La lettre juridique n°314 du 24 juillet 2008

La lettre juridique - Édition n°314

Éditorial

Réforme de la prescription : une réforme ambitieuse, moderne et nécessaire

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N6735BGK

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse

Le 27 Mars 2014



En 2007 était créée, au sein de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale du Sénat, une mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, destinée à acquérir une vision d'ensemble des règles arides, mais essentielles du droit de la prescription. Et le constat issu des travaux de la mission fût clair : "si la prescription demeure un principe fondamental de notre droit, les règles qui la régissent s'avèrent à la fois pléthoriques, complexes et inadaptées". L'idée d'une réforme prenait tout son sens et la loi du 17 juin 2008 en fût le résultat.

Qualifié d'ambitieuse, car il s'agit d'une réforme d'ampleur qui appréhende la question de la prescription dans sa globalité, et de moderne, car le nouveau délai de droit commun de cinq ans vise à l'harmonisation des délais à l'échelon communautaire, par la Garde des Sceaux, la loi nouvelle s'articule autour de trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, la simplification de leur décompte, et l'autorisation, sous certaines conditions, de leur aménagement contractuel.

Une modernisation sans bouleversement souligne Etienne Vergès, Professeur agrégé à l'Université de Grenoble, qui revient, cette semaine sur les apports de la loi nouvelle.

En matière de prescription extinctive, la nouveauté phare réside dans l'instauration d'un nouveau délai de droit commun qui passe de 30 ans à 5 ans, tout en maintenant les délais dérogatoires justifiés par des situations particulières.

En matière de prescription acquisitive, le régime reste quasiment identique si ce n'est quelques changements de terminologie.

Concernant l'application dans le temps de cette loi, trois principes sont à retenir : les dispositions nouvelles qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de l'entrée en vigueur de la loi et il est alors tenu compte du délai déjà écoulé ; les dispositions nouvelles qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; enfin, lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne qui trouve également à s'appliquer en appel et en cassation.

Si, par cette réforme, le législateur semble avoir proposé une véritable théorie de la prescription adaptée aux évolutions contemporaines de la société, l'auteur émet néanmoins un regret sur certains points restés sans réponse, par exemple le jour où la prescription commence à courir, ou certains mécanismes négligés, comme la forclusion, ou encore l'absence de réforme de la prescription pénale.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le tabac nuit gravement... à l'emploi du salarié !

Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-46.421, M. Patrick Vanlerberghe, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4244D93)

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N6732BGG

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Notre pays a connu, depuis le décret du 15 novembre 2006 (décret n° 2006-1386, fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif N° Lexbase : L4959HTT), une véritable petite révolution. Les fumeurs sont définitivement devenus indésirables dans les lieux collectifs, cela au nom du tabagisme passif qu'ils imposaient à leur entourage. L'entreprise n'a, bien entendu, pas été oubliée par ce profond changement. Quoique cette nouvelle réglementation ne fût pas applicable à l'affaire commentée, on perçoit toute son influence dans la décision prononcée. Par un arrêt rendu le 1er juillet 2008, diffusé de la manière la plus large, la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve la décision de juges du fond ayant accepté de qualifier de faute grave le fait, pour un salarié, d'avoir fumé dans un local de l'entreprise, bravant une interdiction doublement établie par le règlement intérieur de l'entreprise et par un arrêté préfectoral (I). L'appréciation de la faute grave paraît, néanmoins, particulièrement sévère et s'explique, certainement, par la volonté de s'inscrire dans le mouvement actuel de lutte contre le tabagisme, y compris dans l'entreprise (II).
Résumé

Le fait qu'un salarié d'une cartonnerie ait fumé dans un local de l'entreprise, en violation d'une interdiction générale de fumer justifiée par la sécurité des personnes et des biens, interdiction imposée par un arrêté préfectoral et par le règlement intérieur de l'entreprise et mise à la connaissance du salarié par affichage et note de service, constitue une faute grave.

Commentaire

I - Fumer constitue une faute grave en cas de risque pour la sécurité des personnes et des biens

  • Histoire du tabac dans l'entreprise

Si la législation relative à l'interdiction de fumer dans les lieux collectifs a profondément modifié les comportements des fumeurs, y compris dans l'entreprise, le droit n'a pas toujours été aussi sévère envers les fumeurs (1).

Il a, en effet, longtemps été toléré que les salariés s'adonnent au tabagisme dans l'entreprise (2). Dans certaines entreprises productrices de tabacs, il était même offert des paquets de cigarettes aux salariés au titre d'un avantage en nature (3) ! Malgré cette grande latitude des pouvoirs publics, des éléments pouvaient, néanmoins, venir restreindre la liberté de fumer laissée aux fumeurs dans l'entreprise.

  • Premières limitations au tabagisme

La première limitation résultait de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement qui, eu égard aux risques d'incendies, permettait au préfet d'arrêter l'interdiction de fumer dans telle ou telle entreprise. L'entreprise concernée, en l'espèce, avait fait l'objet d'un tel classement, si bien que les salariés n'étaient pas autorisés à y fumer.

La seconde limitation découlait de dispositions du règlement intérieur interdisant le tabagisme dans l'entreprise (4). En effet, le Conseil d'Etat avait jugé licites les clauses du règlement intérieur interdisant de fumer dans l'entreprise (5). Cela ne suffisait pas, pour autant, nécessairement, à juger que le salarié contrevenant à de telles dispositions avait commis une faute grave (6).

  • En l'espèce

Les faits de l'espèce s'étant produits avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait donc faire application des règles antérieurement applicables.

Un salarié, employé d'une entreprise de cartonnerie depuis vingt-cinq ans, avait été surpris en train de fumer dans une salle de repos de l'entreprise. Or, le règlement intérieur de l'entreprise interdisait formellement aux salariés de fumer dans les locaux. Par ailleurs, un arrêté préfectoral avait classé l'entreprise en raison de la dangerosité que représentait le fait de fumer au milieu de cartons et des risques majeurs d'incendie. Face à ce comportement, l'employeur décidait de licencier le salarié pour faute grave.

L'argumentation développée par le salarié en vue de contester cette mesure est loin d'être inintéressante. En effet, celui-ci soutenait, principalement, que l'employeur n'avait pas pris en compte l'état de dépendance au tabac du salarié, ne lui permettant pas de faire une pause à l'extérieur des locaux pour fumer, n'ayant pas aménagé d'espace fumeur pour les salariés dans l'entreprise (7) et n'ayant mis en place aucun procédé d'aide à l'arrêt du tabac pour les salariés concernés.

La Cour de cassation ne se laisse, pourtant, pas séduire par l'invocation de cette hypothétique "obligation d'adapter ses salariés à l'interdiction de fumer durant leur emploi". Elle rejette le pourvoi, confirmant, de la sorte, l'argumentation développée par la cour d'appel et estime qu'en raison de l'interdiction établie par le règlement intérieur et par l'arrêté préfectoral, mais aussi des risques encourus pour les biens et les personnes, ce comportement rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et constituait une faute grave.

II - Une qualification de faute grave influencée par la lutte contre le tabagisme

  • Les éléments plaidant en faveur de la qualification de faute grave

L'existence d'une faute grave avait déjà été retenue, à plusieurs reprises, par la Cour de cassation, s'agissant d'une violation d'une interdiction de fumer dans l'entreprise (8). Ces solutions semblaient toujours avoir été guidées par un objectif de sécurité, spécialement un risque d'incendie.

La mesure paraît, en outre, d'autant plus justifiée que l'employeur est, désormais, tenu d'une obligation de sécurité de résultat à l'égard de ses salariés, en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise (9). Les salariés exposant leur santé au tabagisme passif dans l'entreprise du fait de l'inaction de l'employeur face aux salariés fumeurs récalcitrants peuvent prendre acte de la rupture de leur contrat de travail aux torts de l'employeur. Autant dire qu'en la matière, l'employeur a intérêt à se faire respecter !

  • Des faits fautifs d'une gravité discutable

Il faut, néanmoins, reconnaître que l'on se place, ici, à la frontière des canons habituels de la faute grave (10). Fumer une cigarette, dans une salle de repos dans laquelle les produits sensibles utilisés par l'entreprise ne doivent probablement pas être entreposés, paraît être une faute relativement mineure. La qualification de faute grave serait beaucoup plus incontestable si le salarié avait déjà fait l'objet d'avertissements à cet égard, bref, si la violation de l'interdiction était récurrente et non ponctuelle. A titre de comparaison, on peut rappeler que la Cour de cassation ne considère même pas systématiquement que la commission d'un délit pénal constitue une faute grave dans l'entreprise (11). En outre, la jurisprudence accepte, le plus souvent, qu'une faute commise par un salarié justifiant d'une longue ancienneté dans l'entreprise et n'ayant, jusque là, jamais fait l'objet d'autre sanction disciplinaire, puisse voir son degré de gravité atténué (12). Or, en l'espèce, le salarié bénéficiait de vingt-cinq ans d'ancienneté et l'arrêt ne relève aucun fait antérieur lui ayant déjà été reprochés. A n'en pas douter, les évolutions de la réglementation à l'égard du tabagisme ont certainement pesé lourd sur la qualification de faute grave...

On relèvera, également, que la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte de nombreuses précisions quant aux moyens qui avaient été employés par l'entreprise pour diffuser et porter à la connaissance des salariés l'interdiction de fumer. Elle relève, notamment, que le règlement intérieur avait fait l'objet d'un affichage, que de nombreux panneaux signalaient l'interdiction de fumer ou, encore, qu'une note de service diffusée dans l'entreprise avait informé le personnel de l'interdiction de fumer à compter de 2003.

Cet effort de motivation ne va pas sans rappeler les hypothèses dans lesquelles des sujétions imposées par une convention collective ne peuvent être opposées au salarié qu'à condition que celui-ci ait été informé de l'existence de la convention et qu'il ait été mis en mesure d'en prendre connaissance lors de l'embauche (13). Mais surtout, il illustre, très probablement, la volonté de la Cour de cassation de renforcer son argumentation, consciente qu'un fait isolé de tabagisme dans l'entreprise cadre, quelles que soient les conditions, assez difficilement avec la qualification de faute grave.


(1) V. le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006, fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (N° Lexbase : L4959HTT) et Les nouvelles mesures d'interdiction de fumer dans l'entreprise : questions à... Nathalie Cerqueira, avocate spécialisée en droit social, Lexbase Hebdo n° 248 du 15 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0244BAB).
(2) Ce, malgré l'application aux lieux de travail, faite par l'article 1er du décret n° 94-478 du 29 mai 1992, de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif énoncée par l'article 16 de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 (N° Lexbase : L3377A9X), dite loi "Evin".
(3) V. Cass. soc., 15 juin 1988, n° 86-11.074, Urssaf de la Côte d'or c/ SEITA (N° Lexbase : A1749AGU).
(4) Sur cette question, v. P. Chaumette, Le règlement intérieur et le tabac, Dr. soc., 1998, p. 1012.
(5) CE Contentieux, 18 mars 1998, n° 162055, Ministre du Travail, de l'Emploi et de la formation professionnelle c/ Groupe Credipar (N° Lexbase : A6665ASN).
(6) Cass. soc., 31 mars 1999, n° 97-41.220, Société Schwab nouveautés Est, société anonyme c/ M. Jean-Paul Mercier (N° Lexbase : A0336AUY).
(7) Ce dont, soit dit en passant, l'employeur n'a absolument pas l'obligation, y compris sous l'empire des nouvelles dispositions relevant du décret du 15 novembre 2006 (v., Les nouvelles mesures d'interdiction de fumer dans l'entreprise : questions à... Nathalie Cerqueira, avocate spécialisée en droit social, préc.).
(8) Cass. soc., 11 juin 1998, n° 96-42.244, M. Gérard Tournerie et autres c/ Société Embe VI, société anonyme (N° Lexbase : A0169AUS), dans le cas de salariés fumant dans un lieu où étaient entreposés des produits inflammables ; Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.595, Mme Isabelle Pade, épouse Kharouji c/ Société Interpar, F-D (N° Lexbase : A0410DDK), s'agissant d'une salariée ayant fumé une cigarette à son poste de travail dans une station service, "en dépit d'une interdiction justifiée par la sécurité des personnes et des biens".
(9) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société ACME Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC) et les obs. de N. Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6574AIC), JCP éd. G, 2005, II, 10144, note D. Corrignan-Carsin ; D., 2005, p. 1965, note E. Chevrier ; Dr. soc., 2005, p. 971, note J. Savatier. V., également, CA Rennes, 5ème ch., 16 mars 2004, n° 03/03279, Comité national contre le tabagisme c/ SARL Le Damier (N° Lexbase : A9160DDM), arrêt légitimant l'exercice du droit de retrait d'un salarié non fumeur exposé au tabagisme de ses collègues.
(10) Pour une opinion contraire, v. B. Ines, obs. sous Cass. soc., 1er juillet 2008, Dalloz actualités, 2 juillet 2008.
(11) Pour des vols non qualifiés de fautes graves, v., par ex., Cass. soc., 24 mai 2000, n° 99-41.314, M. X c/ Société Sogara, société anonyme (N° Lexbase : A9044AG3) ; Cass. soc., 3 mars 2004, n° 02-41.583, Société SAS Carrefour France c/ Mme Michèle Le Peru, F-D (N° Lexbase : A4162DBR) ; Cass. soc., 21 février 2006, n° 03-40.293, Société Bazar de l'Hôtel de Ville c/ Assedic Vallée du Rhône et de la Loire, F-D (N° Lexbase : A1720DNZ).
(12) En ce sens, v. G. Couturier, Droit du travail. 1/ Les relations individuelles de travail, PUF, 3ème éd. mise à jour, p. 263.
(13) Sur cette question, v. X. Carsin, La convention collective source de sujétions pour le salarié, JCP éd. S, 2007, 1015.

Décision

Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-46.421, M. Patrick Vanlerberghe, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4244D93)

Rejet, CA Douai, ch. soc., 14 avril 2006

Textes visés : néant

Mots-clés : licenciement ; faute grave ; tabagisme ; interdiction de fumer dans l'entreprise ; sécurité des personnes et des biens.

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 7 juillet 2008 au 11 juillet 2008 : deuxième sélection*

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N6739BGP

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Mandataire / responsabilité relative aux fautes

- Cass. soc., 8 juillet 2008, n° 07-17.013, M. François Durighello, F-D (N° Lexbase : A6331D9D) : si le mandataire répond des fautes qu'il commet dans sa gestion, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit, qu'à celui qui reçoit un salaire. La cour d'appel a relevé que la responsabilité de M. R. devait être recherchée dans le cadre du second alinéa de l'article 1992 du Code civil (N° Lexbase : L2215ABN) et elle a pu estimer que, remplissant ses fonctions à titre bénévole, le délégué syndical, qui s'est conformé aux modalités du recours indiquées dans la signification du jugement, n'avait pas commis de faute entraînant sa responsabilité à l'égard du mandant .

  • Récusation de magistrats

- Cass. soc., 8 juillet 2008, n° 06-44.992, Mme Maryse Diomède, F-D (N° Lexbase : A6193D9A) : il résulte de la procédure que les débats ont eu lieu devant une formation collégiale dont la composition, conforme à l'ordonnance du premier président fixant la répartition des juges dans les différents services de la juridiction, était nécessairement connue à l'avance de Mme D., représentée par son avocat, que celle-ci n'est pas recevable à invoquer devant la Cour de cassation la violation de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), dès lors qu'elle n'a pas fait usage de la possibilité d'en obtenir le respect en récusant les deux magistrats concernés par application de l'article 341.5° du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3918HWZ) et qu'en s'abstenant de le faire avant la clôture des débats, elle a, ainsi, renoncé sans équivoque à s'en prévaloir .

  • Possibilités de reclassement au sein d'un groupe

- Cass. soc., 8 juillet 2008, n° 06-45.564, Mme Catherine Louis, F-D (N° Lexbase : A6200D9I) : les possibilités de reclassement doivent s'apprécier à la date où les licenciements sont envisagés et être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer une permutation du personnel. La cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision car il résultait de ses constatations que des permutations de salariés s'opéraient entre les établissements relevant de la direction diocésaine .

  • Obligation de reclassement / spécialisation d'une entreprise au sein d'un groupe

- Cass. soc., 8 juillet 2008, n° 06-45.934, M. Bruno Quenum, F-D (N° Lexbase : A6207D9R) : la spécialisation d'une entreprise au sein d'un groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu, au niveau duquel doivent être appréciées les difficultés économiques. Pour dire que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de ses demandes, la cour d'appel a retenu, à tort, que la société A. faisait partie du groupe I. comprenant 90 sociétés et ayant quatre divisions dont celle des technologies de l'industrie automobile, elle-même divisée en trois secteurs d'activités dont celui des pinces à souder, qu'elle avait pour activité la soudure par résistance des pièces mécaniques pour le secteur automobile, et, notamment, la pince à souder, activité très spécialisée, et, qu'en raison de cette spécificité du marché, les difficultés économiques devaient être appréciées au niveau de l'entreprise. La cour d'appel a violé l'article L. 321-1, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K) devenu L. 1233-4 .

