Jurisprudence : CEDH, 08-02-2000, Req. 28488/95, McGonnell c. Royaume-Uni

CEDH, 08-02-2000, Req. 28488/95, McGonnell c. Royaume-Uni

A7164AWA

Référence

CEDH, 08-02-2000, Req. 28488/95, McGonnell c. Royaume-Uni. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1064083-cedh-08022000-req-2848895-mcgonnell-c-royaumeuni
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Cour européenne des droits de l'homme

8 février 2000

Requête n°28488/95

McGonnell c. Royaume-Uni



TROISIÈME SECTION

AFFAIRE McGONNELL c. ROYAUME-UNI

(Requête n° 28488/95)

ARRÊT

STRASBOURG

8 février 2000

En l'affaire McGonnell c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. J.-P. Costa, président,

P. Kûris,

M
me F. Tulkens,

MM. W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

M
me H.S. Greve, juges,

Sir John Laws, juge ad hoc,

et de M
me S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 septembre 1999, 25 janvier et 1
er février 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 4 décembre 1998, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 28488/95) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. Richard James Joseph McGonnell (« le requérant »), avait saisi la Commission le 29 juin 1995 en vertu de l'ancien article 25.

3. La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48, ainsi qu'à la déclaration britannique reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 de la Convention.

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention le 1
er novembre 1998, et conformément à l'article 5 § 4 dudit Protocole, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement de la Cour (« le règlement »), un collège de la Grande Chambre a décidé le 14 janvier 1999 que l'affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l'une des sections de la Cour.

5. Conformément à l'article 52 § 1 du règlement, le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a attribué l'affaire à la troisième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit Sir Nicolas Bratza, juge élu au titre du Royaume-Uni (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement) et M. J.-P. Costa qui a assumé la présidence de la section et donc de la chambre (articles 12 et 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés pour compléter la chambre étaient M. P. K
ûris, Mme F. Tulkens, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert et Mme H.S. Greve (article 26 § 1 b) du règlement).

A la suite du déport de Sir Nicolas Bratza, qui avait participé à l'examen de l'affaire par la Commission (article 28 du règlement), le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a désigné Sir John Laws pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

6. En vertu de l'article 59 § 2 du règlement, la chambre a décidé, le 8 juin 1999, de tenir une audience, qui s'est déroulée en public le 28 septembre 1999 au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

Ont comparu :

pour le Gouvernement

M
me S. Langrish, ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth, agent,

Sir Sidney Kentridge QC,

MM. D. Anderson QC, conseil,

G. Rowland QC, Attorney-General de Guernesey,

R. Clayton, ministère de l'Intérieur,

P. Jenkins, Lord Chancellor's Department,

M
me C. Davidson, Lord Chancellor's Department,

M. M. Birt QC, Attorney-General de Jersey,

M
me M. Gray, conseillers ;

pour le requérant

M. B. Emmerson,

M
me J. Simor, conseil,

M. R.A. Perrot, avocat.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Emmerson et Sir Sidney Kentridge.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Contexte relatif à l'aménagement du territoire

7. En 1982, le requérant acheta les serres à vigne Calais Vinery (Calais Lane, Saint-Martin). Dans les années qui suivirent, il déposa un certain nombre de demandes de permis de construire pour pouvoir résider sur son terrain. Ces demandes furent toutes rejetées, et la Royal Court le débouta de son appel en juillet 1984. En 1986 ou 1987, il s'installa dans un hangar d'emballage transformé, situé sur son terrain.

8. En 1988, le requérant, par le biais d'un avocat, présenta des observations lors d'une enquête publique ayant pour objet d'étudier le projet de plan d'aménagement détaillé n° 6 (Detailed Development Plan no. 6, « le DDP n° 6 »). Dans son rapport au président de la Commission d'aménagement de l'île (Island Development Committee, « l'IDC »), l'inspecteur exposa les arguments de l'avocat du requérant et ceux de l'avocat de l'IDC, et conclut qu'une habitation sur le terrain du requérant constituerait une intrusion dans l'arrière-pays agricole et horticole. Il était favorable au projet de l'IDC consistant à déclarer le terrain comme faisant partie d'une zone réservée à l'agriculture, où l'aménagement serait globalement interdit.

9. Le 22 mai 1990, le président de l'IDC présenta le DDP n° 6, encore à l'état de projet, au président des States of Deliberation, l'organe législatif de l'île.

