La lettre juridique n°321 du 9 octobre 2008 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'électorat des salariés "occasionnels"

Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-60.310, Union locale CGT du 14ème c/ Société Lehwood Montparnasse et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A5050EAB)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

En vertu de la loi, doivent participer aux élections des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel, les salariés ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 24 septembre 2008, remplissent cette condition les salariés "intermittents" ou vacataires qui, ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, sont intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail. Appelée à figurer dans le rapport annuel de la Cour de cassation, cette décision sera sans doute explicitée à cette occasion. Pour l'heure, et en allant au-delà des principes de solution énoncés, qui témoignent d'une certaine unité dans la jurisprudence de la Chambre sociale, on peut être perplexe quant à la mise en oeuvre concrète d'une telle solution (1).
Résumé

En application de la loi, sont électeurs les salariés ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise. Remplissent cette condition les salariés "intermittents" ou vacataires qui, ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, sont intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail.

Commentaire

I - La condition d'ancienneté de trois mois

  • Principes

Afin de pouvoir participer aux élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise, les salariés doivent remplir les conditions posées, en termes identiques, par les articles L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q) et L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) du Code du travail. Selon ces textes, "sont électeurs les salariés des deux sexes âgés de seize ans révolus, ayant travaillé trois mois dans l'entreprise et n'ayant pas fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques".

S'agissant de la condition relative à l'ancienneté du salarié, qui seule nous intéresse ici, il est à noter que l'inspecteur du travail peut autoriser des dérogations à cette condition, notamment lorsque son application aurait pour effet de réduire à moins de deux tiers de l'effectif le nombre de salariés remplissant ces conditions (C. trav., art. L. 2314-20 N° Lexbase : L2630H9B et L. 2324-18 N° Lexbase : L9766H89). De même, on peut considérer qu'une "dérogation" à la condition d'ancienneté de trois mois peut résulter d'un accord collectif ou d'un protocole préélectoral. Un tel aménagement conventionnel, qui était, d'ailleurs, en cause dans l'arrêt rapporté, ne paraît, cependant, pouvoir être admis qu'à la stricte condition d'être plus favorable que la loi.

  • Difficultés d'appréciation

Sont donc électeurs les salariés ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise (2). Cette condition, qui doit s'apprécier à la date du premier tour de scrutin (3), ne pose a priori guère de difficultés. Il faut considérer qu'elle s'entend d'une présence durant trois mois, au moins, dans l'entreprise, sans qu'il y ait à tenir compte du fait que le salarié a travaillé à temps complet ou à temps partiel ou, encore, qu'il a oeuvré dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ou d'un contrat à durée déterminée. De même, cette condition peut être considérée comme remplie lorsque l'ancienneté a été acquise au terme de plusieurs contrats à durée déterminées séparés dans le temps (4). Une telle assertion pose, cependant, une importante difficulté, résidant dans la détermination de la période pendant laquelle le minimum de travail exigé doit avoir été accompli. Faut-il remonter sur six mois ? Un an ? Une durée supérieure ? Cette question est d'autant plus difficile à régler que le salarié ne peut être appelé à travailler que quelques heures à chaque fois.

Comment, dès lors, apprécier la condition d'ancienneté de trois mois pour les salariés que la Cour de cassation qualifie dans l'arrêt rapporté de vacataires ou "d'intermittents" ? Dans un arrêt rendu le 20 octobre 1999, la Chambre sociale a décidé, sans plus d'explications, qu'il résulte des articles L. 423-7 (N° Lexbase : L6367ACS) et L. 433-4 (N° Lexbase : L6421ACS), devenus L. 2314-15 et L. 2324-14, que, pour qu'un salarié vacataire occupé par intermittence dans l'entreprise soit électeur, il suffit qu'il ait travaillé dans celle-ci au moins à deux reprises dans les trois mois précédant l'élection (5). Il est, pour le moins, difficile de se satisfaire d'une telle solution dont il est excessif de dire qu'elle "résulte" des textes en cause. Sans doute avait-elle, cependant, le mérite de la simplicité. Partant, la solution retenue dans l'arrêt rapporté nous paraît qu'à moitié satisfaisante. Si elle est plus conforme aux dispositions susvisées, elle n'offre guère de sécurité relativement à sa mise en oeuvre pratique.