  • Centre d'aide par le travail / compétence de la juridiction administrative

- Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.961, Etablissement public Le Roc Castel-Centre d'aide par le travail, FS-D (N° Lexbase : A6208D9S) : il appartient au juge, saisi d'un litige opposant un établissement public à l'un de ses agents contractuels, de rechercher s'il s'agit d'un établissement public administratif ou d'un établissement public à caractère industriel et commercial, ce caractère s'appréciant au regard de son objet, de l'origine de ses ressources et de ses modalités de fonctionnement. Pour déclarer la juridiction judiciaire compétente, l'arrêt énonçait, à tort, qu'eu égard à ses modalités de fonctionnement, le CAT, dans lequel le salarié s'est trouvé affecté, constituait un EPIC, qu'en effet son objet est d'assurer la réinsertion professionnelle des travailleurs handicapés en commercialisant auprès du public des produits ou des services intéressant divers domaines soumis au libre jeu de la concurrence. En statuant comme elle l'a fait, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un EPIC, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor, an III et l'article L. 315-1 du Code de l'aide sociale (N° Lexbase : L4966DK7) .


* Cf. première sélection (N° Lexbase : N6601BGL).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La revanche de la faute inexcusable face au non-professionnel de l'amiante ?

Réf. : Cass. civ. 2, 3 juillet 2008, n° 07-18.689, M. Robert Lemire, F-P+B (N° Lexbase : A4964D9Q)

Lecture: 5 min

N6822BGR

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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les liens entre faute inexcusable et amiante sont anciens. La définition de la faute inexcusable retenue par la Cour de cassation, depuis 2002, a été élaborée à l'occasion d'affaires relatives à l'amiante (1). De très nombreuses décisions postérieures ont mis en scène le couple faute inexcusable-amiante. Toutefois, la Cour de cassation a régulièrement précisé qu'elle n'entendait pas reconnaître un lien totalement indéfectible entre faute inexcusable et amiante. Ainsi, dans plusieurs décisions rendues le 14 septembre 2004 (voir ci-après), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clairement affirmé qu'un salarié peut voir la maladie dont il souffre être qualifiée de maladie professionnelle parce qu'elle est due à l'amiante, sans pour autant que soit systématiquement retenue la faute inexcusable de l'employeur. N'entendant manifestement pas leur laisser ce terrain complètement libre, la Cour de cassation exerce un contrôle sur les juges du fond et les décisions de ces derniers, qui pourraient passer outre sa conception de l'articulation entre faute inexcusable et amiante. Or, depuis plusieurs années, la Cour de cassation a manifesté une tendance à privilégier une appréciation in concreto de la faute inexcusable, au détriment d'une appréciation in abstracto, pourtant a priori plus adaptée à la définition de la faute inexcusable consacrée en 2002.

Privilégiant donc une appréciation in concreto de la faute inexcusable, la Cour de cassation a régulièrement écarté cette qualification à l'égard d'employeurs non-professionnels de l'amiante (I). Dans un arrêt en date du 3 juillet 2008, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation semble faire évoluer sa position et rend une décision manifestement moins favorable que par le passé aux employeurs non-professionnels de l'amiante. En effet, dans cette affaire mettant en cause un employeur non-professionnel de l'amiante, la deuxième chambre civile censure la décision des juges du fond qui ont écarté la qualification de faute inexcusable sans rechercher si, compte tenu, notamment, de son importance, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié, l'employeur n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel il était exposé (II).


Résumé

Alors même qu'une entreprise n'utilisait pas l'amiante comme matière première et ne participait pas à l'activité industrielle de fabrication ou de transformation de l'amiante, son importance, la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté un salarié devaient conduire les juges du fond à rechercher si elle n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel ce salarié était exposé, pour, éventuellement, retenir la qualification de faute inexcusable.

Commentaire

I - L'importance de la spécialité de l'employeur dans la reconnaissance de sa faute inexcusable

En parfaite conformité avec la définition retenue depuis 2002, la Cour de cassation affirme régulièrement que la qualification de faute inexcusable ne saurait être retenue à l'encontre de l'employeur que lorsque celui-ci avait ou aurait dû avoir connaissance des risques et n'a pas pris les mesures qui s'imposaient pour préserver ses salariés Ainsi, la Haute juridiction rappelle régulièrement que faute inexcusable et amiante sont indépendantes et qu'aucune présomption de faute inexcusable ne saurait être tirée du seul lien de la maladie avec l'amiante (2).

Cependant, si le lien entre faute inexcusable et amiante n'est pas indéfectible, il ne saurait être trop rapidement écarté ou remis en cause. Ainsi, les juridictions sont régulièrement confrontées à des contentieux relatifs à l'articulation entre faute inexcusable et amiante. Plus précisément, il s'agit, souvent, pour les juges du fond, de déterminer si un employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger que l'amiante pouvait faire courir à l'un ou plusieurs de ses salariés. Or, il semble que la Cour de cassation n'ait pas une position toujours très claire en la matière ou, pour le moins, pas une position en parfaite adéquation avec la définition de la faute inexcusable qu'elle a, elle-même, dégagée en 2002.

En effet, plusieurs décisions ont pu montrer que, à propos de l'appréciation de l'existence d'une faute inexcusable leur incombant, la Cour de cassation entendait retenir une certaine clémence envers des employeurs non-professionnels de l'amiante. Tel fut, notamment, le cas dans une série d'arrêts rendus par la deuxième chambre civile le 14 septembre 2004 (3). Ainsi, par exemple, dans l'une des décisions évoquées (Cass. civ. 2, 14 septembre 2004, n° 03-30.089, F-D N° Lexbase : A3862DDE), écartant la faute inexcusable de l'employeur, la deuxième chambre civile insistait sur le fait que "l'amiante n'avait été utilisée comme protection que lors de trois essais [...] et que la SEP, non spécialiste de l'amiante, prenait des mesures de sécurité très importantes". La qualité de spécialiste, ou non, de l'amiante semblait influer très fortement l'appréciation de la conscience du danger (4).

Probablement même trop fortement : en effet, la définition de la faute inexcusable retenue depuis 2002 n'opère pas de distinction entre les employeurs spécialistes, ou non, de l'amiante, ni entre les employeurs producteurs ou transformateurs de l'amiante et les employeurs "simples" utilisateurs de l'amiante. Comme d'aucuns ont pu le relever, la Cour de cassation a, souvent, paru ajouter une condition à la définition de la faute inexcusable posée en 2002.

II - L'atténuation de la distinction entre employeurs professionnels et non-professionnels de l'amiante

La décision rendue le 3 juillet 2008 paraît atténuer la tendance qui marquait, jusqu'alors, la jurisprudence de la Cour de cassation. En l'espèce et comme les juges du fond purent le rappeler, s'il n'était pas contesté que, pour les besoins de son activité, la société EDF avait utilisé des éléments contenant de l'amiante, "cette société n'utilisait pas l'amiante comme matière première et ne participait pas à l'activité industrielle de fabrication ou de transformation de l'amiante". La qualité de "non-professionnel de l'amiante" ou de "non-spécialiste" de l'employeur était, ici, donc incontestable. Pourtant, et de manière assez significative à notre sens, la deuxième chambre civile ne reprend pas ces expressions sous sa plume. Il faut manifestement y voir sa volonté d'abandonner toute distinction supplémentaire, qui viendrait brouiller la définition de la faute inexcusable retenue depuis 2002.

La décision du 3 juillet 2008 mérite d'être approuvée en ce qu'elle paraît être en meilleure conformité avec la définition de la faute inexcusable retenue en 2002. En effet, si les décisions rendues en 2002 envisageaient les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués, elles visaient, également, les maladies professionnelles contractées du fait des produits utilisés par l'entreprise. La volonté de la Cour de cassation de se rapprocher de la définition de la faute inexcusable retenue en 2002 est renforcée par la référence à l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) effectuée en visa. Les distinctions qui étaient opérées entre employeurs, spécialistes, ou non, de l'amiante, faisaient courir le risque d'une remise en cause du caractère d'obligation de résultat attaché à l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur.

Nonobstant, la Cour de cassation n'abandonne pas les juges du fond. Si elle ne semble plus convaincue par la distinction entre employeurs selon leur spécialité, elle propose, cependant, aux juges du fond des critères d'appréciation de la faute inexcusable de l'employeur. Plus exactement, la deuxième chambre civile censure les juges du fond pour ne pas avoir recherché si l'employeur n'aurait pas dû avoir conscience du danger, "compte tenu, notamment, de son importance, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté son salarié". La référence, en visa, à l'article L. 230-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8438HNT, art. L. 4121-1, recod. N° Lexbase : L1754HXA) est, là encore, significative. On retrouvera assurément ces éléments dans les arrêts à venir à propos de la faute inexcusable de l'employeur....


(1) Voir, à ce titre, la série de décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 28 février 2002. Notamment, Cass. soc., 28 février 2002, 6 arrêts, n° 99-21.255, Société Eternit industrie c/ M. Christophe Gaillardin, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0773AYB) ; n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI) ; n° 00-11.793, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI) ; n° 99-18.389, Société Eternit industries c/ Mme Marie-Louise Delcourt-Marousez, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0766AYZ) ; n° 99-17.201, Société Valeo c/ Mme Monique Rabozivelo, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0761AYT) ; n° 00-13.172, Société Everite c/ M. André Gerbaud, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0610AYA) et les obs. de V. Boccara, Amiante : la reconnaissance par la Cour de cassation du caractère inexcusable de la faute de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 13 du 6 mars 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2210AA4).
(2) Dans le même sens, v., notamment, Cass. civ. 2, 31 mai 2006, n° 04-30.654, Mme Annick Lepineau, épouse Freulon c/ Société Renault Le Mans, F-P+B+R (N° Lexbase : A7437DP7) et nos obs., Amiante : l'innocuité des tableaux de maladies professionnelles sur la preuve de la faute inexcusable de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9613AKA).
(3) v. Cass. civ. 2, 14 septembre 2004, n° 03-30.263, Mme Edith Chazal c/ Société Valeo embrayages, F-D (N° Lexbase : A3866DDK) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Du nouveau sur la faute inexcusable de l'employeur : clémence affirmée envers les non-professionnels de l'amiante !, Lexbase Hebdo n° 136 du 29 septembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2913ABI).
(4) Dans le même sens, v., également, Cass. civ. 2, 31 mai 2006, n° 05-17.737, Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8650DP3) ; Cass. civ. 2, 2 mai 2007, n° 06-13.785, M. Jérôme Wargnies, F-D (N° Lexbase : A0656DW9).

Décision

Cass. civ. 2, 3 juillet 2008, n° 07-18.689, M. Robert Lemire, F-P+B (N° Lexbase : A4964D9Q)

Cassation, CA Douai, ch. soc., 29 juin 2007

Textes concernés : C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; C. trav., art. L. 230-2 (N° Lexbase : L8438HNT, art. L. 4121-1, recod. N° Lexbase : L1754HXA) ; CSS, art. L. 461-1 (N° Lexbase : L5309ADY) et L. 452-2 (N° Lexbase : L5301ADP)

Mots clefs : amiante ; maladie professionnelle ; faute inexcusable de l'employeur ; indemnisation complémentaire ; conscience du danger.

Lien base :

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Procédure civile

[Textes] Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile

Réf. : Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I)

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N6679BGH

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par Etienne Vergès, Professeur agrégé à l'Université de Grenoble

Le 07 Octobre 2010

La prescription de l'action en justice constitue, au sens de l'article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2068ADX), une fin de non-recevoir dont les principales règles figuraient pourtant dans le Code civil aux articles 2219 et suivants (N° Lexbase : L2507ABH). A vrai dire, il n'existe pas une, mais plutôt deux prescriptions, qui ne produisent pas les mêmes effets juridiques et sont de natures très différentes : d'une part, la prescription extinctive, véritable règle de procédure, qui éteint l'action en justice et, d'autre part, la prescription acquisitive, règle de droit substantiel, qui opère directement sur le droit de propriété. Présent dans le Code civil depuis 1804, les principes du droit de la prescription ont progressivement été concurrencés par de multiples règles légales ou jurisprudentielles qui ont précisé le régime de la prescription, mais surtout qui ont ajouté au dispositif initial de nombreuses dérogations. Plusieurs instances se sont attaquées à la réforme de la prescription civile pour tenter de dégager une théorie générale et d'adapter le régime de la prescription aux réalités actuelles. En premier lieu, la commission dite "Catala" proposa un avant-projet de réforme du droit de la prescription à la suite de l'avant-projet consacré au droit des obligations. Le rapport "Catala" fut remis au Garde des Sceaux en septembre 2005. En second lieu, la mission d'information de la commission des lois du Sénat remit, en juin 2007, un rapport d'information n° 338 intitulé "Pour un droit de la prescription moderne et cohérent". Il proposait une analyse approfondie et une réforme des prescriptions civile et pénale. Les recommandations de ces deux instances ont été partiellement reprises pour la matière civile. Le droit de la prescription pénale nécessitant une réforme du Code de procédure pénale, il n'entrait pas dans le champ de la loi du 17 juin 2008. La réforme concerne donc principalement le Code civil. Refonte du Code civil. Le livre III du Code civil comporte, désormais, un titre XX consacré à la prescription extinctive et un titre XXI consacré à la possession et à la prescription acquisitive. La réforme procède à un profond bouleversement de la numérotation des articles et la fameuse présomption de propriété mobilière n'est, désormais, plus logée à l'article 2279 du Code civil (N° Lexbase : L7198IAT), mais à l'article 2276 (N° Lexbase : L7197IAS). Par ailleurs, certaines dispositions relatives à la responsabilité du constructeur ou du sous-traitant ont été ventilées dans les parties du code qui leur son dédiées.

Définitions. Sur le fond, la réforme met un terme à la controverse sur la distinction entre prescriptions extinctive et acquisitive en choisissant de les séparer nettement et de donner à chacune une définition. La prescription extinctive est "un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps" (C. civ., art. 2219 N° Lexbase : L7189IAI) et la prescription acquisitive est "un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi" (C. civ., art. 2258 N° Lexbase : L7194IAP).

Le délai préfix. Restait à clarifier la situation du délai préfix. Constatant que le fondement, la nature et le régime juridiques des délais préfix étaient particulièrement complexes, le législateur a préféré ne pas légiférer sur ce délai. L'article 2220 du Code civil (N° Lexbase : L7188IAH) prévoit donc que "les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre". On peut avoir, à l'égard de cette disposition, un sentiment de travail inachevé. Comment, en effet, légiférer sur la prescription extinctive en ignorant le délai préfix qui en est un proche parent ? Le Parlement a reculé devant la lourdeur de la tâche qui consistait à recenser la grande diversité de délais préfix et d'en dégager un régime commun. On peut le regretter.

Le régime procédural de la prescription. Le législateur a repris certaines dispositions du Code de 1804 en prévoyant, par exemple, que "les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription" ou que "sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel". Ces dispositions, qui s'appliquent à la prescription extinctive, auraient pu être transportées dans le Code de procédure civile par voie réglementaire. Elles sont restées dans le Code civil.

De même, les dispositions relatives à la renonciation à la prescription extinctive ne sont pas modifiées sur le fond mais subissent quelques retouches. Sans entrer dans le détail, on peut citer les nouvelles dispositions :

"Art. 2250. -Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation." (N° Lexbase : L7172IAU)

"Art. 2251. -La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription." (N° Lexbase : L7171IAT)

"Art. 2252. -Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise." (N° Lexbase : L7170IAS)

"Art. 2253. -Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce". (N° Lexbase : L7169IAR)

Par ailleurs, la réforme a permis de clarifier la nature juridique de la prescription extinctive en précisant qu'elle a pour effet "d'éteindre un droit". Cette solution n'était pas évidente dans le Code de 1804 et l'on pouvait se demander si la prescription extinctive produisait un effet sur l'action en justice (le droit d'agir) ou sur le droit substantiel lui-même. La controverse est aujourd'hui vidée puisque le Code civil prévoit que le droit substantiel est éteint. Cet effet soulève une autre question : celle du paiement d'une obligation effectué après la prescription. Dans ce cas, le droit étant éteint, le paiement n'a plus de fondement juridique et il devrait logiquement être soumis à répétition. La doctrine a, toutefois, considéré que le paiement d'une dette prescrite correspondait à une obligation naturelle. La réforme entérine cette solution à l'article 2249 (N° Lexbase : L7173IAW) qui dispose : "le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré".

A la lecture de cette présentation liminaire, on mesure la portée de la réforme dont l'objectif était de moderniser le droit de la prescription sans le bouleverser. Certaines règles sont inchangées, d'autres sont précisées, d'autres, encore, consacrent des solutions jurisprudentielles ou tranchent des controverses. Cet esprit général domine toute la loi qui peut être découpée en trois parties : les délais (I), la computation des délais (II) et l'aménagement contractuel de la prescription (III).

I - Les délais de prescription

A - Les prescriptions extinctives

1. Les nouveaux délais

Un nouveau délai de droit commun. Le principal aménagement de la réforme consiste à réduire le délai de droit commun de 30 ans à 5 ans. Derrière cette modification d'ampleur se cache une réalité plus complexe qui se traduit d'abord par deux principes complémentaires ainsi énoncés :

"Art. 2224. -Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". (N° Lexbase : L7184IAC)

"Art. 2227. - Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". (N° Lexbase : L7182IAA)

La grande majorité des actions (personnelles ou mobilières) sont ainsi régies par le nouveau délai de droit commun de 5 ans. Par ailleurs, le point de départ de la prescription est harmonisé. Il correspond au jour où celui qui agit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action en justice. La solution est donc, ici, favorable au demandeur qui est resté dans l'ignorance d'une situation de fait préjudiciable pendant de nombreuses années. Par ailleurs, les actions réelles et immobilières (action en revendication de propriété par exemple) ne subissent pas de modification de délai, lequel demeure de 30 ans. Le point de départ de la prescription est aligné sur celui des actions personnelles ou mobilières.