10. Les 27 et 28 juin 1990, les States of Deliberation, présidés par M. Graham Dorey, bailli adjoint, examinèrent et adoptèrent le DDP n° 6. Le zonage du terrain du requérant ne fut pas modifié.

11. Le 11 juillet 1991, une demande rétroactive de permis de construire en vue de la transformation en logement de l'entrepôt d'emballage fut rejetée par l'IDC, celle-ci étant liée par le DDP n° 6 en vertu duquel le terrain en question faisait partie d'une zone aménagée de serres où la construction de type résidentiel était interdite.

12. Le 27 mars 1992, le requérant fut condamné par la Magistrates' Court après avoir plaidé coupable d'avoir modifié sans autorisation l'usage de l'entrepôt, enfreignant ainsi l'article 14 § 1 a) de la loi de 1966 sur l'aménagement de l'île de Guernesey (Island Development (Guernsey) Law 1966, « la loi de 1966 »). Il fut condamné à verser une amende de 100 livres sterling (GBP), assortie d'une contrainte par corps d'une durée de dix jours.

13. Le 15 février 1993, l'IDC, s'appuyant sur l'article 37 § 1 h) de la loi de 1966, demanda l'autorisation de procéder aux travaux nécessaires pour remédier à cette atteinte à la législation en matière d'aménagement. Le 25 février 1993, devant l'Ordinary Court, le bailli adjoint ajourna l'examen de la demande. Du reste, il refusait de connaître du litige au motif qu'il avait eu affaire au requérant lorsqu'il occupait les fonctions de procureur de Sa Majesté (Her Majesty's Procureur).

14. Le 18 mai 1993, l'IDC rejeta une nouvelle demande d'autorisation déposée au nom du requérant et tendant à ce qu'il fût permis à celui-ci de continuer à résider dans l'entrepôt ; le 20 mai 1993, le bailli repoussa une demande visant à faire suspendre la mise en œuvre de la procédure prévue à l'article 37 § 1 h). Le 25 juin 1993, la Royal Court, composée du bailli et de trois jurats, fit droit à la demande de l'IDC au titre de la disposition précitée.

B. Les faits de la cause

15. Le 10 août 1993, le représentant actuel du requérant sollicita officiellement et au nom du requérant l'autorisation de changer l'entrepôt d'utilisation et de continuer à l'occuper jusqu'à ce qu'il soit statué sur un appel probable contre un refus prévisible. Le 26 octobre 1994, l'IDC rejeta la demande dans les termes suivants :

« Je vous informe que (…) la Commission a rejeté votre proposition au motif suivant, fondé sur les éléments qu'elle est tenue de prendre en compte en vertu de l'article 17 des lois de 1966-1990 sur l'aménagement de l'île de Guernesey [Island Development (Guernsey) Laws 1966-1990] :

a) Plan d'aménagement détaillé n° 6, tel qu'approuvé par les States.

Le terrain fait partie d'une zone aménagée de serres et la déclaration de principe écrite de la Commission ne prévoit pas le type d'aménagement sollicité. Je vous adresse ci-joint, pour information, copie de la déclaration de principe écrite (…) »

16. Le 6 juin 1995, la Royal Court, composée du bailli de l'époque, Sir Graham Dorey, et de sept jurats, examina l'appel du requérant. Tout en reconnaissant que la déclaration écrite limitait l'aménagement de la zone aux serres, le représentant du requérant fit valoir qu'il existait toutefois en l'espèce des motifs justifiant l'autorisation de modifier l'usage : l'apparence extérieure du bâtiment demeurerait inchangée et l'utilisation horticole des terres ne subirait aucun préjudice, si bien qu'il était abusif pour l'IDC d'adopter un point de vue indûment restrictif quant à ce qu'il y avait lieu d'autoriser dans le cadre du DDP. Le bailli résuma ensuite les griefs du requérant aux jurats, les informant qu'en dernière analyse la preuve incombait à l'IDC, qui devait les convaincre que sa décision était raisonnable. L'appel fut rejeté à l'unanimité. La décision expose les moyens d'appel, mais n'est pas motivée.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. La Cour a été invitée à consulter un document officiel récent portant sur la Constitution de Guernesey en général. Il s'agit des Principes directeurs des States of Guernsey en matière administrative et comptable, publiés en 1991 comme ouvrage de référence et de bonne pratique destiné à informer et orienter les fonctionnaires. Ce document contient des avant-propos de Sir Charles Frossard, alors bailli et président des States, ainsi que de M. F.N. Le Cheminant, States Supervisor. La section consacrée à la Constitution et au droit de Guernesey est tirée d'un livret rédigé par l'ancien bailli ; la partie traitant plus spécialement du statut du bailli est ainsi libellée :

« Le bailli est le premier citoyen et le premier représentant de l'île.

