La lettre juridique n°321 du 9 octobre 2008 : Fonction publique

[Jurisprudence] Retrait des décisions de nomination : mieux vaut (pour l'agent) l'illégalité que l'inexistence

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 7 août 2008, n° 287581, Mme Le Cointe (N° Lexbase : A0684EAL)

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N3916BHI

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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

le 07 Octobre 2010

Dans le cadre de la confrontation et de l'arbitrage constamment effectués par le juge administratif entre le principe de légalité et le principe de sécurité juridique, la décision "Le Cointe" du 7 août 2008 constitue une nette victoire du second sur le premier. Dans cette décision, en effet, le Conseil d'Etat s'est refusé à qualifier d'inexistante la décision de nomination d'un agent public à un grade ayant pourtant disparu à la date de cette décision, ceci afin de faire bénéficier l'agent en cause du droit créé par cette décision. Qualifiant cette décision de "simplement" illégale, le Conseil d'Etat a donc pu faire application à l'espèce de la jurisprudence "Ternon" (1) qui limite à quatre mois le délai dont dispose l'administration pour retirer une décision illégale créatrice de droits. Cette solution, contestable d'un strict point de vue juridique, peut, toutefois, s'expliquer par la nature de la décision de nomination en cause qui portait sur un avancement de grade, et par la protection particulière dont fait l'objet le grade en droit de la fonction publique. L'on considère, en effet, que le fonctionnaire est propriétaire de son grade alors qu'il ne l'est pas de son emploi. Cette vision patrimoniale du grade peut justifier la solution retenue par le Conseil d'Etat, qui n'en demeure pas moins très généreuse pour l'agent et très sévère pour son administration, puisque celui-ci se voit octroyer un grade qui n'existe plus. I - Une application de la jurisprudence "Ternon"...

A - A la différence des nominations obtenues de manière frauduleuse, les nominations entachées d'illégalité ne peuvent être retirées par l'administration que dans un délai de quatre mois suivant leur intervention

1. Les décisions de nomination ou de promotion entachées d'illégalité n'en sont pas moins créatrices de droits acquis pour les agents publics qui en bénéficient

Lorsqu'une décision individuelle créatrice de droits a été irrégulièrement édictée par l'administration, le principe de légalité exige que celle-ci procède à son retrait, c'est-à-dire qu'elle la fasse disparaître rétroactivement de l'ordonnancement juridique, alors que le principe de sécurité juridique suppose, au contraire, son maintien au nom de la stabilité des situations juridiques et des droits acquis. La décision de nomination entachée d'illégalité est, ainsi, l'enjeu de ce que Maurice Hauriou appelait, dans sa note sous la décision "Dame Cachet" (CE Contentieux, 3 novembre 1922, n° 74010, Mme Cachet N° Lexbase : A7682AY8, au Recueil p. 790, Sirey, 1925, III p. 9), la "lutte" entre, d'une part, une administration "qui a le sentiment séculaire de son pouvoir discrétionnaire" et "a intérêt à conserver autour d'elle une certaine mobilité des situations comme condition de sa liberté" et, d'autre part, les individus "bénéficiaires des décisions" de l'administration, qui "tendent toujours à consolider leur situation", "y voient des droits acquis" et ont donc "intérêt à la stabilité des situations".

Confrontée à cette lutte, la jurisprudence récente a limité à quatre mois le délai dans lequel l'administration pouvait retirer une décision de nomination entachée d'illégalité (2). Il s'agit bien d'un retrait et non d'une abrogation, qui, elle, n'est pas rétroactive (TA Clermont-Ferrand, 17 octobre 1985, Arvis, RFDA, 1986, p. 810, conclusions Madec).

Toutefois, tout récemment, la Section du contentieux du Conseil d'Etat a tenu compte des contraintes de notification pesant sur l'administration en jugeant, contrairement aux conclusions de son commissaire du Gouvernement, que l'administration pouvait retirer une décision illégale "dans un délai de quatre mois à compter de cette décision" et non dans un délai de quatre mois à compter de la notification de cette décision (3). La position prise par la Section illustre le souci de faire en sorte que le délai de quatre mois laissé à l'administration par la jurisprudence "Ternon" soit entièrement utile, c'est-à-dire qu'il ne soit pas amputé des quelques jours d'anticipation nécessaires pour faire en sorte que la notification d'un éventuel retrait parvienne au bénéficiaire de la décision retirée avant son expiration. La solution, ainsi dégagée, est d'ailleurs critiquable, puisque le bénéficiaire de la décision ne peut plus tirer de l'écoulement du délai aucune conclusion certaine quant à la consolidation de sa situation. En effet, la notification peut, au moins en théorie, intervenir très longtemps après la signature de la décision sans que la légalité de cette dernière s'en trouve affectée.

