La lettre juridique n°347 du 23 avril 2009

La lettre juridique - Édition n°347

Éditorial

Rapport "Darrois" : entre satisfaction et inquiétudes

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N0399BKY

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse

Le 27 Mars 2014


Le 30 juin 2008, le Président de la République missionnait Maître Jean-Michel Darrois, avocat, à la présidence d'une commission de réflexion tendant à réformer la profession d'avocat avec, comme objectif, la création d'une grande profession du droit. La Commission "Darrois" a auditionné de nombreux protagonistes du monde juridique et a remis son rapport à Nicolas Sarkozy, le 8 avril 2009. Si la perspective d'une grande profession unique du droit a été rejetée, les propositions du rapport entendent, néanmoins, élargir et rénover la profession d'avocat (suppression du monopole des avocats, fusion avec les conseils en propriété intellectuelle, création du statut d'avocat en entreprise, etc.). Les réactions ne se sont pas fait attendre....

Les notaires, d'abord, se sont trouvés partiellement rassurés, la fusion avocats-notaires au sein d'une profession unique ayant été rejetée en raison de l'indiscutable utilité de l'acte authentique. Pour autant, le scepticisme semble de rigueur face à la proposition d'instauration d'un acte sous seing privé contresigné par avocat et à certaines propositions relatives au financement de l'aide juridictionnelle au seul profit de ces derniers.

Les avocats, ensuite, et plus précisément, le Conseil national des Barreaux, apparaissent satisfaits du nouvel acte sous seing privé contresigné qui apporterait "une sécurité juridique supplémentaire aux personnes privées et aux entreprises". Néanmoins, une pointe de déception est à noter puisque Maître Thierry Wickers, président du CNB, observe que le rapport écarte "toute idée de rapprochement entre avocats et notaires et se contente d'approuver la fusion déjà décidée des avocats avec les avoués et les conseils en propriété industrielle" (Les Echos, 3 avril 2009).

Avocats et notaires campent donc sur leurs positions.

Pour autant, ces deux professions devront coopérer puisque le rapport "Darrois" préconise la création d'un Haut conseil des professions du droit chargé de régler les litiges entre les corps de métier.

Et les juristes d'entreprises ? Eux aussi sont concernés par le rapport "Darrois" puisqu'il est suggéré d'instaurer un statut d'avocat en entreprise. Ce statut serait ouvert à tout juriste titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et, pendant une période transitoire, à tous les juristes actuellement en poste, sous réserve du consentement de leur employeur. Il permettrait aux avocats d'intégrer une entreprise pour lui fournir des prestations de conseil, tout en conservant leur statut. Pour faire le point sur ces recommandations et leurs conséquences, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Alain-Marc Irissou, Président de l'AFJE qui, s'il approuve pour partie ce nouveau dispositif, émet néanmoins des réserves dans l'attente de précisions sur de nombreux points importants, telle la question du maintien, ou non, de la "passerelle" existante (dispense de la formation théorique et pratique et du CAPA pour les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises). Et de conclure que si l'AFJE est, de prime abord, satisfaite des propositions formulées par la Commission "Darrois", elle se donne le temps d'étudier de près chacune de ces dispositions et toutes les conséquences pratiques de leur mise en oeuvre.

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Juristes d'entreprise

[Questions à...] Rapport "Darrois" : quels impacts du statut d'avocat en entreprise sur les professions d'avocat et de juriste d'entreprise ? Questions à Alain-Marc Irissou, Président de l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE)

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N0317BKX

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique

Le 27 Mars 2014

Remis au Président de la République le 8 avril 2009, le rapport établi par la "commission Darrois" (1), formée pour réfléchir à la modernisation des professions du droit, préconise un élargissement de la profession d'avocat, grâce, notamment, à la création du statut d'avocat juriste en entreprise. La question du périmètre du droit et, plus particulièrement, de celui attribué aux avocats, se pose, alors que la concurrence n'a jamais été aussi forte sur le "marché juridique" français. Pour dynamiser leur profession, les avocats demandent un élargissement de leur champ d'exercice. La question s'est posée sous quatre angles différents : le rapprochement des avocats avec les avoués, avec les conseils en propriété intellectuelle (CPI), avec les notaires et, enfin, avec les juristes d'entreprise. Si les deux premiers sont, semble-t-il, sur le point d'être opérés (2), la question se pose, encore, des deux autres. La commission s'est déclarée défavorable à l'unification des professions d'avocat et de notaire, compte tenu des trop nombreuses incompatibilités actuelles entre les deux professions. Elle console, néanmoins, les avocats, en recommandant l'introduction de l'acte sous signature juridique (dit "acte d'avocat") en droit positif et en soutenant le projet de créer un nouveau statut de l'avocat en entreprise.

Ce statut serait ouvert à tout juriste titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et, pendant une période transitoire, à tous les juristes actuellement en poste, sous réserve du consentement de leur employeur. Il permettrait aux avocats d'intégrer une entreprise pour lui fournir des prestations de conseil, tout en conservant leur statut. Cette approche s'inspire, fortement, de la conception anglo-saxonne de la profession d'avocat, qui ne fait pas de distinction statutaire ni sémantique entre le lawyer exerçant en cabinet et le lawyer exerçant en entreprise. A l'époque où les travaux de la commission étaient en cours, l'Association française des juristes d'entreprise -AFJE-, auditionnée par le groupe de travail sur le sujet, avait pris le parti de la création d'un statut d'avocat/juriste en entreprise. Lexbase Hebdo - édition privée générale avait, alors, fait le point avec Alain-Marc Irissou, Président de l'AFJE, sur les enjeux d'un tel rapprochement et sur les propositions formulées par l'association (3). Nous avons souhaité le rencontrer, à nouveau, pour recueillir son sentiment sur le dispositif proposé récemment par la commission.

Lexbase : Il existe déjà un dispositif de "passerelle" entre la profession de juriste d'entreprise et d'avocat. Quel est-il ? Est-il concerné par les propositions de réforme du rapport de la "commission Darrois" ?

Alain-Marc Irissou : Le système actuel de "passerelle" est prévu par l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat, art. 98 N° Lexbase : L0281A9B), qui prévoit une dispense de la formation théorique et pratique et du CAPA pour les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises.

La procédure permet à tous les juristes d'entreprise qui répondent aux critères définis par la jurisprudence et aux conditions d'ancienneté de devenir avocat. En revanche, les avocats qui entrent au service d'entreprises sont mis en omission du barreau, leur statut étant, en quelque sorte, mis entre parenthèses.

Le rapport de la "commission Darrois" propose de créer un statut d'avocat en entreprise ouvert aux titulaires du CAPA, ainsi qu'à "l'ensemble des juristes d'entreprises actuellement en exercice", sous réserve de répondre aux critères actuels définis par la jurisprudence de la Cour de cassation élaborée à partir du dispositif de "passerelle"-être titulaire de la maîtrise en droit ou d'un diplôme reconnu comme équivalent pour l'exercice de la profession d'avocat et justifier de huit années d'expérience professionnelle acquises dans le service juridique d'une ou plusieurs entreprises (4)-, en y ajoutant la prise en considération de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger. Ce bénéfice serait ouvert pendant une période transitoire de huit ans. L'admission d'un juriste d'entreprise au barreau ou le maintien dans son statut d'avocat d'un titulaire du CAPA serait subordonné au consentement de l'employeur.

L'AFJE est favorable à la création d'un tel statut, sous réserve de préciser de nombreux points, d'importance capitale. Il en va, notamment, ainsi, de la question du maintien, ou non, de la "passerelle" existante. Le rapport est muet sur le sujet. Or son silence peut s'interpréter, aussi bien, en faveur du maintien, qu'en sa défaveur. L'AFJE est, bien entendu, pour un tel maintien.

Sous réserve que toutes nos craintes soient dissipées, nous nous prononçons en faveur d'un nouveau statut, non pour des raisons corporatistes, mais bien parce qu'il satisfait à l'intérêt de l'entreprise. A cet égard, le rapport prévoit que les avocats en entreprise soient soumis aux obligations et aux droits du secret professionnel, comme les avocats libéraux, En conséquence, les avis du juriste d'entreprise, devenu avocat d'entreprise, bénéficieraient de la confidentialité, permettant ainsi à l'entreprise de solliciter des avis écrits de la part de ses juristes, sans avoir à craindre que ces écrits puissent être saisis par des autorités judiciaires ou administratives et produits en justice. Ce droit, correspondant peu ou prou au "legal privilege" anglo-saxon, permettrait le renforcement de la sécurité juridique des entreprises et, partant, de favoriser toutes mesures internes destinées à élever le niveau de conformité au droit. D'autre part, le positionnement et l'autorité de la fonction juridique de nos entreprises en seraient renforcées, les mettant, ainsi, à armes égales avec les entreprises étrangères.

Lexbase : Outre la confidentialité, quels seraient les autres attributs et modalités d'exercice du statut d'avocat en entreprise ?

Alain-Marc Irissou : Le rapport de la "commission Darrois" refuse à l'avocat en entreprise la possibilité de plaider pour le compte de son entreprise. La solution correspondant au statu quo ne me choque pas. Pour autant, il existe des juridictions devant lesquelles n'importe quel citoyen est autorisé à plaider (comme le tribunal de commerce, le tribunal d'instance, le conseil des prud'hommes ou le tribunal des affaires de Sécurité sociale). Retirer cette faculté aux avocats en entreprise serait illogique. Le texte mériterait, ainsi, d'être précisé sur ce point. S'il s'agit, uniquement, de dire que les avocats en entreprise ne pourront pas plaider devant les tribunaux de grande instance et les cours d'appel, nous ne voyons pas de raison de nous y opposer.

Le rapport propose, également, que l'avocat en entreprise ne puisse pas développer une activité libérale avec une clientèle personnelle. Ici, encore, la recommandation est justifiée. Le métier de juriste d'entreprise, à plus forte raison dans les groupes, demande une telle disponibilité, que nous voyons mal qu'on ne puisse y consacrer tout son temps professionnel. Toutefois, s'agissant des avocats employés à mi-temps, la mesure est discutable.

Le rapport souligne le principe de l'indépendance intellectuelle de l'avocat en entreprise qui "doit être protégée sans concession" et qui peut "cohabiter avec la dépendance juridique". Nous en sommes d'accord. Nous approuvons, aussi, que cette indépendance ne fasse pas obstacle à l'application aux avocats en entreprise du droit du travail et, donc, à la compétence exclusive des conseils des prud'hommes et, parallèlement, à l'autorité du bâtonnier, pour ce qui relève des obligations déontologiques.

Lexbase : Des craintes ont été exprimées quant à une discrimination entre les avocats en entreprise et les juristes. Le rapport rendu par la "commission Darrois" vous semble-t-il avoir suffisamment tenu compte de ces appréhensions ? De façon générale, l'AFJE est-elle satisfaite des propositions formulées par la commission ?

Alain-Marc Irissou : Si nous sommes favorables au principe de la création d'un nouveau statut, il reste à en déterminer les modalités. La prise en compte des intérêts du juriste est, ici, essentielle. Celui-ci doit avoir la garantie qu'il ne subira pas de discrimination par rapport à l'avocat, en termes d'évolution de carrière et de rapport hiérarchique, notamment. Le rapport prévoit de subordonner à l'accord du chef d'entreprise l'inscription d'un juriste à l'ordre des avocats, ce sur quoi nous exprimons de fortes réticences. L'accès du juriste au statut serait, en effet, laissé à la libre discrétion du dirigeant, apparemment, sans possibilité de recours. Ce n'est que s'il y consent, que le juriste -qui, pourtant, répondra à toutes les conditions actuelles de la "passerelle"- pourra se voir accorder le bénéfice du régime transitoire et accéder, ainsi, au statut d'avocat en entreprise. Or, le chef d'entreprise peut utiliser cette faculté comme outil de management équitable, par exemple, pour permettre à des juristes expérimentés de ne pas se faire supplanter par des avocats sans expérience, fraîchement émoulus. Il peut, tout aussi bien, en disposer de façon arbitraire. Il peut, aussi, décider de refuser l'accès au statut, pour des raisons de coûts, par exemple, pour ne pas avoir à verser la taxe relative au financement de l'aide juridictionnelle, prévu par le rapport. Il nous paraît indispensable de trouver une solution qui garantisse que tout juriste présentant les critères de la "passerelle" soit inscrit au tableau spécial de l'ordre des avocats, en toute hypothèse, quitte, par exemple, à être mis en omission, tant que son employeur actuel n'a pas donné son accord. Ainsi, il faut qu'il puisse être en mesure de bénéficier ultérieurement des prérogatives du statut, si l'accord de l'employeur est obtenu ou s'il change d'employeur, sans être forclos.

Par ailleurs, d'autres questions subsistent. Notamment, le rapport est muet sur la date à partir de laquelle débuterait la période transitoire. Si le délai de huit ans court à compter de l'entrée en vigueur du nouveau statut, alors que ne sont pas encore légalement adoptées les recommandations de la commission en matière de formation des étudiants en droit et de l'enseignement des CRFPA, les étudiants en cours de cursus se destinant au métier de juriste d'entreprise, sans envisager de passer le CAPA, se trouveraient à la charnière des deux voies possibles d'accès au statut d'avocat en entreprise. Ils pourraient, alors, risquer de ne pas avoir le temps, ni de faire valider huit années d'expérience professionnelle, ni d'être admis dans un CRFPA, pour ne pas avoir été informés assez tôt sur la nouvelle orientation à prendre.


(1) Rapport sur les professions du droit, remis le 8 avril 2009, dans le cadre de la mission dévolue par le Président de la République.
(2) Cf., pour la fusion des professions d'avocat et de conseil en propriété intellectuelle, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, le 12 février 2009, relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées. Concernant la suppression de la profession d'avoué, la Chancellerie a annoncé, le 9 juin 2008, qu'elle serait effective au 1er janvier 2010. L'avant-projet de loi de la réforme devrait être communiqué aux représentants des salariés avant le 15 avril 2009.
(3) Lire A.-L. Lonné, Vers un rapprochement des professions d'avocat et de juriste d'entreprise... Entretien avec Alain-Marc Irissou, Président de l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE), Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N4820BID).
(4) Concernant les conditions de diplôme, cf. Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 95-18398, Ordre des avocats au barreaude Beauvais c/ M. Coiffin., publié au bulletin (N° Lexbase : A6384CKN), qui précise que l'exigence du diplôme n'est requise qu'au moment de l'inscription au barreau, peu importe que l'activité juridique ait été effectuée avant l'obtention de ce dernier ; concernant les conditions d'expérience professionnelle, cf. Cass. civ. 1, 26 janvier 1999, n° 96-14.188, Conseil de l'Ordre des avocats au Barreau de Nantes c/ Mme Françoise Hessin (N° Lexbase : A3247AYW), qui indique que le juriste doit travailler au sein d'un service spécialisé d'une ou plusieurs entreprises quand bien même il serait le seul employé de ce service juridique.

newsid:350317

Internet - Bulletin d'actualités n° 3

[Panorama] Bulletin d'actualités DLA Piper - Département Intellectual Property and Technology (IPT) - Mars 2009

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N0342BKU

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, Patrick Boiron et Carol A.F. Umhoefer, avocats associés chez DLA Piper, vous proposent de retrouver l'actualité juridique en matière de droit des nouvelles technologies et droit des médias. Au sommaire de ce Bulletin, seront présentés, entre autres, un jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 février 2009 qui sanctionne l'opérateur de communications électroniques France Télécom pour vente subordonnée dans le cadre de son offre Orange Foot, un arrêt de la cour d'appel de Paris, du 13 février 2009, rappelant qu'il y a atteinte aux droits des auteurs au respect de leur oeuvre dès lors que la fragmentation de l'oeuvre et sa réduction à une durée de vingt secondes, précédée et suivie d'un enchaînement n'ont pas été autorisées par ceux-ci, ou encore, un arrêt du Conseil d'Etat du 13 février, également, qui annule des opérations électorales en raison du référencement commercial sur un moteur de recherche d'un site à finalité électorale.

I - Média

A - Cinéma

  • Financement de la production cinématographique - Obligation d'affecter une partie des recettes d'exploitation - Promotion des langues officielles d'un Etat - CJCE

La Cour de justice des Communautés européennes, en réponse à une question préjudicielle, a considéré, dans un arrêt en date du 5 mars 2009, que "le droit communautaire ne s'oppose pas à une mesure prise par un Etat membre obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d'exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des oeuvres dont la langue originale est l'une des langues officielles de cet Etat membre". Selon la Cour, ces mesures n'ont pas un caractère disproportionné en tant que raison impérieuse d'intérêt général, par rapport à l'objectif poursuivi par un Etat membre, de défendre et de promouvoir l'une ou plusieurs de ces langues officielles et elles ne constituent pas une aide d'Etat au bénéfice de l'industrie cinématographique (CJCE, 5 mars 2009, aff. C-222/07, UTECA c/ Administración General del Estado N° Lexbase : A5593EDI).

B - Presse

  • Diffamation publique envers un particulier - Absence de violation de la liberté d'expression - CEDH

La Cour européenne des droits de l'Homme a jugé, dans un arrêt en date du 5 février 2009, que la condamnation pour diffamation publique envers un particulier, de l'auteur des propos litigieux, du directeur de la publication et de la société éditrice du journal qui les avait retranscrits ne contrevient pas à l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ). Cet article, qui protège le droit de toute personne à la liberté d'expression dans son premier alinéa, précise, dans son second alinéa, que l'exercice de cette liberté peut être contrôlé. Selon la CEDH, la condamnation prononcée par les juridictions françaises est "proportionnée au but poursuivi [...] eu égard à la teneur des propos jugés diffamatoires et publiés sans réserves dans le magazine et à leur impact potentiel sur le public, ainsi qu'au montant de la condamnation prononcée" (CEDH 5 février 2009, Req. 42117/04, Brunet-Lecomte et autres c/ France N° Lexbase : A9048EC4).

