Lexbase Contentieux et Recouvrement n°4 du 21 décembre 2023

Lexbase Contentieux et Recouvrement - Édition n°4

Arbitrage

[Brèves] Arbitrage interne : le juge d’appui a l’obligation de désigner une personne physique en qualité d’arbitre

Réf. : Cass. civ. 1, 29 novembre 2023, n° 22-18.630, FS-B N° Lexbase : A925414I

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N7676BZC

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 08 Décembre 2023

En arbitrage interne, il appartient au juge d'appui saisi de difficultés de constitution du tribunal arbitral, de désigner une personne physique en qualité d'arbitre sans qu'il lui soit permis de déléguer ce pouvoir à une personne morale.

Les faits et procédure. Dans cette affaire, une société a acquis des parts sociales appartenant à une seconde société. Les parties à la cession ont consenti le même jour une convention de garantie d’actif et passif, comportant une clause compromissoire selon laquelle en l'absence de désignation d'un arbitre d'un commun accord par les parties, il était précisé que celle-ci interviendrait par simple ordonnance du président du tribunal mixte de commerce.

À cette fin, le tribunal mixte de commerce a été saisi, ce dernier a désigné un centre d’arbitrage en qualité d’arbitre.

Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l'arrêt (CA Saint-Denis de la Réunion, 6 avril 2022, n° 21/00195) d’avoir déclaré irrecevable son appel et d’avoir consacré l'excès de pouvoir du juge d’appui résultant de la désignation d'une personne morale ne pouvant avoir la qualité d'arbitre. Elle fait valoir la violation par la cour d’appel de l’article 1450 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2273IPU, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-48, du 13 janvier 2011 N° Lexbase : L1700IPN.

En l’espèce, l’arrêt a retenu que le juge d'appui se bornant à désigner un centre d'arbitrage sans juger le fond du litige n'a commis aucun excès de pouvoir faute d'avoir empiété sur ceux d'une autre juridiction ou d'une autre personne.

Solution. Énonçant la solution susvisée, au visa des articles 1450, 1452 N° Lexbase : L2271IPS et 1460 N° Lexbase : L2333LUX du Code de procédure civile, la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel relevant que cette dernière a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.

Elle relève :

  • au titre du premier texte que « la mission d'arbitre ne peut être exercée que par une personne physique jouissant du plein exercice de ses droits. Si la convention d'arbitrage désigne une personne morale, celle-ci ne dispose que du pouvoir d'organiser l'arbitrage » ;
  • et que le second texte dispose : « En cas d'arbitrage par un arbitre unique, si les parties ne s'accordent pas sur le choix de l'arbitre, celui-ci est désigné par la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, par le juge d'appui ».

La Haute juridiction casse et annule, en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion et renvoie l’affaire.

Pour aller plus loin : v. L. Chuk Hen Shun, ÉTUDE : Le tribunal arbitral, La désignation du ou des arbitres, in Procédure civile (dir. É. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E30184YG.

 

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Baux d'habitation

[Brèves] État des lieux par huissier : le partage des frais conditionné par le strict respect du formalisme de convocation

Réf. : Cass. civ. 3, 26 octobre 2023, n° 22-20.183, FS-B N° Lexbase : A42881PI

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N7326BZD

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 08 Décembre 2023

► Il résulte de l'article 3-2 de la loi n° 89-462, du 6 juillet 1989 que, lorsque les parties n'ont pas été convoquées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au moins sept jours à l'avance, celle qui a pris l'initiative de faire établir l'état des lieux par un huissier de justice ne peut obtenir le remboursement de la moitié de son coût.

Le deuxième alinéa de l’article 3-2 de la loi n° 89-462, du 6 juillet 1989 N° Lexbase : Z00049UY prévoit en effet que, « si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues au premier alinéa [c’est-à-dire à l’amiable], il est établi par un commissaire de justice [anciennement huissier de justice], sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire et à un coût fixé par décret en Conseil d'État. Dans ce cas, les parties en sont avisées par le commissaire de justice au moins sept jours à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ».

Dans son arrêt rendu le 26 octobre 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation déduit de ces dispositions la solution précitée, autrement dit la sanction du non-respect du formalisme ainsi prévu, et en l’occurrence le non-respect du délai de convocation : la partie ayant pris l’initiative de faire établir l’état des lieux par huissier de justice devra en assumer seule les frais.

Aussi, en l’espèce, elle approuve la décision rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, ayant constaté que les locataires avaient été avisés moins de sept jours à l'avance de la date à laquelle les opérations de constat seraient réalisées, en avait exactement déduit que la demande de remboursement de la moitié du coût de l'établissement de l'état des lieux de sortie devait être rejetée.

On relèvera que la solution peut interpeller dans la mesure où la sanction pèse sur la partie à l’initiative de la démarche de faire établir l’état des lieux par commissaire de justice, en cas de non-respect d’obligations dont elle n’est pas débitrice, et qu’elle ne peut donc maîtriser, puisque c’est le commissaire de justice qui est débiteur des formalités de convocation.

Par ailleurs, en l’espèce, le bailleur, au soutien de son pourvoi, faisait valoir que la méconnaissance de cette exigence n'avait causé aucun grief (l’un des colocataires était présent lors du constat d’état des lieux). Mais l’argument ne trouve pas écho auprès de la Cour de cassation qui s’en tient à une interprétation stricte des textes.

Quoi qu’il en soit, on rappellera que la responsabilité de l’une ou l’autre des parties quant à l'absence d’établissement d'un état des lieux à l’amiable peut être retenue pour justifier que l’entièreté des frais soit mis à sa charge (Cass. civ. 3, 15 février 2023, n° 21-24.024, F-D N° Lexbase : A46669D8 : ayant constaté que la bailleresse, qui avait seule mandaté l'huissier de justice, n'avait procédé à l'état des lieux de sortie qu'après le départ de la locataire à l'expiration du délai de préavis, en dépit des sollicitations en temps utile de celle-ci, la cour d'appel a pu en déduire que sa demande de partage des frais d'établissement de l'état des lieux devait être rejetée).

newsid:487326

Commissaires de justice

[Textes] La spécialisation ? Oui !

Réf. : Arrêté du 8 décembre 2023 modifiant l'arrêté du 23 janvier 2023 fixant la liste des certificats de spécialisation et le contenu des spécialisations des commissaires de justice N° Lexbase : L5733MKK

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N7742BZR

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé (Venezia), Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : commissaires de justice • spécialisation • certificats de spécialisation • décret n° 2019-1185

L'introduction de spécialisations pour les commissaires de justice en 2024, conformément au décret de novembre 2019, engendre des réactions variées au sein de la profession. Les premières spécialisations seront attribuées en 2024, mais une mise à jour en décembre 2023 rajoute deux nouvelles spécialisations, soulevant des interrogations. L'article explore l'opportunité de cette spécialisation, offrant valorisation et distinction, tout en soulignant la nécessité de maîtriser ses enjeux pour le bien de la profession.


 

En 2024, il existera des commissaires de justice spécialistes !

Cette situation n’est pas un scoop puisque cela ressort des articles 30 à 36 du décret n° 2019-1185 du 15 novembre 2019 relatif à la formation professionnelle des commissaires de justice et aux conditions d'accès à cette profession N° Lexbase : L5958LTT. Quand bien même un lustre se soit écoulé, l’information a surpris plus d’un commissaire de justice lorsque, par arrêté du 23 janvier 2023 N° Lexbase : L5733MKK, il a été fixé la liste des certificats de spécialisation et le contenu des spécialisations des commissaires de justice.

De nombreux commentaires ont fleuri sur les réseaux sociaux de la part de commissaires de justice interloqués. Prenons pour exemple ces extraits en guise florilège, publiés sur un célèbre réseau professionnel : « Sans commentaire », « ça tombe comme un cheveu sur la soupe ! », « j'ai du mal à comprendre l'intérêt », « C’est du grand n’importe quoi… On va devoir obtenir des certificats alors qu’on a déjà obtenu l’examen d’huissier! »…

Les premières candidatures ayant été reçues en septembre 2023, la profession va accueillir des spécialistes en 2024, et plus précisément aux dates suivantes, publiées sur le site internet de la Chambre nationale des commissaires de justice :

  • administration judiciaire de la preuve : 6 février 2024
  • droit de l’environnement, droit rural et droit de l’urbanisme : 20 février 2024
  • droit de l’immobilier, droit des baux : 12 mars 2024
  • droit des sûretés : 26 mars 2024
  • droit des entreprises en difficulté : 9 avril 2024
  • droit des personnes et de la famille : 23 avril 2024
  • beaux-arts, arts décoratifs et droit du marché de l’art : 14 mai 2024

Étonnamment, et alors même que les premiers examens n’ont pas encore été subis par les candidats, il a été publié le 10 décembre 2023 au Journal officiel une mise à jour de la liste des spécialisations par un arrêté du 8 décembre 2023 N° Lexbase : L5733MKK, rajoutant deux mentions de spécialisations : médiation judiciaire et droit de la propriété intellectuelle. Celles-ci ne seront attribuées cependant qu’en 2025.

Sans discuter l’opportunité de ces nouvelles spécialisations, il convient de se convaincre que la spécialisation des commissaires de justice est une opportunité à saisir (I) même si son obtention ne semble pas acquise simplement par l’expérience (II).

I. Une opportunité à saisir

La spécialisation n’est pas inutile : elle est une chance.

En témoigne le site de la Chambre nationale des commissaires de justice qui précise que « l’obtention et l’usage de tels certificats de spécialisation n’a vocation que d’attester d’un ou plusieurs domaines d’expertise et de proposer une valeur ajoutée vis-à-vis de sa clientèle ».

La spécialisation est donc synonyme de valorisation, d’autant que la liste des commissaires de justice spécialisés sera publique puisque disponible sur le site institutionnel de la Chambre nationale des commissaires de justice, tel que prévu à l’article 36 du décret n° 2019-1185 du 15 novembre 2019 relatif à la formation professionnelle des commissaires de justice et aux conditions d'accès à cette profession : « Le commissaire de justice qui entend faire usage d'une mention de spécialisation en informe préalablement la chambre régionale des commissaires de justice, devant laquelle il justifie qu'il possède le certificat de spécialisation.

La chambre nationale des commissaires de justice dresse par spécialisation la liste des commissaires de justice justifiant d'une telle mention. Elle la met à jour et en assure la publicité ». Bien évidemment, il semble entendu que le commissaire de justice pourra en faire état sur ses propres supports de communication, dont son site internet, la spécialisation s’assimilant à un titre universitaire au sens de l’article 8 du Règlement déontologique national des huissiers de justice, et non à une mention laudative (ce qu’elle était avant) au sens de l’article 10 du même texte.

Si la spécialisation est synonyme de valorisation, est-elle pour autant opportune ? Pourquoi distinguer le commissaire de justice d’un autre de ses confrères ? Pourquoi en distinguer un alors que la fonction est la même ?

Car bon nombre de commissaires de justice le souhaitent en leur for intérieur, comme en témoignent leurs sites internet, leurs logos et la présentation de leurs actes. Il ne faut pas se voiler la face et certains s’autoproclament déjà spécialistes, notamment dans des mailings adressés à des avocats. Au-delà du caractère cavalier de la démarche, cela témoigne d’une envie de distinction, de reconnaissance de ses compétences par le public. Cependant, la revendication de spécialiste dans ce type de courriel est trompeuse, le commissaire de justice ayant dû préférer le terme « expérimenté » qui était plus adapté en l’espèce. Elle cessera d’apparaître trompeuse si le commissaire de justice subit avec succès l’examen de spécialisation.

Si le commissaire de justice est sujet de la spécialisation, le justiciable en est in fine le destinataire, comme le juge en cas de désignation. En effet, la mention de la spécialisation donne l’assurance de s’adresser à un commissaire aguerri, expérimenté et formé pour répondre à certaines problématiques. Le magistrat quant à lui dispose de meilleurs outils pour choisir le commissaire de justice dans le cadre d’une mesure d’instruction in futurum par exemple.

II. Une opportunité à maîtriser

Comme le grand public s’est saisi très rapidement de la nouvelle profession de commissaire de justice, il convient de s’attendre à ce qu’il en soit de même pour la spécialisation. Ainsi, la spécialisation doit rimer avec maîtrise, pour plusieurs motifs.

D’abord, la spécialisation peut apparaître comme un moyen de maîtriser la communication personnelle en ce qu’elle empêchera les mentions pouvant induire en erreur le justiciable.

Ensuite, la spécialisation elle-même doit rimer avec maîtrise de la matière, comme en témoignent les sévères conditions de recevabilité des candidatures (Pratique professionnelle de quatre ans au moins dans la spécialité, justifiée par la production d’extraits de répertoires et de vingt actes) et d’examen (épreuve orale publique d’environ deux heures au total, préparation d’une heure comprise et notée sur vingt). Pour autant, il est légitime d’attendre du futur commissaire de justice spécialisé un niveau élevé de formation continue, dépassant la simple pratique.

Enfin, le commissaire de justice doit maitriser sa communication pour ne pas tomber dans les affres de l’hyperspécialisation et abandonner ainsi ses activités monopolistiques.

Il est vrai que la question de la spécialisation peut présenter un piège : celui de favoriser le spécialiste. Il ne faut pas dévaluer l’activité du commissaire de justice non spécialiste. C’est cette inquiétude qui justifie, légitimement, les remarques évoquées en introduction.

La spécialisation ne doit pas diviser la profession, mais participer à sa promotion. Il appartient à tout un chacun de se l’approprier pour le bénéfice de tous.

newsid:487742

Commissaires de justice

[Questions/Réponses] Détresse des chefs d’entreprise : les commissaires de justice sentinelles

Lecture: 11 min

N7621BZB

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par Jean-Luc Bourdiec, Commissaire de justice, Délégué de la cour d'appel d'Orléans à la Chambre nationale des commissaires de justice

Le 14 Décembre 2023

L’association APESA est née en 2013 d’un constat : la détresse psychologique de certains dirigeants d’entreprise est une réalité contre laquelle les personnels et magistrats des juridictions consulaires sont désarmés. Marc Binnié est greffier associé du tribunal de commerce de Saintes. Il voit chaque jour des gens au bout du rouleau. Jean-Luc Douillard est psychologue clinicien. Ensemble, ils ont créé cette association dont le but est d’offrir un dispositif d’aide et de prévention du suicide, de le faire connaître et de l’étendre ; de créer un réseau de sentinelles. Jean-Luc Bourdiec s’est entretenu avec Marc Binné.


 

                                                                                                                          

Marc Binnié, greffier associé du tribunal de commerce de Saintes et Jean-Luc Bourdiec, Commissaire de justice, Délégué de la cour d'appel d'Orléans à la Chambre nationale des commissaires de justice

 

Jean Luc Bourdiec : La détresse psychologique des patrons de PME peut avoir des conséquences dramatiques. La plupart du temps, les petites entreprises sont familiales et leurs difficultés rejaillissent sur toute la famille. Tout échec a des conséquences qui dépassent le périmètre de l’entreprise. Des patrons pensent au suicide. Le but d’APESA [1]  est de prévenir ces situations tragiques.

Votre association dispose de nombreux relais : la plupart des greffes et tribunaux de commerce, des tribunaux judiciaires, des avocats, des experts-comptables, des assureurs, des médecins et des psychologues, et depuis un an maintenant les commissaires de justice.

Les commissaires de justice sont parmi les premiers capteurs de la détresse, des défaillances, les premiers alertés parce que nous voyons les gens avant qu’ils aient affaire à la justice ou imédiatement après que les décisions ont été rendues. Nous sommes les premiers maillons d’une chaîne qui relie la justice aux justiciables. Nous allons chez les gens, nous les rencontrons, nous voyons les problèmes. Et nous les voyons in situ, pas dans un tribunal. La mission essentielle du commissaire de justice est de « toucher » les gens, les informer, les écouter, les renseigner et les guider aussi, à l’occasion de la signification. Qui mieux qu’un commissaire de justice connaît les gens, les dirigeants de PME ? Nous sommes nous aussi comme d’autres professionnels du droit, porteurs d’un certain vocabulaire juridique qui peut effrayer, la liquidation, les voies d’exécution…Pourtant, c’est vous, un greffier de commerce qui a eu l’idée de fonder cette association. C’est-à-dire quelqu’un qui rencontre le débiteur en difficulté en fin de course, lorsque souvent la messe est dite.

Marc Binnié : Il ne s'agit pas toujours d'une fin de courses, car malgré tout certaines procédures aboutissent positivement. Le lien entre APESA et ma profession de greffier réside dans les missions que nous partageons d’ailleurs avec les commissaires de justice qui sont d’accueillir, d’orienter et d’expliquer. À l’audience, le greffier un peu comme un sismographe, enregistre certes les prétentions juridiques, mais parfois des pleurs et des crises d’angoisse. Ces derniers éléments ne sont pas à proprement juridiques, mais donnent à certains dossiers une épaisseur humaine, parfois lourde à porter. Nos études juridiques ne nous préparent pas à entendre des déclarations telles que celle-ci : « je demande la liquidation judiciaire de mon entreprise, et je sais ce qu’il me reste à faire ».

Tout le monde évoque les difficultés de l’entreprise, mais l’entrepreneur, qui souvent n’a pas démérité, a d’autres difficultés dont malheureusement on se préoccupe un peu moins. Nous sommes souvent le premier point de contact entre le justiciable, qui s’il est une personne morale est toujours représenté par un être humain et le droit souvent abstrait, qui peut si l’on n’y prend garde désincarner. Notre statut d’officier ministériel nous aide à ne pas avoir une vision unilatérale du litige et à inscrire nos actions dans le cadre d’une déontologie toujours respectueuse des personnes même si elles ont juridiquement tort.

La complexité des situations n’est pas uniquement juridique, elle peut aussi être simplement humaine. Ces considérations ne sont heureusement pas absentes des préoccupations des plus hautes personnalités de l’institution judiciaire.

Je pense par exemple à cette belle lettre adressée en 1996 par monsieur Pierre Drai, président honoraire de la Cour de cassation à ses collègues magistrats, dans laquelle il indique : « j’ai appris qu’il fallait toujours avoir égard à la personne qui souffre, dans sa liberté, dans sa réputation, dans sa vie familiale et affective.  Je pense également à Natalie Fricero, bien connue des commissaires de justice qui tisse un lien entre l'association APESA et les objectifs de justice amiable de l'ONU. 

APESA rappelle que si force reste à la loi, la souffrance à l’homme. Lorsque cette souffrance se caractérise par des idées noires qui sont la négation de tout « affectio societatis », rester spectateur, ne rien faire, constitue simplement de la non-assistance à personne en danger.

Ce qui finalement nous interroge, c'est la solitude du chef d'entreprise dans ces moments les plus difficiles.

Jean Luc Bourdiec : Concrètement. Je suis commissaire de justice et, comme vous le savez, je ne suis pas là seulement pour dresser un inventaire, saisir ou expulser. Je connais les dirigeants de PME, je suis même parfois leur confident. Lorsque le commissaire de justice signifie un acte, il l’explique. Il informe, il conseille.

Mais lorsque je suis confronté à un cas de détresse, lorsque je vois quelqu’un qui n’en peut plus, qui est en détresse psychologique, qui a des idées sombres, que dois-je faire ? Informer l’association APESA ? Je rappelle que j’ai connaissance de cette situation à l’occasion de l’exercice de mes fonctions, et que je suis tenu au secret professionnel.

Ce qui est complexe, c'est de coordonner l'ensemble des règles qui régissent ma profession avec certaines situations humaines. Le secret professionnel doit s'articuler avec l'assistance à personne en danger.

Marc Binnié : Avec le recul, le dispositif APESA, qui est assez simple, en ce qu’il permet à tout chef d’entreprise qui en éprouve le besoin, de bénéficier en urgence d’une prise en charge psychologique, rapide, gratuite, confidentielle et à proximité de son domicile, par des psychologues spécialisés dans l’écoute et le traitement de la souffrance morale, les « idées noires » provoquées par les difficultés financières de son entreprise, est aussi devenu le miroir de la complexité de notre époque.

Le dispositif APESA, c’est permettre à un entrepreneur qui souffre, au point d’envisager le pire, de bénéficier d’un accompagnement psychologique effectué par un psychologue, mais cette action doit bien entendu, s’inscrire dans les règles professionnelles et déontologiques des différentes sentinelles concernées, et en outre respecter le RGPD. Nous avons beaucoup travaillé sur ces questions même si l’organisation d’un colloque sur le sujet est encore à organiser.  

Le rôle des sentinelles est primordial, car demander à un individu psychologiquement détruit d’agir, cela revient à demander à une voiture en panne d’aller seule chez le garagiste. Durant la période du Covid, de nombreux messages se terminaient par « Prenez-soin de vous ! » Lorsque l’on est aspiré par une crise suicidaire, on ne sait plus prendre soin de soi.

Il convient donc de former des sentinelles. Au cours d’une formation d’une demi-journée durant de laquelle on fait également la chasse aux idées fausses concernant les idées noires, on découvre la modélisation de la crise suicidaire, les signaux faibles ou forts de sa manifestation, et la manière d’oser aborder le sujet en tête à tête avec une personne en souffrance. Le sujet peut faire peur et cette formation a pour objectif de dédramatiser et de permettre le déclenchement d’une alerte sans être submergé par l’émotion.

C’est en fait très simple de savoir si quelqu’un a besoin de bénéficier d’un soutien psychologique, il suffit de lui demander « Comment allez-vous ? ». La réponse révèle parfois une grande souffrance psychologique qui ne peut être traitée que par des psychologues. Après avoir expliqué la nécessité d’un soutien psychologique confidentiel, rapide, gratuit et de proximité, après avoir recueilli l’accord de la personne concernée, on remplit une fiche alerte numérique contenant quelques éléments d’identification. Après l’envoi, un premier psychologue rappelle l’entrepreneur dans un délai moyen de 20minutes, évalue la gravité de la situation, puis passe le relais à un second psychologue local proche du domicile de l’entrepreneur. Ce dernier pourra bénéficier de 5 consultations gratuites pour lui et qui sont financées par différents acteurs du monde économique. Le coût d’une prise en charge est de 425 euros.

Les commissaires de justice ont vraiment selon moi vocation à devenir des sentinelles du dispositif APESA, car ils sont aux avant-postes de toutes les tensions sociales. Être une sentinelle c’est être un(e) lanceur(se) d’alerte.

De nombreux procureurs soutiennent APESA, pourquoi pas les commissaires de justice ?

L’action individuelle de la sentinelle doit être bien entendu confortée par son ordre professionnel.

Jean Luc Bourdiec : La déontologie des commissaires de justice, actuellement le RDN, nous défend de dévoiler des informations recueillies à l’occasion de l’exercice de nos fonctions.

La mise en place dispositif APESA n’enfreint aucune règle. Nous demandons à la personne si elle souhaite un soutien et, seulement si elle le demande, nous alertons APESA qui prend la main. Le commissaire de justice n’intervient plus. Ai-je bien compris ?

Marc Binnié : En effet c’est exactement cela. Une fois que l’accord pour la prise en charge a été recueilli par la sentinelle commissaire de justice et la fiche alerte envoyée, ce sont des psychologues qui interviennent et effectuent les prises en charge. Le rôle des sentinelles, et c’est bien là leur fonction, s’arrête au déclenchement de l’alerte. C’est peu, mais cela suffit parfois à sauver une vie.

Il n'y a pas de violation du secret professionnel car seule la sentinelle et les psychologues effectuant les prises en charge ont accès aux informations.

Jean Luc Bourdiec : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?

Marc Binnié : APESA rassemble aujourd’hui 94 juridictions principalement des tribunaux de commerce, mais également des tribunaux judiciaires. Le réseau des sentinelles est composé de 5 799 personnes, de toutes professions du chiffre et du droit et de 1 548 psychologues répartis sur tout le territoire national, en métropole et outre-mer.

Depuis sa création en 2013, APESA a enregistré 11 000 alertes et pris en charge 6 750 chefs d’entreprise.

Au-delà des chiffres voici un témoignage très évocateur :

« J’ai été agréablement surpris par la rapidité de prise en charge après que le tribunal de commerce m’ait parlé de ce nouveau dispositif : une psychologue m’a proposé un rendez-vous dans les jours suivants.

Être contacté aussi vite par une personne que je ne connaissais pas et qui m’a écouté fut un grand soulagement. Il est difficile de trouver les mots pour qualifier le mieux-être que cela m’a apporté, mais derrière tout cela, j’ai compris qu’enfin, je n’étais plus seul…

Me sentant en confiance et sorti de l’isolement, il ne m’a pas été difficile d’exposer à la psychologue dès mon premier rendez-vous mes difficultés et les idées noires qui ont traversé mon esprit. Cette professionnelle m’a bien expliqué les sujets sur lesquels nous allions travailler. J’en suis sorti très apaisé et plus confiant que jamais puisqu’elle m’a dit que j’allais me reconstruire et rebondir.

Désormais, j’ai bien mieux conscience de ce qu’il m’arrive et, surtout, je n’ai plus à en avoir honte. Je vais reconquérir l’espace professionnel qui est le mien, reprendre ma place. Le métier de plombier est pour moi l’un des plus beaux métiers du monde et je vais prouver à certaines personnes qui m’ont causé des problèmes que je suis toujours là.

Je ne vous remercierai jamais assez. Je n’aurais pas fait moi-même la démarche de m’adresser à un psychologue, alors que j’en avais tellement besoin… » [2]

Jean Luc Bourdiec : Une convention a été signée le 5 octobre 2022 avec la Chambre nationale des commissaires de justice. Pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce que des formations sont organisées dans les cours d’appel ? Comment les commissaires de justice peuvent-ils devenir sentinelles et participer au dispositif ?

Marc Binnié : Cette convention signée le 5 octobre est un acte majeur et une belle avancée, en ce qu’elle témoigne que les commissaires de justice, qui sont aux avant-postes des principaux bouleversements juridiques subis par les citoyens en général, et par les entrepreneurs en particulier, ne sont pas, s’ils ne l’ont jamais été, insensibles et indifférents à leur souffrance psychologique.

Témoigner de l’empathie, de la bienveillance, du respect est certes un prérequis, mais ces valeurs sont parfois insuffisantes lorsque la souffrance est extrême et détruit un individu. Il faut dans certains cas, qui ne sont pas si rares, oser employer certains mots, être plus directifs et savoir déclencher une alerte.

Dès maintenant, les commissaires de justice peuvent se rapprocher de l’une des 70 associations APESA locales et être formées en tant que sentinelles. Localement, les chambres régionales peuvent également organiser de sessions de formation. APESA France apporte très régulièrement son savoir-faire en la matière.

Ainsi s’allonge la liste des professions, procureurs de la République, juges consulaires, greffiers, collaborateurs des Urssaf ou du Trésor public, experts-comptables, mandataires et administrateurs judiciaires, collaborateurs des chambres consulaires, banquiers…qui n’hésitent plus, lorsqu’elles croisent dans le cadre de leurs fonctions un entrepreneur en souffrance, à lui demander simplement : Comment allez-vous ?


[1] APESA : Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance aiguë.

[2] APESA, pour que les idées sombres ne rencontrent pas des idées fausses ; à écouter : France inter, La personnalité de la semaine, 14 novembre 2020 [en ligne].

newsid:487621

Commissaires de justice

[Jurisprudence] Commissaire de justice et expert informatique, une indépendance et une impartialité remise en question

Réf. : CA Douai 28 septembre 2023, n °22/02664 N° Lexbase : A43641ML

Lecture: 23 min

N7700BZ9

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par Sébastien Racine, Commissaire de justice associé, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Intervenant à l’ENM, EFB et Emmanuel Laurentin, Expert Judiciaire près la cour d’appel de Paris, Manager, Forensic Services (France)

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : constat • ordonnance • expert informatique • huissier de justice • commissaire de justice • impartialité • indépendance • relation d’intérêt privé

Le commissaire de justice et l'expert informatique, une exigence renforcée d'indépendance et d'impartialité. Dans une affaire classique de concurrence déloyale, la partie ayant subi les attaques de son ancien employeur a cherché à faire reconnaître son préjudice découlant de la dépendance apparente et de la partialité présumée du commissaire de justice et de l'expert informatique, tous deux intervenus à diverses étapes du dossier.

Contredisant la décision des juges de première instance, la cour d'appel de Douai s'est prononcée sur la base de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Elle a ainsi conclu à l'existence d'une relation d'intérêts privés entre la partie requérante et les deux intervenants, auxiliaires de justice, induisant une apparence de partialité, et prononcé la nullité de certains de leurs actes.


 

L'arrêt que nous examinons aujourd'hui porte sur des faits plutôt classiques, mais il se distingue par l'analyse peu conventionnelle de l'indépendance et de l'objectivité du duo commissaire de justice [1] / expert informatique en matière de constat sur ordonnance.

Dans cette affaire, une société a employé deux collaborateurs, l'un en tant que responsable informatique et l'autre en tant qu'attaché commercial, pendant près de cinq ans. Ces employés ont quitté l'entreprise à quelques mois d'intervalle. La société a constaté une baisse d'activité dans le secteur spécifique dont l'un des employés était responsable. Simultanément, elle a découvert que ce dernier était le président et associé unique d'une société concurrente dans le même secteur.

Conformément aux pratiques habituelles, la société a engagé un expert informatique pour effectuer des analyses. Ces analyses ont révélé l'existence d'une règle de redirection des courriels professionnels de l'un des employés vers une adresse non professionnelle. De plus, une copie du disque dur de l'ordinateur professionnel de l'un des employés a été effectuée et scellée par un commissaire de justice.

Ensuite, la société a sollicité une ordonnance auprès de la juridiction compétente pour des mesures d'instruction à venir le 18 janvier 2018. En raison de la pluralité des personnes visées par les mesures, la société a eu recours aux services de trois huissiers de justice, y compris celui qui avait dressé le procès-verbal du constat sur la copie du disque dur. Après la collecte d'informations, des rapports techniques ont été établis par l'expert informatique de la société.

Armée de nouveaux éléments de preuve, la société a intenté une action en justice pour réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi. Une décision favorable en première instance a été rendue, validant les opérations de constat ayant permis l'acquisition des preuves nécessaires. Cependant, estimant avoir été lésée par la mise hors de cause de l'un de ses opposants et ne pas avoir été indemnisée à hauteur du préjudice qu’elle estimait avoir subi, la société a décidé de faire appel de la décision.

C'est dans ce contexte que la cour d'appel de Douai a été saisie pour réexaminer ce litige. Sans entrer dans les détails de l'affaire, il est intéressant de se pencher sur le traitement réservé au procès-verbal du constat d'huissier de justice dressé sur ordonnance par le même officier public déjà intervenu en phase précontentieuse, ainsi qu’au rapport technique de l'expert informatique dont les deux interventions semblent se situer avant et après les opérations sur ordonnance.