Le bailli est nommé par lettres patentes du Souverain revêtues du sceau du Royaume [Great Seal of the Realm]. Il exerce ses fonctions « pour la durée qu'il plaira à sa Majesté » [during Her Majesty's Pleasure], étant entendu que l'âge de la retraite est fixé à soixante-dix ans. Il préside les States of Election, les States of Deliberation, la Royal Court et la Cour d'appel [Court of Appeal] ; il est le chef de l'administration.

En tant que président des States of Deliberation, le bailli est habilité à s'exprimer sur toute question ; il ne vote pas, sauf s'il y a partage égal des suffrages des membres, auquel cas il a voix prépondérante. En règle générale, le bailli utilise ce droit de parole de telle sorte que les questions sur lesquelles les States sont irrésolus fassent l'objet d'une nouvelle étude. A la demande des commissions, il propose des mesures aux States, mais peut aussi de sa propre initiative soumettre toute question à l'assemblée.

Le bailli constitue avec le lieutenant-gouverneur un intermédiaire entre, d'une part, le Conseil privé [Privy Council] et le ministre de l'Intérieur et, d'autre part, les autorités de l'île. Pour un certain nombre de questions, il est appelé, en tant que chef de l'administration de l'île, à donner des orientations aux autorités de l'île.

La création de la Commission consultative et des finances, commission de coordination dotée de pouvoirs consultatifs, a déchargé le bailli de certaines de ses responsabilités administratives, mais il peut, de sa propre initiative, saisir les States de toute question qu'il a d'abord déférée à la Commission, sous réserve qu'il donne à celle-ci la possibilité de faire connaître son point de vue aux States.

Si le bailli est chargé de préparer les questions à soumettre aux States, il ne peut refuser de soulever un problème devant ceux-ci lorsque les parlementaires ou les commissions des States le lui demandent. L'assemblée consulte le bailli sur les questions touchant à la Constitution de l'île.

Lors de l'élaboration de textes législatifs concernant l'île ou de débats résultant des communications du Conseil privé ou du ministère de l'Intérieur, le bailli est tenu de défendre les positions de l'île dans les affaires constitutionnelles.

Dans l'hypothèse de divergences entre la Couronne et les States, il incombe traditionnellement au bailli de présenter les vues de la population de l'île. »

18. Le bailli est le premier magistrat de la Royal Court. De nos jours, il occupe généralement les fonctions de Her Majesty's Comptroller, Her Majesty's Procureur (Solicitor-General, Attorney-General respectivement) et, depuis 1970, de bailli adjoint, avant de devenir bailli. Dans le cadre de ses fonctions judiciaires, le bailli est un magistrat professionnel (les jurats sont quant à eux non professionnels) au sein de la Royal Court, et préside de plein droit la Cour d'appel de Guernesey. Dans le cadre de ses fonctions non judiciaires, le bailli préside les States of Election, les States of Deliberation, ainsi que quatre commissions des States (Commission des nominations, Conseil de crise, Commission de la législation et Commission du règlement), et contribue aux échanges entre les autorités de l'île et le gouvernement du Royaume-Uni et le Conseil privé. Lorsque le bailli assume une présidence dans le cadre de ses fonctions non judiciaires, il ne vote pas sauf s'il y a partage égal des suffrages, auquel cas il a voix prépondérante.

19. Les States of Election pourvoient par élection aux postes qui se trouvent vacants parmi ceux des douze jurats. Les jurats siègent à la Royal Court en tant que membres non professionnels. Leur fonction consiste à trancher les points de fait dont ils sont saisis et à décider s'il y a lieu d'accueillir un appel. Par ailleurs, ils sont membres de certaines commissions des States, soit parce que le mandat d'une commission requiert l'élection d'un jurat, soit en raison de compétences ou d'intérêts personnels. Toutefois, les jurats ne peuvent faire partie de la Commission des affaires intérieures, de la Commission de réglementation du jeu, ni d'aucune autre commission des States chargée de faire appliquer une législation dont les dispositions prévoient contre les décisions de celle-ci un droit de recours auprès de la Royal Court.

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