réfléchissent aux actions qu'il conviendra de mener contre des organismes de crédit dès lors que ceux qui pratiquent cette matière sont souvent confrontés aux mêmes problématiques. Il s'agira de s'attaquer aux causes.

Nous croyons sincèrement que c'est ce que nous avons à faire. La suite nous dira si nous avions raison...


(1) Sur ce sujet lire, Affaire "Zoé Renault" : droits et libertés fondamentaux versus liberté du commerce - Questions à David Koubbi et Julien Dami Le Coz, Avocats à la cour, Cabinet 28 octobre, Lexbase Hebdo n° 421 du 16 décembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N8463BQI).

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Avocats/Honoraires

[Chronique] Chronique d'actualité relative aux honoraires d'avocat - Janvier 2011

Lecture: 12 min

N1572BRN

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par Samantha Gruosso, avocat au barreau de Paris

Le 03 Mars 2011

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité relative aux honoraires d'avocat, rédigée par Samantha Gruosso, avocat au barreau de Paris. Trois intéressantes décisions y sont mises en évidence. La première, rendue par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, énonce que les sommes perçues par l'avocat agent sportif ne sont pas des honoraires (CA Aix-en-Provence, 10 novembre 2010, n° 10/10213). La deuxième actualité retenue par l'auteur de cette chronique opère un rappel des caractéristiques du débiteur des honoraires (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 09-15.642, FP-D). Enfin, l'auteur s'est arrêté sur un arrêt de la cour d'appel de Grenoble, en date du 15 novembre 2010, portant sur la fixation d'un montant minimum de rétrocessions d'honoraires par l'Ordre des avocats de Grenoble (CA Grenoble, 15 novembre 2010, n° 10/01390).
  • Avocat agent sportif : les sommes perçues ne sont pas des honoraires (CA Aix-en-Provence, 10 novembre 2010, n° 10/10213 N° Lexbase : A5293GKA)

La compétence du Bâtonnier statuant sur les litiges relatifs aux honoraires des avocats est liée par la qualité même d'honoraire des sommes en cause. Tel est le principe rappelé aux termes de l'arrêt rendu par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 10 novembre 2010.

En effet, en matière de recouvrement d'honoraires, il existe une procédure spéciale prévue aux articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 qui ne s'applique qu'aux contestations relatives à la fixation et au recouvrement des honoraires d'avocats.

Ainsi, la procédure spéciale prévue par le décret ne s'applique qu'au recouvrement des honoraires d'un avocat à l'encontre de son client à l'exclusion de toute autre forme de recouvrement.

La jurisprudence est d'ailleurs parfaitement établie en la matière.

Ainsi, le Bâtonnier de l'Ordre de avocats est incompétent pour statuer sur une demande de dommages et intérêts en réparation des sommes versées (TGI Paris, 20 décembre 2006, n° 2005/10350), ou encore en matière de restitution d'une somme d'argent versée au titre d'une participation au capital d'une société de gestion de portefeuille dont le projet n'a pas abouti. (CA Paris, Pôle 1, 4ème ch., 12 mars 2010, n° 09/22472 N° Lexbase : A0165EUN).

En l'espèce, il s'agissait de la rémunération sous forme de commissions forfaitaires d'un avocat ayant agi en qualité d'agent sportif.

Un club sportif a formé un recours en date du 1er juin 2010 contre une décision rendue le 3 mai 2010 par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Grasse fixant à la somme de 60 996 euros TTC les honoraires dus à Maître G. sur le fondement de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L7571AHU).

Il ressort des explications des parties que Maître G. a agi en qualité d'agent sportif ayant à ce titre un mandat de recherche des joueurs pour le stade Aurillacois.

Dans le cadre de ce contrat d'agent, le club s'est engagé à verser à Maître G. une commission forfaitaire de 5 000 euros après l'engagement du joueur considéré comme le résultat de la mission de l'agent.

Le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en se fondant sur les articles 174 du décret 27 novembre 1991 et 10 de la loi du 31 décembre 1971, a réformé la décision rendue par le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Grasse aux motifs que "les sommes facturées par Maître G. ne sont pas des honoraires au sens de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 mais des commissions".

Ainsi, en cas de contestations lesdites commissions relèvent exclusivement de la compétence de la juridiction de droit commun, celles-ci ne revêtant pas la qualité d'honoraires.

Enfin, aux termes de la décision rendue en date du 10 novembre 2010, le premier président de la cour d'appel vient donner deux précisions importantes.

La première précision tient au caractère illicite desdites commissions si elles avaient pu être considérées comme des honoraires dans la mesure où, dans ce cas, la fixation de l'honoraire repose exclusivement sur le résultat, en l'espèce sur l'engagement du joueur.

Or, l'article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1991 prohibe expressément toute fixation d'honoraires qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire également dénommée "pacte de quota litis".

La seconde précision tient à l'incompétence du juge de l'honoraire pour se prononcer sur la compatibilité de la profession d'agent sportif avec celle de l'avocat au regard des dispositions de l'article 111 du décret du 27 novembre 1991.

Or, conformément audit article, "la profession d'avocat est incompatible :
a) Avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée".

  • Caractéristiques du débiteur des honoraires (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 09-15.642, FP-D N° Lexbase : A8990GG3)

Au-delà des questions juridiques posées sur les dossiers, le client est au coeur des préoccupations de l'avocat.

Il est essentiel pour l'avocat d'identifier son client.

Il ne suffit pas que l'avocat ait reçu mandat d'intervenir dans le domaine juridique ou judiciaire ; il lui faut vérifier que la mission qui lui est confiée émane effectivement de la personne physique ou morale qu'il va assister.

S'il est saisi par l'intermédiaire d'un tiers déclarant agir pour le compte du client, il importe qu'il s'assure de l'accord de son mandant ou des pouvoirs du mandataire (de la personne morale, par exemple).

Si ce tiers est un auxiliaire de justice, il lui appartiendra au moins d'obtenir les renseignements sur l'identité du client.

En s'abstenant de procéder à cette vérification, l'avocat encourt plusieurs risques :

- un désaveu sur le principe ou l'étendue de sa mission ;

- une responsabilité professionnelle et/ou déontologique ;

- une absence de relation confiante et confidentielle qui s'impose entre l'avocat et le client, un conflit d'intérêts pouvant alors se révéler ;

- de très sérieuses difficultés sur le plan de la rémunération du travail accompli.

Le défaut de vérification de l'identité du client pose également des difficultés dans le cadre de l'établissement de la note d'honoraires. En effet :

- l'établissement d'une facturation au nom d'un tiers pourrait créer, suivant le cas, le risque de se voir reprocher un faux en écritures, une complicité d'abus de bien social, de banqueroute ou de blanchiment d'argent ;

- en cas de litige d'honoraires ayant pour base une contestation sur l'existence du mandat confié à l'avocat, seule une juridiction de droit commun est habilitée à interpréter la relation contractuelle, le Bâtonnier n'ayant compétence que pour fixer le montant des honoraires (Cass. civ. 2, 8 septembre 2005, n° 04-10.553, FS-P+B N° Lexbase : A4475DKX ; Cass. com., 24 janvier 2006, n° 02-20.095, F-P+B N° Lexbase : A5636DMP) ;

- si un tiers s'est porté ducroire des honoraires dus par le client, le Bâtonnier ne peut fixer les honoraires qu'à l'égard du client et doit se déclarer incompétent au profit d'une juridiction de droit commun pour qu'il soit statué à l'égard du tiers (CA Paris, 4 octobre 1994, n° 94/45337).

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 10 novembre 2010, revient sur les caractéristiques du débiteur des honoraires réclamés, et plus précisément sur les vérifications de son identité en indiquant que celui-ci est la personne qui "avait seule consulté l'avocat et l'avait investi d'un mandat de représentation et d'assistance, qui avait seule discuté le montant des honoraires réclamés par cet avocat et avait en son seul nom propre sollicité l'indemnisation de son préjudice".

En l'espèce, Madame D. a formé un pourvoi à l'encontre de l'ordonnance rendue le 27 février 2009 par le premier président de la cour d'appel de Paris ayant fixé à la somme de 1 350 euros le total des honoraires dus à Maître E..

La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi deux moyens de cassation.

Aux termes du premier moyen, se fondant sur les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 relatifs aux contestations relatives au montant des honoraires et au recouvrement des honoraires d'avocat, Madame D. fait grief à l'ordonnance de rejeter l'exception de nullité de la décision du Bâtonnier et d'incompétence de ce dernier ainsi que du premier président lui-même, dans la mesure où elle n'agissait qu'en qualité de mandataire de sa mère Madame V. et n'était pas la cliente de Maître E. et par la même débitrice des honoraires réclamés par celui-ci.

Or, la Cour de cassation indique, aux termes de l'arrêt rendu le 10 novembre 2010, que l'ordonnance rendue le 27 février 2009 par la cour d'appel de Paris a retenu que Madame D. a le 24 juillet 2007 pris rendez-vous avec Maître E. pour le 25 juillet 2007.

En vue de ce rendez-vous, elle lui a adressé une lettre de dix pages contenant un résumé relatif à un contentieux pendant devant la cour d'appel d'Orléans qui implique sa mère, Madame V..

Madame D. indique également expressément dans cette lettre "donner tout pouvoir d'agir en son nom auprès des avocats et des avoués, dans une procédure extrêmement difficile et complexe concernant la succession de son compagnon" ajoutant "c'est dans ces conditions, que je m'adresse à vous pour une consultation et voir si vous pouvez vous occuper de cette affaire".

De surcroît, Madame D. n'a jamais contesté devant le Bâtonnier sa qualité de cliente de Maître E. ainsi que cela ressort des écritures présentées en son nom par lesquelles elle a sollicité à titre reconventionnel la réduction des honoraires de Maître E., sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de procédure.

Dans ces conditions, Madame D. ne peut valablement contester sa qualité de débiteur des honoraires réclamés par Maître E. dans la mesure où elle a été la seule interlocutrice et correspondante de celui-ci et que la mission confiée à Maître E. émane expressément de celle-ci.

Par conséquent, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que le premier moyen soulevé par Madame D. n'était pas fondé.

Madame D. a également soulevé un second moyen faisant grief à l'ordonnance rendue d'avoir fixé à la somme de 1 350 euros HT le total des honoraires dus à Maître E .

Celle-ci soutient sur le fondement de l'article 10 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 et l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) ne pas avoir été informée par Maître E. des conditions de fixation de ses honoraires.

La deuxième chambre civile rejette ce moyen aux motifs que "[il] ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve par le premier président, qui sans méconnaître l'objet du litige et par une décision motivée répondant aux conclusions, a pu en déduire que les diligences accomplies par l'avocat pour le compte de sa cliente justifiaient l'honoraire total qu'il a évalué".

  • Rétrocessions d'honoraires des avocats collaborateurs : vers une fixation d'un montant minimum par les ordres ? (CA Grenoble, 15 novembre 2010, n° 10/01390 N° Lexbase : A9728GI7)

Le mode usuel de la rémunération du collaborateur libéral est la rétrocession d'honoraires.

Toutefois, un minimum garanti de rétrocession peut être fixé conformément à l'article 129 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat. Cet article dispose, en effet, que : "les conditions de la collaboration sont convenues par les parties dans le cadre qui est déterminé par le règlement intérieur du barreau en ce qui concerne notamment la durée de la collaboration, les périodes d'activité ou de congé, les modalités de la rétrocession d'honoraires et celles dans lesquelles l'avocat collaborateur peut satisfaire à sa clientèle personnelle ainsi que les modalités de la cessation de la collaboration. Le règlement intérieur (N° Lexbase : L4063IP8) peut comporter un barème des rétrocessions d'honoraires minimales".

Pendant ses deux premières années d'exercice professionnel, l'avocat collaborateur libéral doit recevoir une rétrocession d'honoraires qui ne peut être inférieure au minimum fixé par le conseil de l'Ordre du barreau dont il dépend.

Le règlement intérieur national prévoit, en effet, en son article P.14.3.0.1 un revenu minimum des collaborateurs pendant les deux premières années d'exercice professionnel.

Cet article est applicable depuis le 1er octobre 2008 (article crée en séance du conseil de l'Ordre du 20 mai 2008 ; cf. Bull. Barreau de Paris, 27 mai 2008, n° 21).

"En application des dispositions de l'article 14-3, pendant sa première année d'exercice professionnel, l'avocat collaborateur libéral qui exerce à Paris doit recevoir une rétrocession d'honoraires qui ne peut être inférieure, pour un temps plein à 90 % du plafond mensuel de la Sécurité sociale arrondi à la centaine d'euros immédiatement supérieure.
Pendant sa deuxième année d'exercice professionnel l'avocat collaborateur libéral qui exerce à Paris doit recevoir une rétrocession d'honoraires mensuelle qui ne peut être inférieure, pour un temps plein, au plafond de Sécurité sociale arrondi à la centaine d'euros immédiatement supérieure".

Deux autres aliénas ont été créés en séance du conseil de l'Ordre du 3 juin 2008 concernant la collaboration libérale à temps partiel (cf. Bull. Barreau de Paris du 25 juin 2008, n° 23).

"Le collaborateur libéral qui exerce à temps partiel quatre jours par semaine doit recevoir une rétrocession qui ne peut être inférieure aux 4/5ème des minima prévus aux deux premiers alinéas du présent article.
Le collaborateur libéral qui exerce à temps partiel moins de quatre jours par semaine doit recevoir une rétrocession qui ne peut être inférieure au prorata des minima prévus aux deux premiers alinéas du présent article après qu'ils ont été majorés de 15 %".

Dans un arrêt rendu le 15 novembre 2010, la première chambre civile de la cour d'appel de Grenoble vient rappeler la possibilité pour les Ordres des avocats de fixer, conformément à l'article 129 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, un minimum garanti de rétrocession pour le collaborateur libéral et se prononce expressément en faveur de la fixation par les Ordres du montant minimum des rétrocessions d'honoraires des avocats collaborateurs.

En l'espèce, par une délibération du 11 janvier 2010, le conseil de l'Ordre des avocats de Grenoble a décidé d'augmenter le montant de la rétrocession d'honoraires des avocats collaborateurs libéraux de première année fixée à 1 800 euros par mois et de la porter à 2 300 euros par mois.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 mars 2010, plusieurs avocats grenoblois ont formé un recours contre cette délibération.

La Fédération nationale des unions des jeunes avocats est également intervenue volontairement aux débats.

Pour contester la décision rendue, le groupe d'avocats grenoblois invoque plusieurs motifs de forme et de fond.

S'agissant des motifs de fond, ceux-ci en énoncent deux principaux :

- la fixation d'un minimum de rétrocession d'honoraires apparaît comme une action concertée prohibée par l'article L. 420-1, 1er et 2ème aliénas, du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN) puisque les cabinets ne pourront faire face au règlement de minimum imposé, ne pourront avoir recours à un collaborateur libéral et verront ainsi leur développement entravé au profit de structures disposant de capacités financières plus développées ; de plus elle a un effet sur l'accès au marché et sur la libre fixation du prix. ;

- et  l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 prévoyait deux régimes distincts, celui de collaborateur salarié et celui de collaborateur libéral et la décision du conseil de l'Ordre rapprochait dangereusement les deux régimes, la grille instituée de rétrocession se rapprochant d'une grille de salaires.

Le conseil de l'Ordre des avocats du barreau de Grenoble s'est opposé aux arguments avancés en précisant :

- tenir ses pouvoirs des dispositions de l'article 129 du décret du 27 novembre 1991, que celui-ci n'avait pas réglé la question de la rétrocession des honoraires, que l'article 14-3 du RIN déterminait les conditions de fixation de la rétrocession d'honoraires, qu'il n'y avait donc pas d'excès de pouvoir, et que le Conseil d'Etat avait au surplus validé le RIN ;

- que le principe de la liberté des honoraires institué par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 n'était pas affecté par le problème de la rétrocession ;

- qu'il n'y avait pas eu de violation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code du commerce puisque le montant minimum d'une rétrocession d'honoraires était sans effet sur l'accès au marché ou à la libre fixation du prix des prestations et il n'est pas davantage susceptible d'être constitutif d'une action concertée ;

- que l'article L. 420-4 (N° Lexbase : L8716IBG) disposait que n'étaient pas soumises aux dispositions de l'article L. 420-1 et L. 420-2 (N° Lexbase : L3778HBK), les pratiques résultant de l'application d'un texte législatif ou réglementaire pris pour son application ;

- que la rétrocession d'honoraires minimale n'affectait en rien le statut de l'avocat collaborateur ;

- et, enfin, qu'il n'y avait pas violation de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971.

La première chambre civile de la cour d'appel de Grenoble a débouté les demandeurs de leur demande d'annulation de la délibération du 11 janvier 2010 aux motifs suivants :

- ni l'article 17-11, ni l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 ne prohibent la fixation d'un minimum de rétrocession, qui constitue au contraire l'une des possibles modalités de la rémunération du collaborateur libéral au sens de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 ;

- la décision incriminée ne porte pas davantage atteinte à la liberté de l'honoraire, même si elle a une incidence sur les coûts supportés par le cabinet ;

- l'article 129 du décret du 27 novembre 1991, qui prévoit que le règlement intérieur peut comporter un barème de rétrocessions d'honoraires minimales, ne porte pas atteinte au pouvoir normatif que la loi reconnaît au CNB ;

- si celui-ci est chargé d'unifier les règles et usages de la profession "par voie de dispositions générales", il n'a pas en effet pour mission de fixer les modalités concrètes de la rémunération du collaborateur libéral, qui ne peuvent qu'être déclinées localement ;

- ainsi, dans ces conditions, il importe de constater que la décision du conseil de l'Ordre bénéficiait de l'exemption instituée par l'article L. 420-4 du Code du commerce dès lors qu'elle résulte de l'application de deux textes règlementaires, l'article 129 du décret du 27 novembre 1991 et de l'article 14-3 du RIN.