En effet, bien que validés en première instance, ces deux éléments de preuve essentiels ont fait l'objet d'un nouvel examen par les magistrats du second degré. Ils ont décidé d'écarter ces éléments des débats en raison d'un « doute raisonnable et objectivement justifié sur leur impartialité et leur indépendance ». Pour se faire, ils se fondent sur l’existence d’une apparente relation d'intérêt privé entre ces deux intervenants et la société requérante, résultant de leur intervention précontentieuse.

Si la solution adoptée est identique pour les deux intervenants, l’appréciation de l’opportunité de cette décision doit, semble-t-il faire l’objet d’un traitement distinct entre, d’une part, le commissaire de justice (I) et, d’autre part, l’expert (II).

I. Le commissaire de justice, tiers de confiance, à l’épreuve de la relation d’intérêt privé

En tant qu'officier public et ministériel, le commissaire de justice est assujetti à des règles statutaires qui encadrent ses interventions [2]. En tant qu'agent assermenté, il s'engage à respecter un code de conduite moral qui complète ces règles [3].

La réalisation de constatations, même sur autorisation judiciaire, doit répondre à trois critères fondamentaux : des constatations purement matérielles, l'impartialité et l'indépendance (A). Dans l'arrêt en question, la cour d'appel établit un cadre d'appréciation qu'elle souhaite objectif en ce qui concerne ces deux derniers critères, mettant en avant l’existence d’une apparence de partialité et de dépendance (B).

A. La règle des constatations purement factuelles, garantie d’indépendance et d’impartialité

1) Un cadre général visant à rendre le commissaire de justice, par nature, indépendant et impartial

L'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 N° Lexbase : L8061AIE, à son article 1er[4], énonce que les huissiers de justice peuvent effectuer des constatations purement matérielles, excluant tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en découler. L'acte en résultant doit également être dépourvu de toute opinion personnelle ou interprétation. On en déduit donc une obligation de résultat, pour l'huissier de justice, de garantir l'objectivité du contenu de son acte et, par extension, son impartialité.

Afin de respecter cette exigence, il doit maintenir son indépendance vis-à-vis de son client et, de manière générale, des parties concernées. Sa déontologie professionnelle lui impose cette obligation, comme l’énonce l'article 1er du Règlement déontologique national, sous peine de sanctions disciplinaires.

Pour ces raisons, il est expressément interdit au commissaire de justice d'instrumenter pour le compte de sa famille, et dans de tels cas, il doit systématiquement refuser son concours. L'article 35, alinéa 3, de ladite ordonnance prévoit également que « l'huissier de justice ne peut agir pour le compte de clients dont les intérêts sont opposés ni dans un contexte tel que son indépendance professionnelle pourrait être mise en cause ». Si la première partie de cet alinéa ne nécessite pas de commentaires particuliers, la seconde semble recouvrir la notion de relation d’intérêt privé, sans toutefois en préciser clairement les contours.

Naturellement, il est possible d'écarter d'emblée l'idée selon laquelle l’existence d’une relation d’intérêt privé serait liée à un critère économique, étant donné que le commissaire de justice est inévitablement rémunéré pour ses services.

2) Le constat sur ordonnance, une cadre stricte et contrôlé pour l’intervention du commissaire de justice

Lorsqu'il est commis par la justice, son action se trouve soumise à des directives spécifiques émises par le magistrat dans l'ordonnance, venant s’ajouter aux règles précédemment évoquées. C’est ainsi qu’il voit sa mission délimitée dans l’espace et le temps. Par ailleurs, l’ordonnance encadre rigoureusement les opérations matérielles, précisant de manière restrictive les personnes autorisées à l'assister.

Afin d'éviter une amplitude excessive et une imprécision dans la réalisation des opérations nécessaires à l'établissement de la preuve, l'ordonnance fixe souvent des paramètres détaillés, définissant les supports et le cadre des recherches en imposant l’utilisation de mots-clés ainsi qu'une période temporelle spécifique. Des mesures préventives sont également mises en place pour sauvegarder la vie privée, le secret des affaires et la confidentialité des échanges de la partie faisant l'objet de la saisie, en particulier avec son avocat.

L’indépendance et l’impartialité du commissaire de justice sont ainsi garanties dans la mise en œuvre de sa mission, grâce à une marge de manœuvre strictement définie. De plus, afin d’assurer le respect du contradictoire, il est tenu de consigner de manière exhaustive et précise toutes les opérations dans un procès-verbal communiqué aux parties.

Ainsi le risque d’instrumentalisation est circonscrit du fait de la fixation précise de la mission, et la possibilité de demander la rétractation de l'ordonnance. De plus, l'article 153-1 du Code de commerce N° Lexbase : L7371LPP introduit une mesure supplémentaire de protection temporaire en instaurant un séquestre de droit pour préserver le secret des affaires et permettre à la partie qui subit la mesure d’agir tout en étant assurée que les éléments récupérés ne seront accessibles que sous certaines conditions.

En réalité, il est possible d’ajouter aux garanties ci-dessus, l'obligation statutaire du commissaire de justice de se limiter à des constatations purement matérielles. Toutefois, il peut être amené à trier les documents en fonction de critères objectifs définis par l'ordonnance, notamment pour évaluer leur caractère personnel, couvert par le secret professionnel, ou leur pertinence par rapport au litige en cours. Ce tri, souvent dépourvu de critères clairs, impose à l’agent instrumentaire une forme d’interprétation des pièces. Sa connaissance approfondie du dossier, acquise notamment par la lecture de la requête, de l'ordonnance et des pièces, lui permet de mener à bien sa mission conformément à l'ordonnance, mais l'oblige en quelque sorte à dépasser le rôle de simple constatant.

À ce titre, il convient de souligner que la nature des éléments recueillis au cours de ces opérations est régulièrement contestée, nécessitant l'appréciation souveraine des juges du fond pour résoudre les différends entre les parties.

B. L’apparence de relation d’intérêt privé, élément de nature à remettre en cause l’impartialité du commissaire de justice 

La cour d'appel apporte une nouvelle perspective à la question de l'appréciation de l'indépendance du commissaire de justice (1), mettant en retrait les qualités intrinsèques de cette profession (2).

1) Appréciation objective de l’indépendance : la notion de relation d’intérêts privés

Les magistrats saisis d'une demande d'invalidation des constats dressés par un commissaire de justice intervenu en phase précontentieuse et au cours des opérations in futurum, ont fondé leur décision sur l'exigence d'un procès équitable, conformément à l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.

L'arrêt rappelle divers textes relatifs aux cas d'empêchement pour le commissaire de justice d'intervenir [5], à la nullité de fond [6], ainsi qu'à l'exigence d'objectivité et d'impartialité du technicien commis en justice pour procéder à des constatations [7]. Deux arrêts de la Cour de cassation sont cités, soulignant l'obligation statutaire d'impartialité et d'indépendance de l'huissier de justice.

De ces éléments, la cour vient alors mettre en avant principe selon lequel tout huissier de justice intervenant pour le compte d'une société dans le cadre d'un constat précontentieux ne peut participer à une opération in futurum visant à obtenir des éléments de preuves dans le même dossier. Cette intervention successive étant considérée comme susceptible de compromettre immédiatement et irrémédiablement sa neutralité dans l'affaire, créant ainsi une apparence de partialité et de dépendance.

La notion de relation d'intérêt privé, évoquée dans ce contexte, semble se rapprocher de la notion de communauté d'intérêts, soulignant les obligations déontologiques et professionnelles de l'officier instrumentaire. Toutefois, dans le cadre de la relation d'intérêt privé, elle apparaît comme une conséquence à la première intervention amiable du commissaire de justice. En conséquence, cette qualification de relation d'intérêt privé conduit naturellement à la reconnaissance d'un vice de fond affectant la validité des constatations, en vertu de l'article 117 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1403H4Q, en considérant que l'atteinte au principe du contradictoire est suffisamment grave [8].

2) Les limites de l’appréciation objective : la qualité et la mission du commissaire de justice

Cette appréciation objective des juges est de nature à priver d’effet les qualités intrinsèques reconnues à la fonction de commissaire de justice et nier le caractère normatif de la mission qui lui incombe lorsqu’il est commis sur décision de justice.

Comme exposé précédemment, lorsqu’il agit en tant que constatant, il doit demeurer indépendant et impartial, en se limitant à des constatations purement matérielles. Cependant, l'arrêt en question ne semble pas s’appesantir sur contenu des procès-verbaux. L'indépendance et l'impartialité, pouvant découler de constatations purement matérielles, semblent s’effacer face à la simple apparence de partialité et de dépendance tirée d'une relation courante entre le commissaire de justice et un justiciable qui le mandate, pourtant, dans le respect de ses obligations statutaires. À ce titre, il est étonnant que malgré la citation de l'article interdisant au commissaire de justice d'instrumenter pour ses proches, aucun lien spécifique n'est évoqué pour établir une violation de cette interdiction.

Par ailleurs, l’intervention d’un commissaire de justice au stade de la réalisation d’une copie du disque dur, et de manière moins certaine au moment de la mise en avant d’éléments susceptibles d’éclairer le magistrat saisit sur requête, peut sembler indifférente pour apprécier son degré de connaissance du dossier par rapport à un de ses confrères saisit seulement au stade de l’ordonnance. En effet, dans les deux cas, le commissaire de justice instrumentaire aura connaissance des éléments du dossier que lui sont transmis au moment de saisine, à savoir : la requête, l’ordonnance et les pièces. Ainsi la seule apparence d’une perte de neutralité est sanctionnée. De plus, il n’est pas rare qu’un commissaire de justice pour un même litige intervienne de manière amiable à plusieurs reprises. Il serait étonnant de prévoir à peine de nullité la saisine d’un nouvel commissaire de justice pour chaque nouvel acte alors que sa mission le cantonne à des constatations matérielles qui sont par essence purement objective et donc indépendante de la personne du constatant.

Concernant les échanges verbaux que le commissaire de justice primo-intervenant pourrait avoir avec la société requérante, de nature à l’éclairer sur le dossier, là encore la pratique veut qu’une réunion préparatoire soit organisée entre l’officier instrumentaire de l’ordonnance et la société requérante afin de recueillir toute précision sur le dossier, notamment lorsqu’il s’agit pour celui-ci de procéder à un tri au cours des opérations.

Ensuite, au cours des opérations, la maîtrise intellectuelle et matérielle des constatations est dévolue au seul commissaire de justice qui ne peut dépasser les termes de l’ordonnance sous peine de sanction. Il semble donc difficile pour le commissaire de justice qui respecte scrupuleusement l’ordonnance d’être partial puisque sa mission n’est pas dictée par son libre arbitre. Dans notre cas d’espèce, il n’est pas invoqué de manière sérieuse le dépassement de mission du commissaire de justice dont le constat est annulé. En revanche, les circonstances selon lesquelles l’huissier de justice aurait commis une faute, ou encore violé le séquestre pour permettre à l’expert de rédiger un rapport sont de nature à remettre en cause l’impartialité et l’indépendance du commissaire de justice. Malheureusement la lecture de l’arrêt ne nous éclaire pas sur l’existence d’une faute, bien qu’elle soit évoquée dans les prétentions de la partie adverse.

S’il n’y a pas de faute, doit-on voir dans cet arrêt l’émergence d’une présomption de collusion frauduleuse ? La sanction de cette entente déloyale normalement rattachée à la violation de règles déontologiques et statutaires semble être ici appliquée sur le seul fondement de l’apparence. Cependant, l’espèce semble en partie dicter cette position des magistrats, ainsi que le rôle de l’expert, ce qui limiterait la portée de cette décision.

II. L’expert informatique, un auxiliaire de justice devant par essence objectivement impartial

L’expert informatique assistant le commissaire de justice instrumentaire dans le cadre de l’exécution d’une ordonnance sur requête est également tenu d’accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, du moins c’est ce que semblent indiquer les magistrats de la cour d’appel.

La mission d’assistance effectuée par l’expert informatique obéit à un absolu impératif d’impartialité, dont la cour rappelle en l’espèce les conditions d’appréciation (A) et en étend le périmètre d’acception (B).

A. L’impartialité, mantra qui doit gouverner l’acceptation de sa mission par l’expert informatique

1) Rappel des circonstances de son intervention

Les experts informatiques, tout comme les commissaires de justice, sont fréquemment consultés par des entreprises (ou leurs conseils) qui estiment avoir été victimes de vol ou de destruction d’informations pouvant mener à des actes de concurrence déloyale de la part d’anciens collaborateurs.

Dans de telles situations, l’approche préconisée[9] consiste en la réalisation d’une mise sous-main d’un commissaire de justice, le plus en amont possible, des données susceptibles d’être analysées (idéalement lors de la restitution par ledit collaborateur des matériels professionnels tels que l’ordinateur, le téléphone…).

Des opérations de copies conservatoires sous le constat d’un commissaire de justice pourront ensuite être réalisées, permettant enfin la mise en place d'investigations qui pourront être menées par l’expert sur l’une des copies réalisées. Au terme de ces opérations, le commissaire de justice dressera un procès-verbal des constatations qu’il a pu réaliser, et l’expert rédigera une note technique détaillant ses résultats.

À la lumière de ces résultats, et face à la nécessité de récupérer d’autres éléments le cas échéant, il est alors possible de compléter la collecte de preuves par des mesures d’instruction basées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49. Cette collecte de preuves complémentaire, et coercitive, apparaît nécessaire lorsque les éléments récupérés préalablement sont insuffisants pour déterminer l’ampleur du préjudice, voire sa matérialité.

Pour emporter la conviction du magistrat à qui la requête est présentée, l’entreprise qui prétend être victime de concurrence déloyale (le requérant) présentera à ce dernier l’ensemble des éléments en sa possession (attestations de clients, des éléments comptables mettant en exergue une perte de chiffre d’affaires, le ou les constats du commissaire de justice dressés en amont, les notes techniques rédigées par le ou les experts). C’est ce schéma classique que la société requérante a suivi.

Sur la base des éléments ainsi présentés au sein de la requête, le magistrat pourra rédiger une ordonnance autorisant l’exécution de mesures d’instruction in futurum, précisant et définissant de manière stricte l’action du commissaire de justice instrumentaire et des intervenants qui l’assistent. Il est rare que le commissaire de justice instrumentaire soit désigné dans l’ordonnance, et encore plus rare que l’expert devant potentiellement prêter son concours y soit. Dès lors, la sélection du commissaire de justice instrumentaire est le plus souvent laissée à la discrétion du requérant. Quant à la sélection des intervenants devant l’accompagner, elle est bien souvent laissée à celle du commissaire de justice.

Il peut alors sembler logique pour le requérant de vouloir confier l’exécution de la mission à un commissaire de justice saisi initialement pour son litige. Il en va de même pour l’intervenant technique qui l’accompagne (expert informatique très souvent), qui, s’il a procédé à des analyses en amont se traduisant dans une note technique, sait précisément ce qui peut être recherché sur le matériel du requis (dès lors qu’il a pu, par exemple, mettre en évidence la copie desdits éléments depuis le matériel qu’il utilisait chez le requérant).

Toutefois, cet argument ne supporte que difficilement la critique dans la mesure où le duo Huissier/Technicien demande la communication de l’ordonnance, de la requête et des pièces pour les raisons évoquées ci-dessus. Par ailleurs, le technicien, s’il est expert judiciaire, devra naturellement refuser son concours, conformément à ses règles déontologiques.

2) Rappel du cadre d’intervention du technicien

a) Le cadre d’intervention de l’expert

Il n'est pas spécifiquement prévu de texte encadrant l’action des experts en informatique prêtant assistance aux commissaires de justice dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance 145. En l’espèce, la cour applique l’article 237 du Code de procédure civile et l’assimile à un technicien commis par le juge. [10]

Toutefois, la situation de l’expert qui porte assistance au commissaire de justice instrumentaire est quelque peu différente, dans la mesure où il n’est pas nommé ou commis par le juge. Il est le plus souvent choisi par le commissaire de justice instrumentaire. Par ailleurs, il n’a pas pour mission d’apporter ses lumières sur une question de fait ; il doit porter assistance au commissaire de justice instrumentaire en se gardant bien de porter une quelconque forme d’appréciation. Rappelons-le, si l’action du commissaire de justice instrumentaire est strictement encadrée par les termes mêmes de l'ordonnance, ne lui laissant qu'une capacité d'interprétation marginale comme évoquée antérieurement, celle de l'expert l'est encore davantage, car ce dernier n'intervient qu'en assistance au commissaire de justice. Il ne peut prendre aucune initiative et ne peut que proposer des actions du commissaire de justice qui seul en déterminera la pertinence dans la seule optique de l'exécution pleine et entière de l'ordonnance.

b) Les spécificités liées à la nature de l’expert assistant commissaire de justice

Il convient ici de rappeler que le technicien appelé à assister le commissaire de justice instrumentaire n’est pas nécessairement un expert judiciaire sur liste, l’ordonnance prévoyant très rarement explicitement l’assistance d’un expert judiciaire. Toutefois, la circonstance que cet expert se trouve être judiciaire modifie le cadre d’intervention de ce dernier qui est en toutes circonstances soumis à une série de règles déontologiques définies au niveau des Compagnies d’experts.

Ces règles déontologiques encadrent bien évidemment la notion de conflit d’intérêts, ainsi celles édictées par le Conseil National des Compagnies d’Expert de Justice (CNCEJ) définissent en leur point IV le cadre des « Consultations privées de l’expert inscrit sur une liste ». Le point - 9) étant particulièrement éclairant pour la situation d’espèce :

« Dans le cas où l’expert est appelé à intervenir avant le début d’un procès ou avant la désignation d’un expert de justice, il lui est recommandé de bien préciser que son avis se rapportera à l’état des éléments et des pièces qu’il aura été amené à connaître à la date où il le donnera et d’inclure dans sa consultation un bordereau des pièces communiquées à cette occasion. En aucun cas, il ne peut ensuite accepter une mission d’expertise de caractère juridictionnel concernant la même affaire. ».

Les règles déontologiques de la Compagnie Nationale des experts de justice en informatique et techniques associées [11]  vont dans le même sens.

Il apparaît à la lecture de ces règles que l’expert judiciaire sur liste sollicité pour prêter son concours à un commissaire de justice instrumentaire dans le cadre de l’exécution d’une ordonnance 145 ne doit pas accepter cette mission.

  1. Les critères d’appréciation de l’impartialité de l’expert informatique mis en œuvre par la cour d’appel :

La cour précise dans cet arrêt que le respect de l’obligation d’impartialité des experts informatiques doit être apprécié de manière objective, ce qui la conduit en l’espèce à déclarer :

« Entretenaient avec elle (la société requérante) une relation d'intérêts privés, de nature à faire naître un doute raisonnable et objectivement justifié sur leur impartialité et leur indépendance. ».

C’est donc, comme pour le commissaire de justice, la seule suspicion de partialité et de dépendance que la Cour semble vouloir sanctionner en l’espèce. Cette interprétation n’aurait probablement pas été novatrice si l’expert était intervenu lors de l’exécution de l’ordonnance 145, toutefois, les circonstances de l’espèce diffèrent ce qui tend à élargir la portée de l’obligation mise à la charge de l’expert informatique.

B. L’interprétation large de l’obligation d’impartialité

Même si ses capacités d’initiative et d’interprétation sont nulles dans le cadre de sa mission d’assistance, l’expert informatique sur liste devra refuser son concours dès lors qu’il est déjà intervenu pour l’un des protagonistes dans un même litige, en raison de ses règles déontologiques.

Toutefois, notre cas d’espèce n’entre pas dans ce schéma. Ce que constate la Cour et qui constitue la manifestation objective d’un défaut d’indépendance et d’impartialité se résume pour l’expert sur une mission d’expert-conseil en août 2017 et une autre le 10 avril 2019. Il nous apparaît donc, à la seule lecture de la décision, que l’expert informatique n’est pas intervenu dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance 145.

La cour d’appel fait donc interdiction à l’expert de partie, intervenu avant toute procédure au fond ou en référé, d’intervenir a posteriori pour quelque raison que ce soit.

Toutefois, il paraît peut-être prématuré de vouloir donner une valeur d’arrêt de principe à cette décision dans la mesure où un fait particulier sur lequel la cour d’appel n’a pas apporté beaucoup de précision a retenu notre attention et laisse à penser qu’il s’agit d’une décision d’espèce. Il est en effet avancé par la partie adverse une violation du séquestre des données ayant permis la rédaction de la note de l’expert informatique du 10 avril 2019. Ces comportements semblent clairement s’éloigner des bonnes pratiques et pourraient être considérés comme matérialisant un véritable conflit d’intérêts, ajoutant un élément concret à la simple suspicion telle qu’identifiée de manière objective par la cour d’appel.


[1] Depuis la fusion des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, les anciens membres de ces deux professions ayant accomplis leur formation passerelle sont appelés depuis le 1er juillet 2022 commissaire de justice.

[2] Règlement nationale de Déontologie des huissiers de justice ; arrêté du 18 décembre 2018 portant approbation du règlement déontologique national des huissiers de justice N° Lexbase : L5385LNR.

[3] Article 35 décret n°75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissier de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice N° Lexbase : Z45477RS : « Je jure de loyalement remplir mes fonctions avec exactitude et probité et d'observer en tout les devoirs qu'elles m'imposent ».

[4] Devenu l'article 8 de l'ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice.

[5] Article 1 bis A de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 N° Lexbase : C64868TE.

[8] Cass. Civ. 2, 24 novembre 1999, n° 97-10.572 N° Lexbase : A8914CIY.

[9] INFO790, Récupération du matériel informatique en fin de contrat de travail par l'intervention d'un commissaire de justice, Voies d'exécution N° Lexbase : X3953CQH.

[10] Articles 232 N° Lexbase : L1719H4G à 248 N° Lexbase : L1760H4X du Code de procédure civile.

[11] C.N.E.J.I.T.A : compagnie regroupant des experts judiciaires spécialisés dans le domaine de l’informatique.

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Commissaires de justice

[Pratique professionnelle] Le jour où : j’ai rencontré un Diogène

Lecture: 6 min

N7704BZD

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par Clémence Coti, Commissaire de Justice Associée, KSR & Associés

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : syndrome de Diogène • commissaire de justice • procès-verbal • constat

La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement a le plaisir de vous présenter la rubrique « Le jour où » qui laisse la parole libre à des professionnels du droit, ayant rencontré des difficultés pratiques lors de la mise en œuvre d’une procédure ou une anecdote particulière. L’objectif de cette rubrique est, au-delà de constituer un retour d’expérience, de démontrer en quoi la réalité du droit peut être éloignée des textes, contraignant le professionnel à improviser pour parvenir à ses fins.


 

Plusieurs années après, ce souvenir demeure l’anecdote qui me marque le plus, ce jour où l’on ne pressent en rien l’ampleur de la tâche qui va nous incomber. Et pourtant le contexte, peu commun, aurait dû m'alerter : je suis désignée par le juge, dans une ordonnance, pour constater le déroulement d’opérations particulières :

Un syndicat des copropriétaires d’un immeuble représenté par son syndic est autorisé, sur requête, à faire débarrasser l’appartement de deux copropriétaires (une femme octogénaire et sa fille) connues pour être atteintes d’un syndrome de Diogène sévère.

L’accumulation de détritus par les copropriétaires a pris des proportions inquiétantes. Les caves de l’immeuble sont inaccessibles, tous les placards techniques de l’immeuble débordent, les insectes ont envahi la cage d’escalier et les paliers, et une odeur pestilentielle se dégage du dernier étage, envahi par un nuage de mouches.

Les copropriétaires poursuivies règlent leurs charges de façon exemplaire. En revanche, plus aucune discussion n’est possible avec elles depuis plusieurs années et les tensions grondent au sein de l’immeuble. Les deux femmes sortent quotidiennement et reviennent tardivement, en général dans la nuit, accompagnées d’un caddie rempli de poubelles amassées tout au long de la journée.

J’apprends que la mère sort de moins en moins, et que la fille est régulièrement aperçue, endormie sur un palier, à défaut de pouvoir entrer dans son appartement envahi.

Ainsi, l’ordonnance autorise les agents de l’unité d’hygiène de la ville à entrer dans l’appartement, avec mon assistance, pour constater l’état du logement et effectuer d’office les travaux de nettoyage et désinfection qui s’imposent.

Et sur l’insistance du requérant, craignant une canicule qui empirerait davantage les conditions d’occupation de l’immeuble, cette ordonnance est rendue fin juillet, juste avant les vacances judiciaires. Je comprends que la décision met fin à une procédure longue et couteuse face à laquelle seul le principe du « aux grands maux les grands remèdes » fera le poids.

Je suis, à l’époque, jeune huissier salariée, et seule à l’étude en cette première semaine du mois d’août. Les opérations s’organisent rapidement, et les protagonistes sont nombreux :

  • autorités de police ;
  • employés de mairie ;
  • serrurier ;
  • médecin et psychologue ;
  • déménageurs ;
  • société de désinfection ;

L’ordonnance est signifiée en amont par dépôt étude, il n’est évidemment pas possible d’entrer directement en contact avec les deux femmes, discrètes. Des affiches sont également déposées dans les parties communes pour les avertir.

Nous nous retrouvons donc tous un lundi matin à huit heures pour débuter les opérations.

Je me rends au dernier étage. Accueillie par son nuage d’insectes, je suis accompagnée du serrurier et des autorités de police. L’affiche précédemment collée sur la porte palière n’a pas bougé.

Je frappe et m’annonce plusieurs fois, sans réaction. À ma demande, le serrurier ouvre la porte, très abîmée.

Première grande surprise : l’ouverture de la porte ne permet en aucun cas d’accéder à l’appartement. Du sol au plafond, des sacs poubelles sont entreposés et empêchent totalement d’entrer. Et c’est une nouvelle odeur très inconfortable qui se dégage.

Seul un tunnel très étroit entre les sacs poubelles est visible.

Cette découverte me laisse interdite : « Est-ce vraiment de la sorte que les occupantes rentrent chez elles ? En se faufilant dans un tunnel d’immondices dont on ne voit pas le bout ? ».

Le temps passe. L’accès demeurant impossible de ce côté et les occupantes ne se manifestant pas, je demande qu’une tentative d’accès soit réalisée depuis le balcon de l’appartement à l’aide de l’échelle des pompiers.

Une vitre est brisée, et ce sont des dizaines de sacs qui s’échappent sur le balcon. C’est les bras croisés en signe d’échec que le pompier s’adresse à l’assistance en contrebas et nous fait comprendre que l'accès est strictement impossible par ici également.

Les esprits s’échauffent au sein des effectifs. Il fait chaud et l’odeur est insupportable. L’opération étant commencée, plus question de renoncer.

Je demande que l’entreprise de nettoyage déblaie les sacs qui occupent l’entrée de l’appartement, et un agent de police, impatient, s’engage dans le tunnel en s’annonçant.

Il en ressort quelques minutes plus tard suffoquant, et recrachant son petit-déjeuner sur le palier, devant ses collègues moqueurs.

Il faut donc prendre notre mal en patience et ce n’est que vers onze heures que je peux me faufiler dans l’appartement, le nez badigeonné de baume du tigre.

Seconde surprise : Personne n’aurait pu imaginer le spectacle qu'il m'est donné à voir. Des poubelles, des produits alimentaires en décomposition, des sacs en tout genre, sont entassés dans tout l’appartement. Impossible d’apercevoir le sol ou certaines cloisons de l’appartement.

La plus jeune des deux femmes s’adresse alors à nous en criant, contestant notre présence et hurlant sur l’entreprise qui déblaie. Je tente par toutes les façons de lui expliquer les raisons de notre présence, et les termes de l’ordonnance, sans succès.

Je découvre alors la mère, allongée au milieu du salon initial dans des sacs poubelles. Elle a un certain âge, elle peut difficilement marcher. Toutes les deux laissent paraître des troubles sévères.

Des années et des années de détritus sont découverts. Tous les sanitaires de l’appartement sont inutilisables, recouverts d’immondices. Il n’y a plus d’électricité.

Leur alimentation semble se limiter aux quelques trouvailles quotidiennes et l’hygiène n’est plus.

Le psychologue demande alors qu’elles soient emmenées par les pompiers dans un foyer le temps du déroulement des opérations. Leur départ est très difficile.

Elles en viennent aux mains auprès des forces de police, se débattent et insultent les pompiers, crachent aux visages des salariés de l’entreprise de nettoyage, déjà désespérés par le travail qui les attend.

À ce moment précis, particulièrement, mes connaissances universitaires sont insuffisantes, et m’obligent à puiser dans mes apprentissages de vie pour réussir à canaliser une opération judiciaire au bord de l’implosion. Les opérations de débarrassage ont duré trois jours, puis ont laissé place au nettoyage et à la désinsectisation. Les meubles de l’appartement ont fini par réapparaitre sous les détritus et c’est un appartement avec une riche histoire familiale qui est découvert.

À ma demande, les deux femmes sont ramenées chez elles le vendredi. Il m’appartient de les remettre en possession de leur appartement, désormais sain. La plus jeune, toujours très énervée, ne me parle que de ses costumes de théâtre d’enfant. Déjà très insistante sur le sujet le premier jour, ces costumes avaient évidemment été conservés dans une grande malle.

Quant à sa mère, je me souviendrai longtemps d’elle, accrochée à mon bras, en larmes, redécouvrant ses meubles, ses photographies, bibelots, et tout autant de souvenirs.

Les opérations étaient enfin finies.

La vieille femme est décédée quelques mois plus tard. Et sa fille, six ans après cette opération, passe quotidiennement devant l’étude, poussant son caddie qui dégueule.

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Commissaires de justice

[Jurisprudence] Les dividendes versés par une SEL à une SPFPL sont soumis aux cotisations sociales des indépendants

Réf. : Cass. civ. 2, 19 octobre 2023, n° 21-20.366, F-B N° Lexbase : A65071NC

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par Stéphane Buffa, Avocat associé chez KAIRNS Avocats, Docteur en droit, Enseignant à l'Université Picardie Jules Verne

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : société d’exercice libérale (SEL) • société de participations financières des professions libérales (SPFPL) • rémunération • cotisations sociales • revenus professionnels • dividendes

Par un arrêt du 19 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que les dividendes versés par une SEL à une SPFPL doivent être soumis aux cotisations sociales dues par le libéral. Si l’on replace l’arrêt dans sa lignée jurisprudentielle, sa portée pourrait être moins étendue qu’il n’y paraît.


 

Par un arrêt du 19 octobre 2023 qui a fait beaucoup de bruit parmi les praticiens, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation semble mettre à mal les nombreux montages par lesquels les sociétés d’exercice libéral (SEL) distribuent des dividendes à leur holding constituée sous la forme de société de participations financières des professions libérales (SPFPL).

En l’espèce, un chirurgien exerçait son activité au travers d’une SEL dont il détenait les parts, directement à hauteur de 1 % et indirectement à hauteur de 99 %, par l'intermédiaire d’une SPFPL, soumise à l’impôt sur les sociétés, laquelle faisait, donc, office de holding.

