La lettre juridique n°618 du 25 juin 2015

La lettre juridique - Édition n°618

Éditorial

De la démocratie judiciaire... en Chine

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 25 Juin 2015


Pendant que les tribunaux français ont à connaître de la "concurrence parasitaire" entre deux chaînes de restaurants, sur fond de sauce pour entrecôte, les tribunaux chinois s'essayent à la démocratie judiciaire, du moins au tout nouveau droit d'accès à la justice, en devant statuer sur la "détresse spirituelle" d'un homme ayant porté plainte contre Zhao Wei, l'une des plus célèbres actrices du pays, qui l'aurait ainsi regardé fixement de manière trop intense à travers l'écran, provoquant, chez lui, un désarroi des plus profonds. De même, un avocat vient-il de saisir la cour d'une action contre un juge l'ayant plongé dans un état de "détresse émotionnelle", parce qu'il avait refusé de suspendre les débats lors d'un procès.

En Chine, le nombre de requêtes nationales a augmenté de 29 % ; c'est qu'"auparavant, les poursuites administratives, par exemple d'un citoyen contre le Gouvernement, n'étaient que très peu acceptées", mais désormais le système d'enregistrement des plaintes prévoit qu'en cas de refus d'un dossier les tribunaux motivent clairement les raisons de leur décision, et les citoyens peuvent désormais faire appel de cette dernière.

Résultat, nombre de recours plus farfelus les uns que les autres prolifèrent ; la République populaire estime qu'il s'agit là de manoeuvres dilatoires visant à l'obstruction de la justice : quoiqu'il en soit la démocratie, comme la liberté, cela s'apprend.

"Derrière cette ombre de liberté, qui consiste à choisir, se montre aussitôt la liberté véritable qui consiste à se dominer" écrivait Alain, dans Les idées et les âges. Car, si la philosophie enseigne, pourtant, que la liberté serait au-delà du donné et de la conquête, c'est apprentissage du quotidien ; et dans les prétoires aussi. C'est bien pourquoi la liberté est toujours un risque, parce que, si la volonté a le pouvoir de dire oui ou non, ce pouvoir ne peut être efficace que s'il est éclairé par la connaissance.

En clair, il ne faut pas confondre indépendance, c'est-à-dire la liberté conçue comme l'absence de contraintes et l'autonomie à travers laquelle "l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté" prescrit Rousseau, dans le Contrat social.

Ceci étant dit, les concepts, ou préjudices plus exactement, évoqués dans les plaintes ne sont pas tout à fait étrangers à notre droit.

Celui de "détresse spirituelle" n'existe pas en tant que tel, ni du point de vue législatif et réglementaire, ni du point de vue jurisprudentiel. La détresse spirituelle consiste en "une perturbation du principe de vie qui anime l'être entier d'une personne et qui intègre et transcende sa nature biologique et psychosociale". Il s'agit d'une définition plus médicale que juridique. Mais, il est constant que le préjudice d'anxiété, situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration, à tout moment, d'une maladie liée, d'abord à l'amiante, puis à d'autres produits toxiques, puisse être envisagé sous l'angle de la détresse spirituelle au regard de leurs définitions respectives. L'intégration du burn out dans la liste de maladies professionnelles montre à quel point la détresse spirituelle est affaire sérieuse et demande réparation. Le hic, bien entendu, serait le fait reproché : le regard trop intense d'une actrice à travers un écran... Un peu à la manière d'une populaire chanson des années 80, au demeurant. Même si l'article 1382 du Code civil, exporté à travers le monde, "incrimine" "tout fait", la preuve du lien de cause à effet va être chagrin à apporter. Certes l'on aspire au projet de réforme du droit de la responsabilité du Professeur Terré, pour lequel la faute consiste, volontairement ou par négligence, à contrevenir à une règle de conduite imposée par la loi ou le règlement ou par le devoir général de prudence et de diligence -ce qui brasse large, dirons-nous-, mais bien évidemment en droit français une telle action ne pourrait prospérer, faute de faute.

En ce qui concerne le "préjudice émotionnel", l'affaire est plus corsée. Car, si la Cour de cassation ne semble pas avoir eu à connaître d'une demande de réparation fondée sur un tel préjudice, les cours d'appel s'y réfèrent de plus en plus, et la Cour européenne des droits de l'Homme également ; que ce soit dans le cadre des suites de violences conjugales, d'une séparation inopinée entre époux, d'un conflit professionnel ancien avec sa hiérarchie, des suites d'un divorce sur l'état psychique des enfants, pour les unes ; dans le cadre de conditions illégales de détention, du suicide d'une épouse et des circonstances entourant le décès de celle-ci, de l'interruption de ses activités commerciales pendant sa détention, d'une opération de remise secrète, dans le cadre de laquelle la victime aurait été arrêtée, détenue au secret, interrogée et maltraitée par des agents de l'Etat défendeur, de l'arrestation, la détention et l'expulsion collective de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie, pour les juges strasbourgeois. On conviendra que les situations faisant ici jurisprudence sont quelque peu éloignées d'un simple refus de suspension d'audience ; mais le préjudice existe en tant que tel, du moins au niveau européen et la faute, peut s'avérer réelle selon qu'il y a eu ou non irrégularité procédurale.

Sans prendre tout ceci vraiment au sérieux, loin d'être de simples manoeuvres dilatoires, ces "chinoiseries" nous rappellent que "l'excès de liberté [aboutit] à un excès de servitude et dans l'individu et dans l'Etat" (Platon). Ce qui conduit, selon La République, à la naissance de la Tyrannie. Et, si l'accès à la justice en Chine masquait en réalité un tout autre mouvement que la démocratie judiciaire tant espérée ? C'est le paradigme du libéralisme d'Etat faisant immédiatement suite au communisme d'Etat.

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Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Recevabilité d'un recours contre une ordonnance de taxe rendue hors délais

Réf. : Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-10.518, F-P+B (N° Lexbase : A5416NIG)

Lecture: 8 min

N7886BUM

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 25 Juin 2015

Par un arrêt du 21 mai 2015, la Cour de cassation a retenu que, saisi d'une contestation portant sur les honoraires de l'avocat, le Bâtonnier de l'Ordre doit rendre sa décision sous un délai de quatre mois, éventuellement prorogeable une fois, sous peine d'être définitivement dessaisi de la contestation. Or, si celui-ci rend tout de même une ordonnance de taxe tardivement, les parties restent recevables à exercer leur recours devant le premier président de la cour d'appel. L'avocat n'a pas de plus coriace adversaire que... son propre client ! C'est l'amer constat que font les confrères qui ont, un jour ou l'autre, été contraints de faire taxer leurs honoraires ou d'en justifier le montant devant leur Bâtonnier. Car on sait que les articles 175 et 176 du décret 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) ont prévu une procédure originale en matière de contestation des honoraires et des débours de l'avocat dont connaît le Bâtonnier de l'Ordre des avocats qui doit statuer sous un délai de rigueur de quatre mois, éventuellement prorogeable une fois.

A défaut, les parties doivent effectuer une saisine du premier président de la cour d'appel. Or, l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 mai 2015 apporte une importante précision relative à la sanction du dépassement de ce délai.

Selon la Cour de cassation, les parties restent recevables à saisir le premier président de la cour d'appel même si le Bâtonnier rend son ordonnance de taxe au-delà des délais imposés par les articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991. Et pour bien cerner le raisonnement mené par la Cour de cassation, il convient de revenir précisément sur la chronologie de ce différend entre l'avocat et son client.

En l'occurrence, un confrère avait été saisi par un justiciable dans le cadre d'un litige locatif et avait encaissé, à titre de provision, la somme approximative de 3 500 euros hors taxes. Sans doute insatisfait de la prestation de son conseil, le justiciable a, en date du 22 septembre 2011, saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon afin de contester ces honoraires. Ce n'est que bien plus tard que le Bâtonnier a rendu son ordonnance de taxe. En date du 12 novembre 2012, cette ordonnance de taxe a réduit les honoraires du confrère à la somme de 2 000 euros hors taxes, de sorte que le confrère était tenu de rembourser la somme de 1 490 euros hors taxes à son client.

Il a alors saisi le premier président de la cour d'appel d'Avignon, es qualité de juridiction de taxe du second degré, lequel a, par une ordonnance en date du 15 novembre 2013, déclaré ce recours irrecevable. Pour cela, le premier président de la cour d'appel de Nîmes s'était fondé sur l'article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qui prévoit que le Bâtonnier, saisi d'une contestation d'honoraires, doit statuer dans les quatre mois de la demande et que ce délai peut être prorogé pour une nouvelle durée de quatre mois par une décision motivée, soit huit mois au total. Or, en l'espèce, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nîmes avait incontestablement dépassé ce délai puisque son ordonnance de taxe était intervenue plus de quatorze mois après saisine et alors qu'aucune décision de prorogation n'était intervenue. Le premier président de la cour d'appel de Nîmes avait alors estimé que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats avait été implicitement dessaisi le 22 janvier 2012. A partir de cette date de dessaisissement implicite, les parties disposaient d'un mois pour le saisir, ce qui faisait défaut. Le premier président de la cour d'appel de Nîmes estimait donc ne plus pouvoir être saisi à partir du 22 février 2012. Il en avait déduit que le recours effectué par le confrère était nécessairement tardif puisque frappant une ordonnance de taxe, elle-même tardive... En d'autres termes, la tardiveté de l'ordonnance de taxe emportait nécessairement celle du recours.

Le pourvoi en cassation introduit par le confrère était pris d'un moyen unique, pris d'une seule branche, concluant à la violation des articles 175 et 176 du décret du 27 novembre 1991. Il faisait valoir que le confrère était défendeur à la procédure de taxe devant le Bâtonnier et qu'il n'avait donc aucun intérêt à la saisine directe du premier président de la cour d'appel en raison du dépassement du délai imposé au Bâtonnier de l'Ordre des avocats. Le moyen est accueilli par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui prend, il faut bien le reconnaître, quelques distances avec l'argumentation soulevée au moyen.

Si la cassation totale est bien prononcée au visa des articles 175 et 176 dont se prévalait le moyen, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce dans l'attendu conclusif de l'arrêt que les motifs retenus par le premier président de la cour d'appel pour déclarer irrecevable le recours contre l'ordonnance de taxe tardive "reviennent à conférer force de chose jugée à une décision rendue hors délai par un Bâtonnier". En se prononçant de la sorte, la Cour de cassation rappelle que le Bâtonnier est tenu de se prononcer sous un délai de rigueur imposé par le décret du 27 novembre 1991 (I), de sorte qu'aucun effet juridique ne saurait être conféré à une ordonnance de taxe rendue tardivement (II).

I - Dessaisissement du Bâtonnier taxateur

Il ne fait aujourd'hui plus aucun doute que le Bâtonnier est tenu de trancher la contestation sur les honoraires de l'avocat dans un délai de rigueur, sous peine de dessaisissement. Le premier président de la cour d'appel de Nîmes avait bien considéré que les délais imposés par les articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 sur la profession d'avocat étaient des délais dits "couperets". Cette analyse est fondée, tant sur la lettre que sur l'esprit, des articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, sur la profession d'avocat qui emploie des formules particulièrement contraignantes.

Ainsi, le premier de ces textes indique, en son premier alinéa, que "le Bâtonnier, ou le rapporteur qu'il désigne, [...] prend sa décision dans les quatre mois". Le troisième alinéa de l'article 175 du décret assortit ce délai d'une exception, d'où il résulte que "le délai de quatre mois prévu au troisième alinéa peut être prorogé dans la limite de quatre mois par décision motivée du Bâtonnier". De plus, l'article 176 du décret prévoit que "lorsque le Bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit".

En associant des délais de rigueur et un mécanisme de saisine directe, le pouvoir réglementaire a souhaité donner un certain dynamisme à la procédure de taxation des honoraires de l'avocat pour éviter que des contestations ne s'éternisent devant le Bâtonnier de l'Ordre des avocats. L'association du délai de rigueur et de la saisine directe est une figure désormais bien connue en droit processuel français. Le législateur français y fait de plus en plus souvent référence dans des matières où la célérité de la procédure est un objectif de premier ordre comme en procédure pénale (1) et en droit de l'application des peines (2).

Dans la même logique, la première chambre civile de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de considérer que "le Bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui, et cela même si aucune des parties n'a porté cette réclamation devant le premier président dans le délai d'un mois ayant suivi l'expiration de ces délais" (3). Plusieurs arrêts ont d'ailleurs considéré que c'est l'achèvement du délai, et non la saisine directe du premier président de la cour d'appel, qui dessaisit le Bâtonnier (4). Ainsi, le premier président de la cour d'appel en Nîmes avait justement estimé que le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Nîmes ne pouvait plus trancher la contestation en raison de l'écoulement du délai impératif de l'article 175 du décret en date du 27 novembre 1991. En revanche, il avait totalement méconnu la portée de ce dessaisissement.

II - Nullité de l'ordonnance de taxation

Si le Bâtonnier est automatiquement dessaisi du litige à l'expiration des délais de rigueur prévus par l'article 175 du décret n° 91-1197 en date du 27 novembre 1991, sur la profession d'avocat, il en résulte nécessairement qu'aucun effet juridique ne peut être attaché à une ordonnance de taxe rendue postérieurement à ce dessaisissement. A cet égard, il convient de relever que les articles 175 et 176 du décret n° 91 -1197 du 27 novembre 1991 sur la profession d'avocat ne sont pas d'une clarté absolue. Certes, la saisine directe du premier président de la cour d'appel est imposée par l'article 176 du décret qui dispose que, lorsque le Bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président "doit être saisi dans le mois qui suit".

Mais le texte ne s'attarde pas sur le sort de l'ordonnance de taxe du Bâtonnier qui serait rendue au-delà du délai de rigueur de l'article 175 du décret. Car en pratique, rien n'exclut que les parties à la contestation de l'honoraire se montrent peu attentives à l'écoulement du délai de rigueur imposé au Bâtonnier et ne saisissent pas le premier président de la cour d'appel en dépit de son achèvement. Dans ce cas de figure, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats finira, un jour ou l'autre, par rendre une ordonnance de taxe hors délais. Le statut juridique de cette ordonnance tardive n'est pas précisé par le décret du 27 novembre 1991.

Dans le silence du texte, c'est encore la Cour de cassation qui a donné les précisions nécessaires. Plusieurs arrêts rendus ont clairement retenu que l'ordonnance rendue par le Bâtonnier au-delà des délais de rigueur de l'article 175 du décret du 27 novembre 1991 devait être frappée de nullité. Par un premier arrêt en date du 17 juillet 1996, la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré un premier président de cour d'appel ayant cru que la seule sanction du dépassement du délai de rigueur était la saisine directe (5).