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Fiscalité du patrimoine

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Janvier 2011 (spéciale lois de finances)

Réf. : Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 (N° Lexbase : L9901INZ) et loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L9902IN3)

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N1585BR7

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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris

Le 24 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en fiscalité du patrimoine, réalisée par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon de Paris. L'auteur propose de revenir sur les principales dispositions des lois de finances pour 2011 et de finances rectificative pour 2010. Au sommaire de cette chronique : le réajustement des prélèvements sociaux et la fiscalité des plus-values ; les modifications afférentes aux réductions et crédits d'impôt sur le revenu ; les nouveautés en matière d'ISF ; et l'aménagement du bouclier fiscal.

I - Le réajustement des prélèvements sociaux et la fiscalité des plus-values

Placée sous le signe de la réduction des déficits publics et du financement de la Sécurité sociale, la loi de finances pour 2011 opère un réajustement de la fiscalité des plus-values et des prélèvements sociaux (LDF 2011, art. 6).

A - Prélèvements sociaux

Le prélèvement social fait l'objet d'une "revalorisation". Applicable aux revenus du patrimoine et aux produits de placement, son taux est fixé à 2,2 % au lieu de 2 %.

Le taux global des prélèvements sociaux (CSG, CRDS, contribution CNSA et RSA) est ainsi porté de 12,1 à 12,3 %.

Le relèvement de taux est applicable aux revenus du patrimoine perçus à compter du 1er janvier 2010 et aux produits de placement pour la part des produits acquis à compter du 1er janvier 2011.

Les revenus du patrimoine recouvrent (CSS, art. L. 136-6 N° Lexbase : L0660IP7), principalement, les revenus fonciers, les rentes viagères à titre onéreux, les revenus de capitaux mobiliers imposés à l'impôt sur le revenu, les plus-values soumises à l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel, etc..

Par ailleurs, les contrats d'assurance vie multi-supports (part en euros) sont dorénavant soumis aux prélèvements sociaux, lors de l'inscription en compte des produits (LDF 2011, art. 22), ce qui permet une rentrée fiscale régulière pour l'Etat, compte tenu du montant important investi chaque année par les épargnants.

Au dénouement du contrat ou au décès de l'assuré, il est prévu un mécanisme de reversement de l'excédent des prélèvements acquittés, par rapport à la masse globale de prélèvements théoriquement dus sur l'ensemble des produits du contrat.

Ces dispositions s'appliquent aux produits inscrits en compte à compter du 1er juillet 2011.

Enfin, le prélèvement libératoire sur les revenus mobiliers est augmenté d'un point. Le prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu passe, ainsi, de 18 à 19 % (31,3 % prélèvements sociaux compris). L'augmentation touchera, donc, tous les dividendes, intérêts d'obligations et revenus de créances perçus par les contribuables ayant opté pour le prélèvement.

B - Réajustement des plus-values

Les plus-values immobilières réalisées par les particuliers (lorsqu'elles ne sont pas exonérées en cas de longue détention, CGI, art. 150 VC N° Lexbase : L0083IKB), sont, dorénavant, imposables à l'impôt sur le revenu au taux de 19 % (au lieu de 16 %), ce qui porte le taux global d'imposition de 28,1 % à 31,3 % (prélèvements sociaux compris).

L'augmentation de taux ne sera pas compensée par le bouclier fiscal. Les plus-values de cessions de valeurs mobilières (LDF 2011, art. 6) sont également touchées par le texte.

La loi de finances pour 2011 relève de 16 à 19 % le taux d'imposition des plus-values de cession de titres, ce qui porte, encore une fois, la taxation à 31,3 % à compter de 2011. Grande déception pour les épargnants.

Le seuil d'imposition des cessions de titres de 25 830 euros est, en effet, supprimé à compter du 1er janvier 2011. 2010 aura été la dernière année d'application de ce seuil d'exonération (LDF 2011, art. 8).

L'assiette fiscale et sociale sera de nouveau harmonisée (ce qui n'était plus le cas depuis 2010).

Un dispositif complexe est mis en place pour les contribuables n'ayant pas franchi le seuil de cession en 2010. Il permet un alignement des moins-values nettes reportables au 1er janvier 2011 en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux. Il accorde, par ailleurs, un crédit d'impôt. En effet, les moins-values nettes subies par le contribuable et reportables au 1er janvier 2010 ouvrent droit, à hauteur du montant imputé pour l'imposition aux prélèvements sociaux sur les plus-values de même nature réalisées en 2010, à un crédit d'impôt sur le revenu égal à 19 % de la moins-value imputée.

Le crédit d'impôt sera imputé sur l'impôt sur le revenu dû au titre de la seule année 2010.

II - Les modifications afférentes aux réductions et crédits d'impôt sur le revenu

A - Rabot fiscal : réduction de 10 % de certaines réductions d'impôt (LDF 2011, art. 105)

L'institution d'un "rabot fiscal" est, sans conteste, la mesure symbolique par excellence. Coupes budgétaires et financement des déficits publics nécessitent un effort de la collectivité, à commencer par les bénéficiaires de niches fiscales.

Ce nouveau dispositif consiste à appliquer une réduction globale de 10 % aux réductions et crédits d'impôt compris dans le champ du plafonnement global de certains avantages fiscaux à l'impôt sur le revenu, à l'exclusion :

- de la réduction pour l'emploi d'un salarié à domicile ;

- du crédit d'impôt au titre des frais de garde des jeunes enfants ;

- de la réduction d'impôt au titre de l'investissement locatif dans le logement social outre-mer.

En cohérence avec le rabot de 10 % sur les taux de réduction et crédit d'impôt, le montant du plafond global applicable à certains avantages fiscaux est, désormais, égal à la somme de 18 000 euros (au lieu de 20 000 euros) et d'un montant variable correspondant à 8 % (au lieu de 6 %) du revenu imposable.

B - Crédit d'impôt "intérêts d'emprunt" de l'habitation principale (LDF 2011, art. art. 90, II)

La suppression du crédit d'impôt "intérêts d'emprunt" de l'habitation principale décevra de nombreux contribuables. Les contribuables qui bénéficient, déjà, du crédit d'impôt continuent à bénéficier du dispositif jusqu'au terme de sa période d'application.

Pour la dernière fois, le crédit d'impôt concernera les acquisitions de résidence principale pour lesquelles les prêts concourant à leur financement ont fait l'objet d'une offre de prêt émise avant le 1er janvier 2011, sous réserve que :

- l'acquisition du logement achevé ou en l'état futur d'achèvement intervienne au plus tard le 30 septembre 2011 (date de l'acte authentique) ;

- ou s'agissant d'opérations de construction de logements, la déclaration d'ouverture de chantier intervienne au plus tard le 30 septembre 2011 (date de la déclaration d'ouverture de chantier).

Le crédit d'impôt "équipement de l'habitation principale" (LDF 2011, art. 99) est à nouveau aménagé. La loi portant engagement national pour l'environnement (loi "Grenelle II", n° 2010-788, du 12 juillet 2010 N° Lexbase : L7066IMN) avait institué un crédit d'impôt de prévention des risques technologiques (CGI, art. 200 quater C N° Lexbase : L7967IMZ). Il est supprimé par la loi de finances pour 2011, pour être intégré dans le crédit d'impôt au titre des dépenses d'équipement de l'habitation principale en faveur de l'aide aux personnes.

Les dépenses payées pour la réalisation de travaux prescrits aux propriétaires d'habitation par un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) ouvrira, donc, droit au crédit d'impôt au titre des dépenses d'équipement de l'habitation principale (CGI, art. 200 quater A, 1, b N° Lexbase : L0798IPA).

Il concernera, également, les dépenses afférentes aux logements achevés avant l'approbation du plan de prévention des risques technologiques que le contribuable loue ou s'engage à louer pendant une durée de 5 ans à des personnes. Le taux du crédit d'impôt est porté à 30 % des dépenses retenues, dans la limite de 5 000 euros pour une personne seule et 10 000 euros pour un couple (au lieu d'un plafond de 30 000 euros par logement), majoré de 400 euros par personne à charge.

L'ensemble du dispositif est prorogé jusqu'au 31 décembre 2011.

C - Acquisitions d'équipements photovoltaïques dans le cadre de l'habitation principale (LDF 2011, art. 36, II et VI, 2)

Les avantages fiscaux liés aux acquisitions d'équipements photovoltaïques sont revus à la baisse. Les particuliers peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses d'équipement en faveur des économies d'énergie et du développement durable, dans la limite d'un plafond pluriannuel de 8 000 euros pour une personne seule et 16 000 euros pour un couple soumis à imposition commune (CGI, art. 200 quater). Le taux du crédit d'impôt est fixé à 50 % pour les équipements photovoltaïques.

La loi de finances pour 2011 ramène de 50 à 25 % le taux du crédit d'impôt en faveur des économies d'énergie et du développement durable pour les dépenses d'équipement de photovoltaïques (CGI, art. 200 quater, 5, d modifié).

Pour cause de rabot fiscal, le taux du crédit d'impôt pour les dépenses d'équipements photovoltaïques sera de 22 % à compter du 1er janvier 2011.

D - Réduction d'impôt sur le revenu pour souscription au capital de PME (LDF 2011, art. 38, III et X et art. 36, IV et VI, 3)

La loi de finances pour 2011 prévoit une importante retouche de la réduction d'impôt sur le revenu pour souscription au capital de PME. Comme pour la réduction d'impôt ISF au capital de PME, l'avantage fiscal est recentré sur le capital risque et encadré plus sévèrement par la mise en place de mesures anti-abus et de sanctions et amendes spécifiques.

Il faut se rappeler que les souscriptions en numéraire au capital de PME ou d'une holding ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu (CGI, art. 199 terdecies-0 A N° Lexbase : L0696IPH). Elle est égale à 25 % des versements, dans la limite annuelle de 20 000 euros pour une personne seule et 40 000 euros pour un couple soumis à imposition commune (50 000 euros et 100 000 euros pour les petites entreprises en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion).

Sont, ainsi, exclues de la réduction d'impôt, toutes les souscriptions au capital de sociétés immobilières (professionnels de l'immobilier) et sociétés financières.

De nouveaux critères de remises en cause des avantageux fiscaux sont mis en place pour lutter contre les abus (par exemple, remboursement des apports dans les 12 mois précédant la souscription des investisseurs, contrôle par une société holding animatrice d'une filiale depuis moins de douze mois, souscriptions conférant aux souscripteurs d'autres contreparties, notamment sous la forme de tarifs préférentiels, etc.).

La réduction d'impôt sur le revenu fait, désormais, l'objet d'un encadrement communautaire. Les sociétés bénéficiaires des souscriptions ne doivent pas recevoir des souscriptions supérieures à certains montants : 1,5 million d'euros maximum au titre du régime autorisé par la Commission européenne, 7 500 euros sur une période de trois exercices pour les activités de production de produits agricoles et 200 000 euros sur trois exercices pour les autres activités (régime des aides de minimis).

E - Aménagement de la réduction d'impôt pour souscription de parts de FCPI et de FIP (LDF 2011, art. 38, III, VI, VII, VIII et X)

Les souscriptions de parts de fonds communs de placement dans l'innovation (CGI, art. 199 terdecies-0 A, VI) et de fonds d'investissement de proximité (CGI, art. 199 terdecies-0 A, VI bis et ter) ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu. Elle est égale à 25 % des souscriptions de parts dans des FCPI, FCPR ou FIP hors Corse et à 50 % des souscriptions de parts dans des FIP Corse, dans les limites annuelles de 12 000 euros pour les contribuables seuls et 24 000 euros pour les couples.

Les dispositifs de réduction d'impôt pour investissement dans les FCPI, les FIP et les FIP Corse sont prorogés de deux années. La base de la réduction d'impôt est retenue après imputation des droits ou frais d'entrée.

F - Suppression de la réduction d'impôt en faveur des investissements réalisés dans certaines résidences de tourisme classées (LDF 2011, art. 92)

La réduction d'impôt est supprimée. Les derniers bénéficiaires seront les investisseurs de logements pour lesquels une promesse d'achat ou une promesse synallagmatique a été souscrite par l'acquéreur avant le 31 décembre 2010.

G - Réduction d'impôt "Scellier"

La réduction d'impôt "Scellier" s'applique aux personnes qui s'engagent à louer nu à usage d'habitation principale du locataire, pendant au moins 9 ans, un logement neuf dans une zone caractérisée par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements (CGI, art. 199 septvicies N° Lexbase : L0802IPE).

Le taux de réduction d'impôt est de 25 % de la valeur du bien acquis en 2009 et 2010. Le taux de 25 % est maintenu pour 2010 et s'applique aux actes authentiques signés avant le 1er janvier 2011.

La loi de finances rectificative pour 2010 précise, toutefois, que ce taux s'applique aux logements pour lesquels un contrat préliminaire a été signé et déposé au rang des minutes du notaire ou enregistré au service des impôts avant le 31 décembre 2010, et qui ont donné lieu à la conclusion d'un acte de vente authentique avant le 31 janvier 2011 (LDFR 2010, art. 62).

Pour les biens acquis en 2011 et respectant les critères "BBC", la réduction d'impôt est de 25 %. Elle passera à 20 % en 2012. Dans les autres cas, le taux de la réduction est de 15 % pour les logements acquis ou construits en 2011 et 10 % en 2012. Le rabot fiscal de 10 % s'applique sur ces taux.

III - Les nouveautés en matière d'ISF

Le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune est, comme chaque année, actualisé pour 2011, le seuil est porté de 790 000 euros à 800 000 euros (LDF 2011, art. 2, I, 1°).

Les biens ruraux loués à long terme ou à bail cessible et les parts de GFA bénéficient d'une exonération partielle à concurrence de 75 % de leur valeur, lorsque la valeur totale des biens n'excède pas 101 897 euros. Ils sont exonérés de 50 % de leur valeur au-delà (CGI, art. 885 N° Lexbase : L8761HL3).

A - Réduction d'ISF pour souscription au capital de PME ou fonds d'investissements (LDF 2011, art. 38, V et X et art. 36, V et VI, 3)

Une réduction d'ISF est accordée aux contribuables qui souscrivent au capital initial de PME. Elle est égale à 75 % du montant des versements et plafonnée à 50 000 euros (CGI, art. 885-0 V bis, I N° Lexbase : L0695IPG). Cette réduction d'ISF est, également, accordée en cas de souscription de parts de FIP, de FCPI et de FCPR (réduction égale à 50 % et limitée à 20 000 euros).

Le taux de la réduction d'impôt est réduit de 75 à 50 %. L'avantage fiscal est, désormais, limité à 45 000 euros par an (au lieu de 50 000 euros) et 18 000 euros (au lieu de 20 000 euros).

Des mesures anti-abus sont mises en place : par exemple, n'ouvrent plus droit à la réduction d'impôt les souscriptions au capital d'une société qui procédera au remboursement des apports (CGI, art. 885-0 V bis, V, 2).

La loi de finances pour 2011 prévoit, par ailleurs, un volet "information des investisseurs". Le défaut d'information préalable à un investissement entraîne, désormais, l'application d'une amende égale à 10 % du montant des souscriptions ayant ouvert droit, pour chaque souscripteur, à la réduction d'impôt (CGI, art. 1763 C N° Lexbase : L0702IPP). Par ailleurs, des obligations annuelles d'information sont prévues, tant auprès de l'administration que des investisseurs. Ces derniers devront être informés du montant détaillé des frais et commissions, directs et indirects.

B - Aménagement de la réduction d'ISF au titre des dons versés à certaines oeuvres (LDF 2011, art. 40)

Les redevables de l'ISF peuvent imputer sur leur cotisation, dans la limite de 50 000 euros, 75 % du montant des dons effectués au profit de certains organismes d'intérêt général (CGI, art. 885-0 V bis A N° Lexbase : L0708IPW).

La loi de finances pour 2011 étend la réduction aux dons versés à certaines associations reconnues d'utilité publique, ayant pour objet le financement et l'accompagnement de la création et de la reprise d'entreprises et abaisse à 45 000 euros par an (au lieu de 50 000 euros) le plafond global de la réduction d'impôt, en cas de cumul (réduction pour dons et réduction ISF pour investissement dans les PME ou FIP).

IV - Aménagement du "bouclier fiscal" (LDF 2011, art. 6, IV et V, art. 8, VI et VIII, A, art. 22, III et art. 105, VIII et IX, 2)

Pour donner un plein effet aux augmentations d'impôts de la loi de finances pour 2011, le mécanisme du "bouclier fiscal" ne s'appliquera pas à :

- l'augmentation de 1 % de la dernière tranche du barème de l'impôt sur le revenu et du taux d'imposition des plus-values ;

- l'augmentation de 0,2 % du prélèvement social ;

- la suppression du seuil de cessions pour l'imposition à l'impôt sur le revenu des gains de cession de titres ;

- la réduction de 10 % des réductions d'impôt sur le revenu ("rabot fiscal").

Ces dispositions s'appliquent pour la détermination du plafonnement des impositions afférentes aux revenus réalisés, à compter du 1er janvier 2011 ("bouclier 2013").

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France - Janvier 2011

Lecture: 16 min

N1567BRH

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Le 30 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. A l'honneur de cette chronique, tout d'abord, la décision rendue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 janvier 2011, qui pose l'application du principe de loyauté des preuves devant le Conseil de concurrence (Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I). L'auteur s'est ensuite arrêté sur un arrêt rendu par la première chambre civile à propos de la notion de trouble manifestement illicite dans le cadre d'une procédure en référé (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-12.686, F-P+B+I). Deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile ont également retenu l'attention de l'auteur : une décision du 10 novembre 2010, qui vient préciser que les parties qui n'ont pas soulevé une exception de nullité devant le juge de la mise en état ne sont plus recevables à la soulever ultérieurement (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 08-18.809) ; une décision du 21 octobre 2010, qui relève le pouvoir du notaire de conférer force exécutoire à une transaction (Cass. civ. 2, 21 octobre 2010, n° 09-12.378, F-P+B). Enfin, trois décisions rendues par la première chambre civile en matière d'arbitrage méritaient d'être signalées (Cass. civ. 1, 30 octobre 2010, deux arrêts n° 09-68.997, FS-P+B+R+I et n° 09-68.131, FS-P+B+R+I et Cass civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-10.530, FS-P+B+I). I. Sources de la procédure civile : le Code de procédure civile devant les autorités administratives indépendantes
  • Par principe, les règles du Code de procédure civile s'appliquent devant l'Autorité de la concurrence sauf dérogation expresse prévue par le Code de commerce. L'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve (Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I N° Lexbase : A7431GNK)

L'application du Code de procédure civile -et plus particulièrement des principes directeurs du procès civil- aux autorités administratives indépendantes est une question particulièrement délicate. Certaines des ces autorités prennent des décisions individuelles de sanction contre des acteurs économiques. Ces sanctions sont susceptibles de recours devant le juge judiciaire et de pourvoi en cassation devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation. C'est le cas des sanctions pécuniaires prononcées par l'Autorité des marchés financiers et, comme dans l'espèce étudiée, par le Conseil de la concurrence, devenue Autorité de la concurrence.