La SPFPL percevait ainsi une partie des dividendes que distribuait la SEL. Le chirurgien-dentiste n’avait pas soumis les dividendes perçus par la SPFPL aux cotisations d’assurance-vieillesse. En effet, si l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale N° Lexbase : L6945LNK disposait (et dispose encore) que les produits des parts et actions (essentiellement les dividendes) perçus par un travailleur indépendant étaient soumis aux cotisations sociales [1], il ne soumettait pas aux cotisations sociales les dividendes versés à une personne autre que l’indépendant en question. Le chirurgien-dentiste pouvait donc légitimement s’attendre à ce que les dividendes versés à la SPFPL ne soient pas assujettis aux cotisations sociales.

La caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes (CARCDSF) n’eût pas la même lecture de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale et intégra dans l’assiette des cotisations d’assurance-vieillesse dues par le praticien en cause, le montant des dividendes versés par la SEL à la SPFPL.

L’affaire fut portée devant les juridictions et la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma la position de la caisse autonome de retraite. La Cour de cassation donne raison à la cour d’appel en admettant que les dividendes versés par la SEL à la SPFPL entrent dans l’assiette des cotisations sociales dues par le chirurgien-dentiste.

L’arrêt de la Cour de cassation, retient que « les bénéfices de la société d'exercice libéral, au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l'assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale qui détient le capital de la société d'exercice libéral ». La Cour de cassation confirme, ainsi, l’arrêt d’appel ayant constaté que « le chirurgien-dentiste est le seul associé professionnel en exercice au sein de la SELARL et le seul à générer des revenus permettant de constituer les dividendes distribués à la société de participations financières, dans laquelle lui et son conjoint sont les deux seuls détenteurs de parts sociales », relevant que « ces dividendes correspondent à la rémunération d'un travail plutôt qu'à des revenus d'un patrimoine » et ajoutant  « qu'il importe peu qu'au regard de la réglementation applicable, la société de participations financières soit dotée d'une personnalité morale distincte et soit soumise à l'impôt sur les sociétés et non à l'impôt sur les revenus ».

Si à première lecture, l’arrêt peut prendre l’apparence d’un cataclysme (I) pour la structuration société des libéraux, voire de l’ensemble des indépendants, ce cataclysme pourrait n’être qu’une tempête dans un verre d’eau (II) si l’on replace l’arrêt dans son contexte historique jurisprudentiel.

I. Cataclysme…

L’arrêt a, à juste titre, suscité beaucoup d’émoi, au moins parmi les praticiens, tant sa décision tord la lettre du texte (A). Par ce qu’il ne dit pas, l’arrêt laisse plus d’interrogations que de solutions (B).

A. Ce que la Cour de cassation a dit

Indéniablement, l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation tord la lettre du texte de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale, en adoptant une lecture réaliste et en écartant l’existence de la SPFPL.

Le texte de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale ne soumet aux cotisations sociales que les revenus perçus par les indépendants. Le résultat d’une filiale appréhendé par sa société mère n’est pas visé par le texte. C’est une interprétation, on ne peut plus que constructive, que rend la Cour de cassation. En retenant une approche réaliste, la Cour s’appuie sur la nature des bénéfices réalisés par la SEL, qui constituent le « produit de l’activité professionnelle du chirurgien-dentiste ». Ainsi l’exercice de l’activité par l’intermédiaire d’une société, plutôt que directement, est sans influence, sur la nature des revenus, même après leur distribution en tant que dividendes, dès lors que, comme le souligne la Cour de cassation, le chirurgien est le seul à générer ses revenus. L’effort d’interprétation de la Cour réside, surtout, dans le fait que celle-ci soumet ces bénéfices aux cotisations sociales, y compris lorsqu’ils sont distribués à la SPFPL, alors que le texte de l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale ne soumettait aux cotisations sociales que les produits perçus par le travailleur. Ce faisant, la Cour écarte l’ensemble des autres implications juridiques, que ce soit, la personnalité morale distincte de la SPFPL et son régime fiscal (impôt sur les sociétés ou translucidité).

En pratique, cette position renchérit significativement le coût des distributions de dividendes versés par les SEL aux SPFPL et remet en cause la quasi-neutralité fiscale et sociale de ces distributions. En effet, les dividendes versés à une holding sont soumis, dans le cadre du régime-mère fille, à l’impôt sur les sociétés sur une assiette limitée à 5 % de leur montant. Les cotisations sociales n’étaient pas applicables, du moins selon ce que l’on pouvait croire avant l’arrêt du 19 octobre 2023, tant que les dividendes n’étaient pas distribués par la SPFPL à son associé. L’intérêt de la holding est alors d’assurer une quasi-neutralité des remontées de dividendes, dans l’optique de leur réinvestissement par la holding. L’arrêt remet ainsi fortement en cause l’intérêt des montages, notamment existants, consistant à interposer une SPFPL entre la SEL et son associé.

Si la solution rendue par la Cour au litige est claire, elle laisse subsister de nombreux non-dits, posant la question de sa portée.

B. Ce que la Cour de cassation n’a pas dit

La construction de l’arrêt laisse planer quelques doutes quant à sa portée. Les implications techniques restent aussi à préciser.

La portée d’abord : si l’arrêt pose un considérant qui a l’apparence d’un considérant de principe (§. 5), le paragraphe suivant reste très lié à l’espèce. Se pose la question de savoir si c’est l’espèce qui a dicté la solution ou si la Cour a entendu prendre une position de principe. Dans le premier cas, l’intégration des dividendes versés à la SPFPL dans l’assiette des cotisations sociales serait limitée aux montages par lesquels un libéral exerce seul au sein d’une SEL dont il est directement et indirectement seul (ou avec sa famille) associé. Dans le second cas, la solution pourrait s’étendre à l’ensemble des travailleurs non-salariés, y compris les gérants majoritaires de SARL, puisque l’article 131-6 du Code de la sécurité sociale ne distingue pas ceux-ci des libéraux. L’arrêt pourrait aussi concerner l’ensemble des bénéfices réalisés par la société, même non distribués, puisque la Cour précise que les « bénéfices (…) doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales », sans exiger que ceux-ci aient été distribués.

D’un point de vue technique ensuite : si les bénéfices distribués par la SEL à la SPFPL entrent dans l’assiette des cotisations sociales, ces mêmes bénéfices doivent-ils, à nouveau, être soumis aux cotisations sociales lors de leur distribution par la SPFPL ? Dans ce cas, le même bénéfice aura été soumis deux fois aux cotisations sociales, ce qui nous éloigne du réalisme jurisprudentiel de la Cour de cassation. Si tel n’est pas le cas, les dividendes distribués par la SPFPL doivent-ils être soumis aux prélèvements sociaux, ce qui n’effacerait pas la double imposition ? Si ce n’est pas le cas qu’en est-il des dividendes versés à la SPFPL qui n’ont pas été soumis aux cotisations sociales, car versés avant la décision de la Cour de cassation ?

L’extension de l’arrêt à l’ensemble des gérants majoritaires de SARL et le risque de double application des cotisations sociales pourrait entrainer une charge financière significative pour de nombreux dirigeants. À moins que l’historique des décisions jurisprudentielles antérieures ne vienne nuancer la portée de l’arrêt.

II. …ou tempête dans un verre d’eau ?

La portée de l’arrêt pourrait toutefois être nuancée. En effet, l’arrêt semble prolonger une jurisprudence historique (A), à la lumière de laquelle, la portée de l’arrêt pourrait être éclaircie (B).

A. Ce que les juges avaient dit

La décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit dans la ligne d’une ancienne jurisprudence avec laquelle elle reste cohérente. Originellement, l’article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale soumettait aux cotisations sociales le « revenu professionnel ». Un débat jurisprudentiel s’était alors élevé, afin de savoir si les dividendes versés par une société d’exercice libérale étaient des « revenus professionnels », soumis à aux cotisations sociales ou relevaient des revenus du patrimoine, soumis aux prélèvements sociaux. La Cour de cassation, par un arrêt « Lagravière » [2], statuant sur le cas d’une SELARL au sein de laquelle un chirurgien-dentiste, gérant majoritaire de la société exerçait son activité, avait considéré que les bénéfices de la société distribués au chirurgien-dentiste constituaient « le produit de son activité professionnelle » de chirurgien-dentiste et devaient être compris dans l’assiette des cotisations sociales. L’existence de la société était écartée par la Cour de cassation, celle-ci se contentant de reconnaître que le chirurgien-dentiste exerçait toujours son activité, à titre libéral et conventionné, « sous couvert de la forme juridique de la Selarl créée à cet effet ».

L’interprétation se voulait réaliste et guidée par une analyse plus économique ne dépendant pas de la qualification juridique de revenu ou de dividende dépendant de l’interposition d’une SELARL.  Il s’agissait aussi d’« éviter toute discrimination entre ceux qui cotisent – les salariés – et ceux qui ne cotisent pas – les indépendants [percevant des dividendes] [3] – et faire respecter le principe de solidarité sur lequel s’appuie notre système de protection sociale » [4].

Le Conseil d’État [5] avait eu, quant à lui, une réponse plus conforme à l’orthodoxie juridique, puisqu’il considérait que les dividendes versés aux associés des sociétés d’exercice libéral (de médecin en l’espèce) ne peuvent être regardés comme des revenus professionnels. Il n’est pas sûr que la décision ait été rendue avec enthousiasme, si l’on se fie à la lecture du Commissaire du Gouvernement [6]. Celle-ci avait souligné que, pour les libéraux, « la SEL n’est qu’une autre forme de leur exercice libéral et les revenus qu’en tirent les libéraux, notamment via la distribution de dividendes, trouve bien leur origine dans leur exercice professionnel  [7]». Ce n’est que parce que risquait d’apparaître un problème d’articulation entre les textes régissant les cotisations sociales et les textes régissant les impositions contribuant au financement de la sécurité sociale, et non sans avoir appelé le législateur à régler cet épineux sujet, que le Commissaire proposa la solution à laquelle se rangea le Conseil d’État. L’appel du Commissaire du gouvernement semble avoir été entendu puisque l’article 22 de loi de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 [8] a soumis aux cotisations de sécurité sociale les revenus distribués, au sens fiscal, versés par les SEL et les SPFPL, pour la part des revenus qui excède à 10% du capital social et des primes d’émission et des comptes-courants détenus en usufruit ou en pleine propriété par l’indépendant, son conjoint ou son enfant mineur non émancipé. Le Conseil constitutionnel [9] confirma la constitutionnalité de la loi en soulignant que le législateur, en instituant la SEL avait entendu permettre aux libéraux de choisir leur mode d’exercice de leur profession (à titre individuel ou sous forme sociale), tout en maintenant le lien nécessaire entre cet exercice, le contrôle du capital de la société et la détention d’un mandat et éviter des arbitrages entre versements de dividendes et versement de rémunération, faisant échapper une partie du revenu des sociétés aux cotisations sociales. Par la suite le législateur [10] étendit la solution à l’ensemble des travailleurs indépendants exerçant au travers d’une société, ce qui recouvrait essentiellement les gérants majoritaires d’une SARL.

En écartant les effets de l’interposition de la holding d’une SELARL, la chambre civile de la Cour de cassation, tout en méconnaissant la lettre de l’article L. 131-6 du Code de sécurité sociale, s’inscrit pleinement dans la direction historique des juridictions, du législateur et du Conseil constitutionnel.

B. Ce que la Cour de cassation pourrait dire

L’historique de la jurisprudence donne une grille de lecture permettant de nuancer la portée de l’arrêt du 19 octobre 2023.

On comprend que l’évolution de la jurisprudence et des textes tend, tant bien que mal, à appréhender la nature économique du bénéfice réalisé, peu importe sa qualification juridique et l’existence d’un autre être social. Sous ce prisme, il faut reconnaître que bénéfice réalisé par une société d’exercice libérale, dont l’associé unique exerce seul, sans salarié ni collaborateur, résulte davantage d’un travail que du produit de capitaux [11]. On comprend que la Cour de cassation refuse que la nature du bénéfice ne change de nature que par le truchement d’une société d’exercice libérale qui le distribuerait sous forme de dividendes. Il s’agit essentiellement d’éviter les montages permettant le pilotage de la rémunération et l’évitement des cotisations sociales.

Mais si l’on souhaite maintenir une analyse réaliste, alors il est nécessaire de faire la part des choses et de distinguer les situations. Comme le relevait Monsieur Vachet « dans certaines professions, l’apport de capitaux sert souvent à financer des investissements lourds en matériels. C’est le cas des radiologues, des laboratoires d’analyses médicales ou de certaines professions techniques (architectes) » [12]. Dans ces cas, les dividendes versés à la holding présenteraient plutôt le caractère de revenu de capital. De même, le bénéfice réalisé par une SEL, disposant d’un parc informatique, de salariés ou de collaborateurs, résultant de la mise en commun des efforts de plusieurs associés ne peut être considérés comme le seul produit de l’exercice professionnel d’un libéral, mais bien comme le fruit d’une aventure capitaliste. Dans ces conditions, les dividendes ne devraient pas intégrer l’assiette des cotisations sociales du ou des associés. À notre sens, c’est ainsi que doit se comprendre l’arrêt rendu par la chambre civile de la Cour de cassation.

Le débat pourrait être vite clos : en effet, dans le cadre des discussions de la loi de financement de la sécurité sociale, le gouvernement a déposé un amendement[13] visant explicitement les dividendes perçus par les travailleurs indépendants. Il n’est pas sûr, toutefois, que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne se plie pas aussi facilement au texte, aussi clair soit-il.

Conclusions : malgré un considérant large, la portée de l’arrêt pourrait être limitée aux SPFPL, dont l’utilité, autre que le pilotage de la rémunération, n’est pas avérée.

* Nous remercions le Professeur Emmanuel Joannard-Lardant pour sa précieuse relecture et ses commentaires avisés.


[1] À l’exception de la part de ses produits inférieure à 10 % du capital social et des primes d’émission et des comptes-courants détenus en usufruit ou en pleine propriété par l’indépendant, son conjoint ou son enfant mineur non émancipé.

[2] Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R N° Lexbase : A5228D87.

[3] L’ajout est le nôtre.

[4] G. Vachet, Sécurité sociale – Sociétés d’exercice libéral : assiette des cotisations d’assurance vieillesse – Commentaire, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 37, septembre 2008, 2112.

[5] CE 1° et 6° ssr., 14 novembre 2007, n° 293642, Ansel, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5808DZ7.

[6] Lequel propose d’ailleurs une « annulation sans enthousiasme » : Concl. A. Courrèges, Assiette des cotisations des non-salariés, Inclusion de revenus de capitaux mobiliers, RJS 2008.

[7] Concl. Anne Courrèges, ibid.

[8] Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 N° Lexbase : L2678IC8.

[9] Cons. const., n° 2010-24, QPC, du 6 août 2006 N° Lexbase : A9232E73 ; C. Willmann, Les dividendes versés par une SEL sont soumis à cotisations sociales : le Conseil constitutionnel écarte le grief d’atteinte à l’égalité, Lexbase Social, septembre 2010, n° 407 N° Lexbase : N0484BQY.

[10] Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la Sécurité sociale pour 2013 N° Lexbase : L6715IUA. À ce titre, le projet de loi de finances pour 2009 ne distinguait pas à ce titre entre les associés des SEL et les associés des autres sociétés soumis au régime des travailleurs non-salariés non agricoles.

[11] Sur ce point : G. Vachet, préc.

[12] G. Vachet, ibid.

[13] Amendement n° 3313 du 25 octobre 2023 [en ligne]. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/1682/AN/3313

newsid:487654

Commissaires de justice

[Brèves] Détermination de la liste des pièces justifiant de l’identité de l’auteur de la déclaration de consentement à la signification par voie électronique d’un acte de commissaire de justice

Réf. : Arrêté du 17 novembre 2023, fixant la liste des pièces justifiant de l’identité de l’auteur de la déclaration de consentement à la signification par voie électronique d’un acte de commissaire de justice N° Lexbase : L2986MKS

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N7463BZG

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

► Un arrêté du 17 novembre 2023 a été publié au Journal officiel du 21 novembre 2023, fixe la liste des pièces justifiant de l’identité de l’auteur de la déclaration de consentement à la signification par voie électronique d’un acte de commissaire de justice.

Pris en application du 1° de l’article 21 du décret n° 2021-1625, du 10 décembre 2021 N° Lexbase : L9442L9L relatif aux compétences des commissaires de justice, l’arrêté fait ressortir les catégories suivantes :

  • la personne physique ;
  • l’entreprise individuelle ;
  • la personne morale de droit privé ou un établissement public français à caractère industriel et commercial ;
  • la personne morale de droit public autre que l'État, les collectivités territoriales et les établissements publics français à caractère industriel et commercial ;
  • l'État et les collectivités territoriales.

Pour chacune de ces catégories, figure le détail des pièces justificatives nécessaires. Il convient de relever que les personnes physiques s'identifiant auprès de la chambre nationale des commissaires de justice en utilisant le téléservice « FranceConnect » sont dispensées de produire les pièces indiquées.

Enfin, le présent arrêté prévoit l’abrogation de celui du 22 mai 2012 fixant la liste des pièces justifiant de l'identité de l'auteur de la déclaration de consentement à la signification par voie électronique d'un acte d'huissier de justice.

 

 

 

newsid:487463

Commissaires de justice

[Brèves] Commissaire de justice : publication de l’arrêté relatif au plan de comptes

Réf. : Arrêté du 6 novembre 2023 relatif au plan de comptes applicable par les commissaires de justice N° Lexbase : L3417MKR

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N7549BZM

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

► Un arrêté du 6 novembre 2023 a été publié au Journal officiel du 23 novembre 2023, relatif à l’instauration du plan de comptes applicable par les commissaires de justice.

Le décret met à jour le plan de comptes applicable par les commissaires de justice.

Ce dernier vient remplacer le plan comptable applicable par les huissiers de justice annexé à l'arrêté du 11 mai 2007.

L’entrée en vigueur de ce texte a été fixée au lendemain de sa publication, soit le 24 novembre 2023.

Il convient de relever que le plan de comptes deviendra obligatoire, au plus tard, aux comptes ouverts à compter du 1er janvier 2026.

newsid:487549

Commissaires de justice

[Textes] Étude spécifique de la CEPEJ sur les professions juridiques : les agents d’exécution

Lecture: 1 min

N7709BZK

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par Patrick Gielen, Secrétaire de l’UIHJ, Huissier de Justice Belgique (Modero Bruxelles)

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : Conseil de l’Europe • exécution forcée • signification électronique • accès aux données du débiteur • statut des agents d’exécutions • discipline

Comme tous les deux ans, l’étude spécifique sur les agents d'exécution a été publiées sur le site internet de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) et sur la page spéciale CEPEJ-STAT. Cette étude a été préparée par l'Union internationale des huissiers de justice (UIHJ) association professionnelle bénéficiant du statut d’observateur auprès de la CEPEJ.


 

Cette étude, basée sur les données 2020 collectées par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), représentent un complément au dernier rapport de la CEPEJ publié en 2022. L'étude spécifique sur les agents d'exécution couvre l'organisation de la profession d'agent d'exécution, la mise en œuvre des procédures d'exécution, la supervision des activités d'exécution, ainsi que les procédures d'exécution en matière pénale. 

Vous pouvez télécharger l’étude :

  • dans sa version française : [ici
  • dans sa version anglaise : [ici

newsid:487709

Commissaires de justice

[Pratique professionnelle] Infographie sur la procédure de récupération du matériel informatique en fin de contrat de travail par l'intervention d'un commissaire de justice

Réf. : INFO790, Récupération du matériel informatique en fin de contrat de travail par l'intervention d'un commissaire de justice N° Lexbase : X3953CQH

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N7703BZC

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

Pour accéder à l'infographie, INFO790, Récupération du matériel informatique en fin de contrat de travail par l'intervention d'un commissaire de justice, Voies d'exécution N° Lexbase : X3953CQH.

newsid:487703

Contentieux

[Jurisprudence] La production par l’employeur de correspondances privées sur les réseaux sociaux peut être justifiée par le droit à la preuve

Réf. : Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.452, F-D N° Lexbase : A33171K3

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N7602BZL

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par Anne-Claire Chambas et Elise Guilcher, INLO avocats

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : réseaux sociaux • droit à la preuve • secret des correspondances • contrôle de proportionnalité • droit au respect de la vie privée

L’employeur peut produire en justice des photographies envoyées sur un groupe « Messenger », portant atteinte à la vie privée de salariés, si c’est indispensable au droit à la preuve et proportionné à un objectif de défense de ses intérêts légitimes.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 octobre 2023, a jugé recevable comme preuve dans un contentieux prud’homal des photographies prises au temps et sur le lieu de travail, et extraites d’un groupe « Messenger » entre collègues et anciennes collègues de travail.


 

Dans cette affaire, une salariée qui exerçait les fonctions d’infirmière a été licenciée pour faute grave pour avoir notamment, d’une part, participé à une séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail, dans le service des urgences et d’autre part, consommé de l’alcool au sein de l’hôpital, dans le cadre de soirées festives, parfois pendant la durée du service.

La salariée sollicite, dans le cadre de la contestation de son licenciement pour faute grave, que soient rejetées des débats un certain nombre de pièces produites par l’employeur, à savoir :

  • le témoignage anonyme d’une collègue du service ayant confirmé la consommation d’alcool et dénoncé des mauvais traitements infligés alors aux patients ;
  • des extraits de conversations « Messenger » démontrant la consommation et l’introduction d’alcool au sein de l’hôpital.
  • des photographies montrant les salariées en maillot de bain dans une salle de suture de l’hôpital ;

Les preuves produites au débat par l’employeur lui avaient été transmises par une aide-soignante appartenant au groupe « Messenger » sur lequel elles avaient été diffusées.

La salariée estimait que les photographies et extraits de conservation sur un réseau social devaient être écartés des débats, car constituant une atteinte excessive à sa vie privée.

Sur le fondement du droit à la preuve, tiré des articles 6 N° Lexbase : L7558AIR (droit à un procès équitable) et 8 N° Lexbase : L4798AQR (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et consacré par la jurisprudence de la CESDH (CEDH, 10 octobre 2006, Req. n° 7508/02  L.L. c/ France N° Lexbase : A6919DRP), la Cour de cassation rappelle que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté une atteinte au caractère équitable de la procédure de son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve.

Placés dans le contexte du pouvoir de sanction de l’employeur, les réseaux sociaux soulèvent la question de l’utilisation des contenus publiés par les salariés comme preuve dans une procédure disciplinaire. Ces contenus peuvent avoir un caractère privé et leur utilisation porte nécessairement atteinte à la vie privée du salarié (I), cependant cette atteinte peut parfaitement être justifiée et rendre recevable une preuve considérée comme illicite en raison du droit la preuve de l’employeur (II).

I. L’atteinte à la vie privée lors de la production de photographies issues d’une conversation « Messenger » 

L’arrêt du 4 octobre 2023 rappelle que dans le cadre d’une procédure disciplinaire les faits reprochés doivent avoir un lien de rattachement suffisant avec la sphère professionnelle (A) et l’employeur doit être en mesure de démontrer la réalité de ces faits sans porter atteinte à une liberté fondamentale (B).

A. Les faits litigieux : le lien de rattachement à la sphère professionnelle

Les réseaux sociaux sont représentatifs de la porosité entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

Dans l’arrêt commenté, les faits litigieux se sont déroulés au temps et sur le lieu de travail. La Cour de cassation refuse d’y voir des faits relevant de la vie personnelle de la salariée, « dans la mesure où ces photos avaient été prises sur le lieu de travail et à destination d'une ancienne collègue de travail, elles relevaient de la sphère professionnelle et étaient légitimement produites aux débats ».

Si ce lien de rattachement apparaît évident dans le cas d’espèce, la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle peut parfois être plus difficile à déterminer.

Pourtant, cette distinction est importante, car lien de rattachement à la sphère professionnelle est indispensable pour justifier un licenciement pour motif disciplinaire.

La Cour de cassation, sur ce point, est parvenue à dégager deux principes :

  • D'une part, il est de jurisprudence constante, que, par principe, un fait de vie personnelle ne peut pas caractériser une faute disciplinaire (Cass. soc., 13 septembre 2006, n° 05-42.909, F-D N° Lexbase : A0361DRS  ; Cass. Ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803 N° Lexbase : A3179DWN). Toutefois, la faute peut être retenue si le fait de vie personnelle reproché au salarié s'accompagne d'un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, notamment l’obligation de loyauté (Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-40.584 N° Lexbase : A4225ATN).
  • D'autre part, ce fait peut objectivement constituer une cause de licenciement personnel non disciplinaire. La cause de ce licenciement repose alors sur le trouble objectif causé à l'entreprise par le comportement du salarié : « Si, en principe, il ne peut être procédé au licenciement d'un salarié pour une cause tirée de sa vie privée, il en est autrement lorsque le comportement de l'intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière » (Cass. soc. 21 mai 2002, n° 00-41.128 N° Lexbase : A7105AYS).  

Le constat selon lequel les faits litigieux relèvent de la sphère professionnelle ne permet pas pour autant de considérer que la preuve de ces faits peut être rapportée par tout moyen.

B. La preuve des faits litigieux et l’utilisation des réseaux sociaux

Il est tentant de vouloir utiliser les propos tenus par un salarié sur les réseaux sociaux. Si la Haute juridiction considère que la production d’éléments tirés d’un réseau social ne pose pas de difficulté lorsqu’ils sont diffusés sur un espace public, la solution est évidemment différente lorsqu’ils sont publiés sur un espace privé. En effet, les échanges issus de conversations privées, même sur les réseaux sociaux, sont couverts par le secret des correspondances et leur utilisation porte nécessairement atteinte à la vie privée du salarié

En l’espèce, la preuve apportée par l’employeur était notamment tirée d’échanges provenant d’un groupe « Messenger » dont l’accès était restreint à un nombre limité de personnes.

Il était donc nécessaire de déterminer si un message diffusé à un groupe de personne, constitué de collègues et anciens collègues de travail, sur un réseau social constitue un espace public ou privé.

Pour distinguer le caractère public ou non public des éléments litigieux, la Cour de cassation s’attache à l’étendue de la diffusion desdits propos. Plusieurs décisions des juges du fond ont été rendues sur ce sujet, notamment concernant l’utilisation d’éléments produits sur les réseaux sociaux type « Meta ». À chaque fois, il est mis en avant le périmètre de diffusion pour déterminer si la preuve est licite ou illicite.

Par exemple, une Cour d’appel considère que constitue une conversation privée les propos échangés entre deux utilisateurs du réseau Facebook, auxquels seuls ces derniers avaient accès via leurs profils sécurisés par un mot de passe, et qui n'étaient donc pas accessibles à des tiers. Même si par son contenu, cette conversation pouvait se rattacher à la sphère professionnelle, sa divulgation, quel qu'en soit l'auteur, était de nature à porter atteinte à la vie privée et à violer le secret des correspondances (CA Poitiers 4 mai 2016, n° 15/04170 N° Lexbase : A8159RM7). À l’inverse, la production par l'employeur devant le juge d'un document contenant les propos tenus par un salarié sur la page d'un réseau social qui avait été paramétré par son auteur pour en permettre le partage avec « ses amis et leurs amis » ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée de l'intéressé et constitue un moyen de preuve licite pouvant être invoqué à l'appui de son licenciement (Cons. prud'h. Boulogne-Billancourt 19 novembre 2010, n° 10-853).

Dans le cas d’espèce, les images produites ont été envoyées sur « Messenger », système de messagerie instantanée, sur un groupe restreint de personnes. Ces messages ne pouvaient pas être lus par des personnes extérieures à ce groupe. Il était nécessaire d’appartenir au groupe pour pouvoir visualiser le contenu des publications. Au regard des jurisprudences passées, ce groupe constitue un espace privé et non public.

Ce point ne sera pas confirmé par la Cour de cassation qui se contente d’affirmer que la preuve ainsi produite était « illicite » en portant atteinte au droit à la vie privée sans expliciter à quel titre la production de ces photographies porte atteinte à la vie privée. Elle ne précise pas si c’est en raison de sa diffusion sur un espace privé ou si c’est en raison du contenu de ces photographies (salariée en maillot de bain).

Traditionnellement, lorsqu’une preuve était illicite, elle devait automatiquement être déclarée irrecevable par les juges du fond et rejetée des débats. Sur ce point la jurisprudence a évolué ces dernières années en considérant que l’illicéité d’un moyen de preuve ne doit pas entraîner systématiquement son rejet des débats. Le juge doit alors apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve de l’employeur.

II. L’utilisation d’une preuve illicite indispensable pour l’exercice du droit à la preuve

L’utilisation d’une preuve illicite qui porte atteinte au droit à la vie privée est admise par la jurisprudence lorsqu’elle est nécessaire pour l’exercice du droit à la preuve à la condition que l’employeur respecte le principe de loyauté dans l’administration de la preuve (A) et que l’atteinte à la vie privée soit proportionnée avec le droit à la preuve (B).

A. Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve

Le principe de loyauté dans l’administration de la preuve oblige l’employeur à ne pas l’obtenir par un stratagème ou un procédé clandestin.

Dans la mesure où l’accès à une publication issue d’un réseau social suppose, à l’exception des comptes qui sont « publics », d’avoir été agréé par le titulaire du compte, on peut légitimement s’interroger sur la recevabilité de la preuve consistant à extraire certains éléments du compte personnel d’un salarié.

Dans un arrêt du 20 décembre 2017, un employeur avait eu recours à un huissier afin qu’il dresse un procès-verbal de constat rapportant des informations extraites du compte Facebook d’une salariée à partir du téléphone portable d’un autre salarié bénéficiant d’un accès à ce compte. La Cour de cassation a jugé déloyale la preuve obtenue, considérant qu’il s’agissait d’un stratagème prohibé par le principe de loyauté (Cass. Soc., 20 décembre 2017, n° 16-19.609, F-D N° Lexbase : A0682W97).  

En revanche, l’employeur ne peut être considéré comme ayant eu accès à une information litigieuse de manière déloyale lorsqu’il ressort d’attestations que les captures d’écran d’un réseau social, dont il se prévalait pour établir les faits fautifs invoqués à l’appui du licenciement, avaient été réalisées par une personne habilitée à accéder au contenu de l’intéressée.

Le principe de la liberté de la preuve en matière prud’homale n’interdit pas à l’employeur d’être destinataire d’un témoignage quelconque, et notamment de celui d’une personne habilitée à accéder au contenu publié par le salarié concerné.

Ainsi, il a été reconnu que lorsque la publication litigieuse a été spontanément communiquée à l’employeur par courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de la salariée, ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal (Cass. Soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A41383W8).

En l’espèce, les éléments avaient été spontanément publiés par une salariée de la société, et aucun stratagème n’a été mis en place par la société pour les obtenir. Ainsi, l’obtention de cette preuve était parfaitement loyale et ne posait pas de difficulté.

Il n’en reste pas moins que cette preuve, bien qu’obtenue de manière loyale, porte atteinte à la vie privée du salarié et reste une preuve illicite qui ne peut être acceptée en justice que si elle est indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.