II - L'exigence d'un travail habituel durant les trois derniers mois

  • L'affaire

Le litige trouvait son origine dans les élections des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel qui s'étaient déroulées dans la société Lehwood au mois d'octobre 2006, conformément à un protocole préélectoral signé le 13 septembre 2006. Etait apparemment contestée la clause de ce protocole déclarant électeurs les salariés justifiant d'une première vacation avant le 24 juillet 2006, totalisant au moins 400 heures de travail sur les six derniers mois civils et 86 heures de travail par mois depuis juillet 2006. Pour valider cette clause, le tribunal d'instance saisi du litige avait énoncé que ces dispositions convenues entre la direction de l'hôtel Méridien Montparnasse et les principales organisations syndicales de l'entreprise confèrent le droit de vote à dix-sept salariés et ne méconnaissent pas les intérêts de ce personnel "fluctuant, numériquement variable et ne faisant pas vraiment partie de l'entreprise".

Ce jugement est censuré par la Cour de cassation au visa des articles L. 423-7 et L. 433-4, devenus L. 2314-15 et L. 2324-14 du Code du travail. Ainsi que l'énonce en exergue la Chambre sociale, "sont électeurs les salariés ayant travaillé trois mois au moins dans l'entreprise ; remplissent cette condition les salariés "intermittents" ou vacataires qui, ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, sont intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail". La Cour de cassation poursuit en relevant qu'en se déterminant comme il l'a fait, "tout en ayant constaté que le protocole préélectoral conditionnait le droit de vote à une période de travail appréciée sur les six mois précédents et sans rechercher si, en considération de la variation des effectifs dans l'entreprise et compte tenu du caractère et de la nature de l'emploi de ce personnel d'appoint, les exigences posées par la clause litigieuse dudit protocole sur la durée minimale d'heures de travail étaient conformes aux textes légaux, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale".

  • Une solution délicate à décrypter

Désormais, il ne s'agit plus de compter les fois où le salarié occasionnel a travaillé dans l'entreprise dans les trois mois précédant l'élection, mais de déterminer si, pendant cette période, le salarié ayant travaillé de manière habituelle dans l'entreprise s'est trouvé intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail.

Seuls doivent être pris en compte les "trois derniers mois", c'est-à-dire les trois mois précédant la date du premier tour de scrutin. Sauf à se tromper, ce n'est pas exactement ce que dit la loi, qui se borne à viser le salarié ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise. Le texte ne paraît donc pas s'opposer à ce que cette ancienneté s'acquiert sur une période plus longue. Il suffit d'imaginer le cas du salarié qui, au cours des six derniers mois, aurait conclu plusieurs contrats à durée déterminée d'une durée cumulée de trois mois et qui serait présent dans l'entreprise au moment des élections. Un tel salarié est-il encore électeur aujourd'hui ? Une réponse positive peut être apportée à cette question. En effet, deux situations peuvent être envisagées : ou bien le salarié peut faire état d'une ancienneté cumulée de trois mois et il est électeur (6), ou bien il ne le peut pas, mais il pourra quand même demander à être électeur dès lors qu'il est démontré qu'il a travaillé de manière habituelle dans l'entreprise au cours des trois derniers mois.

Ensuite, que faut-il entendre par "travail habituel" ? La question est importante car de sa réponse paraît découler le constat que le salarié est intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail. Cette importante notion, qui place la solution rapportée dans le droit fil de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation (7), reste, encore, évanescente. Si le "travail habituel" dans l'entreprise constitue un critère permettant de caractériser cette notion, il reste malheureusement vague lui aussi. A ce titre, l'arrêt commenté ne nous est pas d'une grande aide. On peut, cependant, en déduire que la notion de "travail habituel" doit être "déconnectée" du nombre d'heures de travail effectué au cours d'une période donnée. Ainsi, un salarié, qui a effectué trois heures de travail par semaine au cours des trois derniers mois, est certainement plus à même de faire valoir un "travail habituel" que celui qui a uniquement travaillé 35 heures la première semaine de cette période. La notion paraît impliquer une certaine récurrence dans la prestation de travail, même si elle se déroule sur une très courte durée. C'est moins la somme des périodes de travail qui importe, ici, que leur répétition.