Le délai de droit commun (5 ans) est étendu au droit commercial (modification de l'article L. 110-4). On comprendrait mal, en effet, qu'une matière dans laquelle la rapidité est l'un des éléments moteurs, connaisse une prescription plus longue qu'en matière civile.

La réforme de la prescription civile emporte donc un phénomène d'harmonisation que l'on retrouve en droit du travail puisque l'article L. 3245-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7244IAK) prévoit que "l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du Code civil".

Le maintien de multiples exceptions. La loi du 17 juin 2008 a pour effet de moderniser la prescription et son ambition n'est donc pas de remettre en cause les délais dérogatoires qui se justifient par des situations particulières. Pour autant, le respect de ces spécificités a nécessité plusieurs dispositions de coordination. Nous nous contenterons de citer les principales.

- En droit de la famille, les actions en nullité du mariage des articles 184 (N° Lexbase : L7237IAB) et 191 (N° Lexbase : L7238IAC) du Code civil se prescrivent par 30 ans à compter de la célébration.

- En droit de la responsabilité civile, les actions "nées à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel" se prescrivent par 10 ans à compter de la "date de la consolidation du dommage initial ou aggravé" que la responsabilité soit contractuelle ou délictuelle. Ce délai est porté à 20 ans lorsque le fait générateur est un acte de torture ou de barbarie, un acte de violence ou une agression sexuelle commis sur mineur (C. civ., art. 2226 N° Lexbase : L7212IAD). L'harmonisation en matière de responsabilités contractuelle et délictuelle est souhaitable. En revanche, on se retrouve avec une nouvelle distinction entre responsabilité d'un dommage corporel (10 ans) et responsabilité d'un dommage autre que corporel (matériel, c'est certain, mais moral ?). La distinction entre dommage à la personne et dommage aux biens aurait constitué, ici, une délimitation plus judicieuse à la fois sur le fond, et sur la précision des concepts.

- Les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants se prescrivent par 10 ans à compter de la réception des travaux (C. civ., art. 1792-4-3 N° Lexbase : L7190IAK).

- L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par 5 ans à compter de la fin de leur mission (C. civ., art. 2225 N° Lexbase : L7183IAB).

- Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le Code de l'environnement se prescrivent par 30 ans à compter du fait générateur du dommage (C. envir., art. L. 152-1 N° Lexbase : L7241IAG).

- L'exécution de certains titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant 10 ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long (art 3-1, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution).

2. Les délais inchangés

Par principe, la réforme du droit commun de la prescription n'a pas eu pour effet de modifier les délais spéciaux prévus dans des dispositions particulières du Code civil ou d'autres codes. Cette solution qui découle de l'adage legi speciali per generalem non derogatur est mentionnée expressément dans l'exposé des motifs et dans les travaux parlementaires.

Par ailleurs, tout en procédant à des harmonisations formelles, le législateur à maintenu certaines règles de prescriptions spéciales.

Par exemple, l'action des marchands contre les particuliers non marchands de l'article 2272 du Code civil devient l'action des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs. Le délai de 2 ans est maintenu pour la prescription de cette action (C. consom., art. L. 137-2 N° Lexbase : L7231IA3).

De même, l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction conserve son double régime antérieur à la loi mais la formulation de l'article 10 du Code de procédure pénale est modifiée ainsi : "lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du Code civil".

B - Les prescriptions acquisitives

Le lien entre possession et prescription acquisitive se maintient puisque le Code civil contient, désormais, un titre XXI du livre III intitulé "De la possession et de la prescription acquisitive".

Globalement, la réforme reprend pratiquement in extenso les précédents articles de sorte que le régime de la prescription acquisitive est très peu modifié.

On note, toute de même, quelques actualisations terminologiques. Par exemple, le terme "chose" est remplacé par l'expression "biens et droits" à l'article 2267 (N° Lexbase : L7205IA4) ainsi rédigé : "les héritiers de ceux qui tenaient le bien ou le droit à quelqu'un des titres désignés par l'article précédent ne peuvent non plus prescrire". De même, le "fermier" des articles 2266 (N° Lexbase : L7191IAL) et 2269 (N° Lexbase : L7203IAZ) devient un "locataire".

La modification la plus notable est celle de l'article 2272 du Code civil (N° Lexbase : L7195IAQ) concernant le délai de la prescription acquisitive en matière immobilière. Le délai de droit commun demeure de 30 ans mais le délai d'acquisition de bonne foi et par juste titre d'un bien immeuble est de dix ans. Est, ainsi, supprimée la distinction entre 10 et 20 ans selon que le propriétaire habitait ou non dans le ressort de la cour d'appel de la situation du bien immeuble.

Pour le reste, le régime de la prescription acquisitive suit celui de la prescription extinctive prévu par les articles 2228 à 2254, de sorte que la computation du délai de prescription suit un régime unique (cf. infra sur la computation des délais).

C - Les principes de droit transitoire en matière de délai de prescription

L'application dans le temps des réformes de la prescription extinctive fait surgir d'importantes difficultés. En effet, lorsque la prescription n'est pas acquise, on se demande quel est le délai qui prévaut et le principe d'application immédiate des lois de procédure mérite d'être précisé. La jurisprudence a, ainsi, fixé des principes d'entrée en vigueur des lois de prescription qui distinguent selon que le nouveau délai est plus long ou plus court que l'ancien. Cette distinction est reprise par le législateur sous la forme de deux principes :

- Premier principe issu de l'article 2222, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L7186IAE) : "La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé".

Par exemple, un délai de 5 ans court à partir du 1er janvier 2001. Une loi nouvelle entrée en vigueur au 1er janvier 2003 qui allonge le délai à 10 ans s'applique immédiatement à la prescription qui court encore. Le nouveau délai de 10 ans sera prescrit au 1er janvier 2011 (il est tenu compte du délai déjà écoulé depuis le 1er janvier 2001).

- Second principe issu de l'article 2222, alinéa 2, du Code civil : "en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".

Par exemple, un délai de 10 ans court à compter du 1er janvier 2001. Un nouveau délai de 5 ans entre en vigueur au 1er janvier 2003. Ce nouveau délai s'applique à compter du 1er janvier 2003. La prescription est acquise au 1er janvier 2008 (5 ans après l'entrée en vigueur de la loi).

Si le nouveau délai entre en vigueur au 1er janvier 2008, la durée totale de la prescription ne peut dépasser 10 ans (loi antérieure), et la prescription est acquise au 1er janvier 2011. Dans ce cas, le nouveau délai de 5 ans ne produit pas son plein effet car il ne peut conduire à allonger la prescription au-delà de 10 ans.

La combinaison des deux règles est complexe mais elle permet, d'une part, de faire prévaloir le nouveau délai sur l'ancien (application immédiate de la loi nouvelle de procédure) et, d'autre part, de ne pas conduire à un allongement trop important de la durée de la prescription qui proviendrait d'une accumulation de l'ancien et du nouveau délai (la prescription pourrait alors courir durant 15 années dans l'exemple ci-dessus).

Enfin, le législateur a pris soin d'aménager, dans une disposition transitoire spéciale (article 26 de la loi), l'application dans le temps des dispositions qui allongent ou raccourcissent des délais. Les deux principes énoncés ci-dessus y sont repris. Le législateur a, par ailleurs, précisé que "lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation".

II - La computation des délais de prescription

Les règles relatives aux délais de prescription peuvent être profondément modifiées par celles qui déterminent le point de départ, les causes d'interruption ou celles de suspension de la prescription. Ainsi, en décalant le début de la prescription, ou en l'interrompant, on parvient à en reculer le terme de sorte que l'on peut évoquer, pour certaines actions, une véritable imprescriptibilité. Le législateur a voulu tout à la fois clarifier les règles de computation des délais et faire en sorte qu'une date butoir ne puisse être dépassée.

A - Les principes

La loi précise d'abord que "la prescription se compte par jours, et non par heures" (C. civ., art. 2228 N° Lexbase : L7213IAE) et qu'elle "est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli" (C. civ., art. 2229 N° Lexbase : L7214IAG). Rien n'est, en revanche, précisé s'agissant du point de départ traditionnellement désigné comme dies a quo et écarté du décompte du délai. On retrouve en réalité ici les dispositions du Code de 1804 (C. civ., art. 2260 N° Lexbase : L2546ABW et 2261 N° Lexbase : L2547ABX). Il faut donc considérer que les solutions antérieures de décompte du délai ne sont pas modifiées.

Le Code civil définit, ensuite, la suspension de la prescription comme celle qui "en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru" (C. civ., art. 2230 N° Lexbase : L7215IAH) et l'interruption comme celle qui "efface le délai de prescription acquis" et "fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien" (C. civ., art. 2231 N° Lexbase : L7216IAI). Cette dernière précision est importante car le législateur a souhaité mettre un terme à la jurisprudence qui procédait à une interversion de prescription après une interruption. Ainsi, lorsqu'un court délai était interrompu, la jurisprudence avait pris l'habitude d'y substituer le délai de droit commun (30 ans), sans que l'on comprenne vraiment le fondement de cette interversion. Il est donc acquis aujourd'hui que le délai qui recommence à courir après une interruption est identique au délai initial.

Enfin, les mécanismes de prolongation des effets de la prescription (report du point de départ, suspension ou interruption) ne peuvent avoir pour conséquence de prolonger la durée de la prescription au delà de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit (C. civ., art. 2232 N° Lexbase : L7217IAK). Ainsi, le Code civil pose, par principe, une durée butoir de la recevabilité de l'action en justice de façon à garantir une certaine sécurité juridique. Ce principe connait des exceptions, notamment pour les prescriptions trentenaires, mais encore, par exemples, pour les actions en responsabilité civile ou encore pour les actions relatives à l'état des personnes.

B - Suspension du délai et report du point de départ

Ces deux mécanismes sont traités par le Code civil dans une même section. Certaines causes produisent un simple report du point de départ ou une simple suspension. D'autres causes produisent un double effet de report et de suspension.

1. Le point de départ de la prescription "est retardé" dans plusieurs situations prévues par l'article 2233 du Code civil ([LXB=L7218IAL]) :

- à l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;

- à l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;

- à l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé.

Un report particulier a été aménagé en matière de discrimination. L'action en responsabilité se prescrit alors par 5 années à compter de la révélation de la discrimination (1). Le point de départ est donc retardé au jour de la révélation.

2. Par ailleurs, le Code civil prévoit que la prescription "ne court pas ou est suspendue" dans un certain nombre de cas (C. civ., art. 2234 et s. [LXB=L7219IAM]) :

- contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure (C. civ., art. 2234). C'est ici la reprise du vieil adage contra non valentem agere non currit praescriptio qui avait été consacré en jurisprudence dès le 19ème siècle ;

- contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement de créances périodiques (C. civ., art. 2235 N° Lexbase : L7220IAN) ;

- entre époux, ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité (C. civ., art. 2236 N° Lexbase : L7221IAP) ;

- contre l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net, à l'égard des créances qu'il a contre la succession (C. civ., art. 2237 N° Lexbase : L7222IAQ).

3. Enfin, le Code civil prévoit des causes de suspension simple :

- durant une procédure de médiation ou de conciliation civile, la prescription est suspendue. Si la recherche amiable d'une solution échoue, le délai minimum de l'action en justice est porté à 6 mois pour laisser aux parties un temps minimum de réflexion avant d'agir ;

- lorsqu'un juge fait droit à une mesure d'instruction avant tout procès (procédure de l'article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2260AD3), la prescription est à nouveau suspendue. De la même manière, le délai de prescription ne peut être inférieur à 6 mois à compter du jour où la mesure d'instruction est exécutée.

C - L'interruption de la prescription

L'interruption de la prescription ne connaissait pas de régime légal dans le code de 1804, de sorte que des solutions éparses avaient été posées en jurisprudence. Le code tente de rassembler les principales causes d'interruption.

La demande en justice. Tout d'abord, le Code civil rappelle (comme une évidence ?) que la demande en justice interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, mais il ajoute que l'effet interruptif concerne aussi une demande en référé, une demande portée devant une juridiction incompétente ou un acte de saisine annulé pour vice de procédure (C. civ., art. 2241). Il s'agit là d'une remise en cause, au moins partielle, de la jurisprudence sévère relative à l'effet interruptif de l'assignation (en application de l'article 53 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2782ADE). L'effet interruptif se poursuit jusqu'à l'extinction de l'instance de sorte que le demandeur n'est pas tenu de renouveler un acte manifestant sa volonté d'agir plusieurs fois au cours de l'instance lorsque le délai de prescription est court. En revanche, en cas de désistement d'action, de péremption d'instance, ou de rejet définitif de l'action, le Code civil précise que "l'interruption est non avenue". L'expression n'est pas très claire mais on pourrait en déduire que la demande n'a alors produit aucun effet interruptif et qu'une demande nouvelle ne pourrait être formée (en cas de péremption) que sous la réserve que la prescription initiale ne soit pas arrivée à son terme. La solution est, ici, plutôt sévère.

Les autres causes d'interruption. D'autres causes peuvent entrainer l'interruption de la prescription :

- la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait (C. civ., art. 2240 N° Lexbase : L7225IAT) ;

- un acte d'exécution forcée (C. civ., art. 2244 N° Lexbase : L7178IA4).

La pluralité de défendeurs. Par ailleurs, le Code civil aménage les hypothèses d'interruption en cas de pluralité de défendeurs :

- la demande en justice, l'acte d'exécution forcée ou la reconnaissance de la dette par l'un des débiteurs solidaires produit un effet interruptif à l'égard de tous les autres (C. civ., art. 2245 N° Lexbase : L7177IA3) ;

- de la même manière, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance de la dette interrompt le délai de prescription contre la caution (C. civ., art. 2246 N° Lexbase : L7176IAZ) ;

- la solution est différente s'agissant des héritiers. La demande en justice contre un héritier, ou la reconnaissance d'un droit par l'un des héritiers ne produit pas d'effet interruptif à l'égard des autres. Si une personne possède une créance sur une succession, elle est tenue d'agir contre tous les héritiers pour interrompre la prescription à leur égard. Dans le cas contraire, le créancier s'expose à être prescrit pour une partie de sa créance (plus précisément pour la part qui revient aux héritiers non interpelés).

III - L'aménagement contractuel de la prescription

Le Code civil de 1804 avait élaboré un mécanisme paradoxal s'agissant de la maîtrise de l'action par les parties. D'un côté, l'ancien article 2220 (N° Lexbase : L2508ABI) prévoyait que l'"on ne peut d'avance, renoncer à la prescription", d'un autre côté, la jurisprudence avait admis assez largement que le délai de prescription pouvait être réduit par convention. Sans constituer une véritable renonciation, cette réduction n'en était pas moins une atteinte au droit résultant de la prescription (2).

Ce paradoxe s'est amplifié avec la loi du 17 juin 2008. D'une part, l'article 2250 dispose que "seule une prescription acquise est susceptible de renonciation" (3), d'autre part, une section consacrée à l'aménagement conventionnel de la prescription a été introduite dans le code (C. civ., art. 2254 N° Lexbase : L7168IAQ). Il faut donc admettre, d'un côté, que la prescription civile n'est pas une règle d'ordre public, mais d'un autre côté, que les parties ne peuvent, par avance et par convention, réduire à néant une prescription légale, ce qui produirait les effets d'une renonciation anticipée.

Animé par cet esprit de compromis, le Code civil prévoit que "la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans". Par ailleurs, les parties peuvent créer des causes de suspension ou d'interruption qui n'ont pas été prévues par la loi.

Le principe de l'aménagement conventionnel subit plusieurs dérogations. Ainsi, toute modification par les parties est interdite :

- pour les créances à exécution successive (ou créances périodiques) (4) ;

- pour les contrats entre professionnels et consommateurs (C. consom., art. L. 137-1 N° Lexbase : L7232IA4) ;

- pour les contrats entre assureurs et assurés (C. assur., art. L. 114-3 N° Lexbase : L7234IA8).

- pour les contrats liant les mutuelles à leurs adhérents (C. mut., art. L. 221-12-1 N° Lexbase : L7235IA9).

Le législateur a ici affiché clairement une volonté de protection de certaines parties contre la tentative d'un professionnel, d'un employeur ou d'un assureur, de limiter les droits de son cocontractant en influant sur le délai d'action en justice.

L'aménagement contractuel de la prescription est donc très encadré par le biais de délais butoirs et de dérogations importantes. Il n'en reste pas moins que l'action en justice demeure, dans une large proportion, à la disposition des parties, avant même qu'un litige n'apparaisse.

Conclusion

Pour synthétiser cette importante réforme du droit de la prescription, on peut émettre d'abord une opinion positive en considérant que le législateur a fait preuve de rigueur et de pédagogie en proposant une véritable théorie de la prescription adaptée aux évolutions contemporaines de la société. On pourra regretter, toutefois, que certaines questions soient restées sans réponse législative (jour où la prescription commence à courir) ou que certains mécanismes aussi essentiels que la forclusion aient été totalement négligés. Enfin, mais peut-être était-ce trop ambitieux, on aurait pu attendre, comme l'avait envisagé la commission des lois du Sénat, une réforme d'ensemble des prescriptions civile et pénale. Une partie du travail est néanmoins réalisée. Il faut le saluer et s'en contenter provisoirement. Reste la question très académique de savoir à qui revient la charge, ou le privilège, d'aborder le droit de la prescription : l'enseignant de droit civil ou celui de procédure ? En maintenant le droit de la prescription dans le Code civil (5), le législateur a apporté une réponse qui ne saurait satisfaire le processualiste.