B. L’atteinte à la vie privée justifiée par le droit à la preuve

La Cour de cassation rappelle qu’il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Les juges ont donc recours au « test de proportionnalité », qui consiste à mettre en balance le droit au respect de la vie privée de la salariée et le droit à la preuve de l’employeur.

  • S’agissant du but poursuivi par l’employeur

Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’assurer la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières employées dans son établissement. Il ressort des faits que le comportement sanctionné de l’infirmière compromettait sérieusement la gestion des patients qui lui était confiée. Le but poursuivi par l’employeur justifie donc parfaitement une atteinte au droit à la vie privée.

D’autres arrêts ont également validé une atteinte à la vie privée du salarié en raison de la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires (Cass. Soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058 ; CA Rouen 26 avril 2016, n° 14/03517 N° Lexbase : A1694RLC), ou de la protection des personnes handicapées dont l’association employeur avait la charge (CA Poitiers 4 mai 2016 n° 15/04170 N° Lexbase : A8159RM7).

  • S’agissant du caractère proportionné à ce but

Il suppose que l’atteinte à la vie privée du salarié n’excède pas ce qui est nécessaire au succès de la prétention de l’employeur.

Ainsi, s’agissant d’une publication litigieuse émanant du compte d’un salarié sur un réseau social, seule la production de cette publication est nécessaire. Aussi, l’employeur qui produirait l’ensemble d’une conservation comportant des informations étrangères aux débats ne respecterait pas cette obligation de proportionnalité.

  • S’agissant de l’impossibilité d’utiliser d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié

S’agissant des échanges « Messenger », prouvant la consommation d’alcool au temps et au lieu de travail :

  • la Cour de cassation considère que la cour d’appel aurait dû vérifier le caractère professionnel du contenu de l'ensemble des messages produits et l'importance des messages revêtant effectivement un caractère professionnel par rapport à l'ensemble des messages produits ;
  • Et relève, en tout état cause, que le grief tiré de la consommation et de l’introduction d’alcool au sein de l’hôpital était établi par d’autres éléments de preuve.

Ainsi, si le résultat reste identique en raison des autres éléments de preuve apportés par l’employeur, il n’en résulte pas moins que les échanges produits ne passent pas le test du contrôle de proportionnalité. La production de ses échanges porte atteinte au droit au respect de la vie privée et le droit à la preuve ne peut pas justifier cette atteinte, car d’autres éléments permettaient de démontrer ces faits. Ces échanges constituent des preuves illicites, qui n’auraient pas dû être produites par l’employeur.

En revanche, s'agissant de la participation à une séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail, la Cour de cassation a considéré qu’elles étaient légitimement produites aux débats et révélaient un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée. En effet, ce grief ne pouvait être établi par d’autres moyens.

Depuis quelques années, le juge admet que le droit à la preuve justifie la production en justice d’éléments illicite portant atteinte à une liberté fondamentale. Cependant, la Cour de cassation n’abandonne pas pour autant son « test de proportionnalité », et si une telle preuve illicite est jugée recevable au nom du droit à la preuve, ce n’est qu’à la condition d’être indispensable à l’exercice de ce droit, et strictement proportionnée au but poursuivi.

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Contentieux

[Chronique] Chronique de jurisprudence (octobre à décembre 2023)

Lecture: 1 min

N7726BZ8

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé (Venezia), Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et recouvrement, Expert près l’UIHJ, et Guewen Le Cloerec, Commissaire de justice (Venezia)

Le 25 Mars 2024

Mots-clés : commissaire de justice • contentieux locatif • état des lieux • procédures civiles d’exécution • constat

La revue Lexbase Contentieux et Recouvrement vous propose de retrouver la quatrième chronique illustrée par les plus récentes décisions jurisprudentielles sous la forme d’un contenu original rédigé par Sylvian Dorol, et Guewen Le Cloerec.


 

Sommmaire

I. Contentieux locatif

- Cass. civ. 3, 26 octobre 2023, n° 22-16.216, FS-B N° Lexbase : A42741PY

- CA Paris, 1, 10, 9 novembre 2023, n° 23/08515 N° Lexbase : A65551ZS

- Cass. civ. 3, 16 novembre 2023, n° 22-19.422, FS-B N° Lexbase : A58971ZG

II. Procédure civile

- Cass. civ. 2, 23 novembre 2023, n° 21-22.913, F-B N° Lexbase : A861013B

- CA Riom, 24 octobre 2023, n° 23/00794 N° Lexbase : A03101RW

III. Constats

- CA Douai, 28 septembre 2023, n° 22/02664 N° Lexbase : A43641ML

- CA Lyon, 23 novembre 2023, n° 20/01021 N° Lexbase : A904914W

IV. Procédures civiles d’exécution

- Cons. const., décision n° 2023-1068 QPC, du 17 novembre 2023 N° Lexbase : A61411ZH)

- CA Nancy, 23 novembre 2023, n° 23/01082 N° Lexbase : A699914Y


I. Contentieux locatif

Dans le cadre d’un bail commercial, un impayé locatif amène preneur et bailleur à saisir la justice. Une ordonnance de référé est rendue, suspendant les effets de la clause résolutoire sous réserve du paiement intégral des échéances courantes outre un prorata de l’arriéré locatif. Au bout de huit mois, l’échéancier prévoyait le versement de 20 031 euros, mais seuls 20 000 euros ont été réglés.

Le bailleur a donc relancé les poursuites, fait signifier un commandement de quitter les lieux et mené à son terme la procédure d’expulsion. Pour 31 euros plaide l’expulsé ?!

La cour d’appel de Toulouse a donné raison au locataire se fondant sur le solde résiduel de 31 euros.

À la suite du pourvoi en cassation, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante : la persistance d’un arriéré locatif résiduel permet-il au bailleur de poursuivre la procédure d’expulsion de son locataire jusqu’à son terme, se fondant sur le jeu de la clause résolutoire ?

À la lecture de cet arrêt rendu le 26 octobre 2023, il est possible de déduire que l’appréciation du respect de l’échéancier doit être réalisé de manière stricte, à l’euro près.       

La Haute juridiction censure l’arrêt rendu par la cour d’appel de Toulouse pour violation de l’article L. 145-41 du Code de commerce N° Lexbase : L1063KZE au motif du non-respect par le locataire des délais de paiement accordés.  

Il est également intéressant de noter que l’octroi de délai sur vingt-quatre mois est indifférent, seule une échéance partiellement impayée, même au bout de quelques mois, suffit à redonner à l’ordonnance de référé l’ensemble de ses effets.

Il semble donc prudent de respect à la lettre les échéanciers mis en place, indexations comprises le cas échéant, afin d’éviter une expulsion pour quelques euros…

Intéressante décision rendue par la cour d’appel de Paris le 9 novembre dernier ! Elle répond à une question qui tracassait bailleurs et commissaires de justice : comment la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite N° Lexbase : L2872MI9 doit s’appliquer dans le temps ?

Sans tergiverser, les magistrats parisiens affirment avec vigueur « La loi n°2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite est entrée en vigueur dès le 29 juillet et s'applique, s'agissant d'une loi de procédure, aux procédures en cours. ». Prononcée en matière de squat, la solution confirme l’analyse du Professeur Julien Laurent qui écrivait que « dans un avis du 16 février 2015 (Cass., avis, 16 février 2015, n° 15002 N° Lexbase : A6002NBW) la Cour de cassation a énoncé que « la loi nouvelle [régit] immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisés ». Or, l’on s’en souvient, cet avis était précisément et justement rendu à propos de l’application aux baux en cours de l’article 24-V tel qu’issu de la loi « ALUR » ayant porté, par dérogation au Code civil, le délai de grâce maximum de paiement des dettes locatives de deux ans à trois ans ».

S. Dorol, Questions au professeur Julien Laurent relatives au nouvel article 24-I de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023 n° 2023-668 : quelle application aux contrats de bail d’habitation en cours?, Lexbase Contentieux et Recouvrement, décembre 2023, n° 3 N° Lexbase : N6752BZ4).

Un contrat de bail d’habitation est conclu. Les locataires donnent congé et quittent le logement.

Le propriétaire du logement procède, seul, à l’établissement de l’état des lieux de sortie tout en chiffrant les retenues à opérer sur le dépôt de garantie. Mais les locataires contestent, sollicitant le remboursement de leur dépôt de garantie.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante : l’établissement d’un état des lieux de sortie par l’une seule des parties, en l’absence de l’autre, peut-elle servir de fondement à une retenue sur le dépôt de garantie ?

À la lecture de cet arrêt rendu le 16 novembre 2023, il est possible de déduire que l’état des lieux de sortie réalisé de manière non contradictoire ne peut aucunement servir de base à une quelconque retenue sur le dépôt de garantie (sauf s’il est réalisé par un commissaire de justice, et respect du formalisme de convocation préalable). La position de la Cour de cassation semble être en adéquation avec l’esprit de l’article 3-2 de la loi n° 89-462, du 6 juillet 1989 N° Lexbase : L8461AGH, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 N° Lexbase : L8834AGB, prévoyant en effet la réalisation d’un état des lieux de sortie contradictoire ou, en cas d’impossibilité, le recours à un commissaire de justice.

Il est possible de déduire de cette décision que l’état des lieux de sortie unilatéralement réalisé par une partie est dénué de toute valeur.

Il est intéressant de rappeler ici que l’état des lieux réalisé par un commissaire de justice en pareille hypothèse se fait à frais partagés, le bailleur aurait donc pu s’éviter bien des tracas en se conformant aux dispositions de la loi n° 89-462, du 6 juillet 1989, précitée (v. L’état des lieux de sortie établi unilatéralement par le bailleur ne vaut rien…, Lexbase Droit privé, novembre 2023, n° 965 N° Lexbase : N7493BZK).

II. Procédure civile

Un procès est engagé devant le conseil de prud’hommes opposant un salarié à son employeur. Un jugement est rendu. Le salarié, représenté par un défenseur syndical, interjette appel.

Son employeur, quant à lui, est représenté par un avocat.

Le défenseur syndical représentant le salarié remet en outre ses conclusions à l’avocat de l’employeur en main propre contre récépissé. La société dépose des conclusions d’incident, mettant en avant la caducité de l’appel aux motifs que le défenseur syndical n’a pas procédé par LRAR ou par voie de signification comme imposé par l’article 930-3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6642LEQ

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a donc dû répondre à la question suivante : la remise de conclusions d’appel en main propre contre récépissé dans le cadre d’une communication entre avocat et défenseur syndical est-elle recevable ?

À la lecture de cet arrêt rendu le 23 novembre 2023, il est possible de déduire que, bien que non prévue par les textes, ce mode de communication attestant de la remise et d’une date certaine demeure recevable sauf à prouver l’existence d’un grief en découlant.  La Haute juridiction lui applique en effet le régime des nullités dites de forme 

Il est donc possible d’imaginer que la remise en main propre contre récépissé prévue par l’article 667 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8430IRN relatif aux notifications ordinaires, pourrait être admise dans d’autres contextes si aucun grief n’était occasionné par son recours (v. Procédure d’appel et défenseur syndical et vice de forme : remise contre récépissé des conclusions d’appelant en substitution de la LRAR, la démonstration d’un grief est nécessaire !, Lexbase Droit privé, novembre 2023, n° 966 N° Lexbase : N7582BZT).

« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » : cet adage a été repris par la cour d’appel de Riom, par un arrêt en date du 24 octobre 2023, pour valider un procès-verbal de recherches infructueuses dressé par un commissaire de justice.

Une ordonnance de référé avait en effet été rendue le 15 décembre 2022 et signifiée par un commissaire de justice le 24 janvier 2023 selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77. Le destinataire de la signification contestait cette dernière au motif que le commissaire de justice ayant échangé avec lui au téléphone, ne lui aurait pas demandé sa nouvelle adresse afin de tenter de lui signifier l’acte.

La cour d’appel de Riom a donc dû répondre à la question suivante : le commissaire de justice conversant au téléphone avec le destinataire d’un acte a-t-il l’obligation de lui demander formellement sa nouvelle adresse afin de satisfaire aux exigences prévues par l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77 ?

À la lecture de cet arrêt rendu le 24 octobre 2023, il est possible de déduire qu’un appel téléphonique à l’attention du destinataire de l’acte, communiquant le nom de la commune dans laquelle il réside sans fournir sa nouvelle adresse, suffit à valider les investigations du commissaire de justice.

A contrario, il est également possible de déduire que le comportement du débiteur, ne communiquant qu’une partie des informations, permet de caractériser la mauvaise foi de ce dernier, l’empêchant ainsi « de sa plaindre de sa propre turpide » pour reprendre les termes de la décision.

Il est également intéressant de noter qu’avant même d’aborder la question de l’appel téléphonique, les recherches effectuées par le confrère (visite détaillée à l’ancienne adresse et interrogation de la mairie) semblaient apparaître comme suffisantes. La décision précise en effet qu’« à ce stade, on ne saurait reprocher à l’huissier de n’avoir pas tenté par tous moyens de délivrer l’acte ».

III. Constats

« Il vaut mieux être seul que mal accompagné. » Si l’adage s’applique à tout un chacun, il ne s’applique pas au commissaire de justice qui doit être bien accompagné, et seulement bien accompagné. Que ce soit en saisie ou en constat, le commissaire de justice doit être bien accompagné.

Mais qu’est-ce qu’être « bien accompagné » ? En matière de saisie-vente et expulsion, c’est être accompagné des personnes prévues par la loi, c’est-à-dire indépendantes du créancier et du commissaire de justice.

Mais en constat ? En matière amiable, et notamment dans le cadre du constat d’achat, il est acquis par la jurisprudence que le tiers acheteur accompagnant le commissaire de justice doit être indépendant et impartial au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, c’est-à-dire sans lien avec le requérant, son conseil et le commissaire de justice.

En matière de constat judiciaire, c’est-à-dire réalisé sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49, le juge peut prévoir que le commissaire de justice soit assisté de tiers : force publique, serrurier et expert. Sur ce dernier point, il convient de rappeler les dispositions de l’article 237 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1730H4T que « le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ». Cet article trouve écho dans l’article 7.3 des règles de la déontologie de la Compagnie nationale des experts de justice en informatique et techniques associées qui prévoir que « sauf demande écrite de l’ensemble des parties et accord du juge, l’expert consulté à titre privé ne peut ensuite accepter une mission d’expertise de caractère juridictionnel concernant la même affaire ».

Ces rappels effectués, il est alors facile de comprendre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai le 28 septembre 2023 et sanctionnant un constat du commissaire de justice au motif que le duo commissaire/expert informatique avait déjà œuvré ensemble dans la même affaire, avant l’ordonnance 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49, pour le compte du requérant. Le commissaire de justice, s’il est présumé indépendant par sa qualité d’officier public et ministériel, doit cependant veiller à ce que les tiers qui l’assistent soit également indépendant. À défaut, le tribunal se chargera de vérifier et de sanctionner (v. S. Racine et E. Laurentin, Commissaire de justice et expert informatique, une indépendance et une impartialité remise en question, Lexbase Contentieux et Recouvrement, décembre 2023, n° 4 N° Lexbase : N7700BZ9).

L’évolution du contentieux des constats internet est passionnant. Au début des années 2000, le contentieux était uniquement technique, de telle sorte qu’un protocole prétorien avait rapidement émergé, consolidé par moults décisions durant une dizaine d’années.

Les commissaires de justice maîtrisant largement la matière, les constats internet ne subissent plus que rarement des attaques techniques, mais davantage juridiques. Ainsi, et il faut s’en féliciter, sont-ils vus comme des actes juridiques avant tout et non des manipulations techniques.

Dès lors, ne faut-il pas être surpris à la lecture de la décision rendue par la cour d’appel de Lyon le 23 novembre 2023. Dans cette décision, le constat internet est attaqué par une partie au motif que, selon elle, l’officier public et ministériel porte des appréciations de fait et de droit sur ses constatations, outrepassant les pouvoirs dévolus à l'huissier par l'article premier de l’ordonnance n° 45-2592, du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers N° Lexbase : L8061AIE.

Cette critique est motivée par le fait que le procès-verbal est structuré en deux parties intitulées « Sur la confusion de référencement "SUCCESS INSIGHT" » et « Sur l'utilisation déguisée du terme "SUCCESS INSIGHT" »… La cour d’appel retient cependant la validité du procès-verbal au motif que les mentions portées par l'huissier de justice ne sont que l'indication des domaines d'investigation demandés. Elle précise que « toutes les constatations réalisées ensuite et détaillées dans chacune de ces deux parties ne sont que des constatations de fait décrivant les opérations réalisées et les mentions que l'huissier lit sur les différentes pages internet auxquelles il accède. Aucune appréciation juridique n'est portée dans son constat ».

Il appert de cet arrêt qu’un procès-verbal de constat de commissaire de justice peut donc être structuré selon les demandes du requérant, sans pour autant que son acte ne perde de sa nécessaire objectivité.

IV. Procédures civiles d’exécution

Le Conseil constitutionnel a été saisi par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. QPC, 12 septembre 2023, n° 23-12.267, F-D N° Lexbase : A82681GC) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD, ainsi que des articles L. 231-1 N° Lexbase : L5861IRI et L. 233-1 N° Lexbase : L5862IRK du Code des procédures civiles d’exécution.

Il est reproché aux dispositions des textes précités de ne pas prévoir, en cas de vente par adjudication faisant suite à une saisie de droits incorporels, la possibilité pour le débiteur de contester devant le juge de l’exécution le montant de leur mise à prix…

Le Conseil constitutionnel relève qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, d’une part, en cas de vente par adjudication des droits saisis, le créancier fixe unilatéralement le montant de leur mise à prix et, d’autre part, le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître de la contestation de ce montant. Dès lors, aucune autre disposition ne permet au débiteur de contester devant le juge judiciaire le montant de la mise à prix fixé par le créancier. En conséquence, le Conseil constitutionnel énonce qu’au regard des conséquences significatives qu’est susceptible d’entraîner pour le débiteur la fixation du montant de la mise à prix des droits saisis, il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours.

Estimant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel reporte leur abrogation au 1er décembre 2024.

De plus, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la décision, les Sages relèvent qu’il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024, que le débiteur est recevable à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD (v. Saisie de droits incorporels et mise à prix : dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, Lexbase Droit privé, novembre 2023, n° 965 N° Lexbase : N7470BZP).

Certains plaideurs ne manquent pas d’imagination. Surtout lorsqu’il s’agit d’échapper à une saisie immobilière ! Il est vrai que, dans cette hypothèse, le jeu en vaut la chandelle.

Il convient de rappeler que l'article R. 112-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2140ITG dispose que tous les biens mobiliers ou immobiliers, corporels ou incorporels appartenant au débiteur peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée ou d'une mesure conservatoire, si ce n'est dans les cas où la loi prescrit ou permet leur insaisissabilité. Or, l'article L. 112-1, 7°, dudit code N° Lexbase : L5800IRA prévoit que ne peuvent être saisis les objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades, s'agissant d'un principe d'insaisissabilité absolue.

Dans l’espèce de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nancy le 23 novembre 2023, un débiteur s’est vu saisir sa résidence, où il vit avec son épouse handicapée. Cette dernière dispose d’ailleurs d’un lit médicalisé réalisé sur mesure, scellé aux murs.

Le débiteur saisi soutient donc que ce lit est un immeuble par destination, et que son insaisissabilité s’étend à l’ensemble de la maison.

Il convient cependant de rappeler qu’aux termes de l’alinéa 1er, de l’article 525 du Code civil N° Lexbase : L3099ABE, « le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés ».

La cour d’appel de Nancy retient que « la preuve n'est pas rapportée que le lit médicalisé réalisé sur mesure (en considération des éléments physiques et du handicap de Mme [B] [M] ) ne peut être enlevé sans détérioration grave de l'immeuble » pour déclarer en l’espèce le logement familial saisissable.

newsid:487726

Contrat de travail

[Brèves] Éxécution provisoire dans le cadre d'un jugement de requalification d'un CDD en CDI

Réf. : Cass. soc., 25 octobre 2023, n° 21-25.320, FS-B N° Lexbase : A33421PH

Lecture: 2 min

N7307BZN

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par Charlotte Moronval

Le 08 Décembre 2023

► Le jugement d'un conseil de prud'hommes qui ordonne la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée bénéficie de plein droit de l'exécution provisoire dans toutes ses dispositions.

Faits et procédure. Un conseil de prud’hommes ordonne la requalification du CDD à temps partiel d’une salariée en CDI à temps complet et condamne l’employeur au paiement de diverses sommes, en lien avec cette requalification.

L’employeur interjette appel de cette décision. La salariée, de son côté, fait délivrer à l’employeur un commandement d'avoir à payer la somme de 14 958,59 euros, que l’employeur conteste devant le juge de l’exécution.

La cour d’appel prononce l'annulation du commandement de payer et retient que si la décision qui prononce la requalification d'un CDI en CDI est exécutoire de plein droit, en revanche l'exécution provisoire de droit ne s'exerce que dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire pour le paiement des sommes visées au 2° de l'article R. 1454-14 du Code du travail.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur le fondement d’abord des dispositions de l’article 514 du Code de procédure civile N° Lexbase : L9080LTH, selon lequel l’exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée, si ce n’est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit, ainsi que celles de l’article L. 1245-1 du Code du travail N° Lexbase : L7327LHT qui prévoit que lorsqu’un conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de requalification de CDD en CDI, sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

En statuant comme elle l’a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les sanctions du non-respect des règles relatives au contrat à durée déterminée, La procédure de requalification du CDD en CDI, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E7878ESL.

 

newsid:487307

Habitat-Logement

[A la une] Dossier spécial « Loi anti-squat : les apports de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite »

Lecture: 1 min

N7217BZC

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 11 Décembre 2023

La revue Lexbase Droit privé vous propose un dossier spécial consacré aux apports de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, regroupant les contributions des Professeurs Natalie Fricero (Université Côte d’Azur) et Guillaume Payan, Professeurs des Universités (Université de Toulon), et Julien Laurent (Université de Toulouse), de Maître Arnaud Léon (Commissaire de justice) et Simon Husser (Docteur en droit, Enseignant contractuel à l’Université Rouen-Normandie).


 

I. Loi « anti-squat » : le volet civil de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023

A. Les procédures d’expulsion

1) L’extension de la procédure d’expulsion accélérée

  • V. N. Fricéro et G. Payan, Loi « anti-squat » : commentaire des aspects civils de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, spéc. I N° Lexbase : N7209BZZ
  • V. A. Léon, Loi « anti-squat » : focus sur la procédure d’expulsion accélérée N° Lexbase : N7230BZS

2) Les modifications des procédures traditionnelles d’expulsion

  • V. N. Fricéro et G. Payan, Loi « anti-squat » : commentaire des aspects civils de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, spéc. II N° Lexbase : N7209BZZ

3) Les procédures d’expulsion : « le récap en images »

  • V. Loi « anti-squat » : le « récap » en images des procédures d’expulsion après la loi du 27 juillet 2023 N° Lexbase : N7238BZ4

B. L’insertion systématique d’une clause résolutoire dans le contrat de bail d’habitation

  • V. Natalie Fricero, et Guillaume Payan, Loi « anti-squat » : commentaire des aspects civils de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, spéc. III N° Lexbase : N7209BZZ
  • V. S. Dorol, L’insertion systématique d’une clause résolutoire dans le contrat de bail d’habitation par la loi « anti-squat » : quelle application aux contrats de bail en cours ? – Questions au Professeur Julien Laurent N° Lexbase : N7232BZU 

II. Loi « anti-squat » : le volet pénal de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023

  • V. S. Husser, Loi « anti-squat » : commentaire des dispositions pénales de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite N° Lexbase : N7233BZW

newsid:487217

MARD

[Point de vue...] Le constat et la voie de l’amiable

Lecture: 10 min

N7640BZY

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par Sylvian Dorol, Commissaire de justice associé (Venezia), Directeur scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement et Guewen Le Cloerec, Commissaire de justice (Venezia)

Le 08 Décembre 2023

Mots-clés : constats, conciliation, médiation, MARD, amiable, preuve, procès-verbal

Explorant le rôle émergent du constat de commissaire de justice dans le règlement amiable des différends, cet examen suggère que le constat pourrait devenir un outil actif dans la prévention des litiges et faciliter les résolutions amiables. En mettant en lumière sa force probante et son impact sur les tiers chargés de résoudre les litiges, il se positionne comme un catalyseur puissant dans le paysage juridique contemporain tant dans la prévention des contentieux que dans le règlement amiable des différends.


 

Une des expressions souvent utilisées pour évoquer le procès-verbal de constat d’huissier de justice est celle de « photographie juridique » : il représente objectivement la réalité perçue par professionnel du droit à un instant déterminé et connu » [1].  Cette représentation objective est tenue en estime par les magistrats, à tel point que les huissiers de justice ont longtemps été présentés comme « les yeux du juge ».

Ainsi, le procès-verbal de constat est principalement un moyen de préservation du fait litigieux. Il n’est pas la preuve, mais la consigne, objectivement et indépendamment de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit ; c’est une « copie de la réalité en ce qu’il n’est qu’une narration par description objective du fait constaté » [2]. Son principal objectif est donc d’éviter une disparition ou une altération de la preuve. R. Perrot écrivait ainsi que « le constat conserve la mémoire des faits qui, sans un support écrit, s’estomperait dans le temps. Mais il ne la conserve pas n’importe comment : il la conserve avec l’autorité, le sérieux et l’objectivité qui s’attachent à la fonction d’officier ministériel dont les dires prennent une valeur quasi officielle » [3]. Le constat est donc un réceptacle du fait constaté à un moment donné : c’est une « photographie juridique ».

Cependant, à l’ère de la promotion de l’amiable dans le règlement des différends, le constat de commissaire de justice ne devrait-il pas cesser d’être circonscrit à cette fonction de « garde-preuve », pour participer à l’essor de l’amiable et devenir un outil dans le règlement extrajudiciaire des contentieux ?

Pour s’en persuader, il convient d’abord d’exposer le fait que le constat de commissaire de justice peut prévenir la naissance de litiges (I), voire en favoriser le dénouement amiable (II).

La force probante particulière attachée à cet acte permet, bien souvent, au demandeur de raisonner l’autre partie (I) avant même d’engager un mode de résolution amiable du différend. Malgré tout, le recours à un « tiers » impartial et objectif, s’avère parfois nécessaire pour expliciter les conséquences du procès-verbal aux parties et ainsi les ramener à la raison (II).

I. Le constat, instrument de prévention du contentieux

Le constat dressé par un commissaire de justice est un mode de preuve quasi incontournable, difficilement contestable et donc exceptionnellement contestée (A). L’aura qui est attachée à cet acte et la confiance accordée à son auteur permettent, bien souvent, d’endiguer les pulsions contentieuses des parties (B).

A. Un acte exceptionnellement contesté

Il peut être étrange d’évoquer l’idée d’une contestation du constat de commissaire de justice alors même que ces lignes évoquent le règlement amiable des différends. Car, en réalité, c’est derrière les contestations que peut apparaître un accord. Deux raisons en engendrant une troisième l’expliquent.

La première raison est purement juridique. Les textes prévoient que le constat de commissaire de justice vaut jusqu’à preuve contraire. Même si cette notion juridique est difficile à cerner, cela laisse penser qu’il convient de prouver que le constat du commissaire de justice est faux. Mais il ne suffit pas de le prouver : encore faut-il le prouver avec vigueur. Ainsi, même la production d’attestations en grand nombre ne suffit pas à renverser un procès-verbal de constat de commissaire de justice [4]. À part un autre acte d’agent assermenté, le constat du commissaire de justice n’est donc pas discuté. Dès lors, le constat du commissaire de justice est donc juridiquement conforme à la réalité.

Cette conformité juridique est également factuelle puisque, lorsqu’un constat de commissaire de justice est contesté, ce n’est quasiment jamais sur le fait constaté, mais les conditions dans lesquelles les constatations ont été réalisées. En témoigne l’évolution du contentieux des constats internet qui a été nourri par des considérations techniques alors même que le fait constaté par le commissaire de justice n’était lui-même pas contesté ! C’est l’environnement des constatations qui affaiblissent leur force probante, et il n’est quasiment jamais plaidé la fausseté d’un constat de commissaire de justice.

De ce dernier point peut naître un premier point d’accord entre les parties : la réalité du fait constaté. Qu’importent les circonstances, le fait constaté est vrai et les parties peuvent s’accorder sur cette existence, leur désaccord naissant davantage des conclusions en tirer.

B. Un acte suffisamment puissant pour convaincre

Le constat peut être réalisé à l’amiable, c’est-à-dire dans un contexte extrajudiciaire, soit sur ordonnance du juge, avec un cadre judiciarisé.

En l’espèce, seul le constat réalisé « à l’amiable » nous intéressera dans la mesure où ce dernier intervient en dehors de toute instance, de tout procès. C’est en pareille hypothèse que l’acte dressé par le commissaire de Justice peut servir à désamorcer un contentieux naissant.

De nombreux exemples nous permettent de dire qu’en pratique, les constats désengorgent les tribunaux.

À titre d’exemple, l’entrepreneur mandaté pour réaliser des travaux de ravalement d’une façade aura tout intérêt à mandater un commissaire de justice afin que ce dernier procède à un examen des zones susceptibles d’être impactées par les travaux. L’intervention du commissaire de Justice présente un double intérêt. D’une part, elle permet d’identifier les dégradations imputables aux travaux (leur apparition étant postérieure à l’installation du chantier) et, d’autre part, de contrecarrer les accusations infondées. L’entrepreneur pourra ainsi procéder à des reprises si ces travaux ont occasionné des désordres (plutôt que de voir sa garantie décennale actionnée). Il pourra également se défendre en arguant que les craquelures au plafond étaient bel et bien présentes avant l’installation de son échafaudage. Toutes les parties sont ainsi protégées.

Il est également possible d’envisager le cas du constat d’état des lieux. Un état des lieux d’entrée est réalisé par un commissaire de justice, lequel liste l’ensemble des désordres. À la sortie, une nouvelle liste des désordres est établie. La comparaison des deux permet de mettre en lumière les désordres présumés imputables au locataire. Ainsi, les constats dressés par l’officier ministériel servent de base de discussion aux parties : plutôt que d’engager une procédure l’une contre l’autre, elles pourront faire chiffrer la remise en état et prévoir une indemnisation sur cette base. 

II. Le constat, catalyseur du règlement amiable

Le constat de commissaire de justice n’est pas seulement destiné aux parties. Il peut également servir de base au tiers en charge du règlement amiable du litige, pour soumettre une solution en considération des faits (A). Paradoxalement, le constat de commissaire de justice peut également être employé comme un « accélérateur », dans la mesure où il peut servir à motiver le non-recours à l’un des modes de résolution amiable du litige (B).