II - Propriété intellectuelle

  • Artiste interprète - Contrat de travail - Requalification erronée de la durée du contrat

Dans un arrêt en date du 4 février 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation a censuré la cour d'appel de Paris pour avoir requalifié en contrat de travail à durée indéterminée le contrat de l'artiste interprète Gérald de Palmas. Ce dernier et la société de production phonographique Universal Music avaient conclu un contrat d'exclusivité portant sur les futurs enregistrements de l'artiste interprète pour une durée de 36 à 98 mois. La cour d'appel avait considéré que l'absence de précision du terme du contrat de travail justifiait que celui-ci soit requalifié en contrat à durée indéterminée. Cet arrêt est cassé car la Cour de cassation considère que la cour d'appel a statué en se basant sur "un motif inopérant tiré de la durée maximale prévue par le contrat". La Haute juridiction rappelle que "dans le secteur de l'édition phonographique [...] il est d'usage constant, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire des emplois, de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, un contrat à durée déterminée et des contrats à durée déterminée successifs [pouvant] être conclus pour l'enregistrement d'un ou plusieurs phonogrammes" (Cass. soc., 4 février 2009, n° 08-40.184, F-P+B N° Lexbase : A9643EC7 ; voir, également, les observations de S. Tournaux, Il était sur la route de son CDD..., Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale N° Lexbase : N7637BIP).

  • Medley - Exploitation d'une oeuvre - Atteinte au droit moral des coauteurs

La cour d'appel de Paris a jugé le 13 février 2009 que l'utilisation de l'oeuvre Les démons de minuit dans un medley sans l'autorisation de ses coauteurs constitue une atteinte à leur droit moral. Selon les juges, il y a atteinte aux droits des auteurs au respect de leur oeuvre au sens de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3346ADB) en l'espèce "dès lors que la fragmentation de l'oeuvre et sa réduction à une durée de vingt secondes, précédée et suivie d'un enchaînement" n'ont pas été autorisées par ceux-ci (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 13 février 2009, n° 07/02113, S. D. et a. c/ Société Universal Music Publishing N° Lexbase : A4399EDB).

  • Rave-party et technivals - Taxe SACEM

Le ministère de la Culture et de la Communication, dans une réponse ministérielle du 17 février 2009, a rappelé que "les organisateurs [de Rave-party et de technivals] sont tenus d'obtenir une autorisation préalable de la SACEM et de verser les rémunérations dues aux artistes, éventuellement calculées sur une base forfaitaire" (Rép. min. n° 27127, JOAN Q 17 février 2009 N° Lexbase : L1019IEH).

III - Technologies - Commerce

A - Communications

  • Infrastructures et réseaux - Communication d'informations à l'Etat et aux collectivités territoriales

Il est inséré un article D. 98-6-3 au Code des postes et communications électroniques (N° Lexbase : L9387ICN) qui précise les modalités d'application de l'article L. 33-7 de ce même code (N° Lexbase : L2672IBL). Depuis le 31 mars 2009, l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent se voir communiquer, dans un délai de 2 mois, sur demande et gratuitement, par les gestionnaires d'infrastructures de communications électroniques et les opérateurs, les informations relatives à l'implantation et au déploiement de leurs infrastructures et de leurs réseaux sur leur territoire (décret n° 2009-167 du 12 février 2009, relatif à la communication d'informations à l'Etat et aux collectivités territoriales sur les infrastructures et réseaux établis sur leur territoire N° Lexbase : L9369ICY).

  • Election municipale - Référencement d'un site internet - Achat d'un lien commercial - Code électoral - Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat dans un arrêt en date du 13 février 2009 a annulé les opérations électorales qui se sont tenues dans la commune de Fuveau en raison du référencement commercial sur un moteur de recherche d'un site à finalité électorale. Selon la Haute juridiction "le référencement commercial d'un site à finalité électorale sur un moteur de recherche sur internet a pour finalité d'attirer vers lui des internautes qui effectuent des recherches, même dépourvues de tout lien avec les élections municipales. Ce référencement revêt le caractère d'un procédé de publicité commerciale, interdit par l'article L. 52-1 du Code électoral (N° Lexbase : L2760AAH)" (CE 13 février 2009, n° 317637, Elections municipales de la commune de Fuveau N° Lexbase : A1165EDI).

  • E-commerce / Vente à distance - Protection des consommateurs - Risque de procédure collective - FEVAD

La Fédération E-commerce et vente à distance (FEVAD) a remis, le 3 mars 2009, à Luc Chatel (secrétaire d'Etat chargé de l'Industrie et de la Consommation) un rapport qu'il leur avait commandé le 21 novembre 2008 sur la "protection des consommateurs face au risque de procédure collective des entreprises de vente à distance". La FEVAD propose d'adopter des mesures adaptées, efficaces et non discriminatoires, de prévenir les risques en amont (évaluation par les établissements bancaires des sociétés souhaitant encaisser des paiements par carte bancaire, décision administrative de suspension de l'activité des entreprises présentant un risque manifeste pour les consommateurs), d'informer le consommateur de l'existence d'une procédure collective contre le vendeur, de permettre qu'une banque suspende l'exécution des transactions en présence d'une société faisant l'objet d'une procédure collective, de préciser qu'"en cas de procédure collective du vendeur, l'opposition formée par le consommateur peut porter tant sur l'opération de paiement intervenue dans le mois qui précède le jugement d'ouverture, que sur le débit effectif de ce paiement" dans le cadre des articles L. 131-35 (N° Lexbase : L4089IAP) et L. 132-2 (N° Lexbase : L4092IAS) du Code monétaire et financier, de placer les consommateurs au troisième rang des créanciers en cas de procédure collective concernant un vendeur, d'exclure les clauses de réserve de propriété dans les CGV. Dans le cadre de ses règles déontologiques, la FEVAD propose d'inscrire "le principe d'un débit du règlement de la commande au moment de l'expédition du produit pour les paiements par carte bancaire ou, alternativement, la mise en place d'un dispositif de garantie et ce afin de réduire de manière très sensible le risque encouru par le consommateur en cas de faillite de l'entreprise préalablement à l'envoi de la marchandise" (Rapport - Protection des consommateurs face au risque de procédure collective des entreprises de vente à distance - Analyse juridique des dispositifs de protection envisageables).

B - Commerce

  • Orange Foot - Fournisseur d'accès à internet - Ventes liées - Concurrence déloyale

Le tribunal de commerce de Paris a sanctionné le 23 février 2009 l'opérateur de communications électroniques France Télécom pour vente subordonnée (C. consom., art. L. 122-1 N° Lexbase : L6477ABI). Les juges considèrent que "l'offre Orange Foot en ce qu'elle conditionne l'abonnement à la chaîne Orange Foot à un abonnement internet Orange, constitue une vente subordonnée". Selon le tribunal, l'offre Orange Foot prive le consommateur de sa liberté de contracter. Cette offre est constituée de deux produits : la chaîne Orange Foot et l'abonnement internet haut débit Orange, qui, distincts, dissociables et non complémentaires, pourraient être disponible séparément sur le marché. Le jugement, assorti d'une exécution provisoire, impose à la société France Télécom de cesser cette vente subordonnée dans un délai d'un mois, sous astreinte. La décision du tribunal nomme aussi un collège d'experts afin de déterminer le quantum du préjudice subi par les opérateurs de communications électroniques Free et Neuf Cegetel au titre de la concurrence déloyale (tribunal de commerce de Paris, 23 février 2009, aff. n° 2008078679, Free, Neuf Cegetel c/ France Telecom, Orange Sports N° Lexbase : A9539EEZ).

  • Publication d'annonce immobilière sur internet - Activité d'agent immobilier - Activité de publication de presse

La chambre correctionnelle de la cour d'appel de Dijon, dans un arrêt en date du 19 février 2009, a relaxé l'éditeur du site internet "Immogo" du chef d'exercice illégal de l'activité réglementée d'agent immobilier en considérant que son "activité [...] qui se borne à diffuser sur internet des annonces entre particuliers, moyennant certes rémunération, mais sans intervenir dans les relations entre les auteurs des annonces et les personnes intéressées, ne peut donc être qualifiée d'entremise en matière de ventes immobilières". La cour assimile cette pratique de mise en ligne d'annonces immobilières de particuliers sur un site internet à une activité de presse et rappelle que "l'activité consistant à fournir des informations en ligne ou des communications commerciales s'exerce librement" au titre de la LCEN (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC) (Cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, 19 février 2009, Chambre de l'immobilier de Saône-et-Loire c/ Gregor Z.).

IV - Informatique et libertés

A - Santé

  • Infrastructures et réseaux - Antenne-relais - Préjudice de vue - Risque sanitaire - Démontage

Le tribunal de grande instance de Carpentras a condamné, dans un jugement en date du 16 février 2009, l'opérateur de téléphonie SFR à procéder à la démolition d'un pylône servant d'antenne-relais sous astreinte en raison des troubles anormaux de voisinage qu'il crée. Le tribunal a favorablement accueilli les demandes de personnes résidents à 135 mètres de l'installation de téléphonie SFR en considérant qu'"il existe [...] bien, pour eux, une crainte légitime d'une atteinte directe à leur santé constitutive d'un trouble dont le caractère anormal tient au fait qu'il porterait atteinte, une fois réalisé, à leur intégrité physique sans qu'il soit à ce jour possible d'en mesurer toute l'ampleur". Les juges ont de plus reconnu que l'installation du pylône constituait "une présence visuelle négative permanente" qui justifiait son démontage (TGI de Carpentras, 16 février 2009, n° RG 08/00707, M. Gilbert Boutin, Mme Huguette Boutin c/ Société SFR Cegetel N° Lexbase : A6793EDX).

Patrick Boiron - patrick.boiron@dlapiper.com
Marc d'Haultfoeuille - marc.dhaultfoeuille@dlapiper.com
Carol A.F. Umhoefer - carol.umhoefer@dlapiper.com

DLA Piper UK LLP
12, rue de la Paix
75002 Paris France

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - avril 2009

Lecture: 13 min

N0330BKG

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Cette chronique débute par la mise en société d'une entreprise individuelle et le respect du formalisme imposé par le législateur, sous peine de déchéance, du régime dérogatoire de report d'imposition (CE 3° et 8° s-s-r., 16 mars 2009, n° 304749, M. Gumuschian). Puis, le Conseil d'Etat revient sur l'interprétation des dispositions relatives aux revenus réputés distribués, selon laquelle les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés et non des seuls bénéfices sociaux (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2009, n° 300349, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Cuvilo). Enfin, s'agissant des agents généraux d'assurances dont l'activité relève des bénéfices non commerciaux, la Haute juridiction administrative dit pour droit qu'une aide financière ne peut relever de l'option prévue pour l'application du régime fiscal des salariés (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2009, n° 296463, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Fourreau).
  • Apport en société et report d'imposition : "Ô temps suspends ton vol !" (1) (CE 3° et 8° s-s-r., 16 mars 2009, n° 304749, M. Gumuschian N° Lexbase : A0951EEX)

Soucieux de permettre aux entreprises individuelles d'exercer leur activité sous une autre forme, le législateur est intervenu afin de faciliter, sur le plan fiscal, ce qui est convenu d'appeler "leur mise en société", en évitant les affres de la cessation d'entreprise avec toutes les conséquences fiscales qui y seraient attachées.

Cette évolution peut répondre, notamment, au besoin de faire participer des tiers au capital de la société et de lever des fonds auprès d'établissements financiers ou d'investisseurs providentiels, ou bien de faciliter une succession, ou encore d'acquérir une crédibilité vis-à-vis des créanciers que ne peut avoir une entreprise individuelle à partir d'un certain niveau de développement économique : le contrôle et la certification des comptes annuels par des commissaires aux comptes ne sont pas neutres de ce point de vue.

Ce régime optionnel (CGI, art. 151 octies N° Lexbase : L2463HNK), remanié par la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, art. 38 N° Lexbase : L6430HEU ; Dr. fisc., 2006, comm. 108) permet, principalement, de se prévaloir :

- d'un sursis pour les stocks ;
- d'un étalement de l'imposition pour les plus-values sur immobilisations amortissables comparable à celui des fusions (CGI, art. 210 A N° Lexbase : L3936HLD) ;
- d'un report d'imposition pour les plus-values constatées lors de la mise en société de l'entreprise individuelle ;
- d'une exonération de droits d'enregistrement si l'apporteur s'engage, notamment, à conserver les titres rémunérant l'apport pendant trois ans (CGI, art. 809 I bis N° Lexbase : L3484IAB).

Le régime de l'article 151 octies du CGI est assimilable à une forme de spéculation à la baisse de l'impôt car, en optant pour un régime reportant le fait générateur de l'imposition à un événement ultérieur, le contribuable parie sur l'avenir en formant le voeu que le taux d'imposition baissera entre-temps !

Comme il se doit, le régime de l'article 151 octies suscite un contentieux nourri avec l'administration fiscale et, par ricochet, avec les rédacteurs d'acte (Cass. civ. 1, 18 décembre 2001, n° 98-20.246 N° Lexbase : A7099AX9, M. Cozian, Manuel du parfait gaffeur : comment rater fiscalement la mise en société de son entreprise ?, JCP éd. E, 2005, p. 1458 ; v. pour d'autres hypothèses fiscales en matière de cession de parts sociales d'une SNC dont la doctrine récente s'est fait l'écho : Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142 N° Lexbase : A4608EBB et chron. J.-P. Chiffaut-Moliard, La périlleuse solitude du rédacteur d'un projet d'acte juridique, RJDA, avril 2009, p. 263 ; D., 2009, p. 706, note C. Jamin ; s'agissant de l'exonération prévue en cas de cession des titres sociaux à un membre du groupe familial -CGI, art. 150-0 A-I-3 N° Lexbase : L4383ICC- : Cass. civ. 1, 5 mars 2009, n° 08-11.374, D. 2009, p. 946).

Au cas particulier, afin d'éviter l'imposition immédiate d'une plus-value s'élevant à 600 000 francs (91 469 euros), le contribuable a apporté le 29 décembre 1993 une branche complète d'activité de son entreprise individuelle de négoce de vêtements à la condition suspensive de son approbation -consentie en janvier 1994- par l'assemblée générale extraordinaire de la SARL bénéficiaire de l'apport. La mention de la date de réalisation de cet apport n'est pas anodine et a déjà fait l'objet de litiges avec l'administration fiscale (CAA Bordeaux, 4ème ch., 23 décembre 2004, n° 01BX00671, Melier N° Lexbase : A3622EGA, RJF, mai 2005, n° 424, concl. B. Chemin, BDCF, mai 2005, n° 53). Au regard de la présente décision commentée, le législateur est intervenu par la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994, portant loi de finances rectificative pour l'année 1994 (N° Lexbase : L1047IEI), par laquelle l'article 25 obligeait l'apporteur à joindre un état de suivi des plus-values pour les "apports réalisés à compter du 1er janvier 1994". Or, dans la réalité des entreprises françaises, le droit des sociétés, spécifiquement dans les petites structures plus ou moins familiales (2), fait l'objet de considérations purement formelles au sens où l'assemblée "papier" -qui ne s'est donc jamais tenue dans les faits- n'attire guère l'attention du rédacteur ou, parfois même, de sa secrétaire. Erreur funeste car les conséquences juridiques et fiscales qui y sont attachées ne sont pas neutres pour le contribuable : dès lors que la condition suspensive fut levée en 1994 et l'apport en conséquence réalisé, le contribuable était tenu de joindre lors de l'apport et des années suivantes "un état conforme au modèle établi par l'administration faisant apparaître les renseignements nécessaires au suivi des plus-values" ; l'absence d'un tel document étant sanctionnée par "l'imposition immédiate des plus-values reportées" (3). En d'autres termes, la réunion, en janvier 1994, de l'assemblée générale extraordinaire levant la condition suspensive de cet apport a scellé le sort du contribuable. Evidemment, la tenue de l'assemblée en 1993 aurait été, de ce point de vue, plus judicieuse, car même si le contribuable ignorait nécessairement les dispositions d'une loi adoptée un an après l'élaboration du traité d'apport, la prudence, en matière fiscale, commandait de conclure l'opération au cours d'une même année puisque l'on sait que le législateur adopte régulièrement des textes rétroactifs, soit de façon ponctuelle, soit résultant, pour le plus grand nombre d'entre eux, d'une rétroactivité de fait ("petite rétroactivité" (4)), rendant, ainsi, les restructurations de début d'année singulièrement plus délicates à appréhender sur le plan fiscal que celles en cours en fin d'année lors de l'adoption des lois de finances dont la teneur est alors connue au moins dans les grandes lignes. Ainsi, le moyen de cassation contestant le champ d'application rationae temporis de l'article 25 de la loi du 30 décembre 1994 applicable aux apports à compter du 1er janvier 1994 ne pouvait pas prospérer.