Dans les faits, une société A. avait saisi le Conseil de la concurrence pour dénoncer des actes anti-concurrentiels (ententes sur les prix) commis par les sociétés S. et P. dans la distribution de produits électroniques grands publics. Pour établir la réalité de ces ententes, la société demanderesse avait produit en justice des enregistrements de communications téléphoniques. Le Conseil de la concurrence avait alors prononcé d'importantes sanctions pécuniaires contre les sociétés mises en cause.

On sait, depuis l'arrêt de principe rendu par la deuxième chambre civile le 7 octobre 2004 (1), que la production en justice d'enregistrements téléphoniques à l'insu de la personne constitue un procédé déloyal, contraire, tant à l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D), qu'à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

L'application de cette jurisprudence à la procédure devant une autorité administrative indépendante n'est pas évidente. D'une part, l'application des dispositions du Code de procédure civile à la procédure devant les AAI n'est prévue par aucun texte. D'autre part, l'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de la concurrence prononcent des sanctions pécuniaires relevant plus de la matière pénale que de la matière civile. Il convient donc de se demander si les principes de procédure pénale n'ont pas vocation à s'appliquer à ce type de contentieux. En matière d'enregistrement de conversations téléphoniques, la Chambre criminelle adopte d'ailleurs une position particulièrement permissive à l'égard des parties privées en admettant la production de toutes les preuves, même obtenues par un procédé déloyal (2).

Cette complexité a conduit la Cour de cassation à se prononcer à deux reprises dans l'espèce qui nous est soumise. Ainsi, la question est aujourd'hui tranchée dans un arrêt d'Assemblée plénière aussi solennel qu'explicite. Pour comprendre tous les aspects de cet arrêt, il est utile de remonter à l'origine de la procédure.

Dans un premier arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (3), les juges du second degré avaient déclaré les enregistrements recevables. Cette décision se fondait, d'une part, sur l'autonomie procédurale dont bénéficie le Conseil (ou l'Autorité) de la concurrence à l'égard du droit judiciaire privé et, d'autre part, sur le caractère répressif de la procédure de sanction. Les enregistrements ayant été produits par une partie privée et non par les enquêteurs publics, la cour d'appel faisait alors application de la jurisprudence adoptée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Deux arguments de poids faisaient échapper la procédure devant le Conseil (Autorité) de la concurrence aux règles de la preuve civile : l'autonomie procédurale et le rattachement des sanctions pécuniaires à la matière pénale.

L'affaire fut portée devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui, dans un motif reproduisant celui de 2004, et au seul visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, censura la décision rendue en appel (4). La solution était cohérente. Quelle que fut l'autonomie procédurale du Conseil (Autorité) de la concurrence, la procédure était soumise aux principes du procès équitable. Selon la Cour de cassation, le principe de loyauté dans la recherche des preuves se rattache au droit au procès équitable. L'enregistrement effectué à l'insu de la personne écoutée était donc irrecevable, que la matière soit civile ou pénale. Mais la Chambre commerciale ne se prononçait, ni sur l'autonomie procédurale de la procédure en matière d'atteinte à la concurrence, ni sur le rattachement aux règles de la preuve civile.

La cour de renvoi (5), oubliant l'article 6 § 1, poursuivit une analyse fondée sur la spécificité de la procédure devant le Conseil (Autorité) de la concurrence. Dans un motif très détaillé, elle affirma que "les dispositions du Code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien-fondé d'une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d'un droit subjectif, ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives". La dimension répressive du contentieux de la concurrence faisait ainsi échapper cette procédure aux dispositions du Code de procédure civile sur la licéité des preuves (C. pr. civ., art. 9). Mais les principes de la Convention européenne des droits de l'Homme étaient passés sous silence.

La résistance des juges du fond provoqua la saisine de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. La Haute juridiction a saisi cette occasion pour se prononcer, tant sur le principe de loyauté de la preuve, sur les sources de ce principe, et plus généralement sur les relations entre la procédure devant les juridictions civiles et celle devant les autorités administratives indépendantes.

L'Assemblée plénière reconnaît, d'abord, dans son visa, l'existence d'un "principe de loyauté dans l'administration de la preuve" (6). Ce principe est cité aux côté de l'article 9 du Code de procédure civile (les preuves doivent être recherchées conformément à la loi) (7) et de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. L'arrêt de 2004 précité ne visait que les deux textes. La loyauté de la preuve se trouve, à notre connaissance, pour la première fois citée de façon autonome dans le visa d'un arrêt de cassation. Il n'en reste pas moins que, dans le sillage de l'arrêt de 2004, le principe de loyauté se rattache, tant au Code de procédure civile, qu'à l'article 6 § 1 de la CESDH (8).

Dans son chapeau, l'arrêt de l'Assemblée plénière précise également que, "sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du Code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence". Cette formule explicite est tout à fait nouvelle. Elle permet de rattacher aux règles de procédure civile, l'ensemble du contentieux des autorités administratives indépendantes dont les recours sont portés devant les juridictions judiciaires. Selon la Cour de cassation, le contentieux de la concurrence, même à dimension répressive, est un contentieux commercial qui relève de la compétence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et qui est soumis aux règles du Code de procédure civile. Ce principe ne subit de dérogations, que si elles sont expressément prévues par le Code de commerce. L'Assemblée plénière confère au Code de procédure civile la vocation d'un véritable droit commun procédural. La solution est originale à l'époque où le droit commun tend à se manifester, non pas à travers la procédure civile, mais à travers les principes communs à tous les procès, que l'on rassemble sous l'expression de "droit processuel". Mais la solution présente le mérite de la clarté. Il n'existe pas de procédure totalement autonome lorsqu'une décision est susceptible de recours devant le juge judiciaire. Si les textes spécifiques définissent des procédures autonomes (devant les autorités administratives indépendantes, devant les ordres professionnels, etc.), les règles du Code de procédure civile et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (9), s'appliquent comme un droit commun procédural.

L'Assemblée plénière fait alors application de ce droit commun à l'espèce en considérant que "l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve". Le motif est désormais classique et il permet de déclarer irrecevables les enregistrements qui ont servi de fondement aux sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil (Autorité) de la concurrence. Par ailleurs, le communiqué de presse de la Cour de cassation précise qu'en visant l'article 9 du Code de procédure civile, l'Assemblée plénière a souhaité rappeler la distinction entre l'application du principe de loyauté à la matière civile (irrecevabilité des enregistrements obtenus de façon déloyale) et à la matière pénale (ce principe ne s'étend pas aux preuves apportées par des personnes privées).

Sans autre preuve pour corroborer les enregistrements, la juridiction de renvoi devrait logiquement infirmer les condamnations qui ont été prononcées par le Conseil (Autorité) de la concurrence. Empreint de dogmatisme procédural, le communiqué de presse indique ainsi que "si les enjeux économiques ne doivent pas être ignorés du juge, ils ne peuvent cependant le détourner de l'obligation de statuer suivant les principes fondamentaux qui fondent la légitimité de son action". Les géants de l'électronique s'en sortent bien. Leur insistance à faire respecter les droits fondamentaux leur permet d'échapper à une sanction de seize millions d'euros chacun !

II. Référé - notion de trouble manifestement illicite

  • L'exploitation d'un supermarché malgré l'annulation de l'autorisation administrative constitue un trouble manifestement excessif (Cass. civ. 1, 6 octobre 2010, n° 09-12.686, F-P+B+I N° Lexbase : A2207GBD)

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 6 octobre 2010, n'est peut-être pas un arrêt de principe, mais, ayant fait l'objet d'une publication au Bulletin et sur le site de la Cour de cassation, il mérite d'être signalé dans cette chronique.

L'article 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K) confie au juge des référés de très larges pouvoirs pour prendre "les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent", notamment pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Cette dernière expression est quelque peu ambiguë. S'il est possible d'identifier sans difficulté une situation illicite, il est plus délicat de dire que cette situation est "manifestement" illicite et plus encore, qu'elle génère un "trouble manifestement illicite". Ce concept d'illicéité manifeste fait donc l'objet d'une jurisprudence abondante et donne, une nouvelle fois, à la Cour de cassation l'occasion d'en préciser les contours.

Dans l'espèce étudiée, la commission départementale d'équipement commercial avait autorisé une société commerciale à créer un supermarché. Par la suite, cette décision fut attaquée devant les juridictions administratives. Le juge administratif des référés ordonna la suspension de l'autorisation, puis cette autorisation fut annulée (10). Une action fut intentée parallèlement devant le juge civil des référés, lequel ordonna la fermeture du supermarché sous astreinte. A la suite d'une longue procédure, ponctuée d'une première décision rendue en appel et d'un arrêt de cassation, l'affaire fut portée devant une cour d'appel de renvoi. Cette dernière considéra que l'annulation de la décision administrative autorisant la création du supermarché avait pour effet de rendre l'exploitation de ce commerce illicite.

Cette solution est reprise par la Cour de cassation qui considère que l'exploitation d'un supermarché sans autorisation (ou en vertu d'une autorisation annulée) caractérise l'existence d'un trouble manifestement illicite. Le juge civil des référés était donc fondé à ordonner la fermeture de cet établissement sous astreinte.

III. Nullité durant la mise en état : moment pour soulever la nullité

  • Les parties qui n'ont pas soulevé une exception de nullité devant le juge de la mise en état ne sont plus recevables à la soulever ultérieurement (Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 08-18.809 N° Lexbase : A8960GGX)

L'article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6999H7D) définit la compétence exclusive du juge de la mise en état. Cette règle a pour conséquence d'exclure les compétences concurrentes durant la période de saisine du JME. C'est l'hypothèse classique d'exclusion de la compétence du juge des référés, notamment pour ordonner une mesure d'instruction. Par ailleurs, le JME est seul compétent, jusqu'à son dessaisissement pour statuer sur les exceptions de procédure. Depuis le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3298HEU), l'article 771 du Code de procédure civile prévoit que les parties ne sont plus recevables à soulever les exceptions de procédure ultérieurement, à moins qu'elles ne surviennent ou ne soient révélées postérieurement.

L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile est le premier qui fait application de cette modification procédurale importante. Les faits de l'espèce sont assez simples. Une société avait assigné devant le tribunal de grande instance plusieurs défendeurs qui ont soulevé la nullité de l'assignation pour défaut de constitution d'avocat. Cette exception, soulevée tardivement devant le tribunal, a été écartée par ce dernier et cette décision a été confirmée par la cour d'appel.

Les défendeurs ont alors formé un pourvoi en cassation en invoquant que le défaut de constitution d'avocat constituait une nullité pour vice de fond, laquelle pouvait être soulevée en tout état de cause en vertu de l'article 118 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1406H4T). La règle de l'article 118 ferait ainsi obstacle à la compétence exclusive du juge de la mise en état et permettrait de soulever une nullité pour vice du fond devant la juridiction du fond.

La Cour de cassation n'a pas été convaincue par cette argumentation. Après avoir rappelé la règle de l'article 771 du Code de procédure civile, elle affirme "qu'ayant exactement retenu que la demande de nullité de l'assignation pour défaut de constitution d'avocat était une exception de procédure, et relevé que cette demande n'avait pas été présentée au juge de la mise en état avant son dessaisissement postérieur à l'entrée en vigueur du texte susvisé, la cour d'appel a justement déclaré la demande irrecevable".

La deuxième chambre civile ne procède donc pas à la distinction suggérée par le pourvoi. Les nullités pour vice de fond peuvent être soulevées en tout état de cause, mais elles doivent être soulevées devant la juridiction compétente. Il y a là une dérogation notable au principe de l'article 118 du Code de procédure civile justifiée, on le comprend, par une volonté d'efficacité procédurale. Il s'agit d'éviter que les parties ne soulèvent ces exceptions de façon tardive pour dissuader l'adversaire d'engager une nouvelle procédure après régularisation. Il s'agit également de faire en sorte que l'affaire soit réellement en état d'être jugée, c'est-à-dire purgée de ses vices éventuels, lors du prononcé de l'ordonnance de clôture.

La décision rendue le 10 novembre 2010 est donc importante car elle indique qu'aucune exception de procédure n'échappe à la règle rigoureuse imposée par l'article 771 du Code de procédure civile.

IV. Force exécutoire

  • Les dispositions de l'article 1441-4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6405H7D) ne font pas obstacle à ce qu'une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire (Cass. civ. 2, 21 octobre 2010, n° 09-12.378, F-P+B N° Lexbase : A4170GCG)

Le décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 (N° Lexbase : L2924AI7) a introduit dans le Code de procédure civile un article 1441-4 (N° Lexbase : L6405H7D), qui permet au président du tribunal de grande instance, saisi sur requête, de conférer la force exécutoire à une transaction qui lui est présentée. Cette disposition, inspirée du rapport "Coulon", était empreinte d'une volonté de favoriser la résolution des litiges en créant une procédure d'exequatur des transactions conclues par acte sous seing privé. Auparavant, l'obtention d'un titre exécutoire nécessitait la conclusion ou le dépôt de la transaction devant notaire (11). En effet, l'acte authentifié par le notaire constitue un titre exécutoire (12).

Dans l'arrêt étudié, qui fait l'objet d'une publication au Bulletin, le bailleur d'un terrain était en conflit avec le preneur et le premier s'adressa au tribunal paritaire des baux ruraux en vue d'obtenir la résiliation du bail. Durant la procédure, une transaction sous seing privé fut conclue entre les parties, qui prévoyait la résiliation du bail rural contre une indemnité d'éviction. Cette transaction fut déposée par les parties au rang des minutes d'un notaire. Sur la base de ce dépôt, le preneur demanda l'exécution forcée de la transaction et fit procéder à une saisie-attribution pour obtenir le montant de l'indemnité d'éviction. Cette saisie fit l'objet d'un recours, mais le juge de l'exécution, comme la cour d'appel, déclarèrent la voie d'exécution régulière.

Dans son pourvoi, le bailleur invoquait l'article 1441-4 du Code de procédure civile. Il considérait que "les dispositions légales organisant des procédures particulières pour conférer force exécutoire à une transaction, ne permettent pas au dépôt d'un tel acte sous seing privé au rang des minutes d'un notaire de lui donner force exécutoire". Selon cette argumentation, la procédure d'exequatur d'une transaction conclue sous signature privée était exclusivement celle aménagée à l'article 1441-4 susvisé : l'acte juridictionnel.

La Cour de cassation rejette logiquement le pourvoi en affirmant que "les dispositions de l'article 1441-4 du Code de procédure civile ne font pas obstacle à ce qu'une transaction soit reçue par un notaire et que celui-ci lui confère force exécutoire". La force exécutoire de l'acte notarié ne concerne donc pas seulement la transaction conclue devant notaire, mais également celle reçue et authentifiée par lui a posteriori. La Haute juridiction en déduit que les parties "avaient déposé la transaction litigieuse au rang des minutes d'un notaire pour qu'elle acquière tous les effets d'un acte authentique et pour qu'il en soit délivré copie exécutoire". La cour d'appel a donc retenu à bon droit que la copie exécutoire de la transaction pouvait servir de fondement à la saisie.

En définitive, il existe trois manières de confier la force exécutoire à une transaction. Soit conclure le contrat devant notaire, soit déposer un contrat sous seing privé au rang des minutes d'un notaire, soit, enfin demander au président du TGI d'homologuer la transaction en vertu de l'article 1441-4 du Code de procédure civile.

V. Arbitrage

Trois décisions en matière d'arbitrage méritent d'être signalées.

En ce qui concerne l'impartialité de l'arbitre, la première chambre civile a rendu deux arrêts importants le 20 octobre 2010. Dans ces deux espèces, un litige avait donné lieu à la mise en oeuvre d'une procédure d'arbitrage. L'une des parties avait désigné un arbitre à qui elle avait l'habitude de confier ses litiges.

La Cour de cassation estime que "le caractère systématique de la désignation d'une personne donnée par les sociétés d'un même groupe, sa fréquence et sa régularité sur une longue période, dans des contrats comparables, ont créé les conditions d'un courant d'affaires entre cette personne et les sociétés du groupe parties à la procédure de sorte que l'arbitre était tenu de révéler l'intégralité de cette situation à l'autre partie à l'effet de la mettre en mesure d'exercer son droit de récusation".

Ainsi, le fait de désigner régulièrement le même arbitre crée, selon la Cour de cassation, un "courant d'affaires" susceptible de porter atteinte à l'impartialité de l'arbitre. Au visa des articles 1484-2° (N° Lexbase : L6449H7Y) et 1452, alinéa 2, (N° Lexbase : L6416H7R) du Code de procédure civile, la Haute juridiction considère que l'arbitre qui a connaissance d'une cause de récusation à son égard doit en informer la partie susceptible d'en être victime. L'arbitre ne peut alors siéger qu'avec l'accord de cette partie. Dans le cas contraire, le tribunal arbitral est irrégulièrement composé et ce vice procédural peut fonder un recours en annulation contre la sentence.

On retiendra donc de ces arrêts importants publiés sur le site de la Cour de cassation qu'un arbitre régulièrement désigné par une partie doit signaler cette cause de récusation à l'adversaire et ne peut siéger qu'avec l'accord de ce dernier.