Soulignons, toutefois, que la règle issue de la décision "Ternon" ne s'applique pas lorsque le retrait est sollicité par le bénéficiaire même de la décision créatrice de droits en vue d'obtenir l'édiction d'une décision nouvelle plus favorable, et que le retrait n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers. Dans un tel cas, l'administration a, en effet, la possibilité de faire droit à cette demande au-delà du délai de quatre mois, y compris si la décision en cause n'est pas illégale (CE, 29 octobre 2003, n° 241235, Mme Meyer N° Lexbase : A9772C9S, aux Tables, pp. 647 et 824). Enfin, le Conseil d'Etat a, également, admis que l'instauration, par voie réglementaire, d'une procédure de recours hiérarchique contre la décision créatrice de droits justifiait le non-respect du délai de droit commun de quatre mois (4).

Au total, l'on voit que la décision de nomination ou de promotion dont bénéficie l'agent public est créatrice de droits acquis et que la possibilité pour l'administration de retirer une telle décision est limitée dans le temps.

2. En revanche, les décisions de nomination ou de promotion obtenues de manière frauduleuse, même si elles ont des effets de droit, ne sont pas créatrices de droit et peuvent, en conséquence, être retirées par l'administration à tout moment

Lorsque la nomination a été provoquée par des manoeuvres frauduleuses de l'intéressé, elle ne crée pas de droit et peut, par la suite, être retirée ou abrogée par l'administration, alors même que le délai de retrait de droit commun est expiré. Cependant, l'autorité de nomination comme toutes autres autorités administratives, devra, le cas échéant, tirer toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin. Mettant en oeuvre ce principe, le Conseil d'Etat a considéré que l'administration ne pouvait pas se prévaloir de la fraude entachant la nomination pour refuser à l'intéressé le bénéfice, par exemple, des congés de maladie puis de longue durée (5).

En indiquant qu'un "acte obtenu par fraude ne crée pas de droits", la décision "Assistance publique-Hôpitaux de Marseille" reprend une solution acquise depuis longtemps (CE Assemblée, 12 avril 1935, Sarovitch, au Recueil, p. 520 ; CE Section, 17 juin 1955, Silberstein, au Recueil, p. 334 ; CE, 17 mars 1961, Todeschini, au Recueil, p. 157). La décision "Assistance publique-Hôpitaux de Marseille" innove, cependant, en précisant qu'aussi longtemps qu'il n'a pas été mis fin à cet acte, "il incombe à l'ensemble des autorités administratives, de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte". C'est en cela que l'on peut dire que l'acte obtenu par fraude a des effets de droit : tant qu'il est maintenu, il doit être appliqué. C'est en cela aussi que l'acte obtenu par fraude se distingue de l'acte inexistant, non seulement par le vice qui l'affecte, mais par les effets qu'il produit : l'acte inexistant (cf. infra), parce qu'il est "nul et non avenu", est "nul et de nul effet" ; il ne peut en résulter aucune conséquence, alors même qu'il n'a pas fait l'objet d'une décision le faisant sortir de l'ordonnancement juridique. En réalité, il n'y est jamais entré, et il n'y a donc pas matière à en tenir compte. En revanche, l'acte obtenu par fraude a été adopté à la fois en fait et en droit : c'est la raison pour laquelle il est effectif tant qu'il existe.

Il n'en demeure pas moins que le vice dont sont atteints les actes obtenus par fraude, quel que soit leur objet (même pécuniaire), les prive de la protection du système de la jurisprudence "Ternon". Si leurs bénéficiaires ont droit à leur application tant qu'ils sont maintenus, ils n'ont pas droit à leur maintien : ces actes peuvent être retirés à toute époque, ainsi que l'a rappelé récemment le Conseil d'Etat (CE, 3 avril 2006, n° 285656, Syndicat à vocation unique de l'Amana N° Lexbase : A9552DN4, aux Tables : à propos d'un agent public ayant obtenu de manière frauduleuse une nouvelle bonification indiciaire).