(1) Et non à compter de la date à laquelle la victime "aurait dû avoir connaissance" de la discrimination comme le veut désormais le principe.
(2) Celui de n'être plus actionné en justice.
(3) A contrario la prescription future ne peut faire l'objet d'une renonciation.
(4) Le code parle des actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.
(5) Plus précisément, la prescription extinctive qui constitue une fin de non-recevoir.

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - juillet 2008

Lecture: 10 min

N6705BGG

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédures fiscales, réalisée par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris. Osons le dire "sous l'abus de droit, la plage", même si les grains de sable restent parfois rugueux. En effet, les craintes de voir la définition juridique de l'abus de droit modifiée pour adopter "le but essentiellement fiscal", au lieu du "but exclusivement fiscal" semblent s'estomper au vu du rapport "Fouquet", rendu le 23 juin 2008. Cette chronique apporte également des précisions sur les conditions dans lesquelles le juge considère que l'obligation de motivation des redressements en matière de valeur est considérée comme remplie. Par ailleurs, il convenait de revenir sur l'instruction fiscale relative au recours de l'administration à des experts externes. Enfin, en matière de recouvrement, il sera traité de l'obligation de justification des poursuites de l'administration avant d'engager la responsabilité du dirigeant.
  • Procédure de répression des abus de droit : vers une redéfinition juridique de l'abus de droit ? Rapport "Fouquet" : "Améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche", juin 2008

Le rapport du Président de section au Conseil d'Etat, rapport issu des travaux du groupe de travail mis en place en octobre 2007 par le ministre du Budget, propose, entre autres mesures, une modernisation et une redéfinition juridique de l'abus de droit. Cependant la notion de but exclusivement fiscal ne serait pas remise en cause et remplacée par celle de but essentiellement fiscal.

1. Redéfinition de l'abus de droit

1.1. Définition actuelle

Les jurisprudences récentes du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour de justice des Communautés européennes ont conduit à un renouvellement de la définition jurisprudentielle de l'abus de droit. Ce qui a semé le trouble dans l'esprit des contribuables et de leurs conseils. La définition actuelle de l'abus de droit, codifiée sous l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U), est issue pour l'essentiel de la loi "Aicardi" de 1987 (loi n° 87-502, du 8 juillet 1987, modifiant les procédures fiscales et douanières N° Lexbase : L9705AUY). Selon ce texte, "ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffres d'affaires correspondant aux opérations effectués en exécution d'un contrat ou d'une convention". L'interprétation de ce texte par le juge en a fait évoluer le contenu pour aboutir à deux critères alternatifs, d'une part, la fictivité, résultant du texte lui-même, et, d'autre part, le but exclusivement fiscal, hypothèse de la fraude à la loi.

1.2. Vers une définition retenant un but essentiellement fiscal ?

La question de l'évolution vers le but essentiellement fiscal repose sur la jurisprudence communautaire. Cependant, la portée de cette jurisprudence, rendue en matière de TVA, est incertaine. Certaines décisions se réfèrent au but essentiellement fiscal, d'autres au but exclusivement fiscal (CJCE, 21 février 2008, aff. C-425/06, Ministero dell'Economia e delle Finanze, anciennement Ministero delle Finanze c/ Part Service Srl, société en liquidation, anciennement Italservice Srl N° Lexbase : A0006D7D ; CJCE, 22 mai 2008, aff. C-162/07, Ampliscientifica Srl c/ Ministero dell'Economia e delle Finanze N° Lexbase : A6664D8C). Au motif de cette absence de fixité de la jurisprudence européenne, le groupe de travail ne propose pas la substitution de la notion de but exclusif par celui de but essentiel. En effet, selon les membres de ce groupe, cette modification entraînerait des difficultés en termes de gestion de procédure. Il serait délicat de chercher à pondérer l'importance relative des différents motifs qui ont pu présider à une opération quand il est bien plus objectif de rechercher l'existence d'un motif non fiscal pour exclure l'abus de droit. Les auteurs considèrent donc que l'introduction du but essentiellement fiscal serait une régression importante au regard de la sécurité juridique. Ils proposent de réécrire l'article L. 64 ainsi : "Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposable, les actes constitutifs d'abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par les auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
En cas de désaccord, sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification"

2. Amélioration de la procédure

La procédure actuelle ne visant que certains impôts, droits d'enregistrement, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TVA, ISF et taxe professionnelle, mais s'appliquant, selon les juges, hors de ce champ, il en découle, pour les impôts non visés par le texte actuel, une absence de garanties au profit des contribuables. Le groupe de travail propose donc d'unifier la procédure quel que soit l'impôt concerné. De même, il est proposé de revoir la composition du Comité et son mode de fonctionnement. Ainsi, tout d'abord, sa composition serait modifiée pour inclure, outre deux conseillers d'Etat et deux conseillers à la Cour de cassation, la présence d'un notaire, d'un expert comptable et, le cas échéant, d'un avocat. En second lieu, il serait prévu que la procédure suivie devant le Comité serait contradictoire, même si, actuellement le Président dispose de la possibilité de convoquer le contribuable pour une audition.

  • Contrôle fiscal : recours de l'administration à des experts externes (instruction du 19 mai 2008, BOI 13 B-1-08 N° Lexbase : X3146AEA)

L'administration vient de commenter les dispositions de la loi de finances rectificative pour 2006 (loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 N° Lexbase : L9270HTI), qui a étendu la possibilité pour l'administration fiscale de recourir à des experts externes pour l'exercice de ses missions d'étude, de contrôle, d'établissement de l'impôt ou d'instruction des réclamations. En effet, l'administration pouvait déjà recourir à un agent de l'Etat externe à l'administration fiscale, en vertu des dispositions des articles L. 45 A (N° Lexbase : L5589G4R) et L. 198 (N° Lexbase : L3888ALL) du LPF. Cependant, l'article L. 45 A limitait une telle consultation soit au cas où une procédure de contrôle requérait des connaissances particulières, soit au cas d'instruction de réclamations qui nécessitaient des connaissances techniques particulières. Ces articles étaient utilisés de façon marginale. La loi permet, désormais, aux services fiscaux de recourir à des experts du secteur privé. Ainsi, le champ des personnes auxquelles il peut être recouru, de même que les domaines au sujet desquels elles peuvent être sollicitées, sont considérablement élargis.

1. Conditions de recours à un expert externe

L'article L. 103 A du LPF (N° Lexbase : L3809HWY), qui se substitue aux articles L. 45 A et L. 198 A (N° Lexbase : L8479AER), permet à l'administration fiscale de solliciter toute personne de son choix dont l'expertise est susceptible de l'éclairer pour l'exercice de ses missions. Le recours à un expert externe public ou privé n'est plus limité au contrôle et au contentieux de certaines entreprises. Au-delà de ce domaine, une expertise externe peut-être sollicitée pour l'ensemble des missions exercées par le DGI. A titre d'exemple, l'instruction cite le cas de l'évaluation d'une entreprise dans le cadre d'un rescrit valeur, ou encore le cas d'évaluation d'actifs particuliers comme les droits d'auteur ou les bijoux et objets d'arts ou de collections. Or, on sait que ces deux derniers cas sont source de contentieux importants avec l'administration puisque, dans le premier cas, les méthodes retenues aboutissent à des résultats très différents, et dans le second, la notion de collection est un élément primordial.

2. Portée de l'expertise et secret professionnel

Selon l'instruction, l'expert a pour mission d'éclairer l'administration, sans s'y substituer, pour, selon le cas, notifier un redressement ou effectuer un contrôle. Cette expertise ne constitue qu'un simple avis. Si l'administration entend s'appuyer sur cette expertise, pour motiver des redressements ou justifier le rejet d'une réclamation, il lui est recommandé de communiquer une copie du rapport au contribuable. Enfin, l'instruction précise que la personne consultée est tenue au secret professionnel.

  • Recouvrement de l'impôt : justification des poursuites de l'administration avant d'engager la responsabilité solidaire du dirigeant (Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-13.690, F-P+B N° Lexbase : A9302D8Z)

En principe, le dirigeant d'une société ne peut être déclaré solidairement responsable de l'impôt dû par la société qu'il dirige sans qu'il soit constaté, outre ses agissements, que le service des impôts a été normalement diligent pour en assurer le recouvrement. A cet égard, dans l'hypothèse d'une société relevant du régime simplifié d'imposition en matière de TVA, le comptable public n'est pas tenu d'engager des poursuites chaque trimestre, au motif que la déclaration qui détermine la taxe due chaque année ou chaque exercice est la déclaration annuelle qui ne fait que reprendre les acomptes versés trimestriellement.

1. Impossibilité du recouvrement et agissements du dirigeant

Le dirigeant ne peut être tenu au paiement de la dette fiscale de la société, sur le fondement des articles L. 266 (N° Lexbase : L8282AEH) ou L. 267 (N° Lexbase : L3699HBM) du LPF, que dans la mesure où le recouvrement a été rendu impossible par son fait. Autrement dit, les tentatives de mise en recouvrement de la part du comptable public doivent avoir été mises en échec par les agissements du dirigeant de la société. Ainsi, l'article L. 267 ne peut être appliqué si n'est pas caractérisé le lien entre les manquements relevés et l'impossibilité du recouvrement (Cass. com., 16 juillet 1991, n° 89-19.792, M. Dagut c/ Receveur principal des impôts de Morcenx N° Lexbase : A3993ABI).

2. Diligences du service du recouvrement

Le juge ne peut appliquer l'article L. 267 du LPF sans rechercher si le service a exercé tous les contrôles lui incombant pour obtenir en temps utile le paiement des impositions dues par la société (Cass. com., 22 octobre 1991, n° 90-10.029, M. Rémy c/ Trésorier principal de Nancy N° Lexbase : A4059ABX). Ainsi, il est jugé que les diligences du service ne sont pas suffisantes si la procédure de régularisation n'a pas été immédiatement engagée lorsque les manquements aux obligations déclaratives concernent la TVA (Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-14.149, Receveur divisionnaire des impôts de Strasbourg Nord, Comptable chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur des services fiscaux du Bas-Rhin c/ M. René Meyer N° Lexbase : A9116C3Z). De même, commet une négligence dans le recouvrement le comptable qui délivre une mise en demeure près de deux ans après le mois à partir duquel la société avait cessé de payer la TVA (Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-13.889, M. Jean Pierre Boileau c/ Receveur des impôts de Sainte-Menehould, ayant ses bureaux 4, place du Marechal Leclerc, 51800 Sainte-Menehould N° Lexbase : A8000CPY). Ainsi, les diligences sont-elles appréciées par rapport à la date de dépôt de la déclaration dans laquelle le redevable aurait dû calculer les droits dus par lui. Or, s'agissant d'un redevable à la TVA ayant opté pour le régime simplifié (versement d'acomptes et déclaration annuelle CA 12), l'administration n'est pas tenue d'effectuer ses poursuites à la suite de la constatation de l'absence de dépôt d'acompte, mais uniquement en l'absence de dépôt de déclaration annuelle. En effet, cette dernière déclaration étant la seule qui soit prescrite par l'article 287, alinéa 3, du CGI (N° Lexbase : L8271AE3), les diligences ne pouvaient être appréciées qu'au regard de cette seule obligation et non au regard de l'absence de dépôt de déclaration trimestrielle.

  • Procédure de rectification : proposition insuffisamment motivée (Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.669, F-D N° Lexbase : A9367D8G)

N'est pas suffisamment motivée la notification de redressements qui, s'agissant de la valeur vénale d'un vignoble, ne comportait aucune indication relative aux caractéristiques des vignobles retenus par le service des impôts. Or, l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X) impose à l'administration de motiver ses propositions de redressements de manière à permettre au contribuable de présenter ses observations ou de faire connaître son acceptation.

1. La nécessité de motiver les redressements...

Pour l'application de l'article L. 57 du LPF, le juge a décidé, en matière de droits d'enregistrement, que l'administration est tenue de préciser le fondement du redressement en droit comme en fait, et spécialement de mentionner les textes sur lesquels elle s'appuie (Cass. com., 28 janvier 1992, n° 90-10.465, Epoux Wallyn c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A4676ABS). Cette motivation permet ainsi au contribuable d'engager utilement un débat contradictoire avec l'agent des impôts.

2. ... appliquée aux rehaussements de valeurs

On sait, que, sauf exception, les insuffisances de prix ou de valeurs sont établies par le recours à la méthode par comparaison. Dans la mise en oeuvre de cette méthode, l'obligation de motivation impose aux agents des impôts de mentionner les termes de comparaison avec suffisamment de précision afin de permettre au contribuable de pouvoir en discuter la pertinence. C'est sur le fondement de cette obligation que s'est appuyé le juge pour estimer que, pour contester l'évaluation retenue par les parties d'un vignoble situé en Champagne, l'administration aurait dû, outre la localisation, les références cadastrales, la surface et le prix à l'are des éléments de comparaison, indiquer leurs caractéristiques. En effet, selon le juge, ces caractéristiques qui conditionnent le classement des vignobles, étaient déterminantes pour justifier de la valeur et pour permettre de vérifier si les cessions invoquées portaient sur des biens similaires à celui à évaluer. Cette décision, comme les précédentes (Cass. com., 13 mars 2001, n° 98-15.179, Mme Annick Nahe c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A0055AT9 ; Cass. com., 18 avril 2000, n° 97-21.432, M. Bruno Pâques c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A3755CWY), également relatives à des vignobles, met en avant l'importance des obligations du service des impôts en fonction des particularités des biens à évaluer. En effet, un vignoble a une valeur très différente selon sa situation et ses caractéristiques propres et on ne voit pas comment la méthode par comparaison pourrait faire l'économie d'un rapprochement de ces caractéristiques. Ainsi, outre la situation géographique, la nature et la contenance, il est nécessaire de constater, pour chaque élément de comparaison invoqué, l'entretien, l'âge, l'échelle des crus et la conjoncture pour établir une valeur de marché. Cette exigence est identique en matière d'évaluation d'immeuble. La spécificité de chaque bien doit être prise en compte pour rechercher des éléments de comparaison pertinents. Ces spécificités sont ses caractéristiques physiques, matériaux de construction, date de construction, emplacement, sa conception intérieure, la surface habitable et les contraintes juridiques qui l'affectent (bail, servitude, etc.).

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Retour sur les conditions de la confirmation d'un acte nul

Réf. : Cass. civ. 3, 2 juillet 2008, n° 07-15.509, Société Bordeaux International School Scop, FS-P+B (N° Lexbase : A4899D9C)

Lecture: 4 min

N6733BGH

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Nul n'ignore que la théorie des nullités repose sur une distinction entre nullité absolue et nullité relative, distinction qui n'intéresse pas l'effet à proprement parler de la nullité (qui consiste toujours dans l'anéantissement rétroactif de l'acte), mais plutôt son régime et, notamment, la possibilité de confirmer l'acte annulable : alors, en effet, que l'acte nul de nullité absolue n'est susceptible d'aucune confirmation, l'acte nul de nullité relative est, lui, susceptible d'être confirmé par la ou les personnes qui auraient pu invoquer la nullité. Techniquement, la confirmation est l'acte juridique par lequel une personne qui peut demander la nullité d'un acte renonce à se prévaloir des vices dont celui-ci est entaché. Elle est règlementée aux articles 1338 (N° Lexbase : L1448ABA) à 1340 du Code civil, autrement dit au chapitre IV du titre III du livre III du Code, chapitre intitulé "De la preuve des obligations et de celle du payement", ce qui, au demeurant, peut paraître discutable dans la mesure où il faut certainement distinguer, d'une part, la confirmation envisagée comme un acte juridique de l'acte confirmatif comme acte instrumentaire, d'autre part, qui n'est qu'un mode de preuve de la confirmation (1). Toujours est-il que la confirmation obéit à certaines règles, des conditions, de fond notamment, devant être satisfaites pour qu'il soit ainsi possible de "sauver" l'acte nul. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 juillet dernier, à paraître au Bulletin, permet précisément d'y revenir.

En l'espèce, une société Scop Bis avait donné à une société Log'Immo, agent immobilier, mandat non exclusif de vendre un immeuble au prix de 390 000 euros, comprenant le montant de la commission, fixé à 15 000 euros. Quelques mois plus tard à peine, elle avait donné à une autre société, Immo Demolin, également agent immobilier, mandat non exclusif de vendre le même bien au prix de 401 000 euros, dont 19 000 euros de commission. Cette dernière société avait, le mois suivant, fait parvenir au mandant un compromis de vente au prix de 401 000 euros, signé par le gérant d'une société civile immobilière Audrey, qui se trouvait être également le gérant de la société Immo Demolin. Le mandant, la société Scop Bis, ayant informé la société Immo Demolin qu'il avait finalement retenu une autre offre négociée par son autre mandataire, lui a fait savoir qu'il n'entendait donc pas donner suite à l'offre de la SCI Audrey, et, par suite, qu'il résiliait le mandat. C'est dans ce contexte que la société Immo Demolin l'a assigné en paiement de dommages et intérêts correspondant au montant de la commission. On passera assez vite sur la première branche du premier moyen qui reprochait aux juges du fond d'avoir accueilli cette demande au motif que le mandataire n'était pas l'acquéreur du bien mais que cet acquéreur était la SCI Audrey, personne morale différente de la première même si elles ont toutes les deux le même dirigeant. La Cour de cassation exerce ici sa censure en faisant valoir "qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société Immo Demolin, mandataire, dont elle relevait qu'elle avait le même gérant et le même siège social que la SCI Audrey, ne s'était pas portée acquéreur, par personne morale interposée, du bien qu'elle était chargée de vendre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision". Autrement dit, la Cour suprême reproche aux premiers juges une insuffisance de motivation l'empêchant d'exercer son contrôle, étant précisé que, aux termes de l'article 1596 du Code civil (N° Lexbase : L6506HWU), "ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées [...] les mandataires, des biens qu'ils sont chargés de vendre".