Une troisième décision qui a les honneurs de la publication internet a été rendue en matière d'annulation d'une sentence arbitrale. En l'espèce, un contrat prévoyant la création d'une holding comportait une convention d'arbitrage. A la suite d'un litige entre associé, une procédure longue et complexe donna lieu à plusieurs sentences arbitrales. L'une d'entre-elles, qui avait constaté la prescription de l'action en demande, fut attaquée par la voie d'un recours en annulation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant "qu'aucune méconnaissance de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme n'étant caractérisée et aucune violation de l'ordre public international qui imposerait qu'elle fût flagrante, effective et concrète, n'étant établie", la sentence arbitrale ne pouvait pas faire l'objet d'un recours en annulation. La première chambre civile a constaté que l'auteur du pourvoi sollicitait la révision au fond de la sentence, laquelle échappait au juge de l'annulation.

L'arrêt est intéressant à plusieurs titres. Il revient sur la distinction entre l'annulation de la décision, voie de recours destinée à contrôler la conformité de la sentence aux règles essentielles de la procédure et l'appel, véritable voie de réformation. Par ailleurs, la Cour de cassation juxtapose la violation de l'ordre public international et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Elle suggère ainsi que cette stipulation peut être rattachée à l'ordre public international et qu'une violation du droit au procès équitable peut donner lieu à un recours en annulation contre une décision d'arbitrage international. Cette conception de l'ordre public international s'accorde avec l'extension continue du champ d'application de l'article 6 de la CESDH à l'ensemble des procédures, comme on a pu le voir au début de cette chronique.

Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut Universitaire de France


(1) Cass civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-12.653, FS-P+B (N° Lexbase : A5730DDL), Bull. civ. II, n° 447, D., 2005, p. 122, note Ph. Bonfils.
(2) Cette jurisprudence constante est bien connue, elle est décrite dans tous les manuels de procédure pénale. Parmi tant d'autres, cf. nos obs., Procédure pénale, Litec, 2007, p. 76, n° 101.
(3) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 19 juin 2007, n° 2006/00628 (N° Lexbase : A8544DWD).
(4) Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.147, FS-P+B (N° Lexbase : A9362D8A).
(5) CA Paris, 1ère ch., sect. H, 29 avril 2009, n° 2008/11907 (N° Lexbase : A8480EG8).
(6) La formule "administration de la preuve" ne décrit, selon nous, aucune réalité juridique. Bien qu'elle soit utilisée par le Code de procédure civile et la majorité des auteurs, l'administration de la preuve est un concept ambigu. La preuve se recherche, se produit, se discute, s'apprécie. Mais les actes d'administration sont très peu nombreux en matière probatoire. Nous préférons parler plus sobrement de principe de loyauté des preuves : loyauté de la recherche, de la production, etc..
(7) C'est ce que nous appelons principe de licéité de la preuve car, en réalité, les preuves doivent être recherchées conformément au droit.
(8) Le communiqué de la Cour de cassation affirme "En statuant ainsi, la plus haute formation de la Cour de cassation marque son attachement au principe de la loyauté, qui participe pleinement à la réalisation du droit fondamental de toute partie à un procès équitable et s'applique en tout domaine, y compris en droit de la concurrence".
(9) Auxquels ont peut ajouter les principes de la procédure non exprimés dans un texte : loyauté des preuves, double degré de juridiction etc..
(10) CE 4° s-s., 19 octobre 2007, n° 305309 (N° Lexbase : A7995DYR).
(11) Cf. M. Menjucq, JurisClasseur Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 240, Régime de la réparation - Transaction, n° 116.
(12) Cf. par ex. C. Tivaudey-Bourdin JurisClasseur Encyclopédie des Huissiers de Justice, V° Titre exécutoire, Fasc. Unique, n° 75.

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Propriété intellectuelle

[Questions à...] Le livre numérique : vers une évolution du droit d'auteur ? - Questions à Maître Christophe Caron, Avocat à la Cour, cabinet Christophe Caron, Professeur agrégé des Facultés de droit

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par Vincent Téchené - Rédacteur en chef de Lexbase hebdo - édition affaires

Le 24 Janvier 2011

L'année 2010 aura été, à n'en pas douter, un tournant pour l'édition face au numérique en raison, notamment du développement des "tablettes" tactiles connectées à internet, qui connaissent un large succès commercial. Le livre numérique est d'abord un marché, si bien que les rapports (1) qui se sont succédés sur le sujet, ces deux dernières années, s'intéressaient principalement au taux de TVA applicable à ces produits et à la nécessité de leur étendre les dispositions de la loi "Lang" sur le prix unique (loi n° 81-766 du 10 août 1981N° Lexbase : L3886H3C). La première de ces deux questions a été tranchée par l'article 25 de la loi de finance pour 2011 qui prévoit, à compter du 1er janvier 2012, l'application du taux réduit de TVA de 5,5 % aux livres sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement (CGI, art. 278 bis, nouv. N° Lexbase : L0685IP3). Quant à la seconde question, l'issue est en passe d'être trouvée puisqu'un projet de loi, ayant pour objet d'étendre le prix unique au livre au numérique, a été voté en première lecture par le Sénat le 26 octobre 2010, malgré l'hostilité de certains face à cette éventualité (cf., not., Autorité de la concurrence, avis n° 09-A-56 du 18 décembre 2009, relatif à une demande d'avis du ministre de la Culture et de la Communication portant sur le livre numérique N° Lexbase : X9387AH7). Toutefois, les interrogations ne se limitent pas à ces deux problématiques. D'ailleurs, dans le cadre de la quatrième édition des Rencontres annuelles du droit de l'internet organisée par l'association Cyberlex (2), en partenariat avec l'Association française pour le nommage internet en coopération (AFNIC), qui s'est tenue au Sénat le 6 décembre 2010, l'une des tables rondes, dédiée aux "tablettes" numériques et à l'évolution des droits de propriété intellectuelle qu'elles induisent, s'est notamment intéressée à la question de savoir si le livre numérique impliquait une modification du droit d'auteur tel que nous le connaissons aujourd'hui. Aussi, pour nous éclairer sur ces enjeux, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré l'un des grands spécialistes du droit d'auteur en France, Maître Christophe Caron, Avocat à la Cour, cabinet Christophe Caron, Professeur agrégé des Facultés de droit, auquel était revenu le soin de faire part de ses réflexions sur le sujet lors du colloque du 6 décembre dernier.

Lexbase : Peut-on considérer que le contrat qui prévoit la cession des droits d'auteurs pour une exploitation numérique de l'oeuvre est toujours un contrat d'édition ou est-on face à un nouveau contrat de droits d'auteur ?

Christophe Caron : Il faut, en réalité, distinguer deux situations : on peut être en présence d'un contrat d'édition classique ou bien d'un contrat sui generis qui ne devrait pas pouvoir être qualifié d'édition. La question est importante car, de la réponse apportée, il en dépend l'application ou non du régime propre au contrat d'édition.
Dans le premier cas, c'est l'hypothèse d'un contrat d'édition tout à fait classique qui oblige l'éditeur à fabriquer des exemplaires physiques de l'oeuvre, c'est-à-dire des livres "papier" (ou, pourquoi pas, des CD-Roms). Mais ce même contrat peut aussi comporter une clause spécifique qui prévoit l'exploitation en ligne ou sous forme de livre numérique de l'oeuvre littéraire. L'existence de cette clause ne devrait pas chasser la qualification de contrat d'édition puisque les éléments constitutifs de ce contrat sont tout de même réunis dans la convention.
Dans le second cas, l'hypothèse est différente. On est alors en présence d'un contrat qui n'envisage que l'exploitation sous forme de livre numérique. L'éditeur n'a donc aucune obligation de fabriquer des exemplaires physiques. Est-on encore en présence d'un contrat d'édition ? Il est possible d'en douter. En effet, une des obligations fondamentales du contrat d'édition réside précisément dans cette obligation de fabrication. En ce sens, le contrat d'édition évoque un contrat d'entreprise. Dès lors, la convention qui serait amputée de cette obligation ne devrait pas pouvoir, en toute logique, être qualifiée de contrat d'édition. D'ailleurs, le contrat d'édition est attaché aux supports physiques. Il suffit, pour s'en convaincre, de songer à la mention du nombre des exemplaires fabriqués, à la mise sous pilon des exemplaires invendus, etc.. Si le contrat est exclusivement dédié à une exploitation de l'oeuvre sous format numérique, il est possible d'en déduire que le contrat est purement et simplement innommé, sauf si, par exemple, la jurisprudence en décide autrement en retenant tout de même la qualification de contrat d'édition pour pouvoir appliquer son régime. Il est aussi possible que la loi soit modifiée sur ce point.

Lexbase : Comment exploiter en toute sécurité de façon numérique des oeuvres dont les droits ont été cédés à une époque où le numérique n'existait pas ?

Christophe Caron : Il n'y a pas de difficulté si le contrat conclu dans le passé a bien été un réel acte de prévision, tourné vers l'avenir. Dans ce cas, il a forcément utilisé les ressources de l'article L. 131-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3389ADU) qui permet de stipuler une cession des droits pour une exploitation de l'oeuvre "sous une forme non prévisible ou non prévue à la date du contrat", à la condition qu'il existe une rémunération pour l'auteur.
Mais force est de constater que nombreux sont les contrats qui n'ont pas stipulé une clause en ce sens. On se trouve alors confronté à un contrat qui n'a pas cédé à l'exploitant les droits d'exploitation de l'oeuvre de façon numérique. Il en résulte que, si l'exploitant décide d'exploiter tout de même l'oeuvre en ligne, il est purement et simplement un contrefacteur puisqu'il agit sans droit et au-delà de l'autorisation qui lui a été consentie. De surcroît, il est constant que les contrats d'auteur sont toujours interprétés strictement.
C'est pourquoi il est impératif que l'exploitant ait acquis les droits nécessaires pour exploiter l'oeuvre en ligne. Le plus simple consiste certainement à conclure un avenant au contrat d'édition qui prévoit une exploitation de l'oeuvre au format numérique sur tous réseaux et supports numériques actuels ou à venir. Il est judicieux de faire référence notamment aux disques dur d'ordinateur, aux CD-I, DVD numériques, appareils de type Ipad, livres numériques, téléphones portables, téléchargements, impressions à la demande, etc., sans oublier de stipuler une référence à l'article L. 131-6 mentionné ci-dessus. En d'autres termes, il convient de mentionner les principaux modes d'exploitation qui existent au moment de la formation de l'avenant, tout en prévoyant également l'avenir.
Mais, pour signer un avenant, il faut être deux. Si l'auteur refuse (ou même son héritier), il peut exister une situation de blocage. Et il serait délicat de tenter d'interpréter le contrat en considérant que la cession des droits pour une exploitation de l'oeuvre sous forme d'exemplaire physique papier vaut aussi pour une exploitation numérique en ligne...
Cela incite à toujours considérer le contrat comme un acte de prévision tourné vers l'avenir et à utiliser l'article L. 131-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Lexbase : Le principe d'une rémunération proportionnelle est-il transposable à l'exploitation numérique d'une oeuvre. Peut-on envisager un autre modèle de rémunération ?

Christophe Caron : Il est vrai que, en matière de contrat d'édition, le principe réside dans la rémunération proportionnelle ! Qu'en est-il à propos d'une exploitation numérique ? Certes, il est tout à fait possible d'y recourir dès lors qu'il y a un prix payé par le public à l'acte. Par exemple, une personne paye un prix pour télécharger l'oeuvre, la consulter sur écran ou pour pouvoir l'imprimer. Dans ce cas, il est aisé de calculer une rémunération proportionnelle. Mais faudra-t-il utiliser les taux communément utilisés dans l'édition (c'est-à-dire souvent autour de 10 % du prix public HT) ? La pratique va certainement créer des taux usuels pour l'exploitation en ligne. D'ores et déjà, il est possible de constater que l'économie n'est certainement pas la même.
S'il existe un prix public payé de façon globale, par exemple un abonnement pour accéder à une collection d'oeuvres en ligne, il est alors possible d'utiliser une rémunération forfaitaire comme l'autorise l'article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3387ADS) puisque "la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels" ou parce que "les frais des opérations de calcul et de contrôle" pourraient être "hors de proportion avec les résultats à atteindre". De même, dans l'hypothèse d'une mise en ligne des oeuvres sans qu'un prix soit payé par le public (même si le site se finance grâce à la publicité), il est aussi possible de recourir, sur le même fondement, au forfait car la "base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée".
En d'autres termes, dans l'univers analogique comme dans le monde numérique, on retrouve les rémunérations proportionnelle et forfaitaire !

Lexbase : Peut-on envisager des revendications en matière de droit moral qui représenteraient un obstacle à l'exploitation numérique d'une oeuvre ? Comment limiter ce risque ?

Christophe Caron : Ces revendications peuvent apparaître comme assez théoriques. Néanmoins, il ne faut pas les exclure complètement. En effet, un auteur pourrait protester contre une mise en ligne de mauvaise qualité de son oeuvre ou contre un découpage de son livre, voire contre l'insertion de liens hypertextes. Mais, dans tous les cas, il devra tout de même expliquer pourquoi il considère que sa personnalité est maltraitée. La meilleure façon de se prémunir contre ce risque consiste à stipuler des clauses très claires et très précises qui expliquent que l'auteur consent à ce que son oeuvre soit mise en ligne selon des modalités techniques à détailler. Ainsi, si l'auteur exerce son droit moral, il sera possible de plaider qu'il le fait de mauvaise foi car il savait très bien, en signant le contrat, ce qu'il en était.


(1) Cf., not., rapport de Bruno Patino, Rapport sur le livre numérique, remis le 13 mars 2008 à la ministre de la Culture et de la Communication ; rapport d'Hervé Gaymard, Situation de livre - évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives, remis le 10 mars 2009 à la ministre de la Culture et de la Communication ; rapport de Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, Création et internet, remis le 6 janvier 2010 au ministre de la Culture et de la Communication ; ou encore le rapport de Christine Albanel, Pour un livre numérique créateur de valeurs, remis le 15 avril 2010 au Premier ministre.
(2) le site internet de Cyberlex.

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QPC

[Doctrine] QPC : évolutions procédurales récentes - mars à décembre 2010

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N1559BR8

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par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 11 Mai 2011

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel, comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, que praticiens et théoriciens ne peuvent négliger. Cette chronique -trimestrielle à l'avenir- s'attachera à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant, quant à eux traités, au sein de chacune des rubriques spécialisées de la présente revue. La question prioritaire de constitutionnalité, introduite par l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) a été mise en place progressivement avec l'adoption de la loi organique du 10 décembre 2009 (1), puis du règlement intérieur du Conseil constitutionnel du 4 février 2010, sur la procédure suivie pour les questions prioritaires de constitutionnalité et de deux décrets du 16 février 2010, fixant la procédure applicable devant les juridictions ordinaires et le régime de l'aide juridictionnelle (2). Une circulaire du Garde des Sceaux du 24 février 2010 a ensuite présenté la nouvelle procédure aux chefs des juridictions judiciaires (3). Très détaillée, celle-ci peut être extrêmement utile aux praticiens. Entrée en vigueur le 1er mars 2010, la QPC a rencontré un franc succès que n'avaient pas escompté les plus optimistes : plus de trois cents questions ont, en effet, été posées au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation dans les trois premiers mois. L'ardeur des justiciables a ensuite diminué et le nombre de QPC soulevées ou transmises a décru, mais au 31 décembre 2010, le Conseil constitutionnel avait rendu 64 décisions et 27 étaient pendantes devant lui. Quantitativement, le succès est indéniable (4). Le lecteur intéressé pourra, également, se reporter au passionnant rapport d'évaluation réalisé par la commission des lois de l'Assemblée nationale. I - Champ d'application

A - La notion de disposition législative

1- Qu'est-ce qu'une "disposition législative" ?

Une "disposition législative" au sens de l'article 61-1 de la Constitution est une disposition ayant force de loi par son objet, quelle que soit sa forme. Elle peut, ainsi, figurer dans les ordonnances ratifiées ou ayant eu, d'emblée, une force législative comme celles adoptées à la Libération ou au cours de la période de transition d'octobre 1958 à février 1959, sur le fondement de l'ancien article 92. La circulaire du Garde des Sceaux est sans ambiguïté sur ce point (voir § 1.1.1 de ce texte). En revanche, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour apprécier la conformité à la Constitution d'une disposition réglementaire fixant une peine complémentaire en cas de contravention : une telle disposition ne peut être contestée qu'en soulevant une exception d'illégalité devant le juge pénal (Cons. const., décision n° 2010-66 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3868GLT).

Comme les lois approuvant des conventions conclues par l'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 15 juillet 2010, n° 322419 N° Lexbase : A5892E4Y), mais contrairement à celles autorisant la ratification d'un Traité (CE 9° et 10° s-s-r., 14 mai 2010, n° 312305, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1851EXT), les lois de validation peuvent, également, faire l'objet d'une QPC. Le Conseil constitutionnel vérifie, alors, qu'il n'y a pas d'atteinte au principe de la garantie des droits consacré par l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) (Cons. const., décision n° 2010-2 QPC, du 11 juin 2010 N° Lexbase : A8019EYN ; Cons. const., décision n° 2010-78 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7113GME).

La Cour de cassation et le Conseil constitutionnel se sont opposés sur la possibilité de soulever une QPC à l'encontre d'une disposition législative abrogée mais applicable au litige. Le Conseil constitutionnel ayant indiqué que la QPC doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion de laquelle elle a été posée (Cons. const., décision n° 2010-25 QPC, du 16 septembre 2010 N° Lexbase : A4757E93), la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence et accepté de transmettre une question visant une disposition qui n'était plus en vigueur, mais qui était applicable au litige (Cass. QPC, 28 septembre 2010, n° 10-40.033, FS-D N° Lexbase : A6803GA9). De même, le Conseil constitutionnel peut se prononcer sur la constitutionnalité d'une disposition modifiée après que la QPC a été soulevée devant le juge a quo. Saisi d'une QPC renvoyée par la Cour de cassation sans reformuler la question posée qui faisait référence à la version de la loi en vigueur au 6 avril 2010, le Conseil constitutionnel a, ainsi, précisé qu'il se prononçait sur la loi du 2 juin 1891 (5) "dans sa version antérieure au 13 mai 2010", soit la date d'entrée en vigueur de la dernière modification de cette loi de 1891. Il a ensuite jugé que la loi du 2 juin 1891, dans sa rédaction antérieure au 13 mai 2010, est conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-73 QPC, du 3 décembre 2010 N° Lexbase : A4387GMG).