Dans un arrêt ultérieur en date du 4 février 1997, elle a précisé qu'"à l'expiration des délais prévus par le premier de ces textes, le Bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui [de sorte] que la décision du Bâtonnier était donc nulle" (6). Plus tard, la Cour de cassation a également précisé que la nullité de l'ordonnance de taxe du Bâtonnier était acquise de plein droit sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'un quelconque grief (7). Et puisque cette nullité s'impose de plein droit, aucune conséquence juridique ne peut évidemment en être tirée. Dans cette logique, la Cour de cassation a déjà pu considérer que le premier président de la cour d'appel ne pouvait "confirmer" une ordonnance de taxe nulle rendue par un Bâtonnier en raison de sa tardiveté (8). Force est de constater que le présent arrêt s'inscrit dans le prolongement de cette jurisprudence. En effet, l'attendu conclusif de l'arrêt mentionne bien que les motifs du premier président de la cour d'appel de Nîmes "reviennent à conférer force de chose jugée à une décision rendue hors délai par un Bâtonnier". Il y avait un paradoxe fondamental en ce sens qu'une ordonnance de taxe tardive, frappée d'une nullité dispensée de grief, puisse se voir conférer la force de la chose jugée...

L'office du président de la cour d'appel de Nîmes était fort différent et celui-ci aurait sans doute pu s'inspirer d'un arrêt par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 1er février 2000. En l'occurrence, un président de cour d'appel avait été régulièrement saisi d'un recours formulé contre une ordonnance de taxe tardive rendue par un Bâtonnier. Après avoir annulé l'ordonnance tardive, il avait abordé le fond de la contestation et avait, à cet égard, été approuvé par la Cour de cassation qui a retenu que, "dès lors que le premier président avait été régulièrement saisi de la décision tardive du Bâtonnier, il lui appartenait, après annulation de cette décision en raison de sa tardiveté, de statuer sur le fond de la réclamation par l'effet dévolutif du recours" (9). Ainsi devra statuer le premier président de la cour d'appel de Montpellier qui connaîtra du renvoi après cassation


(1) Sur les différents cas de saisine directe dans le cadre de l'information judiciaire, v. F.-L. Coste, Rép. pén., Dalloz, v. Chambre de l'instruction, § 251.
(2) Sur la saisine directe de la chambre de l'application des peines en matière de libération conditionnelle, v. V. Lescloux, Juris.-Cl. Procédure pénale, fasc. 729 à 733 : Libération conditionnelle, § 147.
(3) Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, n° 94-18.528 (N° Lexbase : A8608ABG), Bull. civ. I, n° 322.
(4) Cass. civ. 1, 15 décembre 1998, n° 96-12.001 (N° Lexbase : A6424CHE), Bull. civ. I, n° 359.
(5) Cass. civ. 1, 17 juillet 1996, Bull. civ. I, n° 322, op. cit..
(6) Cass. civ. 1, 4 février 1997, n° 95-12.807 (N° Lexbase : A2286CMM).
(7) Cass. civ. 2, 17 février 2005, n° 04-12.768, F -D (N° Lexbase : A7470DGR).
(8) Cass. civ. 1, 4 février 1997, n° 95-12.807, préc..
(9) Cass. civ. 1, 1 février 2000, n° 97-13.866 (N° Lexbase : A9189CKK).

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Bancaire

[Brèves] Obligation de vérification de l'établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque frappé d'opposition

Réf. : Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-13.493, F-P+B (N° Lexbase : A5288NLG)

Lecture: 2 min

N8094BUC

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Le 25 Juin 2015

L'établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque frappé d'opposition n'a pas à vérifier la réalité du motif d'opposition invoqué mais seulement si ce motif est l'un de ceux autorisés par la loi. Ainsi, dès lors qu'elle a constaté que l'opposition était fondée sur l'absence d'une signature conforme, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir qu'était alléguée une utilisation frauduleuse des chèques au sens de l'article L. 131-35 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4089IAP), n'avait pas à effectuer d'autre vérification. Telle est la solution énoncée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 16 juin 2015 (Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-13.493, F-P+B N° Lexbase : A5288NLG). En l'espèce, M. S. a remis à l'encaissement deux chèques tirés sur une banque par une société. Ces deux chèques, frappés d'opposition pour "signature non conforme" par M. T., successeur de M. S. dans les fonctions de gérant de la société, tireur, ont été rejetés par la banque. Faisant valoir qu'il était encore le gérant de la société à la date d'émission des deux chèques et que la procuration donnée à la personne les ayant signés n'était alors pas révoquée, M. S. a assigné la banque en paiement. Ses demandes ayant été rejetées par la cour d'appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 29 novembre 2013, n° 12/01891 N° Lexbase : A6934KQU), il a formé un pourvoi en cassation faisant notamment valoir que la banque tirée, tenue de contrôler le bien fondé des oppositions du tireur, doit s'assurer qu'elles ne sont pas manifestement infondées. Or, en affirmant, pour en déduire que la banque n'avait commis aucune faute en rejetant les deux chèques litigieux, qu'ils avaient été frappés d'opposition par M. T., nouveau gérant de la société, et que la banque n'avait pas à vérifier la réalité du motif d'opposition invoqué, quand il lui incombait de s'assurer qu'elle n'était pas manifestement infondée, la cour d'appel aurait violé l'article L. 131-35 du Code monétaire et financier. Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9190AE4).

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Concurrence

[Brèves] Visites domiciliaires : nouvelle condamnation de la France pour violation de l'article 6 § 1 de la CESDH

Réf. : CEDH, 18 juin 2015, Req. 61265/10 (N° Lexbase : A2583NLA)

Lecture: 2 min

N8007BU4

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Le 25 Juin 2015

Le mécanisme prévu à l'article L. 450-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5670G4R), dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 13 novembre 2008 (N° Lexbase : L7843IB4), qui ne prévoyait qu'un recours en cassation pour contester la régularité et le bien-fondé de l'ordonnance du JLD ayant autorisé les opérations de visites et de saisies, est contraire au droit à un contrôle juridictionnel effectif au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Tel est le rappel opéré par la CEDH dans un arrêt du 18 juin 2015 (CEDH, 18 juin 2015, Req. 61265/10 N° Lexbase : A2583NLA). En l'espèce, des sociétés françaises ont fait l'objet de visites domiciliaires par la DGCCRF. Ces sociétés les ont contestées mais, en dernier lieu, la Cour de cassation a rejeté leur pourvoi, estimant que le contrôle pouvant être exercé par le juge en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 13 novembre 2008, sur la régularité, tant des opérations de visites et de saisies effectuées que de l'ordonnance qui les a autorisées, satisfaisait aux exigences de la Convention (Cass. crim., 8 avril 2010, n° 08-87.415, F-D N° Lexbase : A7242EXI). Les sociétés ont donc formé un recours devant la CEDH. Celle-ci rappelle que, selon sa jurisprudence constante, en matière de visite domiciliaire, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement. La Cour a déjà jugé que le mécanisme prévu à l'article L. 450-4 du Code de commerce ne permettait pas un contrôle juridictionnel effectif au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. De même, elle a considéré que le recours concernant le déroulement des opérations, devant le juge les ayant autorisées, ne permettait pas un contrôle indépendant de la régularité de l'autorisation elle-même (cf. not., CEDH, 5 mai 2011, Req. 29598/08 N° Lexbase : A3051HQ3 ; lire N° Lexbase : N1591BSQ). Ainsi, la CEDH ne voit en l'espèce aucune raison de revenir sur cette solution. Elle relève que les requérantes n'ont disposé que d'un pourvoi en cassation pour contester la régularité et le bien-fondé de l'autorisation du JLD, ce recours ne permettant pas un contrôle juridictionnel en fait comme en droit de l'ordonnance concernée. De plus, comme elle l'a déjà souligné, la Cour, ne peut suivre l'argument du Gouvernement français selon lequel le recours ouvert devant le JLD pour faire contrôler la régularité du déroulement des opérations de visite et de saisie aurait compensé cette absence de contrôle juridictionnel effectif pour contester la régularité de l'ordonnance d'autorisation. Ainsi, la Cour estime que n'ayant disposé que d'un pourvoi en cassation, les requérantes n'ont pas bénéficié d'un contrôle juridictionnel effectif pour contester la régularité et le bien-fondé de l'ordonnance du JLD ayant autorisé les visites et saisies.

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Cotisations sociales

[Jurisprudence] Recouvrement des cotisations et contributions sociale dues par une personne assujettie à titre obligatoire au régime de protection sociale des travailleurs non salariés agricoles : absence de caractère d'une pratique commerciale

Réf. : Cass. civ. 2, 18 juin 2015, n° 14-18.049, F-P+B+I (N° Lexbase : A5146NL8)

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N8049BUN

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Le 25 Juin 2015

Il résulte de l'article 2 de la Directive 2005/29/CE, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (N° Lexbase : L5072G9Q), que par "pratiques commerciales des entreprises vis-à-vis des consommateurs", il est entendu toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs ; ainsi, le recouvrement selon les règles d'ordre public du Code rural et de la pêche maritime des cotisations et contributions dues par une personne assujettie à titre obligatoire au régime de protection sociale des travailleurs non salariés agricoles ne revêt pas le caractère d'une pratique commerciale au sens de la disposition susmentionnée et n'entre pas, dès lors, dans le champ d'application de la Directive. Il est aussi rappelé que l'article 34 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) reconnaît et respecte le droit d'accès aux prestations de Sécurité sociale et aux services sociaux selon les règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales, et que l'article 51 § 2 de cette même Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union européenne au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 juin 2015 (Cass. civ. 2, 18 juin 2015, n° 14-18.049, F-P+B+I N° Lexbase : A5146NL8).
En l'espèce, la caisse de mutualité sociale agricole de Sèvres-Vienne (la CMSA), a, pour obtenir le paiement des cotisations sociales afférentes aux années 2004 à 2007, pratiqué des oppositions à tiers détenteur sur les comptes bancaires des époux X, exploitants agricoles. Ils ont alors saisi un juge de l'exécution aux fins d'annulation. La cour d'appel (CA Poitiers, 25-03-2014, n° 13/00575 N° Lexbase : A8857MHI) les ayant déboutés de leur demande, ils ont formé un pourvoi en cassation.
En vain. En énonçant les principes susvisés, la Haute juridiction rejette le pourvoi des époux.

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Discrimination et harcèlement

[Jurisprudence] Précisions sur la mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement

Réf. : Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554, FS-P+B (N° Lexbase : A8982NKU)

Lecture: 7 min

N8014BUD

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 25 Juin 2015

La protection dont bénéficient les salariés qui dénoncent des faits de harcèlement est susceptible d'entraîner des abus dans les entreprises lorsque certains individus mal intentionnés pensent trouver là un moyen facile, et très efficace, de se préserver de tout risque de licenciement. La Cour de cassation permet à l'employeur, qui se retrouve pris dans les filets, de prouver que ces dénonciations ont été réalisées de mauvaise foi ; c'est cette notion de mauvaise foi qui se trouve précisée dans cet arrêt en date du 10 juin 2015 (I), la Haute juridiction considérant qu'elle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce (II).
Résumé

La mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral dont il dit avoir été la victime ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce.

I - La mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement

Cadre juridique. Le Code du travail interdit de licencier un salarié qui a subi des faits de harcèlement, et protège également celui qui les dénonce, ou témoigne de tels faits (1). Ce texte a été interprété comme protégeant celui qui témoigne ou dénonce de bonne foi (2). Le Code du travail, pas plus que les Directives communautaires, ne le prévoient, mais le législateur l'a, en 2008, précisé d'une manière générale en définissant le cadre général des discriminations, ce qui a conduit la Cour de cassation à faire une application étendue de ce critère de bonne foi (3) qui protège celui qui croit dénoncer des faits de harcèlement, alors que, juridiquement, il ne s'agit pas de cela, et permet de déchoir de la protection celui qui dénonce de mauvaise foi.

Depuis, la Haute juridiction a apporté des éléments précisant comment il convenait d'entendre cette référence à la mauvaise foi, à la fois négativement et positivement.

Négativement, tout d'abord, la cour a rapidement précisé que la bonne foi du salarié devait logiquement être présumée et que la mauvaise foi ne peut "résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis".

Positivement ensuite, la Cour a rendu plusieurs décisions ayant retenu la mauvaise foi.

La première affaire remonte à 2012. Il s'agissait d'une salariée qui "avait dénoncé de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l'entreprise et de se débarrasser du cadre responsable du département comptable". La Cour de cassation a considéré, avec la cour d'appel, que la mauvaise foi était ainsi caractérisée, mais sans véritablement en livrer de définition, celle-ci apparaissant, toutefois, en filigrane comme l'hypothèse où un salarié "dénonce de manière mensongère des faits inexistants", mêlant un élément objectif (l'inexistence des faits) et subjectif (la volonté de nuire à un collègue) (4).

La Cour a rendu une seconde décision inédite le 28 janvier 2015 (5). La cour d'appel avait, dans cette nouvelle affaire, écarté les accusations de harcèlement portées par la salariée, ce que confirme le rejet du pourvoi, au prix d'une décision fortement motivée et validée par la Haute juridiction (6) : la salariée avait en effet "dénoncé à l'encontre de son supérieur hiérarchique, de façon réitérée, de multiples faits inexistants de harcèlement moral ne reposant, pour la grande majorité d'entre eux, sur aucun élément et dont elle s'est d'ailleurs avérée incapable de préciser la teneur, qu'il s'agisse des faits ou des propos dénoncés, s'en tenant à des accusations formulées pour la plupart en termes généraux, et précisé qu'il ne s'agissait pas d'accusations ayant pu être portées par simple légèreté ou désinvolture mais d'accusations graves, réitérées, voire calomnieuses et objectivement de nature à nuire à leur destinataire ainsi qu'à l'employeur, accusé de laisser la salariée en proie à ce prétendu harcèlement en méconnaissance de son obligation d'assurer sa sécurité et de préserver sa santé".

C'est tout l'intérêt de cette nouvelle décision qui vient proposer un critère de la mauvaise foi.

Les faits. Un salarié, engagé en 1997 en qualité de négociateur immobilier, exerçait, au moment de son licenciement pour faute grave en mai 2009, des fonctions de chef d'agence. La lettre de licenciement lui reprochait différentes fautes, et indiquait notamment : "vous continuez délibérément à rechercher la provocation à mon égard que ce soit par vos propos ou par vos écrits n'hésitant pas à m'accuser de harcèlement alors que je vous demande tout simplement de faire votre travail correctement et efficacement". Le salarié avait obtenu l'annulation de son licenciement en raison de la présence dans la lettre de licenciement de cette formule faisant référence à des accusations de harcèlement, le juge ayant considéré qu'il avait été licencié pour ce motif, ce qui entrait bien dans les prévisions de l'article L. 1152-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8841ITM) qui interdit de licencier le salarié qui dénonce de tels faits.

L'employeur, qui avait formé contre l'arrêt d'appel un pourvoi en cassation, prétendait que le salarié était de mauvaise foi lorsqu'il dénonçait des faits de harcèlement moral le concernant, et considérait "que la mauvaise foi est [...] caractérisée lorsque le salarié a connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce ou lorsque [il] invoque de manière mensongère des faits inexistants de harcèlement moral pour refuser d'accomplir correctement son travail", ce qui résulterait des conclusions de l'employeur aux termes desquelles "les accusations de harcèlement par le salarié présentaient un caractère systématique et concernaient toutes les demandes qui lui étaient adressées et n'avaient en définitive d'autre objet que de servir un comportement d'obstruction destiné à nuire à l'entreprise".