Ensuite, la Cour de cassation ne paraît pas s'opposer à ce que l'accord conditionne le droit de vote à une période de travail appréciée sur une période supérieure à trois mois. Mais c'est à la condition que les stipulations en cause soient conformes aux textes légaux, tels qu'interprétés par la Chambre sociale (8). Or, il y a tout lieu de constater que, postérieurement à l'arrêt sous examen, on est encore dans un très grand flou. Qui peut, en effet, prétendre, aujourd'hui, dessiner avec précision la figure de celui qui, "ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, [est] intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail" ? Cette absence de certitude s'avère problématique et il faut espérer que la Cour de cassation précise dans un avenir très proche le sens de sa jurisprudence. Pour l'heure, on ne saurait trop recommander aux employeurs d'être "généreux" dans l'établissement des listes électorales à l'égard des salariés "intermittents" et vacataires.


(1) Cette décision est, en outre, l'occasion, pour la Cour de cassation, de rappeler que seul un accord conclu postérieurement à la loi du 2 août 2005 (loi n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK) peut réduire le mandat des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise (V. déjà en ce sens, Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 07-60.041, FS-P+B N° Lexbase : A4296DZ7 et nos obs., Précisions quant à la possibilité de réduire conventionnellement la durée du mandat des représentants du personnel, Lexbase Hebdo n° 282 du 21 novembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N1824BDW).
(2) Les salariés mis à disposition ne sont, quant à eux, électeurs que s'ils bénéficient d'une ancienneté continue de douze mois dans l'entreprise utilisatrice (C. trav., art. L. 2314-18-1 N° Lexbase : L3815IBW et L. 2324-17-1 N° Lexbase : L3756IBQ, tels qu'issus de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail N° Lexbase : L7392IAZ).
(3) Cass. soc., 7 mars 1990, n° 89-60.283, Syndicat SNEP FO c/ Institut catholique de Lille (N° Lexbase : A7911AG4), Bull. civ. V, n° 105.
(4) Dès lors que le salarié est encore présent dans l'entreprise au moment des élections.
(5) Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 98-60.380, Syndicat AGRHIP-CFDT c/ M. Delloye (N° Lexbase : A4832AG3). V., aussi, Cass. soc., 4 juin 1986, n° 85-60.616, M. Guehl (N° Lexbase : A5132AAC), relatif à des médecins vacataires.
(6) Reste à savoir sur quelle période apprécier la condition d'ancienneté de trois mois. Une durée d'un an peut être jugée raisonnable.
(7) On songe, notamment, à l'arrêt du 28 février 2007, dans lequel la Cour de cassation a décidé que, sauf dispositions législatives contraires, les travailleurs mis à disposition d'une entreprise, intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, inclus à ce titre dans le calcul des effectifs, sont à ce même titre, électeurs aux élections des membres du comité d'entreprise ou d'établissement et des délégués du personnel dès lors qu'ils remplissent les conditions prévues par la loi (Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, Syndicat CGT Peugeot Citroën automobiles (PCA) établissement de Poissy, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4007DUX, Bull. civ. V, n° 34).
(8) Pour apprécier cette conformité, la Cour de cassation souligne que doivent être pris en considération la variation des effectifs de l'entreprise et le caractère et la nature de l'emploi de ce personnel d'appoint ; ce qui ne nous avance guère.

Décision

Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-60.310, Union locale CGT du 14ème c/ Société Lehwood Montparnasse et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A5050EAB)

Cassation partielle de TI Paris, 13ème (contentieux des élections professionnelles), 3 mai 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 423-7 (N° Lexbase : L6367ACS) et L. 433-4 (N° Lexbase : L6421ACS), devenus L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q) et L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W)

Mots-clefs : élections professionnelles ; électoral ; condition d'ancienneté ; appréciation ; salariés vacataires.

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