Saisi d'articles recodifiés et ayant fait l'objet de modifications (de forme, mais non de fond) entre leur mise en application dans l'affaire qui a donné lieu à la QPC et la date de l'examen de la QPC par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat a renvoyé la question en visant les deux numérotations. Reprenant la solution de sa décision du 16 septembre 2010 n° 2010-25 QPC, précitée, le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité des dispositions qui lui étaient soumises dans leur rédaction applicable au litige, soit dans leur rédaction antérieure à la codification. Mais il a ensuite mentionné, dans le dispositif de la décision, l'ancienne et la nouvelle numérotations afin que sa décision rendue à partir de l'ancienne numérotation vaille, également, pour la nouvelle (Cons. const., décision n° 2010-71 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3871GLX).

2 - Statut de l'interprétation de la loi

Cette question a vu naître dans un premier temps un autre conflit entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. Interprétant strictement et littéralement l'expression de "disposition législative", la Haute juridiction judiciaire a, en effet, commencé par refuser de transmettre les questions reposant sur une critique de l'interprétation donnée de la loi par la jurisprudence (Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, P+F N° Lexbase : A8740EXY). Le Conseil d'Etat pouvait, quant à lui, retenir une interprétation de la loi, au regard de sa propre jurisprudence (CE 9° et 10° s-s-r., 18 juin 2010, n° 338638 N° Lexbase : A9870EZL), mais sans qu'elle ne fasse obstacle à un renvoi de la question, sauf si la question invoquait l'obscurité de la loi (CE 9° et 10° s-s-r., 25 juin 2010, n° 326363, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3168E3Q). Or, le Conseil constitutionnel entendait maîtriser l'interprétation de la loi lorsque celle-ci est nécessaire à l'exercice du contrôle de constitutionnalité. Il peut, en effet, retenir une interprétation de la loi différente de celle retenue par la Cour de cassation, telle l'application dans le temps de la loi dite "anti-Perruche" (6) au regard des exigences de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) (Cons. const., décision n° 2010-2 QPC, du 11 juin 2010 N° Lexbase : A8019EYN), mais aussi prendre une déclaration de conformité assortie d'une réserve d'interprétation par laquelle il précise la portée de la loi (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9572EZK).

Par la suite, le Conseil constitutionnel a décidé d'examiner les dispositions législatives qui lui sont transmises dans l'interprétation retenue par le juge de renvoi (Cons. const., décision n° 2010-39 QPC, du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9923GAR ; Cons. const., décision n° 2010-52 QPC, du 14 octobre 2010 N° Lexbase : A7696GBN). La jurisprudence de la Cour de cassation a alors évolué, la Chambre criminelle renvoyant une question jugée sérieuse au regard des principes d'individualisation, de proportionnalité et de nécessité des peines (Cass. crim., 14 septembre 2010, n° 10-90.091, F-D N° Lexbase : A8771E9Q ; Cass. crim., 22 septembre 2010, n° 10-85.866, F-D N° Lexbase : A6800GA4 ; Cass. crim., 5 octobre 2010, n° 10-90.097, F-D N° Lexbase : A3909GBE), tandis que la Chambre commerciale estimait sérieux un moyen fondé sur le respect des "exigences de clarté et de précision résultant du principe de légalité des délits et des peines" (Cass. QPC, 15 octobre 2010, n° 10-40.039, FS-D N° Lexbase : A9270GBX).

3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

Identification - Une décision DC intervenue à la suite d'une saisine ne formulant aucun grief de constitutionnalité et dont le dispositif ne vise qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle ne vaut pas déclaration de conformité des autres dispositions de la loi (Cons. const., décision n° 2010-6/7 QPC, du 11 juin 2010 N° Lexbase : A8020EYP). En revanche, les dispositions d'un article de loi déclaré conforme à la Constitution sont indivisibles, quels que soient les moyens soulevés (CE 2° et 7° s-s-r., 19 mai 2010, n° 330310, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4089EXQ ; CE 4° s-s., 23 juillet 2010, n° 339882 N° Lexbase : A0019E7T ; Cons. const., décision n° 2010-9 QPC, du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5939E3D) : la déclaration de constitutionnalité dans les motifs et le dispositif d'une décision valent, quels que soient les motifs d'inconstitutionnalité invoqués.

Saisi d'un article du Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel recherche, alinéa par alinéa, le texte qui les a introduit dans l'ordre juridique, pour déterminer s'il a été amené, ou non, à se prononcer sur leur conformité à la Constitution (Cons. const., décision n° 2010-31 QPC, du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8927E9I).

Autorité de la chose jugée - Le Conseil constitutionnel prononce un non-lieu à statuer s'agissant d'une disposition dont la rédaction est identique à une disposition qu'il a déjà jugée conforme à la Constitution et qui a le même objet (Cons. const., décision n° 2010-44 QPC, du 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4886GA9). Mais lorsqu'il est saisi de griefs qui ne mettent en cause que le premier alinéa d'un article, et dans la mesure où le reste de l'article en est séparable, le Conseil constitutionnel estime que la QPC ne portait que sur ce premier alinéa (Cons. const., décision n° 2010-81 QPC, du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1873GNP). Il s'agit d'éviter que l'éventuelle déclaration de conformité à la Constitution de l'ensemble de l'article ne rende irrecevables de futures contestations sérieuses des autres parties du texte.

En revanche, lorsque le requérant invoque l'inconstitutionnalité de l'ensemble des dispositions d'une loi, mais que le Conseil constitutionnel a validé, dans les motifs et dans le dispositif de sa décision l'article de la loi établissant le dispositif qui est l'objet de la contestation, la question ne doit pas être renvoyée (CE 6° s-s., 8 septembre 2010, n° 323694, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9691E8G). Il en est de même si le Conseil a jugé conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de l'une de ses décisions QPC, et quel que soit le motif invoqué, une disposition législative dans une rédaction antérieure, mais alors que les dispositions contestées et applicables au litige n'ont pas été modifiées postérieurement à cette date (CE 8° s-s., 14 octobre 2010, n° 341689 N° Lexbase : A8028GBX).

B - L'atteinte aux droits et libertés

1 - Droits et libertés invocables

Le principe d'égalité semble être le principe constitutionnel le plus fréquemment invoqué par les requérants. Mais d'autres droits et libertés méritent tout particulièrement de retenir l'attention.

a) Droits et libertés individuels

Le principe tiré du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel "la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation" constitue un droit inaliénable et sacré est invocable au soutien d'une QPC (Cons. const., décision n° 2010-80 QPC, du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1872GNN). Le Conseil d'Etat a accepté d'examiner un moyen tiré d'une violation du droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du même Préambule, mais il l'a rejeté comme non sérieux (CE 1° et 6° s-s-r., 24 septembre 2010, n° 342161 N° Lexbase : A3419GAU). L'interdiction des détentions arbitraires et le principe selon lequel l'autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle résultent de l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L1332A99) (Cons. const., décision n° 2010-80 QPC, du 17 décembre 2010, précitée).

b) Droits et libertés collectifs

La Cour de cassation admet que les principes de liberté d'entreprendre, de liberté du commerce et de l'industrie et de libre concurrence soient invoqués à l'appui d'une QPC (Cass. QPC, 28 septembre 2010, n° 10-40.033, FS-D N° Lexbase : A6803GA9 ; Cass., QPC, n° 10-40.036, 26 octobre 2010, FS-P+B N° Lexbase : A1114GDM). Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, rejeté au fond un grief tiré d'une atteinte au principe de la liberté syndicale énoncé par le sixième alinéa du Préambule de 1946 (Cons. const., décision n° 2010-63/64/65 QPC, du 12 novembre 2010, N° Lexbase : A4181GGX), et un autre tiré d'une atteinte à la liberté d'entreprendre (Cons. const., décision n° 2010-73 QPC, du 3 décembre 2010 N° Lexbase : A4387GMG).

c) Droits et procédure

Le principe de la présomption d'innocence, consacré par l'article 9 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q), est invocable à l'appui d'une QPC (Cons. const., décision n° 2010-69 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3869GLU).

Se fondant sur l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P), le Conseil a encore affirmé la portée constitutionnelle du principe de rétroactivité in mitius de la loi pénale plus douce. Il a, cependant, réservé les cas dans lesquels la suppression d'une incrimination ou son remplacement par une incrimination moins sévère ne correspondrait pas à un adoucissement de la loi pénale, mais à un changement de la réglementation applicable dont la loi pénale ne serait pas séparable (Cons. const., décision n° 2010-74 QPC, du 3 décembre 2010 N° Lexbase : A4388GMH).

Enfin, l'indépendance des juridictions, indissociable de l'exercice des fonctions juridictionnelles (Cons. const., décision n° 2010-10 QPC, du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5937E3B), comme les garanties résultant de l'intervention de l'autorité judiciaire dans le cadre de visites et de saisies en matière fiscale (Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q), trouvent leur fondement dans les exigences de l'article 16 de la Déclaration (N° Lexbase : L1363A9D).

d) Droits et libertés des collectivités territoriales

Les principes de libre administration des collectivités territoriales et de compensation des charges sont invocables. Le Conseil constitutionnel précise que le principe de compensation financière joue en cas de transfert de compétence aux collectivités territoriales ou de créations ou d'extensions de compétence, mais non en cas de modification des modalités d'exercice (Cons. const., décision n° 2010-56 QPC, du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9273GB3). Les collectivités territoriales peuvent, également, invoquer le droit de propriété sur le fondement des articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration de 1789 en ce qu'il pose des règles spécifiques en matière de protection du patrimoine des personnes publiques (Cons. const., décision n° 2010-67/86 QPC, du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1870GNL).

2 - Normes constitutionnelles non invocables

Comme le laisse apparaître clairement l'article 61-1, le justiciable ne peut invoquer des principes qui intéressent le respect de la procédure législative (Cons. const., décision n° 2010-4/17 QPC, du 22 juillet 2010 N° Lexbase : A9190E47), pas plus que le principe de sincérité budgétaire (CE 3° et 8° s-s-r., 15 juillet 2010, n° 340492, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6511E4W).

L'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice n'est pas invocable par un justiciable (Cons. const., décision n° 2010-77 QPC, du 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7112GMD). Pour celui-ci, la mauvaise administration de la justice se présentera donc sous l'aspect d'une violation du droit au recours juridictionnel effectif, des droits de la défense ou du droit à une procédure juste et équitable, tous ces droits étant garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D).

Intéressant particulièrement les collectivités territoriales, mais n'étant pas non plus invocables :

- le principe posé par l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) selon lequel l'organisation de la République est décentralisée (CE 1° et 6° s-s-r., 15 septembre 2010, n° 330734, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4981E9D) ;

- les dispositions du dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution (N° Lexbase : L8824HBG), d'après lequel la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales (Cons. const., décision n° 2010-29/37 QPC, du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8926E9H) ;

- la règle posée par l'article 72-2 de la Constitution selon laquelle "tout transfert de compétence entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice" ne s'applique pas s'agissant des compétences exercées par les maires au nom de l'Etat (Cons. const., décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010, précitée).

3 - Cas de l'incompétence négative

La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'encontre de dispositions législatives antérieures à la Constitution de 1958 (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, du 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97). Pour le Conseil d'Etat, cette jurisprudence s'applique, également, aux dispositions constitutionnelles introduites après 1958 : une violation de la répartition des compétences telle qu'elle résulte de la Charte de l'environnement ne peut, ainsi, être invoquée à l'encontre d'une disposition législative qui lui est antérieure (CE 5° s-s., 3 novembre 2010, n° 342502, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4116GDS).

En présence de dispositions législatives postérieures à la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel juge que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une QPC que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI), par exemple le droit de propriété (Cons. const., décision n° 2010-33 QPC, du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8929E9L) ou la liberté de communication et la liberté d'entreprendre (Cons. const., décision n° 2010-45 QPC, du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9925GAT). Enfin, l'incompétence négative du législateur peut être soulevée d'office par le Conseil (Cons. const., décision n° 2010-33 QPC, du 22 septembre 2010, précitée).

II - Le fonctionnement de la nouvelle procédure

A - La procédure devant les juridictions ordinaires et suprêmes

Une QPC peut être soulevée devant le juge des référés (CE référé, 16 juin 2010, n° 340250, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9876EZS). Celui-ci peut rejeter la requête pour défaut d'urgence ou pour irrecevabilité, et ce n'est que s'il ne rejette pas les conclusions à fin de suspension pour l'un de ces motifs qu'il lui appartient de se prononcer en l'état de l'instruction, sur le renvoi de la QPC (CE référé, 21 octobre 2010, n° 343527 N° Lexbase : A4576GCH).

En revanche, une QPC ne peut être soulevée à l'appui d'un recours en révision et en rectification d'erreur matérielle contre une décision contradictoire du Conseil d'Etat (CE 5° s-s., 4 octobre 2010, n° 328505 N° Lexbase : A3530GBD).

Une QPC peut être soulevée dans une note en délibéré (7). En revanche, la Cour de cassation déclare irrecevable la QPC lorsque le mémoire a été produit hors délai d'instruction, et que l'instruction n'a pas été rouverte (Cass. crim., 2 mars 2010, n° 09-81.027, F-P+F N° Lexbase : A1888ET4 ; Cass. QPC, 19 mars 2010, n° 09-81.027 N° Lexbase : A1972EXC).

Par ailleurs, un principe constitutionnel qui n'a pas été invoqué en première instance à l'appui d'une QPC ne peut plus l'être pour la première fois devant le Conseil d'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2010, n° 339297 N° Lexbase : A6504E4N).

B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation

Si la Cour de cassation a pu juger sérieuse une question invoquant de manière générale les droits et libertés garantis par la Constitution (Cass. QPC, 1er juillet 2010, n° 09-85.466, F-D N° Lexbase : A8815E3U), le Conseil d'Etat juge, quant à lui, que l'argument tenant à la contrariété de la disposition législative contestée aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être assorti de précisions (CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 340142 N° Lexbase : A1413E44).

La formation spéciale de la Cour de cassation compétente pour examiner les QPC a été supprimée par la loi organique du 22 juillet 2010, relative à l'application de l'article 65 de la Constitution (8). Le décret du 15 octobre 2010, relatif à la procédure d'examen des questions prioritaires de constitutionnalité devant la Cour de cassation (9), en a ensuite tiré les conséquences.

1 - La notion de question sérieuse

L'appréciation du caractère sérieux de la question posée conduit nécessairement la juridiction suprême à se prononcer sur la constitutionnalité d'une disposition législative : refuser de transmettre une QPC en raison de son caractère non sérieux revient nécessairement à affirmer que cette disposition est constitutionnelle. S'agissant, alors, de l'étendue du contrôle exercé, on s'aperçoit que, sous couvert de l'absence de caractère sérieux de la question, les juridictions suprêmes exercent parfois elles-mêmes un véritable contrôle de constitutionnalité.

Saisie d'une question invoquant le droit au maintien des conventions légalement conclues à l'encontre d'une disposition législative, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que la question posée ne présente pas un caractère sérieux car elle répond à un motif d'intérêt général et sa mise en oeuvre est entourée de garanties procédurales et de fond suffisantes (Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 09-71.209, P+B N° Lexbase : A4037E3W). De même, le Conseil d'Etat estime qu'une disposition législative permettant la dissolution de certaines associations ne porte pas "d'atteinte excessive au principe de la liberté d'association", se livrant, ainsi, à un véritable contrôle de proportionnalité et donc de constitutionnalité (CE 2° et 7° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 340849, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3560GBH).

2 - La notion de question nouvelle

La question est nouvelle dès lors qu'est invoqué un principe dont le Conseil n'a pas fait application à ce jour, ce qui justifie que la question lui soit renvoyée, sans que son caractère sérieux soit examiné. L'introduction dans la Constitution de l'article 66-1 relatif à l'interdiction de la peine de mort (N° Lexbase : L5161IBR) constitue, ainsi, un changement de circonstances de droit qui justifie le renvoi d'une QPC concernant une disposition législative jugée antérieurement conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (CE 9° et 10° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 338505, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3556GBC). Mais le changement de circonstances peut aussi tenir au fait que les dispositions législatives déjà jugées conformes à la Constitution ont été modifiées postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel (CE 1° et 6° s-s-r., 16 juillet 2010, n° 321056 N° Lexbase : A6422E4M ; Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q).

A propos de la garde à vue, alors qu'étaient en cause des dispositions jugées conformes à la Constitution et modifiées par de nouvelles dispositions, le Conseil constitutionnel a retenu, à la fois, un changement des circonstances de droit (modification de règles de procédure pénale) et un changement des circonstances de fait (recours de plus en plus fréquent à la garde à vue) (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P).

3 - La décision de la juridiction suprême

Le juge peut opérer un tri entre les dispositions contestées pour ne retenir que celle(s) qu'il juge applicable(s) au litige (Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-14.749 N° Lexbase : A4055E3L, n° 10-40.005, P+B N° Lexbase : A4056E3M, n° 10-40.006, P+B N° Lexbase : A4057E3N, n° 10-40.007, P+B N° Lexbase : A4058E3P). Le Conseil constitutionnel est alors lié par l'appréciation faite par la juridiction suprême qui a apprécié souverainement l'applicabilité au litige des dispositions renvoyées (Cons. const., décision n° 2010-1 QPC, du 28 mai 2010 N° Lexbase : A6283EXY ; Cons. const., décision n° 2010-71 QPC, du 26 novembre 2011 N° Lexbase : A3871GLX).

La juridiction peut surseoir à statuer dans l'attente d'une réponse du Conseil constitutionnel portant sur des questions équivalentes (CE 3° s-s., 15 juillet 2010, n° 340391 N° Lexbase : A6510E4U). La Cour de cassation a été autorisée à faire de même par le décret du 15 octobre 2010 précité.

C - La procédure devant le Conseil constitutionnel

1 - Impartialité du Conseil constitutionnel

Il n'est pas discuté que le Conseil constitutionnel, lorsqu'il statue sur une QPC posée à l'occasion d'un litige entrant dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), doit respecter le droit à un procès équitable (CEDH, 23 juin 1993, Req. 2/1992/347/420 N° Lexbase : A6555AWP ; CEDH, 8 novembre 2007, Req. 31419/04 N° Lexbase : A3649DZ8). Aussi sa composition (10) peut-elle poser problème au regard du principe d'impartialité.