Le rejet du pourvoi. Le pourvoi est rejeté, et la nullité du licenciement confirmée.

Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, la mauvaise foi du salarié, qui le prive de la protection que lui confère le Code du travail lorsqu'il dénonce des faits de harcèlement, "ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce". Or, observe la Haute juridiction, la cour d'appel avait "constaté, hors toute dénaturation, d'une part, que dans la lettre de licenciement il était notamment reproché au salarié d'avoir accusé son employeur de harcèlement à son égard, et, d'autre part, que celui-ci n'établissait pas que cette dénonciation avait été faite de mauvaise foi", ce dont la cour d'appel pouvait "exactement" déduire "que ce grief emportait à lui seul la nullité du licenciement".

Objet de l'affirmation. La solution, telle qu'elle résulte de cet arrêt, est rédigée avec suffisamment de précisions par la Cour pour qu'on s'y arrête quelques instants.

II - La mauvaise foi résultant de la connaissance par le salarié de la fausseté des allégations

Salarié victime, salarié qui dénonce. Il s'agissait ici de la nullité du licenciement du salarié qui dénonce des faits de harcèlement, et non de la nullité du salarié victime de harcèlement. Dans la plupart des hypothèses, la victime et celui qui dénonce sont deux salariés différents, la règle visant à protéger ceux qui ont le courage de dénoncer le harcèlement dont sont victimes des collègues de travail. Mais dans cette affaire, le salarié avait dénoncé des faits le concernant et cumulait ainsi les qualités de victime et de dénonciateur. Logiquement, la Cour lui applique les règles concernant celui qui dénonce (la question n'était d'ailleurs pas discutée par l'employeur). Tant que les faits de harcèlement ne sont pas établis, en effet, le salarié n'est que celui qui dénonce, une sorte de lanceur d'alerte pour lui-même.

Une règle aux contours bien précis. Il est important de bien comprendre que la solution se justifie ici par deux éléments particuliers.

En premier lieu, c'est l'employeur lui-même qui avait indiqué, dans la lettre de licenciement, que le salarié s'était plaint à plusieurs reprises d'avoir été harcelé, ce qui n'était guère opportun. Dès lors que l'employeur relit lui-même le licenciement à des faits de harcèlement, que ceux-ci soient subis ou simplement allégués, alors il sape la validité même de la rupture en la rendant éminemment suspecte.

En second lieu, le licenciement n'est pas annulé parce que le salarié était de bonne foi, mais bien parce que l'employeur avait échoué à établir qu'il était de mauvaise foi, ce qui est très différent. La Cour considère, en effet, qu'à partir du moment où l'employeur se situe dans le cadre du harcèlement, il lui appartient d'établir que le salarié a dénoncé des faits de harcèlement de mauvaise foi, et supporte alors la charge, et le risque, de cette preuve, ce qu'il expérimente, ici, à ses dépens.

Les éléments caractérisant la mauvaise foi. C'est précisément sur les éléments constitutifs de cette mauvaise foi que l'arrêt apporte des éléments intéressants.

L'employeur prétendait, en effet, dans le cadre de son pourvoi, que la mauvaise foi pouvait être caractérisée en présence de faits imaginaires, mais aussi, ce qui devait permettre de s'appliquer aux faits de l'espèce, par l'analyse des circonstances dans lesquelles le salarié avait été amené à accuser son employeur de harcèlement uniquement pour justifier une résistance systématique aux instructions qui lui étaient données. En d'autres termes, il distinguait deux types de mauvaises fois, une mauvaise foi que l'on pourrait qualifier d'objective, caractérisée par le caractère imaginaire des faits dénoncés, et une mauvaise foi subjective établie par l'intention de nuire à l'employeur ou à un autre salariés.

Or, selon la Haute juridiction, ces deux éléments sont cumulatifs, le salarié devant alléguer des faits inexistants, ce qui exclut donc toute mauvaise foi lorsque ce dernier interprète mal des faits ambigus (7), et le faire pour poursuivre un but étranger à la règle concernée, c'est-à-dire soit pour nuire à un autre salarié, soit pour se placer de manière artificielle sous le régime protecteur réservé aux salariés qui dénoncent des faits de harcèlement.

Quelle attitude adoptée face à un salarié qui accuse ? La question qui se pose est alors celle de la "bonne attitude" à adopter pour un employeur qui se trouve face à un salarié qui l'accuse de harcèlement, sur lui ou sur autrui.

L'employeur dispose ici d'un choix. S'il a la preuve que le salarié affabule pour lui nuire ou pour tenter de justifier des comportements qu'il relierait à ce prétendu harcèlement, alors ce mensonge sera constitutif d'une faute grave et il pourra le viser dans la lettre de licenciement pour justifier un licenciement immédiat (8). Mais s'il n'a pas la preuve irréfutable de cette mauvaise foi, alors il devra éviter toute allusion aux accusations de harcèlement pour éviter de se retrouver dans une impasse. Le salarié pourra toujours arguer, en cas de contentieux, avoir été licencié en raison de la dénonciation de faits de harcèlement, mais il lui appartiendra alors de rapporter l'existence d'éléments de fait qui le laissent supposer, ce qui sera bien entendu plus compliqué en l'absence de tout indice dans la lettre de licenciement (9).


(1) C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM) pour le harcèlement moral : le texte interdit de sanctionner le salarié "pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés". Notre ouvrage Discriminations et inégalités de traitement dans l'entreprise, éditions Liaisons, coll. Droit vivant, p. 232, 2011, sp. n° 273.
(2) Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) et nos obs., Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS) ; Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.035, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3661ICL) et n° 10-17.393, FS-P+B (N° Lexbase : A3635ICM) et nos obs., Harcèlement dans l'entreprise : dur, dur d'être employeur !, Lexbase Hebdo n° 474 du 23 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0396BTT) ; Cass. soc., 22 janvier 2014, n° 12-15.430, F-D (N° Lexbase : A9746MCX).
(3) Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, art. 3, al. 1er (N° Lexbase : L8986H39). Elle l'a ensuite appliqué à la "liberté fondamentale de témoigner" : Cass. soc., 29 octobre 2013, n° 12-22.447, FS-P+B (N° Lexbase : A8165KNQ) et nos obs., Nullité du licenciement prononcé en violation de la liberté fondamentale de témoigner en justice, Lexbase Hebdo n° 547 du 14 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9337BTY).
(4) Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.345, FS-P+B (N° Lexbase : A3898INP) et nos obs., Harcèlement et discrimination : nouvelle salve de précisions, Lexbase Hebdo n° 490 du 21 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2514BTB).
(5) Cass. soc., 28 janvier 2015, n° 13-22.378, F-D (N° Lexbase : A7117NAT).
(6) La cour d'appel (CA Angers, 4 juin 2013, n° 11/00280 N° Lexbase : A0877KGL) avait "légalement justifié" sa décision.
(7) En matière de harcèlement sexuel, on peut imaginer que tout ce qui relève d'une attitude de séduction entre dans cette catégorie de faits ambigus. En matière de harcèlement moral, "la gestion autoritaire et inappropriée d'une situation par un supérieur hiérarchique", qui n'est pas constitutive de harcèlement sera susceptible de faire naître un doute raisonnable dans l'esprit d'un salarié et lui permettra de bénéficier de la protection que le Code du travail confère à celui qui dénonce des faits de harcèlement moral : Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-18.862, FS-P+B (N° Lexbase : A0528MZL) et nos obs., Lexbase Hebdo n° 589 du 6 novembre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N4399BUH).
(8) Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.345, FS-P+B, préc..
(9) Ainsi, Cass. soc., 7 mai 2014, n° 13-14.344, F-D (N° Lexbase : A9129MKC) et nos obs, Alléguer n'est pas prouver - A propos d'une dénonciation imaginaire de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 571 du 22 mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2236BUD). Le salarié avait été licencié pour faute grave, et prétendait qu'il avait été victime de harcèlement. La Cour de cassation confirme le rejet de ces accusations : "c'est sans encourir les griefs du moyen, qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu que les éléments apportés par le salarié n'étaient pas de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral dont il aurait été victime, qu'en particulier, les avertissements qui l'avaient précédemment sanctionné étaient justifiés par ses refus illégitimes de rendre des comptes à sa hiérarchie et par son comportement insolent ; qu'ayant en outre retenu une attitude de dénigrement envers l'entreprise, elle a ainsi fait ressortir que les dénonciations par le salarié des agissements de harcèlement moral dont il se prétendait victime n'avaient pas été opérées de bonne foi".

Décision

Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554, FS-P+B (N° Lexbase : A8982NKU).

Rejet (CA Amiens, 17 septembre 2013, n° 12/03508 N° Lexbase : A2713KL3).

Textes concernés : C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM) et L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z).

Mots clef : harcèlement moral ; dénonciation ; mauvaise foi.

Lien base : (N° Lexbase : E0287E7R).

newsid:448014

Droit des étrangers

[Brèves] L'octroi de la protection subsidiaire dans un Etat membre n'empêche pas l'examen ultérieur en France d'une demande d'asile conventionnel

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2015, n° 369021, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5357NLY)

Lecture: 1 min

N8112BUY

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Le 27 Juin 2015

La circonstance qu'une personne bénéficie déjà de la protection subsidiaire octroyée dans un Etat membre de l'Union européenne ne fait en rien obstacle à ce que sa demande d'asile conventionnel soit examinée en France a posteriori. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 17 juin 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2015, n° 369021, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5357NLY). M. X, ressortissant érythréen entré sur le territoire maltais en août 2006, s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire par les autorités maltaises le 23 novembre 2007. En application d'un engagement pris par la France lors d'un Conseil des ministres européens au mois de décembre 2008, en vue de la réinstallation en France de ressortissants d'Etats tiers bénéficiaires d'une protection internationale reconnue par Malte, il a été admis à séjourner sur le territoire français sous couvert d'un laissez-passer valable du 14 septembre au 14 octobre 2010 et s'est vu délivrer par le préfet du Val-de-Marne un récépissé constatant son admission au séjour au titre de l'asile valable jusqu'au 7 avril 2011. Ayant déposé une demande d'asile le 27 octobre 2010, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui a reconnu le 26 avril 2011 le bénéfice de la protection subsidiaire et a refusé de lui accorder la qualité de réfugié au seul motif qu'il devait se voir accorder la même protection qu'à Malte. Pour le Conseil d'Etat, au vu du principe précité, c'est à bon droit que la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision, la circonstance que M. X bénéficiait déjà de la protection subsidiaire octroyée à Malte ne faisait en rien obstacle à ce que sa demande d'asile conventionnel fût examinée (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4194EYY).

newsid:448112

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Cas d'un retraité vivant à l'étranger considéré comme résident fiscal français

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2015, n° 371412, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5371NLI)

Lecture: 1 min

N8076BUN

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Le 23 Septembre 2015

Le fait de percevoir ses retraites en France peut rendre le contribuable résident fiscal français, alors qu'il pense avoir transféré sa résidence fiscale à l'étranger, et ainsi le rendre imposable sur ses revenus mondiaux en France. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 17 juin 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2015, n° 371412, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5371NLI). En l'espèce, un retraité a vécu de 1996 à 2007 au Cambodge où il exerçait des activités bénévoles auprès d'organisations non gouvernementales. Pendant ces années, il a perçu une pension de retraite versée par un organisme français sur un compte bancaire ouvert en France. Ces pensions ont alors donné lieu à l'application, par l'administration fiscale, d'une retenue à la source sur le fondement de l'article 182 A du CGI (N° Lexbase : L4651ICA). Toutefois, le Conseil d'Etat a fait droit à la demande du requérant. En effet, au cours des années d'imposition en litige, le requérant n'avait en France ni son foyer, ni le lieu de son séjour principal, qu'il n'exerçait pas en France d'activité professionnelle et qu'il n'y avait pas le centre de ses intérêts économiques. Le requérant ne pouvait donc être regardé comme ayant son domicile fiscal en France selon aucun des critères alternatifs mentionnés à l'article 4 B du CGI (N° Lexbase : L1010HLY). En outre, le versement de sa pension de retraite sur un compte bancaire en France ne constituait qu'une modalité de versement réalisée à sa demande, qu'il en faisait d'ailleurs virer une partie au Cambodge pour ses besoins et ceux de sa famille, qu'il administrait ses différents comptes depuis le Cambodge et que cette pension ne présentait pas le caractère d'une rémunération résultant de l'exploitation d'une activité économique en France. Par conséquent, ces éléments étaient de nature à établir que le requérant avait cessé d'avoir en France le centre de ses intérêts économiques, même si les revenus qu'il percevait étaient exclusivement de source française .

newsid:448076

Pénal

[Brèves] Domaine d'application de l'article 132-19, alinéa 3, du Code pénal concernant l'obligation de motivation des peines sans sursis

Réf. : Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-85.136, F-P+B (N° Lexbase : A5208NLH)

Lecture: 1 min

N8048BUM

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Le 25 Juin 2015

L'article 132-19, alinéa 3, du Code pénal (N° Lexbase : L9839I3S), tel qu'il résulte de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 (N° Lexbase : L0488I4T), selon lequel toute décision prononçant une peine d'emprisonnement sans sursis ou ne faisant pas l'objet d'une mesure d'aménagement doit être spécialement motivée au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, ne concerne ni la définition de faits punissables, ni la nature et le quantum des peines susceptibles d'être prononcées, et n'entre pas dans les prévisions de l'article 112-1, alinéa 3 (N° Lexbase : L2215AMY), mais dans celles de l'article 112-2, 2o, dudit code (N° Lexbase : L0454DZT). S'agissant d'une loi de procédure, il ne peut motiver l'annulation d'une décision sur le fond régulièrement rendue avant son entrée en vigueur. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 16 juin 2015 (Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-85.136, F-P+B N° Lexbase : A5208NLH). Selon les faits de l'espèce, dans le cadre d'une affaire de violences aggravées, Mme D. a été condamnée à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve et à une interdiction professionnelle définitive d'exercer une activité professionnelle impliquant un contact habituel avec des mineurs. La cour d'appel a notamment retenu que la peine initialement prononcée apparaît insuffisante pour sanctionner des faits d'une telle gravité commis de surcroît par une assistante maternelle agréée et ce dans l'exercice de son activité professionnelle. Aussi, a-telle souligné que, faute d'éléments actualisés, vérifiés et précis sur la situation personnelle de Mme D. concernant notamment sa domiciliation et son activité professionnelle, la peine d'emprisonnement ne peut être en l'état aménagée. La Cour de cassation confirme la décision de la cour d'appel qui, relève-t-elle, a prononcé une peine d'emprisonnement sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l'article 132-24 du Code pénal, dans sa rédaction alors en vigueur (N° Lexbase : L9406IE4) .

newsid:448048

Procédure pénale

[Jurisprudence] L'enfant, un témoin comme les autres ?