Restait alors à trancher la question de savoir, à supposer que l'acte soit effectivement nul, de nullité relative, s'il n'avait pas fait l'objet d'une confirmation. Tel était l'objet de la seconde branche du moyen du pourvoi qui faisait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux d'avoir, pour accueillir la demande, considéré que, à supposer qu'une nullité puisse être encourue, il ne s'agirait que d'une nullité relative qui aurait été couverte par l'acquiescement du mandant qui ne pouvait prétendre ne pas avoir au moins fait le rapprochement entre le nom de l'agence à laquelle il avait donné un mandat de vente et le nom du représentant de son acquéreur, ces deux sociétés ayant au surplus leur siège à la même adresse. L'arrêt est cassé, sous le visa de l'article 1338 du Code civil. Après, en effet, avoir rappelé, en chapeau, la teneur de ce texte, aux termes duquel "l'acte de confirmation ou ratification d'une obligation contre laquelle la loi admet une action en nullité ou en rescision, n'est valable que lorsqu'on y trouve la substance de cette obligation, la mention du motif de l'action en rescision, et l'intention de réparer le vice sur lequel cette action est fondée", la Cour décide "qu'en statuant ainsi, alors que la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer et que la réalisation de ces conditions ne pouvaient résulter de la connaissance, avant la conclusion de l'acte, de l'identité de dirigeants de la société mandataire et de la société acquéreur, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

La solution ne doit pas surprendre. D'abord, quant au principe, il avait déjà été affirmé, d'une part, que la confirmation d'un acte nul ou lésionnaire exige à la fois la connaissance du vice affectant l'obligation et l'intention de le réparer et, d'autre part, que la Cour de cassation contrôle la réalisation de cette double condition (2). Ensuite, quant à la mise en oeuvre du principe, il est assez cohérent que la Cour décide, en l'espèce, que la connaissance, "avant la conclusion de l'acte", de l'identité de dirigeants de la société mandataire et de la société acquéreur ne permettait pas de satisfaire à la réalisation de cette double condition, la jurisprudence, d'ailleurs fidèle aux textes, exigeant en effet que la confirmation ne puisse intervenir "qu'après que le contrat a été conclu". La solution résulte non seulement de l'article 1338, alinéa 2, qui prévoit que l'exécution volontaire vaut confirmation tacite si elle intervient "après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée", mais aussi de l'article 1674 (N° Lexbase : L1784ABP) qui dispose qu'en cas de lésion de plus de sept douzièmes, le vendeur d'immeuble ne peut renoncer "dans le contrat" à son action en rescision. Enfin, la confirmation suppose que le titulaire de l'action en nullité ait connu le vice affectant l'acte et qu'il soit animé par "l'intention de réparer" dit l'article 1338, donc qu'il ait la volonté de renoncer à agir en nullité. Manifestement, ces conditions, quant au moment auquel doit intervenir la confirmation et quant aux qualités de l'acte, n'étaient pas remplies en l'espèce.


(1) Sur cette question, voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., n° 398.
(2) Cass. civ. 1, 11 février 1981, n° 79-15857, Dame Ferrand c/ Ferrand (N° Lexbase : A0053CHG), Bull. civ. I, n° 53.

newsid:326733

Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement disciplinaire : règles particulières

Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.053, Société Téléperformance France, FP-P+B (N° Lexbase : A4979D9B)

Lecture: 7 min

N6754BGA

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le pouvoir disciplinaire est le corollaire du pouvoir de direction de l'employeur. Il s'agit du pouvoir reconnu à l'employeur de sanctionner des actes qu'il considère comme fautifs commis par tous les salariés placés sous sa subordination. L'employeur dispose, en principe, d'une totale liberté en la matière, qu'il s'agisse du principe, mais, également, de la nature de la sanction. L'employeur, qui décide de licencier un salarié pour un motif disciplinaire, n'a donc, en principe, pas à justifier d'une sanction préalable. Comme le rappelle justement la Haute juridiction dans une décision du 1er juillet 2008, un fait fautif isolé peut justifier un licenciement. Cette solution, qui n'est pas nouvelle, permet de faire le point sur les particularités du licenciement pour motif disciplinaire.


Résumé

La commission d'un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à un avertissement préalable.

Commentaire

I - Régime du pouvoir disciplinaire de l'employeur

  • Teneur du pouvoir disciplinaire de l'employeur

La faute disciplinaire consiste en un agissement du salarié que l'employeur considère comme fautif (C. trav., art. L. 1331-1 N° Lexbase : L1858H9P).

Pour pouvoir recevoir cette qualification, le ou les faits doivent être imputables au salarié (Cass. soc., 11 juin 2003, n° 02-44.086, F-D N° Lexbase : A7311C8B) et, en principe, ils doivent consister en un manquement, par le salarié, à ses obligations professionnelles (Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370, M. Marino c/ Société Semitag N° Lexbase : A6367AGW). La première limite au pouvoir disciplinaire de l'employeur est la sphère professionnelle. Seuls les faits tirés de la vie professionnelle du salarié peuvent être retenus au soutien d'une sanction. Les faits tirés de la vie personnelle du salarié ne peuvent, en effet, être invoqués que de manière exceptionnelle, lorsque le comportement du salarié, compte tenu de la nature de ses fonctions et la finalité de l'entreprise, génère un trouble caractérisé dans cette dernière (Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 90-42.517, Mme Rossard c/ Société Robuchon et fils N° Lexbase : A3737AAN).

L'employeur est seul juge pour déterminer si le salarié a commis une faute disciplinaire et pour déterminer la gravité de la faute : légère, sérieuse, grave ou encore lourde (C. trav., art. L. 1331-1). C'est, encore, l'employeur qui décide du principe et de la nature de la sanction qui sera prise contre le salarié fautif.

  • Limites au pouvoir disciplinaire de l'employeur

Le pouvoir de l'employeur n'est, toutefois, pas absolu. Le législateur et la jurisprudence sont venus encadrer le pouvoir disciplinaire de l'employeur.

Le pouvoir de sanction de l'employeur se trouve, en premier lieu, limité a priori. Certaines sanctions sont, en effet, interdites. L'exercice d'un droit ne peut être sanctionné. Il en va, par exemple, ainsi, du droit d'expression, du droit d'agir en justice, du droit d'exercer une activité syndicale, du droit (normal) de grève.

Le législateur interdit, par ailleurs, les sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 1331-2 N° Lexbase : L1860H9R). Le principe non bis in idem trouve, ici, à s'appliquer (Cass. soc., 13 novembre 2001, n° 99-42.709, FS-P N° Lexbase : A0989AXW). Un même fait ne peut, ainsi, faire l'objet de deux sanctions.

Le pouvoir disciplinaire de l'employeur se trouve, en deuxième lieu, encadré. L'employeur est, d'une part, tenu de respecter les délais de prescription posés par le législateur. L'article L. 1332-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1867H9Z) prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance. Sauf si des poursuites pénales ont commencé, passé ce délai de deux mois, aucune procédure disciplinaire ne peut plus être engagée. L'employeur se voit, en outre, interdire d'invoquer, à l'appui d'une nouvelle sanction, une sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement de poursuites disciplinaires (C. trav., art. L. 1332-5 N° Lexbase : L1869H94). L'employeur doit, d'autre part, lorsqu'il sanctionne un salarié respecter la procédure disciplinaire mise en place par le législateur (C. trav., art. L. 1332-1 N° Lexbase : L1862H9T et L. 1332-2 N° Lexbase : L1864H9W).

Le pouvoir de sanction de l'employeur se trouve, en troisième lieu, limité a posteriori. La jurisprudence exerce un contrôle plus ou moins étendu sur l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire. Outre la régularité de la procédure, les juges du fonds contrôlent si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, ainsi que la proportionnalité de la sanction par rapport à la faute commise (C. trav., art. L. 1333-1 N° Lexbase : L1871H98 et L. 1333-2 N° Lexbase : L1873H9A).

En présence d'un licenciement, les pouvoirs des juges du fonds sont un tout petit peu différents, le contrôle porte, outre le respect de la procédure, sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement .

C'est cette particularité que rappelle la Haute juridiction aux juges du fonds dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, deux salariés avaient été licenciés pour faute grave, après avoir été surpris en train de fumer un "joint" dans la salle de pause fumeur de l'entreprise. Contestant cette sanction, ils avaient saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Pour confirmer la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse de la rupture prononcée, la cour d'appel, après avoir retenu la réalité de la consommation de substances illicites par les salariés, affirme qu'il appartenait à l'employeur de rappeler l'interdiction de fumer un "joint" par la notification d'une sanction et que, s'agissant d'un fait isolé, la sanction immédiate de la perte d'emploi, sans mise en garde préalable, apparaissait disproportionnée.

La Cour de cassation n'a pas la même analyse. Elle considère, à juste titre, que la commission d'un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu'il soit nécessaire qu'il ait donné lieu à un avertissement préalable.

Cette solution est parfaitement logique

II - Spécialité du licenciement disciplinaire

  • Un mélange des genres

Ce rappel à l'ordre des juges du fond s'imposait. Il n'existe, en effet, dans le Code du travail, aucune disposition imposant à l'employeur, qui souhaite licencier pour motif disciplinaire un salarié, de justifier avoir pris, au préalable, une sanction de moindre importance. Les juges ne peuvent pas, non plus, juger de la proportionnalité de la sanction prononcée.

Si la sanction prise par l'employeur dans la décision commentée n'avait pas été un licenciement, la solution rendue par les juges du fond n'aurait pas été cassée. Il leur était, en effet, possible de juger que la sanction était disproportionnée et de prononcer son annulation (Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-45.309, Société Roche c/ Mme Guillaumin N° Lexbase : A7869AHW, Bull. civ. V, n° 375).

Mais, en l'espèce, la sanction était un licenciement, et le licenciement, en tant que sanction disciplinaire, est traité, par la volonté du législateur, d'une manière particulière. Les juges ne peuvent ni l'annuler, ni décider de sa proportionnalité. Le pouvoir des juges en la matière est celui qui leur est reconnu par le droit commun du licenciement. L'article L. 1333-3 du Code du travail soustrait le licenciement pour motif disciplinaire du pouvoir de contrôle de droit commun de la sanction disciplinaire reconnu aux juges du fonds.

Dans ce cas, le contrôle des juges porte sur le respect de la procédure et l'existence d'une cause réelle et sérieuse . Les juges contrôlent, ainsi, outre la procédure, l'existence de faits fautifs et leur imputabilité au salarié. Le juge doit répondre à quatre questions : l'employeur a-t-il respecté la procédure de licenciement ? ; les faits reprochés aux salariés existent-ils ? ; sont-ils bien fautifs ? ; permettent-ils de justifier un licenciement ?

En relevant, dans l'espèce commentée, qu'il appartenait à l'employeur de rappeler l'interdiction de fumer un joint par la notification d'une sanction et en retenant le caractère disproportionné de la sanction, les juges du fond ont fait application, au licenciement pour motif disciplinaire, des règles générales applicables à toute sanction disciplinaire autre que le licenciement.

Dans la mesure où la faute était établie, il leur appartenait juste de rechercher, en l'absence de clause particulière dans le règlement intérieur ou dans les conventions collectives, si le licenciement était, ou non, pourvu d'une cause réelle et sérieuse et de sanctionner l'employeur le cas échéant.

  • Limitations conventionnelles

La solution aurait, sans doute, été différente si le règlement intérieur ou une disposition conventionnelle, voire le contrat individuel de travail, avait fixé une échelle des sanctions.

La jurisprudence considère, en effet, à juste titre, que l'employeur est tenu de respecter les dispositions du règlement intérieur ou de la convention collective qui viennent limiter, et donc a fortiori, encadrer son pouvoir disciplinaire (Cass. soc., 8 octobre 1998, n° 96-43.237, M. Bruno Campagnolo c/ Société Vigilia, société anonyme et autres, inédit N° Lexbase : A9016CPM ; pour le contrat de travail, voir Cass. soc., 12 novembre 1997, n° 95-42.184, M. Dominique Vernet c/ Fondation de la Miséricorde de Caen, inédit N° Lexbase : A2199CSA).

Certains règlements intérieurs fixent, par exemple, une liste limitative de sanctions, qui interdit à l'employeur de choisir d'autres sanctions que celles figurant dans le règlement intérieur (Cass. soc., 13 octobre 1993, n° 92-40.474, M. Fernandez c/ Société Marnier Lapostolle N° Lexbase : A3906AAW).

De la même manière, certaines conventions collectives de travail prévoient des sanctions maxima (exemple, une durée maxima pour une mise à pied). Dans ce cas, l'employeur ne peut sanctionner un salarié en lui infligeant une sanction plus lourde ou d'une durée plus longue (pour une mise à pied, par exemple).

Enfin, certains règlements intérieurs ou certaines conventions collectives subordonnent le prononcé des certaines sanctions (généralement les plus sévères) au prononcé antérieur d'autres sanctions.

Il a, ainsi, été jugé que le licenciement pour motif disciplinaire d'un salarié, sans qu'il ait fait l'objet de sanctions préalables, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, parce que la convention collective imposait, pour qu'un licenciement disciplinaire puisse être pris vis à vis d'un salarié, que ce dernier ait antérieurement fait l'objet d'une sanction (Cass. soc., 21 janvier 1992, n° 90-46.104, Association de prévention spécialisée de l'Agglomération paloise c/ M. Bestani N° Lexbase : A5225AB7). La même solution a été retenue en application des articles d'un règlement intérieur, lequel subordonnait le licenciement à plusieurs avertissements préalables du salarié (Cass. soc., 3 février 1998, n° 95-44.922, M. Peyès qualités d'administrateur judiciaire de la société Chemises c/ Mme Bay et autres N° Lexbase : A3222ABX).

Tel n'était pas le cas dans la décision commentée, les juges ne pouvaient donc limiter, sans aucun fondement, le pouvoir disciplinaire de l'employeur, ce qui ne peut qu'être approuvé. La faute étant caractérisée, reste à savoir si le licenciement est, ou non, causé...

Décision

Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.053, Société Téléperformance France, FP-P+B (N° Lexbase : A4979D9B)

Cassation partielle de CA Paris, 22ème ch., sect. B, 6 novembre 2006, n° 05/03571, M. Guillaume Desgrez c/ SA Téléperformance France (N° Lexbase : A2085DTE)

Texte visé : néant

Mots clefs : sanction disciplinaire ; licenciement ; caractère disproportionné de la sanction ; cassation ; contrôle du litige en présente d'un licenciement disciplinaire ; contrôle de l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Lien base :

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Rémunération

[Jurisprudence] La structure conventionnelle de la rémunération, avantage individuel acquis

Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, 2 arrêts, n° 07-40.799, Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes Lyon, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U) et n° 06-44.437, Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (CNCEP), FP-P+B (N° Lexbase : A4826D9M)

Lecture: 5 min

N6737BGM

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


La notion d'avantage individuel acquis constitue l'une des notions les plus difficiles à cerner avec précision du droit du travail, singulièrement lorsque sont en cause des éléments de la rémunération des salariés. Deux arrêts en date du 1er juillet 2008 apportent une contribution importante à l'évolution de la jurisprudence qui, jusqu'à présent, se contentait d'assurer le maintien du niveau conventionnel de la rémunération des salariés (I), pour étendre le maintien à la structure conventionnelle de cette rémunération (II).
Résumé

La structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue, à l'expiration des délais prévus par le troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-11, recod. N° Lexbase : L0574HXK), alors en vigueur, un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation. Il s'en déduit que l'employeur ne peut la modifier sans l'accord de chacun de ces salariés, quand bien même estimerait-il les nouvelles modalités de rémunération plus favorables aux intéressés.

I - Un maintien des avantages individuels acquis jusqu'à présent limité au niveau de la rémunération

  • Hypothèses

Lorsqu'une convention collective est régulièrement dénoncée ou mise en cause à l'occasion de la cession de l'entreprise et qu'aucun accord de substitution n'a été conclu dans l'année suivant cette dénonciation, les salariés conservent le bénéfice des avantages individuels acquis au jour de la prise d'effet de la dénonciation (1).

  • Difficultés d'appréciation de la notion d'avantage individuel acquis

La notion d'avantage individuel acquis fait doublement difficulté car il s'agit de distinguer l'avantage acquis de la simple expectative et l'avantage individuel de l'avantage collectif (2). Cette dernière distinction est particulièrement délicate à analyser lorsque les droits en cause présentent une nature mixte, comme c'est incontestablement le cas de la rémunération qui peut résulter soit de l'application pure et simple du statut collectif, soit présenter une nature contractuelle.

  • Etat de la jurisprudence antérieure aux arrêts du 1er juillet 2008

Jusqu'à présent, seul relevait de la qualification d'avantage individuel le niveau de la rémunération perçue par le salarié au jour de la prise d'effet de la dénonciation, c'est-à-dire à l'expiration de la période de préavis (3) ; en revanche, étaient considérés comme des avantages collectifs, exclus de l'application du maintien, les règles de revalorisation de la rémunération (4).

Dans une décision inédite rendue en 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait, par ailleurs, considéré que seul devait compter le maintien du niveau de la rémunération, peu important que la structure de celle-ci soit modifiée à l'occasion de ce maintien (5).

C'est cette dernière solution qui se trouve remise en cause par les deux arrêts rendus le 1er juillet 2008, qui concernent, toutes deux, le sort d'avantages issus d'un accord dénoncé au sein de la Caisse d'épargne.