Il a, ainsi, été relevé (11) que la décision "25 QPC" (Cons. const., décision n° 2010-25 QPC, du 16 septembre 2010 N° Lexbase : A4757E93) a été rendue par un Conseil constitutionnel siégeant dans une composition qui ne permet pas d'y voir une juridiction impartiale au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH et de l'arrêt "McGonnell" du 8 février 2000 (CEDH, 8 février 2000, Req. 28488/95 N° Lexbase : A7164AWA). Il faut, d'ailleurs, noter que, si aucun membre du Conseil n'a jugé bon de se déporter dans cette affaire, les requérants ou leur conseil ne pouvaient pas faire usage du droit de récusation, puisque le règlement de procédure établi par le Conseil dispose en son article 4, alinéa 4, que "le seul fait qu'un membre du Conseil constitutionnel a participé à l'élaboration de la disposition législative faisant l'objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation".

2 - Publicité des audiences

En principe, les audiences du Conseil constitutionnel sont publiques mais lorsque le Conseil a statué sur une disposition législative soumise à son examen, le greffe communique la décision rendue aux parties dans les affaires où la même question est encore en cours d'instruction devant le Conseil constitutionnel. Cette notification informe les parties que, compte tenu de l'identité de la disposition contestée, il est envisagé de statuer sans organiser d'audience publique, même si d'autres dispositions sont contestées, dès lors que la question restant à trancher ne présente pas de difficultés. Si les parties l'acceptent, la procédure parvient, ainsi, à son terme sans audience publique (Cons. const., décision n° 2010-30/34/35/47/48/49/50 QPC du 6 août 2010 N° Lexbase : A9233E74), et le Conseil prononce un non-lieu. Mais le requérant peut toujours demander à être entendu lors de l'audience publique. Le Conseil constitutionnel ne s'étant pas reconnu, dans son règlement de procédure, la possibilité de s'opposer à une telle demande, il entend, alors, les parties au cours d'une audience publique (Cons. const., décision n° 2010-61 QPC du 12 novembre 2010 N° Lexbase : A4180GGW).

D - Les effets du contrôle

1 - Effets dans le temps

En principe, une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question, sauf si l'abrogation immédiate est susceptible de violer des objectifs constitutionnels et d'entraîner des conséquences manifestement excessives (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P). Ainsi, l'abrogation d'une disposition législative limitant le droit des parties civiles de se pourvoir en cassation contre l'arrêt d'une chambre d'accusation "est applicable à toutes les instructions préparatoires auxquelles il n'a pas été mis fin par une décision définitive à la date de publication de la présente décision" (Cons. const., décision n° 2010-15/23 QPC, du 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9193E4A).

La décision d'abrogation du Conseil constitutionnel produira immédiatement effet dès lors qu'elle ne crée pas de vide juridique et que le législateur n'a pas à prendre d'autres dispositions (Cons. const., décision n° 2010-6/7 QPC, du 11 juin 2010 N° Lexbase : A8020EYP). L'abrogation de la disposition établissant une peine dont l'exécution n'est pas continue implique, ainsi, simplement qu'elle ne peut plus être prononcée ni ramenée à exécution (Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC N° Lexbase : A7111GMC). Mais le Conseil peut aller au-delà. Il précise que l'abrogation des dispositions législatives relatives au tribunal maritime commercial s'applique à toutes les infractions non jugées définitivement au jour de la publication de sa décision et prévoit, ensuite, que ces tribunaux siègeront désormais dans la composition des juridictions pénales de droit commun (Cons. const., décision n° 2010-10 QPC, du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5937E3B).

En tout état de cause, l'abrogation ne saurait avoir d'effet rétroactif. Ainsi, l'abrogation d'une loi imposant un prélèvement ne peut être invoquée à l'encontre de prélèvements non atteints par la prescription (Cons. const., décision n° 2010-52 QPC, du 14 octobre 2010 N° Lexbase : A7696GBN).

Lorsque l'abrogation pourrait porter atteinte à la sécurité juridique ou faire revivre une législation elle-même contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel peut reporter les effets dans le temps de l'abrogation qu'il prononce. Il a, ainsi, reporté au 1er juillet ou au 1er août 2011 la date de l'abrogation de dispositions portant sur la garde à vue (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P), la rétention douanière (Cons. const., décision n° 2010-32 QPC, du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8928E9K), les noms de domaines internet (Cons. const., décision n° 2010-45 QPC, du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9925GAT) ou l'hospitalisation d'office (Cons. const., décision n° 2010-71 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3871GLX).

Le Conseil constitutionnel a, également, modulé les effets dans le temps d'une réserve d'interprétation formulée à propos de l'article 803-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5729DYT) : les réserves formulées ne sont, ainsi, applicables qu'aux cas de mise en oeuvre après la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel. Il s'agissait d'éviter, dans l'intérêt de la sécurité juridique, que l'interprétation de cette réserve ne conduise à invalider les procédures antérieures (Cons. const., décision n° 2010-62 QPC, du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1869GNK).

2 - Autorité des décisions

Le Conseil constitutionnel précise dans les motifs de ses décisions QPC et par un "considérant balai" que "les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit" (Cons. const., décision n° 2010-13 QPC, du 9 juillet 2010 N° Lexbase : A1250E43). La décision de conformité d'une disposition législative prononcée par le Conseil vaut, ainsi, à l'égard de tous les griefs qui pourraient être articulés. Une disposition législative examinée dans le cadre d'une QPC ne peut donc plus utilement être contestée par ce biais par la suite, sauf changement des circonstances de droit ou de fait.

Le Conseil constitutionnel a, également, repris du contrôle a priori la technique des réserves d'interprétation pour fixer la portée de la disposition législative contestée en déterminant le champ d'application d'une taxe (Cons. const., décision n° 2010-57 QPC, du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9274GB4) ou constitutionnaliser une interprétation de dispositions du Code de procédure pénale par la Cour de cassation, car elle satisfaisait à l'exigence du droit au recours, et en étendre la portée à des hypothèses non couvertes par cette jurisprudence (Cons. const., décision n° 2010-38 QPC, du 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4883GA4). Reprises dans le dispositif de la décision, ces réserves sont revêtues de l'autorité de la chose jugée et s'imposent donc à l'ensemble des juridictions en vertu de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH).

III - L'articulation avec le contrôle de conventionnalité

A - La coexistence des procédures

La question de la compatibilité de la QPC avec le droit de l'Union européenne a déjà fait couler beaucoup d'encre, et on se contentera ici de renvoyer, outre aux principales décisions intervenues (Cass. QPC 16 avril 2010, n° 10-40.002 N° Lexbase : A2046EX3 ; Cons. const., décision n° 2010-605 DC, du 12 mai 2010 N° Lexbase : A1312EXU ; CE 9° et 10° s-s-r., 14 mai 2010, n° 312305, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1851EXT ; CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10 N° Lexbase : A1918E3G), à l'éclairante synthèse qui devrait être bientôt accessible en ligne de D. Simon et A. Rigaux (12).

B - Concurrence ou coexistence ?

Dans sa décision n° 2010-1 QPC (Cons. const., décision n° 2010-1 QPC, du 28 mai 2010, précité), le Conseil constitutionnel a pu déclarer inconstitutionnelles des dispositions jugées compatibles avec la CESDH par le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 14 avril 2010, n° 336753 N° Lexbase : A9196EU7). Il a encore abrogé l'article 575 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3968AZY), subordonnant la recevabilité du pourvoi en cassation de la partie civile à l'existence d'un pourvoi formé par le ministère public, jugé conforme à la Convention par la Cour de Strasbourg (Cons. const., décision n° 2010-15/23 QPC, du 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9193E4A).

Inversement, des régimes spéciaux de garde à vue jugés conformes à la Constitution ont été jugés contraires à la Convention (CEDH, 14 octobre 2010, req. n° 1466/07 N° Lexbase : A7451GBL), la Cour de cassation s'étant, alors, brusquement aperçue que le régime de la garde à vue qu'elle appliquait sans ciller depuis des années n'était pas conforme aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (Cass. crim., 19 octobre 2010, trois arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A0916GCW, n° 10-82.902, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A0917GCX et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R N° Lexbase : A0918GCY).


(1) Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS).
(2) Décrets du 16 février 2010, n° 2010-148 portant application de la loi organique n° 2009-1523 (N° Lexbase : L5740IGP), et n° 2010-149 relatif à la continuité de l'aide juridictionnelle (N° Lexbase : L5741IGQ).
(3) Circ. DACS 04/10 du 24 février 2010 (N° Lexbase : L7652IGI).
(4) Pour un bilan détaillé, voir l'étude du Conseil constitutionnel : La QPC en 2010 au Conseil constitutionnel - quelques chiffres.
(5) Loi du 2 juin 1891, ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux (N° Lexbase : L4208HYI).
(6) Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA).
(7) Voir le communiqué du Conseil d'Etat concernant le litige relatif aux élections régionales en Ile-de-France.
(8) Loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 (N° Lexbase : L8183IMZ).
(9) Décret n° 2010-1216 du 15 octobre 2010, relatif à la procédure d'examen des questions prioritaires de constitutionnalité devant la Cour de cassation (N° Lexbase : L1841INI).
(10) Voir l'article de P. Wachsmann, Sur la composition du Conseil constitutionnel, Juspoliticum, Revue internationale de droit politique.
(11) Le Conseil constitutionnel pris en flagrant délit de partialité, Rue89.com, 21 septembre 2010.
(12) La priorité de la QPC : Harmonie(s) et dissonance(s) des monologues juridictionnels croisés, Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 29, p. 63.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Modalités de calcul du score électoral permettant de déterminer l'audience des organisations syndicales

Réf. : Cass. soc., 6 janvier 2011, deux arrêts, n° 10-17.653, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7331GNT) et n° 10-60.168, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7332GNU)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 24 Janvier 2011

Jusqu'à l'adoption de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), les élections professionnelles dans l'entreprise n'avaient d'autre objet que d'assurer la mise en place d'institutions représentatives du personnel. Depuis cette date, elles permettent, également, de mesurer l'audience électorale des syndicats afin de déterminer s'ils sont représentatifs et, a posteriori, d'apprécier les conditions de validité des accords collectifs de travail et des protocoles d'accords préélectoraux. Le rôle nouveau, ainsi conféré aux élections professionnelles, exigeait que soit précisé le mode de décompte des suffrages exprimés au premier tour de ces élections. Faute pour le législateur de l'avoir fait, c'est à la Cour de cassation qu'est revenu ce rôle. Par deux arrêts rendus le 6 janvier 2011, promis à la plus large des publicités, la Chambre sociale décide, en substance, que tout bulletin exprimé en faveur d'une organisation syndicale doit être pris en compte pour une unité, quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé.
Résumé

Le nombre de voix recueillies par les organisations syndicales à prendre en considération pour le décompte des suffrages exprimés en leur faveur est le nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste, sans qu'il y ait lieu, s'agissant de la mesure de la représentativité de ces organisations, de tenir compte d'éventuelles ratures de nom de candidats.

Observations

I - Le décompte des suffrages exprimés aux élections professionnelles

Nécessité

Depuis l'adoption de la loi du 20 août 2008, les élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement n'ont plus le même sens et la même portée qu'avant. Alors qu'antérieurement, elles n'avaient d'autre objet que la mise en place de représentants du personnel à ces niveaux, elles ont désormais deux autres finalités. Elles permettent, d'une part, de déterminer si une organisation syndicale est représentative et, d'autre part, leurs résultats conditionnent la validité des accords collectifs et des protocoles d'accords préélectoraux.

Pour être plus précis, un syndicat ne peut aujourd'hui prétendre à la représentativité dans l'entreprise ou l'établissement s'il n'a pas obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants (1).

S'agissant des conventions et accords collectifs, on sait que, pour être valides, ils doivent avoir été signés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de salariés ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés et ne pas avoir fait l'objet d'une opposition d'une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés (2). La validité du protocole préélectoral est, quant à elle, subordonnée à sa signature par la majorité des organisations syndicales ayant participé à sa négociation, dont les organisations syndicales représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles ou, lorsque ces résultats ne sont pas disponibles, la majorité des organisations représentatives dans l'entreprise (3).

Au terme de ces brefs rappels, on mesure sans peine l'importance nouvelle accordée au score électoral obtenu par les syndicats au premier tour des élections. Restait à préciser le mode de décompte des suffrages exprimés.

Hésitations

Ainsi qu'il est précisé dans le communiqué de presse qui accompagne les deux arrêts sous examen, "pour décompter les suffrages exprimés en tant qu'ils déterminent le score pris en compte pour apprécier la représentativité, désormais mesuré à chaque élection, deux méthodes pouvaient être sérieusement envisagées : calculer la moyenne obtenue par chaque liste en tenant compte des éventuelles ratures du nom de certains candidats ou considérer que tout bulletin recueilli par une liste est un vote exprimé en faveur du syndicat qui l'a présenté quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé par l'électeur".

On sait que la première méthode est retenue par la jurisprudence afin de répartir le nombre de sièges à pourvoir lors des élections professionnelles. Il faut ici rappeler qu'en application du Code du travail, "il est attribué à chaque liste autant de sièges que le nombre de voix recueillies par elle contient de fois le quotient électoral" (4). Le nombre de voix recueillies par chaque liste est la moyenne des voix obtenues par les candidats de la liste, c'est-à-dire le total des voix obtenues par chaque candidat, divisé par le nombre de candidats de chaque liste (5). Lorsque certains noms de la liste ont été rayés, il convient de diviser le nombre total des voix obtenues par tous les candidats de la liste par le nombre de candidats figurant sur la liste (6).

II - Le mode de décompte des suffrages exprimés

La solution retenue

Dans l'arrêt rendu sous le numéro de pourvoi 10-17.653, les juges du fond avaient appliqué au décompte des suffrages la méthode en vigueur pour l'attribution des sièges. En l'espèce, un protocole préélectoral avait été signé, en mars 2010, par l'employeur et six des sept organisations syndicales invitées à la négociation. Le syndicat CGT, non signataire, avait saisi le tribunal d'instance pour qu'il soit constaté que le protocole n'était pas valide en ce que lui-même ayant obtenu 82,91 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, la double condition de majorité n'étant pas remplie. Les juges du fond avaient écarté la contestation du syndicat CGT. Après avoir énoncé que, s'agissant d'un scrutin de liste, le nombre de voix obtenu par une liste est égal au total des voix obtenues par chaque candidat divisé par le nombre de candidats figurant sur la liste, ils avaient relevé que la liste de la CGT comportait six candidats et avait totalisé 1606 voix soit, compte tenu des modalités de calcul rappelées précédemment, 267,66 voix, de sorte que la majorité de 286 voix n'était pas atteinte.

Les magistrats du premier degré avaient retenu une méthode différente dans la décision rendue sous le pourvoi n° 10-60.168. Etait en cause, en l'espèce, la désignation d'un délégué syndical Force ouvrière au sein d'un établissement. Pour débouter l'employeur de sa demande d'annulation de cette désignation, le jugement attaqué avait retenu que, lors du premier tour des élections des membres titulaires du comité d'entreprise de la société, si la liste présentée par le syndicat CGT-FO avait obtenu vingt-huit voix, les trois candidats avaient recueilli, à eux tous, 84 voix, soit un score supérieur à 10 % des 320 suffrages valablement exprimés en faveur des listes (7).

Ces deux décisions sont censurées par la Cour de cassation au visa de l'article L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ) pour la première et de l'article L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) pour la seconde. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, dans ces deux arrêts "le nombre de voix recueillies par les organisations syndicales à prendre en considération pour le décompte des suffrages exprimés en leur faveur est le nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste, sans qu'il y ait lieu, s'agissant de la mesure de la représentativité de ces organisations, de tenir compte d'éventuelles ratures de noms de candidats".

Il faut, ici, comprendre que "tout bulletin exprimé en faveur d'une organisation syndicale doit être pris en compte pour une unité, quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé" (8). Cette solution doit être pleinement approuvée et on est tenté de dire que, contrairement à ce qui est affirmé dans le communiqué de la Cour de cassation, l'autre méthode ne pouvait à notre sens être "sérieusement" envisagée. Ainsi que le souligne à très juste titre ce même communiqué, "il ne s'agit plus, en effet, de savoir combien une liste aura d'élus et qui seront ces élus, mais d'apprécier l'audience de chaque organisation syndicale indépendamment du nombre de sièges qu'elle obtiendra après mise en oeuvre des règles gouvernant le scrutin proportionnel et la détermination de la personne des élus".

La portée de la solution

La solution retenue, qui rejoint pleinement sinon la lettre à tout le moins l'esprit de la loi du 20 août 2008, confirme que les élections professionnelles dans l'entreprise ont bien désormais une fonction duale. Si, comme antérieurement, elles permettent la mise en place de représentants du personnel, elles tendent aussi à assurer la légitimité des organisations syndicales et, au-delà, des accords collectifs et protocoles préélectoraux conclus par eux (9).

A cet égard, il est évident qu'antérieurement aux élections, il appartiendra aux représentants des syndicats, et singulièrement au représentant de la section syndicale et au délégué syndical, de bien expliquer aux salariés le sens nouveau que revêtent les élections professionnelles. Il n'est toutefois pas certain que cela influe sur la tendance, au demeurant légitime, des salariés de voter pour des personnes plutôt que pour des "étiquettes" syndicales, spécialement dans les petites structures.

Dans le prolongement de ce qui vient d'être dit et d'un point de vue plus juridique, une dernière question doit être posée. La Cour de cassation a, par le passé, pu juger que si tous les noms de la liste sont rayés, le bulletin est considéré comme un bulletin blanc (10). On est en droit de se demander si cette solution doit être maintenue s'agissant de la mesure de l'audience des syndicats. Il est en effet concevable qu'un salarié se sentant proche d'un syndicat, tout en étant hostile aux candidats présentés, entende donner sa voix à ce syndicat, au titre de la mesure de l'audience, tout en rayant tous les noms des candidats qu'il ne souhaite pas voir élu.