Réf. : Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-85.130, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9225NII)

Lecture: 8 min

N8030BUX

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par Marie Le Guerroué, Rédactrice - Droit privé

Le 25 Juin 2015

L'enfant est-il, au sein de la procédure pénale, un témoin comme les autres ? C'est ce que semble affirmer la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 juin 2015 (Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-85.130, FS-P+B+I). Par cet arrêt, la Cour vient prendre le contre-pied d'une jurisprudence que l'on pouvait penser, jusque là, établie. Elle affirme, désormais, que les dispositions de l'article 205 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1652H4X), prohibant les témoignages des enfants dans les instances en divorce, ne sont pas applicables devant la juridiction pénale. En l'espèce, le mari avait été poursuivi pour de multiples faits de violences sur son épouse. Une procédure de divorce avait été introduite par celle-ci et une ordonnance de non-conciliation était intervenue. La cour d'appel de Poitiers était, par la suite, entrée en voie de condamnation pour violences aggravées. L'époux condamné forme, alors, un pourvoi en cassation et reproche, particulièrement, à la juridiction d'appel de s'être, pour le déclarer coupable, fondée sur le témoignage de ses enfants. Il énonce, à l'appui de son argumentation, que la prohibition de ces témoignages est l'expression d'un principe fondamental applicable devant les juridictions pénales. Dès lors, deux solutions se présentaient aux juges du droit : préserver une règle fondamentale, justifiée par "un soucis de décence et de protection des intérêts moraux de la famille" ou faire primer la liberté de la preuve et, par conséquent, la répression des violences conjugales. Le juge choisit, ici, la seconde solution. Il affirme que la prohibition des témoignages des enfants dans les instances en divorce, n'est pas applicable devant la juridiction pénale (I) renforçant ainsi, et de manière opportune, le principe de la liberté de la preuve dans le contexte des violences conjugales (II). I - La recevabilité pénale des témoignages des enfants du couple en instance de divorce

L'article 205 du Code de procédure civile ne pourra, désormais, plus outrepasser les frontières de la matière civile. La Cour, dans l'arrêt commenté, vient circonscrire sa portée à ce seul contentieux (A) et considérer, contrairement à sa jurisprudence antérieure, que le lien familial est sans effet sur la recevabilité des témoignages des descendants (B).

A - Le domaine limité de l'article 205 du Code de procédure civile

Le législateur a, depuis 1804, toujours exclu le témoignage des descendants dans une procédure de divorce (1). Ainsi, l'article 205 du Code de procédure civile est explicite : "les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps". Le terme "jamais" soulignant, s'il en était besoin, la stricte portée de l'interdiction.

La jurisprudence fait une rigoureuse application de ce principe. Elle refuse, par exemple, l'attestation du conjoint ou concubin des descendants (Cass. civ. 2, 30 septembre 1998, n° 96-21.110 N° Lexbase : A5147ACM ; Cass. civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-13.833 N° Lexbase : A4294AT9), les attestations rapportant les propos tenus par l'enfant (Cass. civ. 2, 23 mars 1977, n° 76-11975 N° Lexbase : A6723CIT ; Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 03-19.079, F-P N° Lexbase : A7749DDD) ou, encore, les lettres adressées par un parent à son enfant (Cass. civ. 2, 5 juillet 2001, n° 99-15.244 N° Lexbase : A1346AUE ; Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 01-12.117, F-P+B N° Lexbase : A7302A49).

La cour d'appel de Bordeaux a, néanmoins, rappelé que cette prohibition ne s'appliquait qu'au seul cadre de la procédure en divorce ou en séparation de corps (CA Bordeaux, 16 janvier 2013, n° 11/06198 N° Lexbase : A2444I3W, Dr. Famille, 2013, comm. 62, P. Bonfils). Elle a donc déduit de cette exigence la recevabilité du témoignage d'un descendant dans le cadre d'une demande d'ordonnance de protection pour violences conjugales, sur le fondement de l'article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L7175IMP).

Si la règle s'applique sans encombre en matière de divorce, son invocation en matière criminelle pouvait, quant à elle, intriguer au regard, notamment, de l'autonomie affirmée de la procédure pénale. La Cour de cassation a, néanmoins, consacré son application, dans un arrêt du 5 février 1980 (Cass. crim., 5 février 1980, n° 79-90.936 N° Lexbase : A1489CGA), affirmant que "la preuve est libre en matière répressive hors les cas où la loi en dispose autrement, et qu'il en est ainsi de l'interdiction du témoignage des descendants sur les griefs invoqués par les époux à l'appuie d'une demande en divorce" et que "si la prohibition figure dans un texte étranger à la procédure pénale  [elle] n'est que l'expression, reprise de textes législatifs antérieurs, d'une règle fondamentale, qui ne saurait être tournée par le recours à une poursuite pénale". L'interdiction du témoignage des descendants avait donc, pour les juges du droit, valeur de règle fondamentale applicable à la matière pénale. Cette exception prétorienne avait été, depuis, confirmée par la Chambre criminelle (cf., Cass. crim., 4 janvier 1985, n° 82-93066 N° Lexbase : A9702CE3). Les juges du droit n'imposaient qu'une seule limite : que les descendants n'aient pas été personnellement victimes des faits sur lesquels ils déposaient (Cass. crim., 4 février 1991, n° 89-86.575 N° Lexbase : A5067ABB) (2).

Dans l'arrêt commenté, les Hauts magistrats reviennent sur le caractère fondamental de la règle de l'article 205 du Code de procédure civile. La règle, par cette décision, perd quelque peu de sa substance car elle pourra, désormais, être contournée par le recours à une poursuite pénale. Rien n'empêchera le conjoint qui le souhaite de se procurer, par cette voie dérivée, des éléments de preuve initialement prohibés par la procédure civile.

B - Le lien familial sans incidence sur la recevabilité des témoignages

Cette prohibition générale et absolue, saluée par la doctrine (3), se justifie par "un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille" (4). Car témoigner dans le cadre d'un contentieux parental, place nécessairement l'enfant mineur ou majeur dans un conflit de loyauté inextricable et fait de lui l'arbitre du conflit parental. En outre, le risque d'instrumentalisation de l'enfant par l'un de ses parents n'en serait que renforcé. La Chambre criminelle faisait, jusque là, sienne cette justification.

Fort de cette exception, le pourvoi reprenait donc in extenso la règle de droit jurisprudentiellement consacrée à l'appui de son argumentation. En l'espèce, un des enfants du couple avait rapporté les violences exercées, à plusieurs reprises, par son père sur sa mère à son institutrice. Dans son arrêt, rendu le 12 juin 2014, la cour d'appel de Poitiers avait, pour retenir la culpabilité du mari, admis la recevabilité des témoignages. Le pourvoi en avait, par conséquent, déduit qu'en fondant sa conviction sur ces témoignages, la cour d'appel avait violé ledit principe. A tort, selon les juges du droit, qui reviennent par cette décision sur une jurisprudence de trente cinq ans et affirment, désormais, que les descendants peuvent être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps dans le cadre d'une procédure pénale. L'existence d'un lien familial ne fait plus obstacle à la recevabilité de ces témoignages.

Certains auteurs avaient pu voir un premier revirement dans un arrêt, rendu par la Chambre criminelle, le 21 février 2006 (Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.015, F-P+F N° Lexbase : A4339DNZ) (5). Ledit arrêt avait confirmé la décision d'irrecevabilité des témoignages de la cour d'appel mais avait, cependant, noté une motivation erronée de la part de cette dernière, relative "à la prohibition du témoignage des descendants, laquelle n'était pas applicable en l'espèce, en l'absence de griefs invoqués à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps". La décision, si elle était sans incidence sur l'espèce, divisait la doctrine quant à son interprétation (6). L'arrêt commenté fixe, dorénavant, la règle.

En accueillant les témoignages des enfants du couple, la Haute juridiction vient, opportunément, restaurer la liberté de la preuve testimoniale en procédure pénale (II). Le lien familial étant désormais sans incidence.

II - La consécration opportune du principe de liberté de la preuve

L'attendu de principe de la Cour de cassation vient renforcer le principe de la liberté de la preuve en matière pénale et, ainsi, faciliter l'administration de la preuve dans le contexte particulier des violences conjugales. Une initiative opportune en raison du caractère décisif des témoignages (A) et qui vient donner une nouvelle interprétation de la protection de la famille au sein de la procédure pénale (B).

A - Le caractère décisif du témoignage des descendants

La quête de la vérité est un des enjeux majeurs du procès pénal. Le principe de la liberté de la preuve, qui profite à l'accusation comme à la défense, en constitue nécessairement le vecteur essentiel. Le principe est consacré par l'article 427 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3263DGX) qui dispose que : "hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve". A ce titre, le juge pénal est tenu de prendre en considération tout mode de preuve. C'est en référence à ce principe majeur que les magistrats de la Cour de cassation rejettent, dans l'arrêt commenté, le pourvoi.

La portée d'un tel revirement doit néanmoins être précisée, car, une telle consécration, au-delà de rappeler un principe fondamental, trouve particulièrement sa justification dans sa concrétisation pratique.

Si le témoignage des descendants est recevable, il semble peu probable que les juges fondent leurs décisions sur ce seul élément. La valeur probante des déclarations du cercle familial étant, de par leur nature même, très relative. Si ces preuves ne sont pas déterminantes en elles-mêmes, elles peuvent, en revanche, le devenir en venant étayer un faisceau de preuves.

Dans le contexte des violences conjugales, l'administration de la preuve est particulièrement délicate. Ces violences spécifiques se déroulent, majoritairement, dans l'intimité du domicile familial, à l'abri des regards. Il est donc peu aisé d'en rapporter la preuve. La seule production des certificats médicaux, établis a posteriori, est, insuffisante à démontrer la réalité des violences, le lien de causalité entre les faits de violences et les blessures devant être rapporté (7). Les enfants se révèlent souvent être les seuls témoins, visuels ou auditifs, des faits et leurs témoignages peuvent venir corroborer les certificats médicaux. Tel est le cas dans l'arrêt commenté. En l'espèce, les déclarations de l'enfant, reprises par la cour d'appel, étaient extrêmement circonstanciées : "Papa a pris Maman par la veste, l'a tapée contre le mur" ; "Papa a poussé Maman contre la voiture, il a dit qu'elle avait fait cela toute seule, il a menti" ; "J'ai peur que Papa se fâche contre Maman et la tape".

Aussi, si le témoignage des enfants a intrinsèquement une valeur limitée, il est, en revanche, décisif pour établir la réalité des violences. L'admissibilité des témoignages de l'enfant a, probablement, été, en l'espèce, déterminante pour retenir la culpabilité du père. Elle vient, en tout état de cause, opportunément justifier un revirement de jurisprudence.

B - Une nouvelle interprétation de la protection de la famille

La jurisprudence antérieure considérait que l'irrecevabilité du témoignage des descendants se justifiait, "par souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille". Il serait cependant excessif de considérer que, désormais, la liberté de la preuve en droit pénal prime sur la protection des intérêts moraux de la famille. Car, si l'attendu de la Cour de cassation ne laisse aucun doute sur la portée formelle de la règle, son caractère attentatoire à la protection morale de la famille peut, lui, être nuancé, particulièrement, dans le contexte spécifique des violences conjugales. Le droit pénal protège la famille et ses membres dans leur moralité comme dans leur intégrité. Dès lors, deux options se présentaient aux juges : préserver la neutralité de l'enfant ou assurer l'application du droit pénal garant de l'intégrité des membres de la famille. Les juges choisissent la seconde solution.

Si la première victime des violences conjugales est bien évidemment le conjoint qui en a souffert, les violences créent, également, chez l'enfant un traumatisme (8). Face à ces violences, il est à la fois témoin et victime (9). La protection de la famille, dans l'arrêt commenté, réside, pour la Cour, bien plus dans la condamnation des violences que dans la préservation de la neutralité des descendants. Par cette décision, la Cour modifie l'interprétation qu'elle avait pu faire de l'intérêt familial. Les magistrats viennent réaffirmer que la sphère privée n'est pas une zone de non-droit et que la famille n'est plus, pour la justice, constitutive d'une forteresse impénétrable (10).

Si la position de la Cour de cassation est louable, il aurait, peut-être, été judicieux de conditionner une telle solution aux seuls cas d'atteinte à l'intégrité des membres de la famille. Car, si la condamnation des violences conjugales doit être effective, on ne pourra que regretter que, par cette décision, la Cour fasse de l'enfant du couple un témoin comme les autres...


(1) Plus récemment, la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB) réformant le droit du divorce a d'ailleurs ajouté à l'article 259 du Code civil (N° Lexbase : L2824DZM) : "toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux".
(2) Cass. crim., 4 février 1991, n° 89-86.575 (N° Lexbase : A5067ABB) ; JCP éd. G, 1992, II, 21915, note Chambon ; RSC, 1992, 115, obs. Braunschweig ; RTDCiv., 1991, 505, obs. Hauser).
(3) P. Murat et al., Droit de la famille, Dalloz, 2015, p. 250 ; Cass. Crim. 4 février 1991, n° 89-86.575, RSC, 1992, 115, obs. Braunschweig.
(4) V., not., Cass. civ. 2, 23 mars 1977, n° 76-11975 (N° Lexbase : A6723CIT).
(5) F. De Saint-Pierre, Guide de la défense pénale, 2014, p. 586.
(6) Y. Mayaud, La preuve des violences conjugales, RSC, 2006, p. 830 ; C. Girault, Difficile preuve de la violence conjugale, AJ. pénal, 2006, 264 ; F. De Saint-Pierre, op. cit..
(7) V., part., l'arrêt du 21 février 2006 précité.
(8) C. Gatto, L'intérêt de l'enfant exposé aux violences conjugales, RTDCiv., 2014, p. 567 ; Le législateur conscient de cette réalité prend, de plus en plus, en considération l'enfant spectateur des violences, not., dans le cadre de l'ordonnance de protection comme en témoigne l'insertion dans l'article 515-9 du Code civil d'une disposition prévoyant que "lorsque les violences exercées au sein du couple [...] mettent en danger [...], un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection".
(9) V., particulièrement, sur ce point, R. Cario, L'enfant exposé aux violences familiales, Vers un statut spécifique ?, L'Harmattan, 2015.
(10) V., M. Couturier, Les évolutions du droit français face aux violences conjugales, De la préservation de l'institution familiale à la protection des membres de la famille, Dialogue, 2011, n° 191, p. 67.

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Recouvrement de l'impôt

[Jurisprudence] A propos du droit de réclamation...

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, n° 372924, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8895NHW)

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N8125BUH

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par Christian Louit, Professeur agrégé des Facultés de droit et Avocat

Le 25 Juin 2015

Des dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans ce délai prévu à l'article R. 196-2 du LPF (N° Lexbase : L4379IXH), sauf si loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre au contribuable une option entre différentes modalités d'imposition. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 mai 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 11 mai 2015, n° 372924, mentionné aux tables du recueil Lebon). Si la question posée au fond par cet arrêt est aujourd'hui obsolète, en revanche, elle laisse subsiter quelques interrrogations quant à l'exercice du droit de réclamation. L'article 1647 C quinquies du CGI (N° Lexbase : L2990IEH) prévoyait, dans le régime de la question posée au fond par cet arrêt est aujourd'hui obsolètea taxe professionnelle aujourd'hui disparue, que les immobilisations corporelles neuves éligibles aux dispositions de l'article 39 A du CGI (N° Lexbase : L4740ICK) (amortissement des biens d'équipement) ouvraient droit à un dégrèvement modulé pour trois années.