B - Qualifiant la décision attaquée de décision illégale et non inexistante, la décision du 7 août 2008 constitue une application de la jurisprudence "Ternon"

1. Une décision d'avancement de grade jugée illégale et non pas inexistante...

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 7 août 2008, était en cause l'application du décret n° 2003-676 du 23 juillet 2003, portant statut particulier des cadres territoriaux de santé infirmiers, rééducateurs et assistants médico-techniques (N° Lexbase : L4253IB7). Ce décret avait créé, à compter de son entrée en vigueur le 1er août 2003, le nouveau cadre d'emplois de catégorie A des cadres territoriaux de santé, en prévoyant le versement, à compter de cette date, des assistants territoriaux médico-techniques hors classe issus du cadre d'emplois de catégorie B dans le grade provisoire d'assistant médico-technique hors classe créé dans le nouveau cadre d'emplois. A la suite de l'institution de ce nouveau cadre d'emplois, le décret n° 2003-683 du 24 juillet 2003 (N° Lexbase : L4254IB8), avait, quant à lui, modifié certaines dispositions statutaires relatives à chacun des trois cadres d'emplois des infirmiers territoriaux, des rééducateurs territoriaux et des assistants territoriaux médico-techniques et prévu, notamment, la modification du décret n° 92-831 du 28 août 1992 (N° Lexbase : L3043AIK) en supprimant, à compter du 1er août 2003, le grade d'assistant territorial médico-technique hors classe.

Or, en l'espèce, par une décision du 29 juillet 2003 du président du conseil général des Deux-Sèvres, la requérante avait précisément été nommée au grade d'assistant territorial médico-technique hors classe à compter du 9 septembre 2003. La décision de nomination, créatrice de droits pour l'intéressée, était donc intervenue postérieurement au décret du 24 juillet 2003 qui avait supprimé ce grade. Certes, cette décision était intervenue avant l'entrée en vigueur du décret, soit le 1er juillet 2003, mais en prévoyant que la nomination de la requérante au grade d'assistant territorial médico-technique hors classe prendrait effet au 9 septembre 2003, la décision de nomination avait retenu une entrée en vigueur postérieure à l'entrée en vigueur du décret.

En résumé, donc, la requérante avait été nommée à un grade qui avait été supprimé et qui donc n'existait plus. Conscient de son erreur, le président du conseil général des Deux-Sèvres avait logiquement décidé, par une décision du 24 décembre 2003, de reclasser la requérante au grade d'assistant territorial médico-technique de classe supérieure avant, par une décision du 14 janvier 2004, de prononcer, en conséquence, le retrait de la décision de nomination du 29 juillet 2003. Or, à la date du 14 janvier 2004, le délai de quatre mois fixé par la jurisprudence "Ternon" pour permettre à l'administration de retirer une décision illégale était expiré depuis un mois et demi. La qualification de la décision de nomination de décision illégale était donc revendiquée par la requérante qui entendait, ainsi, bénéficier de cette décision créatrice de droits.

Le Conseil d'Etat est allé dans son sens en considérant que la décision de nomination en cause était illégale et non pas inexistante. Selon le Conseil, en effet, si la requérante "ne pouvait légalement être nommée à ce grade dans son cadre d'emplois à compter du 9 septembre 2003 par l'arrêté du 29 juillet 2003", et si donc cette nomination était intervenue en méconnaissance des dispositions statutaires applicables, elle ne pouvait, cependant, "être regardée comme un acte nul et de nul effet susceptible d'être retiré à tout moment". Pour ce motif, le Conseil a donc annulé pour erreur de droit le jugement du tribunal administratif de Poitiers qui avait considéré que la décision du 29 juillet 2003 était nulle et de nul effet.

Le Conseil d'Etat a donc qualifié la décision de nomination de décision illégale et non de décision inexistante. Ce faisant, il a permis à la requérante de bénéficier du régime protecteur (pour l'agent) de la jurisprudence "Ternon".