Considérer qu'un tel bulletin est blanc conduit à écarter le suffrage donné à l'organisation syndicale, ceci pouvant être critiqué. Afin de tenir compte de la dualité des fonctions que revêtent les élections professionnelles, il serait légitime que ce bulletin, considéré comme blanc pour l'élection des représentants du personnel, soit pris en compte pour la mesure de l'audience du syndicat. Si cette solution était retenue, elle obligerait en quelque sorte à un double dépouillement, à tout le moins si le quorum est atteint au premier tour (11). Dans le cas contraire, il n'y aurait guère de difficultés à mette en oeuvre cette solution étant entendu que le dépouillement, nécessaire afin de mesurer l'audience des syndicats, ne peut avoir de conséquences sur la mise en place des élus.

On peut penser que la Cour de cassation sera à terme saisie de cette question. Il n'est toutefois pas certain qu'elle écarte la solution retenue dans sa décision de 1987 et admette qu'un bulletin dont tous les noms ont été rayés doit tout de même être pris en compte pour la mesure de l'audience et elle-seule. Ainsi que nous avons pu le relever précédemment, il est précisé dans le communiqué accompagnant les arrêts rapportés que "tout bulletin exprimé en faveur d'une organisation syndicale doit être pris en compte pour une unité, quand bien même le nom de certains candidats aurait été rayé" (nous soulignons). Mais il est vrai qu'il ne s'agit que d'un communiqué...


(1) C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9). Seuil ramené à 8 % dans les branches (C. trav., art. L. 2122-5 N° Lexbase : L1857IN4) et au niveau interprofessionnel (C. trav., art. L. 2122-9 N° Lexbase : L1859IN8).
(2) C. trav., art. L. 2232-2 (N° Lexbase : L8409INR), L. 2232-6 (N° Lexbase : L1876INS) et L. 2232-12 (N° Lexbase : L3770IBA).
(3) C. trav., art. L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ). Rappelons que le législateur n'en a pas moins maintenu, sur d'autres points, la règle de l'unanimité.
(4) Le quotient électoral est égal au nombre total des suffrages valablement exprimés par les électeurs du collège, divisé par le nombre de sièges à pourvoir (C. trav., art. R. 2314-22 N° Lexbase : L0418IAQ et R. 2324-18 N° Lexbase : L0230IAR).
(5) Ainsi, si 5 sièges sont à pourvoir et que le nombre de bulletins valables de la liste complète (aucun nom n'a été rayé) est de 103, la moyenne de la liste est de (103 x 5) / 5 = 103 (ex. pris dans Liaisons soc., coll. numéros juridiques, Elections des représentants du personnel, § 219).
(6) Le Code du travail envisage uniquement la rature des noms des candidats au stade de la proclamation des élus (C. trav., art. L. 2314-24 N° Lexbase : L3759IBT et L. 2324-22 N° Lexbase : L3748IBG). Il n'en demeure pas moins que, ce faisant, la loi admet une telle faculté.
(7) Les juges du fond s'étaient donc bornés à additionner les suffrages obtenus par chaque candidat de la liste.
(8) Communiqué de presse de la Cour de cassation accompagnant les deux arrêts commentés.
(9) En revanche, dans les entreprises de moins de onze salariés, les élections organisées en vertu de la loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010 (N° Lexbase : L1846INP), complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) n'ont d'autres objets que de permettre de mesurer l'audience des syndicats, étant entendu que les salariés ne voteront que pour des "étiquettes" syndicales.
(10) Cass. soc., 7 mai 1987, n° 86-60.357 (N° Lexbase : A7821AAW) ; Bull. civ. V, n° 282.
(11) Un premier dépouillement destiné à mesurer l'audience des syndicats, dans lequel les bulletins dont tous les noms sont rayés doivent être pris en compte, un second, destiné à déterminer les candidats élus dans lequel ces mêmes bulletins sont déclarés blancs.

Décisions

Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 10-17.653, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7331GNT)

Cassation de TI Strasbourg, 7 mai 2010

Texte visé : C. trav., art. L. 2324-4-1 (N° Lexbase : L3764IBZ)

Mots-clefs : protocole d'accord préélectoral, conditions de validité, signature par le syndicat majoritaire, mode de décompte des suffrages exprimés.

Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 10-60.168, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7332GNU)

Cassation de TI Clermont-Ferrand, 4 mars 2010

Texte visé : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9)

Mots-clefs : syndicat, représentativité, audience électorale, mode de décompte des suffrages exprimés.

Liens base : (N° Lexbase : E1798ETR)

newsid:411563

Responsabilité

[Questions à...] L'obligation de ponctualité de la SNCF : mythe ou réalité ? - Questions à Maître Anne-Laure Archambault, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Mathieu & associés

Lecture: 7 min

N1607BRX

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 24 Janvier 2011

Parce qu'elle a manqué à son obligation de ponctualité, la SCNF a été condamnée par la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 22 septembre 2010, à indemniser un avocat qui n'a pas pu se rendre à une audience, en raison du retard d'un train qui lui a fait manquer sa correspondance, faisant ainsi perdre le procès à son client. La SNCF a ainsi été condamnée à verser la somme de 2836,12 euros au cabinet de cet avocat, à titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudice confondues, et la somme de 500 euros à la victime au titre du préjudice moral subi (CA Paris, Pôle 4, 9ème ch., 22 septembre 2010, n° 08/14438 N° Lexbase : A1788GAH). Si les faits en cause sont malheureusement trop banals, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris semble consacrer l'obligation de ponctualité en obligation de résultat. Une première. Pour apprécier la portée de cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Anne-Laure Archambault, avocat de la victime, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pouvez-vous nous préciser le régime de l'obligation de ponctualité à laquelle est tenue la SNCF ?

Anne-Laure Archambault : Dans son arrêt, la cour d'appel de Paris énonce très clairement que "la SNCF a l'obligation contractuelle d'amener les voyageurs à destination selon l'horaire prévu tant pour les trains de grandes lignes que pour les trains de banlieue ; que cet impératif de ponctualité figure à son cahier des charges".

L'obligation de ponctualité à laquelle est tenue la SNCF est donc, tout d'abord, une obligation contractuelle. Ensuite, en relevant que "la SNCF ne prétend pas pouvoir bénéficier de la force majeure qui l'exonérerait de son obligation à dommages intérêts en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution de ses obligations contractuelles", les juges posent qu'il s'agit d'une obligation de résultat.

Pourtant, à la lecture de l'article 1er du cahier des charges, il n'était pas vraiment acquis qu'il s'agissait d'une obligation de résultat. En effet, il est précisé que "la SNCF a pour mission d'exploiter les services ferroviaires sur le réseau national dans les meilleures conditions de sécurité, d'accessibilité, de célérité, de confort et de ponctualité, compte tenu des moyens disponibles". Les termes "compte tenu des moyens disponibles" pourraient amener à considérer qu'il s'agit d'une obligation de moyens. Cependant, en relevant que la SNCF ne peut s'exonérer de son obligation qu'en cas de force majeure, la cour d'appel a retenu très clairement qu'il s'agit d'une obligation de résultat.

Cette qualification avait déjà été retenue par la cour d'appel de Riom dans un arrêt rendu le 6 juin 1995 (CA Riom, 2ème ch., 6 juin 1995, n° 2990/94). De manière générale, pour déterminer si une obligation relève d'une obligation de résultat ou d'une obligation de moyens, la jurisprudence tient compte du critère de l'aléa. Autant dans le cadre d'un transport par mer ou par avion, il existe un aléa tenant à la météo ; de même, dans le cas du transport routier, l'aléa tient à la circulation. A l'inverse, l'aléa est quasi inexistant pour le transport ferroviaire, et c'est la raison pour laquelle la SNCF indique des horaires d'arrivée précis. La solution retenue par les juges parisiens relève donc d'une application classique des critères jurisprudentiels pour distinguer l'obligation de moyens et l'obligation de résultat.

Les causes d'exonération procèdent donc de la force majeure, c'est-à-dire d'un événement qui est irrésistible, imprévisible et extérieur. A titre d'exemple d'un cas de force majeure qui pourrait être retenu, on se souvient d'une publicité de la SNCF qui prévoyait le cas de la présence d'un dinosaure sur la voie ! A l'inverse, ne constitue pas un cas de force majeure, la neige (généralement prévisible), ou encore la grève (prévisible avec le préavis, et qui ne constitue pas un événement extérieur).

Lexbase : Et s'agissant de son obligation d'information ?

Anne-Laure Archambault : L'obligation d'information est prévue à l'article 12 du cahier des charges de la SNCF qui prévoit qu'"en cas d'incident, les usagers directement touchés par les modifications apportées au service doivent en être informés dans les meilleurs délais et conseillés, le cas échéant, sur les possibilités qui leur sont proposées pour effectuer ou poursuivre dans les meilleures conditions leur voyage interrompu ou perturbé". Il s'agit donc d'une obligation d'information et de conseil.

En l'espèce, la cour d'appel a considéré que cette obligation avait été assurée par les fiches horaires distribuées sur le réseau, par les annonces faites en gare et éventuellement par des SMS.

Cette argumentation est très discutable et j'estime que l'obligation d'information n'était pas satisfaite en l'espèce. En effet, tout d'abord, parce que tout le monde ne dispose pas nécessairement d'un téléphone, et qu'il s'agit ensuite d'un service payant. Ensuite, j'avais la preuve que la SNCF connaissait, au moins une demi-heure avant le départ présumé du train, l'existence de l'erreur d'aiguillage à l'origine du retard. Selon moi, c'est donc à ce moment là que la SNCF aurait dû informer les passagers qui attendaient le train de banlieue, en premier lieu, qu'il y avait un incident, en deuxième lieu, que le train ne serait probablement pas à l'heure et en dernier lieu, qu'il était préconisé de recourir à des modes de transport alternatifs ; il lui appartenait alors de réparer le préjudice subi par le paiement de taxis pour certains.

La cour d'appel a estimé que la SNCF avait rempli son obligation d'information et qu'il n'y avait eu aucune influence sur le préjudice à raison d'un manque d'information ; je continue de penser que si mon client avait été informé à temps, il aurait pris un taxi et n'aurait pas subi le même préjudice.

Lexbase : Quelles sont aujourd'hui les causes limitatives de responsabilité pour la SNCF ?

Anne-Laure Archambault : Je considère justement que si la SNCF satisfait à son obligation d'information, c'est-à-dire qu'elle informe les usagers à temps, ceux-ci sont en mesure de prendre leur disposition. Il s'agit d'une obligation accessoire à l'obligation de ponctualité et la satisfaction par la SNCF de son obligation d'information peut lui permettre, en cas de manquement à son obligation de ponctualité, de s'exonérer, à tout le moins d'obtenir un partage de responsabilité. En effet, si la victime a été informée à temps et qu'elle n'a pas pris ses dispositions, on peut considérer qu'elle a commis une faute qui a concouru à la réalisation du préjudice subi ; on peut alors soutenir que la faute commise par la SNCF n'est pas l'exclusive cause du préjudice subi par l'usager.

Ensuite, les causes exonératoires de responsabilité pour la SNCF sont les cas classiques de force majeure tels que je les ai cités supra. Je reprécise, ici, que dans la mesure où il s'agit d'une obligation de résultat, la SNCF ne pourra pas s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'elle a mis tous les moyens nécessaires en oeuvre pour faire en sorte que le train soit à l'heure.

Lexbase : Les premiers juges avaient retenu une faute d'imprudence dans l'organisation du voyage, à raison du bref délai prévu entre les correspondances (17 minutes) ; la cour d'appel, au contraire, a estimé que ce délai n'était pas imprudent puisqu'il s'agissait de la même gare. En dessous de quel délai l'imprudence vous semble-t-elle caractérisée ?

Anne-Laure Archambault : En l'espèce, il faut garder en tête qu'il s'agissait d'un trajet d'une durée totale de trente minutes, et non de six heures. Il faut donc rapprocher le temps prévu pour la correspondance au temps estimé du premier train. Mais en tout état de cause, il s'agit à chaque fois d'une question d'espèce et les juges doivent procéder à une appréciation in concreto.

Lexbase : En l'espèce, l'avocat a été indemnisé à hauteur de 500 euros pour le préjudice moral qu'il a subi à raison de "l'inquiétude et l'énervement qu'il a subi". Cet arrêt annonce-t-il la multiplication des contentieux à l'encontre de la SNCF ?

Anne-Laure Archambault : La solution selon laquelle l'obligation de ponctualité est une obligation de résultat avait déjà été retenue par la cour d'appel de Riom dans son arrêt en date du 6 juin 1995.

L'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris vient donc confirmer cette jurisprudence, et lui confère une portée plus importante ; la jurisprudence est donc maintenant clairement posée. Par ailleurs, la cour d'appel de Paris a voulu "marquer le coup" en prononçant des condamnations qui ne sont pas minimum, mais plutôt satisfaisantes (notamment en ce qui concerne les 1 000 euros obtenus au titre de la perte de crédibilité vis-à-vis d'un client ou encore les 500 euros octroyés au titre du préjudice moral subi à raison de "l'inquiétude et l'énervement").

Cela étant, même si l'on peut imaginer que, théoriquement, les litiges de ce genre sont nombreux et que le contentieux peut être amené à se multiplier, la France n'est pas un pays très judiciarisé ; pour les Français, le recours au juge reste quelque chose d'exceptionnel. Je ne pense donc pas que l'on va assister à une démultiplication du contentieux.

Lexbase : Faut-il privilégier une action groupée ?

Anne-Laure Archambault : On peut tout à fait imaginer que les personnes victimes d'un retard sur un même train se regroupent pour assigner la SNCF en justice en demandant chacune réparation de son préjudice individuel. Cela permet, d'abord, de limiter les frais d'avocat, ensuite, d'augmenter le montant des demandes et, par conséquent, de relever de la compétence du tribunal d'instance ou du tribunal de grande instance à charge d'appel.

Je précise qu'il ne s'agit pas d'une action de groupe, mais d'une action groupée : chaque usager demande réparation de son préjudice individuel. En effet, la véritable action de groupe, ou encore class action, n'existe pas en droit français.

Lexbase : En cas de retard supérieur à trente minutes, la SNCF propose, sous certaines conditions, de rembourser partiellement ou totalement le titre de transport. Que pensez-vous de cette pratique ?

Anne-Laure Archambault : Cette pratique est favorable à la SNCF, puisqu'elle lui permet d'obtenir l'accord de la victime sur l'indemnisation et d'éviter ensuite toute contestation. En tant que victime, il faut refuser si l'on estime que le préjudice subi est plus important et si l'on envisage d'engager une action en justice.

newsid:411607

Rupture du contrat de travail

[Questions à...] Quels risques pour le salarié stockant des fichiers pornographiques sur son ordinateur ? - Questions à Maître Carole Vercheyre-Grard, Avocat au barreau de Paris

Lecture: 3 min

N1593BRG

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par Sophia Pillet, SGR - Droit social

Le 24 Janvier 2011

L'utilisation de l'outil informatique par les salariés est source de nombreux contentieux (1). Par un arrêt rendu le 15 décembre 2010 (2), la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de décider que constituait une faute grave, justifiant un licenciement immédiat, l'utilisation par le salarié de sa messagerie pour la réception et l'envoi de documents à caractère pornographique et la conservation sur son disque dur d'un nombre conséquent de tels fichiers, manquement délibéré et répété du salarié à l'interdiction posée par la charte informatique mise en place dans l'entreprise et intégrée au règlement intérieur. Le fait de détenir des images à caractère pornographique relève théoriquement de la sphère privée du salarié et n'est condamné par aucun texte de loi (3). Cependant, comme le souligne cet arrêt, dès lors qu'une charte informatique, intégrée au règlement intérieur, interdit expressément un tel "détournement du système d'information" de l'entreprise, la faute du salarié peut être engagé. L'importance de la mise en place d'une charte informatique (4) au sein de l'entreprise ne fait alors aucun doute pour protéger l'employeur contre les abus de certains salariés... Maître Carole Vercheyre-Grard, avocat au barreau de Paris, revient, pour nous, sur les détails de cette solution. Lexbase : Dans cette affaire, une société a licencié pour faute grave un de ses salariés qui stockait des fichiers pornographiques sur le disque dur de son ordinateur (5). Pourriez-vous nous rappeler plus précisément les faits qui étaient reprochés au salarié ?

Carole Vercheyre-Grard : Un salarié travaillant dans l'entreprise, en qualité de commercial depuis plus de quinze années, conservait des fichiers pornographiques particulièrement vulgaires et dégradants sur son ordinateur portable à usage professionnel mis à sa disposition par l'employeur.

Il a été découvert sur le disque dur quatre cents quatre vingt fichiers rassemblant de multiples documents, aux formats les plus variés (films, diaporamas, fichiers audio, photos...) de nature :

- érotique,

- pornographique,

- sexiste,

- malsaine (film d'une autopsie, photos de difformités humaines, images sadomasochistes, images zoophiles, photos urologiques),

- pédo-pornographique.

Lexbase : Le licenciement du salarié pour faute grave est-il justifié selon vous ?

Carole Vercheyre-Grard : Le droit et la morale ont fait cause commune dans cette affaire.

Les faits étaient particulièrement nauséabonds et la détention de certains fichiers était constitutive d'une infraction pénale (C. pén., art. 227-23 N° Lexbase : L8751HWZ).

En outre, la charte d'utilisation des nouvelles techniques d'information et de télécommunication mise en place dans l'entreprise, intégrée sous forme d'avenant au règlement intérieur de l'entreprise, avait été portée à la connaissance du salarié lors de séances de formation.

Elle prohibait formellement en son article II B 3 c, la consultation, la diffusion ou le téléchargement d'images à caractère pornographique.

Lexbase : Pour condamner le salarié, la Cour de cassation s'est fondée, dans sa décision, sur l'existence de la charte informatique mise en place par la société et intégrée au règlement intérieur, qui interdisait la réception et l'envoi par les salariés de documents à caractère pornographique et la conservation sur le disque dur de tels fichiers. La même solution aurait-elle été retenue par la Cour de Cassation si l'entreprise n'avait pas mis en place de charte informatique ?