Les conditions formelles du dégrèvement étaient établies par les dispositions de l'article 1647 C quinquies précité : ces immobilisations devaient être identifiées dans la déclaration des bases de la taxe professionnelle déposée avant le 1er mai de l'année précédant celle de l'imposition (CGI, art. 1477 N° Lexbase : L0237HMQ).

Au cas présent, une société, qui avait omis cette obligation formelle, a demandé par voie de réclamation à bénéficier de ce dégrèvement. Cette demande était rejetée par l'administration fiscale au motif que ce dégrèvement ne pouvait être sollicité que dans la déclaration prévue à l'article 1477 du CGI, sans possibilité de régularisation ultérieure par voie de réclamation.

La cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 18 juillet 2013, n° 12VE01587) ayant donné gain de cause à la société, le ministre délégué chargé du Budget s'est pourvu en cassation.

L'omission commise par erreur dans la déclaration prévue à l'article 1477 du CGI pouvait-elle être corrigée par voie de réclamation classique (article L. 61 N° Lexbase : L8192AE7 et R. 196-1 N° Lexbase : L4380IXI et s. du LPF), ce que soutenait le contribuable et niait l'administration ?

L'arrêt du 11 mai 2015 confirme l'assouplissement intervenu depuis plusieurs années dans la jurisprudence administrative. Cet assouplissement peut peut-être s'expliquer par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et, subsidiairement, par le droit communautaire.

Le principal considérant de l'arrêt est le suivant : "considérant que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu par l'article R. 196-2 du LPF, sauf si la loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre une option entre différentes modalités d'imposition".

I - Une jurisprudence initialement favorable à l'interprétation administrative

Jusque dans les années 2000, la jurisprudence administrative était sévère : lorsque la loi prévoyait, par exemple, avant le premier janvier de l'année suivant celle de la création d'une entreprise nouvelle, une demande d'exonération ainsi qu'une déclaration provisoire des éléments entrant dans le champ de l'exonération, une entreprise nouvelle qui demandait en temps utile le bénéfice de l'exonération, mais déposait tardivement la déclaration provisoire perdait son droit à exonération. L'entreprise n'avait fourni la déclaration provisoire, qui devait être déposée avant le 1er janvier 1993, que le 28 avril de la même année (CAA Paris, 16 octobre 2001, n° 98PA02419 N° Lexbase : A6624BMB ; Doc. adm. 6 E-13-91, n° 34).

Il est vrai que, s'agissant de régimes de faveur, le juge développe, de façon générale, une jurisprudence stricte.

On peut relever dans le même sens un jugement du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 26 mars 2002, n° 98LY01947) : "Le pouvoir réglementaire n'a pas excédé sa compétence en imposant des conditions de déclaration aux contribuables prétendant au bénéfice de l'avantage reconnu par la loi (réduction d'impôt sur le revenu) ; que le législateur n'était pas tenu de préciser que ces obligations étaient substantielles ; que l'administration n'a pas fait une inexacte application des obligations précitées en refusant la réduction d'impôt sollicitée, nonobstant la circonstance que les mentions manquantes ont été complétées dans une attestation produite le 27 novembre 1997 par le requérant et que les conditions de fond ouvrant droit à l'avantage fiscal étaient remplies".

Le juge applique donc ici strictement les obligations déclaratives ouvrant droit à un avantage fiscal et prévues par la loi ou le règlement : les réclamations ne peuvent alors aboutir.

II - Une jurisprudence assouplie

L'arrêt du 11 mai 2015 est la confirmation et la continuation d'un revirement de jurisprudence intervenu au milieu des années 2000.

Ce revirement laisse cependant subsister une interrogation plus générale.

A - Une jurisprudence plus favorable au contribuable

Le revirement jurisprudentiel s'amorce avec un arrêt du Conseil d'Etat du 6 novembre 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 279831, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2889DSS) : "considérant que l'article 74 Q de l'annexe II au CGI pris pour l'application de l'article 150 B du même code, en prévoyant que le contribuable doit formuler sa demande d'exonération en même temps que sa déclaration de revenus (il s'agit de plus-values immobilières), n'a pas entendu faire obstacle à ce que cette demande soit présentée, après l'expiration du délai de déclaration, par voie de réclamation au service des impôts, jusqu'à l'expiration du délai de réclamation imparti par l'article R. 196-1 du LPF" (voir également CAA Versailles, 18 juillet 2013, n°12VE01587).

Un arrêt du Conseil d'Etat du 16 juillet 2008 (CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2008, n° 300839, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7341D9R) précisait : "En l'espèce, en confiant au pouvoir réglementaire le soin de fixer des obligations déclaratives, le législateur n'a pas autorisé le pouvoir réglementaire à prévoir que le non-respect de ces obligations au moment de la déclaration d'impôts interdisait toute régularisation ultérieure par dérogation au droit général de régularisation".

Cet assouplissement jurisprudentiel comporte cependant des limites : "Considérant qu'en application du II de l'article 1383 F du CGI (N° Lexbase : L0169IKH), le redevable qui entend bénéficier de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au I du même article doit souscrire une déclaration comportant tous les éléments d'identification du ou des immeubles exonérés, avant le 1er janvier de la première année à compter de laquelle il peut, au titre de l'immeuble concerné, bénéficier de l'exonération ; que si cette disposition ne peut avoir pour effet d'interdire à un contribuable, qui n'a pas souscrit cette déclaration dans le délai prescrit, de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-2 du LPF, le redevable qui n' a pas rempli cette obligation déclarative ne peut prétendre à l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties en l'absence de régularisation complète dans ce dernier délai" (CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2014, n° 365574, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9192MGK) (1).

B - Cette jurisprudence que reprend et confirme l'arrêt du 11 mai 2015, laisse subsister à notre sens une interrogation

Rappelons le principal considérant, cité supra : "considérant que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu par l'article R. 196-2 du LPF, sauf si la loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre une option entre différentes modalités d'imposition".

La lecture de l'arrêt amène à confirmer certaines solutions établies et à poser une question. La jurisprudence est désormais bien établie sur la réaffirmation d'un droit général de réclamation (l'arrêt du 16 juillet 2008 précité confirme bien par exemple l'existence de ce droit général) dès lors que la loi ne prévoit pas de restriction à ce droit. De même, le pouvoir réglementaire agissant sur délégation du législateur ne peut établir de restriction à ce droit.

Le Conseil d'Etat écarte, en revanche, dans l'arrêt du 11 mai 2015, l'exercice de ce droit dans l'hypothèse d'une option. Nous sommes en effet ici en présence d'une décision de gestion, prise par le contribuable et qui lui est opposable.

Cependant, pour le Conseil d'Etat, le droit à réclamation est écarté "si la loi a prévu que l'absence de demande dans un délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage".

Il y a donc ici, du fait de la loi, refus du droit à l'erreur. On sait, par ailleurs, que, de façon traditionnelle, le juge administratif se reconnaît juge de l'application de la loi, mais non juge de la loi.

En conséquence, dans cette hypothèse, et tout au moins devant le juge administratif, une demande de correction de l'erreur commise et de contestation du dispositif législatif ne sera pas reçue.

N'est-on pas, dès lors, en présence d'une violation législative du droit de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne ayant établi très tôt le "droit au juge" (CJCE, 23 avril 1986, aff. C-294/83 N° Lexbase : A4581AWL, rec. 1339) ?

Ne sommes-nous pas de même en contradiction avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (article 6 § 1) qui protège également l'accès au juge, même si certaines restrictions étatiques sont considérées comme légitimes (CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70 N° Lexbase : A1951D7E, série A, n° 18) ? Ainsi, est considérée comme une atteinte au droit d'accès à un tribunal, en matière pénale, un délai trop court imparti pour se pourvoir en cassation (CEDH, 10 juillet 2001, Req. 40472/98 N° Lexbase : A7607AWN, JCP éd. G, 2002, II, 10034, note D. Raimondo).

C'est d'ailleurs le juge français (CA Versailles, 3 mai 2007, n° 05/9223 N° Lexbase : A9286DWT, AJDA, 8-9/07) qui énonce que le droit d'accès au juge défini par l'article 6 § 1 de la CESDH constitue "non seulement un droit mais une garantie fondamentale à vocation universelle à laquelle il ne doit pas être porté atteinte".


(1) Rappelons que l'article 29 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013, de finances rectificative pour 2013 (N° Lexbase : L7404IYU), a supprimé l'exonération de taxe foncière prévue par l'article 1383 F comme l'exonération de cotisation foncière des entreprises prévue par l'article 1466 E du CGI, à l'exception des exonérations en cours.

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Sécurité sociale

[Brèves] Absence de prise en charge des frais médicaux par un organisme d'assurance maladie en cas d'absence d'accomplissement des formalités d'entente préalable

Réf. : Cass. civ. 2, 18 juin 2015, n° 14-20.258, F-P+B+I (N° Lexbase : A3754NLM)

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Le 24 Juin 2015

Aucune prise en charge ne peut être imposée à l'organisme d'assurance maladie lorsque les formalités de l'entente préalable n'ont pas été accomplies, soit par l'assuré, soit par le professionnel de santé qui fait bénéficier ce dernier de la dispense d'avance des frais. Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 juin 2015 (Cass. civ. 2, 18 juin 2015, n° 14-20.258, F-P+B+I N° Lexbase : A3754NLM).
Dans cette affaire, la caisse de mutualité sociale agricole (la MSA) a refusé, en janvier 2012, de prendre en charge le renouvellement du traitement d'oxygénothérapie prescrit à M. X pour la période de juin 2011 à juin 2012 et mis en oeuvre par la société Y, en raison du caractère tardif de l'envoi de la demande d'entente préalable. La société a donc saisi la juridiction de Sécurité sociale d'un recours. La cour d'appel (CA Bordeaux, 15 mai 2014, n° 13/04236 N° Lexbase : A2353MLQ) a condamné la MSA à prendre en charge le traitement à compter de la demande d'entente préalable donc à partir de décembre 2011, elle rejette donc la demande de la société Y de la prise en charge dès le début du traitement. La cour ajoute que la tolérance de trois mois par la MSA est suffisante pour pallier aux difficultés inhérentes aux délais de consultation des patients chez leur médecin et que la société Y ne justifie pas que ce délai ne soit pas suffisant en raison des spécificités de ce patient.
La société forme donc un pourvoi en cassation auquel la Haute juridiction accède. Elle casse sans renvoi l'arrêt de la cour d'appel au visa des articles L. 165-1 (N° Lexbase : L1341I7S) et R. 165-23 (N° Lexbase : L6465ADS) du Code de la Sécurité sociale (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E1354AC7).

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Sociétés

[Chronique] Chronique de droit des sociétés - Juin 2015

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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)

Le 25 Juin 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des sociétés de Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224) (1) . L'auteur a sélectionné deux décrets des 18 mai 2015 (décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, pris pour application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés) et 3 juin 2015 (décret n° 2015-606 du 3 juin 2015) et quatre arrêts. Le premier arrêt concerne les associés de sociétés civiles qui n'ont aucun lien contractuel avec les cocontractants la société (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-25.337, F-P+B). Le deuxième porte sur la garantie d'actif et de passif (GAP) et la connaissance du risque que peut en avoir le bénéficiaire, ce qui n'est pas de nature à faire échec à la GAP, sauf stipulation contractuelle inverse (Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234, F-D). Les deux derniers sont relatifs aux ventes d'actifs dans les sociétés : tantôt elles ne sont pas valables, lorsqu'elles portent atteinte à la poursuite de l'objet social (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-14.861, F-D), tantôt elles sont valables, lorsque précisément la poursuite de l'objet social n'est pas compromise malgré la vente des actifs (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-16.165, F-D).
  • Décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, pris pour application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés (N° Lexbase : L6362I87)

L'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (N° Lexbase : L1321I4P) a apporté des modifications en droit des sociétés qui nécessitaient une intervention réglementaire en vue de les préciser. C'est chose faite avec un décret publié au Journal officiel du 20 mai 2015 (décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, pris pour application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés, prise en application de l'article 3 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises N° Lexbase : L6362I87).

Ce texte (2) vise d'abord l'opposabilité aux tiers des cessions de parts sociales composant le capital des SARL et des SNC. L'ordonnance de juillet 2014 avait légalisé la solution jurisprudentielle qui consistait à admettre l'opposabilité d'une telle cession même en l'absence de dépôt d'acte de cession au RCS, dès lors du moins que les statuts à jour -de la cession et donc de la nouvelle répartition du capital social- sont déposés au RCS (C. com., art. art. L. 221-14, al. 2 N° Lexbase : L8873I3Z). Le décret du 18 mai 2015 précise que, "en l'absence de publication des statuts modifiés au RCS, le cédant ou le cessionnaire peut, après mise en demeure du gérant d'effectuer cette publication, restée vaine au terme d'un délai de huit jours, et en justifiant de la saisine du président du tribunal en application de l'article L. 123-5-1 (N° Lexbase : L2182ATY) ou de l'article L. 210-7 (N° Lexbase : L5794AIG), déposer contre récépissé l'acte de cession de parts sociales au registre du commerce et des sociétés. A titre conservatoire et jusqu'à la décision du tribunal [du président du tribunal en réalité], ce dépôt rend la cession opposable aux tiers, sous réserve de l'accomplissement des formalités prévues à l'alinéa premier de l'article L. 221-14" (C. com., art. R. 221-9, nouv. réd. N° Lexbase : L6452I8H). S'agissant spécifiquement des SARL, le décret précise que c'est aussi bien le cédant que le cessionnaire de parts sociales qui peut procéder au dépôt de l'acte de cession (C. com., art. R. 223-13, nouv. réd. N° Lexbase : L6453I8I).

Ensuite, quant à la possibilité introduite par l'ordonnance de 2014 de demander au juge de proroger le délai de six mois pour l'approbation des comptes (C. com., art. L. 223-26 N° Lexbase : L8875I34) qui existait pour les SA (C. com., art. L. 225-100 N° Lexbase : L6003IS7) mais pas pour les SARL, le décret du 18 mai 2015 indique que le délai de six mois prévu pour la réunion de l'assemblée des associés peut être prolongé, à la demande du gérant (et semble-t-il à la seule initiative de ce dernier), par ordonnance du président du tribunal de commerce, statuant sur requête (C. com., art. R. 223-18-1, nouv. N° Lexbase : L6439I8Y).