2... qui permet de faire bénéficier l'agent concerné de la jurisprudence "Ternon"

Tirant, en effet, les conséquences de la qualification de décision illégale, le Conseil d'Etat, réglant l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), a considéré qu'à la date de la décision du 24 décembre 2003 reclassant l'intéressée au grade d'assistant territorial médico-technique de classe supérieure, et à celle de l'arrêté du 14 janvier 2004 retirant la décision du 29 juillet 2003 qui avait porté avancement de l'intéressée au grade d'assistant territorial médico-technique hors classe, la décision du 29 juillet 2003 nommant l'intéressée au grade d'assistant territorial hors classe dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux médico-techniques étant devenue définitive, ne pouvait plus faire l'objet d'un retrait.

Au contraire, eût-il qualifié la décision de nomination de décision inexistante que le Conseil d'Etat n'aurait pu que constater le droit pour l'administration de la retirer à tout moment, ou plutôt le droit pour elle de prendre une autre décision la contredisant. En effet, la décision inexistante étant nulle et de nul effet, il n'est même pas besoin pour l'administration de la retirer et elle peut se borner à prendre une autre décision qui la contredit. Il appartient, d'ailleurs, à l'administration, si elle souhaite voir qualifier une décision d'inexistante, de saisir le juge afin qu'il constate lui-même l'inexistence. Autrement dit, seul le juge peut qualifier une décision d'inexistante.

Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 7 août 2008, si la décision de nomination avait été qualifiée d'inexistante, la légalité de la décision de nomination défavorable et, au sens propre, de rétrogradation (reclassement au grade d'assistant territorial médico-technique de classe supérieure) intervenue postérieurement, n'aurait pu être contestée par la requérante puisque cette décision de rétrogradation n'aurait fait que rétablir le statu quo ante, c'est-à-dire la situation antérieure à la décision de nomination favorable mais inexistante.

La solution retenue par le Conseil d'Etat est donc, en l'espèce, tout à fait favorable à la requérante qui a pu revendiquer avec succès, et non sans paradoxe, le bénéfice d'une nomination à un grade n'existant plus.

II - .... dont le caractère généreux peut s'expliquer par la protection particulière dont fait l'objet le grade d'agent public

A - A la différence de la décision illégale, la décision inexistante est nulle et de nul effet et n'est donc créatrice d'aucun droit pour l'agent

1. La notion d'acte inexistant et son application au contentieux de la fonction publique

Les actes juridiquement inexistants, que le juge déclare "nuls et non avenus" ou "nuls et de nul effet", échappent, à vrai dire, à toute définition doctrinale précise. En effet, si le Conseil d'Etat a adopté cette notion dans les années cinquante (CE Section, 22 novembre 1954, Pacha, au Recueil, p. 46), il n'en a jamais donné de définition. Tout au plus est-il possible de dire que l'acte inexistant est toujours entaché d'une illégalité particulièrement grave et flagrante, comme, par exemple, d'une incompétence si manifeste qu'elle tient plus de l'usurpation qu'autre chose (CE Assemblée, 31 mai 1957, n° 26188, Rosan Girard N° Lexbase : A1264B9P, au Recueil, p. 355, conclusions Gazier : décision préfectorale annulant des élections municipales).

A la différence du vice entachant l'acte obtenu par fraude qui résulte seulement de l'initiative de l'administré, le vice entachant l'acte inexistant vient d'une initiative de l'administration elle-même, et porte sur le contenu de l'acte.