S'appuyant sur l'absence de souscription de l'état de suivi des plus-values d'apport prévu par l'article 151 octies du CGI, l'administration fiscale a remis en cause l'option du contribuable et lui a alors réclamé l'impôt dû au titre de la plus-value en 1995, car le décret précisant le contenu de l'état de suivi des plus-values a été pris en avril 1995 et a été codifié la même année à l'article 41-0 A bis annexe III au CGI (N° Lexbase : L6931HLB (5)).L'argumentation du contribuable consistait à rattacher le fait générateur de la plus-value à l'année 1994 et opposer, ainsi, la prescription de l'impôt mis en recouvrement en avril 1999. Censurant l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 2ème ch., 15 février 2007, n° 02LY00796 N° Lexbase : A2340DU9) et réglant l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat dit pour droit que : "l'événement justifiant l'imposition immédiate de la plus-value en report d'imposition n'a pas pour effet de rendre à nouveau applicable la règle générale en vertu de laquelle l'imposition d'une plus-value doit être rattachée à l'année au cours de laquelle elle est réalisée, mais implique l'imposition immédiate de la plus-value et son rattachement à l'année au titre de laquelle ce manquement est commis" ; c'est-à-dire au cas particulier, et en application du II de l'article 151 octies du CGI alors en vigueur, l'absence de souscription de l'état de suivi des plus-values constaté en 1995, première année d'application du décret susvisé (comp. pour une solution différente quant à l'application de l'article 92 B du CGI avant le 1er janvier 2000 : CE 3° et 8° s-s-r., 16 mars 2009, n° 307768, M. Daudier N° Lexbase : A0957EE8). On ne peut être surpris de la position prise par le Conseil d'Etat si l'on se rappelle que la Haute juridiction a adopté le même raisonnement en 2002 (6) (CE 3° et 8° s-s-r., 10 avril 2002, n° 226886, M. de Chaisemartin N° Lexbase : A5748AYK ; concl. G. Bachelier (7), BDCF, 2002, n° 95) lorsqu'un avocat aux conseils a cédé, en 1992, les titres reçus en rémunération de l'apport de son activité exercée à titre individuel jusqu'en 1981, justifiant ainsi l'application du taux d'imposition de 16 % en vigueur l'année où est intervenu l'événement qui a mis fin au report d'imposition que l'on ne confondra pas avec le régime du report de paiement de l'impôt (8), dont la Haute juridiction rappelle la distinction dans la présente décision analysée (9) (comp. également : CE 3° et 8° s-s-r., 28 mai 2004, n° 256090, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Naudet N° Lexbase : A2970DCY ; TA Paris, 2ème sect., 1ère ch., 7 octobre 2008, n° 02-14030, Labbé, RJF, avril 2009, n° 335 ; CAA Paris, 2ème ch., 8 octobre 2008, n° 07PA04645, M. Jean-Alfred Herlicq N° Lexbase : A1953EBX, RJF, avril 2009, n° 345).

Enfin, se prévalant du principe de la loi pénale nouvelle plus douce, le contribuable prétendait qu'il fallait substituer, à l'imposition immédiate de la plus-value, l'amende de 5 % assise sur la plus-value (loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999, art. 20 N° Lexbase : L7831H3G). Mais la cessation d'un régime fiscal dérogatoire -et d'une manière générale l'impôt- n'est pas assimilable à une sanction pénale !

  • Revenus réputés distribués : les bénéfices retenus sont ceux utilisés pour déterminer l'assiette de l'impôt sur les sociétés (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2009, n° 300349, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. et Mme Cuvilo N° Lexbase : A4966EEN)

Le Code général des impôts a pris acte de la tentation de certains dirigeants de s'octroyer des revenus présentés sous une autre forme et de les imposer au titre des distributions "camouflées" (CGI, art. 109-1 N° Lexbase : L2060HLU (10)), "présumées" (CGI, art. 111-a N° Lexbase : L2066HL4) ou "occultes" (CGI, art. 111-c), pour reprendre les expressions employées par le professeur Maurice Cozian (M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, coll. Litec Fiscal, 32ème édition, 2008, p. 250 et s.) et, en tout état de cause, irrégulières. Directement ou par le truchement de personnes physiques ou morales interposées (CE Contentieux, 26 février 1992, n° 86511 N° Lexbase : A5243ARM), elles se traduisent par des prêts jamais remboursés ou à une échéance hypothétique (CE Contentieux, 2 mars 1983, n° 28062 N° Lexbase : A8992ALM) ; ou par la vente des biens sociaux à une valeur moindre que leur valeur vénale (pour un immeuble : CE Contentieux, 10 juin 1983, n° 27391 N° Lexbase : A8580ALD ; CE Contentieux, 20 juin 1984, n° 35964 N° Lexbase : A5049ALL) ou leur acquisition pour un montant survalorisé (v., dans l'hypothèse de l'apport ou de l'acquisition d'un fonds de commerce à une société pour une valeur excédant sa valeur vénale : CAA Nantes, 1ère ch., 28 juillet 2004, n° 01NT00530 N° Lexbase : A2444DEA ; CAA Nantes, 1ère ch., 30 octobre 2006, n° 05NT00009 N° Lexbase : A5548DTN) ; ou encore par la surfacturation de loyers d'un immeuble appartenant à une SCI et loué à une société anonyme dont les dirigeants sont communs (CAA Douai, 3ème ch., 4 octobre 2005, n° 03DA00154 N° Lexbase : A9720DK9). L'imagination des contribuables est ici sans limite et la jurisprudence récente témoigne de son actualité sans cesse renouvelée (CE 9° et 10° s-s-r., 31 décembre 2008, n° 296472, M. et Mme Multari N° Lexbase : A3620EG8, Dr. fisc., 2009, comm. 271 ; pour des sommes comptabilisées en salaires : CAA Marseille, 4ème ch., 6 janvier 2009, n° 06MA01264, Mme Lesot, Dr. fisc., 2009, comm. 263 ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 26 avril 2007, n° 04BX01831, M. Lionel Escoubes N° Lexbase : A8326DXN), sans préjudice d'une éventuelle qualification pénale.

Au cas d'espèce, une société à responsabilité limitée a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui s'est soldée par la réintégration des cotisations patronales et des rémunérations versées à l'attachée commerciale qui détenait 48 % du capital de la SARL ; l'ensemble étant imposé au titre des revenus de capitaux mobiliers (CGI, art. 109-1-1° (11) et CGI, art. 111-d) pour les années 1995 et 1996. En effet, la société vérifiée pouvait déduire les charges de personnel sous la réserve légale selon laquelle "les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais" (CGI, art. 39, 1, 1° N° Lexbase : L3894IAH). Au cas d'espèce, la société n'a pas été en mesure d'établir que ces salaires avaient été versés en "rémunération d'un travail effectif correspondant à la qualité alléguée d'attachée commerciale de la société" ayant fait l'objet de la vérification de comptabilité. La lecture de ce texte, qui n'opère aucune distinction selon la qualité de la personne percevant la rémunération de l'entreprise vérifiée, devrait amener l'exégète à considérer que toutes les personnes ainsi rétribuées seraient concernées. La documentation administrative (12) apporte une interprétation sensiblement différente -et exempte de neutralité- puisque ce sont les dirigeants et leurs proches qui feront, dans les faits, l'objet d'une attention toute particulière de l'administration fiscale.

Sur le terrain de la preuve, les contribuables apprendront à leur dépend que les procédures fiscales ne connaissent pas de répit estival : n'ayant pas répondu dans les délais légaux à la notification de redressements adressée par l'administration en août 1998, ces derniers ont alors supporté la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions (LPF, art. R. 194-1 N° Lexbase : L5550G4C) et ils n'ont pu emporter la conviction des juges du fond (CAA Paris, 2ème ch., 20 octobre 2006, n° 03PA03228 N° Lexbase : A8592DSZ) en produisant des attestations et des courriers postérieurs aux années en cause. Si l'administration recommande la mansuétude à ses agents lorsqu'ils adressent une notification de redressements pendant la période des congés d'été notamment (13), une telle doctrine est inopposable sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM) et la jurisprudence a tiré toutes les conséquences des carences du contribuable lors du rejet de la réclamation contentieuse préalablement à la saisine du juge de l'impôt (CE 8° et 9° s-s-r., 28 novembre 1980, n° 15324 (14), RJF, février 1981, n° 154 ; CE Contentieux, 11 mai 1983, n° 30084 N° Lexbase : A0096AMI).

Les juges du fond ont estimé que, pour l'année 1995, il ne pouvait y avoir de redressement car les tableaux comptables mentionnaient un déficit de 146 900 francs (22 395 euros) absorbé par le redressement pour l'année en question. En revanche, s'agissant de l'année 1996, le redressement devait être limité à 41 799 francs (6 372 euros) correspondant à la différence entre le montant du déficit comptable de 85 580 francs (13 047 euros) et la réintégration des cotisations patronales de 127 379 francs (19 419 euros). Réglant l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative, le Conseil d'Etat censurera le raisonnement de la cour administrative d'appel de Paris fondé "sur les seuls résultats comptables des exercices clos en 1995 et 1996 de la société [...], sans rechercher quels étaient les bénéfices retenus, le cas échéant après rehaussement, pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, la cour administrative d'appel a méconnu les dispositions précitées des articles 109 et 110 du Code général des impôts". En effet, le résultat fiscal -et non comptable- pour les années en cause, respectivement de 430 280 francs (65 596 euros) et 511 330 francs (77 952 euros), était supérieur aux rémunérations et charges sociales réintégrées par l'administration de sorte que les contribuables ne pouvaient exciper de l'insuffisance de bénéfices sociaux correspondants. On relèvera que cette démarche, qui a connu des précédents jurisprudentiels (CE Contentieux, 3 mai 1995, n° 127886, M. Safyurtlu (15) N° Lexbase : A3860ANB ; TA Versailles, 30 décembre 1997, Guérin N° Lexbase : A4100BTZ) repose sur les dispositions mêmes de l'article 110 du Code général des impôts et est conforme aux précisions apportées par la doctrine administrative (16) selon lesquelles "Les bénéfices [...] visés s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire, après application, le cas échéant, des redressements qui ont pu être apportés à la suite d'une vérification, aux bénéfices déclarés".

  • BNC : une aide financière ne peut relever de l'option prévue par l'article 93-1 ter du CGI (CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2009, n° 296463, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ M. Fourreau N° Lexbase : A4964EEL)

A la suite du changement de statut des agents généraux d'assurances et d'un protocole conclu entre une compagnie d'assurance et les représentants de la profession, une indemnité de 328 000 francs (50 003 euros) fut versée au contribuable. La vérification de comptabilité diligentée par l'administration fiscale a permis de révéler que l'intéressé n'avait pas déclaré la somme perçue. Le service a, alors, appliqué la doctrine exprimée par le directeur de la législation fiscale (17) qui a accepté de voir dans ce versement une indemnité imposable au titre des plus-values à hauteur de 66 %, le reliquat relevant des bénéfices non commerciaux. Censurant l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 7 juin 2006, n° 02NT01892, M. Fourreau N° Lexbase : A7675DQC) pour erreur de qualification juridique et erreur de droit, le Conseil d'Etat juge au fond, en application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative, que cette somme "constituait une aide destinée à compenser, en un seul versement, un probable manque à gagner résultant de la diminution du nombre et du montant des commissions à percevoir par les agents d'assurances et la dépréciation potentielle corrélative de la valeur de leur portefeuille d'assurance". Partant, "cette aide présente le caractère d'une recette imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux".

Le Conseil d'Etat écarte, également, l'application des dispositions légales permettant d'imposer les commissions versées par les compagnies d'assurances aux agents généraux et leurs sous-agents comme des salaires (18), dès lors que l'option fiscale offerte au contribuable (CGI, art. 93-1 ter N° Lexbase : L0547HW8) ne concerne que les commissions perçues en contrepartie "d'un service rendu à la compagnie d'assurance et non à des aides financières". Cette décision rejoint la doctrine administrative précisant que cette option "ne concerne qu'une catégorie bien précise de recettes ; celles réalisées par les intéressés en qualité de mandataires des compagnies qu'ils représentent comme agents d'assurances. Les autres rémunérations ou profits perçus ou réalisés par les intéressés demeurent imposables dans les conditions de droit commun" (19). Dans ces conditions, il est logique d'écarter de la disposition optionnelle susvisée une aide financière car elle ne constitue pas une commission au sens de l'article 93 1 ter du CGI. En effet, la commission doit s'entendre de la rémunération de l'apport ou de la gestion d'un contrat, ainsi que cela a été énoncé pour la première fois par la Haute juridiction administrative dans la décision "Real-Bizarro" (CE 3° et 8° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 278683, M. Real-Bizarro N° Lexbase : A2820DXQ, concl. F. Séners, BDCF, novembre 2007, n° 126).