En outre, le décret du 18 mai 2015 prévoit la faculté pour les SARL d'avoir recours à un envoi électronique pour la convocation de l'assemblée des associés et décrit les conditions de mise en oeuvre de cette formalité simplifiée. Ainsi, "la société qui entend recourir à la communication électronique en lieu et place d'un envoi postal pour satisfaire aux formalités prévues aux articles R. 223-18 (N° Lexbase : L0114HZA), R. 223-19 (N° Lexbase : L0115HZB) et R. 223-20 (N° Lexbase : L6454I8K) en soumet la proposition aux associés soit par voie postale, soit par voie électronique. Chaque associé peut donner son accord écrit par lettre recommandée ou par voie électronique, au plus tard vingt jours avant la date de la prochaine assemblée des associés. En cas d'accord, la convocation et les documents et renseignements mentionnés aux dits articles sont transmis à l'adresse indiquée par l'associé" (C. com., art. R. 223-20, al. 2 nouv.). "En l'absence d'accord de l'associé, la société a recours à un envoi postal [...]. Les associés qui ont consenti à l'utilisation de la voie électronique peuvent, par cette voie ou par lettre recommandée, demander le retour à un envoi postal vingt jours au moins avant la date de l'assemblée suivante" (C. com., art. R. 223-20, al. 3 nouv.).

Par ailleurs, le décret retouche l'information des actionnaires relative aux conventions réglementées. L'ordonnance de 2014 est venue préciser que l'autorisation préalable du conseil d'administration en présence d'une telle convention doit désormais être "motivée en justifiant de l'intérêt de la convention pour la société" (C. com., art. L. 225-38, al. 4 nouv. (LXB=L8876I37]). Le décret du 18 mai 2015 prévoit que le président du conseil d'administration (ou du conseil de surveillance) doit désormais communiquer aux commissaires aux comptes de la société "pour chaque convention et engagement autorisés, les motifs justifiant de leur intérêt pour la société, retenus par le conseil d'administration" (C. com., art. R. 225-30, al. 1er compl. N° Lexbase : L7369I8G) ou "par le conseil de surveillance" (C. com., art. R. 225-57, al. 1er compl. N° Lexbase : L6457I8N). Le rapport spécial des commissaires aux comptes destiné à l'assemblée doit également mentionner, désormais, ces motifs. De plus, ce rapport doit contenir "l'énumération des conventions et engagements conclus et autorisés au cours d'exercices antérieurs dont l'exécution a été poursuivie au cours du dernier exercice" (qui doivent à présent être examinées chaque année par le conseil d'administration, en application du nouvel article L. 225-40-1 N° Lexbase : L8862I3M issu de l'ordonnance), "ainsi que, le cas échéant, toutes indications permettant aux actionnaires d'apprécier l'intérêt qui s'attache au maintien des conventions et engagements énumérés pour la société, l'importance des fournitures livrées ou des prestations de service fournies et le montant des sommes versées ou reçues au cours de l'exercice, en exécution de ces conventions et engagements" (C. com., art. R. 225-31, 6° et 7° mod. N° Lexbase : L7368I8E et R. 225-58, 5° et 6° mod. N° Lexbase : L6458I8P).

Enfin, le décret du 18 mai 2015 comporte des dispositions de droit financier, sur certaines valeurs mobilières, en particulier la publicité propre aux actions de préférence et la conversion des actions de préférence. Sont ainsi prévus le dépôt du procès-verbal de l'assemblée ayant prévu le rachat (C. com., art. R. 123-108, 4° nouv. N° Lexbase : L6466I8Y), l'annulation ou conversion au plus tard dans le mois suivant la clôture de l'exercice (C. com., R. 225-132 N° Lexbase : L6467I8Z), le registre des achats et des ventes (C. com., art. R. 225-160-4, nouv. N° Lexbase : L6441I83), le rapport du conseil d'administration en cas de rachat d'actions de préférence sur le fondement du droit commun (C. com., art. R. 228-19 N° Lexbase : L6468I83), le rapport sur la conversion prévue dans les statuts à propos des actions convertibles (C. com., art. R. 228-20 N° Lexbase : L6469I84) et l'avis de rachat d'actions rachetables (C. com., art. R. 228-22-1, nouv. N° Lexbase : L6442I84).

  • Décret n° 2015-606 du 3 juin 2015, relatif au temps nécessaire pour les administrateurs ou membres du conseil de surveillance élus ou désignés par les salariés pour exercer leur mandat et aux modalités de leur formation au sein de la société (N° Lexbase : L7527I8B ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E3825EYC)

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU) a institué l'obligation pour les SA et les SCA par actions répondant à certains critères (de taille) de désigner au sein de leur conseil d'administration ou de leur conseil de surveillance un ou deux membres représentant les salariés. Des droits ont été accordés, par cette même loi, à ces représentants : ils doivent disposer du temps de travail nécessaire à l'exercice de leur mission et peuvent demander l'accès à une formation adaptée à l'exercice de leur mandat (C. com., art. L. 225-30-1 (N° Lexbase : L0617IX7) et L. 225-30-2 (N° Lexbase : L0618IX8). Un décret du 3 juin 2015 fixe le temps nécessaire à ces administrateurs ou membres du conseil de surveillance pour exercer leur mission et détermine les modalités de leur formation. Ses dispositions sont entrées en vigueur le 6 juin 2015 (C. com., art. R. 225-34-2 N° Lexbase : L7268I8P à R. 225-34-6, R. 225-60-2, nouv. N° Lexbase : L7605I88 et R. 226-1, mod. N° Lexbase : L7612I8G). Ainsi, pour exercer leur mandat de représentation au sein du conseil d'administration ou de surveillance et de ses comités, les intéressés doivent disposer d'un temps de préparation qui ne peut être inférieur à quinze heures ni supérieur à la moitié de la durée légale de travail mensuel par réunion du conseil ou du comité considéré. Le conseil doit déterminer ce temps de préparation en tenant compte de l'importance de la société, de ses effectifs et de son rôle économique et, le cas échéant, de l'objet de la réunion. Le temps consacré à l'exercice du mandat est considéré comme temps de travail effectif et doit être rémunéré comme tel à l'échéance normale. Par ailleurs, la formation des administrateurs ou des membres du conseil de surveillance doit leur assurer l'acquisition et le perfectionnement des connaissances et techniques nécessaires à l'exercice de leur mandat. Elle doit porter principalement sur le rôle et le fonctionnement du conseil d'administration ou de surveillance, les droits et obligations des membres de ce conseil et leur responsabilité ainsi que sur l'organisation et les activités de la société. Le conseil d'administration ou de surveillance doit déterminer, pour la durée du mandat, le contenu du programme de formation après avis des membres concernés. Le temps consacré à la formation est également déterminé par le conseil d'administration, sans pouvoir être inférieur à vingt heures par an, au cours du mandat. Ce temps est pris sur le temps de travail effectif et rémunéré comme tel à l'échéance normale. Un accord d'entreprise ou, selon le cas, de groupe peut comporter des dispositions plus favorables. Il est aussi prévu que le conseil d'administration, après avis des administrateurs concernés, détermine le ou les organismes ou centres de formation chargés de dispenser la formation. L'organisme ou le centre de formation délivre, à la fin de la formation, une attestation d'assiduité que l'intéressé remet à son employeur. Le coût de la formation, y compris les frais de déplacement au titre de celle-ci, sont à la charge de la société et ne sont pas pris en compte dans le calcul des sommes consacrées à la formation continue. Ces dispositions sont applicables aux membres représentant les salariés au conseil de surveillance

  • La société civile, l'associé et le cocontractant (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-25.337, F-P+B N° Lexbase : A2305NKL ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1155AWP)

Peu de temps après avoir jugé, pour la première fois, que l'associé d'une société civile, qui désintéresse un créancier social en application de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), paie la dette de la société et non une dette personnelle (3), la Cour de cassation juge, le 2 juin 2015, selon la même logique, et conformément à une solution déjà énoncée en 2000, que les associés d'une société civile immobilière ne sont pas contractuellement liés à ceux avec lesquels la société a contracté. Ainsi, la qualité d'associé tenu aux dettes sociales ne modifie pas sa qualité de tiers au contrat conclu par la société, de sorte qu'il peut, en tant que tiers, rechercher la responsabilité délictuelle des cocontractants de la société en invoquant un manquement dans l'exécution de ce contrat pour obtenir la réparation de son préjudice, et non pas leur responsabilité contractuelle, en conséquence de quoi son action se prescrit par dix ans après la manifestation du dommage.

En l'espèce, une SCI a confié à trois architectes la maîtrise d'oeuvre pour l'édification d'un ensemble immobilier. Après la mise en liquidation judiciaire de la SCI, son gérant et associé a été condamné à payer une certaine somme en sa qualité d'avaliste de lettres de changes souscrites dans le cadre de cette opération et une autre somme en comblement de passif. Invoquant des manquements commis par les architectes à leurs obligations contractuelles, il les a assignés ainsi que leur assureur et le liquidateur de la SCI, afin d'obtenir réparation de son préjudice. Les juges du fond avaient jugé son action contre les trois architectes prescrites. Au contraire, l'associé gérant faisait valoir que l'associé d'une société civile, lorsqu'il invoque un préjudice personnel et distinct, peut engager une action en responsabilité contractuelle à l'encontre du contractant de la société qui, par sa faute, a causé le préjudice, si bien que la cour d'appel n'aurait pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1843-5 (N° Lexbase : L2019ABE) du Code civil. Mais son pourvoi est rejeté.

La solution, juridiquement fondée et incontestable, est intéressante à trois titres. D'abord, sur le terrain de l'effet relatif des contrats, elle reprend au mot près un arrêt de cassation rendu au visa de l'article 1165 du Code civil (4). Elle découle de la personnalité morale de la société : certes, les associés de SCI sont tenus aux dettes sociales de manière conjointe et indéfinie, mais la société n'est pas moins un être juridiquement distinct, si bien que ses créanciers et ses cocontractants ne sont pas ceux de ses associés, même si ceux-ci peuvent être mis à contribution, subsidiairement. Ensuite, sur le terrain de l'action individuelle, étant donné que société et associés sont juridiquement distincts, ces derniers peuvent souffrir d'un préjudice personnel et ainsi en obtenir réparation. L'écran de la personnalité morale, même très étanche, permet une telle action (5). Il est rare toutefois, en pratique, qu'elle aboutisse, tout comme d'ailleurs dans les sociétés à risque limité, le préjudice individuel étant toujours très difficile à prouver. Enfin, concernant la prescription, la loi de 2008 ayant aligné nombre de prescriptions, dont celle contractuelle et délictuelle en matière de responsabilité civile, désormais de cinq ans, la question de la prescription est aujourd'hui devenue sans objet, pour tous les litiges postérieurs à l'entrée en vigueur de ladite loi. Néanmoins, la question se posait dans cette affaire, les faits étant antérieurs à la réforme de la prescription.

  • Garantie de passif et connaissance par son bénéficiaire des faits susceptibles d'affecter de manière substantielle les actifs qui y étaient visés (Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234, F-D N° Lexbase : A8766NH7 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E0638EU8)

A la suite d'une cession de droits sociaux, le bénéficiaire d'une GAP en demande la mise en oeuvre. Elle la lui est refusée par les juges du fond au motif qu'il avait réalisé un audit de la société avant d'en acquérir les titres, qu'il se prévalait d'une spécialisation dans le domaine informatique et qu'il ne rapportait pas la preuve de manoeuvres du cédant destinées à le tromper. En d'autres termes, parce qu'il avait eu une connaissance précise du risque, les juges avaient décidé d'exclure l'acquéreur du champ de la garantie conventionnelle. L'arrêt est cassé au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) : "attendu qu'en statuant ainsi, alors que par la convention du 26 juillet 2006, [la cédante] avait garanti que toutes les informations qui y figuraient étaient exactes, sans distinguer selon que le bénéficiaire de la garantie avait ou non connaissance des faits susceptibles d'affecter de manière substantielle les actifs qui y étaient visés, la cour d'appel a méconnu la loi du contrat et violé le texte susvisé".

La solution n'est pas nouvelle (6), un créancier, même de mauvaise foi, n'en demeurant pas moins un créancier (7). Au regard de l'article 1134 du Code civil, elle est imparable. Pour autant, sur le fondement de ce même texte, il est possible de faire échec à cette jurisprudence et ce, par le contrat lui-même. En effet, s'il n'y a pas lieu de distinguer selon que le bénéficiaire est au courant ou pas du fait générateur de la GAP, c'est uniquement lorsque le contrat lui-même ne distingue pas. Or le contrat peut tout à fait opérer cette distinction. Tout comme doit-il, nous semble-t-il, prévoir la déchéance de la garantie (8). Car s'il ne prévoit ni l'un, ni l'autre, la garantie jouera pleinement dans tous les cas (9). La doctrine souligne qu'"il reste à savoir quelle doit être l'ampleur de la révélation et donc de la déception : doit-elle être totale et constituer ainsi pour l'acquéreur une mauvaise surprise ; ou bien peut-elle être seulement partielle, le cessionnaire pouvant connaître avec précision le risque finalement réalisé ?" (10). Il reste également la question du degré d'implication dans la connaissance du fait générateur. Elle peut être objectivement prévue : à l'instar de la déchéance qui peut être prévue pour une simple formalité non accomplie, ou par exemple un seul jour de retard dans le déclenchement de la garantie, la simple connaissance par le bénéficiaire peut suffire pour qu'il soit déchue de sa garantie. En d'autres termes, la mauvaise foi du créancier, même minime, peut l'empêcher de bénéficier de la GAP. Un créancier, même de mauvaise foi, reste créancier, sauf si le contrat prévoit de sanctionner sa mauvaise foi par la perte de sa qualité de créancier. Toujours d'un point de vue contractuel, n'est-il pas possible, par ailleurs, de prévoir différents faits générateurs, du moins grave au plus grave ? En indiquant "sans distinguer selon que le bénéficiaire de la garantie avait ou non connaissance des faits susceptibles d'affecter de manière substantielle les actifs qui y étaient visés", l'arrêt le sous-entend. Il pourrait donc bien être distingué entre les atteintes substantielles et celles non substantielles. Simplement, les atteintes non substantielles ne sont pas, a priori, de nature à déclencher la GAP. Le contrat peut tout oublier. Le contrat peut tout prévoir. Néanmoins, la précision comporte un risque : que la rédaction du contrat se retourne contre le rédacteur lui-même. Sans compter la phase de négociation, essentielle lorsque les rédacteurs, avec ou sans pression de la part de leurs clients, souhaitent rédiger de la meilleure des manières qu'il soit la GAP.

  • Vente de l'unique actif d'une SCI jugé contraire à l'intérêt social (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-14.861, F-D N° Lexbase : E9979A7Q ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1781CT7)

Est contraire à l'intérêt social et doit être annulée, la décision prise par l'assemblée générale ordinaire de la vente de l'immeuble entraînant la fin de la pérennisation du seul actif de la SCI, alors que l'accord des associés pour conclure le contrat social s'était fait essentiellement sur cette pérennisation, conduisant inéluctablement à sa dissolution. Voilà ce que juge la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2015, dans lequel l'AGO des associés avait décidé de vendre l'immeuble qui constituait le seul actif de la SCI, rejetant le pourvoi contre l'arrêt d'appel ayant annulé la délibération qui avait décidé de la vente de l'immeuble.