La qualification d'acte inexistant a, ainsi, été retenue à propos de décisions émanant d'organismes dépourvus d'existence légale (CE Section, 7 octobre 1994, n° 136532, Ville de Narbonne N° Lexbase : A3158ASR, au Recueil, p. 426), à propos de décisions prises en application de décisions elles-mêmes inexistantes (CE, 18 mars 1921, Gaubert, au Recueil, p. 328 : actes du maire pris en exécution de délibérations du conseil municipal inexistantes ; CAA Marseille, 4ème ch., 6 décembre 2005, n° 02MA0476, Lequette N° Lexbase : A6103DMY, AJDA, 2006, p. 1220, conclusions A. Bonnet : délibération qui ne se rattache à aucune séance régulièrement tenue par le conseil municipal), ou à celles dont l'auteur est dépourvu de tout pouvoir de décision (CE, 8 décembre 1982, Commune de Dompierre-sur-Besbre, n° 33596 N° Lexbase : A1041AL7, au Recueil p. 555 : exclusion d'un agent d'un corps décidée par un auteur dépourvu de tout pouvoir de décision). La qualification d'acte inexistant a, également, été retenue à propos de décisions constitutives d'une voie de fait (T. Conf., 27 juin 1966, n° 01889, Guignon N° Lexbase : A8485BDM au Recueil p. 830), de décisions empiétant sur la compétence d'une juridiction (CE Assemblée, 31 mai 1957, précité, et CE, 18 mars 1998, n° 160933, Khellil N° Lexbase : A6658ASE, au Recueil, p. 91 : certificat de résidence délivré en violation de la chose jugée), ou encore à propos de décisions attribuées à un conseil municipal alors qu'elles n'ont été prises que par le maire seul (CE, 28 février 1986, n° 62206, Commissaire de la République des Landes N° Lexbase : A4669AMU, au Recueil p. 50, AJDA, 1986, p. 326, observations J. Moreau). La qualification d'acte inexistant a, enfin, été retenue à propos des prétendus rectificatifs insérés au Journal officiel qui avaient eu pour objet et pour effet de modifier le texte réglementaire original antérieurement publié (CE Section, 25 juillet 1952, Chambre syndicale des fabricants français de balais de paille de Sorgo, Sieur Hebert et autres, au Recueil, p. 393).

Un contentieux reste, cependant, entouré de mystère, le contentieux contractuel. Si la délibération qui autorise un maire à souscrire un emprunt est déclarée inexistante, quelles conséquences faut-il tirer de cette constatation d'inexistence ? La jurisprudence se borne, sur ce point, à indiquer que c'est là une mission qui incombe au seul juge du contrat (CE, 29 décembre 1997, n° 139317, Commune d'Hautmont N° Lexbase : A5435AS4, aux Tables, p. 710).

En ce qui concerne plus particulièrement le contentieux de la fonction publique, la théorie de l'inexistence trouve deux points d'application incontestés : les nominations pour ordre et le non-respect des limites d'âge. Dans un cas comme dans l'autre, une règle fondamentale du statut des agents publics est transgressée et les mesures ainsi prises sont entachées d'un vice très grave. Dans sa note sous l'arrêt "De Fontbonne" (CE Section, 3 février 1956, De Fontbonne, au Recueil, p. 45, RDP, 1956, p. 859, note M. Waline, AJDA, 1956, II p. 93, chronique Gazier), M. Waline évoque à bon droit l'idée d'une fraude à la loi dans le premier cas, et, dans le second, le manquement à ce que l'on pourrait appeler l'ordre public statutaire. Dans les deux cas, la jurisprudence est constante : ces décisions sont inexistantes et donc nulles et de nul effet.

S'agissant, d'abord, des nominations pour ordre, les décisions sont assez nombreuses et c'est souvent le rapprochement entre deux nominations successives qui permet d'établir la fraude à la loi (6).

Deux précisions s'imposent à cet égard. En premier lieu, la nomination pour ordre ne se limite pas, pour le Conseil d'Etat, aux mesures de pure complaisance, prises dans l'unique intérêt de l'agent. Le critère prédominant est, en effet, celui de son caractère fictif (cf. conclusions A. Bacquet, précité) : l'agent a été nommé, mais non pour les besoins du service, et souvent le juge administratif, pour aboutir à la conclusion qu'il est "nul et non avenu" le rapproche d'une autre affectation effectuée quelques jours ou quelques mois plus tard. En second lieu, comme dans l'affaire jugée le 7 août 2008, le juge distingue avec soin inexistence et simple illégalité (cf. CE Section, 18 décembre 1953, Welter, au Recueil, p. 564 ; CE, 17 mars 1954, Dame Dardant, au Recueil, p. 163, AJDA, 1954, II bis. p. 5, chronique Gazier et Long).