II - L'extension de la notion d'avantage individuel acquis à la structure de la rémunération

  • Les affaires

Dans ces affaires, il s'agissait d'un avantage individuel relatif à l'ancienneté, ainsi que d'une prime de durée d'expérience (pourvoi n° 07-40.799), et d'une prime de durée d'expérience, une prime de vacances et une prime familiale (pourvoi n° 06-44.437).

A la suite de la dénonciation de l'accord prévoyant ces éléments et en l'absence d'accord de substitution, l'employeur avait informé les salariés qu'il leur maintenait le bénéfice du montant de ces avantages non plus sous la forme de primes, mais en les intégrant dans la rémunération de base.

Des salariés avaient, alors, saisi le conseil de prud'hommes de demandes tendant, notamment, à ce que les bulletins de salaire soient rectifiés et fassent distinctement apparaître le salaire de base des primes liés à son ancienneté.

Les cours d'appel saisies (Lyon et Paris) avaient fait droit à ces demandes et l'entreprise tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt.

En vain, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation rend, dans cette affaire, un arrêt de rejet, après avoir affirmé que "la structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue à l'expiration des délais prévus par le troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, alors en vigueur, un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation".

  • Une solution nouvelle

Cette affirmation constitue incontestablement une première, compte tenu des termes de la jurisprudence antérieure (6).

Désormais, l'employeur sera tenu de maintenir, non seulement le montant de la rémunération antérieure, mais encore la composition de cette rémunération. Cette dernière affirmation est, d'ailleurs, sans incidence sur le montant des avantages acquis, puisqu'il ne s'agit pas, ici, de contractualiser les règles de revalorisation, qui demeurent des avantages collectifs, mais, seulement, de contraindre l'employeur à maintenir la rémunération dans sa structure conventionnelle antérieure.

On se demandera, dans ces conditions, ce qui a conduit la Cour de cassation à modifier, ainsi, sa jurisprudence. Trois explications nous semblent pouvoir être avancées, l'une pratique, la deuxième politique et la troisième plus pragmatique.

  • Les avantages pratiques de la solution

Sur un plan pratique, la nouvelle solution permet au salarié d'avoir une lecture plus claire de la composition de sa rémunération. En interdisant à l'employeur de fondre salaire et primes dans un même ensemble informe, même sans modifier le montant total des sommes versées au salarié, la Cour de cassation, suivant en cela la solution adoptée par les cour d'appel de Lyon et Paris, évite une certaine confusion entre ce qui relève du paiement du travail accompli (le salaire) et ce qui relève de l'ancienneté, de l'expérience acquise ou d'autres avantages (les primes). Ce faisant, le salarié est, sans doute, mieux à même de négocier de futures augmentations de son salaire "de base", lequel ne se trouve, ainsi, pas artificiellement majoré par l'intégration des primes.

  • La volonté de renforcer l'utilité de la conclusion d'un accord de substitution

En étendant, ainsi, la sphère des avantages individuels acquis, la Cour de cassation incite les partenaires sociaux, singulièrement les employeurs, à conclure un accord de substitution, seul à même de totalement pouvoir refondre les rémunérations conventionnelles, en rendant plus dissuasive, pour les entreprises, la règle du maintien des avantages en l'absence de nouvel accord.

  • La volonté d'harmoniser le régime du contrat de travail

Sur un plan plus pragmatique, enfin, la solution rapproche le régime du maintien des avantages individuels acquis de celui de la modification du contrat de travail, dans une affaire où les deux questions étaient étroitement liées.

On sait, en effet, que la Cour de cassation considère, classiquement, que la structure de la rémunération contractuelle ne saurait être modifiée unilatéralement par l'employeur, sous prétexte que le montant total de cette rémunération serait maintenu à son même niveau (7), voire pourrait s'en trouver majoré (8).

En alignant la notion d'avantage individuel acquis sur le régime de la modification du contrat de travail, la Cour de cassation cherche, ainsi, très certainement, à unifier sa jurisprudence concernant la détermination des éléments essentiels du contrat de travail, éléments qui ne sauraient être différents selon qu'il s'agit de déterminer la notion d'avantage individuel acquis ou les éléments qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié. Cette double recherche de lisibilité et de cohérence nous semble bienvenue dans la mesure où elle assure aux salariés, et plus largement à tous les usagers du droit du travail, une meilleure prévisibilité des normes en cause.


(1) C. trav., art. L. 2261-13 (dénonciation) et L. 2261-14 (mise en cause).
(2) E. Dockès, L'avantage individuel acquis, Dr. soc., 1993, p. 826 ; Y. Aubrée, Le concept légal d'avantage individuel acquis, RJS, 2000, p. 699.
(3) Cass. soc., 26 novembre 1996, n° 93-44.811, Société Marquis Hôtels Partnership c/ M. Alia et autres (N° Lexbase : A4045AA3) : "si, du fait de la dénonciation de l'accord d'entreprise, l'employeur pouvait rémunérer les salariés au fixe, la cour d'appel a exactement décidé que les salariés avaient droit, au titre des avantages individuels acquis, au maintien du niveau de leur rémunération au jour où l'accord collectif a cessé de s'appliquer".
(4) Cass. soc., 12 février 1991, n° 89-45.314, M. Aal et autres c/ Société fermière du casino municipal de Cannes (N° Lexbase : A4265AA9) : "si les salariés avaient droit au maintien de leur niveau de rémunération, en revanche le système de répartition des pourboires institué par les accords de 1980 et 1981 et l'accord de 1983 prévoyant une progression annuelle avait une nature collective et ne pouvaient être assimilés au sens de l'article L. 132-8, alinéa 6, du Code du travail à un avantage individuel" ; Cass. soc., 22 avril 1992, n° 88-40.921, Consorts Caillaud et autre c/ Société nouvelle d'assainissement et de travaux publics (N° Lexbase : A1512AAA) : "si, en cas de dénonciation d'un accord collectif, les salariés ont droit au maintien du niveau de leur rémunération, ils ne peuvent prétendre à la réévaluation de celle-ci en fonction des règles de variations contenues dans l'accord dénoncé qui ne constituaient pas un avantage individuel qu'ils auraient acquis" ; Cass. soc., 24 novembre 1992, n° 89-20.427, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Libournais c/ Syndicat national de l'encadrement du Crédit agricole du libournais (N° Lexbase : A4674ABQ) : "après dénonciation de l'accord déterminant le mode de calcul de ce complément de rémunération, les salariés ne pouvaient prétendre le voir évoluer, au-delà du niveau qu'il avait atteint, selon les modalités prévues par l'accord expiré" ; Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-43.377, M. Hervé Dorveaux c/ Centre médical de l'Argentière (N° Lexbase : A0234AZP) : "si, du fait de la dénonciation d'un accord collectif, le salarié a droit au titre des avantages individuels acquis au niveau de la rémunération atteint au jour où l'accord collectif a été dénoncé, il ne peut plus prétendre au coefficient résultant de cet accord, peu important qu'il soit représentant du personnel" ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-44.712, Association Vivre, FS-P+B (N° Lexbase : A2927DGI) : "si, du fait de la dénonciation de l'accord du 31 mai 1968, les salariés avaient droit au maintien du niveau de rémunération atteint au jour où cet accord avait été dénoncé, ils ne pouvaient plus prétendre pour l'avenir à la réévaluation de leur salaire selon les dispositions de cet accord, celle-ci ne constituant pas un avantage individuel acquis au sens de l'article L. 132-8 du Code du travail".
(5) Cass. soc., 11 mai 2005, n° 04-40.539, M. Alvaro Abrunhosa c/ Société Goodyear Dunlop Tires France, F-D (N° Lexbase : A2435DIZ) : "ayant relevé que la réduction à 36 heures de la durée effective du travail hebdomadaire résultait d'un accord collectif d'établissement et que l'horaire avait été rétabli à 39 heures à la suite de la dénonciation par l'employeur dudit accord, le conseil de prud'hommes en a exactement déduit que ce changement de structure de la rémunération dont le montant demeurait inchangé, s'imposait aux salariés sans que ceux-ci puissent se prévaloir d'une modification de leur contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé".
(6) Notamment, Cass. soc., 11 mai 2005, n° 04-40.539, préc..
(7) Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, Société Systia informatique c/ M. Bernard (N° Lexbase : A5348AC3), JCP éd. G, 1998, II, 10058, note C. Lefranc ; Dr. soc., 1998, p. 523, note G. Couturier ; Cass. soc., 3 mars 1998, n° 95-43.274, M. Herzberg c/ Société Bata-Hellocourt (N° Lexbase : A2544AC9), Dr. soc., 1998, p. 523, note G. Couturier ; Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 98-41.222, M. Ramond c/ Société Doc The Original (N° Lexbase : A9174AGU), Dr. soc., 2000, p. 1021, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 3 juillet 2001, n° 99-40.641, M. Pierre c/ Société des Transports Sicot et autres (N° Lexbase : A1249AUS), Dr. soc., 2001, p. 1006, obs. Ch. Radé (modification du taux horaire) ; Cass. soc., 23 octobre 2001, n° 99-43.153, M. Guy Godart c/ Société Boutaux, FS-P (N° Lexbase : A8055AWA), Dr. soc., 2002, p. 112, obs. Ch. Radé (intégration d'une prime périodique dans le salaire mensuel) ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-44.467, Mme Mireille Pruleau c/ Société Leroy, FS-P (N° Lexbase : A7796AXZ), Dr. soc., 2002, p. 358, obs. Ch. Radé.
(8) Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-40.275, préc.. Jurisprudence constante.

Décisions

1° Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.799, Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes Lyon, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U)

Rejet, CA Lyon, ch. soc., 5ème ch., 13 décembre 2006, n° 05/07649, Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes Lyon c/ M. Claude Blanc (N° Lexbase : A7721DZY)

2° Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-44.437, Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (CNCEP), FP-P+B (N° Lexbase : A4826D9M)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 1er juin 2006, n° 05/00393, Syndicat Sud Caisses d'épargne c/ Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (N° Lexbase : A1304DRQ)

Textes concernés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN, art. L. 2261-11, recod. N° Lexbase : L0574HXK)

Mots clef : conventions collectives ; avantage individuel acquis ; rémunération ; structure.

Lien base : et

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Le caractère impératif de la durée du préavis de démission

Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.109, M. Jean-François Burtschy c/ Société Terbois, FP-P+B (N° Lexbase : A4980D9C)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Alors même qu'une telle solution pouvait être critiquée, la Cour de cassation considérait, jusqu'à présent avec constance, que, lorsqu'un salarié démissionne en donnant un préavis plus long que le préavis conventionnel ou d'usage, l'employeur est tenu d'accepter l'exécution du contrat de travail jusqu'à la date de la rupture fixée par le salarié. L'arrêt rendu le 1er juillet 2008 met un terme à cette jurisprudence pour le moins contestable. Selon la Chambre sociale, "il résulte de l'article L. 122-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5555ACQ, art. L. 1237-1, recod. N° Lexbase : L0022HX4), tel qu'alors applicable, que, dans le cas de résiliation du contrat de travail à l'initiative du salarié, aucune des deux parties n'est fondée à imposer à l'autre un délai-congé différent de celui prévu par la loi, le contrat, la convention collective ou les usages".
Résumé

Il résulte de l'article L. 122-5 du Code du travail, tel qu'alors applicable, que, dans le cas de résiliation du contrat de travail à l'initiative du salarié, aucune des deux parties n'est fondée à imposer à l'autre un délai congé différent de celui prévu par la loi, le contrat, la convention collective ou les usages.

Commentaire

I - Existence et durée du préavis

  • Principe

Lorsqu'un salarié démissionne, il n'est pas nécessairement tenu de respecter un préavis. Il n'en va ainsi que si cette obligation est prévue par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et dans la profession.

Ces prescriptions, qui figuraient à l'article L. 122-5 du Code du travail antérieurement à la recodification, se trouvent, aujourd'hui, énoncées, dans une formule similaire, quoiqu'un peu différente, à l'article L. 1237-1 (1).

  • Absences de dispositions légales

Le Code du travail ne contenant aucune disposition de portée générale imposant le respect d'un délai de préavis (2), il convient de se tourner, dans la grande majorité des cas, vers les normes conventionnelles applicables ou les usages. Ainsi que le laisse clairement entendre la loi, le recours à ces derniers a un caractère subsidiaire et ne peut intervenir que dans le silence de la convention ou de l'accord collectif.

Pour ce qui est du contrat de travail, il ne joue, en la matière, qu'un rôle résiduel. Tout d'abord, il est de jurisprudence constante que, en l'absence de dispositions conventionnelles ou d'usages relatifs au préavis de démission, l'existence et la durée d'un préavis de démission ne peuvent résulter du seul contrat de travail (3). Ensuite, lorsque la convention collective fixe un préavis de démission, le contrat de travail ne peut pas prévoir une durée plus longue (4).

II - Le caractère impératif de la durée du préavis

  • Les solutions antérieures

A l'évidence, un employeur ne saurait imposer, de manière unilatérale, un préavis plus long que celui prévu par les normes contraignantes, au salarié démissionnaire. En revanche, et jusqu'à l'arrêt commenté, la Cour de cassation admettait que le second puisse imposer au premier un préavis plus long. A plusieurs reprises, la Chambre sociale avait, en effet, décidé que, lorsqu'un salarié démissionnait en donnant un préavis plus long que le préavis conventionnel ou d'usage, l'employeur était tenu d'accepter l'exécution du contrat de travail jusqu'à la date de la rupture fixée par le salarié (5). Selon la Cour de cassation, l'employeur ne pouvait se plaindre de ce que son salarié lui ait donné un préavis plus long que la convention collective ne l'y obligeait.

Cet argument était précisément repris par le salarié à l'appui de son pourvoi dans l'affaire rapportée. En l'espèce, celui-ci avait démissionné le 28 mars 2003, en donnant à son employeur un délai-congé de 9 mois expirant le 9 janvier 2004. Par courrier du 4 avril suivant, la société employeur lui avait répondu qu'elle acceptait (sic !) sa démission, mais que le préavis prévu par la convention collective était de trois mois et se terminait le 27 juin 2003. Elle l'informait, en outre, qu'elle le dispensait de son exécution. Le salarié avait, alors, saisi la juridiction prud'homale pour obtenir, notamment, le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis. Pour rejeter sa demande les juges d'appel avaient considéré que le salarié n'était pas fondé à réclamer le paiement d'une telle indemnité, au motif qu'il avait abusé du délai de prévenance.

Si cette décision est confirmée par la Cour de cassation, elle substitue, toutefois, un motif de pur droit à ceux critiqués. Selon la Chambre sociale, "il résulte de l'article L. 122-5 du Code du travail, tel qu'alors applicable, que, dans le cas de résiliation du contrat de travail à l'initiative du salarié, aucune des deux parties n'est fondée à imposer à l'autre un délai congé différent de celui prévu par la loi, le contrat ou la convention collective ou les usages". Par suite, l'arrêt qui, ayant constaté que le salarié entendait exécuter un préavis de 9 mois, alors que la lettre d'embauche et la convention collective en fixaient la durée à 3 mois, a rejeté les demandes d'indemnisation du salarié, se trouve légalement justifié.

  • Un revirement bienvenu

L'arrêt rapporté constitue, à n'en point douter, un revirement de jurisprudence. Désormais, le salarié n'est plus en mesure d'imposer un délai de préavis plus long que celui prévu par la loi, la convention collective, les usages ou le contrat de travail (6). Cette solution nous paraît bienvenue et, à tout le moins, préférable à celle qui était retenue antérieurement. Sans doute pouvait-il être argué, pour justifier la jurisprudence passée, que l'allongement du délai de préavis à l'initiative du salarié était plus favorable pour l'employeur qui disposait, ainsi, d'un délai plus long pour se mettre en quête d'un remplaçant. Mais cela revenait à admettre que le salarié était en mesure d'imposer unilatéralement une obligation à l'employeur dans la mesure où, faut-il le rappeler, l'obligation de préavis présente un caractère réciproque (7). Or, il n'est guère besoin de s'étendre sur le fait qu'une personne ne peut, par la seule manifestation de sa volonté, créer une obligation à la charge d'autrui (8). C'est, pourtant, à une telle issue qu'aboutissait, peu ou prou, la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation.

Cela étant admis, il convient de remarquer que la solution retenue ne concerne pas uniquement l'hypothèse dans laquelle le salarié qui démissionne donne un préavis plus long. Ainsi que le souligne la Cour de cassation, "aucune des deux parties n'est fondée à imposer à l'autre un délai-congé différent de celui prévu par la loi, le contrat ou la convention collective ou les usages". Il faut donc comprendre que la durée du préavis de démission prévu par les normes applicables s'impose tant à l'employeur qu'au salarié, qui ne peuvent unilatéralement ni l'allonger, ni le raccourcir. Par suite, seul un accord de volonté paraît pouvoir autoriser un allongement ou une réduction du préavis de démission. En outre, l'employeur reste en mesure de dispenser le salarié de son préavis de manière unilatérale, à condition, bien entendu, de lui verser la rémunération correspondante (9).

En allant plus avant, on peut, également, considérer qu'il est une hypothèse dans laquelle le salarié pourra imposer un préavis de démission plus long que celui prévu par la loi ou la convention collective. Il s'agit du cas dans lequel son contrat de travail fixe un préavis d'une durée supérieure à celle prévue par la norme conventionnelle. Mais, il est vrai que, dans ce cas, l'allongement de la durée du préavis conventionnel serait le fruit d'un accord de volonté et non d'une décision unilatérale du salarié (10).