La vente de l'unique actif d'une société n'est pas en soi fautive, ni même interdite, dès lors du moins qu'elle ne compromet pas la poursuite de l'objet social. La jurisprudence s'est depuis longtemps déjà prononcée en ce sens, dans le contentieux des cessions de fonds de commerce, cession souvent décidée par le gérant seul, nonobstant d'éventuelles clauses limitatives de ses pouvoirs. Ainsi, dans l'arrêt "Villa Les Sources" (11), la Cour de cassation a-t-elle admis l'efficacité d'une promesse de vente portant sur une maison de repos puisque la société avait pour objet l'exploitation de "toute maison de repos". En revanche, elle avait censuré la cour d'appel de Paris pour ne pas avoir recherché si "la cession de son fonds de commerce par le gérant n'impliquait pas une modification des statuts quant à la détermination de l'objet social [...]" (12).
De même, dans la célèbre affaire du "Journal de Doullens", la Cour de cassation avait-elle jugé inefficace l'acte de cession portant sur ledit journal exploité par la SARL, car l'objet statutaire était l'exploitation d'un hebdomadaire du même nom (13).

Au cas d'espèce, ce n'est pas tant au regard de l'objet social, à propos duquel les statuts stipulaient "la propriété [...] de tous immeubles urbains ou ruraux, bâtis ou non bâtis [...]" que l'accord des associés qui se trouvait contrarié par ladite vente. En effet, la vente de l'immeuble entraînait la fin de la pérennisation du seul actif de la SCI, alors que l'accord des associés pour conclure le contrat social s'était fait essentiellement sur cette pérennisation. On observe ainsi un glissement de l'objet social vers l'accord des associés. Peu importe ; l'essentiel est de rechercher si la vente porte atteinte ou pas soit à la poursuite de l'objet social, soit à l'accord des associés qui ici s'était fait sur la pérennisation dudit immeuble. En réalité, poursuite de l'objet social et accord des associés sont intimement liés. A ce titre, comme il est relevé plus loin dans l'arrêt, "la vente envisagée au profit de la société hôtelière ne relevait pas de l'objet social de la SCI". Voilà ce qui est reproché : la vente de l'unique actif à un hôtel qui jusqu'à présent n'était que locataire de cet actif. Autrement dit, la SCI n'avait été constituée que dans le but de détenir la propriété d'un immeuble loué à un hôtel. Si bien que décider de vendre l'immeuble conduisait inéluctablement à la dissolution de la SCI. Parce que contraire à l'intérêt social, la vente était illégale. Elle a donc été annulée, la société n'étant pas engagée puisque nemo censitur ignorare legem. On relèvera, en outre, une suspicion de transfert ou de détournement d'actif : l'acheteur -la société hôtelière- n'était autre qu'une société gérée par le même gérant que celui officiant au sein de la SCI. La vente de l'unique actif pouvait donc faire raisonnablement craindre sa fuite de manière frauduleuse (14).

  • Vente de l'actif d'une SCI jugée conforme à l'intérêt social car ne compromettant pas la poursuite de l'objet social (Cass. civ. 3, 2 juin 2015, n° 14-16.165, F-D N° Lexbase : A2091NKN ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E1781CT7)

Contrastant avec la solution précédente, la même formation (troisième cambre civile) de la Cour de cassation a, au contraire, jugé dans cet arrêt que la vente des trois immeubles d'une SCI était valable.

Il s'agissait d'une SCI constituée entre un père de famille et ses trois enfants, lesquels possédaient chacun le quart du capital social. La SCI avait pour objet l'acquisition, l'administration et l'exploitation de tous immeubles et, éventuellement et exceptionnellement, l'aliénation des immeubles devenus inutiles à la société. L'un des enfants avait assigné ses associés et la société en annulation des résolutions des assemblées générales ordinaires ayant décidé la vente de trois immeubles de la société, en nomination d'un administrateur provisoire et en indemnisation. Mais son pourvoi est rejeté. D'une part, "ayant retenu que seuls les associés pouvaient apprécier le caractère utile ou non du bien dont la vente était envisagée, que les délibérations litigieuses, qui n'avaient pas été prises au profit exclusif des associés majoritaires et n'entraînaient aucune rupture d'égalité entre les associés, n'avaient pas pour objet ni pour effet de céder l'intégralité de l'actif social et que la société, qui restait propriétaire d'immeubles et avait la possibilité d'en acquérir d'autres, conservait son objet social, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises et qui a pu en déduire que les demandes d'annulation et d'indemnisation formées par M. Bernard [P.] devaient être rejetées, a légalement justifié sa décision de ce chef". D'autre part, "ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que la société, qui restait propriétaire d'immeubles et avait la possibilité d'en acquérir d'autres, conservait son objet social et que la divergence d'appréciation portée par M. Bernard [P.] sur les intérêts de la société par rapport à celle de ses associés ne caractérisait pas une atteinte à son fonctionnement, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise et qui a pu en déduire que la demande de désignation d'un administrateur provisoire devait être rejetée, a légalement justifié sa décision de ce chef".

La solution est différente de précédemment car la situation est différente. Autant précédemment la vente de l'unique actif de la société compromettait sa pérennisation, autant ici la vente des trois immeubles n'avait aucune incidence sur la poursuite de l'objet social. Ces deux arrêts du 2 juin 2015 s'inscrivent donc parfaitement dans la lignée des décisions rendues antérieurement par la Cour de cassation en matière de poursuite d'objet social en cas de vente d'actif social (15).


(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) BRDA 10/2015, inf. 25 ; B. Dondero, Décret pris pour l'application de l'ordonnance relative au droit des sociétés (D. n° 2015-845, 18 mai 2015), JCP éd. E, 2015, act. 432 ; du même auteur, étude sur le décret, à paraître au JCP éd. E, 2015 ; R. Mortier et M. Roussille, Le décret du 18 mai 2015 : dispositions relatives aux titres et aux opérations sur titres, Dr. sociétés, juillet 2015, étude 13 ; M. Roussille, Dr. sociétés, juillet 2015, comm. 129, 130 et 131.
(3) Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 14-15.222, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5368NHB), B. Saintourens, Obligation aux dettes de l'associé de société civile : l'associé paie une dette de la société et non une dette personnelle, Lexbase Hebdo n° 425 du 28 mai 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7522BU7) ; Dr. sociétés, juillet 2015, comm. 127, note H. Hovasse ; Journal des sociétés, juin 2015, chron. CEDI, obs. A. Cerati-Gauthier, p. 51 ; Ann. des Loyers, 6/2015, p. 76, nos obs.
(4) Cass. 3ème civ, 8 nov. 2000, n° 95-18.331, publié (N° Lexbase : A7743AHA), Bull. civ. III, n° 168 ; D. 2000, AJ p. 444, obs. A. Lienhard ; Dr. sociétés, février 2001, comm. 21, note Th. Bonneau ; Bull Joly Sociétés, février 2001, p. 190, note F.-X. Lucas ; D., 2002, Somm. p. 478, obs. J.-C. Hallouin ; JCP éd. G, 2001, II, 10450, concl. J.-F. Weber, note Y. Chartier ; LPA, 7 mai 2001, n° 90, p. 12, note D. Gibirila ; LPA, 22 mai 2001, n° 101, p. 20, note O. Salati ; RDI, 2001, p. 248, obs. F. Magnin. Cf. égal. Cass. civ. 3, 12 juin 2002, n° 00-19.207, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9059AY8), Bull. civ. III, n° 134 ; BICC, 1er octobre 2002, n° 926, et les obs. ; D., 2003, Somm. 1288, obs. Lemée ; JCP éd. G, 2003, II, 10005, note Rakotovahiny ; Defrénois, 2002, 1312, obs. Ch. Atias : les membres d'une personne morale de droit privé (association syndicale libre) ne sont pas responsables à l'égard des tiers du passif de cette personne morale, dont le patrimoine est distinct de celui de ses membres.
(5) Cass. civ. 3, 22 septembre 2009, n° 08-18.7850, F-D (N° Lexbase : A3474ELA), D., 2009, AJ 2342 ; RTDCom., 2009, p. 750, obs. Cl. Champaud et D. Danet ; Dr. sociétés, 2010, n° 1, note M.-L. Coquelet (1ère esp.) ; LPA, 20 janvier 2010, note J. Granotier.
(6) Cass. com., 14 décembre 2010, n° 09-68.868, F-D (N° Lexbase : A2619GNC) ; Dr. sociétés, 2011, comm. 44, note M.-L. Coquelet ; RTDCom., 2011, p. 359, note A. Constantin et p. 371, obs. P. Le Cannu et B. Dondero.
(7) Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A2234DXZ) ; Dr. sociétés, 2007, comm. 180, note H. Hovasse ; JCP éd. G, 2007, II, 10154, note D. Houtcieff ; D., 2007, p. 2839, note P. Stoffel-Munck et p. 2844, note P.-Y. Gautier ; RDC, 2007, p. 1107, note L. Aynès et p. 1110, note D. Mazeaud ; RTDCom., 2007, p. 786, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; RTDCiv., 2007, p. 773, obs. B. Fages ; Defrénois, 2007, art. 38667, note E. Savaux.
(8) CA Versailles 10 mars 2015 n° 13/05649 (N° Lexbase : A9898NCL) : est valable la clause prévoyant la déchéance d'une garantie de passif pour non-respect par le bénéficiaire du délai d'information du garant dans le seul cas où ce dernier a ainsi été privé d'un recours.
(9) Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-28.266, F-D (N° Lexbase : A2711NAN) ; nos obs. in de droit des sociétés - Février 2015 (3ème com.), Lexbase Hebdo n° 412 du 12 février 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N5905BUA).
(10) En ce sens, Dr. sociétés, juillet 2015, comm. 126, note R. Mortier (sous Cass. com., 12 mai 2015, n° 14-13.234, F-D).
(11) Cass. com., 29 janvier 1979, n° 77-11.302 (N° Lexbase : A3378AG9), Bull. civ. IV, n° 35 ; JCP éd. E, 1979, II, 13184, obs. M. Dagot.
(12) Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-21.485 (N° Lexbase : A4888ACZ) ; Dr. sociétés, 1995, comm. 16 ; Rev. sociétés, 1995, p. 284, note F. Pasqualini et V. Pasqualini-Salerno ; JCP éd. G, 1994, IV, 2576 ; D., 1994, inf. rap. p. 250 ; Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 1330, note B. Saintourens ; Defrénois, 1994, art. 35954, p. 1546, obs. H. Hovasse ; RTDCom., 1995, p. 141 ; RJDA 2/95, n° 161. Confirmé par Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-15.489, F-D (N° Lexbase : A8965IBN) ; Dr. sociétés, avril 2012, comm. 62, note M. Roussille : la cession de fonds de commerce ne relève pas des pouvoirs légalement réservés aux associés. Elle entre dans les pouvoirs du gérant, dès lors qu'elle n'implique pas une modification des statuts. Le gérant peut ainsi engager la société dans une promesse synallagmatique de cession du fonds, sans l'accord préalable de l'assemblée.
(13) Cass. com., 12 janvier 1988, n° 85-12.666 (N° Lexbase : A6415AAT), Bull. civ. 1988, IV, n° 24 ; Rev. sociétés, 1988, 263, note Y. Chaput ; Bull. Joly Sociétés 1988, p. 212, note L. Faugérolas.
(14) V. déjà Cass. com., 2 mai 1990, n° 88-15871, publié (N° Lexbase : A4131AG4), Bull. civ. IV, n° 131: doit être cassé l'arrêt qui met hors de cause une société constituée, à l'époque de la liquidation d'une autre société, entre l'épouse et le fils du gérant de cette dernière en retenant qu'aucun élément n'autorisait à affirmer péremptoirement qu'elle ait joué un rôle personnel dans l'anéantissement du patrimoine et des activités ou ait disposé, en parfaite connaissance de cause, des éléments ayant constitué le fonds de commerce géré par cette société distincte alors qu'il résultait de ses constatations qu'elle avait été créée en vue de recueillir les éléments d'actif frauduleusement soustraits à l'autre société.
(15) Notion sur laquelle v., nos obs. L'actif social - Plaidoyer pour la reconnaissance de la notion, préf. J. Mestre, PUAM, 2009.

newsid:448034

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Lieu des prestations de services fournies dans le cadre d'une concession d'exploitation de brevets

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2015, n° 369100, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5360NL4)

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N8083BUW

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Le 30 Juin 2015

Pour l'application de l'article 259 B du CGI (N° Lexbase : L1676IPR), relatif à la territorialité de la TVA, il convient, comme la CJCE l'a jugé, notamment dans ses arrêts du 4 juillet 1985 (CJCE, 4 juillet 1985, aff. C-168/84, points 17 et 18 N° Lexbase : A8291AUM) et du 17 juillet 1997 (CJCE, 17 juillet 1997, aff. C-190/95, points 15 et 16 N° Lexbase : A9909AUK), de déterminer le point de rattachement des services rendus afin d'établir le lieu des prestations de services. L'endroit où le prestataire a établi le siège de son activité économique apparaît comme un point de rattachement prioritaire, la prise en considération d'un autre établissement à partir duquel la prestation de services est rendue ne présentant un intérêt que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle du point de vue fiscal ou crée un conflit avec un autre Etat membre. Ainsi, un établissement ne peut être utilement regardé, par dérogation au critère prioritaire du siège, comme lieu des prestations de services d'un assujetti, que s'il présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 17 juin 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2015, n° 369100, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5360NL4). En l'espèce, une société, dont le siège est aux Pays-Bas, gère et exploite des brevets et droits de la propriété industrielle dont elle a sous-concédé l'exploitation à une société située en France. Des droits supplémentaires de TVA ont été mis à sa charge au titre des redevances d'exploitation qui lui ont été versées par la société située en France. Le Conseil d'Etat a décidé de faire droit à la demande de la société requérante. Au cas présent, la société néerlandaise disposait d'un établissement stable dans les locaux d'une société en France, caractérisé par la disposition personnelle et permanente d'une installation comportant les moyens humains et techniques nécessaires à son activité d'exploitation de brevets. Néanmoins, la cour administrative d'appel (CAA Lyon, 16 avril 2013, n° 12LY02215 N° Lexbase : A9774MQ3) a jugé, à tort, que l'administration était pour ce seul motif fondée à rattacher les prestations de services en cause à cet établissement stable, sans rechercher s'il y avait lieu, ainsi que le soutenait la société devant elle par un moyen auquel elle n'a pas répondu, de les rattacher à son siège social .

newsid:448083

Droit pénal du travail

[Brèves] Travail dissimulé : la seule application d'une convention de forfait illicite ne traduit pas le caractère intentionnel de l'infraction

Réf. : Cass. soc., 16 juin 2015, n° 14-16.953, F-P+B (N° Lexbase : A5159NLN)