(1) Le Lac, Alphonse de Lamartine.
(2) Situation que l'on peut déduire des faits de l'espèce : le contribuable M. Stéphane G. apporte son entreprise individuelle à une SARL dont la dénomination est "Stéphane G".
(3) Disposition abrogée en 1999 et remplacée par une amende égale à 5 % de la plus-value.
(4) "La loi de finances n'est pas considérée comme rétroactive puisqu'elle ne s'applique pas à une situation définitivement fixée', faute pour le fait générateur de l'impôt d'être constitué. Cette rétroactivité de fait' de la loi fiscale, justifiée par le fait qu'elle permet au Parlement d'équilibrer, sans décalage dans le temps, les dépenses qu'il vote, est depuis longtemps vivement critiquée car elle crée une incertitude économique pour le contribuable qui peut finalement se voir appliquer une loi fiscale différente de celle en vigueur au moment où il a effectué une opération", C. Bas, Le fait générateur de l'impôt, L'Harmattan, coll. Finances publiques, 2007, p. 167. CE 3° et 8° s-s-r., 27 juin 2008, n° 276848, Société d'Exploitation des Sources Roxane (N° Lexbase : A3493D9A).
(5) Dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : "I L'état dont la production est prévue au quatrième alinéa du II de l'article 151 octies du Code général des impôts mentionne les éléments suivants : a) Le nom de l'apporteur, son adresse au moment de la production de l'état et l'adresse du siège de la direction de l'entreprise à laquelle étaient affectés les éléments d'actif apportés ou du lieu de son principal établissement ; b) Au moment de la production de l'état, la forme, la dénomination sociale, le numéro SIRET, l'adresse du principal établissement ou du siège de la direction de la société bénéficiaire de l'apport et, si elle est différente, l'adresse de son siège social ; c) La date de l'apport ; d) Le nombre de titres reçus en rémunération de l'apport et leur valeur à cette date correspondant à la valeur des apports ; e) Pour chaque élément non amortissable apporté, l'état mentionne les renseignements visés aux a, b et e du 1° du I de l'article 38 quindecies ainsi que le montant de la plus ou moins-value réalisée lors de l'apport et son régime fiscal à cette date ; f) En cas de cession de tout ou partie des éléments non amortissables apportés, la nature du ou des biens cédés et la date de la cession par la société bénéficiaire de l'apport ; g) En cas de cession à titre onéreux, de rachat ou d'annulation de tout ou partie des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport, la nature et la date de l'opération ainsi que le nombre de titres concernés ; h) En cas de transmission à titre gratuit, les nom et adresse du ou des bénéficiaires ; i) En cas de transformation de la société bénéficiaire de l'apport, la date de l'opération, la forme nouvelle adoptée par la société. II Les dispositions du I s'appliquent au bénéficiaire de la transmission mentionné au premier alinéa du a du I de l'article 151 octies du Code général des impôts qui prend l'engagement visé à ce même a.".
(6) "Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées de l'article 151 octies, permettant à la personne physique qui apporte à une société des éléments d'actif immobilisé auparavant affectés à l'exercice d'une activité sous une forme individuelle d'obtenir le report de l'imposition de la plus-value réalisée à l'occasion de cet apport, n'ont pas pour effet de différer le paiement d'une imposition qui aurait été établie au titre de l'année de réalisation de la plus-value, mais seulement de permettre, par dérogation à la règle suivant laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de la rattacher à l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition ; que la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a, par suite, commis aucune erreur de droit en jugeant que la plus-value d'apport réalisée par M. de C. en 1981, mais placée en report d'imposition jusqu'à l'année 1992, devait être imposée selon le taux de 16 % seul applicable pour l'imposition des revenus de cette dernière année".
(7) Le Rapporteur public, Gilles Bachelier, invitait le Conseil d'Etat à opérer une "dissociation entre le fait générateur de la plus-value et le fait générateur de l'imposition de cette plus-value. Le fait générateur de la plus-value est constitué par la date de la cession. Son montant sera déterminé selon les règles en vigueur à cette date. Mais l'imposition de la plus-value dépend de la réalisation d'un événement ultérieur qui ne peut être déterminé par avance. C'est l'intervention de cet événement qui constitue le fait générateur de l'imposition de la plus-value et qui entraîne la naissance de la créance du Trésor. Tant que cet événement ne se produit pas, aucune imposition ne peut être légalement réclamée au redevable".
(8) Hypothèse des plus-values consécutives à l'indemnisation d'un sinistre ou d'une expropriation (CGI, art. 39 quindecies I, 1, al. 4 N° Lexbase : L1467HLW) : CE Contentieux, 30 septembre 1987, n° 58035, Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget c/ Georges Lavaud (N° Lexbase : A2986APB). "Le report de paiement s'analyse comme un simple différé de paiement accordé au contribuable. Il n'y a qu'un fait générateur et la taxation est seulement gelée. Dans ce cas, la mise en recouvrement est différée mais elle est établie suivant les modalités et le taux d'imposition applicables au titre de l'année de réalisation du revenu imposable (D. adm. 4 B-2512 et 2544). Cependant une plus-value soumise à ce régime réalisée au titre d'un exercice N ne pourra échapper à l'imposition en étant imputée sur des moins-values ou sur un déficit constaté au cours de l'exercice ultérieur où s'effectue le paiement de l'impôt [alors que] dans l'hypothèse d'un report d'imposition, la plus-value de l'exercice N pourra le cas échéant être compensée par imputation au titre de l'année d'extinction du report d'imposition soit sur des moins-values de même nature lorsqu'elle relève du régime du long terme soit sur le déficit constaté", concl. G. Bachelier sous CE, 10 avril 2002, n° 226886, M. de Chaisemartin (N° Lexbase : A5748AYK).
(9) Cf. note (6) supra.
(10) CGI, art. 109-1-1° : l'appréhension du bénéfice -qui doit par conséquent exister- se traduit par un désinvestissement au profit d'un associé ou d'un tiers. En revanche, s'agissant de l'application de l'article 109-1-2° qui vise les valeurs sociales, une telle distribution ne peut se faire qu'au profit d'un associé, que le résultat soit bénéficiaire ou déficitaire.
(11) L'imposition des sommes correspondant aux cotisations patronales a été établie sur le fondement de l'article 109-1-1° du CGI -et non sur celui de l'article 111 d du CGI- dès lors qu'elles n'avaient pas le caractère de rémunérations.
(12) Doc. adm. 4 C 44, 30 octobre 1997, § 13 et 14 : "1. Personnes visées. a. Personnel non dirigeant. Bien que le 2e alinéa de l'article 39-1-1° du CGI ait une portée absolument générale, il est souligné que ces dispositions ne doivent pas conduire le service à discuter systématiquement le montant des salaires, appointements ou rémunérations versés par les entreprises à leur personnel non dirigeant, pour le seul motif que ce montant excéderait celui des rémunérations pratiquées pour les mêmes services dans des entreprises similaires. En ce qui concerne cette catégorie de personnel, la réintégration d'un excédent de rémunérations doit être poursuivie seulement dans des situations exceptionnelles, soit que les rémunérations versées soient manifestement exagérées par rapport au service rendu, soit que les circonstances de fait permettent de présumer que l'avantage consenti n'a pas été accordé dans l'intérêt direct de l'exploitation, mais notamment en fonction de liens affectifs ou d'intérêts unissant les bénéficiaires à des personnes possédant le contrôle de l'entreprise. b. Personnel dirigeant. En revanche, les dispositions de l'article 39-1-1° concernent normalement le personnel dirigeant et il convient d'en faire une stricte application à l'endroit des dirigeants qui sont personnellement intéressés au capital de façon importante ou sont unis par des liens affectifs ou d'intérêts aux personnes détenant le contrôle de l'entreprise".
(13) Doc. adm. 13 L 1514, 1er juillet 1992, § 33 : "Une réponse parvenue après l'expiration du délai de trente jours ne peut, en principe, être prise en considération. Cependant, le service se montrera compréhensif à l'égard des contribuables qui justifieront avoir été, en raison d'un empêchement caractérisé, dans l'impossibilité de donner suite dans le délai imparti aux notifications qui leur ont été adressées. Il en sera ainsi, notamment, en cas de maladie ou à l'occasion des congés. En outre, le service devra éventuellement tenir compte des observations présentées tardivement si elles sont de nature, au regard d'une instance ultérieure, à mettre en cause le bien-fondé des impositions".
(14) "Qu'en son absence deux avis de passage, le premier en date du 8 août 1975, ont été déposés à cette adresse par le préposé de l'administration des postes ; que, le pli n'ayant pas été retiré auprès de cette Administration, il a été retourné au service des impôts ; que dans ces conditions et nonobstant la circonstance que cette expédition ait eu lieu au mois d'août, ce qu'aucun texte ne prohibe, et le fait, à le supposer établi, qu'à son retour de vacances, M. X n'ait pu obtenir de l'administration des postes la désignation de l'auteur de l'envoi du pli recommandé, la notification de la décision du directeur des services fiscaux doit être regardée comme ayant régulièrement eu lieu à la date du 8 août 1975".
(15) "Lorsqu'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés verse à des personnes, à un titre quelconque, des sommes prélevées sur les bénéfices sociaux, tels qu'ils doivent être retenus après réintégration de ces sommes pour la détermination de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, lesdites sommes doivent être regardées comme des revenus distribués".
(16) Doc. adm. 4 J 1121, 1er novembre 1995, § 1.
(17) Lettre du 21 septembre 1999.
(18) Ces dispositions ne leur confèrent pas la nature de salaires. "Considérant que, lorsqu'un agent d'assurances a exercé l'option prévue aux dispositions du 1 ter de l'article 93 du Code général des impôts, les revenus qu'il perçoit dans l'exercice de cette activité ne cessent pas de relever de la catégorie des bénéfices des professions non commerciales ; que, notamment, les règles relatives à la tenue, par l'intéressé, et à la vérification, par l'administration, des documents prévus aux articles 98 [N° Lexbase : L2030HLR] à 101 bis du même code restent applicables dans les conditions et sous les garanties propres à cette catégorie ; que, par suite, l'application des dispositions précitées de l'article 176 [N° Lexbase : L3226HL3] et du deuxième alinéa de l'article 179 [N° Lexbase : L3229HL8] du Code général des impôts ne peut avoir pour effet de priver l'intéressé, en cas d'option, du bénéfice des garanties relatives à la détermination des revenus des professions non commerciales", CE Contentieux, 27 novembre 1987, n° 49581, Le Brasseur (N° Lexbase : A2533API).
(19) Doc. adm. 5 G 411, 15 septembre 2000, § 36.

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Immobilier et urbanisme

[Chronique] La Chronique en droit immobilier de Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris - Avril 2009

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit immobilier de Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris. Sont à l'honneur, ce mois-ci, deux arrêts rendus le 18 mars 2009 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, publiés au Bulletin : le premier arrêt précise les conditions dans lesquelles le propriétaire peut mettre en oeuvre la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers contenue dans le bail, lorsque le locataire bénéficie d'un plan d'apurement personnel ; et le second arrêt affirme l'impossibilité de conversion de l'obligation de surveillance du bailleur en équivalent de loyer si le contrat de bail ne l'a pas prévue. Enfin, l'auteur de cette chronique vous présente les dispositions, publiées au Journal officiel du 31 mars 2009, qui rendent applicable à compter du 1er avril 2009 l'"éco-prêt à taux zéro".

  • Plan d'apurement personnel du locataire : dans quelles conditions le propriétaire peut-il mettre en oeuvre la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers contenue dans le bail ? (Cass. civ. 3, 18 mars 2009, n° 08-10.743, Office public d'aménagement et de construction (OPAC) Sud, FS-P+B N° Lexbase : A0857EEH)

Le propriétaire ne peut assigner son locataire en constat d'acquisition de la clause résolutoire dès lors que le locataire a bénéficié d'un plan d'apurement dans le délai de deux mois suivant le commandement de payer et a respecté ses engagements de sorte qu'il se trouvait à jour de ses loyers au moment de la décision de première instance. Telle est la précision faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 mars 2009.

En l'espèce, l'OPAC, propriétaire d'un logement donné à bail à un locataire, avait, le 11 octobre 2005, fait délivrer à ce dernier un commandement visant la clause résolutoire. Le preneur s'était alors rapproché de l'OPAC qui avait accepté un plan d'apurement de la dette le 16 novembre 2005. En février 2006, l'OPAC l'avait assigné aux fins de faire constater l'acquisition de cette clause, au motif que le plan n'avait pas été respecté. Cette demande était rejetée par les premiers juges.
A l'appui de son pourvoi, l'OPAC soutenait, notamment, que le locataire avait réglé certaines échéances avec un retard de quelques semaines, ce qui traduisait un non-respect de ses obligations. Bien plus, selon l'OPAC, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les retards de "quelques semaines" dans le paiement des échéances de novembre et décembre 2005 n'étaient pas suffisamment graves pour entraîner la résolution du contrat, aurait violé l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA). L'OPAC estimait, enfin, que, en cas de non-respect par le locataire des délais fixés dans un plan d'apurement de sa dette locative consenti par le bailleur dans les deux mois suivant le commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail, celle-ci reprendrait son plein effet.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l'OPAC et rappelle que ce dernier avait accepté un plan d'apurement de la dette le 16 novembre 2005 et que le locataire justifiait avoir payé régulièrement son loyer.
Même si un retard de quelques semaines était notable en novembre et décembre 2005, le locataire, bénéficiaire d'un plan d'apurement dans le délai de deux mois du commandement, avait respecté ses engagements et se trouvait à jour de ses loyers au moment de la décision de première instance, de sorte que la demande d'acquisition de la clause résolutoire devait être rejetée.

Le praticien pourra s'interroger sur la portée de cette solution. La Haute juridiction est-elle plus souple à l'égard du locataire qui a payé avec quelques semaines de retard son loyer dans le cadre d'un plan d'apurement accepté par le propriétaire ?

Cette question mérite, en effet, d'être posée si l'on compare cette solution à une espèce où la Cour avait fait preuve de plus de rigidité, dans une hypothèse où les délais de paiement avaient été accordés par le juge, et avaient donc été imposés au propriétaire bailleur (Cass. civ. 3, 18 février 1998, n° 96-13.336, M. Yves Dauchez c/ M. Henri Benaiche, inédit N° Lexbase : A2880CWL). Dans cet arrêt, la Cour avait, en effet, considéré qu'un retard de deux semaines dans le paiement d'un loyer en violation de l'échéancier mis en place par le tribunal justifiait l'acquisition de la clause résolutoire.

  • L'impossible conversion de l'obligation de surveillance du bailleur en équivalent de loyer si le contrat de bail ne l'a pas prévue (Cass. civ. 3, 18 mars 2009, n° 07-21.260, FS-P+B N° Lexbase : A0787EEU)

La conversion de l'obligation de surveillance du bailleur mise à la charge du locataire en équivalent de loyer n'est pas possible si elle n'est pas prévue par le bail.
Telle est la solution posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 18 mars 2009.

En l'espèce, un bailleur avait donné à bail un local d'habitation à compter du 1er septembre 2001, moyennant un loyer mensuel de 3 000 francs (environ 457 euros), le contrat précisant que le loyer appliqué tenait compte de l'obligation de la locataire de participer à la surveillance du bailleur de jour comme de nuit. Le bailleur décédait le 6 février 2002 et l'administrateur provisoire à la succession du bailleur et de son épouse prédécédée avait assigné la locataire aux fins de voir convertir "l'obligation de surveillance" en complément de loyer. La cour d'appel avait accueilli cette demande aux motifs que, même si le contrat ne prévoyait pas expressément le versement d'un complément de loyer dans le cas où l'obligation de surveillance ne serait plus possible, il convenait, pour respecter l'équilibre contractuel, s'agissant d'un contrat à exécution successive, de substituer à l'obligation de surveillance, devenue impossible par suite du décès du bailleur, une obligation financière équivalente.
Au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), aux termes duquel le contrat légalement formé tient lieu de loi aux parties, la Cour de cassation censure cette décision et souligne que, dès lors que le bail ne comporte aucune clause prévoyant la modification des modalités d'exécution du contrat, l'obligation de surveillance du bailleur ne peut être convertie en équivalent de loyer.

Cette décision qui fait une stricte application des termes contractuels mérite approbation. En effet, rappelons que le décès du bailleur n'a pas, sauf stipulations contraires, d'incidence sur le sort du contrat de bail, lequel demeure au bénéfice du locataire. Ainsi, en l'espèce, le bail devait se maintenir malgré le décès du bailleur.
Toutefois les appréhensions pratiques de la succession qui souhaitaient voir convertir l'obligation de surveillance qui pesait sur le locataire en équivalent de loyer étaient légitimes : en effet, initialement le montant du loyer avait été volontairement réduit pour compenser l'obligation de surveillance à la charge du locataire. Il était donc logique que, lors du décès du bailleur, le loyer soit réévalué à "sa juste valeur". Sauf que, à défaut de stipulation prévoyant cette conversion, il n'était pas possible de solliciter du locataire le paiement d'un équivalent de loyer.

Il convient donc, pour le rédacteur de ce type de clause atypique, d'appréhender les conséquences du décès du bailleur et de prévoir dans le bail la conversion de l'obligation de surveillance en équivalent de loyer.
En l'espèce, la succession devra vraisemblablement initier une procédure de réévaluation du loyer lors du renouvellement du bail (loi n° 89-462, du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification, art. 17 N° Lexbase : L4390AH3). Pour cela, il conviendra de démontrer que le loyer était manifestement "sous évalué", ce qui impliquera, vraisemblablement, une discussion puisque le loyer initial ne peut être considéré, en l'espèce, comme étant sous évalué s'il est tenu compte de l'obligation accessoire de surveillance mise à la charge du locataire.

Il est, toutefois, vraisemblable que les juges constateront le caractère sous évalué du loyer, dès lors que l'obligation de surveillance s'est éteinte à la suite du décès du bailleur.

  • Feu vert pour l'"éco-prêt à taux zéro" ! (décrets n° 2009-344 N° Lexbase : L8862IDL et n° 2009-346 N° Lexbase : L8864IDN du 30 mars 2009, relatifs aux avances remboursables sans intérêt destinées au financement de travaux de rénovation afin d'améliorer la performance énergétique des logements ; décret n° 2009-347 du 30 mars 2009, relatif aux obligations déclaratives et aux modalités de détermination et d'imputation du crédit d'impôt en faveur des établissements de crédit qui accordent des avances remboursables ne portant pas intérêt pour le financement de travaux d'amélioration de la performance énergétique des logements anciens N° Lexbase : L8865IDP ; arrêté du 30 mars 2009, relatif aux conditions d'application de dispositions concernant les avances remboursables sans intérêt destinées au financement de travaux de rénovation afin d'améliorer la performance énergétique des logements anciens : NOR: DEVU0903668A [LXB=L1018IEG])

Présentation générale :

L'"éco-prêt à taux zéro", adopté par la loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 N° Lexbase : L3783IC4), constitue l'une des mesures phares du "Grenelle Environnement" (voir Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "La fiscalité écologique dans le projet de loi de finances 2009" N° Lexbase : N4731BHP).

Il s'agit, spécifiquement, d'avances remboursables, ne portant pas intérêts, consenties par des établissements de crédit pour le financement de travaux d'amélioration de la performance énergétique des logements anciens.
La publication des trois décrets et d'un arrêté au Journal officiel du 31 mars 2009 autorise les établissements de crédit à débuter la distribution de l'"éco-prêt à taux zéro" dès le mois d'avril.

Qui peut accorder ces prêts ?

Seuls les établissement de crédit ayant passé une convention avec l'Etat sont habilités à accorder ces avances (CCH, art. R. 319-11, nouv. N° Lexbase : L9079IDM).

Le décret n° 2009-347 du 30 mars 2009 précise spécifiquement les obligations déclaratives et les modalités de détermination et d'imputation du crédit d'impôt en faveur des établissements de crédit ayant accordé les avances remboursables.

Jean-Louis Borloo, ministre de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, a assisté, le 16 avril 2009, à la signature des premiers éco-prêts à taux zéro à l'agence Banque Populaire de Gif-sur-Yvette (Essonne) (cf. communiqué de presse du ministère).

Qui peut bénéficier de ces prêts ?

Tous les particuliers peuvent en bénéficier pour des projets dans leurs résidences principales, y compris les copropriétés et les logements mis en location ou mis à disposition gratuitement, étant précisé que seul le propriétaire peut solliciter une telle avance (CCH, art. R. 319-1, nouv. N° Lexbase : L8958ID7).

Plus précisément, l'avance remboursable sans intérêt peut être octroyée pour financer les travaux d'économie d'énergie effectués :
- soit pour le compte de l'emprunteur dans un logement dont il est propriétaire ;
- soit pour le compte du syndicat de copropriété, dont est membre l'emprunteur, sur les parties et équipements communs ou sur les parties privatives à usage commun de la copropriété dont fait partie un logement dont est propriétaire l'emprunteur ;
- soit, concomitamment, pour le compte de l'emprunteur dans un logement dont il est propriétaire et pour le compte du syndicat de copropriété, dont est membre l'emprunteur, sur les parties et équipements communs ou sur les parties privatives à usage commun de la copropriété dont fait partie ce logement.

Il conviendra d'être vigilant, puisque tant que l'avance n'est pas intégralement remboursée, le logement ne pourra ni être transformé en locaux commerciaux ou professionnels, ni être affecté à la location saisonnière, ni, non plus, être utilisé comme résidence secondaire. A défaut, le propriétaire sera tenu de rembourser l'intégralité du capital de l'avance restant dû (CCH, art. R. 319-3, nouv. N° Lexbase : L8921IDR).
De même, toute mutation entre vifs des logements ayant bénéficié de l'avance entraîne le remboursement intégral du capital de l'avance restant dû, au plus tard au moment de l'accomplissement des formalités de publicité foncière de la mutation (CCH, art. R. 319-4, nouv. N° Lexbase : L9042IDA).

L'établissement de crédit apprécie, sous sa propre responsabilité, la solvabilité et les garanties de remboursement présentées par l'emprunteur.