Carole Vercheyre-Grard : Cela est vraisemblable dans le cas d'espèce dans la mesure où il y avait de très nombreux fichiers, plus de quatre cents, et certains fichiers avaient manifestement un caractère délictueux.

Lexbase : Dans un arrêt du 8 décembre 2009 (6), la Cour de cassation avait considéré que la seule conservation par le salarié, sur son poste informatique, de fichiers contenant des images à caractère pornographique non délictueux ne constituait pas un manquement susceptible de justifier son licenciement. Pourtant, des notes de services mises en place au sein de cette entreprise proscrivaient ce type de fichiers. Seule la mise en place d'une charte informatique permet donc d'interdire aux salariés le stockage de fichiers à caractère pornographiques non délictueux ?

Carole Vercheyre-Grard : Dans l'arrêt du 8 décembre 2009, l'employeur n'apportait pas la preuve que les notes de services aient été portées à la connaissance du salarié (7). C'est toute la différence entre les notes de services internes et la charte informatique établie comme un règlement intérieur opposable à tous les salariés.

En outre, il faut rappeler que les faits de l'arrêt du 8 décembre 2009 étaient bien différents puisque le salarié n'avait conservé que trois fichiers informatiques avec un contenu pornographique et zoophile. Ces fichiers qui contenaient une soixantaine de photographies n'avaient pas été envoyés à d'autres personnes de l'entreprise.

En outre, la Cour de cassation, dans sa décision du 8 décembre 2009, avait pris soin de rappeler que les fichiers n'étaient pas délictueux et qu'il n'était pas démontré que le salarié ait fait un usage abusif de sa messagerie personnelle affectant son travail.

Lexbase : Un salarié encourt-il un risque à stocker sur son disque dur un mail à caractère pornographique envoyé par un de ses collègues ?

Carole Vercheyre-Grard : Le fait de conserver un seul mail à caractère pornographique mais non délictueux ne paraît pas suffisant pour constituer une faute du salarié.

Par contre, si la société dispose d'une charte informatique, il convient d'être vigilant sur les limites des droits de stockage dans ladite boite mail. En outre, il est recommandé, lorsque cela est possible pour le salarié, de créer un sous-dossier outlook personnel.

D'une manière générale, il ne faut pas oublier que lorsqu'un fait imputé au salarié relève de sa vie personnelle, il ne peut caractériser un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail et constituer une faute, sauf si le fait qui lui est imputable relève d'un délit pénal réalisé avec les moyens de l'entreprise (8).


(1) Sur ce thème, voir Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH).
(2) Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-42.691, F-D (N° Lexbase : A2507GN8).
(3) Sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication et la vie personnelle du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(4) Cette charte informatique devra alors être la plus minutieuse possible, et devra notamment contenir les conditions dans lesquelles la messagerie personnelle peut être utilisée, les sites internet sur lesquels il est interdit de surfer, les interdictions de téléchargement de fichiers... Sur les recommandations de la CNIL concernant le bon usage de l'informatique sur le lieu de travail, CNIL, Rapport "La cybersurveillance sur les lieux de travail".
(5) Cass. soc., 18 octobre 2006, deux arrêts, n° 04-48.025, F-P+B (N° Lexbase : A9621DRR) et n° 04-47.400, FS-P+B (N° Lexbase : A9616DRL). Par ces deux arrêts, la Cour de cassation a précisé que les fichiers ou documents du salarié, situés dans son bureau ou sur son outil informatique mis à sa disposition par l'entreprise, sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme personnels, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence. Voir les obs. de S. Tournaux, La consultation des documents de nature professionnelle du salarié, Lexbase Hebdo n° 234 du 2 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4508ALK).
(6) Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.097, F-D (N° Lexbase : A4530EPH). Par cet arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé un arrêt d'appel qui avait déclaré légitime le licenciement d'un salarié qui conservait sur son poste informatique, facilement accessible par toute personne, des images à caractère pornographique et zoophile. La Haute juridiction a, au contraire, estimé que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse en l'absence de constatation d'un usage abusif affectant le travail du salarié. En effet, ces faits relèvent de la vie privée du salarié et ne constituent pas en soi des faits pénalement répréhensibles.
(7) Sur la nature juridique du règlement intérieur, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2666ETW).
(8) Sur le motif de licenciement tiré de la vie privée du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E9122ESN) et sur le licenciement lié à la condamnation pénale du salarié, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E9167ESC).

newsid:411593

Urbanisme

[Questions à...] Le droit de l'urbanisme s'applique également aux animateurs de télévision - Questions à Christophe Buffet, avocat spécialiste en droit immobilier et en droit public, Avocats Conseils Réunis Angers

Réf. : TA Marseille, 22 décembre 2010, n° 0906273 (N° Lexbase : A9948GP7)

Lecture: 9 min

N1571BRM

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 24 Janvier 2011

Dans un jugement rendu le 22 décembre 2010 (TA Marseille, 22 décembre 2010, n° 0906273 N° Lexbase : A9948GP7), le tribunal administratif de Marseille a déclaré "nul et non avenu" le permis de construire accordé à un célèbre animateur de télévision officiant tous les dimanches après-midi sur le service public, alors que la maison en cause, située au pied du massif des Alpilles, dans les Bouches-du-Rhône était achevée. En effet, une association avait introduit un recours contre ce permis, la maison ayant été construite à moins de 500 mètres d'une chapelle du XIIème siècle, monument classé, ce qui nécessitait donc l'avis de l'architecte des Bâtiments de France conformément aux dispositions de l'article R. 421-38-4 du Code de l'urbanisme alors en vigueur (N° Lexbase : L3683DY3), applicable aux demandes de permis de construire déposées avant le 1er octobre 2007. Or, en l'espèce, la lettre de saisine de ce dernier adressée par la DDE est datée du 11 juillet 2007 et indique expressément que le dossier de permis de construire a été complété le 12 octobre 2007, ce qui pouvait laisser supposer que cette lettre était antidatée et le permis de construire délivré sur la base de faux visas et donc par fraude. La décision rendue par les juges administratifs est particulièrement intéressante, indépendamment de la notoriété du bénéficiaire de ce permis, puisqu'elle met l'accent sur la notion de "simulation" qui conduit le tribunal à évoquer un acte "nul et non avenu". Pour éclairer ces différents points, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Christophe Buffet, avocat spécialiste en droit immobilier et en droit public. Lexbase : Le tribunal a considéré que la demande d'avis formulée auprès de l'architecte des Bâtiments de France, préalable nécessaire à l'obtention du permis de construire, avait été "simulé" ? Que cela signifie-t-il exactement ?

Christophe Buffet : Ce qualificatif est employé car la commune a, en effet, eu les plus grandes difficultés à rapporter la preuve que cette demande avait été faite auprès de l'architecte des Bâtiments de France. Or, la consultation prévue en la matière est un préalable indispensable à l'octroi du permis de construire et fait partie de la procédure d'instruction que doit respecter la commune relativement à ce permis. 

L'architecte des Bâtiments de France avait déclaré qu'il n'avait jamais reçu une demande d'avis de la part de la commune. La preuve ne pouvait donc être rapportée par l'admission de la réception de cette demande d'avis par son destinataire, ce qui aurait été la preuve la plus simple et la plus évidente, la lettre de demande d'avis elle-même pouvant être produite par l'architecte des Bâtiments de France, s'il avait effectivement reçu une telle demande.

Cependant, pour tenter d'apporter cette preuve, il avait été versé au débat par la commune une lettre de la DDE, supposée être cette demande d'avis et qui était datée du 12 juillet 2007 ; le problème est que ce courrier faisait mention de ce que la demande de permis de construire avait été complétée le ... 12 octobre 2007, ce qui était évidemment incohérent avec la date de la lettre elle-même.

Cette incohérence rendait évidemment suspecte cette demande d'avis ainsi produite par la commune. C'est pourquoi le tribunal parle d'une simulation, c'est-à-dire, pour parler plus précisément, d'une apparence de demande d'avis qui en vérité n'existe pas. Cela revient tout de même, indirectement à considérer que cette pièce n'aurait été fabriquée, d'ailleurs maladroitement, compte tenu de l'incohérence des dates, que pour les besoins de la cause.

D'une manière générale, la notion de simulation n'est pas une notion de droit public, mais plutôt une notion civiliste, d'ailleurs prévue par le Code civil. Il s'agit, en droit civil, de distinguer entre l'acte secret (aussi dénommé contre-lettre), qui manifeste la volonté des parties et l'acte ostensible qui n'est que l'apparence de leur volonté : le Code civil considère que, entre les parties, c'est l'acte simulé, c'est-à-dire la contre-lettre qui doit recevoir effet, sans avoir d'effet à l'égard des tiers.

La notion de fraude est sous-jacente à l'acte simulé : les deux sont évidemment associés, puisque ce qui est simulé dissimule la réalité. Cependant, le jugement ne parle pas ouvertement de fraude, car la simple fraude ne permet pas de considérer que l'acte est nul et non avenu, comme le jugement le qualifie.

Lexbase : Que recouvre la fraude en matière de droit de l'urbanisme et quelles sont ses implications pratiques ?

Christophe Buffet : La notion de fraude est classique, malheureusement, en droit de l'urbanisme, qui se prête évidemment aux tentatives d'éluder les règles de droit, compte tenu des enjeux, notamment financiers qui sont liés à l'obtention d'une autorisation d'urbanisme. On citera, par exemple, les indications ou déclarations inexactes qui peuvent être données par un pétitionnaire, pour obtenir un permis de construire. Cela peut consister, par exemple, à mentir sur la surface du terrain, à dissimuler l'existence d'une construction déjà édifiée et illégale, ou à mentir sur la destination des lieux avant ou après la construction envisagée.

On peut aussi songer, en matière de péremption du permis de construire, à des travaux apparents qui ont pour objet d'éviter cette péremption, tels que, par exemple, des travaux de terrassement exécutés quelques jours avant l'acquisition du délai de péremption du permis. Un autre exemple peut consister dans le fait de procéder à un remblai du terrain avant de présenter la demande de permis de construire et à présenter comme terrain naturel le terrain issu du remblai sur les plans de la demande de permis de construire. On peut citer, également, la présentation d'une demande de construire un bâtiment agricole qui, en fait, est un pavillon d'habitation qui sera habité par des personnes n'ayant aucun rapport avec l'exploitation agricole pour les besoins de laquelle le permis de construire est soi-disant déposé ; un autre cas est la remise de plans, au soutien de la demande de permis de construire, qui comportent des erreurs ou qui constituent des manoeuvres dont le but est d'induire l'administration en erreur sur la consistance des travaux envisagés. Un autre exemple encore que celui de la déclaration inexacte selon laquelle le terrain sur lequel la construction est envisagée n'est pas inclus dans le périmètre de lotissement, pour s'affranchir des règles applicables à ce lotissement.

On notera, toutefois, que très souvent, la fraude est invoquée par les plaideurs en désespoir de cause, et n'est pas retenue par la juridiction administrative, comme, par exemple, lorsque le pétitionnaire a produit un plan de masse incomplet, ou a "oublié" de mentionner que son projet était inclus dans une copropriété... En fait, le juge ne retiendra la fraude que s'il estime que les erreurs ou omissions ou inexactitudes ont pu conduire à tromper l'administration, ce qui n'est pas si fréquent.

Les applications pratiques sont, en fait, les conséquences juridiques de la fraude, car il est évident que l'état de droit ne peut admettre que les autorisations d'urbanisme puissent être obtenues par fraude.

La sanction de la fraude sera, en particulier, de permettre à l'administration de faire disparaître le permis de construire qui aura été obtenu en trompant l'administration, c'est-à-dire de procéder à son retrait. Alors que le pétitionnaire pensera que le permis qu'il a obtenu par fraude est définitif et qu'il n'a plus à craindre de le voir remis en cause (je rappelle que le délai de retrait d'un permis de construire est de trois mois), l'administration pourra tout de même le retirer, car la fraude ne peut permettre l'acquisition d'un droit. En pratique, cela signifie que le retrait de l'autorisation d'urbanisme pourra être opéré à tout moment, même après l'expiration des délais de recours et du délai de retrait applicable à l'acte illégal.

Cependant, à l'égard des tiers, la fraude n'a pas pour effet de proroger leur délai de recours : ce délai acquis ne permet pas aux tiers de contester l'acte au motif qu'il a été obtenu dans des conditions qui dénotent la fraude. Il s'agit là d'une limite non négligeable aux effets de la fraude, que souvent les tiers, plus attentifs et mieux informés que l'administration, peuvent déceler plus facilement que celle-ci qui, précisément, s'est laissée tromper.

Le recours des tiers, dans ce cas, consistera non pas à attaquer l'acte frauduleux, mais à demander à l'administration de procéder au retrait de l'acte qui n'a été obtenu que par des manoeuvres frauduleuses ayant trompé l'administration. En cas de refus de retrait de l'acte par l'administration, le tiers saisira le tribunal administratif pour obtenir l'annulation de ce refus de retirer l'acte.

Le retrait de l'autorisation d'urbanisme par l'administration qui estime qu'une fraude a été commise doit, cependant, être opéré en respectant les formes légales. Il doit, ainsi, être motivé et précédé de la procédure contradictoire prévue en la matière. J'ajoute que, si un permis a été obtenu par fraude, la construction autorisée ainsi et qui est en cours de construction, peut et doit faire l'objet d'un constat d'infraction par l'administration.

Lexbase : Cette notion de simulation conduit le tribunal à qualifier le permis de construire d'acte "nul et non avenu". Que cela recouvre-t-il concrètement ?

Christophe Buffet : Cette notion n'est pas nouvelle en droit administratif et a été utilisée par l'arrêt "Rosan Girard" (1). Une application classique de la notion d'acte inexistant concerne les nominations pour ordre (2). Elle recouvre une catégorie d'actes de l'administration qui sont d'une gravité et d'une illégalité si grossière et si évidente qu'il est impossible de les rattacher à l'exercice par l'administration de ses pouvoirs.

Les exemples sont rares, heureusement, et il apparaît, en vérité, que le plus souvent, le juge administratif, par le recours à cette théorie de l'acte inexistant, de l'acte nul et non avenu, a pour but d'atteindre et de sanctionner des actes qui ne pourraient pas être atteints autrement. Dans le cas du permis de construire soumis à l'examen du tribunal administratif de Marseille, la simple notion de fraude n'aurait pas permis de faire disparaître l'acte de l'ordonnancement juridique : comme il a été indiqué précédemment, le permis de construire était définitif parce qu'il n'avait pas fait l'objet d'un recours par les tiers dans le délai légal et parce qu'il n'avait pas non plus été retiré dans le délai légal.

Le permis de construire n'avait pas été délivré en suivant la procédure légalement prévue puisque il n'était pas établi que l'avis de l'architecte des Bâtiments de France avait été demandé. Cependant, cet avis ne rendait pas le permis de construire inexistant, simplement, il rendait illégale la décision prise, par le maire, d'accorder le permis de construire. La sanction logique aurait dû être l'illégalité et non l'inexistence que recouvre la notion d'acte nul et non avenu. Il paraît en effet difficile de considérer qu'en accordant le permis de construire sans demander l'avis précité, le maire accomplit un acte sans rapport avec les pouvoirs administratifs dont il dispose : il exerce bien ce pouvoir, mais n'a pas respecté les formes préalables à la décision. Il s'agit simplement d'un vice de procédure ou d'un vice de forme.

Or le tribunal administratif considère l'acte nul et non avenu, parce que la question n'est pas de savoir si l'avis de l'architecte des Bâtiments de France a été demandé ou non, mais de constater que la demande a, en vérité, été simulée, ce qui recouvre, au-delà de la fraude, une irrégularité si grave qu'elle ne peut être sanctionnée que par le constat du fait que l'acte et non avenu, et donc inexistant. On voit donc que le tribunal administratif est allé au-delà de la notion de fraude.

Lexbase : Pourquoi, d'après vous, les juges n'ont-ils pas retenu que l'on était en présence d'un simple vice de forme ou de procédure rendant l'acte illégal ?

Christophe Buffet : Le tribunal administratif de Marseille ne pouvait faire autrement que de considérer que l'acte devait être qualifié d'acte nul et non avenu ou inexistant pour pouvoir atteindre le but recherché, c'est-à-dire la disparition du permis de construire de l'ordonnancement juridique, en considération du climat plus que frauduleux dans lequel le permis de construire était intervenu. Il s'ajoute à ce climat préexistant à l'acte le fait que, manifestement, pendant la procédure devant le tribunal lui-même, un document de nature suspecte avait été produit, ce qui peut indisposer, on le conçoit, une juridiction. Juridiquement, le simple constat d'un vice de forme, d'un vice de procédure, et du non-respect des règles relatives à la nécessaire consultation de l'architecte des Bâtiments de France en préalable à la décision d'accorder ou non le permis de construire n'aurait pu permettre que de constater l'illégalité du permis de construire. Or, l'association requérante ne pouvait obtenir du tribunal qu'il juge recevable son recours exercé après l'expiration du délai de recours, et le tribunal, s'il avait considéré que l'acte était simplement illégal, n'aurait, en vérité, pas eu à le juger, puisque le délai de recours était expiré et le recours irrecevable.

Je considère personnellement que, classiquement, le tribunal administratif a eu recours à la notion d'acte inexistant, nul et non avenu, pour sanctionner à la fois une attitude procédurale choquante, et pour faire disparaître de l'ordonnancement juridique un acte qui lui apparaissait grossièrement illégal. On peut penser que les choses auraient sans doute été différentes si, plutôt que de produire la lettre contenant l'incohérence chronologique qui a été évoquée, la commune s'était contentée d'admettre que l'avis de l'architecte des Bâtiments de France n'avait pas été demandé, par erreur, et qu'il ne s'agissait là que d'un vice de forme ou de procédure rendant sans doute l'acte illégal, mais sans possibilité pour l'association requérante de le faire juger, le délai de recours étant expiré.


(1) CE Contentieux, 31 mai 1957, n° 26188 (N° Lexbase : A1264B9P).
(2) Lire F. Dieu, Retrait des décisions de nomination : mieux vaut (pour l'agent) l'illégalité que l'inexistence (N° Lexbase : N3916BHI), Lexbase Hebdo n° 82 du 8 octobre 2008 - édition publique.

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