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N8068BUD

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Le 01 Juillet 2015

Le caractère intentionnel de l'infraction de travail dissimulé ne peut se déduire de la seule application d'une convention de forfait illicite. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 juin 2015 (Cass. soc., 16 juin 2015, n° 14-16.953, F-P+B N° Lexbase : A5159NLN).
Dans cette affaire, M. X a été engagé en qualité d'accompagnateur par la société Y, suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 22 décembre 2008 qui fixait à 1645 heures la durée annuelle de travail. Il a démissionné par lettre du 31 août 2010. Estimant ne pas avoir été rempli de ses droits salariaux, il a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir un rappel de salaire notamment au titre d'heures supplémentaires réalisées dans la limite et au-delà de la limite du contingent annuel ainsi qu'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Pour condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 8ème ch., 13 mars 2014, n° 12/03732 N° Lexbase : A7149MGU) retient que l'élément intentionnel du travail dissimulé est établi du fait de l'application intentionnelle combinée de plusieurs régimes incompatibles et, en tout état de cause, contraires aux dispositions d'ordre public du droit du travail, l'accord d'entreprise invoqué étant illicite en ce qu'il prévoyait un nombre d'heures annuelles supérieur au plafond légal de 1607 heures et en ce qu'il ne fixait pas les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d'horaires de travail, ni les conditions de prise en compte, pour le calcul de la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période. A la suite de cette décision, la société s'est pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5484EXE).

newsid:448068

Urbanisme

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat donne le "mode d'emploi" de l'intérêt à agir contre les permis

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 10 juin 2015, n° 386121, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6029NKI)

Lecture: 7 min

N8033BU3

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par Vanina Ferracci, Avocat a la Cour

Le 25 Juin 2015

Dans une décision du 10 juin 2015, le Conseil d'Etat donne les clés des modalités d'application de l'intérêt à agir, tel que défini à l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4348IXC). Cette décision, destinée à être publiée au recueil Lebon, intervient quasi exactement deux ans après l'avis rendu le 18 juin 2013 (1) sur l'application rationae temporis des articles L. 600-1-2, L. 600-1-3 (N° Lexbase : L4349IXD), L. 600-5 (N° Lexbase : L4354IXK) et L. 600-7 (N° Lexbase : L4351IXG) du Code de l'urbanisme, relatifs à l'intérêt à agir, à l'annulation partielle et à l'institution des demandes reconventionnelles en dommages et intérêts. Dans cette affaire, les requérants ont demandé au juge des référés la suspension de l'exécution de l'arrêté du 14 août 2014 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a accordé à la société X un permis de construire en vue de la réalisation d'une station de conversion électrique d'une capacité de 1 000 mégawatts, étant précisé que le terrain d'assiette de ce projet est situé à environ 700 mètres de leurs maisons d'habitation, au sein d'une zone d'aménagement concerté.

Pour établir leur intérêt à agir, les requérants soutenaient que la station de conversion projetée troublerait les conditions d'occupation et de jouissance de leurs biens, en raison des nuisances tant sonores que visuelles qu'elle provoquerait. Le juge des référés du tribunal administratif de Lille a cependant rejeté leur requête pour irrecevabilité, considérant qu'"ils ne justifiaient pas d'un intérêt leur donnant qualité à agir au seul motif que les nuisances sonores qu'ils invoquaient n'étaient pas établies".

Le Conseil d'Etat annule cette ordonnance, au motif que le premier juge a insuffisamment motivé sa décision "au regard de l'argumentation dont il était saisi".

Statuant ensuite au fond, la Haute juridiction :

- donne les modalités d'application de l'administration de la preuve de l'intérêt à agir ;
- et précise la consistance des intérêts donnant une qualité pour agir contre un permis de construire.

I - Les obligations des parties et l'office du juge en matière d'intérêt à agir sont désormais explicitement définis

Jusqu'à l'insertion d'une définition légale de l'intérêt à agir au sein du Code de l'urbanisme, la jurisprudence considérait que la démonstration de la qualité de voisin suffisait à conférer un intérêt donnant qualité pour agir au requérant contre une autorisation d'urbanisme (2).

Malgré la nécessité de démontrer la visibilité et la proximité du projet depuis le lieu de résidence du voisin, pour définir cette qualité, force est de constater que l'intérêt à agir contre une autorisation d'urbanisme était aisément reconnu, facilitant les oppositions aux projets de constructions.

Cette situation a participé à l'apparition et au développement de pratiques abusives, auxquelles le ministère de l'Egalité des Territoires et du Logement a souhaité mettre fin.

C'est ainsi que le groupe de travail présidé par Monsieur Labetoulle a proposé, dans son rapport "Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre" (3), une clarification des règles de l'intérêt pour agir, en instituant un définition légale de celui-ci au Code de l'urbanisme.

Selon ce rapport, une telle "consécration législative serait sans doute reçue par les juridictions comme un signal les invitant à retenir une approche un peu plus restrictive de l'intérêt pour agir". Reprise par l'ordonnance du 18 juillet 2013 (4), cette définition a donc pour objectif concret de restreindre l'intérêt à agir tel que précédemment défini par la jurisprudence.

En substance, l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme expose qu'un tiers (5) dispose d'un intérêt à agir contre un permis (de construire, de démolir ou d'aménager) que si la construction, l'aménagement ou les travaux autorisés sont de nature à affecter directement ses conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'il détient ou occupe régulièrement.

La simple lecture de cet article invite les requérants à justifier de leur intérêt à agir en démontrant que le projet critiqué aura un impact sur leurs conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien. La seule qualité de "voisin" deviendrait donc insuffisante.

L'arrêt commenté confirme cette interprétation tout en adoptant une interprétation mesurée.

Trois étapes doivent être respectées :

- tout d'abord, il appartient au requérant "de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien".

- ensuite, c'est aux défendeurs, c'est-à-dire la collectivité locale auteur de l'acte (commune ou intercommunalité, défendeur principal) et le bénéficiaire de l'autorisation (défendeur en intervention volontaire), "d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité" s'ils souhaitent contester cet intérêt à agir.

- enfin, "il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci".

D'un point de vue pratique, cette décision implique nécessairement que le requérant développe, dès sa requête introductive d'instance, une réelle argumentation tendant à justifier de son intérêt à agir, en détaillant pour quels motifs le projet aura des répercussions sur ses conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

A cet égard, et depuis l'entrée en vigueur de la réforme, les professionnels du droit, en particulier les avocats, ne s'y étaient pas trompés, et les requêtes ont rapidement intégré ces préalables garantissant leur recevabilité.

Pour autant, la Haute Juridiction n'impose en aucun cas au requérant d'apporter "la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque". Pour reprendre les termes même de l'arrêt, elles doivent seulement être "susceptibles" d'impacter les conditions de vie du requérant.

La Haute juridiction ne valide ainsi pas une interprétation stricte selon laquelle l'intérêt à agir doit être écarté lorsque les requérants "n'établissent pas" que les atteintes "présenteraient une gêne affectant substantiellement les conditions d'occupation de cette habitation" (6).

La jurisprudence administrative opte donc pour une solution médiane.

II - La consistance de l'intérêt à agir : la fin des critères prédominants de la proximité et de la visibilité

Comme précédemment rappelé, jusqu'à l'entrée en vigueur du nouvel article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme, c'est la qualité de "voisin" qui conférait un intérêt à agir au requérant, le "voisinage" ayant été progressivement défini par la jurisprudence comme reposant essentiellement sur des critères de proximité et de visibilité.

Ainsi, l'intérêt à agir à l'encontre d'un permis s'analysait notamment au regard de la distance entre le projet contesté et le domicile du requérant, la nature et l'importance du projet, ainsi que la configuration des lieux et les obstacles situés entre eux (7).

Avaient, par exemple, la qualité de "voisins" le propriétaire d'une maison, séparée d'une centaine de mètres de la construction projetée, dont la vue est protégée par un talus, des végétations et des arbres feuillus de haute tige ainsi que par un logement mobile, ces obstacles ne constituant pas une protection pérenne contre les inconvénients de vue que pourrait présenter le projet (8).

En revanche, tel n'était pas le cas du requérant résidant dans un quartier distinct, ou dont le domicile est séparé du projet par des obstacles pérennes de nature à priver celui-ci de toute vue sur le projet (9).

L'arrêt commenté met fin à cette jurisprudence.

Dans cette affaire, les requérants faisaient valoir que leurs habitations seraient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci pourrait être visible depuis ces habitations.

Le Conseil d'Etat écarte ces circonstances de fait, considérant qu'"elles ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens des requérants".

Ainsi, la seule visibilité et/ou proximité du projet contesté n'est plus, en tant que tel, un élément suffisant pour justifier d'une atteinte aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens et donc pour garantir la recevabilité du requérant.

En revanche, le Conseil d'Etat relève que "toutefois, ceux-ci font également valoir qu'ils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu'ils contestent, à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances qu'ils subissent en raison de l'existence d'une autre station de conversion implantée à 1,6 kilomètre de leurs habitations respectives".

Appliquant sa méthodologie nouvelle, il examine ensuite l'argument développé en défense selon lequel "le recours à un type de construction et à une technologie différents permettra d'éviter la survenance de telles nuisances" avant de conclure "que, dans ces conditions, la construction de la station de conversion électrique autorisée par la décision du préfet du Pas-de-Calais du 14 août 2014 doit, en l'état de l'instruction, être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des maisons d'habitation des requérants".

Il en résulte que l'absence de visibilité ne serait plus un obstacle dirimant à la reconnaissance d'un intérêt à agir, même à distance importante, dès lors que des nuisances, sonores ou, par extension, olfactives, pourraient impacter les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens du requérant.

De cette décision, mesurée, il est possible de craindre quelques effets pervers, tels que la multiplication des débats portant sur la recevabilité du requérant, et sur la réalité ou non de l'atteinte invoquée. Surtout, il peut être regretté que l'interprétation retenue par le Conseil d'Etat aboutisse quasiment à un renversement de la charge de la preuve, puisque le défendeur devra démontrer que l'atteinte ne sera pas subie. Tel n'était manifestement pas l'objectif assigné par ses auteurs à l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (10).


(1) CE 1° et 6° s-s-r., 18 juin 2014, avis n° 376113, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4326MRN).
(2) Pour un exemple récent de cette jurisprudence, dans une affaire où les dispositions de l'article L. 600-1-2 n'étaient pas encore opposables : CAA Lyon, 1ère ch., 17 février 2015, n° 13LY03373 (N° Lexbase : A4944NDH) : "Considérant que le propriétaire d'un terrain voisin du lieu d'implantation de la construction dont l'édification est autorisée ou qui fait l'objet de travaux soumis à permis de construire, a intérêt à contester la légalité d'un tel permis ; qu'il est constant que les requérants sont propriétaires de parcelles voisines du terrain sur lequel est prévu le projet en litige ; qu'ils ont donc intérêt à attaquer les arrêtés en litige".
(3) Rapport remis le 25 avril 2013 à Cécile Duflot, ministre de l'Egalité des territoires et du Logement.
(4) Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW).
(5) Autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association.
(6) Pour une décision appliquant cette interprétation stricte : CAA Bordeaux, 1ère ch., 16 octobre 2014, n° 13BX00093 (N° Lexbase : A8076MYR).
(7) CE 8 et 3 s-s-r., 27 octobre 2006, n° 286569, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4844DS9), et pour un exemple récent : CAA Nantes, 2ème ch., 30 janvier 2015, n° 14NT01065 (N° Lexbase : A6646NDI) : "Considérant [...] que, contrairement à ce que soutiennent la société [...] et la commune [...], les requérants, qui doivent être regardés comme ayant été tous parties au litige en première instance en dépit d'erreurs matérielles affectant la désignation de trois d'entre eux, justifient par ailleurs chacun d'un intérêt suffisant leur conférant qualité pour agir dès lors qu'il résident à moins de 100 mètres du projet litigieux, dont la réalisation, compte tenu de sa nature et de ses caractéristiques, est susceptible d'avoir une incidence sur leur cadre de vie".
(8) CE 7 et 2 s-s-r., 5 avril 2006, n° 283137, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9547DNW).
(9) En ce sens : CE 9 et 10 s-s-r., 5 mai 2010, n° 304059, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1115EXL) : "Considérant que la SAS [...] et la SCI [...] contestent l'intérêt pour agir de M. A en sa qualité de voisin de la construction autorisée ; qu'il ressort des pièces du dossier que cette dernière est distante de plus de 400 mètres de l'appartement de M. A dont elle est séparée par un ensemble immobilier, un lac et un bois ; que celle-ci n'est en outre nullement visible depuis l'appartement ; que dès lors, M. A n'a pas en sa qualité de voisin un intérêt suffisant lui donnant qualité pour agir à l'encontre des arrêtés autorisant la construction projetée".
(10) Voir également le blog de l'auteur.

newsid:448033

Urbanisme

[Brèves] Le Conseil d'Etat valide le permis de construire de la Samaritaine

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 19 juin 2015, n° 387061, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5433NLS)

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N8120BUB

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Le 26 Juin 2015

Dans un arrêt rendu le 19 juin 2015, le Conseil d'Etat a prononcé la cassation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, Plèn., 5 janvier 2015, n° 14PA02697-14PA02791 N° Lexbase : A8550M88) et l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris (TA Paris, 13 mai 2014, n° 1302162 N° Lexbase : A9731MKM) qui avaient annulé le permis de construire autorisant la restructuration de "l'îlot Rivoli" correspondant à l'ancien magasin n° 4 de la Samaritaine (CE 2° et 7° s-s-r., 19 juin 2015, n° 387061, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5433NLS). La cour administrative d'appel avait retenu une interprétation restrictive de l'article UG 11 du PLU de la ville de Paris, relatif à l'aspect des constructions nouvelles, centrée sur l'exigence d'intégration des constructions nouvelles dans le tissu urbain existant. Selon elle, toute construction nouvelle doit prendre en compte les caractéristiques des façades et couvertures des bâtiments voisins, ainsi que celles du site dans lequel elle s'insère. Sur le fondement de cette interprétation, elle avait jugé que, compte tenu des caractéristiques de la façade en verre et de l'aspect des autres façades de la rue de Rivoli, le projet était contraire au PLU. Au contraire, selon le Conseil d'Etat, la cour pas pris en compte d'autres passages de cet article qui venaient tempérer l'exigence d'insertion dans le tissu urbain existant. Le Conseil d'Etat a ainsi constaté que cet article affichait lui-même le souci d'éviter le "mimétisme architectural", et qu'il autorisait dans une certaine mesure la délivrance de permis pour des projets d'architecture contemporaine pouvant s'écarter des "registres dominants" de l'architecture parisienne en matière d'apparence des bâtiments, et pouvant retenir des matériaux ou teintes "innovants". Soulignant l'hétérogénéité stylistique des bâtiments de la partie de la rue de Rivoli dans laquelle se situe le projet, en relevant la présence d'édifices "Art Nouveau", "Art Déco", ou d'autres styles s'écartant du style haussmannien, le Conseil d'Etat a jugé que le projet était conforme au droit. Il a relevé que le verre était un matériau de façade utilisé pour d'autres édifices avoisinants et constaté que la hauteur et l'ordonnancement du projet correspondaient à ceux des immeubles voisins. Dans ces conditions, il a estimé que le projet respectait l'article UG 11 du PLU. Le Conseil d'Etat a donc rejeté définitivement les recours en annulation introduits contre ce permis.

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