A. Un outil mis à la disposition du tiers chargé de régler le litige

L’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6401MHK prévoit en son alinéa premier trois modes de règlements amiables des litiges, à savoir :

  • la conciliation menée par un conciliateur de justice ;
  • la médiation ;
  • la procédure participative.

Même en matière amiable, les parties tentent de convaincre le tiers (le conciliateur, le médiateur ou l’avocat) du bien-fondé de leurs prétentions. Elles attendent souvent qu’il tranche le litige, en donnant raison à l’un ou l’autre, en condamnant les faits de l’un ou l’autre… Cependant, le tiers en charge de mener le règlement amiable du litige à ce point commun avec le commissaire de justice constatant : il ne prend pas parti. Ainsi, à la prise de connaissance du dossier, peut-il être convaincu que les faits constatés par le commissaire de justice sont réels et réalisés indépendamment.

Ainsi, la production d’un constat au stade du règlement amiable du différend (par l’une ou l’autre des parties) permettra à cette dernière de prouver la véracité de ses dires au « tiers » conduisant la procédure de règlement amiable du différend.

Stratégiquement, et comme il a été précédemment exposé, le constat de commissaire de justice peut constituer le premier point d’accord entre les parties. Elles peuvent toutes deux s’accorder sur la réalité d’une situation de fait, leur démontrant qu’elles sont capables de s’accorder.

B. Un vecteur d’action directe

La voie de l’amiable n’est pas « LA » solution au règlement des différends, mais l’une. Elle n’exclut pas l’intervention du juge pour trancher les litiges si les parties s’avèrent incapables de s’accorder sur une issue autre que judiciaire. Il convient donc d’envisager l’échec de la voie amiable, où le commissaire de justice peut également s’avérer utile. Il est ainsi possible d’imaginer que le constat de commissaire de justice soit utilisé pour éviter d’avoir recours à un mode de résolution amiable du différend.

L’article 750-1 du Code de procédure civile prévoit en effet des cas de dispense à la nécessité de recourir à un mode de résolution amiable du litige tout en rappelant que « le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ». Au sein du 3°, l’article précité évoque notamment « les circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ». Cela ressort notamment de l’article R. 125-3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5597LTH qui dispose que, en matière de procédure simplifiée de recouvrement des petites créances « L'huissier de justice constate, selon le cas, l'accord ou le refus du destinataire de la lettre pour participer à la procédure simplifiée de recouvrement ».

Mais comment justifier des circonstances d’espèce permettant de se dispenser d’une tentative amiable de règlement des différends ?

Dans le cadre d’un litige commercial, il est possible d’évoquer l’hypothèse où deux commerçants travaillant régulièrement ensemble sont en litige pour le non-paiement d’une facture de 4 000 euros. Si le commerçant impayé dispose de SMS sur son téléphone portable émis par le commerçant débiteur lui indiquant, par exemple ; « ma trésorerie ne suit pas en ce moment, je règle à réception des assignations en paiement successives, tu n’auras rien avant, j’essaye de gagner le maximum de temps, ce n’est pas la peine de me relancer toutes les semaines. J’ai vu tes courriers proposant une médiation ou une conciliation, tu crois vraiment que j’ai le temps pour ça ? Laisse-moi rire. Mdrrrr », il pourrait tout à fait faire constater par un commissaire de justice l’intégralité de la conversation avec son débiteur afin d’assigner ce dernier au plus vite. La teneur de leur échange permettrait de justifier de « circonstances rendant impossible une telle tentative ».

[1] S. Dorol, Droit et pratique du constat d’huissier, LexisNexis, 3ème édition, 2022.

[2] S. Dorol, note ss CA Douai, 13 janvier 2015, n° 13/06491, inédit : Dr. et proc. 2015, p. 99, n° 4.

[3] R. Perrot, Le constat d’huissier de justice, CNHJ, 1985, p. 8.

[4] CA Paris, 2 novembre 2006, n° 06/04537 N° Lexbase : A3183DT3 ; CA Riom, 6 octobre 2020, n° 20/00326 N° Lexbase : A00663XQ.

newsid:487640

Procédure civile

[Point de vue...] Améliorer la signification

Lecture: 48 min

N7626BZH

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par Jean-Luc Bourdiec, Commissaire de justice, délégué de la cour d’appel d’Orléans à la chambre nationale des commissaires de justice

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : signification • commissaire de justice • huissier de justice • clerc significateur • clerc assermenté • remise à personne • signification à domicile

Réformer cette pratique séculaire qui garantit la sécurité et l’effectivité de l’information serait une entreprise bien périlleuse. Les risques qu’une nouvelle modification ferait encourir à l’édifice risquerait d’en fragiliser les fondations, au moins de détruire une harmonie qui concourt à une bonne administration de la justice. En revanche l’améliorer est possible.


 

La signification par ministère d’huissier est millénaire. Elle existe depuis que la Justice est institutionnalisée. De tous temps confiée aux huissiers [1], la charge leur échoit de citer les parties devant le juge et de porter à leur connaissance les différents actes judiciaires ou extrajudiciaires.

Pendant longtemps les exploits étaient faits de vive voix, particulièrement les assignations. Depuis le XVIème siècle [2], l’huissier remet systématiquement aux parties un document écrit.

Les façons de procéder ont peu évolué. Il s’agit avant tout de se transporter chez la personne pour la « toucher », au sens propre, comme au sens figuré. Le déplacement pour provoquer la rencontre est essentiel. La signification, car elle assure le respect du principe du contradictoire, permet à l’institution judiciaire de fonctionner.

Pourtant, depuis la fin du XIXème siècle, des voix se sont élevées pour demander la suppression de la signification. Ainsi en 1883 le garde des Sceaux de l’époque envisageait de remplacer l’huissier par le facteur des postes, non que les significations par huissier fussent mal faites, mais seulement pour mettre fin aux pratiques abusives et pour diminuer le coût des procès. En résumé, les huissiers installés au centre des affaires recueillaient la clientèle des avoués (avocats) et des banques, moyennant quelques remises, au détriment des huissiers ruraux, et se rémunéraient grâce aux frais de transport qui pouvaient augmenter le cout de l’acte de façon considérable [3]. Un exploit qui aurait coûté cinq francs de l’époque dressé dans la résidence de l’huissier, coûtait trente francs de plus dressé par un huissier installé dans le chef-lieu de l’arrondissement. La qualité des significations n’était pas remise en cause. Leur coût exorbitant attentait à l’ordre public et à la masse des justiciables et conduisait le pouvoir à réformer. Notons que l’ordonnance de Moulins de 1490 prévoyait en son article 84 : « Si, pour faire une exécution, le créancier veut envoyer un sergent du lieu où il demeure, ce sergent ne sera payé que comme s’il eût été pris au lieu le plus proche du domicile du débiteur. » Cette solution sera reprise en 1949 par les créateurs du génial service de compensation des transports.

Plusieurs gardes des Sceaux ont tenté de supprimer la signification et une dizaine de projets ont été examinés. Ces tentatives n’ont jamais abouti. [4]

À en juger par l’enthousiasme qu’on y a mis, en particulier le sénateur Clemenceau, et par le résultat que cela a donné, force est de constater que la signification est sans doute un système imparfait, mais le meilleur qui soit.

Dans un article très remarqué, le professeur Sylvain Jobert [5] propose une réflexion sur la signification et une réforme qui pourrait améliorer l’efficience du procédé. Il déplore l’absence de données relatives aux types d’actes signifiés, au taux de significations à personne, à domicile ou réalisées selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77, qui permettraient une analyse plus fine des différentes situations. Le professeur Jobert part du postulat que la plupart des significations sont faites à domicile, ce qui est sans doute la réalité. Et donc qu’il faudrait faire davantage de remises à personne.

Et si nous changions de braquet ? Et si nous arrêtions de considérer que la signification « à personne » est la panacée ; que les autres modes de signification sont inférieurs, comme si la signification en « dépôt étude » était une signification bancale, voire bâclée. Le texte prévoit des obligations alternatives, mais la signification est une. Elle est réalisée, quelles que soient les modalités de remise quand bien même certains effets attachés sont différents.

Nous proposons d’exposer ce qu’est réellement la signification, de voir la différence entre le « travail prescrit » par les textes et le « travail réel » exécuté par les huissiers avant d’envisager la signification par rapport à son but.

Ensuite seulement il sera possible d’imaginer les modifications envisageables et les réformes souhaitables pour que la signification permettre d’atteindre le but qui lui est assigné : la transmission effective de l’information en bonne et due forme, en temps utile et la garantie de son intégrité.

I. Qu’est-ce que la signification ?

A. Les opérations de signification

La signification in libro est finalement assez simple. Elle est régie par moins de quinze articles du Code de procédure civile. Il ne s’agit pas ici de détailler les modes de signification, mais de donner une vision générale de la signification telle qu’elle est prévue par les textes, en l’occurrence les articles 653 N° Lexbase : L4834IST et suivants du Code de procédure civile, c’est-à-dire le « travail prescrit ».

1) Le travail prescrit

Donc, et de façon caricaturale, la signification se déroule à peu près ainsi : l’huissier - nous utiliserons volontairement le terme huissier, bien que les huissiers de justice soient devenus commissaires de justice depuis le 1er juillet 2022, car la pratique observée et les références ne concernent que les huissiers de justice dont la première mission, définie par l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945, était la signification – l’huissier a préalablement préparé un acte, un instrument, en trois exemplaires : l’original qui sera conservé à ses minutes, la première expédition qui sera remise au requérant et l’expédition qui doit être remise au destinataire de l’acte. Il se transporte ensuite au domicile du destinataire de son acte pour lui remettre l’expédition lui revenant, copie qui tient lieu d’original à celui qui la reçoit. Dans le meilleur des cas la personne est présente à son domicile ; elle prend l’acte. L’action de remettre l’acte à la personne même du destinataire est une signification « à personne » ou ad faciem. Lorsque le destinataire est une personne morale, la signification à personne est faite lorsque la personne qui reçoit l’acte est le représentant légal ou toute personne habilitée.

Si la personne n’est pas présente à son domicile, l’huissier remet l’expédition à une personne présente sous pli cacheté depuis la loi 15 février 1899 ou, à défaut de personne présente, il dépose l’acte à son étude après s’être assuré de la réalité du domicile et avoir laissé sur place un avis de passage. La signification est alors faite ad domum.

Enfin si la personne n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier dresse un procès-verbal dans lequel il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte [6]. L’expédition n’est donc pas remise à une personne. Elle sera adressée par lettre recommandée à la dernière adresse connue accompagnée du procès-verbal relatant les diligences effectuées. Autrefois dans ce cas-là, l’assignation était faite par cri public sur le marché le plus proche du tribunal.

Dans tous les cas, de retour à son étude l’huissier dresse un procès-verbal relatant les diligences effectuées et indiquant la façon dont l’acte a été signifié.

La rémunération du commissaire de justice est forfaitaire, quelles que soient les diligences accomplies. Elle dépend de la nature de l’acte, de l’obligation pécuniaire qui s’y rapporte et éventuellement des copies qui sont jointes à l’acte. Une majoration est prévue lorsque l’acte est signifié à dernière adresse connue [7]. Les actes sont tarifés par le Code de commerce. Ainsi, une signification de jugement, qu’elle soit faite ad faciem ou ad domum après multiples recherches, après des allers-retours, une enquête, des visites à la mairie et divers appels téléphoniques, une signification de jugement est rémunérée 25,53 euros hors taxes et débours.

Dans l’idéal, le destinataire de l’acte attend l’huissier sur le perron de sa maison, reçoit l’acte et le remercie. La signification in vitam est parfois moins simple que la lecture du Code ne pourrait le laisser imaginer.

2)Le travail réel

La réalité est souvent beaucoup plus compliquée. Il s’agit là du « travail réel » accompli par l’huissier. D’abord parce que l’huissier ne dispose pas toujours des informations utiles à la réalisation de sa mission, ensuite parce que le destinataire est un être vivant, qui se déplace ou qui travaille, et non une boite à lettres destinée à recevoir les actes de commissaire de justice. Quand bien même les informations dont dispose l’huissier sont correctes ou suffisantes, nombre d’aléas compliquent souvent sa tâche. Quel huissier n’a pas été confronté à des chiens menaçants, ou à des oies s’il instrumente à la campagne, empêché par une route barrée, une barrière ou une porte fermée, par une localisation incertaine.

Et quand il ne trouve pas le domicile du destinataire, il ne peut attendre d’aide de quasiment personne. Dans la plupart des cas il n’est pas porteur d’un titre ou d’une décision de justice et chargé de les ramener à exécution. Il ne peut donc pas se prévaloir des dispositions de l’article L. 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1721MAY et interroger les administrations. Souvent il doit rentrer à son étude, effectuer des recherches et revenir ensuite sur le terrain.

Rappelons en effet qu’une grande partie des actes de commissaires de justice ne sont pas liés à l’exécution, comme les actes introductifs d’instance, les significations diverses et les actes extrajudiciaires.

Pas de nom sur la boite à lettres, pas de sonnette, pas d’accès possible à l’immeuble, une mauvaise adresse (comme les chiffres du numéro de rue inversés), etc. Tout cela conspire à compliquer la tâche de l’agent significateur. Surmonter ces difficultés est somme toute assez facile pour l’huissier qui, à force de pugnacité et grâce à son expérience du terrain, arrive toujours à signifier. Tout n’est finalement qu’une question de temps, qui en l’occurrence n’est pas rémunéré. Qu’on passe une heure à tourner pour parvenir au destinataire ou qu’il attende sur le seuil de sa porte, la rémunération du commissaire de justice est la même.

Le temps laissé est également important. L’huissier mandaté un vendredi soir d’hiver pour instrumenter sur le champ afin de signifier un « dernier jour » ne peut pas accomplir les mêmes diligences, ni avoir accès aux mêmes informations que lorsqu’il a toute latitude pour officier.

Qu’est-ce qui pousse le commissaire de justice à persévérer jusqu’à signifier effectivement l’acte à son destinataire ? Son serment, son devoir, sa conscience.

B. Le but de la signification

La signification n’est pas seulement la remise d’une expédition, ad faciem ou ad domum. La signification est bien plus qu’une remise de documents. C’est une rencontre. La rencontre entre un profane et un professionnel initié, la rencontre entre le justiciable et la justice que représente l’huissier, qui se déplace pour aller jusqu’à lui.

Les mots du Code de procédure civile : délivrer, remettre, laisser, retirer, conserver, témoignent à la fois de la corporalité du support et de la nécessité d’une rencontre physique [8].

Généralement, l’huissier signifie deux catégories d’actes : premièrement les actes ayant pour finalité la convocation d’une partie devant la justice et les actes ayant pour but de porter à la connaissance de la partie la décision rendue par le juge. Il s’agit souvent d’actes « détachés » ou « isolés » que l’huissier n’est chargé que de délivrer et sa mission s’arrête là. L’autre catégorie d’actes correspond aux actes liés à l’exécution. L’huissier a alors un dossier contre le débiteur et il a vocation à le rencontrer plusieurs fois.

1) La transmission de l’information

La transmission de l’information est le but essentiel de la signification. Une signification n’est finalement qu’une espèce de mise en demeure, soit de faire ce qui est dit (se présenter au tribunal, exécuter la décision rendue), soit de s’opposer à l’exécution en exerçant une voie de recours [9]. L’intervention de l’huissier, professionnel indépendant, permet de garantir la régularité des procédures.

Il convient alors de distinguer les actes « attendus » des actes « surprise », en fonction du degré de connaissance qu’en a potentiellement le destinataire au moment de la signification. Un justiciable qui a comparu au tribunal, qui a été avisé par le juge et par son avocat qu’une décision serait rendue, a finalement toutes les cartes en main pour comprendre la signification du jugement qui lui est faite. Parfois même il l’attend pour exercer une voie de recours ou pour laisser le délai d’appel expirer afin que la décision passe en force de chose jugée. L’assignation faisant suite à des tentatives préalables de règlement des conflits est également un acte « attendu », qui n’étonnera pas son destinataire. Souvent l’arrivée de l’huissier est une délivrance car il met un terme à des discussions infructueuses et permet de passer à une nouvelle phase où, à la fin, le juge dira le droit et tranchera le litige. D’autres actes, sans être pour autant attendus, ne sont pas des actes « surprise » dans la mesure où leur destinataire est parfaitement à même de recevoir l’information, soit parce qu’il est aguerri ou coutumier en la matière, soit parce que l’information est facilement assimilable.

Les actes « surprise » en revanche ont tout lieu de laisser pantois leur destinataire qui ne les attendait pas, comme les congés par exemple ou certaines assignations. Dans ce cas, le rôle de l’huissier ne se limite pas à la remise d’un pli comme le ferait un livreur ou le facteur. Il doit expliquer à la fois le contenu de l’acte et sa portée, mais aussi les moyens dont dispose tout justiciable pour faire valoir et défendre ses intérêts.

Pour la plupart des gens, recevoir une convocation en justice est une épreuve. Il s’agit d’un monde qui leur est inconnu, avec ses codes, son langage abscons, ses usages. La majorité des citoyens n’ont jamais affaire à la justice.

Il faut aussi parfois convaincre le destinataire de l’acte et alors les explications et la force de persuasion de l’huissier sont essentielles. Quel huissier n’a jamais entendu une phrase comme « je n’irai pas au tribunal, mon voisin a tort, le juge le verra bien » ou « ma femme est une menteuse ». Combien de fois devons-nous expliquer que le juge ne statuera après un débat contradictoire que sur les éléments qui lui seront fournis. Le rôle de l’huissier n’est pas seulement de transmettre. Il faut aussi convaincre.

Le rôle social de l’huissier n’est pas négligeable. Il faut expliquer, mettre la personne en mesure de faire valoir ses droits et d’exposer ses arguments. La signification est également l’occasion de déceler des situations humaines nécessitant une aide (personnes malades, détresses psychologiques, personnes âgées isolées ou privées de leur discernement, situations de handicap, femmes ou enfants battus, syndromes de Diogène, etc.). Dans le plus strict respect du secret professionnel, il veille à apporter une aide ou à alerter les personnes susceptibles de le faire. La rencontre avec le signifié est également stratégique car elle permet d’envisager l’avenir d’une procédure au mieux des intérêts des parties.

Tout cela n’est pas tarifé ni rémunéré. Pourtant le rôle de l’huissier comme officier de justice prend toute sa place dans le processus de la justice dont il est un acteur essentiel, aussi indispensable que le juge, les avocats ou les greffiers. Sans l’intervention des huissiers, le respect du principe du contradictoire ne pourrait pas être assuré.

2) L’effectivité de la transmission de l’information

Il est essentiel que l’information soit transmise, mais aussi qu’elle soit comprise. Il ne s’agit pas de livrer l’information brute comme le ferait un coursier, mais, dans la mesure du possible, de s’assurer de sa compréhension, en tout cas de faire en sorte qu’elle passe. L’huissier a une obligation de loyauté, d’information, de conseil, de renseignement. C’est la position paradoxale du commissaire de justice, auxiliaire de justice, professionnel du droit, ayant reçu mandat de son donneur d’ordre : il se voit contraint d’expliquer au destinataire de la procédure la marche à suivre pour faire valoir ses droits, et donc s’opposer à ceux du donneur d’ordre.

La rencontre physique entre l’huissier et le justiciable n’a pas un rôle purement symbolique : elle témoigne de la réalité concrète du principe du contradictoire. Mais surtout, de cette rencontre s’opère une réaction chimique : la connaissance.

L’huissier doit également s’adapter au destinataire de l’acte. La plupart des justiciables ne possèdent pas ce que les sociologues appellent le capital procédural. Selon leur capacité à comprendre, il faudra traduire le langage abscons en langage compris par le signifié.

La rencontre est fondamentale. Cependant, nous le voyons, la distinction entre la « bonne » signification qui serait la remise à personne et la signification plus douteuse qui serait la signification à domicile n’est pas judicieuse de ce point de vue. En effet, une remise à personne à un individu qui sort de la douche, qui s’apprête à emmener ses enfants à l’école ou qui reçoit des amis à l’apéritif n’est pas une « bonne » signification. Il n’est pas dans de bonnes conditions pour recevoir l’information. Il n’est pas réceptif à la transmission de l’information.

En revanche une signification faite par « dépôt étude » peut être une très bonne signification si, par exemple, la personne vient à l’étude récupérer l’expédition. Dans ce cas, elle est totalement réceptive puisqu’elle fait la démarche de venir chercher l’information. Elle est reçue sans rendez-vous par une personne consciencieuse qui prend tout son temps pour expliquer. La réaction chimique s’opère. Et même si elle ne vient pas chercher l’expédition et demander des explications, cette signification est « bonne » parce que le destinataire comprend, ou parce que cette signification en dépôt étude a été précédée d’une rencontre lors de laquelle il a reçu toutes les informations nécessaires.

Prenons deux exemples. Un débiteur poursuivi pour un impayé de loyers. Dès lors qu’une rencontre a eu lieu entre l’huissier et cette personne, elle a pu obtenir la connaissance à la fois de l’acte qui lui était remis, et des actes subséquents qu’elle serait amenée à recevoir. C’est également le cas d’une personne poursuivie par voie de saisie-attribution. La deuxième dénonciation de saisie-attribution, même si elle n’est pas remise à personne, sera parfaitement comprise du destinataire. Il sait qu’il peut saisir le juge de l’exécution. Non seulement l’huissier le lui aura précédemment expliqué, mais en plus cette possibilité est rappelée dans la lettre qui lui a été adressée conformément aux dispositions de l’article 658 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6829H73.

D’ailleurs il ne faut pas négliger l’importance de l’avis de passage et de la lettre 658. L’avis de passage montre au signifié que l’huissier s’est déplacé chez lui, qu’il peut revenir, et cela l’incite à prendre les devants en se rendant à son tour à l’étude. Lorsque l’huissier signifie une assignation visant à la résiliation du bail, il laisse en plus de l’avis de passage un document « destiné à l'informer de l'importance de sa présentation à l'audience ainsi que de la possibilité de déposer, avant l'audience, une demande d'aide juridictionnelle et de saisir les acteurs, mentionnés au 4° du IV de l'article 4 de la loi du 31 mai 1990 N° Lexbase : L2054A4T susvisée, qui contribuent à la prévention des expulsions locatives ». [10]

La lettre 658 contient une copie de l’acte signifié et donc toutes informations utiles. S’il a besoin d’explications, le signifié saura s’adresser à l’étude.

En conclusion, la signification est un mode de notification lorsque celle-ci est réalisée par huissier. Nous pensons que, contrairement aux idées reçues, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise signification, selon le mode de réalisation. Les textes prévoient des obligations alternatives. Le principe est que l’huissier remet l’acte à la personne même de son destinataire, où qu’il se trouve. En cas d’impossibilité, il remet l’acte au plus proche de la personne : à domicile.

De même lorsque l’huissier doit pénétrer dans un lieu pour effectuer une saisie, dans le meilleur des cas on lui ouvre la porte, on l’invite à entrer et à faire son office. En cas d’absence du débiteur ou si celui-ci refuse l’accès, l’article L .142-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5822IR3 permet à l’huissier de pénétrer de force.

Pourtant la loi ne fait pas de différence entre la « bonne saisie » qui serait faite sans ouverture par effraction et la « mauvaise saisie » faite dans ces conditions. La loi n’offre pas aux parties des voies de recours différentes selon la façon utilisée par l’huissier pour parvenir à l’effectivité de sa mission.

Ne faudrait-il pas tout simplement considérer qu’une signification est une signification et revenir sur les effets liés aux modes de signification ?

II. Réformer ou seulement donner aux commissaires de justice davantage de moyens

Dans l’article « Réformer la signification ? [11]» le professeur Sylvain Jobert propose d’ouvrir une réflexion sur les améliorations à apporter à la signification telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, pour la rendre plus efficiente : davantage de diligences (un deuxième déplacement à la demande du destinataire de l’acte, des vérifications supplémentaires notamment quant à l’identité de la personne qui reçoit l’acte) et une modification du procès-verbal de signification. En contrepartie, l’huissier aurait davantage de moyens et une meilleure rémunération.

A. Les propositions du professeur Sylvain Jobert

1) Les déplacements

Il n’est pas utile de revenir sur la nécessité d’une rencontre physique entre le justiciable et le commissaire de justice chargé de lui signifier un acte. Elle est l’essence même du travail de l’huissier depuis que les fonctions de sergent et d’huissier existent.

Pour autant la signification « à personne » n’est pas toujours le moyen le plus efficace de transmettre l’information. Prenons l’exemple de la personne expulsée. Le commissaire de justice à la fin des opérations lorsqu’il fait refermer les portes, rappelle verbalement ce qui est écrit dans l’acte qu’il vient de signifier à l’expulsé. « Mais tant les circonstances extraordinaires de la situation que le vocabulaire juridique employé par l’huissier ne garantissent pas forcément que le débiteur soit dans une disposition propice à une pleine compréhension de ce que dit l’huissier. » [12]

La rencontre doit avoir lieu ou du moins, pour paraphraser l’article 14 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1131H4N, nul ne devrait être destinataire d’un acte sans avoir rencontré l’huissier ou avoir été en mesure de le rencontrer.

La signification est un fil d’Ariane qui relie le justiciable à la justice. Libre à lui de le couper et de renoncer à l’information, voire à ses droits. Ils lui sont offerts par la loi et le respect de la procédure en témoigne.

Pour l’huissier, remettre un acte à la personne même du destinataire est le but poursuivi au premier chef. À plusieurs égards cette modalité de remise présente de nombreux avantages. Le procès-verbal de signification sera vite dressé ; aucune formalité subséquente n’est à prévoir. Tous les huissiers redoutent les actes signifiés le vendredi, les obligeant, en cas de remise à domicile, à aller à la poste le samedi matin.

Mais lorsque l’acte est signifié ainsi, ad domum, non seulement ils doivent adresser la lettre prévue par l’article 658 du Code de procédure civile et faire les photocopies nécessaires, avancer les débours postaux et surtout se tenir à la disposition du justiciable pour transférer l’acte dans un autre office, s’il le demande, ou le recevoir s’il décide de venir récupérer l’expédition. Il est fréquent que les gens téléphonent après avoir trouvé l’avis de passage. Des informations utiles peuvent être données par téléphone, dans le respect du secret professionnel. N’oublions pas que les employés des offices de commissaire de justice sont des personnes qualifiées, compétentes et parfaitement à même de renseigner le justiciable.

Un deuxième déplacement nous parait présenter beaucoup d’inconvénients car il n’est pas envisageable que l’huissier ou le clerc significateur instrumentent sur rendez-vous. Leur mission serait fortement impactée par les desiderata des justiciables, sans compter les demandes dilatoires destinées à retarder la date de signification ou les seules convenances personnelles. Après tout, l’huissier apporte un acte juridique qui a des conséquences, qui est important pour la personne qui le reçoit. Elle doit jouer son rôle, qui commence par prendre connaissance de l’acte afin de faire valoir ses droits.

Dans un rapport commandé par le département du Cher sur la prévention des expulsions locatives, qui ne comporte étonnamment que très peu d’occurrences « huissier », une personne interrogée déclare :

« Les bailleurs sociaux m’ont téléphoné [pour les impayés en 2019], j’ai pas pris contact avec les huissiers, y a trop de choses. Je sais ce qu’ils vont me demander, je vais leur dire quoi ? (…) Là, j’ai reçu un avis de passage de l’huissier, j’ouvre pas mes courriers, j’aime pas ça, je regarde pas, j’avais des crédits à la consommation. Tout le monde me tombe dessus, je réponds plus au téléphone. » (femme séparée, 3 enfants, RSA, parc social)

Voilà la réalité. Et c’est plutôt cette façon de penser que les commissaires de justice devraient s’efforcer de renverser en communiquant sur leur rôle de conseil, indépendant, garant des droits des parties, acteur indispensable dans la prévention des expulsions locatives. La rencontre permet d’offrir le temps de transmettre l’information, d’expliquer la démarche, de traduire en langage compréhensible ce qui ne l’est pas pour un profane, non initié au vocabulaire juridique. C’est tout l’intérêt de la signification, comparée à la notification. Le commissaire de justice ne se contente pas que remettre un pli comme un préposé des postes. Il transmet l’information. Il s’assure qu’elle est comprise. Il conseille aussi.

Toutefois, il convient de préciser que dans la pratique le nouveau déplacement se fait régulièrement, dans certaines circonstances, par exemple si le destinataire est une personne âgée, ou malade. Le nouveau déplacement est presque systématique dans certaines procédures, notamment la saisie immobilière. Mais tout cela n’a pas à être réglé par la loi. Les commissaires de justice font ce que leur commande leur conscience et agissent toujours au mieux.

En bref, voilà ce qu’offre la signification au destinataire de l’acte : la rencontre physique par la signification ad faciem ; la main tendue pour entrer en contact par la signification ad domum (avis de passage, lettre 658). L’acte est déposé à l’étude de l’huissier. On pourrait imaginer, grâce aux moyens numériques, que l’acte soit parallèlement « déposé » au tribunal judiciaire dont dépend le justiciable, de façon sécurisée, où il pourrait être consulté par son destinataire au bureau des commissaires de justice du tribunal tenu par l’audiencier ou un clerc de permanence, lequel pourrait renseigner le justiciable. Cette solution aurait le mérite de ramener l’huissier au tribunal, qui est sa place initiale, au cœur de la justice dont il est un élément essentiel.

2) Les vérifications

Obliger le commissaire de justice à vérifier l’identité de la personne à laquelle il s’apprête à remettre l’acte nous semble une complication qui, au vu des contestations formulées, risquerait d’avoir un effet délétère sur la signification. Si la plupart des signifiés acceptent de recevoir l’acte, se montrent réceptifs et collaborent pleinement, certains seraient tentés de refuser de fournir un justificatif de leur identité et ainsi compliqueraient la tâche du commissaire de justice qui dépendrait alors du seul bon vouloir de la personne face à lui.

La question du pouvoir du commissaire de justice de contrôler l’identité d’une personne mise à part, une telle pratique dévaloriserait le statut même de l’officier public et ministériel dont on rappelle que la seule signature confère au document la valeur authentique. Le commissaire de justice ne fait pas signer le destinataire de l’acte, sauf en matière pénale où il doit inviter la personne à viser l’original [13], sa seule signature confère l’authenticité à ses dires qui valent jusqu’à inscription de faux. La loi lui commande de relater les diligences accomplies. L’usage du « ainsi déclaré » pluriséculaire consacré par la jurisprudence nous semble suffisant.

S’agissant des personnes morales, bien que quelques contestations arrivent dans les tribunaux au sujet de significations qui auraient été remises à des personnes non habilitées et auraient privé l’entité destinataire de faire valoir ses droits, il nous semble que les soucis d’organisation interne des entreprises n’ont pas à remettre en cause un modèle qui, par ailleurs, apporte toutes garanties au justiciable.