S'agissant, ensuite, des violations des règles de limites d'âge, la jurisprudence est moins abondante mais tout aussi ferme : les mesures prises sont déclarées nulles et non avenues (7). Précisons, à cet égard, que la nomination pour ordre dans un emploi inexistant est bien nulle et de nul effet, même si un poste a été ultérieurement créé (CAA Lyon, 3ème ch., 28 janvier 1997, n° 94LY00110, Syndicat mixte du musée de Moulins N° Lexbase : A3482BG3, aux Tables p. 631 : arrêt sur lequel nous revenons infra).

Au total, l'on voit donc que si la théorie de l'acte inexistant est appliquée avec parcimonie par la jurisprudence administrative, le contentieux de la fonction publique en constitue l'un des terrains privilégiés.

2. La décision inexistante, sans avoir besoin de faire l'objet d'un retrait, est déclarée comme telle par le juge administratif

Les actes juridiquement inexistants peuvent faire l'objet d'un recours contentieux sans condition de délai. Telle est, peut-être, la seule raison d'être de cette catégorie de décisions aux contours flous. Il semble aller de soi qu'un acte matériellement inexistant ou atteint d'un vice particulièrement grave ne puisse engendrer aucun effet. Toutefois, avant d'avoir été déclaré inexistant par un juge, l'acte incriminé donnait l'apparence de la régularité et a pu se trouver à l'origine d'autres actes ou engendrer des conséquences. C'est donc l'ensemble de ces "suites" qu'il convient d'apurer.

Les conséquences de l'inexistence juridique de la décision sont donc importantes : elle peut être retirée ou attaquée à tout instant, sans condition de délai (CE Assemblée, 15 mai 1981, précité ; CE, 10 novembre 1999, n° 126382, Préfet de la Drôme N° Lexbase : A4257AXX, aux Tables, p. 584 ; CAA Marseille, 6 décembre 2005, précité). En outre, l'inexistence est d'ordre public et doit être soulevée d'office (CE, 5 mai 1971, n° 75655, Préfet de Paris N° Lexbase : A3623B7C, au Recueil, p. 329) et elle emporte avec elle celle des actes pris par voie de conséquence (CE Section, 9 novembre 1950, Fléret, au Recueil, p. 319). Enfin, l'administration peut ne pas tenir compte d'une décision inexistante, alors même qu'elle est formellement en vigueur (CE, 30 juin 1950, Massonnaud, précité).

B - La décision du 7 août 2008 écarte "généreusement" la qualification d'acte inexistant en raison, peut-être, de la protection particulière dont fait l'objet le grade conféré à l'agent public

1. La décision attaquée, en ce qu'elle avait pour effet de nommer l'agent à un grade qui avait été supprimé, aurait pu être qualifiée de décision inexistante

Dans l'espèce jugée le 7 août 2008, il nous semble que la qualification d'acte inexistant, pour la décision de nomination favorable à la requérante, aurait pu être retenue par le Conseil d'Etat. En effet, nous l'avons vu, celle-ci avait été nommée à un grade n'existant plus à la date de cette décision, puisque ce grade avait été supprimé quelques semaines plus tôt. Or, il semble logique de qualifier d'inexistante la décision qui nomme un agent public à un grade lui-même inexistant, hypothèse bien différente de celle dans laquelle un agent est nommé à un grade auquel il ne peut légalement prétendre, dans la mesure où il ne remplit pas les conditions permettant d'y accéder.

Une telle solution a, d'ailleurs, été retenue, dans une affaire assez proche de celle jugée par le Conseil d'Etat le 7 août 2008, par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon 28 janvier 1997, Syndicat mixte du musée de Moulins, précité, aux Tables, p. 631). Dans cet arrêt, la cour a d'abord relevé que l'agent avait été nommé à un emploi (de conservateur en chef du patrimoine) qui ne pouvait être créé par le syndicat mixte qui l'employait, dans la mesure où celle-ci n'avait pas encore fait l'objet d'une inscription sur la liste des établissements autorisés à être dotés d'un tel poste. Elle a ensuite considéré que la décision attaquée avait nommé cet agent "dans un emploi inexistant" et devait, en conséquence, être regardée "comme un acte nul et de nul effet dont le préfet était recevable, sans condition de délai, à demander au juge de constater l'inexistence".