Il importe de souligner, pour conclure, que, bien que rendue sur le fondement de l'article L. 122-5 du Code du travail, la solution retenue dans l'arrêt sous examen devra, sans aucun doute, être également appliquée en vertu de l'article L. 1237-1 du même code, qui en a repris les termes.


(1) L'article L. 122-5, applicable aux faits de l'espèce, disposait que, "dans le cas de résiliation à l'initiative du salarié, l'existence et la durée du délai-congé résultent soit de la loi, soit de la convention ou accord collectif de travail. En l'absence de dispositions légales, de convention ou accord collectif de travail relatifs au délai-congé, cette existence et cette durée résultent des usages pratiqués dans la localité et la profession". Désormais, l'article L. 1237-1 précise que, "en cas de démission, l'existence et la durée du préavis sont fixées par la loi, ou par convention ou accord collectif de travail" (al. 1er). "En l'absence de dispositions légales, de convention ou accord collectif de travail relatifs au préavis, son existence et sa durée résultent des usages pratiqués dans la localité et dans la profession" (al. 2).
(2) On sait que la loi n'impose un préavis que pour certaines professions, telles les VRP ou les journalistes .
(3) Cass. soc., 3 février 1998, n° 94-44.503, Société Caesar Palace c/ Mlle Cabrol (N° Lexbase : A2342ACQ), Bull. civ. V, n° 59.
(4) Cass. soc., 19 juin 1996, n° 93-44.728, M. Philippe Gerber c/ Société Bartec, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A8617AGA). Conformément au principe de faveur, le contrat de travail ne peut donc prévoir qu'un préavis plus court que le préavis conventionnel.
(5) Cass. soc., 21 novembre 1984, n° 84-42.323, Monsieur Vanacker c/ SARL Zup Ambulances (N° Lexbase : A3258AAW), Bull. civ. V, n° 448 ; Cass. soc., 2 février 1993, n° 89-44.334, Société SMAC Aciéroid c/ Mercuri (N° Lexbase : A8631CKU) ; Cass. soc., 11 avril 1996, n° 93-40.789, Société Sofidex c/ M. Mongauze (N° Lexbase : A2374ABK), Bull. civ. V, n° 153. A défaut, l'employeur devait verser au salarié une indemnité compensatrice de préavis.
(6) Cette énumération nous paraît plus conforme à la loi que celle retenue par la Cour de cassation, qui fait figurer le contrat de travail entre la loi et la convention collective. Or, nous l'avons vu, le contrat individuel de travail joue, en la matière, un rôle résiduel, qui le situe dans la dépendance des deux autres normes et des usages.
(7) Caractère réciproque de l'obligation de préavis que la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt récent, commenté dans ces mêmes colonnes : Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-42.161, Société Highlands hôtesses c/ Mme Andrée Cuadro, FS-P+B (N° Lexbase : A2312D9I) et nos obs., Le caractère réciproque de l'obligation de préavis, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4902BGN).
(8) V., sur la question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, § 51.
(9) Dispense qui ne remet pas en cause le droit au préavis du salarié, seul le droit de travailler pendant celui-ci se trouvant écarté. Il reste que l'on peut se demander s'il ne serait pas plus conforme aux règles du droit commun des contrats de considérer que seul l'accord du salarié peut permettre à cette dispense de prendre effet.
(10) Partant, et à notre sens, l'employeur ne sera pas en mesure de s'opposer à ce qui n'est qu'une mise en oeuvre d'une stipulation contractuelle.

Décision

Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-40.109, M. Jean-François Burtschy c/ Société Terbois, FP-P+B (N° Lexbase : A4980D9C)

Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. A, 9 novembre 2006

Texte concerné : C. trav., art. L. 122-5 (N° Lexbase : L5555ACQ, art. L. 1237-1, recod. N° Lexbase : L0022HX4)

Mots-clefs : démission ; préavis ; durée ; caractère impératif

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Sociétés

[Jurisprudence] Perte de la qualité d'associé et remboursement des droits sociaux dans les sociétés civiles

Réf. : Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, Société Marina Airport, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, M. Jean Vercellone, gérant du groupement d'exploitation agricole en commun (GAEC) Vercellone et fils, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

La perte de la qualité d'associé est-elle toujours subordonnée, dans les sociétés civiles, au remboursement des droits sociaux ? C'est cette question qui vient d'être tranchée par la Cour de cassation par deux arrêts, rendus le 17 juin dernier, qui viennent -dans une certaine mesure- ouvrir la voie à une interprétation unifiée des solutions à donner en cas d'exclusion et de retrait d'un associé d'une société civile.
Les deux espèces, dont la Chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à connaître, posent, en effet, des problèmes voisins concernant, d'une part, un groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) (n° 07-14.965) et, d'autre part, une société civile immobilière (SCI) (n° 06-15.045). Des associés, dont le retrait avait été décidé en assemblée générale, dans le cas du groupement, et décidé par le juge, dans le cas de la société, avaient intenté des actions réservées aux associés, la question se posant de savoir si, leur retrait ayant été constaté, ils pouvaient encore prétendre à ladite qualité. Sur ce point, les textes n'étaient d'aucun secours. En effet, si l'article 1860 du Code civil (N° Lexbase : L2057ABS) dispose que, en cas d'exclusion d'un associé, il est procédé "au remboursement des droits sociaux de l'intéressé qui perdra alors sa qualité d'associé", l'article 1869 (N° Lexbase : L2066AB7), qui emporte dispositions relatives au retrait, ne prévoit rien de tel. Fallait-il, dans les deux espèces, étendre au retrait la solution prévue pour l'exclusion et subordonner la perte de la qualité d'associé au remboursement des droits sociaux ?

La Cour de cassation répondra par l'affirmative, posant, avec la force que donne la double décision, une solution unique (I), estimant que la qualité d'associé est invocable par celui qui s'est retiré jusqu'au remboursement de ses droits sociaux. Il reste, toutefois, à déterminer, compte tenu de la prudence de la rédaction adoptée par le juge, la portée (II) véritable de ces deux décisions.

I - Une solution unique pour deux situations de retrait distinctes

Les deux espèces, en dehors de leur problématique commune quant à la perte de la qualité d'associé, présentent des aspects dissemblables. En effet, alors que dans l'arrêt "Vercellone" (A) c'est la dissolution du GAEC pour mésentente qui était demandée par les associés dont le retrait avait été constaté, dans l'arrêt "Marina Airport" (B) c'était un abus de majorité qui était invoqué par l'associé retiré d'une SCI.

A - Qualité d'associé et retrait d'un groupement d'exploitation agricole en commun

Le GAEC Vercellone et fils avait, pour associés, MM. Pierre, Georges et Jean V.. Une résolution prise en assemblée générale extraordinaire ayant constaté le retrait de MM. Georges et Pierre V., prenant acte, par ailleurs, de la dissolution du groupement et désignant un liquidateur, M. Jean V. demanda l'annulation des résolutions emportant dissolution du GAEC et désignation du liquidateur. MM. Pierre et Georges V., agissant reconventionnellement, invoquèrent, alors, la mésentente entre associés pour obtenir la dissolution du groupement. La cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant fait droit à cette demande et l'ayant jugée recevable, M. Jean V. formera un pourvoi devant la Cour de cassation, invoquant l'impossibilité, pour une personne retirée de la société, même si elle était encore titulaire de parts sociales, de pouvoir prétendre à la qualité d'associé.

L'auteur du pourvoi invoquait ainsi -entre autres arguments- une violation de l'article 1869 du Code civil, la cour d'appel ayant, selon lui, "ajouté une condition supplémentaire à la loi" en subordonnant la perte de la qualité d'associé au remboursement des droits sociaux. La Cour de cassation, cependant, rejette le pourvoi, au motif que "la perte de la qualité d'associé ne peut, en cas de retrait, être antérieure au remboursement de la valeur des droits sociaux".

Cette première solution appelle quelques remarques, tenant à la spécificité de l'espèce.

La première permet de souligner que, dans cette affaire, les associés dont le retrait avait été constaté souhaitaient, manifestement, que ce retrait entraîne toutes les conséquences juridiques attachées au statut et au fonctionnement du GAEC et, plus particulièrement, la dissolution du groupement. Ainsi, reconnaître la recevabilité de la demande des retirés, qui invoquaient, comme la majorité des associés du GAEC, la dissolution et la liquidation, n'aboutissait qu'à accorder la position des retirés (qui n'avaient pas pris part au vote) avec celle des associés majoritaires, contre la seule volonté du gérant, M. Jean V..

La seconde remarque vise à relever l'ambiguïté de la situation des associés qui, après la décision de retrait, invoquaient la dissolution judiciaire du groupement pour mésentente entre associés. De facto, ils plaçaient le juge d'appel devant une alternative mais, in fine, la solution du litige aurait été semblable, quelque ait été l'option choisie. En effet, soit il admettait l'annulation des résolutions attaquées, ce qui entraînait la réintégration des associés retirés qui pouvaient alors invoquer, dans un second temps, la mésentente entre associés, soit il leur reconnaissait immédiatement la qualité d'associé en raison de l'absence de paiement des droits sociaux, ce qui entraînait l'admissibilité de la demande reconventionnelle. C'était contraindre les deux associés, dans le premier cas, à former un recours ultérieur, dans le second, à leur reconnaître directement ce droit, tout en prenant en considération la nécessité de privilégier la souplesse, dans un type de groupement caractérisé par sa plasticité de fonctionnement.

L'arrêt "Vercelonne", en raison des particularités qui viennent d'être évoquées, aurait, de la sorte, pu être analysé comme un cas d'espèce, développé à partir du vide juridique né de la rédaction de l'article 1869 du Code civil, si la solution n'avait pas été amplifiée par sa confirmation dans l'arrêt "Marina Airport" rendu le même jour.

B - Qualité d'associé et retrait d'une société civile immobilière

Dans l'affaire "Marina Airport", le retrait de la société ne résultait pas, comme dans l'arrêt précédent, d'une décision d'assemblée, mais du "jugement définitif du 11 mars 1999" ayant autorisé le retrait de la société pour justes motifs de M. M., associé minoritaire de la SCI. En l'espèce, ce dernier, se prévalant de sa qualité d'associé, demandait l'annulation, pour abus de majorité, de résolutions adoptées lors des assemblées générales de 1998, 1999 et 2000, résolutions qui avaient emporté l'affectation en réserve de l'ensemble des bénéfices réalisés au cours des exercices précédents. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, ayant déclaré recevable la demande de M. M., la SCI et ses associés forment alors un pourvoi en cassation.

C'est, essentiellement, la première branche du premier moyen de ce pourvoi, qui se rapporte à la question de la qualité d'associé en cas de retrait, qui retiendra notre attention. Dans celle-ci, en effet, les auteurs du pourvoi font grief à la cour d'appel d'avoir transposé la solution prévue à l'article 1860 du Code civil, qui traite de l'exclusion, à celle qui relève du retrait et qui ne subordonne pas, aux termes de l'article 1869 du même code, la perte de la qualité d'associé au paiement des droits sociaux.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette, cependant, cette argumentation, au motif que "l'associé qui est autorisé à se retirer d'une société civile pour justes motifs par une décision de justice, sur le fondement de l'article 1869 du Code civil, ne perd sa qualité d'associé qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux". Ce libellé, on le voit, diffère quelque peu de celui qui a été retenu dans l'affaire "Vercelonne". Il faut y voir la volonté de la Cour de distinguer entre les deux situations dont elle avait à connaître : dans l'affaire du GAEC, le retrait résultait d'un vote d'assemblée, dans celle de la SCI, d'une décision de justice.

Quant au fond, la position du juge, dans ces deux espèces, permet de faire apparaître l'intérêt du maintien de la qualité d'associé. Dans le cas du GAEC, dénier cette qualité aux personnes retirées eut été leur interdire, indirectement, de bénéficier des conséquences de leur retrait (la dissolution). Dans le cas de la SCI, nier la qualité d'associé aurait abouti à empêcher l'actionnaire minoritaire de dénoncer la cause de son retrait (l'abus de majorité constitué par la mise en réserve systématique des bénéfices de la société).

II - Quelle portée pour ces deux décisions ?

Cette absence d'unité dans la rédaction et dans les objectifs visés par le juge, conduit, ainsi, à s'interroger sur la portée des deux arrêts et sur la reconnaissance, dans ces deux décisions, de l'étendue de la solution et, notamment, de son application à l'ensemble des sociétés civiles. En effet, ce sont, autant des aspects de forme que de fond, qui font transparaître une certaine prudence (A) de la Chambre commerciale quant à l'avancée juridique qu'elle propose en matière de retrait (B).

A - Une avancée prudente en matière de retrait

La prudence de la Chambre commerciale semble, en premier lieu, se manifester sur la forme retenue dans les deux arrêts. En effet, alors que ceux-ci sont signalés à l'attention du lecteur par leur notation en matière de publication (FS-P+B+R) et que les deux espèces, pourtant rendues par la même cour d'appel à deux années de distance (2005 et 2007), sont traitées le même jour par la Chambre commerciale, leur analyse ne conduit pas, d'emblée, à y voir des arrêts de principe.

Si, incontestablement, il faut y voir la consécration d'une analyse élaborée au fond par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, il leur manque, d'une part, la force que le juge donne à sa solution par la rédaction d'un attendu de principe et, d'autre part, l'homogénéité de rédaction qui caractérise les arrêts destinés à poser la jurisprudence. Ce point a, en effet, déjà été souligné : le juge du droit a pris soin de distinguer la situation de l'associé dont le retrait était constaté en assemblée, de celle dans laquelle l'associé l'avait obtenu par la voie judiciaire. Ainsi, là où une rédaction homogène aurait pu être adoptée, qui aurait donné le signe d'une interprétation générale de l'article 1869 du Code civil, la Chambre commerciale ne nous livre qu'une solution homogène, certes, mais duale, concernant, d'une part, l'hypothèse du constat d'un retrait par une assemblée générale extraordinaire et, d'autre part, celle de la solution à donner en cas de retrait judiciairement constaté.

Au-delà de ces aspects, qui renvoient à une sorte de codification littéraire dont l'interprétation peut paraître divinatoire, les deux solutions apportées (puisque la forme nous invite à y voir deux solutions) méritent d'être comparées, au fond, aux différentes décisions rendues dans des affaires voisines. Ces comparaisons permettent de souligner la difficulté, pour le juge, à imposer un traitement unique, en cas de retrait et d'exclusion, de la perte de la qualité d'associé.

Concernant, en premier lieu, la force à donner aux dispositions régissant la qualité d'associé, on renverra utilement à l'interprétation faite par la jurisprudence de l'article 1860 du Code civil. Ce dernier établit, on s'en souvient, qu'en cas d'exclusion, la perte de la qualité d'associé est subordonnée au paiement des droits sociaux. Or, la troisième chambre civile, dans un arrêt du 9 décembre 1998, a dû souligner, en dépit de la clarté du texte, que la perte de la qualité d'associé, en cas d'exclusion, ne saurait être préalable au remboursement des droits sociaux (1). Cette décision semble rappeler l'impossibilité de recourir à des aménagements conventionnels dans le cadre de l'exclusion de l'associé. A l'inverse, si on peut augurer du caractère d'ordre public des dispositions de l'article 1860, l'interprétation que donne la même chambre des aménagements statutaires et/ou conventionnels du droit de retrait semble fort différente. Ainsi, par exemple, le juge a-t-il validé, le 8 juillet 1998, la limitation apportée par le règlement de copropriété au droit de retrait des associés d'une société civile d'activité sportive et de loisir d'une résidence immobilière (2). On pourrait, ainsi, en conclure que si les dispositions du Code civil sont d'ordre public en matière d'exclusion (solution justifiée par l'ampleur de la protection à apporter), elles sont, pour la plupart d'entre elles, supplétives en matière de retrait, ce dernier ne jouant qu'à la demande de l'associé et n'étant possible qu'après un vote majoritaire de l'assemblée ou une décision judiciaire.

S'agissant, en second lieu, de la distinction ou non entre la date de retrait et celle de la perte de la qualité d'associé, là également, la jurisprudence ne permet pas de conclure à l'existence d'un traitement unique de l'exclusion et du retrait. En effet, si, en cas d'exclusion, la perte de la qualité d'associé ne peut, conformément au Code civil, n'être réalisée qu'à la condition du paiement des droits sociaux, il nous apparaît que de nombreux facteurs peuvent constituer un frein à l'évolution vers un traitement homogène de la perte de la qualité d'associé en cas de retrait. Ainsi, en matière de société civile professionnelle (SCP), la première chambre civile, le 13 avril 1999 (3), a pu décider que la perte de la qualité d'associé était effective à la date de l'arrêté autorisant le retrait de l'associé de la SCP. En conséquence, ce dernier s'est vu dénier le droit de se prévaloir, après l'édiction de cet arrêté, de la mésentente susceptible de justifier le retrait, car il n'était plus associé à compter de cette date.

B - Une avancée limitée face à l'éparpillement du contentieux des sociétés civiles

Les quelques divergences quant aux solutions applicables en matière de retrait et d'exclusion des sociétés civiles expliquent, sans doute, la difficulté pour la Chambre commerciale à dégager immédiatement une solution de principe dans un contentieux largement éparpillé entre la Chambre commerciale et les chambres civiles. En effet, s'il demeure possible, théoriquement, d'imposer par l'interprétation de l'article 1869 du Code civil un alignement du régime du retrait sur celui de l'exclusion, la solution ne saurait être affirmée in abstracto, sans prendre en considération les obstacles nés d'autres volets de la jurisprudence dégagée par d'autres chambres et relatives au retrait.