Préalablement à la réalisation des travaux, l'emprunteur fournit à l'appui de sa demande d'avance les éléments suivants :
- la date d'achèvement du logement qui fait l'objet des travaux ;
- un justificatif de l'utilisation en tant que résidence principale du logement qui fait l'objet des travaux. Si le logement ne fait pas encore l'objet d'une telle utilisation, l'emprunteur s'engage à rendre effective l'utilisation en tant que résidence principale dans les six mois qui suivent la date de clôture de l'avance ;
- le dernier avis d'imposition disponible portant mention du revenu fiscal de référence, au sens du 1° du IV de l'article 1417 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2316IBE), du foyer fiscal de l'emprunteur lorsque celui-ci relève du 1° ou du 3° du 3 du I de l'article 244 quater U du même code (N° Lexbase : L8855ICX) ;
- le descriptif des travaux prévus et l'ensemble des devis détaillés associés, justifiant du respect des modalités d'attribution définies à l'article R. 319-16 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8914IDI) ;
- le montant prévisionnel des dépenses de travaux d'économie d'énergie.

Pour quels types de travaux est-il possible de solliciter un éco-prêt à taux zéro ?

Les opérations éligibles sont précisées par l'article R. 319-16, nouveau, du Code de la construction et de l'habitation.

Les travaux doivent être réalisés par un professionnel, sur un logement situé sur le territoire national, et ne doivent, en principe, pas avoir commencé avant l'émission de l'avance (une exception est prévue par l'article 4 du décret n° 2009-346 : pour les avances émises jusqu'au 30 juin 2009, il est admis que les travaux aient débuté à compter du 1er mars 2009).

Il doit s'agir :
- soit de travaux correspondant à une combinaison d'au moins deux actions efficaces d'amélioration de la performance énergétique du logement ou du bâtiment concerné (travaux d'isolation thermique des toitures, travaux d'isolation thermique des murs donnant sur l'extérieur, travaux d'isolation thermique des parois vitrées et portes donnant sur l'extérieur, travaux d'installation, de régulation ou de remplacement de systèmes de chauffage, le cas échéant associés à des systèmes de ventilation économiques et performants, ou de production d'eau chaude sanitaire, travaux d'installation d'équipements de production d'eau chaude sanitaire utilisant une source d'énergie renouvelable) ;
- soit de travaux permettant d'atteindre une performance énergétique globale minimale du logement en limitant sa consommation d'énergie pour le chauffage, l'eau chaude sanitaire, le refroidissement, l'éclairage ;
- soit de travaux de réhabilitation de systèmes d'assainissement non collectif par des dispositifs ne consommant pas d'énergie.

Quelle durée du prêt et quel plafond financier ?

D'une durée de 10 ans, pouvant être étendue jusqu'à 15 ans par les établissements de crédit, il permet de financer jusqu'à 30 000 euros de travaux d'amélioration de l'efficacité énergétique du logement.

Le montant de l'avance est égal au montant des dépenses afférentes aux travaux visés à l'article R. 319-1, dans la limite d'un plafond fixé à l'article R. 319-21 (N° Lexbase : L9036IDZ) (toutefois, ce montant peut être réduit à la demande de l'emprunteur) :
- pour les travaux comportant deux, et seulement deux, des six actions prévues au 1° de l'article R. 319-16, le plafond est de 20 000 euros ;
- pour les travaux comportant au moins trois des six actions prévues au 1° de l'article R. 319-16, le plafond est porté à 30 000 euros ;
- pour les travaux prévus au 2° de l'article R. 319-16, le plafond est de 30 000 euros ;
- pour les travaux prévus au 3° de l'article R. 319-16, le plafond est de 10 000 euros.

Une même avance ne peut financer que la part des dépenses revenant à un unique logement.

Le versement de l'avance par l'établissement de crédit peut s'effectuer en une ou plusieurs fois, sur la base du descriptif et des devis détaillés des travaux envisagés ou sur la base des factures de travaux effectivement réalisés transmises par l'emprunteur à tout moment avant la date de clôture de l'avance.
Le versement sur factures peut conduire sous réserve d'acceptation par l'établissement de crédit, au dépassement du montant initialement prévu par le descriptif et les devis.

L'"éco-prêt à taux zéro" est cumulable avec les autres dispositifs de soutien, notamment le crédit d'impôt "développement durable" (sous condition de ressources), les aides de l'agence nationale de l'habitat et des collectivités territoriales, les certificats d'économies d'énergie et le nouveau prêt à taux zéro octroyé pour les opérations d'acquisition / rénovation.

Cette nouvelle législation correspond à l'une des premières étapes vers l'intégration des problématiques environnementales dans le système fiscal français.

newsid:350328

Licenciement

[Jurisprudence] L'impossible licenciement de la nounou enceinte

Réf. : Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-40.011, Mme Dalila Bounachada, épouse Boubghal, F-D (N° Lexbase : A1166EGB)

Lecture: 6 min

N0310BKP

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


La solution adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt inédit en date du 8 avril 2009, fera frémir tous les parents d'enfants en bas-âge qui choisissent de faire garder leur progéniture au domicile familial : dès lors que la nounou est enceinte, il devient presque impossible de la licencier. La solution, conforme à l'état actuel de la jurisprudence (I), nous semble excessive et inadaptée à la situation particulière des parents considérés comme des particuliers employeurs (II).

Résumé

Pour débouter la salariée de sa demande tendant à la nullité de son licenciement et décider que celui-ci était fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel, après avoir rappelé que l'employeur peut prononcer un licenciement au cours de la période de protection lorsqu'il est motivé par l'impossibilité de maintenir le contrat de travail en raison de circonstances étrangères à l'état ou à la situation de la salariée, retient que, selon l'employeur, le licenciement est justifié par la suppression de l'emploi de garde d'enfant à domicile en raison de l'âge de ses deux enfants tous deux scolarisés à la rentrée scolaire et des horaires coïncidant exactement avec les siens, elle-même institutrice, ce qui a pour conséquence la suppression de l'emploi de garde d'enfants tenu par la salariée. En se déterminant ainsi, sans constater l'impossibilité dans laquelle s'était trouvé l'employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Commentaire

I - La protection due à la nounou enceinte

  • La protection légale de la femme enceinte

L'article L. 1225-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0854H9I) interdit de licencier une femme en raison de sa grossesse, du jour où elle est enceinte jusqu'à l'expiration d'une période de quatre semaines qui suit la fin de son congé de maternité. A titre exceptionnel, un licenciement est possible s'il est motivé par la faute grave de la salariée ou l'impossibilité, pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement, de maintenir le contrat de travail ; ce dernier ne pourra, toutefois, ni être notifié, ni prendre effet pendant les périodes de suspension du contrat de travail, c'est-à-dire lorsque la salariée est en congé de maternité.

  • Une jurisprudence très protectrice des femmes enceintes

La jurisprudence fait classiquement une interprétation très stricte de la notion de faute grave dépourvue de tout lien avec la grossesse (1), comme celle d'"impossibilité", en écartant le motif pris de l'insuffisance professionnelle (2) ou la suppression de l'emploi dans le cadre d'un licenciement pour motif économique (3), à moins que celle-ci ne s'accompagne de circonstances additionnelles rendant le maintien du contrat véritablement impossible (4) ; comme l'indique la Cour de cassation dans une formule devenue de style, "l'existence d'un motif économique de licenciement ne caractérisant pas, à elle seule, cette impossibilité" (5), ce qui contraint l'employeur à préciser, dans la lettre de licenciement, le motif de la rupture, "en quoi celles-ci avaient placé l'employeur dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée pendant les périodes de protection dont elle bénéficiait" (6).

Cette jurisprudence a, également, été appliquée lorsque l'employeur est un particulier et que ce dernier exerce son droit de retrait de l'enfant à l'égard d'une assistante maternelle enceinte ; dans cette hypothèse, en effet, la protection de la femme enceinte prime sur le droit de retrait des parents et le fait que ces derniers souhaitent, désormais, s'occuper de leur enfant ou changer le mode de garde, ne constitue pas l'impossibilité exigée par la loi pour rompre le contrat de travail (7).

  • Une sévérité confirmée en l'espèce

C'est cette sévérité que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cette affaire où une salariée avait été engagée par un particulier pour assurer la garde de ses deux enfants à domicile pour un horaire de 60 heures par mois. Alors que la salariée était en état de grossesse, elle avait été licenciée "pour suppression de son emploi de garde d'enfants à domicile en raison de l'âge des deux enfants scolarisés tous deux à l'école primaire à la rentrée prochaine avec des horaires coïncidant exactement avec ceux de l'employeur, professeur des écoles". Contestant la validité de ce motif, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale pour voir prononcer la nullité de son licenciement.

La cour d'appel de Colmar l'avait déboutée de ses demandes, après avoir relevé que l'employeur peut prononcer un licenciement au cours de la période de protection lorsqu'il est motivé par l'impossibilité de maintenir le contrat de travail en raison de circonstances étrangères à l'état ou à la situation de la salariée, et que, selon l'employeur, le licenciement est justifié par la suppression de l'emploi de garde d'enfant à domicile en raison de l'âge de ses deux enfants, tous deux scolarisés à la rentrée scolaire et à des horaires coïncidant exactement avec les siens, elle-même institutrice, ce qui a pour conséquence la suppression de l'emploi de garde d'enfants tenu par la salariée.

C'est cet arrêt qui est cassé pour manque de base légale, la Chambre sociale de la Cour de cassation reprochant aux juges du fond de s'être déterminés ainsi, "sans constater l'impossibilité dans laquelle s'était trouvé l'employeur de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption".

II - Une solution excessive et inadaptée

  • Premier degré (favorable) de lecture

A première vue, il n'y a pas grand-chose que l'on puisse reprocher à la Chambre sociale de la Cour de cassation. La référence à l'"impossibilité" de maintenir le contrat, voulue par le législateur, renvoie directement aux critères de la force majeure et à l'existence d'une contrainte insurmontable qui s'imposerait à l'employeur. Or, le fait que des enfants grandissent et que l'un ou l'autre des parents soit, désormais, en mesure de s'en occuper n'apparaît bien entendu pas comme une contrainte insurmontable, la suppression de l'emploi relevant plus d'un choix librement exercé par l'employeur, qui préfère, désormais, s'occuper directement de ses enfants plutôt que de les confier à un tiers.

  • Second degré (critique) de lecture

La solution nous paraît tout de même sévère car elle aboutit à interdire au particulier, employeur, de rompre de fait le contrat de travail de la salariée employée à domicile pendant toute la durée de protection, c'est-à-dire pour une période pouvant aller jusqu'à douze mois et demi (8) !

Dans une entreprise classique, cette quasi impossibilité de licencier la salariée peut se justifier par le fait que l'employeur, même s'il supprime un emploi, doit pouvoir reclasser la salariée sur un autre emploi ; les contraintes qui pèsent sur l'entreprise peuvent être considérables, surtout lorsque l'effectif est réduit et les possibilités de reclassement limitées, voire inexistantes, mais soit... Néanmoins, pour un particulier employeur qui n'emploie qu'un seul salarié, autrement dit qui n'a qu'un seul emploi, cette période de quasi inamovibilité de la salariée peut sembler bien excessive. Quand on sait, par ailleurs, que le licenciement qui contrevient aux dispositions légales est nul et que la salariée doit, en principe, être réintégrée (9), le cas échéant sous astreintes, on imagine la situation qui pourrait naître d'une salariée réintégrée contre l'avis de l'employeur, à son domicile, pour s'occuper de l'enfant...

En d'autres termes, il nous semble que la Cour de cassation devrait assouplir sa position, dans ce type d'hypothèses, pour tenir compte des intérêts en présence. Dès lors qu'objectivement l'employeur n'a plus besoin de la salariée, parce que le ou les enfants ont grandi, comme c'était le cas ici, ou que la charge financière de l'emploi devient trop lourde à porter, et que l'emploi est supprimé, nous pensons que la rupture du contrat devrait être admise et l'impossibilité de maintenir le contrat caractérisée.

Il n'est, d'ailleurs, pas certain que la Cour de cassation y soit, par principe, hostile. La cassation a été prononcée dans cette affaire non pas pour violation de la loi, mais bien pour manque de base légale, c'est-à-dire parce que l'arrêt d'appel n'avait pas fait apparaître de manière suffisamment claire les éléments constitutifs de l'impossibilité de maintenir le contrat. Ne soyons, toutefois, pas naïf : la solution s'assimile certainement bien à un refus de principe de considérer que la suppression d'un emploi puisse justifier le licenciement de la femme enceinte, même si la porte demeure entr'ouverte ; gageons que les Hauts magistrats sauront, également, tenir compte de la particularité des particuliers employeurs, surtout lorsqu'ils sont parents de jeunes enfants !


(1) La Cour de cassation écarte, ainsi, la qualification de faute grave pour la salariée qui quitte son travail sans autorisation pour subir une visite médicale : Cass. soc., 18 avril 2008, n° 06-46.119, Mme Nadia Ouergly, épouse Henry, FS-P+B (N° Lexbase : A1739D8W).
(2) Cass. soc., 27 avril 1989, n° 86-45.547, Mme Romilly c/ Institut Dudouit (N° Lexbase : A3654ABX).
(3) Cass. soc., 5 décembre 1989, n° 88-40.845, M. Ruiz c/ Société Languedocienne d'entreprise (N° Lexbase : A4147AGP) ; Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 02-40.055, Mlle Sabine Vivien c/ Société Valorum, F-D (N° Lexbase : A4715DDY) ; Cass. soc., 3 novembre 2005, n° 03-46.986, Société Editions Atlas, F-D (N° Lexbase : A3364DL8).
(4) Cass. soc., 21 juin 1995, n° 91-44.132, Mme Pascale Couturier c/ SA Société financière et foncière (N° Lexbase : A1892ABP) : "la cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune demande de dommages-intérêts, et qui a admis que le contrat de travail de l'intéressée avait été modifié dans l'un de ses éléments essentiels, du fait de la suppression de son emploi antérieur, intervenue dans le cadre de la réorganisation complète de l'entreprise, accompagnée de licenciements, de mutations de personnel et de suppression d'emplois, à laquelle l'employeur avait dû procéder à la suite de la cession d'une partie de ses activités, a constaté que la demande de réintégration présentée par Mme C. se heurtait à une impossibilité de fait et qu'invitée à s'expliquer sur les trois organigrammes invoqués, celle-ci avait reconnu à l'audience que son poste n'existait plus et précisé ne pas demander l'un des cinq postes de secrétaire subsistants, occupés par des collègues".
(5) Cass. soc., 17 janvier 2006, n° 04-41.413, Société Agence des services de la presse et de l'édition c/ Mme Marianne Vidal, F-D (N° Lexbase : A4095DMM).
(6) Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-41.179, Mme Noura M'Chaighi, F-P+B (N° Lexbase : A7149D8B).
(7) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-45.980, Mme Valérie Boucher c/ Mme Isabelle Passiller, FS-P (N° Lexbase : A3754AYP).
(8) Neuf mois de grossesse, deux mois et demi de congé de maternité après l'accouchement, et un mois après le retour de la salariée de son congé.
(9) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, Mme Gabrielle Velmon c/ Association Groupe Promotrans, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7501BSM), Dr. soc., 2003, p. 831, chron. B. Gauriau et les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7288AA8).


Décision

Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-40.011, Mme Dalila Bounachada, épouse Boubghal, F-D (N° Lexbase : A1166EGB)

Cassation, CA Colmar, ch. soc., sect. C, 4 mai 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 122-25-2, alinéa 1er ([LXB=L5495AC]), devenu L. 1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I)

Mots clef : femme enceinte ; licenciement ; impossibilité de maintenir l'employeur

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Audiovisuel

[Jurisprudence] La parole présidentielle, une composante essentielle de la démocratie qui doit être prise en compte par les autorités de régulation des médias

Réf. : CE Contentieux, 8 avril 2009, n° 311136, M. H. ( N° Lexbase : A9543EE8).

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique.

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt rendu le 8 avril 2009, la Haute juridiction administrative a jugé que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ne peut exclure, par principe, toute forme de prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs dans les médias audiovisuels. Les requérants demandaient ici la modification de la délibération du CSA du 8 février 2000, relative aux nouvelles modalités adoptées pour l'évaluation du respect du pluralisme politique dans les médias (N° Lexbase : X7286AEL), afin de prendre en compte les interventions du Président de la République et de ses collaborateurs. Il résulte des dispositions de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (N° Lexbase : L8240AGB), que le CSA doit assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, du pluralisme des courants de pensée et d'opinion politiques, en faisant, notamment, respecter l'égalité du temps d'intervention entre majorité et opposition. Par la délibération attaquée, il a énoncé, sous le nom de "principe de référence", les critères au regard desquels il entend apprécier le respect, par les services de radio et de télévision, de leurs obligations en la matière, et a exclu toute prise en compte des interventions du Président et de ses collaborateurs dans cette comptabilisation. Les requérants ont contesté ce point et demandé à l'autorité de régulation de modifier les règles afin que ces interventions soient, à l'avenir, incluses dans les éléments d'appréciation que l'autorité retient. Mais le CSA a, par la décision du 3 octobre 2007 ici attaquée, refusé et exclu, par principe, toute forme de prise en compte des interventions du Président de la République et de ses collaborateurs. Le 13 mai 2005, le Conseil d'Etat avait pris position, à propos des seules règles applicables à une campagne électorale, sur un point spécifique : le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique et son temps de parole n'a pas, dans le traitement de l'actualité liée à la campagne, à être pris en compte à ce titre (CE 4° et 5° s-s-r., 13 mai 2005, n° 279259, M. Hoffer N° Lexbase : A2188DIU). Mais il n'avait jamais été saisi d'une requête le conduisant à prendre position sur la question générale, en particulier hors campagne électorale, du traitement des interventions du chef de l'Etat dans les médias audiovisuels au regard des règles du pluralisme politique et, notamment, du "principe de référence" du 8 février 2000.