3) La relation des diligences accomplies dans le procès-verbal

Il n’est pas inconcevable que les procès-verbaux soient rédigés avec soin sans formules pré établies. Il appartient aux commissaires de justice d’être particulièrement vigilants quant à la rédaction des actes qu’ils signent. À cet égard, nous ne pouvons que déplorer que la formation initiale des commissaires de justice soit essentiellement limitée à la pratique des voies d’exécution. Tel commissaire de justice stagiaire sera plus à même de rédiger une saisie de droits d’associés et de valeurs mobilières que de rédiger un procès-verbal de signification. La formation des commissaires de justice et la formation des clercs assermentés doit être repensée pour faire de ces professionnels des agents de signification particulièrement efficaces, offrant toutes les garanties qu’exige la fonction et dignes de la confiance que leur accorde la loi.

La proposition de travailler à la rédaction d’un modèle de signification nous semble très intéressante, mais la formation nous parait primordiale.

4) Les moyens techniques

La signification par voie électronique est acceptable et même parfaitement légitime et efficace lorsqu’elle est destinée à des personnes qui connaissent déjà le contenu général de l’acte qui leur est signifié, comme les établissements habilités à tenir des comptes de dépôt pour recevoir les saisies-attribution ou les compagnies d’assurance pour recevoir les assignations et les jugements. En fait, le destinataire est le service compétent pour traiter l’information reçue. La signification se cantonne à une transmission sécurisée qui assure l’intégrité du contenu remis. La compréhension, l’étincelle provoquée par la rencontre ou la réaction chimique précédemment évoquée n’ont pas leur place dans ce genre de significations. Il ne s’agit que de transmettre un acte à la personne qui le traitera de façon plus ou moins automatisée parce qu’elle en a l’habitude et parce que c’est son métier.

En revanche, la signification par voie électronique au particulier (et finalement à toute personne dont le métier n’est pas, précisément, de recevoir des actes de commissaire de justice) nous semble une aberration au regard du but de la signification et de sa substance même, car la signification est avant tout une rencontre pour que soit transmise l’information et que soit assurée la bonne compréhension de l’information remise. On rétorquera que la signification électronique à un particulier nécessite une rencontre préalable pour recueillir son consentement, mais sait-il à quoi il s’engage et le consentement est-il éclairé ?

Prenons le cas d’une personne qui accepte de recevoir des actes de commissaire de justice par voie dématérialisée parce qu’elle est en train de divorcer. Elle sait qu’elle doit recevoir différents actes de procédure ; elle y consent ; elle est conseillée par son avocat avec lequel elle échange régulièrement. Les actes sont attendus et compris. La signification dématérialisée ne pose aucune difficulté. Mais deux ans après, il est probable que l’avocat qui s’est occupé de son divorce ne soit plus son conseil. Alors, lorsqu’elle recevra une signification d’ordonnance d’injonction de payer pour un crédit à la consommation impayé, ou un congé pour vente de la part de son propriétaire, cette personne aura besoin d’un éclairage qu’est seul à même d’offrir le commissaire de justice par la signification réelle.

Recevoir un acte sans l’information qui va avec, c’est comme recevoir des résultats d’analyse de sang sans les explications données par le médecin. Une série de chiffres incompréhensibles et angoissants. La signification par commissaire de justice, c’est l’analyse de sang apportée à domicile avec le déchiffrage et les explications attendues.

B. Les moyens nécessaires

Qu’il nous soit permis de faire une liste des moyens dont le commissaire de justice devrait bénéficier pour mener sa mission fondamentale, et la mener dans de bonnes conditions. Évidemment la question de la rémunération devra être évoquée, mais d’autres outils permettraient également de faciliter la tâche du praticien et d’améliorer la signification.

1) Les informations utiles

Pour signifier, l’huissier a besoin d’informations précises pour localiser le destinataire de l’acte. Cela commence par son adresse. Pourtant ces informations font souvent défaut, soit qu’elles sont erronées ou incomplètes. Un commissaire de justice qui se déplace pour aller faire un constat ne rencontre jamais ces difficultés. Les informations sont fournies par la personne à visiter. Quand les informations sont données par l’adversaire de la personne à visiter, les difficultés sont plus fréquentes.

En amont, il appartient au premier chef au requérant de fournir toutes informations utiles, particulièrement pour les actes « isolés » qui constituent une grande partie des actes de commissaire de justice, transmis généralement par les avocats. L’idée d’une charte avec cette profession nous semble intéressante, qui aurait vocation à rassembler les usages et les bonnes pratiques, à rappeler les devoirs de chacun conformément à ses règles déontologiques particulières et à fixer les engagements réciproques des différents acteurs. Ainsi, les avocats pourraient sensibiliser leur clientèle au travail qu’aura à faire le commissaire de justice et recueillir toutes informations utiles au bon déroulement de sa mission en rappelant que l’officier ministériel se transporte au domicile ou au siège du destinataire de l’acte, et qu’une adresse incomplète, ancienne ou erronée occasionne des frais, des recherches, des diligences et en tout état de cause une perte de temps que tous les acteurs ont intérêt à minimiser.

Lorsque le commissaire de justice est tenu de prêter son concours au bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, sans doute parce que le client n’a pas à payer et parce qu’il est mal informé du rôle de chacun, les informations fournies au commissaire de justice sont quasiment toujours insuffisantes. La bienveillance de l’avocat permettrait de minimiser les loupés et les demandes de renseignements chronophages.

Quand il s’est rendu sur place et qu’il rencontre des difficultés pour signifier, le commissaire de justice devrait avoir accès aux mêmes informations que lorsqu’il est porteur d’un titre exécutoire et chargé de le ramener à exécution. La signification est tout aussi importante que l’exécution, puisqu’elle en est le préalable obligé. Le droit du justiciable à un procès équitable et à l’information nous semble tout aussi important que le droit à l’exécution du créancier.

Prenons l’exemple d’une personne qui déménage sans laisser d’adresse entre le moment où elle reçoit une assignation en paiement et le moment où elle est jugée. Elle ne comparait pas au tribunal, elle ne communique pas sa nouvelle adresse à son adversaire. Elle est donc a priori en tort. Le jugement réputé contradictoire sera signifié selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile car le commissaire de justice n’a pas les moyens juridiques de trouver sa nouvelle adresse. Pourtant, dès que le jugement sera passé en force de chose jugée, il disposera d’outils et de moyens qu’il n’avait pas auparavant et il pourra procéder par voie de saisie-attribution après avoir accédé aux données du FICOBA et, à cette occasion, obtenu la nouvelle adresse pour que cette saisie soit dénoncée effectivement. N’est-il pas injuste que le débiteur n’ait pas été en mesure d’être touché par l’huissier au moment de la signification ?

Toucher la personne est essentiel pour permettre le contradictoire, c’est-à-dire pour permettre à la personne de recevoir l’information (qu’on lui fait un procès, par exemple, et qu’elle a le plus grand intérêt à faire valoir ses arguments en se présentant devant le juge), et cela dans son intérêt avant tout. Lorsque le commissaire de justice retrouve une personne, ce n’est pas une punition pour celle-ci, c’est pour lui permettre d’exercer pleinement ses droits : droit au respect du contradictoire, droit à un procès équitable, droit de se défendre, droit d’exercer un recours.

Pourtant, le commissaire de justice se heurte chaque jour à des difficultés. Dans telle mairie, « on ne répond pas aux huissiers », dans telle administration, on exige une demande écrite, dans tel service, on fait attendre indéfiniment. Or, pour être en mesure d’officier, il a besoin d’information actualisées, qui sont par ailleurs détenues par certains organismes et qui pourraient les communiquer si la loi le leur commandait, à commencer par les caisses d’allocations familiales pour localiser un locataire et les données cadastrales pour les propriétaires. L’accès aux données des caisses d’allocations familiales n’est actuellement possible que sur requête et en vertu d’un titre. Pour signifier, le commissaire de justice devrait pouvoir y accéder directement. L’accès au cadastre : des outils existent et sont accessibles en ligne comme le SPDC (serveur professionnel de données cadastrales) qui est un service de la DGFIP donnant accès au nom des propriétaires d’une parcelle cadastrale. Actuellement, le commissaire de justice doit déposer une requête ou se déplacer dans une administration, ce qui est incompatible avec la célérité requise pour une signification. Les commissaires de justice devraient y avoir directement accès, comme les notaires ou les géomètres.

Le professeur Jobert cite une réponse ministérielle [14] de 2010. « L'intérêt qui s'attache à ce qu'un acte de procédure, par exemple une assignation, soit remis à la personne de son destinataire ne suffit à justifier ni la levée du secret auquel sont tenues les administrations, ni l'atteinte à la vie privée qui résulterait de la divulgation du domicile du destinataire de l'acte. En effet, l'huissier de justice est tenu d'accomplir toutes les diligences nécessaires pour remettre à la personne de son destinataire l'acte qu'il est chargé de signifier. À cette fin, il doit rechercher le destinataire de l'acte dont l'adresse et le lieu de travail ne lui sont pas connus. Il peut ainsi notamment interroger les voisins, faire des démarches auprès de la mairie ou du commissariat de police. Lorsque ces recherches s'avèrent infructueuses, l'huissier de justice dresse un procès-verbal (de recherches infructueuses) (…). La signification selon cette modalité satisfait aux exigences du procès équitable dès lors qu'elle est soumise à des conditions et à des modalités bien définies. De surcroît, des procédures permettent au destinataire de disposer d'un droit d'accès effectif à un juge. Ainsi, lorsque l'acte introductif d'instance a été signifié selon cette modalité, le destinataire peut former opposition à l'encontre du jugement rendu par défaut. De plus, lorsqu'un jugement réputé contradictoire ou rendu par défaut a été signifié selon cette modalité, le destinataire peut obtenir le relevé de la forclusion résultant de l'expiration des voies de recours ».

Autrement dit, le commissaire de justice n’a qu’à signifier selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile s’il ne trouve pas le destinataire de son acte, et le justiciable pourra faire valoir ses droits ultérieurement. Le droit au respect de la vie privée ne justifie pas l’atteinte que lui porterait le droit à un procès équitable, qui passe par l’information du commissaire de justice pour lui permettre de faire son office. Cette solution n’est évidemment pas convenable, comme l’a parfaitement indiqué le professeur Jobert et comme nous l’avions déjà évoqué [15]. Elle l’est d’autant moins que le curseur qui sépare des droits opposés a tendance à se déplacer. Il est en effet admis qu’un enregistrement effectué à l’insu d’une personne (largement attentatoire à son droit au respect de la vie privée) ou plus récemment que la production de photographies extraites d’un compte « Messenger » [16] est admissible dès lors que c’est le seul moyen d’apporter une preuve (le droit à la preuve est un droit consacré) et que l’atteinte au droit protégé est proportionnée.

2) La majoration du coût

À ce stade il est intéressant de citer quelques extraits du rapport Magendie, Célérité et qualité de la justice du 15 juin 2004 qui, vingt ans après sa publication, n’en demeure pas moins d’actualité :

Sur le coût : « Le coût - réglementé - de l’acte couvre à peine les frais de déplacement engagés par l’huissier pour sa délivrance ». Rien n’a changé. Le commissaire de justice perd de l’argent dès lors qu’il doit faire plusieurs déplacements, ou se livrer à des enquêtes pour parvenir à signifier.

Sur les moyens : « Si l’on veut bénéficier des garanties qu’offre indéniablement le concours de cet officier ministériel, il suffit en réalité de lui donner les moyens d’être plus efficace ». Nous ne pouvons pas dire mieux.

Sur les 659 et les modalités de remise de l’acte : « Il apparaît, par ailleurs, indispensable de renforcer les exigences requises pour la délivrance des actes introductifs d’instance, dans le souci de limiter au maximum les procédures sans comparution du demandeur ».

« La Mission - soucieuse que la première instance soit le lieu où une affaire peut être jugée de manière contradictoire - préconise qu’il soit fait obligation à l’huissier - en contrepartie des moyens supplémentaires qui lui seraient accordés pour instrumenter - de mentionner de manière exhaustive dans son acte, dès lors qu’il n’a pu le délivrer à personne, les démarches qu’il a effectuées pour tenter de trouver l’adresse de la personne concernée par l’acte ».

Une meilleure rémunération contre des moyens renforcés. Tel est toujours le vœu des commissaires de justice.  Une meilleure rémunération pour pouvoir effectuer le travail correctement, décemment, sans contrainte temporelle, sans souci de rentabilité. Une meilleure rémunération parce qu’on exige des commissaires de justice davantage de connaissances, davantage de compétences, et parce tout cela ne peut être fait que par des femmes et des hommes intelligents. Or les gens intelligents embrassent une profession parce qu’elle leur assure une subsistance digne. Une meilleure rémunération finalement pour avoir les moyens d’exercer la mission assignée avec sérénité.

Prévoir une gratification pour les remises « à personne » est une option envisageable bien que, de notre point de vue, le commissaire de justice fasse tout son possible pour remettre l’acte à son destinataire sans la promesse de cette récompense, à la fois parce que c’est son devoir, mais aussi parce que sa tâche s’en trouve simplifiée. La remise ad faciem s’apparente à certains égards à un coup de chance : quand la personne est à son domicile, elle est possible. La personne s’absente-t-elle pour aller faire des courses, la remise déchoit ad domum.

En revanche, ce qui nécessite un surcroît de travail, de patience, de ruse, d’ingéniosité et de persévérance c’est de s’assurer de la réalité du domicile du destinataire de l’acte lorsqu’il n’est pas chez lui. Peut-être est-ce tout ce travail, toutes les recherches effectuées qui mériteraient une rémunération supplémentaire. La réflexion est ouverte.

3) Une rémunération assurée

Le travail du commissaire de justice ne se limite pas à signifier l’acte et à accomplir les formalités subséquentes prévues par le Code (envoi d’une lettre simple ou recommandée selon les modalités de remise) ou induites (envoi de l’acte au requérant, facturation [17]). Encore faut-il se faire payer, ce qui n’est pas toujours simple. Autrefois les avocats demandaient à leurs clients une provision sur frais et réglaient l’huissier ; les clients payaient dès réception de la facture. Désormais, se faire régler implique un travail supplémentaire d’autant que chaque demande est particulière et nécessite un traitement « sur mesure » : tel avocat demande que la facture lui soit adressée au nom de son client, tel autre que la facture soit adressée directement au client, tel donneur d’ordre exige que la facture soit déposée sur une plateforme, etc. Ce transfert de charges au détriment du commissaire de justice lui confère davantage de tâches et une partie de la gestion de la comptabilité des clients, sans contrepartie financière. Une réflexion s’impose sur la rémunération de ce travail par les donneurs d’ordres. Les gros consommateurs de justice que sont les établissements de crédit et autres bailleurs sociaux pourraient supporter une partie de ces charges imposées aux commissaires de justice.

Par ailleurs, face à un impayé le commissaire ne peut que relancer son client. La situation est paradoxale à plusieurs égards. Le commissaire de justice a travaillé pour le compte du client en question, il a fourni un service, une prestation. Par sa signature il a conféré l’authenticité. Il a engagé des débours et, surtout, l’acte impayé a eu, quelle que soit sa nature, des conséquences juridiques qui profitent au client indélicat : l’assignation a été délivrée et l’affaire peut être évoquée devant la juridiction, le jugement a été signifié et devient opposable, etc.

Le commissaire de justice doit donc être réglé de son acte. Les frais sont tarifés. Quiconque mandate un officier ministériel sait qu’il devra régler le coût de l’acte et combien il lui en coûtera.

Les frais se prescrivent par deux ans. La procédure actuelle de taxation des frais est longue et fastidieuse. Il est fréquent que les professionnels renoncent à l’engager et subissent une perte globalement significative en plus d’être injuste. Il peut être opposé que le commissaire de justice est tenu de se faire provisionner avant d’instrumenter. En pratique, cette faculté est peu utilisée car elle suppose un travail supplémentaire, incompatible avec la célérité attendue. Pour demander une provision, il faut avoir ouvert le dossier informatiquement - donc avoir réalisé une partie importante du travail sans être assuré d’avoir à le mener à son terme. Il faut surveiller la réception de la provision, avec le risque de laisser passer un délai. Il faudra gérer la partie comptable : demander le solde, rembourser le trop-perçu. Tout cela génère des traitements fastidieux et augmente le coût de revient. De plus, il n’est pas convenable ou envisageable de demander une provision à un confrère, un institutionnel ou à un donneur d’ordre régulier.

Les actes impayés représentent un pourcentage non négligeable du chiffre d’affaires des offices.

Faire taxer les frais nécessite une débauche de moyens disproportionnés eu égard à l’enjeu financier. Il faut adresser une première relance, par courrier ou par email, puis renoter le dossier. Il faut à nouveau relancer, renoter encore le dossier pour enfin se résoudre à faire taxer les frais. Généralement, le commissaire de justice adresse une lettre de relance plus ferme (dernier avis avant taxe) et ensuite une lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il est important de rappeler que les émoluments correspondent à une rémunération raisonnable (C. com., art. L. 444-2 N° Lexbase : L3474LZP). Toute action supplémentaire, ne serait-ce qu’une simple relance, augmente son coût de revient donc diminue la rémunération censée être juste de l’officier ministériel.

Faire taxer, c’est déposer au greffe du tribunal judiciaire une « demande de vérification des dépens » conformément aux dispositions des articles 704 N° Lexbase : L6866LEZ et suivants du Code de procédure civile, comprenant une copie du mandat reçu, une copie de l’acte ou des actes concernés, une copie de la lettre recommandée avec accusé de réception adressée préalablement à la demande, soit en moyenne quelques dizaines de pages. Il n’est pas rare que le commissaire de justice attende p l u s i e u r s m o i s l e certificat de vérification, les greffières ou greffiers étant surchargés et parfois rebutés par la complexité du tarif. Quand le certificat de vérification est rendu, il est adressé par le greffe par courrier et notifié par lettre recommandée avec accusé de réception à la personne qui n’a pas payé. Cela génère une action et un coût supplémentaires. Un mois après, il faut solliciter à nouveau le greffe pour l’apposition de la formule exécutoire, là aussi renvoyée par courrier sur le budget de la Justice. Le commissaire de justice doit ensuite confier le titre exécutoire à un de ses confrères pour exécution. En résumé, la procédure a pris plusieurs mois et occupé inutilement les services du greffe et le commissaire de justice. C’est pourquoi, en pratique, ce dernier renonce fréquemment.

Une majoration forfaitaire des coûts d’actes de commissaires de justice en cas de non-paiement serait un moyen efficace d’endiguer l’impayé. Une nouvelle procédure de vérification des dépens pourrait être calquée sur la procédure de recouvrement des chèques impayés avec pénalité forfaitaire censée couvrir les coûts exposés et dissuader le client, quel qu’il soit, de s’abstenir de régler le professionnel qu’il a sollicité à réception de la facture.

Le commissaire de justice « créancier » adresserait par voie dématérialisée à une autorité centrale les pièces qu’il détient et certifierait qu’il n’a pas été réglé de ses frais malgré plusieurs relances. Ce certificat vérifié serait notifié par l’autorité centrale qui, à défaut de paiement dans les quinze jours, émettrait un titre exécutoire.

Cette procédure aurait au moins quatre avantages : réduire les délais de traitement, limiter les risques de prescription, tout en déchargeant les greffes d’une matière technique et chronophage, permettre aux tribunaux de faire des économies.

Enfin et surtout, cette procédure aurait une vertu dissuasive. La seule perspective d’une pénalité forfaitaire en cas de non-paiement inciterait les donneurs d’ordre à plus de vigilance, les avocats à informer leurs clients et les commissaires de justice à s’en tenir strictement au tarif et aux obligations déontologiques qui sont les leurs.

4) La suppression des clercs assermentés ?

Il appartient aux commissaires de justice de pratiquer la signification avec conscience dans le respect des règles déontologiques qui sont les leurs. Pour cela, nous pensons que les bureaux communs de signification et les clercs significateurs devraient laisser la place aux seuls commissaires de justice. L’officier public et ministériel, responsable, soumis à une déontologie, est l’agent significateur par excellence. Actuellement, les actes d’exécution ne peuvent être faits que par commissaire de justice, pourtant les actes introductifs d’instance sont tout aussi lourds de conséquences.

Les clercs assermentés, comme le rappelle justement le professeur Jobert, ont été institués par la loi de 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés pour pallier l’absence d’huissiers au lendemain de la première guerre mondiale. Mais l’institution des clercs était attendue depuis des décennies, en tout cas bien avant que la guerre ne rende sa création inéluctable. Les huissiers de la fin du XIXème siècle ne signifiaient jamais eux-mêmes leurs actes, du moins à Paris. Ils avaient recours à un bureau commun où chacun portait ses exploits, pour y être répartis à travers la ville par des auxiliaires de passage. Cela se faisait en toute impunité. Le décret impérial de 1813 en vigueur à l’époque l’interdisait à peine de faux. Mais le pouvoir judiciaire fermait les yeux et tolérait ces pratiques. Il faut dire qu’il était fréquent qu’un huissier ait à délivrer plusieurs dizaines de protêts le jour de l’échéance. L’institution du clerc assermenté a permis de régulariser une pratique depuis toujours interdite : faire signifier les actes par un tiers. Mais cette création avait une contrepartie : le cantonnement absolu c’est-à-dire une compétence territoriale limitée au canton de l’huissier. « Qui donc profitera de l'institution des clercs assermentés ? L'huissier, dont l'étude est chargée, prospère et qui ne craindra pas d'augmenter ses frais généraux tant pour régulariser la délivrance de ses actes ou alléger son service d'audience que pour étendre le rayon de ses affaires.  À moins de vouloir anéantir < les petits offices ruraux en créant au profit des puissants un moyen de concurrence nouveau, il ne faut songer à l'institution des clercs assermentés que si la protection indispensable du cantonnement est accordée à tous. » [18]

De nos jours où la compétence territoriale est étendue et où les protêts ne sont que des souvenirs, rien ne justifie que le commissaire de justice n’assure pas personnellement sa mission première. C’est le cas en Belgique où l’acte est rémunéré plusieurs centaines d’euros en moyenne [19]. Alors, comme cette révolution que serait la suppression des clercs significateurs aurait des conséquences importantes dans les offices, il convient de préconiser une formation obligatoire du clerc assermenté. Il ne doit pas être un saute-ruisseau, mais une personne qualifiée, connaissant parfaitement les procédures, à même d’informer les destinataires des actes et surtout soumis à des règles strictes et à une discipline sévère ; en bref qu’il soit à l’image du patron pour le compte duquel il délivre des actes.

***

Il nous semble que la signification est trop souvent vue comme un vecteur un peu compliqué, comme un moyen trop onéreux de porter des plis, voire comme une coutume obsolète. Évidemment, par rapport aux bienfaits qu’elle offre et aux garanties qu’elle apporte, il n’en est rien.

C’est une vieille pratique qui mérite davantage d’égards et une plus grande considération de la part de ceux qui la pratiquent d’abord, de la part de ceux qui en bénéficient ensuite et de la part des pouvoirs publics enfin, par une rémunération digne du service apporté.

Finalement, l’institution judiciaire est la seule à lui accorder tout le respect qu’elle mérite.


[1] « Viatores » ou messagers, « praecones » ou hérauts, semonceurs, sergents et huissiers.

[2] Ordonnance d’Is sur Tille du 1er octobre 1535, chapitre XX, article VII, et ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539, article XXII.

[3] Sénat, débats parlementaires, 14 décembre 1911.

[4] Il a été décidé de cantonner les huissiers, c’est-à-dire de réduire leur compétence territoriale au canton de leur résidence.

[5] S. Jobert, Réformer la signification ?, Lexbase Contentieux et recouvrement, septembre 2023 N° Lexbase : N6733BZE.

[6] CPC, art. 659.

[7] C. com, art. A444-33 N° Lexbase : L3287LWN.

[8] B. Fraenkel, D. Pontille, D. Collard, G. Deharo, Le Travail des Huissiers, Transformations d’un métier de l’écrit, éditions Octarès, 2010.

[9] Encyclopédie des huissiers, Deffaux, 3° édition, tome 7 p. 882.

[10] Décret n° 2017-923 du 9 mai 2017 relatif au document d’information en vue de l’audience délivré aux locataires assignés aux fins de constat ou de prononcé de la résiliation du contrat de bail N° Lexbase : L2637LEE.

[11] S. Jobert, Réformer la signification ?, Lexbase Contentieux et recouvrement, septembre 2023 N° Lexbase : N6733BZE.

[12] Le Travail des Huissiers, op cit, p.154.

[13] C. proc. pén. art. 550 N° Lexbase : L3944AZ4 in fine : « La personne qui reçoit copie de l'exploit signe l'original ; si elle ne veut ou ne peut signer, mention en est faite par l'huissier ».

[14]  Rép. min. n° 52445, JOAN Q, 2 février 2010, p. 1169.

[15] J-L. Bourdiec, Des diligences que doit effectuer le commissaire de justice pour rechercher le destinataire d’un acte. Le feuilleton continue, Lexbase Contentieux et Recouvrement, juin 2023, n° 2 N° Lexbase : N5980BZI.

[16] Cass soc 4 octobre 2023 n°21-25.452, sur cet arrêt : A-C. Chambas et E. Guilcher, La production par l’employeur de correspondances privées sur les réseaux sociaux peut être justifiée par le droit à la preuve, Lexbase Contentieux et Recouvrement, décembre 2023, n° 4 N° Lexbase : N7602BZL.

[17] Le tarif belge prévoit un droit comprenant le coût de l'original, d'une copie, de l'enveloppe, de l'inscription au répertoire (...) et de l'envoi de l'original ou d'une copie au requérant ou à son conseil.

[18] A. Lebert, Sénat, débats parlementaires, n° 338, annexe au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1911.

[19] Arrêté royal du 30 novembre 1976.

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Procédure civile

[Le point sur...] La protection des données personnelles face au droit à la preuve de l’article 145 du Code de procédure civile

Lecture: 19 min

N7629BZL

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par Grégory Cauvin, Docteur en droit, chargé d’enseignement à l’Université Paris XII (UPEC), Avocat au barreau des Hauts-de-Seine

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : RGPD • 145 • DPO • instruction • saisie • preuve

Le droit à la preuve semble inconciliable avec la protection des données personnelles. Pourtant, la protection des données personnelles n’est pas absolue. Ainsi, la jurisprudence confronte la preuve et la protection de la donnée personnelle et tente de les concilier. Il est alors possible de dégager quelques principes dont certains restent encore incertains dans leur application.


 

Il est neuf heures. Les bureaux accueillent les premiers arrivés. Un commissaire de justice, accompagné d’un expert informatique et des forces de l’ordre, se présente à l’accueil. Il présente une ordonnance du juge lui donnant mission de saisir plusieurs documents. Un représentant de l’entreprise accompagné du DPO [1] les accueillent. Ce dernier s’oppose à la saisie envisagée au motif qu’elle porte sur des données personnelles qui n’ont pas été collectées dans cette finalité. Les personnes concernées n’ont pas été informées de cette opération qui concerne leurs données comme la loi l’exige. Il n’y a pas d’obligation de coopérer à la mesure [2].

En effet, le droit de la protection des données personnelles paraît à première vue inconciliable avec celui du droit à la preuve, droit fondamental tiré de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme N° Lexbase : L7558AIR [3], dans le cadre des mesures d’instruction in futurum, ces mesures qui permettent d’entreprendre des investigations avant tout procès.

D’un côté il est impératif d’agir avec la plus grande transparence pour utiliser des données personnelles, de l’autre, il est nécessaire d’agir avec surprise pour collecter des preuves et les conserver.

Pour engager une telle investigation, l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 énonce que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Cet article permet donc d’agir sur requête pour conserver des preuves ou établir la preuve de faits. C’est-à-dire sans confrontation préalable avec la partie adverse. L'article 5 du RGPD N° Lexbase : L0189K8I précise que les données personnelles doivent notamment être traitées de manière « loyale et transparente » et collectées pour des « finalités déterminées, explicites et légitimes ».

Les données personnelles sont des données de personnes physiques identifiées ou identifiables, c’est-à-dire qui peuvent être identifiées directement ou indirectement [4]. Par exemple, une adresse IP est une donnée personnelle en ce qu’elle permet d’identifier indirectement l’utilisateur [5]. Le traitement est constitué par une ou des opérations portant sur des données personnelles effectuées à l’aide d’opérations automatisées ou non [6]. Il peut s’agir également de fichiers papier. En ce sens, la production en justice d’un document contenant des données personnelles est susceptible de constituer un traitement [7].

Nous comprenons alors que les dispositifs protecteurs issus de la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dite loi « informatique et libertés » N° Lexbase : L8794AGS [8] et du Règlement général sur la protection des données [9] (RGPD) bousculent la protection de la vie privée prévue par l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4798AQR. Cette vie privée concerne notamment le lieu de travail depuis l’arrêt « Nikon ». qui a affirmé le droit pour le salarié au respect de l’intimité de sa vie privée au temps et au lieu de travail et, en particulier, le secret des correspondances [10].

Outre le fait que sauf mention contraire les courriels, dossiers et fichiers sur l’ordinateur du salarié sont présumés professionnels [11], la protection de la vie privée n’est pas absolue. La Cour de cassation a admis que le droit à la preuve peut faire échec à celui de la vie privée. C’est le cas dès lors que la production litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence [12]. Ces conditions doivent également respecter le RGPD et la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, dite loi « informatique et libertés ».

Est-il possible alors d’appliquer le droit à la preuve tout en protégeant les droits des données des personnes concernées ?

D’emblée, le RGPD considère que la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu [13]. Ce droit doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité [14]. Ainsi, le droit de la preuve est mis en balance avec le droit des données personnelles (I) fondement sur lequel le juge va mettre en place des limites (II).

I. Les mesures d’instruction confrontées à la protection des données personnelles

Dans un premier temps, les principes du RGPD paraissent paralyser le droit à la preuve (A), mais, en réalité, il est possible de les articuler entre eux (B).

A. Les principes du RGPD face au droit à la preuve

Le droit à la preuve est indispensable pour la protection du justiciable. Pour la CJUE, le principe de « l’égalité des armes » commande que « les parties à une procédure juridictionnelle civile doivent être en mesure d’accéder aux preuves nécessaires » [15].

En revanche, le RGPD fixe des principes encadrant le traitement des données personnelles pour protéger les données personnelles et limitant l’accès aux données. En sa qualité de responsable de traitement, le juge doit les respecter lorsqu’il prend son ordonnance.

En effet, pour le RGPD, les données personnelles doivent :

  • être traitées de manière licite, loyale et transparente au regard de la personne concernée (RGPD, art. 5, § 1, a) ;
  • collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités (RGPD, art. 5, § 1, b) ;
  • être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire (RGPD, art. 5, § 1, c) ;
  • être exactes (RGPD, art. 5, § 1, d) ;
  • conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (RGPD, art. 5, § 1, e) ;
  • traitées de façon à garantir une sécurité appropriée (RGPD, art. 5, § 1, f).