On mesure ainsi, eu égard, d'abord, aux solutions dégagées par la première chambre civile, que la perte de la qualité d'associé dans les SCP ne peut, pour l'instant, être alignée sur celle de l'exclusion, notamment en raison des rigidités induites par les textes régissant les professions réglementées, surtout s'agissant de ceux qui encadrent l'exercice de leurs professions par les officiers publics et ministériels. On relèvera, ensuite, que le caractère supplétif qui caractérise l'essentiel de l'organisation du droit de retrait s'accommode mal, semble-t-il, du caractère rigide, dominé par l'ordre public, de l'encadrement de l'exclusion.

La rédaction adoptée par la Chambre commerciale apparaît, donc, résulter de la difficulté à imposer une solution univoque en cas de retrait, le juge se contentant d'adopter un libellé limité aux deux cas d'espèce examinés. Tout, dans la présentation des deux affaires, laisse, cependant, entrevoir la possibilité d'une évolution de la jurisprudence qui vraisemblablement, pourrait être cristallisée par un arrêt de la Cour de cassation réunie en Chambre mixte.


(1) Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-10.478, M. Causse (N° Lexbase : A5430A4U), D, 2000, Somm. 237, obs. J.-C. Hallouin, JCP éd. E, 1999, n° 1395, note J.-P. Garçon.
(2) Cass. civ. 3, 8 juillet 1998, n° 96-20.583, Société Cercle des sports et des loisirs Château-des-Dames et autres c/ M. Pioceau et autres (N° Lexbase : A5551ACL), Defrénois, 1999, n° 243, note P. Le Cannu.
(3) Cass. civ. 1, 13 avril 1999, n° 96-20.864, M. André Bounel c/ M. Rémi Capmas et autres, inédit (N° Lexbase : A4915CST), Bull. Joly, 1999, § 904, note J.-J. Daigre.

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Sociétés

[Jurisprudence] Validité des "coups d'accordéon" avec maintien du droit préférentiel de souscription en cas de pertes

Réf. : Cass. com., 1er juillet 2008, n° 07-20.643, Société ITM Entreprises, F-P+B (N° Lexbase : A4971D9Y)

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par Anne Lebescond - SGR Droit des affaires

Le 07 Octobre 2010

Quand bien même nos utopies s'en trouveraient ébranlées, David ne gagne pas toujours contre Goliath. La Chambre commerciale de la Cour de cassation nous l'a récemment rappelé à l'occasion d'une "sombre affaire" de "coup d'accordéon" avec maintien du droit préférentiel de souscription (ci-après "DPS") des actionnaires. Une de plus, mais non des moindres, en ce qu'elle s'inscrit dans la lignée d'une reconnaissance élargie de ce type d'opérations et en ce qu'elle donne l'occasion à la Haute juridiction d'édicter clairement les conditions dans lesquelles cette pratique sera considérée comme valide.

Le "coup d'accordéon", pour une société présentant des pertes importantes, représente un moyen efficace de "nettoyer le bilan" en les faisant disparaître (1), tout en recapitalisant la société avec de nouvelles liquidités. D'un point de vue technique, il s'agit de réduire le capital social de la société à zéro euro, en annulant toutes les actions le constituant, sous la condition suspensive d'une augmentation de celui-ci à intervenir tout de suite après la réduction. Les actionnaires perdent, alors, leur qualité, celle-ci disparaissant avec l'action, toutefois, provisoirement en principe, surtout en cas de maintien du DPS, puisque ce dernier leur permet de souscrire à l'augmentation en proportion de la quote-part de l'ancien capital qu'ils détenaient. "En principe", car tel n'est pas toujours le cas, et, en dépit de la valeur constitutionnelle du droit de propriété de l'actionnaire (2), de la reconnaissance unanime de son droit au maintien dans le capital de la société (3), certains cas dans lesquels ceux-ci se sont vus contraints d'en sortir sont considérés par les tribunaux comme tout à fait valables. On comprend, alors, parce que cette technique peut aboutir à exproprier un actionnaire, qu'il s'est toujours agi d'un sujet "brûlant", controversé, et qui, comme en témoigne l'abondante jurisprudence en la matière, continue de déchaîner certaines passions. Le danger est grand, en effet, qu'un actionnaire majoritaire de peu de morale profite de la nécessité d'apurer les pertes, pour régler certains "vieux comptes" avec l'un de ses homologues, qui sera, alors "écrasé" par la loi de la majorité en assemblée générale et soumis au bon vouloir de l'actionnaire majoritaire. Les exemples sont nombreux et les techniques diverses. Toute la subtilité pour les juges consiste, alors, à démasquer l'intention maligne derrière l'écran de l'intérêt social.

Dans l'espèce rapportée, le capital d'une société avait été réduit à zéro, puis augmenté, la souscription des actions nouvelles étant réservée aux anciens actionnaires, à hauteur de soixante-quinze actions nouvelles pour deux actions anciennes. En raison de cette "clé de répartition" des actions décidée par l'assemblée générale extraordinaire, un actionnaire de la société, qui ne détenait qu'une seule action, n'a pas pu souscrire à cette augmentation. En effet, les 4 000 actions qui composaient le capital de la société étaient détenues à hauteur de 3 997 actions par un actionnaire majoritaire, concurrent de l'actionnaire malchanceux. Celui-ci, ne disposant que d'une action, n'avait d'autre choix que de se rapprocher d'un autre actionnaire, qui détenait les deux actions restantes du capital, pour négocier le rachat de rompus. Cependant, cet actionnaire détenant les deux actions nécessaires à la souscription aux actions nouvelles, il est fort à parier que cette démarche, dont on ne sait si elle a été effectuée, aurait été vaine. En vue de faire reconnaître son droit à rester dans le capital de la société, l'actionnaire "exproprié" assigne la société en référé, afin qu'il soit mis fin au trouble manifestement excessif causé, selon lui, par la résistance à l'exercice de son DPS. Il n'obtiendra, toutefois, gain de cause, ni en appel, ni en cassation.

Le requérant invoquait deux moyens au soutien de son pourvoi. Il avançait, tout d'abord, que le DPS n'avait, en réalité, pas été maintenu, mais supprimé, ceci, sans respecter la procédure stricte imposée par l'article L. 225-135 du Code de commerce (N° Lexbase : L8391GQT), à savoir, "une délibération spécifique prise en ce sens par les actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire [après] avis du commissaire aux comptes". Considérant que la combinaison du maintien du DPS et de la clé de répartition de actions nouvelles revenait à contourner la réglementation à son détriment, le requérant en déduisait la violation par la cour d'appel des articles L. 225-132 (N° Lexbase : L8388GQQ), L. 225-135 (N° Lexbase : L8391GQT), R. 225-114 (N° Lexbase : L0249HZA) et R. 225-115 (N° Lexbase : L0250HZB) du Code de commerce, qui régissent les modalités d'une telle suppression.

Le requérant avançait, également, qu'en vertu de l'adage "fraus omnia corrumpit", l'opération qui, sans être contraire à la loi, a, toutefois, pour but et résultat d'éluder l'application obligatoire de celle-ci, doit être privée d'effet. Il en allait, selon lui, ainsi pour le "coup d'accordéon" "contaminé" par la fraude résultant de la clé de répartition des actions nouvelles décidée par l'assemblée et de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de négocier des rompus. Ainsi, il estime, contrairement à ce qu'ont décidé les juges du fond "de façon générale et abstraite, sans prendre en considération les circonstances spécifiques de l'espèce", que le DPS a été supprimé tacitement. L'adage précité et l'article L. 225-132 du Code de commerce, auraient, par conséquent, été violés.

Les plaideurs, dans ce type de contentieux, agissent, usuellement, sur deux terrains, le premier, le plus fréquent -et le plus efficace semble-t-il-, étant l'abus de majorité (déclinaison de l'abus de droit), le deuxième -moyen du pourvoi commenté- étant la fraude, l'adage "fraus omnia corrumpit" garantissant la loyauté dans les rapports juridiques et étant, la plupart du temps, argué là où la loi ne le prévoit pas expressément. Alors qu'une partie de la doctrine considère que la fraude et l'abus de droit (en ce compris l'abus de majorité) se rapprochent au point qu'ils se confondent (4), la Cour de cassation, dans l'arrêt du 1er juillet 2008, distingue clairement entre les deux. Cette distinction se justifie, surtout, comme c'est le cas de notre espèce, parce que l'abus de droit ne sanctionne que des rapports personnels, alors que la fraude peut se commettre contre une loi impérative (en l'occurrence, les dispositions impératives relatives à la suppression du DPS).

La Cour de cassation, dans l'arrêt du 1er juillet 2008, rejette le pourvoi, fondé sur la fraude, après avoir constaté que le DPS n'avait pas fait l'objet d'une suppression par l'assemblée générale extraordinaire et qu'il en résultait, pour les actionnaires, la possibilité d'exercer ce droit proportionnellement aux nombres d'actions détenues par lui. Elle souligne, également, que "rien n'interdisait à l'assemblée de subordonner la souscription d'actions nouvelles à la détention de deux actions anciennes", dès lors que la clé de répartition des actions nouvelles était égalitaire pour tous les actionnaires et, enfin, que "la réduction du capital à zéro, conditionnée par une augmentation subséquente est valable si elle est décidée dans l'intérêt social, que cette décision peut conduire à exclure un associé". La Haute Cour ne considère, donc, pas que l'option choisie par l'assemblée de maintenir le DPS, ainsi que le lui autorise la loi, a été déterminée par le dessein d'exclure malignement l'actionnaire de la société.

Il est à noter, en premier lieu, que le rapport d'échange, dans de telles opérations, est rarement égalitaire d'agissant du nombre d'actions anciennes et nouvelles. Ce qui importe, ici, est qu'il soit égalitaire entre les actionnaires. La Cour sous-entend, semble-t-il, que la seule circonstance de fait d'une détention insuffisante d'actions anciennes, bien que cette situation soit malheureuse pour l'actionnaire concerné, ne peut remettre en cause une opération effectuée dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, ceci, d'autant que la "pratique courante de négociation des rompus" permet de remédier à de telles situations de blocage.

L'analyse de la jurisprudence rendue en la matière démontre que le contrôle de la Cour de cassation se concentre, depuis toujours, sur le respect de l'égalité entre les actionnaires (5), principe consacré, concernant la réduction du capital, explicitement, par l'article L. 225-204 (N° Lexbase : L8295GQB) du Code de commerce, qui dispose qu'"en aucun cas, la réduction du capital ne peut porter atteinte à l'égalité des actionnaires,", et, concernant le DPS, implicitement, par l'article L. 225-135 du même code, qui dispose que le DPS ne peut être supprimé que pour la totalité d'une augmentation de capital ou pour une ou plusieurs de ses tranches, ce qui signifie que tous les actionnaires subissent la suppression du DPS dans les même proportions.

La Cour de cassation se concentre, également, sur l'intérêt social, tout du moins, en ce qui concerne le fondement de l'abus de majorité, et c'est précisément sur ce point que la jurisprudence évolue.

Il convient de souligner, dans un premier temps, que dans l'arrêt du 1er juillet 2008, la Haute juridiction oriente le débat vers l'abus de majorité, uniquement concernant le point de la négociation des rompus : "sous réserve d'un abus de majorité qui n'était pas dans le débat, tout titulaire d'un nombre impair d'actions anciennes devait donc se rapprocher d'un autre actionnaire, selon la pratique courante de négociation des rompus, afin de vendre ou d'acquérir un droit préférentiel". Si les juges ne relèvent pas un éventuel abus de majorité dans la délibération même de l'assemblée générale de maintenir le DPS et d'attribuer soixante-quinze actions nouvelles pour deux actions anciennes, c'est parce que la pratique de négociation des rompus existe. En revanche, à la suite de telles délibérations, une éventuelle résistance de l'actionnaire majoritaire de négocier lesdits rompus avec l'actionnaire menacé d'"expropriation" serait susceptible de s'analyser en un abus de majorité de la part du premier. En pareil cas, le second se trouverait contraint et forcé, sans alternative possible, de quitter la société.

En l'absence de texte, la jurisprudence décide que l'abus de majorité est constitué, dès lors que la décision a été prise "contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la minorité" (6).

Deux éléments se retrouvent ainsi : l'intérêt social et l'intérêt des majoritaires, au détriment de l'intérêt commun. Cependant, l'application de la théorie de l'abus de majorité n'est pas sans limite, le défaut d'intérêt social, à lui seul, ou la rupture d'égalité entre les actionnaires, à elle seule, ne suffisant pas à caractériser un tel abus : concernant la rupture d'égalité, notamment, parce que celle-ci doit être intentionnelle, et concernant l'intérêt social, parce que la jurisprudence, sera encline à le reconnaître, dès lors qu'il s'agira d'apurer les pertes. Comme le souligne Henri Novasse (7), "lorsqu'une société a consommé tous ses capitaux propres, il est urgent pour elle, sans attendre l'injonction de la loi, de les reconstituer pour économiser des frais financiers et rétablir la confiance des tiers". S'inscrit dans cette tendance, un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 13 juin 2002 (8), qui semble admettre que, dans la mesure où il ne résulte pas une rupture d'égalité entre actionnaires, la réduction du capital à zéro peut être valablement décidée, dès l'instant que la société est en état d'insolvabilité. Cette solution, qui s'inscrit dans la lignée d'une large reconnaissance de la validité du "coup d'accordéon", a été critiquée par une partie de la doctrine (9), qui rappelle qu'une société peut être insolvable, tout en restant viable, car conservant une valeur positive. Ainsi, selon ce raisonnement, le "coup d'accordéon" n'apparaîtrait licite "qu'à la double condition que la société soit insolvable et qu'elle ne soit plus viable".

La plupart des contentieux ont trait à des coups d'accordéon avec maintien du DPS et les juges, la plupart du temps, à l'image de l'arrêt du 1er juillet 2008, répondent aisément au grief d'exclusion que les actionnaires avaient la faculté de le demeurer par l'exercice de leur DPS. Parce que cette solution a toujours été énoncée avec force par les juridictions, certains doutaient de la validité d'un "coup d'accordéon" qui aurait supprimé le DPS. Ce doute a été levé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (10), qui a admis la validité d'une telle opération. Elle souligne, en pareil cas, que l'intérêt commun, qui implique l'égalité des actionnaires, a été préservé, ceux-ci ayant tous subi le même sort (en l'espèce, la perte de la qualité d'associé, tant par les minoritaires, que par les majoritaires). Même s'il est vrai que l'augmentation succédant à la réduction du capital peut être réservée à un ancien actionnaire, l'égalité des actionnaires reste préservée, puisque l'actionnaire intéressé, conformément à la loi, ne participe pas au vote. 

En conclusion, s'il est vrai que David ne l'emporte pas toujours sur Goliath, il est vrai, également, qu'il n'est pas toujours légitime que David sorte vainqueur, surtout lorsqu'il se trompe d'armes. En effet, et nonobstant la tendance vers une reconnaissance jurisprudentielle élargie de la validité des "coups d'accordéon", il nous semble que la solution de la Chambre commerciale se justifie, effectivement, en ce que, notamment, aucune atteinte à l'égalité des actionnaires n'a été portée dans le cadre des délibérations de l'assemblée générale, celle-ci ayant scrupuleusement respecté les termes de la loi et n'étant pas tenue de supprimer le DPS. En effet, qu'un actionnaire détienne la majorité et l'exerce en assemblée n'est pas réprimandable en soi. En revanche, ainsi que le souligne implicitement la Cour, l'abus de majorité aurait pu être caractérisé par un refus du majoritaire de négocier des rompus avec le minoritaire. Toutefois, comme elle l'indique, le moyen n'était, malheureusement, pas soulevé au débat.


(1) Lire M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 2002, n° 319 et n° 1010.
(2) Cons. const., décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation (N° Lexbase : A8037ACN).
(3) Selon la doctrine (Ripert et Roblot, 1, n° 1599), ce droit au maintien dans le capital de la société, qui n'est fondé sur aucun texte, trouve son origine dans le rapport contractuel, l'associé membre de la société, ne peut être privé de ce droit sans y consentir, puisqu'à défaut, il y aurait une véritable expropriation. V., not., CA Paris, 5ème ch., sect. A, 21 décembre 1983, n° K. 6629, SARL Comptoir national des pipiers c/ SARL Etablissements Swagemakers (N° Lexbase : A7577A3Z).
(4) Adages du droit français, Henri Roland et Laurent Boyer, Litec, 4ème éd., n° 148, p. 281 et s..
(5) V., not., CA Paris, 5ème ch., sect. A, 21 décembre 1983, n° K. 6629, SARL Comptoir national des pipiers c/ SARL Etablissements Swagemakers, préc., : "la décision de l'assemblée générale du 30 juin 1980 est entachée de nullité comme contraire au principe d'ordre public de l'égalité des associés qui s'oppose à ce que l'un d'entre eux puisse être exclu du profit en vue duquel la société a été constituée".
(6) Jurisclasseur, Société - traité, fasc. 136 : Assemblées d'actionnaires, n° 181.
(7) Cass. com., 18 avril 1961, n° 59-11.394, Société des anciens Etablissements Picard et Durey-Sohy et autres c/ Paul Schumann et autres (N° Lexbase : A2561AUE).
(8) CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 13 juin 2002, n° 97/04547, Christian Alberti c/ SA Kharys Parfums (N° Lexbase : A5460A4Y).
(9) A propos de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 13 juin 2002, J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker, JCP éd. G, 2003, n° 20 134, p. 888 et s..
(10) Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11.999, Association Adam c/ Société l'Amy, FS-P (N° Lexbase : A9459AYY).

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