Réitérant sa position selon laquelle le Président ne s'exprime pas au nom d'un parti politique, il ajoute qu'il n'en résulte pas pour autant, compte tenu du rôle qu'il assume depuis l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 dans la définition des orientations politiques de la Nation, que ses interventions et celles de ses collaborateurs puissent être regardées comme étrangères, par principe, au débat politique national et, par conséquent, à l'appréciation de l'équilibre à rechercher entre les courants d'opinion politiques. L'Assemblée du contentieux, formation de jugement la plus élevée du Conseil d'Etat, annule donc la décision du 3 octobre 2007 pour erreur de droit.

L'arrêt d'espèce contribue à réaffirmer l'importance du principe de pluralisme de l'expression des opinions politiques dans les médias audiovisuels (I), soulignée par la valeur constitutionnelle de celui-ci, et dont le Conseil d'Etat contribue encore à la prépondérance, en tranchant en ce sens une question qui ne lui avait encore jamais été posée (II).

I - Le principe de pluralisme de l'expression des opinions politiques est l'un des fondements des institutions démocratiques

A - Un encadrement législatif strict et un principe de valeur constitutionnelle

Le nécessaire équilibre dans l'expression des opinions politiques sur les chaînes de télévision a été, pour la première fois, édictée par le conseil d'administration de l'Office de Radiodiffusion Télévision Française (ORTF), institué par la loi n° 64-621 du 27 juin 1964, portant statut de l'Office de radiodiffusion-télévision française (N° Lexbase : L0990IEE). Celui-ci a, à l'époque, décidé qu'un tiers du temps de parole devait être réservé au Gouvernement, un tiers à la majorité parlementaire, et un tiers à l'opposition (1). En 1982, le législateur a confié à une autorité de régulation indépendante, la Haute autorité de la communication audiovisuelle, créée par la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, sur la communication audiovisuelle (N° Lexbase : L0991IEG), la mission de veiller au respect du droit du citoyen une communication "pluraliste". La loi du 30 septembre 1986 constitue, toutefois, toujours le cadre juridique de référence. Modifiée, notamment, par les lois n° 89-25 du 17 janvier 1989 (N° Lexbase : L0992IEH), et n° 94-88 du 1er février 1994 (N° Lexbase : L0993IEI), elle confère au CSA le pouvoir de déterminer l'application de ce principe dans les programmes. Plus récemment, la loi du 1er février 1994 précitée a introduit une obligation de décompte des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les magazines. Initialement limitée au service public, ce décompte a été étendu à l'ensemble des services de radio et de télévision par la loi n° 2000-719 du 1er août 2000 (N° Lexbase : L1233AII).

Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, interprété les dispositions de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1358A98), qui prône la liberté d'opinion et la complète par la liberté de communiquer ses pensées, à travers plusieurs décisions. Dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 (N° Lexbase : A8143ACL), par laquelle il s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi du 30 septembre 1986, il a énoncé que le respect du pluralisme des courants de pensée est l'"une des conditions de la démocratie". Dans une autre décision du 27 février 2007 (Cons. const., décision n° 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur N° Lexbase : A3317DUE), il considère que ce pluralisme est favorisé par la généralisation de la diffusion des programmes de télévision en mode numérique terrestre.

Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, affirmé que le pluralisme des courants de pensée dans les médias est un objectif de valeur constitutionnelle : il l'a fait dans sa décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982 (N° Lexbase : A8043ACU), et le réitérant dans sa décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision (N° Lexbase : A5008EDT). Il y énonce "qu'il appartient au législateur, dans le cadre de la compétence que lui a ainsi reconnue le constituant, de fixer les règles relatives tant à la liberté de communication, qui découle de l'article 11 de la Déclaration de 1789, qu'au pluralisme et à l'indépendance des médias, qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle", et que s'il peut "modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, c'est à la condition que l'exercice de ce pouvoir n'aboutisse pas à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel". Dans cette décision, ainsi que dans un autre arrêt rendu le même jour (Cons. const., décision n° 2009-576 DC du 3 mars 2009, Loi organique relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France N° Lexbase : A5007EDS), le Conseil avait validé l'essentiel des projets de lois relatifs à l'audiovisuel public, à savoir les lois du 5 mars 2009, organique n° 2009-257, relative à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (N° Lexbase : L9880ICW), et n° 2009-258, relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision (15) (N° Lexbase : L9881ICX).

B - Un objectif de préservation du pluralisme politique dont le respect échoit au CSA

C'est donc au CSA, qui descend de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, elle-même transformée en Commission nationale de la communication et des libertés par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, que le législateur a confié la mission générale d'assurer le respect du pluralisme dans les médias audiovisuels. L'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, modifié par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004, relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle (N° Lexbase : L9189D7H), énonce, en effet, que "le Conseil supérieur de l'audiovisuel assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des sociétés nationales de programme et notamment pour les émissions d'information politique". Il est à noter que ce respect s'applique à tous les groupements politiques, et que la mise en oeuvre de cet objectif "ne saurait avoir légalement pour effet, d'écarter des programmes des sociétés nationales, et notamment des émissions d'information politique, l'expression de courants de pensée et d'opinion ne se rattachant ni à la majorité, ni à l'opposition parlementaire", comme l'a jugé le Conseil d'Etat en 1999 (CE Contentieux, 7 juillet 1999, n° 198357, Front National N° Lexbase : A3228AXT). L'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, modifié par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances (N° Lexbase : L9534HHL) précise que le CSA peut, à cette fin, adopter des mesures individuelles, en adressant "aux éditeurs et distributeurs de services de radio et de télévision [...] des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi".

En outre, il est comptable de cette mission, à la fois devant les pouvoirs législatif et règlementaire, l'article 13 précité précisant qu'il doit communiquer tous les mois aux présidents de chaque assemblée, et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement, le relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes. L'article 16 de la même loi dit que le CSA fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales que les sociétés audiovisuelles de service public sont tenues de produire et de programmer.

Là encore, le pouvoir règlementaire s'est chargé de protéger les "petits partis". Un avis du 13 avril 2007 (N° Lexbase : L9722HUM), relatif à la participation aux émissions radiodiffusées et télévisées prévues par l'article L. 167-1 (§ III) du Code électoral (N° Lexbase : L9642DNG) à l'occasion de la campagne des élections législatives, prévoit qu'en application de l'article L. 167-1 précité, les partis ou groupements politiques non représentés par un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale doivent avoir accès, à leur demande, à la campagne audiovisuelle en vue des élections législatives. Ceci est, néanmoins, subordonné à la condition qu'au moins soixante-quinze candidats aient indiqué, dans leur déclaration de candidature, s'y rattacher pour l'application de la procédure prévue par la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, relative à la transparence (N° Lexbase : L8358AGN), c'est-à-dire en vue de bénéficier de l'aide publique attribuée aux partis et groupements politiques. Le second alinéa de l'article 16 précité énonce que "pour la durée des campagnes électorales, le conseil adresse des recommandations aux éditeurs des services de radio et de télévision autorisés ou ayant conclu une convention en vertu de la présente loi".

L'on peut, toutefois, remarquer que, eu égard à l'importance du respect du principe dont le CSA s'est vu confier la mission, les dispositions législatives sont relativement silencieuses quant à la mise en oeuvre concrète de cette application. La question essentielle posée par l'arrêt d'espèce, à savoir la prise en compte du temps de parole du Président de la République dans les médias peut être, cependant, appréhendée via la jurisprudence du Conseil d'Etat et la place du Président dans les institutions particulières de la Vème République.

II - Les dispositions jurisprudentielles ou constitutionnelles ne s'opposent pas à la prise en compte du temps de parole du Président dans les médias

A - Une jurisprudence du Conseil d'Etat qui ne tranche pas véritablement le débat

Rappelons, tout d'abord, que le Conseil d'Etat est compétent pour contrôler la légalité des actes administratifs portant sur l'attribution, ou la non-attribution, du temps d'antenne dans le cadre de la campagne officielle (CE Assemblée, 12 mars 993, n° 145858, Union Nationale Ecologiste et autres N° Lexbase : A9111AME ; CE Contentieux, 2 juin 1994, n° 158878, M. Pierre Alleaume N° Lexbase : A1812ASW).

Un arrêt rendu le 20 mai 1985 portait sur les modalités du droit de réplique aux communications mensuelles du Premier ministre sur la chaîne de télévision TF1 (CE Contentieux, 20 mai 1985, n° 64146, Labbé N° Lexbase : A3197AMD). Le but visé par les requérants était, selon eux, de rétablir l'équilibre dans les temps de parole entre Gouvernement, majorité et opposition à la suite de ces communications, via le recours à la procédure du droit de réponse alors prévue par les dispositions du II de l'article 14 de la loi du 29 juillet 1982. La Haute juridiction administrative rejette ce recours. Selon elle, "en exposant et commentant chaque mois, en réponse à des questions de journalistes, la politique du Gouvernement, le Premier ministre ne fait pas usage des pouvoirs reconnus au Gouvernement" par l'article 33 de la même loi. Dans la même décision, elle précise que la Haute autorité de la communication audiovisuelle dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer, dans chaque cas les mesures propres à assurer le respect de ces principes de respect du pluralisme et de l'équilibre des programmes. Le Conseil en déduit qu'elle "n'a méconnu ni les principes relatifs à la libre communication des opinions et à l'égalité entre les citoyens en la matière, ni les dispositions de la loi du 29 juillet 1982 qui ont pour objet de garantir le respect du pluralisme et de l'équilibre dans les programmes de télévision".

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 13 mai 2005 (CE 4° et 5° s-s., 13 mai 2005, n° 279259, M. Hoffer, préc.), a validé la recommandation du CSA déterminant les conditions de traitement, par les services audiovisuels, de l'actualité liée au référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne. Dans cette recommandation, le CSA a invité, notamment, les services de télévision et de radio à veiller "à ce que les partis ou groupements politiques bénéficient d'une présentation et d'un accès à l'antenne équitable". Or, dans sa note de présentation, le CSA a indiqué que les propos du Président de la République, n'étant rattachés à aucune formation politique, la prise en compte de ses interventions est, implicitement et nécessairement, exclue dans cette appréciation. Le requérant demande, alors, l'annulation de cette recommandation, invoquant la méconnaissance des exigences de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion. La Haute juridiction administrative rejette la requête, rappelant qu'"en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l'Etat dans l'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics, le Président de la République ne s'exprime pas au nom d'un parti ou d'un groupement politique".

On l'a vu, si la jurisprudence du Conseil d'Etat ne tranche pas véritablement la question posée par les requérants dans l'arrêt d'espèce, il semble, néanmoins, que les dispositions de la Constitution relatives au Président ne s'opposent pas à la prise en compte de son temps de parole dans les médias audiovisuels.

B - La place du Président de la République dans les institutions ne constitue pas un obstacle à cette comptabilisation

Le titre II de la Constitution du 4 octobre 1958 présente les différentes prérogatives du Président de la République. Aux termes de l'article 5 de ce texte (N° Lexbase : L1312A9H), "le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". Cette place d'un Président "au-dessus de la mêlée", comme le voulait le général de Gaulle est renforcée par l'article 20 de ce même texte (N° Lexbase : L1279A9A), qui illustre la dichotomie avec le Gouvernement, lequel "détermine et conduit la politique de la Nation", et "est responsable devant le Parlement", ce qui n'est pas le cas du Président. Toutefois, ce partage des tâches s'est révélé, en pratique, moins évident. En effet, l'article 21 de la Constitution (N° Lexbase : L1280A9B) énonce que "le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement". Or, l'article 9 (N° Lexbase : L1355A93) dit que "le Président de la République préside le Conseil des ministres". Par la force des choses, le Président se trouve aux prises avec les affaires courantes du pays, tout en maintenant une apparence contraire. Cette situation est renforcée par son élection au suffrage universel direct depuis 1962. La loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK), vise, cependant, à un rééquilibrage de ces pouvoirs jugés par beaucoup exorbitants, à travers un meilleur contrôle de l'exécutif, un renforcement du Parlement et l'octroi de nouveaux droits aux citoyens.

Le raccourcissement de sept à cinq ans du mandat présidentiel par la loi n° 2000-964 du 2 octobre 2000, relative à la durée du mandat du Président de la République (N° Lexbase : L1118BIA), et le fait que la loi organique n° 2001-419 du 15 mai 2001, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (N° Lexbase : L7228AZQ), ait inversé les calendriers des élections législatives et présidentielles, contribuent encore à faire du Président le chef de la majorité parlementaire. On ne voit donc pas, dès lors, au nom de quel principe son temps de parole à la radio ou à la télévision n'aurait pas à être comptabilisé. Le Conseil, dans l'arrêt rendu le 8 avril 2009, en conclut logiquement que "le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvait, sans méconnaître les normes de valeur constitutionnelle qui s'imposent à lui et la mission que lui a confiée le législateur, exclure toute forme de prise en compte de ces interventions dans l'appréciation du respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels".

Le CSA a rapidement tiré les conséquences de la décision des Sages du Palais-Royal, en complétant sa recommandation n° 2009-2 du 24 mars 2009, à l'ensemble des services de télévision et de radio en vue de l'élection des représentants au Parlement européen le 7 juin 2009 (N° Lexbase : X6975AE3). Il a indiqué, dans un communiqué du 21 avril 2009 (2), qu'à compter du lundi 27 avril 2009, "les services de télévision et de radio prendront en compte celles des interventions du Président de la République qui, en fonction de leur contenu et de leur contexte, relèveront du débat politique national, au sens de la décision du Conseil d'Etat du 8 avril 2009". Ce dispositif est, toutefois, présenté comme temporaire, et un bilan en sera dressé après les élections européennes, au mois de juin 2009.

Une solution équitable, à terme, pourrait être d'exclure la prise en compte des interventions du Président lorsqu'elles ne portent pas sur des sujets d'intérêt politique national. La prise de parole de la plus haute personnalité politique française, du fait qu'elle concourt à former l'opinion, ne peut pas, en effet, être considérée comme totalement inexistante par les institutions chargées de faire respecter les principes démocratiques.


(1) Cf. conclusions de Catherine de Salins, Rapporteur public, relatives à l'arrêt CE Contentieux, 8 avril 2009, n° 311136, M. H.
(2) Communiqué de presse du CSA du 21 avril 2009.

newsid:350319

Social général

[Questions à...] Affaire "Louis Vuitton" : ne vendons pas la peau du dimanche avant de l'avoir tué - Questions à Jean Barthélemy, avocat de la Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires

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N0305BKI

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Laissons de côté les passions nées du débat politique sur la très controversée réforme du repos dominical, pour appliquer exclusivement le droit positif au litige. C'est ce que nous souffle l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 mars 2009, rendu dans la très médiatisée affaire "Louis Vuitton" (CE 1° et 6° s-s-r., 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l'habillement et accessoires et autres N° Lexbase : A6910EDB, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0753CT3) (1). Le rôle de la Haute juridiction administrative est, en effet, de se prononcer sur la légalité des arrêts rendus par les juges du fond au regard des règles en vigueur. Il n'est pas de prendre position sur des polémiques, serait-ce celle de la survie de notre institution dominicale, menacée par le projet de loi dit "projet de loi Maillié" (2), du nom de son initiateur. Ce projet de réforme, s'il est resté, jusqu'ici, lettre morte, est toujours d'actualité (3), eu égard à la volonté gouvernementale d'assouplir la règle, pour une meilleure prise en compte de "l'intérêt du consommateur" (4). Or, le régime juridique du repos dominical actuellement en vigueur est de cette clarté qui ne souffre pas l'équivoque, qu'il s'agisse de la règle de l'article L. 3132-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0457H9S) -le repos est donné le dimanche- ou des dérogations qu'elle connaît. Les principes étant clairement établis et les faits échappant au Conseil d'Etat, juge de cassation, il n'est nul besoin d'interprétation à la lumière d'une loi, vraisemblablement, à venir. C'est, donc, sans difficulté que le Conseil d'Etat a tranché le litige sur l'autorisation obtenue par le célèbre maroquinier, par arrêté préfectoral du 28 décembre 2005, d'ouvrir son magasin situé sur les Champs-Elysées le dimanche. Celle-ci avait été conférée sur le fondement de l'article L. 3132-25 du Code du travail (N° Lexbase : L0481H9P). Contesté par les syndicats (5), dont la Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires, cet arrêté avait été annulé une première fois par le tribunal administratif (6). La victoire avait, toutefois, été brève, la cour d'appel ayant censuré cette décision (7). Elle est, aujourd'hui, définitive et éclatante, le Conseil, ayant, par son arrêt de principe du 11 mars 2009 destiné à être publié au "Recueil des décisions du Conseil d'Etat" (Recueil Lebon), décidé que le magasin concerné ne rentrait pas dans le champ d'application de la dérogation.

Un seul bémol, cependant (non des moindres), le magasin ne ferme toujours pas le dimanche. Il dispose, en effet, d'une nouvelle autorisation préfectorale, obtenue un peu plus de deux mois avant l'arrêt commenté (soit, le 28 décembre 2008). Or, le recours en annulation ne visait que l'autorisation initiale. Finalement, la Haute cour adopte la même attitude que le préfet de Paris, qui, pourtant conscient de l'issue du litige, n'a pas souhaité patienter jusqu'au prononcé de l'arrêt du 11 mars 2009 pour renouveler l'autorisation : il choisit de ne prendre aucunement en compte le sens de l'issue législative imminente sur le sujet pour rendre sa décision.