Si donc une décision de nomination à un emploi inexistant (parce que n'existant pas encore) est qualifiée de décision inexistante, l'on peut en conclure qu'il doit en être de même pour une décision de nomination à un grade inexistant. Ce n'est, cependant, pas cette solution qu'a retenu le Conseil d'Etat. Il est vrai qu'elle aurait été très défavorable à l'agent concerné puisque celui-ci aurait été privé du bénéfice d'une décision de promotion de grade à quelques jours près : en effet, en l'espèce, le grade "hors classe" a été supprimé à peine plus d'un mois avant l'entrée en vigueur de la décision de nomination à ce grade.

On peut comprendre que le juge administratif fasse preuve d'une grande réticence à l'égard de la théorie de l'acte inexistant, et ne se résolve à y faire appel que dans quelques cas graves et exceptionnels. Tout à son pragmatisme, il hésite, ainsi que l'écrivaient les commentateurs à l'AJDA de la décision "Rosan Girard" précitée, "lorsqu'il s'est passé quelque chose, de faire comme s'il ne s'était rien passé" et de dire, "après de longs raisonnements, qu'un acte... que le juge analyse, examine et apprécie, n'existe pas" (chronique J. Fournier et G. Braibant, AJDA, 1957, II p. 273).

Toutefois, il n'en demeure pas moins que dans l'espèce jugée le 7 août 2008, la qualification de décision illégale et non de décision inexistante est généreuse pour l'agent et sévère pour son administration.

2. Cette qualification a peut-être été écartée au motif que l'agent public est regardé comme étant propriétaire de son grade

C'est un principe bien établi du droit de la fonction publique que le grade est un titre dont le fonctionnaire est rendu propriétaire par la titularisation, et qui indique son rang dans la hiérarchie administrative. Le fait d'être titulaire d'un grade donne, ainsi, vocation à exercer des fonctions de nature différente correspondant à ce grade. Ainsi que l'écrit A. Plantey (Traité de la fonction publique, Litec, 2001, § 371), "un grade attribue à son titulaire le droit à une carrière, c'est-à-dire à un certain nombre d'avantages tels que la titularisation, l'avancement, les honneurs, les protections juridictionnelles, l'honorariat". Des prérogatives du grade dépendent, ainsi, en général les avantages pécuniaires et, en particulier, le traitement (CE, 17 novembre, 1954, Moosman, au Recueil, p. 599, conclusions Jacomet) et la pension de retraite. "Le grade est donc spécialement protégé par le statut [de la fonction publique]" (idem) et le fonctionnaire a droit à la conserver même s'il change d'emploi par voie de détachement ou de mise en disponibilité, s'il est condamné à l'inactivité par la maladie ou l'infirmité, ou encore s'il perd son emploi du fait de la puissance publique (CE, 15 février 1961, Leseur, au Recueil, p. 115). Un grade ne peut, d'ailleurs, être créé que par une disposition statutaire, à l'exclusion d'une décision individuelle, d'une circulaire ou d'un texte qui n'est pas pris dans les formes prévues et par les autorités compétentes pour fixer les statuts particuliers des corps (CE, 6 avril 1962, Fournioux, au Recueil, p. 257).

Cette protection particulière du grade le distingue nettement de l'emploi et c'est pourquoi l'article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L5219AHR), qui énumère limitativement les cas de cessation définitive des fonctions entraînant la perte de la qualité de fonctionnaire, assure exclusivement la protection du grade (et non de l'emploi) en indiquant les cas dans lesquels le fonctionnaire peut ou doit en être privé. Quant à l'emploi, son attribution est exclusivement commandée par l'intérêt du service (CE, 21 juin 1961, Galle, AJDA, 1961 p. 711).

Le principe de séparation du grade et de l'emploi a, ainsi, pour conséquence qu'en cas de suppression d'emploi budgétaire, le fonctionnaire intéressé reste titulaire de son grade et reçoit une affectation dans un autre emploi, ce qui n'implique pas que soient édictées des mesures statutaires applicables à l'agent concerné (CE, 17 décembre 1997, n° 149246, Confédération nationale des groupes autonomes de l'enseignement public N° Lexbase : A5489AS4, aux Tables, p. 885). Le droit d'être affecté dans un autre emploi, rendu possible par la détention du grade, existe d'ailleurs aussi au bénéfice du fonctionnaire devenu inapte physiquement à l'exercice de ses fonctions, le Conseil d'Etat ayant érigé le droit de reclassement dans un tel cas en principe général du droit (CE, 2 octobre 2002, n° 227868, CCI de Meurthe-et-Moselle N° Lexbase : A9513AZD, AJDA, 2002, p. 1294, conclusions D. Piveteau, AJFP, 2002, n° 6, p. 41).