Il reste également les articles 13 et 14 du RGPD qui imposent l’information de la personne concernée par le traitement. Précisément, l’article 14 énumère les informations à fournir lorsque les données personnelles n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée. Ce qui est le cas lors d’une mesure d’instruction in futurum. Ces informations sont notamment l’identité du responsable de traitement, les finalités du traitement, les catégories de données personnelles concernées et ses destinataires de ces données, la durée de conservation de ces données et les droits des personnes concernées (droit d’accès, droit à la rectification ou à l’effacement de ces données, etc.). Il convient en effet d’informer les personnes concernées par la mesure de leur droit, de la finalité de cette mesure, de la durée de conservation de celles-ci qu’il conviendra de définir. Par ailleurs, le traitement doit reposer sur un fondement juridique prévu par le RGPD et limité à ce qui est nécessaire en garantissant la sécurité informatique de celles-ci.

Stricto sensu, ces principes semblent s’opposer directement au droit à la preuve comme prévu par l’article 145 du Code de procédure civile. L’effet de surprise recherché dans certains cas est alors anéanti par l’information préalable. Il convient alors de parvenir à concilier le droit de la preuve avec la protection des données personnelles.

B. Les principes du RGPD conciliés avec le droit de la preuve

Nous avons vu que les juges parviennent à articuler droit de la preuve et droit de la vie privée. Le droit des données personnelles découle de la vie privée, mais reste plus technique.

Tout d’abord, le traitement envisagé doit être licite. C’est-à-dire que l’ordonnance qui sera prise par le juge devra reposer sur un des fondements juridiques prévus par le RGPD. Ce fondement est ce qui autorise la mise en œuvre de la mesure projetée. Parmi les six fondements mentionnés à l’article 6 du RGPD, deux fondements semblent envisageables.

Le premier est l’intérêt légitime. Le cas échéant, le traitement doit être nécessaire à la poursuite d’intérêts légitimes. Ce qui est le cas en l’espèce, car l’article 145 du Code de procédure civile pose comme condition l’existence d’un motif légitime. Le juge doit vérifier qu’il n’existe pas d’autre moyen moins intrusif pour la vie privée pour parvenir à la finalité envisagée. Ensuite, il doit mettre en balance ce traitement, c’est-à-dire la mesure envisagée, et les droits et intérêts des personnes dont les données font l’objet du traitement.

L’autre fondement envisageable est la mission d’intérêt public. Le traitement doit être nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Pour la CJUE, les missions exécutées par les juridictions dans le cadre de leurs fonctions juridictionnelles relèvent de ce fondement juridique [16]. C’est de préférence sur celui-ci qu’il conviendra donc de fonder la mesure.

Si le traitement est licite, il reste à informer les personnes concernées. Ce qui semble impossible sans mettre en péril l’efficacité de la mesure (par exemple, s’il s’agit de saisie de dossiers contenant des preuves chez un tiers à la demande du requérant). Le cas échéant, l’article 14, § 5, b du RGPD pourrait répondre à cette difficulté. Cet article prévoit le cas où la fourniture de telles informations se révèle impossible ou exigerait des efforts disproportionnés, en particulier, où cette obligation est susceptible de rendre impossible ou de compromettre gravement la réalisation des objectifs dudit traitement. Ce qui est le cas des mesures prises dans le cadre de l'article 145 du Code de procédure civile. En pareil cas, précise l’article 14, « le responsable du traitement prend des mesures appropriées pour protéger les droits et libertés ainsi que les intérêts légitimes de la personne concernée ». Il convient alors au juge de prendre des mesures appropriées pour protéger ces droits, ce qui peut être une mesure de séquestre, un accès limité aux données assorti d’une durée de conservation limitée. Précisons également que l’article 14, § 5, c prévoit une autre dérogation qui peut également s’appliquer de façon alternative au point b du même article, dans le cas où « l’obtention ou la communication des informations sont expressément prévues par le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement est soumis et qui prévoit des mesures appropriées visant à protéger les intérêts légitimes de la personne concernée ». Ce qui semble être le cas de l’article 145 du Code de procédure civile.

Dans le cadre du principe de finalité, les données sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne peuvent pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités (RGPD, art. 5, 1, b). Mais, lorsque le traitement est effectué à une fin autre que celle pour laquelle ces données ont été collectées, un tel traitement est permis à condition qu’il soit fondé, notamment, sur le droit d’un État membre et qu’il constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique. C'est ce que juge la CJUE [17]. Cette finalité recherchée peut être, pour la Cour, la bonne administration de la justice qu’elle rattache à la « protection de l’indépendance de la justice et des procédures judiciaires » prévue par l’article 23, 1, f parmi les limitations aux droits et obligations du RGPD [18]. C’est également le cas pour « l’exécution des demandes de droit civil » [19] rappelle la Cour.

Dans ces conditions, la production en tant qu’élément de preuve d’un document contenant des données à caractère personnel de tiers collectées à d’autres fins est possible. Conformément à l’article 6, § 3, la finalité du traitement est définie par l’État membre. Il s’agit de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige telle qu’énoncée par l’article 145 du Code de procédure civile. Le juge doit également tenir compte de l’existence de garanties appropriées, qui peuvent comprendre le chiffrement ou la pseudonymisation [20]. Il doit garantir la protection des données personnelles tant matérielle, comme la sécurité des locaux ou le séquestre, qu’immatérielle, comme la pseudonymisation et le chiffrement [21].

Le cas échéant, le juge doit vérifier si les mesures sont nécessaires et proportionnées auxdits objectifs. Ce qui nuit à la prévisibilité juridique.

II. La prévisibilité juridique affaiblie par la protection des données personnelles

Le demandeur doit démontrer un motif légitime et les mesures envisagées doivent être indispensables à la protection de son droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi [22]. Il s’agit alors d’un double contrôle difficile à appréhender : celui de la nécessité (A) et celui de la proportionnalité (B).

A. La limite incertaine de la nécessité

Le principe de minimisation impose que les données collectées soient « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire » (RGPD, art. 5, § 1, c).

Saisie d’une demande portant sur des preuves susceptibles de contenir des données personnelles, le juge doit soumettre celle-ci à un premier contrôle. La mesure demandée est-elle nécessaire ? Existe-t-il d’autres mesures moins intrusives dans la vie privée des personnes concernées ?

Pour la Cour de cassation, « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi »[23]. Le juge saisi d’une communication de pièces doit, tout d’abord, vérifier si cette communication est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve affirme la Cour de cassation [24]. Précisément, dans l’arrêt Canal+, la Cour de cassation affirme que la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve [25].

Dans le cadre du contrôle de nécessité, le juge doit vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve [26]. D’autres mesures sont-elles envisageables ? Est-il possible d’entendre des témoins ou de réaliser un audit [27] ?

Le juge doit donc s’assurer qu’il n’existe pas d’autre mesure pour établir la preuve des faits allégués. Cela doit être la seule preuve possible [28]. Comme l’affirme un auteur au sujet des limites imposées au droit de la preuve par celui de la vie privée, cette exigence « permet un juste équilibre entre le droit à la vérité et le droit au respect de la vie privée » [29]. C’est le cas en matière de discrimination, où il a été jugé nécessaire d’avoir accès aux informations d’autres salariés afin d’établir un panel de comparaison pour établir la différence de traitement [30]. Dans ce cas, l’employeur ne peut pas se retrancher derrière l’autorisation de communication des salariés concernés. Cependant, la nécessité de la mesure reste souvent bien discutable ce qui rend son appréciation bien incertaine et peut être source d’une certaine insécurité juridique pour le justiciable.

Ensuite, le juge doit vérifier si cette mesure est proportionnée au but poursuivi [31].

B. La limite incertaine de la proportionnalité

Dans son considérant 4, le RGPD énonce que « le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité ». Si le traitement déroge au principe de spécialité, il doit constituer « une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique » [32].

Le juge doit donc procéder au contrôle de la proportionnalité du traitement. Avant l’entrée en vigueur du RGPD, il a déjà été jugé que des mesures portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée « par leur durée et leur ampleur » [33]. La prise en compte de la durée et de l’objet ne pourra qu’être amplifiée avec le RGPD. La Cour a par la suite précisé que « des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi » sont légalement admissibles [34]. Ce qui est le cas en matière de diffamation pour des mesures d’instruction limitées « aux seuls comptes Twitter ayant rediffusé les messages litigieux provenant d’un compte Twitter qui n’a fonctionné qu’un mois et que ces mesures sont proportionnées au but poursuivi, seuls les noms des utilisateurs de ces comptes devant être communiqués » [35].

Par ailleurs, le juge doit « vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée » [36]. Ce dernier point rejoint le principe de minimisation des données.

Dans ces conditions [37], la juridiction doit ordonner « seulement la communication à l’autre partie des données strictement nécessaire à l’exercice de son droit à la preuve ». Pour cette raison, la protection des données personnelles de tiers peut justifier une restriction des éléments transmis, notamment par une anonymisation [38] ou la pseudonymisation [39] des données. Le juge peut également ordonner une divulgation partielle des éléments de preuve objet de la mesure, limiter l’accès au public du dossier et toute autre mesure pour réduire l’atteinte portée à la protection des données [40].

En revanche, dans le cadre de l’article 145, les juges du fonds ont refusé d’ordonner la communication d’informations résultant d’une collecte massive des adresses IP permettant d’identifier de prétendus contrefacteurs [41]. Cette collecte avait été effectuée sans se conformer aux conditions prévues par le RGPD. Une telle demande portait donc une atteinte illégitime et disproportionnée aux droits et libertés fondamentales d’autrui, en l’espèce des prétendus contrefacteurs.                                                    

L’appréciation de la proportionnalité reste encore hésitante. La difficulté résulte du peu d'éléments de jurisprudence à cause de la jeunesse de ce contrôle. Il n’existe à ce jour que de peu d’éléments d’appréciation pouvant permettre « d’aiguiller les débats » [42].

*

*                     *

Le droit des données personnelles vient ainsi bousculer le droit à la preuve. Il apporte des limitations complémentaires aux principes de nécessité et de proportionnalité qui avaient déjà été affirmés sur le fondement de la vie privée. D’une certaine manière, il précise aussi ces principes en les encadrant par de nouveaux principes tels que le principe de minimisation. Il ajoute en principe celui de la durée de conservation de ces données même si ce principe est bien souvent omis par le juge. Toutefois, il apporte une certaine dose d’insécurité juridique par la jeunesse et la souplesse de certains de ses mécanismes.

D’un autre côté, le droit des données personnelles peut servir le droit à la preuve. Il peut renforcer une requête sur l’article 145 du Code de procédure civile, quand une personne exerce son droit d’accès par l’intermédiaire de cette requête. Le responsable de traitement doit informer la personne concernée sur la nature des données collectées et la durée de conservation. L’accès à ces données doit être possible durant cette durée et peut être exercé sous forme de requête en cas de risque dépérissement de la preuve.

À retenir :

  • Les mesures d’instruction in futurum portant sur des données personnelles peuvent :
  • être fondées sur la mission d’intérêt public du juge ;
  • être collectées pour le droit de la preuve dans le cadre d’une bonne administration de la justice ;
  • être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire ;
  • être conservées pour une durée fixée au regard de la finalité de la mesure ;
  • être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée tant physique que matérielle.
 

[1] DPO : Data Protection Officer ou Délégué à la protection de données.

[2] T. Baudesson, K. Huberfeld et C.-H. Boeringer, Guide pratique des visites inopinées, perquisitions et garde à vue dans l’entreprise, 2e éd., LexisNexis, n° 503.

[3] G. Lardeux, Le droit à la preuve : tentative de systémisation, RTD civ., 2017, p. 1.

[5] Cnil, formation restreinte, délibération n° 2013-420, du 3 janvier 2014, Google [en ligne].

[6] RGPD, art. 4, 2.

[7] L. Pailler, note sous CJUE, 2 mars 2023, RLDI, 1er mai 2023, n° 5.

[8] Loi n° 78-17, du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS.

[9] Règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la Directive 95/46/CE N° Lexbase : L0189K8I. Il conviendrait d’évoquer à chaque fois la loi dite « informatique et libertés », mais par simplification nous évoquerons seulement le RGPD.

[10] Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, publié au bulletin N° Lexbase : A1200AWD ; J. Hauser, RTD civ., 2002, p. 72 ; P.-Y. Gautier, D., 2001, p. 3148. Si l'employeur, qui a des raisons légitimes et sérieuses de craindre que l'ordinateur mis à la disposition d’un salarié avait été utilisé pour favoriser des actes litigieux, peut demander, dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49, à un huissier de justice de prendre copie, en présence du salarié ou celui-ci dûment appelé, et ce, dans les conditions définies par l’ordonnance du juge (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3963DWP ; Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-19.229, FS-P+B N° Lexbase : A0524D9B).

[11] Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025, F-P+B N° Lexbase : A9621DRR.

[12] Cass. soc., 5 avril 2012, n° 11-14.177, F-P+B+I N° Lexbase : A1166IIZ.

[13] RGPD, cons. 4.

[14] Ibid.

[15] CJUE, 2 mars 2023, aff. C-268/21, Norra Stockholm Bygg AB c. Per Nycander AB N° Lexbase : A28209GK.

[16] CJUE, 2 mars 2023, préc., spéc. § 32.

[17] CJUE, 2 mars 2023, préc., spéc. § 33.

[18] CJUE, 2 mars 2023, préc., spéc. § 38.

[19] RGPD, art. 23, 1, f.

[20] RGPD, art. 6, § 4, e.

[21] RGPD, art. 32.

[22] Cass. soc., 16 mars 2021, n° 19-21.063, F-P N° Lexbase : A88364LT ; P. Adam, Dr. soc., 2021, p. 645.

[23] Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, F-B N° Lexbase : A135947H ; H. Barbier, RTD civ., 2021, p. 887.

[24] Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492, FS-B N° Lexbase : A08929HI ; J. Klein, RTD civ., 2023, p. 444.

[25] Cass. soc., 22 septembre 2021, préc.

[26] Cass. soc., 22 septembre 2021, préc.

[27] J. Wathelet, note CJUE, 2 mars 2023, aff. C-268/21, Norra Stockholm Bygg AB c. Per Nycander AB N° Lexbase : A28209GK. Comp. Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802, FS-B N° Lexbase : A92179GH.

[28] G. Lardeux, Le droit à la preuve : tentative de systémisation, RTD civ., 2017, spéc. p. 4.

[29] Ibid.

[30] Cass. soc., 16 mars 2021, préc.

[31] Cass. soc., 8 mars 2023, préc.

[32] RGPD, art. 23 ; Adde. J. Wathelet, note sous CJUE, 2 mars 2023, aff. C-268/21, Norra Stockholm Bygg AB c. Per Nycander AB N° Lexbase : A28209GK.

[33] Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 15-12.403, FS-P+B+I N° Lexbase : A1656QDP ; J. Hauser, RTD civ., 2016, p. 320.

[34] Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 21-12.631, FS-D N° Lexbase : A49337R7.

[35] Cass. civ. 2, 24 mars 2022, préc.

[36] Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-12.492, FS-B N° Lexbase : A08929HI. Rappr. Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, F-B N° Lexbase : A135947H, même principe mais rendu sur le fondement de l’article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D sans référence au RGPD.

[37] L. Pailler, note sous CJUE, 2 mars 2023, RLDI, 1er mai 2023, n° 13.

[38] Selon la Cnil, l’anonymisation rend impossible l’identification d’une personne à partir d’un jeu de données.

[39] Selon la Cnil, la pseudonymisation est un traitement de données personnelles réalisé de manière qu'on ne puisse plus attribuer les données relatives à une personne physique sans information supplémentaire.

[40] L. Pailler, loc. cit.

[41] TGI Paris, ord., 2 août 2019, n° 19/53997 N° Lexbase : A0262Z34 ; A. Dansi-Fâtome, CCE, 2019, comm. 79, note.

[42] A. Fabre, On veut les noms ! Nouvelles conquêtes du droit à la preuve, Sem. soc. Lamy, 11 septembre 2023.

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Procédure civile

[Jurisprudence] L’ordonnance homologuant une transaction doit être notifiée pour pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée

Réf. : Cass. civ. 2, 26 octobre 2023, n° 21-19.844, FS-B N° Lexbase : A42771P4

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par Charles Simon, Avocat au barreau de Paris, administrateur de l’Association des avocats et praticiens des procédures et de l’exécution (AAPPE) et de Droit & Procédure

Le 14 Décembre 2023

Mots-clés : transaction • homologation • matière grâcieuse • notification • exécution forcée

La Cour de cassation jette un pavé dans la mare en posant que l’ordonnance homologuant une transaction doit être notifiée avant de pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée. En effet, si le raisonnement de la Cour paraît formellement logique, l’arrêt lui-même est ambigu sur son champ d’application et laisse par ailleurs ouverte la question de la personne devant procéder à la notification de l’ordonnance d’homologation. Outre qu’il est appelé à modifier les pratiques, cet arrêt garde donc une part d’ombre qui risque de susciter d’autres problèmes à l’avenir.


 

Un arrêt de la Cour de cassation se positionne sur une question qui ne devrait pas se poser, au moins en théorie : l’inexécution de l’amiable.

Une banque bénéficie d’une créance constatée par un acte notarié à l’encontre d’une société civile immobilière (SCI). Celle-ci n’exécute manifestement pas ses obligations puisqu’une transaction est signée. Rien d’anormal jusque-là. C’est la suite qui ne devrait pas exister puisque l’amiable ne débouche pas sur une exécution volontaire de la partie auparavant défaillante.

Malgré l’accord, la SCI n’exécute en effet manifestement toujours pas ses obligations, soit qu’elle ait été immédiatement en défaut soit qu’elle ait commencé à s’exécuter puis qu’elle ait arrêté, le rappel des faits de l’arrêt de cassation ne le précise pas. En conséquence, la banque entame une procédure de saisie immobilière, sur la base de son acte notarié et de l’ordonnance d’un « juge des référés » (plus vraisemblablement un juge des requêtes) ayant conféré force exécutoire à la transaction.

Mais la SCI conteste la saisie et l’affaire monte en cassation. La Cour de cassation soulève alors un moyen de pur droit tenant à l’absence de notification de l’ordonnance d’homologation.

En effet, pour faire l’objet d’une exécution forcée, les jugements doivent d’abord avoir été notifié, ce qui n’était pas le cas en espèce de l’ordonnance d’homologation.

Nous verrons d’abord le raisonnement de la Cour de cassation (I). Celui-ci est formellement logique mais il crée, à notre sens, des incertitudes sur deux points (II). Premièrement, la Cour de cassation semble limiter sa solution au cas où l’homologation n’a pas été demandée par l’ensemble des parties à la transaction. Or, on ne voit pas ce qui justifie cette limitation dans le raisonnement de la Cour de cassation (A). Deuxièmement, l’arrêt est muet sur qui doit notifier l’ordonnance d’homologation. Spontanément, on pense aux parties mais cela pourrait bien être le greffe si la demande d’homologation relève de la matière amiable comme il nous le semble (B).

I. La solution posée : l’ordonnance d’homologation d’une transaction est un jugement devant être préalablement notifié pour pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée

Cinq textes fondent le raisonnement de la Cour de cassation pour arriver à la conclusions qu’une ordonnance homologuant une transaction doit être préalablement notifiée pour pouvoir faire l’objet d’une exécution forcée. Ces cinq textes peuvent eux-mêmes être divisés en trois groupes :

Le premier de ces textes, l’article L. 111-3, 1° du Code des procédures civiles d’exécution, élève au rang de titre exécutoire les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire.

Le deuxième, l’article 503, alinéa 1er du Code de procédure civile, prévoit que les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n'en soit volontaire.

Les trois derniers, les articles 1565 à 1567 du Code civil, prévoient la procédure d’homologation judiciaire par laquelle le juge confère force exécutoire à une transaction intervenue entre les parties, soit dans le cadre d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative soit hors de ces modes de règlement amiable des différends. L’article 1566 du Code civil N° Lexbase : L2334C3T prévoit que le juge statue sur requête et parle de décision. Il s’agit du nom vernaculaire de ce qui s’appelle un jugement en droit processuel.

En tout état de cause, à partir de ces trois textes, la Cour de cassation déduit que :

  • l’ordonnance d’homologation d’une transaction est un jugement ;
  • il n’est pas possible d’appliquer à cette ordonnance le droit commun des ordonnances sur requête des articles 493 N° Lexbase : L6608H7U à 498 N° Lexbase : L6833LES du Code de procédure civile dès lors que les articles 1565 à 1567 du Code de procédure civile instaurent un régime particulier. Est ainsi en particulier exclu l’article 495 du Code de procédure civile en son alinéa 2 qui prévoit que l’ordonnance sur requête est exécutoire sur minute ;
  • l’exécution sur minute étant écartée, l’ordonnance d’homologation d’une transaction doit, comme tout jugement, être notifiée au préalable pour faire l’objet d’une exécution forcée.

En conséquence, la Cour de cassation prononce la cassation de l’arrêt d’appel qui avait retenu que l’ordonnance d’homologation suivait le régime des ordonnances sur requête et était exécutoire sur minute.

Formellement, le raisonnement est limpide. En particulier, le régime des articles 495 et suivants du Code de procédure civile paraît effectivement difficilement conciliable avec la philosophie amiable sous-tendant l’homologation d’une transaction. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article 495 du Code de procédure civile qui définit l’ordonnance sur requête comme « une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ». Ce n’est pas le cas de la requête en homologation d’une transaction qui peut être conjointe.

Pour être formellement logique, la solution retenue par la Cour de cassation n’en soulève pas moins deux problèmes pratiques majeurs.

II. Les incertitudes créées : toutes les ordonnances d’homologation doivent-elles être notifiées et qui doit les notifier ?

A. L’obligation de notification est-elle réductible aux seules ordonnances d’homologation qui n’ont pas été demandées par l’ensemble des parties à la transaction ?

Premier problème, une fois le raisonnement ci-dessus posé, la Cour de cassation conclut :

« il résulte de ce qui précède que lorsqu’une partie entend poursuivre l’exécution forcée d'une transaction, elle doit saisir le juge d'une requête à fin d’homologation. N’étant pas dissociable de la transaction à laquelle elle confère force exécutoire, l’ordonnance d'homologation doit, lorsqu’elle a été rendue à la requête de cette seule partie, être notifiée, conformément aux dispositions de l'article 503 du Code de procédure civile, à la partie contre laquelle l’exécution est poursuivie. »

Alors que rien dans le raisonnement qui précède ne le justifie, la Cour de cassation semble donc limiter l’obligation de notifier l’ordonnance d’homologation à la partie contre laquelle on entend exécuter au seul cas où cette ordonnance n’a pas été rendue à la demande de l’ensemble des parties.

L’article 503 du Code de procédure civile ne nous semble pourtant pas permettre une telle distinction. Il dit uniquement :

« les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n'en soit volontaire. »

La Cour de cassation a d’ailleurs déjà eu l’occasion de juger que tant la connaissance du jugement, que celle de son caractère exécutoire étaient indifférentes en ce qui concerne l’obligation de notification préalable avant l’exécution forcée. C’est ainsi que la Cour de cassation a cassé un arrêt d’appel qui avait maintenu une saisie aux motifs d’une absence de notification du jugement fondant la mesure (Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 19-21.994, F-P N° Lexbase : A25344SN), alors même que :

  • le débiteur avait nécessairement connaissance de ce jugement, puisqu’il en avait fait appel ;
  • le jugement était définitif et donc exécutoire en application de l’article 504 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6621H7D, le débiteur s’étant désisté de son appel.
Conseil pratique : même lorsque l’homologation de la transaction a été demandée par l’ensemble des parties, la partie qui entend l’exécuter de façon forcée contre une autre sera bien inspirée de s’assurer au préalable de sa notification.

C’est alors que le second problème surgit : notifier, oui, mais par qui ?

B. Est-ce aux parties à la transaction ou au greffe de procéder à la notification de l’ordonnance d’homologation ?

Instinctivement, on peut penser que c’est aux parties de notifier l’ordonnance d’homologation, en particulier celle qui entend exécuter la transaction homologuée contre une autre. En effet, l’article 675 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6868LE4 pose, en son alinéa 1er , que les jugements sont notifiés par voie de signification à moins que la loi n’en dispose autrement. « Par voie de signification » signifie par acte d’huissier aux termes de l’article 651 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6814H7I.

Mais l’alinéa 2 de l’article 675 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6868LE4 prévoit, par exception, que, en matière gracieuse, les jugements sont notifiés par le greffier de la juridiction, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Or, l’homologation judiciaire d’une transaction ressemble fortement à une demande gracieuse, sous trois angles au regard des textes.

Premier angle, l’article 25 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1159H4P prévoit que le juge statue en matière gracieuse lorsqu’en l’absence de litige il est saisi d’une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant, qu’elle soit soumise à son contrôle.

Pour être qualifiée de gracieuse, une demande doit donc remplir trois critères : absence de litige ; exigence de la loi et contrôle du juge. Tous sont réunis ici.

En effet :

  • il n’existe, par définition, pas de litige quand une demande d’homologation d’une transaction est faite, la transaction ayant terminé une contestation ou ayant prévenu sa naissance aux termes de l’article 2044 du Code civil N° Lexbase : L2431LBN ;
  • la loi exige bien que la demande d’homologation soit soumise à un juge aux termes de l’article 1565 alinéa 1er du Code de procédure civile N° Lexbase : L5924MBZ ;
  • même s’il ne peut en modifier les termes, en application de l’article 1565 alinéa 3 du Code de procédure civile [LXB=L2333C3S], le juge exerce un contrôle sur la demande d’homologation, portant sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes mœurs (Cass. civ. 1, 14 septembre 2022, n° 17-15.388, FS-B N° Lexbase : A99638HH) ;

Deuxième angle, l’article 1566 alinéa 3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5923MBY prévoit que l’appel contre la décision qui refuse d’homologuer l’accord est jugé selon la procédure gracieuse. C’est au moins un indice de la nature gracieuse de la demande d’homologation.

Troisième angle, les articles 1565 à 1567 du Code civil qui portent sur l’homologation judiciaire des accords issus de médiations, conciliations ou procédures amiables ne sont pas les seuls textes applicables en l’espèce. Il faut aussi tenir compte des articles 127 N° Lexbase : L8650LYZ à 131-15 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5937MBI qui fixe le régime de la conciliation et de la médiation judiciaire.

L’article 131 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8492K7N prévoit expressément que l’homologation par le juge du constat d’accord établi par le conciliateur de justice relève de la matière gracieuse. De même de l’accord issu de la médiation aux termes de l’article 131-12 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5985MBB.

Tout pointe donc vers une nature gracieuse de l’ordonnance d’homologation d’une transaction. En conséquence, c’est au greffe de la notifier non seulement aux parties mais aussi aux tiers dont les intérêts risquent d’être affectés par la décision, en application de l’article 679 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6862H7B.

Cette obligation n’empêche bien sûr pas les parties, si elles le souhaitent, de doubler la notification par le greffe par une notification par huissier, c’est-à-dire une signification, aux termes de l’article 651 alinéa 3 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6814H7I.

Reste que, à l’heure actuelle, les greffe ne notifient pas les ordonnances d’homologation des transactions. Si donc notre analyse sur la nature gracieuse de ce jugement est exacte, la Cour de cassation vient de donner un travail supplémentaire conséquent aux greffes, sans que personne ne demande rien.

Conseil pratique : lorsqu’une ou plusieurs parties ou l’ensemble des parties à une transaction demandent l’homologation d’une transaction, elles seront bien inspirées de s’assurer auprès du greffe s’il va procéder à la notification de l’ordonnance d’homologation aux parties. Si le greffe ne notifie pas et qu’une partie entend procéder à l’exécution forcée de la transaction, elle devra procéder à la notification de l’ordonnance d’homologation par voie d’huissier, c’est-à-dire par signification.

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Procédure civile

[Panorama] Entre revirements, évolutions et rappels utiles : dix arrêts à retenir rendus au mois d’octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans le champ de la procédure civile et des voies d’exécution

Réf. : Cass. civ. 2, 26 octobre 2023, trois arrêts, n° 22-16.185, F-B N° Lexbase : A42781P7 ; n° 21-23.012, F-B, N° Lexbase : A42801P9 ; n° 21-22.315, FS-B N° Lexbase : A42911PM ; Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, sept arrêts, n° 21-21.007, FS-B N° Lexbase : A17091KI ; n° 22-16.906, F-B N° Lexbase : A17101KK ; n° 21-21.534, F-B N° Lexbase : A17121KM ; n° 22-14.430, F-B N° Lexbase : A17171KS ; n° 21-23.235, F-B N° Lexbase : A17081KH ; n° 22-13.863, F-B N° Lexbase : A20421KT ; n° 21-17.190, F-B N° Lexbase : A17131KN

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par Yannick Ratineau, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Co-directeur de l’Institut d’Études Judiciaires de Grenoble, Co-directeur de la revue BACAGe (Bulletin des Arrêts de la Cour d’Appel de Grenoble), Centre de Recherches Juridiques – EA 1965

Le 13 Décembre 2023

Mots-clés : litispendance • identité partielle de la matière litigieuse • déféré • pourvoi • incompétence territoriale • erreur procédurale • régularisation • déclaration d’appel • caducité • conclusions • irrecevabilité • annexe • effet dévolutif • commandement • péremption • relevé d’office • audience

Dans dix arrêts rendus au mois d’octobre 2023 dans le champ de la procédure civile, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation procède à un important revirement de jurisprudence, prononce des solutions nouvelles, assouplit certaines de ces solutions antérieures, et opère quelques rappels utiles.


 

Parmi la multitude des arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans le champ de la procédure civile et des voies d’exécution durant le mois d’octobre 2023, dix d’entre eux ont retenu notre attention en raison de leur intérêt jurisprudentiel, et des réflexions qu’ils suscitent. Certains témoignent de la volonté de la deuxième chambre civile d’assouplir certaines solutions jugées trop rigides ou trop formalistes, à l’aune notamment des enseignements tirés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Il en est ainsi lorsqu’elle admet, par exemple, que l’identité partielle de la matière litigieuse constitue un cas d’admission de la litispendance, ou qu’elle consacre un droit à la régularisation de l’erreur procédurale au profit de l’appelant ayant saisi une cour d’appel incompétente. Gardienne des droits fondamentaux et des libertés individuelles en vertu de l’article 66 de la Constitution N° Lexbase : L0895AHM, elle se montre attentive à la préservation des droits processuels des parties au procès en consacrant un droit à l’audience devant le conseiller de la mise en état statuant sur la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions. D’autres solutions sont plus attendues, notamment lorsqu’elle rappelle qu’en présence d’un appel total, l’effet dévolutif n’opère pas, ou qu’elle confirme les enseignements qui avaient été tirés de son avis du 2 juillet 2022 relatif à l’annexe à la déclaration d’appel [1]. Il sera également observé que plusieurs arrêts concernent le déféré, qui, s’il ne constitue pas une voie de recours tend pourtant à la devenir progressivement sous l’influence de la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation… Bien d’autres thématiques encore sont traitées encore dans ce panorama.