Pour faire la lumière sur cette bataille juridique vieille de plus de quatre ans, Lexbase Hebdo édition sociale a rencontré Maître Jean Barthélemy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (ancien président de l'Ordre), associé de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, qui a représenté la Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires à l'instance.

Lexbase : Sur quels fondements la cour administrative d'appel de Paris avait-elle retenu la licéité de l'ouverture dominicale du magasin Louis Vuitton situé sur les Champs-Elysées ?

Jean Barthélemy : L'autorisation préfectorale d'ouverture le dimanche, accordée le 28 décembre 2005 au magasin Louis Vuitton des Champs-Elysées, se fonde sur les dispositions de l'article L. 3132-25 du Code du travail, aux termes desquelles, "dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente, le repos hebdomadaire peut être donné par roulement pour tout ou partie du personnel, pendant la ou les périodes d'activités touristiques, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel", le périmètre de ces zones étant délimité par décision du préfet.

Indéniablement, les Champs-Elysées constituent une de ces zones touristiques d'affluence exceptionnelle, laquelle y est, d'ailleurs, permanente. Elle a, ainsi, été classée comme telle par l'arrêté préfectoral n° 94-717 du 14 octobre 1994. L'enseigne étant, aussi, un établissement de vente au détail, restait à démontrer que le magasin répondait à la troisième et dernière condition posée par le texte, la mise à disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil et ses activités de détente ou de loisirs d'ordre récréatif et culturel.

La cour administrative d'appel de Paris, pour décider que le magasin entrait dans le champ d'application de l'article L. 3132-25, s'est fondée sur plusieurs éléments :
- le fait que le malletier met en vente des articles de maroquinerie, joaillerie, vêtements et accessoires pouvant "être regardés comme étant, au moins pour une certaine catégorie de clientèle étrangère, au nombre des attraits touristiques de la capitale française" ;
- le fait qu'il commercialise des livres d'art et de voyage ayant un lien avec la marque Louis Vuitton ;
- et, enfin, sur la présence, dans ce magasin fréquenté par des touristes, d'oeuvres artistiques et d'un espace (de plus de 300 m2) destiné à accueillir des manifestations culturelles en rapport avec les activités de la société.

Outre les termes vagues employés, cette motivation peut (à juste titre) paraître singulière et réductrice : l'attrait touristique des Champs-Elysées tiendrait, principalement, dans le fait que Louis Vuitton et d'autres y vendent des articles. Dans ce cas, les zones présentant des attraits touristiques similaires sont aussi nombreuses qu'il y a de points de vente de ces enseignes sur le territoire national. En outre, la pertinence de la distinction entre les touristes étrangers et les touristes nationaux m'échappe quelque peu. Ce raisonnement consacre, enfin, l'indifférence du critère d'activité principale ou accessoire dans la détermination de l'applicabilité de la dérogation.

Lexbase : Quelles sont les motivations de la cassation par le Conseil d'Etat de l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris ?

Jean Barthélemy : Le Conseil d'Etat a rendu au texte législatif sa véritable portée. Il n'avait d'autres choix que de statuer en ce sens. La loi est suffisamment explicite pour ne pas soulever d'interrogations. C'est, d'ailleurs, parce que la solution était évidente, que l'affaire a été jugée en première et sixième sous-sections réunies, et non en section du contentieux.

Le Conseil d'Etat a décidé que les ventes "des produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements et accessoires ne revêtent pas, par nature, quelles que soient les qualités architecturales ou artistiques du lieu dans lequel ils sont mis en vente, le caractère de biens et services destinés à faciliter l'accueil du public ou les activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel". Les critères de la nature et du caractère principal de l'activité, sur lesquels ma plaidoirie était fortement appuyée, sont, selon la Haute juridiction, déterminants pour l'application de la dérogation.

Ainsi, la vente de livres d'art et de voyage, parce qu'elle est accessoire par rapport à l'activité de vente d'articles de maroquinerie, de joaillerie, vestimentaires ou d'accessoires ne peut être prise en compte pour trancher le litige. La Haute juridiction administrative le souligne, elle n'a pour objet que la promotion de la marque. Il en va de même de la présence d'oeuvres d'art et de l'espace d'exposition destiné à accueillir des manifestations culturelles en rapport avec les activités de la société. Ce dernier élément ne pouvait d'autant moins être pris en considération, puisque la loi, en visant expressément "la vente en détail", exclut une mise à disposition gratuite au public des biens et des services, ce qui était le cas en l'espèce.

La solution est juste et ne me semble pas résulter d'une interprétation restrictive de la part des juges. Le propre d'une dérogation tient, en effet, à son caractère exceptionnel, de sorte qu'elle ne devienne pas le principe. Il s'agit, en réalité, d'une interprétation littérale du texte. Si le législateur avait voulu étendre les dérogations, il l'aurait fait, ce qui n'est pas le cas.

Lexbase : Quelle est la portée de cet arrêt de principe ?

Jean Barthélemy : La portée de cet arrêt est essentielle. Le souci du Conseil d'Etat est d'éviter un contournement de la loi par les enseignes de luxe, désireuses d'ouvrir le dimanche.

La reconnaissance de la légitimité de l'ouverture dominicale du magasin Louis Vuitton des Champs-Elysées aurait conduit de nombreuses marques ayant pignon sur l'avenue Montaigne, le boulevard Saint-Germain ou, encore, la rue Saint-Honoré, à acquérir ou prendre en dépôt des oeuvres d'art ou dédier un espace de leur site à d'éventuelles expositions culturelles. La dérogation ne peut être accordée sur ces simples prétextes.

Lexbase : La société Louis Vuitton se prévalait, notamment, de la jurisprudence citée dans les rapports "Mallié" (8), dont l'affaire "Barbara Bui" (9). Les rapports soulignent, en effet, l'incohérence qui existerait entre des situations quasi-similaires : une boutique de vente d'articles de création de mode serait susceptible de bénéficier de la dérogation, pour des raisons culturelles, quand celle de vente d'articles de mode ne le pourrait pas (10) ; de la même façon, une boutique de vente de lunettes de soleil serait favorisée par rapport à celle de vente de lunettes de vue (11), en ce qu'elle répondrait plus au critère de détente. L'arrêt du 11 mars 2009 coupe-t-il court à la polémique ?

Jean-Barthélemy : L'arrêt du 11 mars 2009, incontestablement, coupe nette la discussion.

Les rapports "Mallié" font, effectivement, état de prétendues incohérences de nombreuses situations, en s'appuyant sur ces jurisprudences. Il faut, tout d'abord, souligner que l'arrêt de principe du 11 mars 2009 est le premier arrêt rendu en la matière par le Conseil d'Etat. Il a vocation à harmoniser les éventuelles contradictions des décisions de première et deuxième instance à venir. En réalité, il convient de s'attacher, comme l'a fait la Haute cour, à la nature des biens et des services en cause. Or, pour reprendre l'exemple des lunettes de soleil, leur fonction première est de protéger la vue du soleil, non de favoriser la détente. Elles constituent, encore moins, un loisir d'ordre récréatif, sportif ou culturel. Dès lors, la solution de la Haute cour administrative ne devrait plus permettre à ce type de commerces de bénéficier de la dérogation prévue à l'article L. 3132-25 du Code du travail.

Lexbase : L'enseigne, titulaire d'un nouvel arrêté préfectoral d'autorisation, continue d'ouvrir son magasin des Champs-Elysées le dimanche. Quelles sont, désormais, les voies de recours ouvertes ?

Jean Barthélemy : L'enseigne des Champs-Elysées dispose d'une nouvelle autorisation, conférée par l'arrêté préfectoral du 28 décembre 2008, qui est, en réalité, un simple prolongement de l'autorisation initiale du 28 décembre 2005. Le préfet s'est, en effet, fondé sur les mêmes motifs que ceux précédemment donnés. Seulement, le recours en annulation des syndicats ne portait que sur le premier arrêté, le second arrêté n'existant pas encore au jour de l'introduction de l'instance. Le recours n'étant, par ailleurs, pas suspensif, le préfet n'était pas tenu d'attendre la décision des juges du Conseil d'Etat. Il aurait, toutefois, pu le faire, conscient que l'instruction était terminée. L'enseigne s'appuie sur ce texte pour continuer à ouvrir son magasin le dimanche.

L'arrêté du 28 décembre 2008 est, cependant, devenu illégal, depuis l'arrêt du 11 mars 2009, créateur de droit. Le préfet dispose, en fait, de quatre mois à compter de la signature de l'arrêté (soit, jusqu'au 28 avril 2009) pour retirer son autorisation, ce qu'il n'a, à ce jour, pas fait. Si le retrait a lieu, Louis Vuitton disposera, alors, d'un recours pour le contester. S'il n'a pas lieu, l'arrêté deviendra définitif aux termes de ce délai de quatre mois, sauf à ce que les syndicats intentent, sous peu, un recours en annulation (12).


(1) Lire S. Tournaux, Interprétation stricte de la dérogation au repos dominical, Lexbase Hebdo n° 344 du 2 avril 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9945BI8).
(2) Projet de loi n° 1254, du 12 novembre 2008, visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires.
(3) Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, déclarait encore, vendredi 3 avril 2009, que "ce dossier n'est pas enterré [...] ces dispositions permettant de garantir la possibilité de travailler le dimanche dans certaines zones trouveraient leur place, soit dans le cadre de la proposition de loi du député UMP Richard Mallié, soit par le biais d'un amendement sur un autre texte, au plus tard avant la rentrée" (AFP, vendredi 3 avril 2009). Deux sénateurs centristes, Hervé Maurey (Eure) et Yves Pozzo di Borgo (Paris) ont, ensuite, déposé des amendements en ce sens, dans le projet de loi de développement et de modernisation des services touristiques (art. 13), qui ont été retirés.
(4) Il s'agit, ici, de l'un des principaux arguments, parallèlement à la relance économique, avancé dans le rapport n° 2351 du 10 juin 2005, fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur la proposition de loi n° 1254 de M. Richard Mallié, visant à définir les dérogations au repos dominical dans les grandes agglomérations, les zones touristiques et les commerces alimentaires et dans le rapport supplémentaire n° 1333 du 17 décembre 2008, fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, sur la proposition de loi visant à redéfinir la réglementation du repos dominical concernant les commerces, dans les grandes agglomérations et les zones touristiques.
(5) Soit, l'Union syndicale CGT commerce distribution services de Paris, la Fédération des employés et cadres CGT-FO, la Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires, la Chambre syndicale des commerces de l'habillement nouveauté et accessoires de la région parisienne, le syndicat Fédération des syndicats CFTC commerce services et force de vente et l'Union départementale CFTC.
(6) TA Paris, 31 mai 2006, n° 0600781, Union syndicale CGT Commerce distribution Services de Paris et autres (N° Lexbase : A8136EDP).
(7) CAA Paris, 3ème ch., 28 mai 2007, n° 06PA02061, SA Louis Vuitton Mattelier, ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale (N° Lexbase : A1810DXC).
(8) Rapport n° 2351 du 10 juin 2005 et rapport supplémentaire n° 1333 du 17 décembre 2008, préc..
(9) CAA Paris, 3ème ch, 14 novembre 2005, n° 02PA03478, Ministre du Travail c/ Société Barbara Bui (N° Lexbase : A1485DMX).
(10) CAA Paris, 3ème ch., 30 novembre 2005, n° 02PA02585, Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité c/ Société Valérie Stern (N° Lexbase : A6996DM3).
(11) CAA Paris, 3ème ch., 5 juillet 2006, n° 04PA00176, Société Grand Optical "Les Opticiens Associés" (N° Lexbase : A8268DQB).
(12) A l'heure où nous publions ces lignes, la préfecture a indiqué à l'AFP que le recours gracieux des syndicats contre l'arrêté du préfet de Paris a été déposé hors délai.

newsid:350305

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Des conditions d'encadrement de la liberté religieuse des salariés par le règlement intérieur

Réf. : Halde, délibération n° 2009-117 du 6 mars 2009, Liberté religieuse et règlement intérieur dans l'entreprise privée (N° Lexbase : X7282AEG)

Lecture: 12 min

N0375BK4

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

Par sa délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) intervient à nouveau (après la délibération n° 2007-301 du 14 novembre 2007 N° Lexbase : X0369AEE et surtout la délibération n° 2009-22 du 26 janvier 2009 N° Lexbase : X7285AEK) dans le débat riche, dense et complexe de l'exercice des libertés religieuses en entreprise (I) et des conditions de leur encadrement par l'employeur dans le cadre du règlement intérieur (II). La publication de cette délibération s'inscrit dans un contexte de "judiciarisation" des pratiques discriminatoires fondées sur la religion, les salariés n'hésitant plus à saisir les juridictions dès qu'ils s'estiment victimes d'atteinte à leur droit à exprimer leur conviction religieuse (1). La publication par la Halde de sa délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009, faisant le point sur la liberté religieuse en entreprise, fait suite à de nombreuses délibérations publiées récemment visant la liberté religieuse en entreprise (Halde, délibérations n° 2006-242 du 6 novembre 2006 N° Lexbase : X7275AE8 (2), n° 2008-10 du 14 janvier 2008 N° Lexbase : X7276AE9 (3), n° 2009-22 du 26 janvier 2009, n° 2009-125 du 2 mars 2009 N° Lexbase : X7283AEH (4)), mais aussi dans un service public ou dans la fonction publique (Halde, délibérations n° 2008-166 du 29 septembre 2008 N° Lexbase : X7277AEA (5), n° 2008-167 du 1er septembre 2008 N° Lexbase : X7278AEB, n° 2008-183 du 1er septembre 2008 N° Lexbase : X7279AEC, n° 2008-194 du 29 septembre 2008 N° Lexbase : X7281AEE (6), n° 2008-193 du 15 septembre 2008 N° Lexbase : X7282AEG (7)) ou même dans le cadre des relations commerciales (Halde, délibération n° 2006-133 du 5 juin 2006). I - L'exercice des libertés religieuses en entreprise

A - Fondements des droits protégés

La liberté d'exprimer ses convictions religieuses est un droit fondamental reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L6799BHB) qui consacre la liberté de manifester sa religion ou ses convictions en prévoyant qu'elle ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles prévues par la loi (art. 9) et prohibe toute discrimination (art. 14) ; la Directive 2000/78/CE, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (art. 11 N° Lexbase : L3822AU4) ; le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (art. 5 : "Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances") ; le Code du travail, en ses articles L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché") et L. 1132-1 (N° Lexbase : L6053IAG) (8).

B - Etendue de la protection

  • Embauche

Le principe, codifié au Code du travail (art. L 122-45 anc. N° Lexbase : L3114HI8 ; art. L. 1134-1, al. 3 recod. N° Lexbase : L6054IAH), est qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement en raison de ses convictions religieuses. De plus, conformément à l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI ; art. L. 1121-1, recod.), nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Mais la Halde estime que si toute discrimination fondée sur les convictions religieuses est prohibée lors de l'exécution du contrat de travail, des limitations peuvent être imposées dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées, notamment, par l'organisation du travail dans l'entreprise (Halde, délibération n° 2008-10 du 14 janvier 2008).

  • Licenciement

En 2003, la cour d'appel de Paris avait jugé que si une lettre de rupture fait expressément référence au refus de la salariée de renoncer à la manifestation de ses convictions religieuses, le licenciement présente toutes les apparences d'une mesure prohibée au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (art. L. 1134-1, recod.) (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03/30212, Téléperformances c/ Mlle Dallila Tahri N° Lexbase : A8172C9K) (9). En l'espèce, le fait que l'employeur ait proposé à la salariée de placer son foulard de façon à ce qu'il ne révèle pas son appartenance à la confession musulmane démontrait que seule l'appartenance à la religion était en cause, et non la tenue de travail elle-même. En effet, l'employeur était prêt à accepter que la salariée se présente au travail avec un bonnet.

  • Autorisations d'absence

La Halde a précisé, dans une délibération du 13 novembre 2007, que l'employeur doit justifier, par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le refus d'accorder une autorisation d'absence pour fête religieuse (Halde, délibération n° 2007-301 N° Lexbase : X0369AEE). En l'espèce, un représentant syndical a saisi la Halde de lutte contre les discriminations et pour l'égalité d'une réclamation relative à des autorisations d'absence pour fêtes religieuses, accordées par la société Y, notant une différence de traitement entre les salariés d'origines et de religions différentes. Arguant des articles L. 120-2  et L. 122-45  du Code du travail, la Halde reconnaît que, si le Code du travail impose un équilibre entre liberté religieuse et intérêt de l'entreprise, aucune de ses dispositions ne porte sur les autorisations exceptionnelles d'absence liées à une fête religieuse. Ainsi, sous réserve du détournement de pouvoir, l'employeur peut refuser une autorisation d'absence le jour d'une fête religieuse, si celle-ci perturbe l'organisation du travail dans l'entreprise. En conséquence, la Halde a recommandé au ministre du Travail d'inscrire, dans le Code du travail, une procédure d'autorisation d'absence fondée sur des critères objectifs étrangers à toute discrimination, en vue de faciliter les demandes d'absences des salariés du secteur privé, sous réserve des nécessités de service.

II - Encadrement de la liberté religieuse par le règlement intérieur

La commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République (sous la présidence de Bernard Stasi, rapport remis au Président de la République le 11 décembre 2003) avait fait une proposition visant à permettre aux employeurs de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle et à la paix sociale interne. La Halde (par la présente délibération) s'est inspirée de cette recommandation, ainsi que de la jurisprudence tant judiciaire qu'administrative, développée sur ce thème.