Au total, l'on peut donc penser que si le Conseil d'Etat a refusé de qualifier d'inexistante une décision de nomination à un grade inexistant alors que la cour administrative d'appel de Lyon avait qualifié d'inexistante la décision de nomination à un emploi inexistant, c'est peut-être parce que l'agent public est propriétaire de son grade, alors qu'il ne l'est pas de son emploi. Cette conception patrimoniale du grade justifierait, ainsi, que le juge soit réticent à ne reconnaître aucun caractère créateur de droit à une décision d'avancement de grade.


(1) CE Assemblée, 26 octobre 2001, n° 197018, Ternon (N° Lexbase : A1913AX7), au Recueil, p. 497, AJDA, 2001, p. 1034 chronique M. Guyomar et P. Collin, DA, 2001, n° 253 note I. Michallet, RFDA, 2002, p. 77, conclusions F. Séners.
(2) Cf à propos de l'arrêt CE Assemblée, 26 octobre 2001, n° 197018, Ternon, précité la note de P. Delvolvé, GAJA, Dalloz, 2003, n° 100 : "sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision".
(3) CE Contentieux, 21 décembre 2007, n° 285515, Société Bretim (N° Lexbase : A1487D3H), au Recueil, AJDA, 2008, p. 338, chronique J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau : selon le Conseil, "la circonstance que cette décision de retrait n'a été notifiée à la société Bretim [qu'] après l'expiration du délai de quatre mois imparti au ministre [est] sans incidence sur [sa] légalité").
(4) CE, 28 septembre 2005, n° 266023, Société Soinne et associés (N° Lexbase : A6077DKB), au Recueil, p. 397, AJDA, 2005, p. 2308 : il a ainsi été jugé que l'article R. 436-6 alors en vigueur du Code du travail (N° Lexbase : L0362ADR), qui organise un recours hiérarchique contre la décision rendue par l'inspecteur du travail sur la demande de licenciement d'un salarié protégé, permet au ministre compétent de retirer la décision en cause au-delà du délai de quatre mois.
(5) CE, 29 novembre 2002, n° 223027, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (N° Lexbase : A5193A44), au Recueil, JCP éd. A, 2003, n° 1003, note D. Jean-Pierre, AJDA, 2003, p. 276, chronique F. Donnat et D. Casas, RFDA, mars 2003, p. 234, conclusions G. Bachelier et note P. Delvolvé, AJFP mars 2003, p. 4, DA, 2003, n° 1.
(6) CE Section, 11 décembre 1942, Vrin, au Recueil, p. 347 ; CE, 6 février 1948, Bonfanti, au Recueil, p. 61 ; CE, 30 juin 1950, Massonnaud, au Recueil, p. 400, conclusions J. Delvolvé, Sirey 1951, III p. 57, note F. M. ; CE Assemblée 15 mai 1981, n° 33041, M. Philippe Maurice (N° Lexbase : A3927AKN), au Recueil, p. 221, AJDA, 1982, p. 86, conclusions A. Bacquet, Dalloz, 1982, p. 147, note Blondel et Julien-Laferrière ; CE Section, 9 novembre 1990, n° 78012, Fléret (N° Lexbase : A5725AQ4), au Recueil, p. 319 ; CE Section, 12 juin 1991, n° 106426, Association professionnelle des magistrats et Pringuez (N° Lexbase : A1818ARR), AJDA, 1991, p. 509, chronique Maugüé et Schwartz.
(7) CE Section, 3 février 1956, De Fontbonne précité; CE, 5 juillet 1978, n° 05259, Ministre de l'Economie et des Finances et Ministre de l'Intérieur (N° Lexbase : A5437AI9), aux Tables p. 678 ; CE, 21 février 1997, n° 141960, Ministre de l'Education nationale et de la Culture c/ Romano (N° Lexbase : A8346ADH), au Recueil, p. 55.

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