La Halde a relevé qu'à l'occasion des contentieux portant sur la régularité des règlements intérieurs, les juridictions ont dessiné le point d'équilibre entre les revendications légitimes du salarié et celles, manifestement excessives, invoquées dans le but de faire échec aux règles de droit du travail et, plus particulièrement, au pouvoir de direction de l'employeur. Ainsi, il est de jurisprudence constante que les limites à la liberté d'expression du salarié sont tirées de la nature du poste et des fonctions exercées ainsi que de l'abus de droit. Cette construction jurisprudentielle doit, selon la Halde, s'appliquer à la liberté de religion et de convictions du salarié dans l'entreprise.

A - Le principe d'une restriction à la liberté de religion et de convictions du salarié par et dans le règlement intérieur

Un employeur pourrait être tenté de restreindre la liberté de religion de ses salariés en modifiant le règlement intérieur de l'entreprise. A l'appui d'une telle limitation à la liberté de religion, les employeurs invoquent un principe de neutralité dans l'entreprise estimé nécessaire pour assurer le respect des opinions et convictions des clients, des partenaires et de l'ensemble des collaborateurs au sein du collectif de travail, mais, également, par des impératifs liés au contact de la clientèle et du public.

La Halde n'a pas consacré ce principe de neutralité comme cause justificative d'une restriction à la liberté de conscience et de religion. Les restrictions ne sauraient être justifiées par le principe de neutralité du lieu de travail, puisqu'aucune législation ou jurisprudence nationale ne consacre qu'un tel principe de neutralité puisse restreindre les libertés des salariés du secteur privé. Les seules décisions évoquant la notion de neutralité appliquée à l'entreprise privée sont celles qui sanctionnent le prosélytisme actif de certains salariés.

Pour la Halde (10), plusieurs considérations pourraient justifier une restriction à la liberté de religion et de convictions du salarié : la prohibition de tout comportement prosélyte ; des impératifs de sécurité au travail et de santé ; en raison de la nature des tâches que le salarié est amené à accomplir, notamment quand l'exécution de la prestation de travail s'effectue en lien avec le public ou la clientèle.

  • Interdiction d'un comportement prosélyte dans l'entreprise

La liberté de religion et de convictions du salarié doit pouvoir s'exercer dans les limites que constituent l'abus du droit d'expression, le prosélytisme ou les actes de pression ou d'agression à l'égard d'autres salariés. Dans cette situation, il pourrait être invoqué l'obligation de protection de l'employeur à l'égard de ses salariés telle qu'elle ressort des articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L1448H9I) et L. 1152-4 (N° Lexbase : L0730H9W) du Code du travail (délibération Halde n° 2009-117, point n° 34).

La cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 9 juin 1997, n° 09/97) avait invoqué une obligation de neutralité du salarié en considérant que constitue une faute grave par méconnaissance de l'obligation de neutralité, le prosélytisme reproché à un animateur d'un centre de loisir laïc, qui avait lu la Bible et distribué des prospectus en faveur de sa religion aux enfants.

Dans une décision en date du 23 janvier 1998 (11), la cour d'appel de Versailles avait posé la distinction entre expression des convictions religieuses et déloyauté dans l'exécution du contrat à propos d'un formateur membre de l'Eglise de scientologie qui, dans le cadre d'un contrat de prestation de services, avait utilisé les opportunités d'un contact avec le public pour répandre sa foi. Les juges ont prononcé la résiliation d'un contrat de prestation de services, en l'espèce un stage de formation (12). Le formateur, membre de l'église de scientologie, avait tenté d'utiliser l'opportunité d'une telle rencontre avec un public, pour faire du prosélytisme. Dès lors, les juges en ont tiré la conséquence que le cocontractant n'exécute pas sa mission avec loyauté et bonne foi.

La cour d'appel de Basse-Terre (CA Basse-Terre, 6 novembre 2006, n° 06/00095) a reconnu comme fondé sur un motif réel et sérieux le licenciement d'un salarié multipliant les digressions ostentatoires orales sur la religion.

La cour d'appel de Rouen (CA Rouen, 25 mars 1997, n° 95/04028) a reconnu la faute d'un salarié qui avait développé un prosélytisme dépassant le cadre normal de la liberté d'expression.

Dans une décision en date du 22 mars 2001, la cour d'appel de Versailles a admis que les salariés pouvaient faire valoir leur droit d'expression pour protéger leur liberté de conscience face à un prosélytisme insidieux de l'employeur, détenteur de l'autorité. En l'espèce, les séminaires de l'entreprise organisés par une association prosélyte dirigée par l'épouse de l'employeur étaient l'occasion d'une auto-culpabilisation publique des salariés relevant de la manipulation psychologique (CA Versailles, 5ème ch., 22 mars 2001, n° 00/00528, Monsieur Jacky P. N° Lexbase : A4942DHI).

Mais la question du prosélytisme est délicate, faute de définition juridique. Le droit associe liberté de conscience avec pression de conscience, l'un n'étant qu'une déclinaison, une variation de l'autre. En ce sens, l'article 9 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme proclame que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion. Dans sa décision "Kokkinakis" (13) rendue le 25 mai 1993, la Cour européenne des droits de l'Homme a élevé au rang de droit fondamental la liberté de conscience et celle de manifester sa religion (et donc, les actes de pression) (CEDH, 25 mars 1993, Req. 3/1992/348/421, Kokkinakis c/ Grèce N° Lexbase : A6556AWQ). On pourrait utilement s'interroger sur le sens de cette liberté de manifestation, les textes ne mentionnant que le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Le prosélytisme semble donc exclu de la notion de liberté de manifester sa religion, au sens de l'article 9 § 2 de la CESDH. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme l'a-t-elle expressément admis, dans sa décision "Kokkinakis" ? La CEDH relève qu'aux termes de l'article 9, la liberté de manifester sa religion comporte, en principe, le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un "enseignement", sans quoi du reste "la liberté de changer de religion ou de conviction", consacrée par l'article 9, risquerait de demeurer lettre morte.

  • Sécurité au travail

Selon la Halde, des considérations de sécurité au travail peuvent constituer une restriction objective justifiée par la nature des tâches à effectuer. Il est vrai que l'article 9 § 2 de la CESDH retient explicitement des impératifs de sécurité ou de santé comme restrictions légitimes au droit de manifester ses convictions ou opinions.

Il peut s'agir, par exemple, de l'incompatibilité entre le port d'un signe et celui d'un équipement obligatoire de protection, ou encore de risques accrus par le port d'un signe (risques mécaniques, risques chimiques, ...) (Halde, délibération n° 2009-119, point n° 40).

Des impératifs de santé ou d'hygiène sanitaire peuvent, également, amener l'employeur à imposer le port de tenues spécifiques pouvant ne pas être compatibles avec le maintien de signes religieux (Halde, délibération n° 2009-119, point n° 41).

  • Nature des tâches à accomplir (relation avec le public ou la clientèle)

Concernant la relation avec la clientèle, les juridictions ont cherché à concilier la liberté de religion des salariés qui souhaitent porter un vêtement (ou un signe) et l'intérêt des entreprises. Au cas par cas, le juge a tenté de concilier la liberté de religion et de convictions des salariés et les intérêts des entreprises. Il a progressivement accru les exigences de justifications attendues de l'employeur.

La cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (CA de Saint-Denis de la Réunion, 9 septembre 1997, n° 97/703306) (14) a admis le licenciement pour cause réelle et sérieuse d'une salariée musulmane refusant d'adopter une tenue conforme à l'image de marque de l'entreprise. En l'espèce, la cour d'appel a souligné que le vêtement recouvrait l'intéressée de la tête aux pieds et que la salariée ne portait pas ce type de tenue lors de son embauche. L'intéressée, vendeuse d'articles de mode féminine, portait dorénavant un vêtement qui ne reflétait pas l'image véhiculée par la boutique de mode dans laquelle elle était employée et dont elle devait refléter la tendance en raison de son rôle de conseil à la clientèle. Son licenciement ne constituait pas une discrimination en raison de sa religion mais il était fondé sur une cause objective ayant trait, pour des impératifs commerciaux liés à l'intérêt de l'entreprise, à la mise en conformité entre l'esprit mode de l'enseigne et la tenue du personnel chargé de l'accueil, du conseil de la clientèle et de la vente d'articles de mode féminine.

La cour d'appel de Paris (CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03/30212, préc.) a confirmé la réintégration, ordonnée en référé, d'une salariée licenciée travaillant dans un centre d'appel et portant un foulard cachant les cheveux, les oreilles, le cou et la moitié du front. Les juges ont retenu que la salariée avait été embauchée avec ce même voile et que son contrat de travail comportait dès sa conclusion une clause de mobilité lui permettant d'aller directement chez les clients. Cela n'avait soulevé aucune difficulté tant que l'intéressée occupait un poste d'études et de sondage mais dès que l'intéressée a été mutée au siège de l'entreprise sur un poste de télémarketing en lien régulier avec des clients se rendant dans les locaux de l'entreprise, il lui a été demandé de nouer son voile en "bonnet", ce qu'elle a refusé. La cour d'appel affirme que l'employeur doit apporter la preuve de l'existence d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination de nature à justifier sa décision. En l'espèce, les juges ont considéré que l'employeur ne faisait état d'aucun problème relationnel de sa salariée avec un client en raison du port du foulard.

La conclusion tirée par la Halde (Halde, délibération n° 2009-117, point 50) doit être approuvée : le simple fait d'être au contact de la clientèle ne semble pas être en soi une justification légitime pour restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié. La justification au cas par cas de la pertinence et de la proportionnalité de la décision au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte de son exécution doit être faite, afin de démontrer que l'interdiction du port de signes religieux est, en dehors de toute discrimination, proportionnée et justifiée par la tâche à accomplir dans les circonstances de l'espèce.

B - Modalité d'encadrement de la liberté de religion et de conscience par/dans le règlement intérieur

L'hypothèse d'une restriction générale et absolue à la liberté de religion par le règlement intérieur d'une entreprise doit être écartée d'entrée de jeu. Comme la Halde l'a déjà relevé en 2008, seule la loi peut fixer une restriction générale à l'exercice de la liberté religieuse. Or, aucune norme de droit interne ne restreint la liberté de religion ou de conviction dans l'entreprise privée en France. Aussi, un employeur ne saurait, de sa propre initiative, imposer une telle interdiction absolue et générale à ses salariés par une disposition de son règlement intérieur.

Toutefois, les articles L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) et L. 1321-3 (N° Lexbase : L1843H97) du Code du travail permettent à l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, d'apporter des restrictions aux libertés individuelles et collectives, dont la liberté de religion ou de convictions, au sein de l'entreprise, qui seraient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Dans sa délibération n° 2009-22, la Halde avait rappelé que l'employeur ne peut, par le règlement intérieur, restreindre la liberté de conscience et de religion qu'en justifiant la nécessité de sa décision par des éléments objectifs et proportionnés.

Si l'employeur souhaite introduire dans son règlement intérieur une disposition afin de restreindre la liberté religieuse et de convictions des salariés en raison de la nature du poste et des fonctions exercées, la rédaction de celle-ci devrait être la plus précise possible afin d'éviter une interdiction générale et absolue (15).

La disposition du règlement intérieur pourrait, ensuite, énoncer le principe selon lequel, lorsque la restriction de la liberté de religion ou de convictions est justifiée par la nature spécifique des tâches à accomplir et proportionnée au but recherché, les modalités de cette restriction doivent pouvoir être discutées avec les intéressés afin de concilier au mieux leurs convictions et les intérêts de l'entreprise (16).

Cette appréciation ne peut se faire qu'au cas par cas et il doit être justifié de la pertinence et de la proportionnalité de la décision de restreindre la liberté religieuse et de convictions au regard de la tâche concrète du salarié et du contexte de son exécution afin de démontrer que cette restriction est, en dehors de toute discrimination, proportionnée et effectivement justifiée par la tâche à accomplir dans les circonstances de l'espèce (17).


(1) Selon S. Le Bars, Le Monde, samedi 18 avril 2009, p. 9.
(2) La réclamante est embauchée en qualité d'animatrice sports et loisirs par une association chargée de l'intégration sociale d'enfants autistes pour une semaine. Lors de réunions préparatoires, elle se présente voilée et marque son refus de se baigner avec les enfants alors qu'une sortie dans un parc aquatique est organisée. La réclamante refusant d'ôter son foulard, l'employeur rompt brutalement son contrat. Après examen, la rupture de contrat paraît justifiée, l'exigence de sécurité lors de la baignade des enfants autistes constituant un objectif étranger à toute discrimination conformément à l'article L. 122-45, alinéa 4 (N° Lexbase : L3114HI8 ; art. L. 1134-1, al. 3, recod. N° Lexbase : L6054IAH). Toutefois, certaines justifications avancées par l'employeur manifestent une méconnaissance de la loi. En conséquence, la Halde rappelle à l'employeur la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004, relative à la laïcité (N° Lexbase : L1864DPQ).
(3) Si toute discrimination fondée sur les convictions religieuses est prohibée lors de l'exécution du contrat de travail, des limitations peuvent être imposées dès lors qu'elles sont justifiées et proportionnées notamment par l'organisation du travail dans l'entreprise. S'il peut paraître justifié de demander aux animateurs des centres de vacances et de loisirs de participer aux repas et de goûter les aliments, notamment avec les jeunes enfants, il en va autrement lorsque l'employeur impose aux animateurs un régime alimentaire en partageant les repas avec les enfants, dans des conditions strictement identiques. Cette règle a pour effet d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes désireuses de suivre un régime alimentaire, en raison de leurs convictions religieuses ou de leur état de santé.
(4) La Halde a été saisie par un chirurgien urologue d'une réclamation relative aux faits de harcèlement moral discriminatoire qu'il aurait subis au sein du centre hospitalier où il exerce. La Halde considère que les accusations abusives de prosélytisme et de circoncisions rituelles proférées à son encontre par une partie des agents hospitaliers, ont eu pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant à son égard. Ces faits, fondés sur les opinions religieuses du réclamant, constituent un harcèlement moral discriminatoire, notamment au sens de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L8986H39).
(5) La réclamante qui porte le foulard islamique se voit refuser par un organisme public de formation l'accès à une formation obligatoire en vertu du contrat accueil et intégration qui se tient dans les locaux d'un lycée public. L'organisme public de formation justifie son refus en invoquant son règlement intérieur, la proximité avec les élèves de l'enseignement public, le respect du statut public des établissements composant l'organisme public, des règles propres aux locaux où la formation s'effectuerait ou celles du milieu professionnel auquel elle destinerait ou encore la lutte contre le prosélytisme. Il rapproche le statut de l'organisme public de formation de celui d'un collège privé catholique et estime qu'en autorisant l'accès de la réclamante il méconnaîtrait les termes du cahier des charges de l'ANAEM en matière de laïcité. La Halde rejette l'ensemble de ces arguments et conclut que le refus d'accès à une formation obligatoire en raison du port d'un signe religieux n'apparaît pas comme étant conforme aux dispositions de la CESDH. La Halde recommande à l'organisme public de formation d'accepter l'inscription de la réclamante lors de la prochaine session de formation et de l'indemniser de ses frais de formation.
(6) Deux étudiantes à l'université ont saisi la Halde par l'intermédiaire d'une association. Portant le foulard islamique, elles estiment être victimes de discrimination fondée sur leurs convictions religieuses de la part d'une enseignante d'espagnol. Celle-ci s'oppose au port du voile pendant ses cours à l'université en évoquant la laïcité. Or, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, ne s'applique pas à l'université. La Halde rappelle les termes des articles 432-7 (N° Lexbase : L0476DZN) et 225-1 (N° Lexbase : L3332HIA) et suivants du Code pénal et porte les faits à la connaissance du conseil d'administration de l'université en sa qualité d'instance disciplinaire.
(7) La Halde a été saisie d'une demande d'avis portant sur la compatibilité de l'interdiction du port de la burqa avec le principe de non-discrimination dans le cadre d'une formation linguistique obligatoire en vertu d'un contrat d'accueil et d'intégration (CAI). S'appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et les exigences pédagogiques de l'enseignement linguistique, la Halde décide que l'obligation faite aux personnes suivant une formation linguistique dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration de retirer la burqa ou le niqab est constitutive d'une restriction se conformant aux exigences de la CESDH.
(8) Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3 (N° Lexbase : L0799H9H), de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses convictions religieuses.
(9) Lire les obs. de Ch. Alour, Le port du foulard islamique est-il autorisé dans l'entreprise ?, Lexbase Hebdo n° 90 du 16 octobre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9085AAQ).
(10) Halde, délibération n° 2009-117 du 6 avril 2009, reprenant presque mot pour mot la délibération n° 2009-22 du 26 janvier 2009.
(11) Et nos obs., Bonne foi contractuelle et convictions religieuses, JCP éd. E, 1999, p. 900.
(12) JCP éd. E, 1998, panorama rapide, p. 781, infra.
(13) Gaz. Pal., 1994, juris. 477, note N. Dehry et obs. G. Junosza-Zdrojewski et RFDA, mai-juin, 1995, p. 573, note H. Surrel.
(14) D., 1998, jurisp., note S. Farnocchia.
(15) Halde, délibération n° 2009-117, point n° 59.
(16) Halde, délibération n° 2009-117, point n° 61.
(17) Halde, délibération n° 2009-117, point n° 62.

Décision

Halde, délibération n° 2009-117 du 6 mars 2009, Liberté religieuse et règlement intérieur dans l'entreprise privée (N° Lexbase : X7282AEG)

Mots clés : liberté religieuse en entreprise ; règlement intérieur

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