  • L’annexe à la déclaration d’appel : heureuses confirmations ! (Cass. civ. 2, 26 octobre 2023, n° 22-16.185, F-B N° Lexbase : A42781P7)

L’on se souvient que, depuis le 1er septembre 2017, l’ensemble des déclarations d’appel introduites le sont au moyen d'une annexe, car l'article 901 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5914MBN, modifié par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile N° Lexbase : L5564MBP, précisait, jusqu’à sa modification par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 N° Lexbase : L5564MBP, accompagné d’un arrêté du même jour modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel N° Lexbase : L5628MB3, que la déclaration d'appel est faite par un acte contenant, notamment, « les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ». Assez rapidement, les avocats avaient constaté que la capacité du RPVA – limitée à ce moment-là à 4 080 caractères – ne permettait pas toujours de renseigner l’intégralité des chefs de jugement critiqués. Une circulaire de la chancellerie du 4 août 2017 [2] avait donc proposé que, « dans la mesure où le RPVA ne permet l'envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d'appel une pièce jointe la complétant afin de lister l'ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d'appel ». Nombre d'avocats avaient donc pris l’habitude de renseigner les éléments d'identification des appelants, des intimés et de la décision attaquée, comme d'habitude par voie électronique, et annexait un fichier joint afin de préciser les chefs de jugement critiqués. Mais c’était sans compter que la circulaire précitée conditionnait la possibilité de joindre une annexe à la déclaration d’appel à la contrainte technique liée aux 4 080 caractères du RPVA. Et c'est ainsi qu’un contentieux particulièrement nourri devait naître devant les cours d’appel. Souhaitant mettre fin à une pratique qui devait rester exceptionnelle, mais qui s’était en réalité généralisée, la Cour de cassation était venue affirmer que les chefs de jugement critiqués doivent figurer dans la déclaration d'appel qui est un acte de procédure se suffisant à lui seul, et que l'appelant peut la compléter par un document faisant corps avec elle, et auquel elle doit renvoyer, à la condition de justifier d'un empêchement technique [3]. Cette jurisprudence, qui avait suscité l’émoi bien légitime des professionnels du droit, a été désavouée par le législateur à l’occasion du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et de l’arrêté du même jour modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 N° Lexbase : L1630LXN relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, qui a modifié l’article 901 du Code de procédure civile, lequel dispose depuis, en son alinéa 1er, que « La déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 N° Lexbase : L8645LYT et par le cinquième alinéa de l’article 57 N° Lexbase : L9288LT8, et à peine de nullité […] ». Depuis le 27 février 2022, date d’entrée en vigueur de ces textes, la déclaration d'appel est donc devenue un acte de procédure qui, le cas échéant lorsque la communication électronique est imposée, peut prendre la forme de deux fichiers, un fichier XML (qui fait l’objet d’un traitement automatisé) et un fichier PDF contenant une annexe éventuelle. La Cour de cassation devait prendre acte, dans un avis du 8 juillet 2022 [4], des modifications apportées à l’article 901 du Code de procédure civile, et avait précisé à cette occasion, d’une part, que le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 sont immédiatement applicables aux déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré ; d’autre part, qu’une déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du Code de procédure civile même en l'absence d'empêchement technique. C’est précisément ce qu’elle rappelle dans un arrêt rendu le 26 octobre 2023 qui apporte plusieurs confirmations, mais pose également certaines interrogations…

En l’espèce, des difficultés étant survenues au cours des opérations de partage de la succession d’une personne décédée, un tribunal de grande instance a ordonné le partage et la liquidation de la communauté ayant existé entre le défunt et son conjoint, puis de la succession et a désigné le président de la chambre des notaires de l'Hérault pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage de cette succession. L’épouse du défunt a relevé appel de cette décision par déclaration du 3 mars 2020. Sa déclaration d’appel ne comportant visiblement pas les chefs de jugement critiqués à en croire le pourvoi, elle devait régulariser cette situation en joignant à sa déclaration d’appel une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués.

Par arrêt en date du 31 mars 2022, la cour d’appel de Montpellier a jugé que la déclaration d'appel était privée de tout effet dévolutif en ce qu’elle ne faisait mention d'aucun chef du jugement que l'appelante entendait voir critiquer et que, par ailleurs, il n'était fait état d'aucune difficulté technique susceptible de justifier de l'utilisation d'une pièce jointe telle que prévue par la circulaire du 4 août 2017, de sorte qu’elle ne se considérait saisie d'aucune demande.

Un pourvoi en cassation fut bien évidemment formé par l’appelante au sein duquel elle faisait grief à la cour d’appel d’avoir jugé que sa déclaration d'appel en date du 3 mars 2020 était privée de tout effet dévolutif, alors qu'une déclaration d'appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction et ce, même en l'absence d'empêchement technique. Le pourvoi indique notamment qu'en l'espèce, l’appelante a « régularisé une déclaration d'appel à laquelle était jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués » [5], ce qui constituait un acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du Code de procédure civile sans qu'elle n'ait à justifier d'un empêchement technique. De fait, en jugeant pourtant qu'en l'absence de difficultés techniques et à défaut d'avoir mentionné dans la déclaration d'appel les chefs de jugement critiqués, l'appel tel que formulé était dépourvu de tout effet dévolutif, la cour d'appel a violé, pour la demanderesse au pourvoi, l'article 901 du Code de procédure civile.

Dans son arrêt du 26 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l’article 901 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022, casse et annule l’arrêt rendu le 31 mars 2022 par la cour d’appel de Montpellier au motif que, selon ce texte, la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Reprenant les éléments de l’avis du 8 juillet 2022, la Cour de cassation rappelle avoir notamment dit que le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré, ce dont elle déduit que, l'instance devant une cour d'appel étant introduite par une déclaration d'appel prenant fin avec l'arrêt que rend cette juridiction, soit en l'espèce l'arrêt du 31 mars 2022, le décret du 25 février 2022 était donc bien applicable au litige, de sorte que la cour d'appel était tenue, au besoin d'office, de faire application de ce nouveau texte. Pour la Cour de cassation, en statuant comme elle l’a fait, alors que cette déclaration d'appel à laquelle était jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Le premier apport de l’arrêt commenté tient dans l’application dans le temps de la réforme opéré par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et de l’arrêté du même jour, puisque la Cour de cassation reprend ici le raisonnement qu’elle avait suivi dans son avis du 2 juillet 2022 en se fondant manifestement sur l’article 2 du Code civil N° Lexbase : L2227AB4 ; texte à partir duquel elle a dégagé des solutions de principe, dont celle de l'application immédiate de la loi nouvelle aux instances en cours [6]. Pour rappel, en vertu de ce principe, la loi nouvelle peut être appliquée aux instances en cours et aux instances à venir, ce qui provoque l’exclusion de son champ d’application les actes valablement passés sous l'empire de la loi ancienne, lesquels ne peuvent pas être remis en cause par la loi nouvelle, ainsi que les actes irrégulièrement pris dans le passé, lesquels ne peuvent être validés par la loi nouvelle. Ce qui s’applique à la loi a vocation à s’appliquer aux dispositions nouvelles issues d’actes réglementaires, ce qui est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État qui décide de longue date que les décrets et arrêtés ne peuvent avoir un caractère rétroactif [7], ces derniers ne disposant que pour l’avenir [8]. L’on sait depuis son avis du 3 juin 2021 [9] que, pour la Cour de cassation, l’appel constitue une instance à part entière qui est introduite par la déclaration d'appel, et qui prend fin avec l'arrêt que rend la cour d’appel. Rapporté aux faits de l’espèce, l’instance d’appel a donc débuté par la déclaration d’appel introduite par l’appelante le 3 mars 2020, et a pris fin avec l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 31 mars 2022. Dans ce laps de temps est effectivement intervenu le décret du 25 février 2022 dont la Cour de cassation, dans son avis du 2 juillet 2022, a reconnu l’application immédiate aux instances en cours, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré. Tel n’était pas le cas ici, et donc ce texte était bien applicable au présent litige, ce dont la Cour de cassation en déduit fort justement que, « la cour d'appel [ était] tenue, au besoin d'office, de faire application de ce nouveau texte ». Si l’arrêt est intéressant, ce n’est pas tellement sur ce premier apport qui était relativement prévisible, voire attendu, mais plutôt sur le second…

Le second apport de l’arrêt réside dans la confirmation de la généralisation de l’emploi de l’annexe à la déclaration d’appel qui n’est donc plus conditionné par l’existence d’un empêchement technique. L’on se souvient que, dans son arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de cassation avait approuvé une cour d'appel d'avoir dit que le document joint (l’annexe) ne valait pas déclaration d'appel, sauf à justifier d'un « empêchement technique à renseigner la déclaration ». Cette précision avait soulevé de nombreuses interrogations : l'annexe était-elle le complément de l'acte d'appel uniquement en cas de contrainte technique ? Les avocats pouvaient-il mentionner tous les chefs de jugement critiqués directement sur une annexe qui faisait corps avec la déclaration d'appel ou devait-il commencer par les préciser sur l'acte d'appel et poursuivre sur une annexe pour que celle-ci fasse corps avec l'acte d'appel ? Une déclaration d'appel avec seulement les éléments d'identification des parties et la décision attaquée pouvait-elle être complétée, en cas de contrainte technique, par une annexe sur laquelle figurerait l'ensemble des chefs de jugement critiqués ? Des pratiques disparates étaient nées selon les ressorts. Si certains cabinets préféraient inclure une phrase de type « compte tenu de la contrainte technique liée au nombre limité de caractères, une annexe à la déclaration d'appel est établie », d’autres se contentaient d’une simple indication du renvoi à une annexe dans la déclaration d’appel. Si la modification de l’article 901 du Code de procédure civile, pour préciser désormais que « La déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité… », était donc apparue comme une avancée, l’emploi de l’expression « le cas échéant » avait généré quelques incertitudes que l’arrêt du 26 octobre 2023 dissipe. En effet, dans son avis du 8 juillet 2022, la Cour de cassation ne s’était pas privée de rappeler le pouvoir réglementaire à ses obligations en ce qui concerne l’intelligibilité des textes qu’il produit, en relevant l’ambiguïté de l'expression « le cas échéant » figurant à l'article 901 du code précité modifié par le décret du 25 février 2022, laquelle pourrait renvoyer à une condition d'utilisation de l'annexe, tel l'empêchement technique… Avec l’arrêt du 26 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation montre qu’il n’en est rien ! Comme elle le rappelle dans son arrêt, « l’annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel ». La déclaration d’appel peut donc prendre la forme de deux fichiers, un fichier XML et un fichier PDF, contenant le cas échéant une annexe, qui doit comprendre obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 du Code de procédure civile (autrement dit, les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57  du même code ; la constitution de l’avocat de l’appelant ; l’indication de la décision attaquée ; et l’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté). De fait, l’alinéa 5 de l’article 901 qui prévoit que « les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible » ne figure pas parmi les mentions obligatoires dans le fichier XML de la déclaration d’appel.

À retenir : Les chefs du jugement critiqués peuvent figurer dans une annexe jointe sous la forme d’un fichier PDF, et ce, même en l’absence d’un empêchement technique. L’annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel.

  • Effet dévolutif de l’acte d’appel : la mention « appel sur toutes les dispositions du jugement » ne suffit pas ! (Cass. civ. 2, 26 octobre 2023, n° 21-23.012, F-B, N° Lexbase : A42801P9)

Depuis l’entrée en vigueur des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 [10] qui a modifié, notamment, l’article 562 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7233LEM, l'appel « général » - ou « total » - de la décision de première instance est prohibé, du moins quand l'acte d’appel ne tend pas à l'annulation du jugement ou que l'objet du litige n'est pas indivisible. L’appelant a donc, depuis cette date, l’obligation de lister les chefs de jugement critiqués dans sa déclaration d’appel. La circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret du 6 mai 2017 [11] est venue préciser utilement que, dans l’hypothèse où aucun chef de jugement n'est critiqué expressément, il n'y a pas d'effet dévolutif. La sanction pouvait sembler sévère, mais finalement à la hauteur des enjeux et de l’objectif poursuivi par le décret du 6 mai 2017. Si, dans un premier temps, la Cour de cassation n’a pas suivi la solution préconisée par la circulaire du 4 août 2017, en limitant la sanction encourue par l’appelant dont la déclaration d’appel ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués à l’hypothèse d’une nullité pour vice de forme, régularisable dans le délai imparti à l’appelant pour conclure, et d’autre part, qu’il ne résulte de l’article 562 du Code de procédure civile, elle avait par la suite élargi l’éventail des sanctions, à l’occasion d’un arrêt rendu le 30 janvier 2020 [12], en se ralliant à la solution préconisée par la circulaire du 4 août 2017, à savoir : l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel. Ainsi, sauf hypothèse dans laquelle l'acte d’appel tend à l'annulation du jugement ou que l'objet du litige est indivisible [13], l’appelant doit faire apparaître les chefs de jugement critiqués dans sa déclaration d’appel, lesquels regroupent les dispositions du jugement statuant  sur les demandes, partiellement ou totalement, rejetées formées par l’appelant en première instance, ainsi que les demandes de première instance, accueillies par le premier juge et faisant grief à l’appelant, de l’adversaire ; mais également les éventuelles demandes sur lesquelles le juge de première instance aurait omis de statuer et qui ne figuraient donc pas au dispositif de la décision de première instance [14], ou encore les éventuelles condamnations prononcées par le juge, telle l’amende civile [15]. Naturellement, la mention des chefs de jugement renverra nécessairement aux demandes formées par les parties devant le tribunal lorsque le juge de première instance se sera contenté, dans le dispositif de sa décision, de statuer en déboutant les parties de toutes leurs demandes, fins et conclusions, sans autre forme de précision. Les chefs de jugement critiqués sont en principe reproduits dans le champ « objet/portée de l’appel », prévu à cet effet par le formulaire de déclaration d’appel en ligne. Au regard de ces règles strictement appliquées par la Cour de cassation, il nous avait semblé, alors que nous commentions l’arrêt du 30 janvier 2020 [16], que les formulations visant de façon générale « l'ensemble des chefs de jugements » ou « tous les chefs de jugement » devaient être proscrites en ce qu’elles pouvaient parfaitement être assimilées à un appel « total » déguisé. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 octobre 2023 vient nous donner raison.

En l’espèce, un salarié conteste son licenciement devant un conseil de prud'hommes. Le 7 janvier 2019, il interjette appel du jugement en date du 20 décembre 2018 de ce conseil de prud'hommes ayant notamment dit son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'ayant débouté de l'ensemble de ses demandes. Par arrêt en date du 27 mai 2021, la Cour d’appel de Grenoble infirme le jugement et condamne l’employeur à payer à son salarié la somme de 27 900 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et une indemnité de procédure de 2 000 euros, ainsi qu'aux dépens de première instance.

Un pourvoi en cassation est formé par l’employeur qui reproche à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait, alors que seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement, et que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, et la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande. Or, en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la déclaration d'appel du salarié « porte comme mention s'agissant de « l'objet/portée de l'appel : appel sur toutes les dispositions du jugement », et qu'en retenant, pour infirmer le jugement entrepris, que « quoique l'appelant n'ait pas énuméré l'ensemble des dispositions du jugement, la déclaration d'appel en visant « toutes » les dispositions, a nécessairement opéré l'effet dévolutif pour la totalité du dispositif du jugement du conseil de prud'hommes de Grenoble du 20 décembre 2018 » alors qu’elle aurait dû considérer qu'en l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel, elle n'était saisie d'aucune prétention, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 562 et 901-4° du Code de procédure civile N° Lexbase : L5914MBN.

La cassation prononcée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 562 et 901-4 du Code de procédure civile, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, dans son arrêt rendu le 26 octobre 2023, ne devrait donc surprendre personne. Même si la solution était attendue, la Haute juridiction prend non seulement la peine de rappeler le raisonnement qui la fonde, mais également de rappeler, selon elle, sa conformité aux canons du droit à un procès équitable.

Dans l’arrêt rapporté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 562 du Code de procédure civile, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas. Cette sanction étant particulièrement sévère pour les plaideurs, elle rappelle également que l’article 901-4 du Code de procédure civile, la déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, ce dont elle déduit, d’une part, que ces règles encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures avec représentation obligatoire qui résultent clairement des textes applicables, sont dépourvues d'ambiguïté et présentent un caractère prévisible. Leur application immédiate aux instances en cours ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni au droit à un procès équitable, et qu’il n'y a, dès lors, pas lieu de différer les effets de celles-ci ; d’autre part, qu’elles ne restreignent pas l'accès au juge d'appel d'une manière ou à un point tel que ce droit s'en trouve atteint dans sa substance même. Elles poursuivent un but légitime au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, en l'occurrence une bonne administration de la justice, et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'accès au juge d'appel, un rapport raisonnable de proportionnalité existant entre les moyens employés et le but visé [17].

À retenir : La déclaration d'appel qui porte comme seule mention, s'agissant de l'objet/portée de l'appel, « appel sur toutes les dispositions du jugement », ne mentionne pas les chefs du jugement expressément critiqués, de sorte que l’effet dévolutif n’opère pas, la cour d'appel n'étant donc saisie d'aucune demande.

  • Consécration d’un droit à l’audience devant le conseiller de la mise en état statuant sur la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions (Cass. civ. 2, 26 octobre 2023, n° 21-22.315, FS-B N° Lexbase : A42911PM).

L’audience constitue le temps fort d’un procès, qu’il soit civil ou pénal. Elle est à la fois un lieu et un temps redouté ou attendu par le justiciable qui va se préparer, des semaines durant, voire des mois parfois, à cet instant durant lequel il va rencontrer son juge. Parfois cette rencontre se déroule dès la phase d’instruction de l’affaire. Dans le riche contentieux de la caducité de la déclaration d'appel, il peut être observé que les articles 902 N° Lexbase : L7237LER et 908 N° Lexbase : L7239LET du Code de procédure civile prévoient qu’elle est prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état qui statue après avoir sollicité les observations écrites des parties. Qui si les parties demandent à être entendues dans le cadre d’une audience ? Celle-ci est-elle de droit bien que les textes ne la prévoient pas, ou le juge dispose-t-il de la faculté de la refuser en se fondant sur les seules dispositions du code de procédure civile ? Il faut se souvenir que, pour le Conseil constitutionnel, l’audience est une composante du procès équitable. Il lui a d’ailleurs donné, en ce sens, la valeur d’une « garantie légale » des droits processuels constitutionnels dont les parties disposent [18]. C’est à cette question que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a répondu dans un arrêt du 26 octobre 2023.

En l’espèce, par déclaration du 5 novembre 2019, une salarié relève appel d'un jugement rendu le 28 mars 2019 par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à son employeur. Par ordonnance du 13 octobre 2020, un conseiller de la mise en état constate la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement des articles 902 N° Lexbase : L7237LER et 911-1 N° Lexbase : L7237LER du Code de procédure civile, au motif que l'appelante n'avait pas signifié la déclaration d'appel dans le mois de l'invitation qui lui avait été faite par le greffe le 16 décembre 2019. La salariée a relevé appel de cette ordonnance. Par arrêt en date du 16 juin 2021, la cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance rendue le 13 octobre 2020 par le conseiller de la mise en état, et prononce la caducité de la déclaration d’appel.

Un pourvoi en cassation est formé comportant un second moyen qui fait tout l’intérêt de l’arrêt, et dans lequel la salariée faisait grief à la cour d’appel d’avoir retenu que l’article 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile « ne prévoit pas d'entendre les parties mais impose de solliciter leurs observations écrites. Ainsi, la seule obligation du conseiller de la mise en état est d'inviter les parties à présenter leurs observations », alors « qu'il résulte de l'article 907 du code de procédure civile qu'à moins qu'il ne soit fait application de l'article 905 du Code de procédure civile, l'affaire est instruite sous le contrôle d'un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 780 N° Lexbase : L9318LTB à 807 N° Lexbase : L3381MI3 du code précité, imposant notamment la tenue d'une audience devant le conseiller de la mise en état […]. »

Par arrêt du 26 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après avoir écarté le premier moyen qu’elle juge non fondé, casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, au visa des articles 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, au motif que, selon le premier de ces textes, le conseiller de la mise en état est tenu de solliciter les observations écrites des parties avant de prononcer la caducité de la déclaration d'appel ou l'irrecevabilité des conclusions, tandis qu’il résulte du second que la tenue d'une audience en matière civile constitue l'une des composantes du droit à un procès équitable, ce dont il résulte, pour la Cour de cassation, que, hors les cas où il décide, d'office, d'appeler les parties à une audience, le conseiller de la mise en état, qui statue sur la caducité de la déclaration d'appel ou l'irrecevabilité des conclusions, n'est pas tenu d'organiser une audience, sauf si les parties le lui demandent. Ainsi, en retenant, pour confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état, que l'article 911-1 du Code de procédure civile ne prévoit pas d'entendre les parties, mais impose de solliciter leurs observations écrites et que la seule obligation du conseiller de la mise en état est d'inviter les parties à présenter leurs observations, ce qui a été effectivement fait, alors qu'il résulte de la requête figurant en production que l'appelante avait sollicité une audience, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

L’intérêt de l’arrêt rendu le 26 octobre 2023 réside en ce que la Cour de cassation, au visa des articles 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, rappelle que la tenue d'une audience en matière civile constitue l'une des composantes du droit à un procès équitable, ce que le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion d’affirmer dans sa décision n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 relative à la conformité des procédures sans audience à la Constitution [19] en lui conférant « la valeur d’une garantie légale » des différents droits processuels dont disposent les parties. Pour autant, le Conseil constitutionnel a également reconnu au législateur la compétence pour apporter des limitations à ce principe, et il s’attache à vérifier que la mise en œuvre de procédures juridictionnelles civiles sans audience ne conduit pas à priver de garanties légales l’exercice des droits de la défense et du droit à un procès équitable. Quid du juge ? Le juge peut-il imposer aux parties l’absence d’audience ? L’on sait que cette hypothèse est déjà envisagée par le droit positif puisque l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L0598LTC précité dispose que, « devant le tribunal de grande instance [devenu tribunal judiciaire à la suite de l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 N° Lexbase : L4046LSN, la procédure peut, à l'initiative des parties lorsqu'elles en sont expressément d'accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s'il estime qu'il n'est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l'une des parties en fait la demande. » Mais hors le cas où une disposition prévoit spécialement cette hypothèse, le juge peut-il décider d’écarter l’audience au profit d’un débat contradictoire organisé autour de simples échanges écrits au travers desquels les parties présentent leurs observations ? L’on sait là encore que, pour le Conseil constitutionnel, la possibilité de formuler des observations orales au cours d’une audience ne constitue qu’une modalité d’exercice du principe du contradictoire, dont le respect peut être assuré par des échanges écrits. C’est ce que prévoit le code de procédure civile, notamment pour la caducité de la déclaration d’appel qui est prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état qui statue après avoir sollicité les observations écrites des parties. Comme le faisait observer la cour d’appel, l’article 911-1 du Code de procédure civile ne fait obligation au conseiller de la mise en état que de solliciter les observations écrites des parties, pas de les entendre ! Mais ce raisonnement est censuré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui procède à une lecture combinée de l’article 911-1 du Code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que le conseiller de la mise en état, qui statue sur la caducité de la déclaration d'appel ou l'irrecevabilité des conclusions, n'est pas tenu d'organiser une audience, sauf si les parties le lui demandent. La Cour de cassation consacre ainsi un véritable droit à l’audience au profit des parties devant le conseiller de la mise en état dans la phase d’instruction, du moins lorsqu’il statue sur la caducité de la déclaration d’appel ou sur l'irrecevabilité des conclusions. Dès lors qu’elles sollicitent une audience, le conseiller de la mise en état ne peut se retrancher derrière la lettre de l’article 911-1 du Code de procédure civile pour rejeter ou ignorer cette demande, et solliciter les observations écrites des parties. En revanche, il nous semble qu’une lecture a contrario de la solution retenue dans l’arrêt du 26 octobre 2023 conduit à considérer que l’audience ne s’impose pas au conseiller de la mise en état lorsque les parties n’en font pas la demande, ce dernier pouvant, en application de l’article 911-1 du Code de procédure civile, solliciter simplement leurs observations écrites.

À retenir : Lorsque le conseiller de la mise en état statue sur la caducité de la déclaration d’appel ou sur l'irrecevabilité des conclusions, l’audience est de droit pour les parties qui en font la demande.

  • Consécration d’un droit à la régularisation de l’erreur procédurale au profit de l’appelant ayant saisi une cour d’appel incompétente (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 21-21.007, FS-B N° Lexbase : A17091KI)

En affirmant que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d’une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d’appel interrompu par une première déclaration d’appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d’irrecevabilité n’est intervenue, la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence qui était très attendu ! D’aucuns y verront “la main“ du juge européen qui a condamné la France pour formalisme excessif dans l’arrêt Xavier Lucas c/ France [20]. Pourtant, et sans chercher à minorer l’influence de la jurisprudence de la CEDH sur l’élaboration des décisions de justice par le juge national, force est de constater que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après avoir multiplié les exigences formalistes par une interprétation particulièrement stricte, voire restrictive [21], des dispositions du code de procédure civile, avait déjà donné des signes d’assouplissement dès le début du printemps 2022 [22]. L’arrêt rapporté s’inscrit assurément dans ce changement de paradigme amorcé sous la double influence du législateur français [23], ce dont la haute juridiction a pris acte [24], et du juge européen.

En l’espèce, le 7 septembre 2018, un jugement est rendu par un conseil de prud’hommes, lequel est notifié, dans les formes, le 22 octobre 2018, ce qui a pour effet de faire courir le délai d’appel. Le 20 novembre 2018, un premier appel est interjeté devant une cour d’appel qui est territorialement incompétente. Le 18 décembre 2018, un second appel est interjeté devant la cour d’appel territorialement compétente, au-delà du délai initial qui avait expiré le 23 novembre 2018 donc, mais aucune décision définitive de rejet pour motif de fond ou d’irrecevabilité n’avait été rendue au moment où le second appel a été interjeté, celle-ci n’intervenant que le 11 octobre 2019 lorsque la première cour d’appel saisie rend une décision d’irrecevabilité fondée sur son incompétence territoriale. En conséquence de cette décision, la seconde cour d’appel saisie rend à son tour une décision d’irrecevabilité fondée sur le caractère tardif de l’appel. C’est à l’encontre de cet arrêt qu’un pourvoi en cassation est formé, lequel posait à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation la question de savoir si la décision d’irrecevabilité du premier appel fondée sur l’incompétence territoriale de la cour d’appel neutralise rétroactivement l’effet interruptif du délai d’appel associé à ce même appel. L’enjeu était de taille ici ! En effet, dans l’hypothèse où l’effet interruptif est réputé rétroactivement non avenu, le second appel doit être considéré comme tardif. Mais si l’effet interruptif survit, le second appel doit être considéré comme recevable. En appel, l’incompétence territoriale est, en principe, sanctionnée par une irrecevabilité [25] fondée sur les dispositions de l’article R. 311-3 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L6510IAD. La solution retenue par la première cour d’appel qui était territorialement incompétente était donc pleinement justifiée au regard de ce texte. Celle retenue par la seconde cour d’appel l’était aussi au regard de la position de la Cour de cassation sur cette question qui, si elle admettait que la régularisation d’une première déclaration d’appel devant une cour d’appel ne privait pas l’appelant du droit de régulariser une seconde déclaration d’appel devant une autre cour d’appel, notamment en cas d’incompétence de la première, exigeait toutefois que l’appel de régularisation soit relevé dans le délai d’appel initial [26]. Cette solution aboutissait, comme le reconnaît elle-même la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, « à faire rétroagir une décision d’irrecevabilité rendue postérieurement au second appel formé devant la juridiction compétente », de sorte que le second appel régularisé hors délai d’appel initial devait être regardé comme tardif [27]. Cette solution marquait clairement la préférence de la Cour de cassation à l’article 2243 du Code civil N° Lexbase : L7179IA7, au détriment de l’article 2241 du même code N° Lexbase : L7181IA9, aux termes duquel la demande en justice interrompt le délai de forclusion, y compris lorsqu’elle est régularisée devant une juridiction incompétente.

Dans l’arrêt rendu le 5 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation opère donc un revirement de jurisprudence en retenant que « la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d’une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d’appel interrompu par une première déclaration d’appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d’irrecevabilité n’est intervenue ». Elle reconnaît que l’appelant peut régulariser son erreur en relevant un nouvel appel devant la cour d’appel compétente dans le délai d’appel interrompu, pour autant qu’il le fasse avant qu’intervienne la décision définitive d’irrecevabilité du premier appel. Pour la deuxième chambre civile, « Seule cette interprétation est de nature à donner son plein effet à la faculté offerte à l’appelant de régulariser cette fin de non-recevoir en rendant effective l’interruption du délai d’appel résultant de l’application de l’article 2241 du Code civil ». Ce revirement de jurisprudence consacre donc l’hypothèse selon laquelle l’effet interruptif de la première déclaration d’appel survit à l’irrecevabilité de cette dernière lorsqu’elle procède d’un motif d’incompétence. Dans l’arrêt rapporté, la deuxième chambre civile pose toutefois des conditions à cette possibilité offerte à l’appelant qu’il convient d’examiner.

Tout d’abord, à la lecture de l’arrêt, tout un chacun aura compris qu’il n’est pas possible de régulariser un nouvel appel dès lors qu’une décision définitive d’irrecevabilité à l’égard de la première déclaration d’appel mal orientée est rendue. Cette solution nous semble être fondée sur les dispositions de l’article 911-1, alinéa 3, du Code de procédure civile N° Lexbase : L7243LEY qui prohibe, en ce cas, la réitération d’un appel principal. Sur ce point, il sera rappelé que, dans la mesure où l’ordonnance du conseiller de la mise en état (en circuit long) et celle du président de chambre ou du magistrat désigné par le premier président (en circuit court) ne sont pas des décisions définitives d’irrecevabilité, puisqu’elles sont, l’une comme l’autre, susceptibles de faire l’objet d’un déféré [28], rien n’empêche donc l’appelant de régulariser son erreur dans le délai de déféré. Si aucun déféré n’est régularisé, l’ordonnance devient définitive au jour de l’expiration du délai pour déférer, lequel court à compter du jour de l’ordonnance, le premier jour étant compté [29]. Si un déféré est régularisé, cela rallonge d’autant le délai de régularisation, jusqu’au jour où la cour d’appel statue. L’appelant dispose donc de plusieurs sessions de rattrapage de son erreur initiale.

Ensuite, il doit être observé que la nouvelle solution affirmée par la Cour de cassation ne vise que l’hypothèse dans laquelle l’irrecevabilité de la première déclaration d’appel interruptive résulte de l’incompétence de la cour d’appel saisie, en accord avec l’article 2241 du Code civil, ce qui ne sera pas le cas lorsqu’elle résulte d’une autre cause. Quid de l’hypothèse hybride ? En d’autres termes, que se passe-t-il si une déclaration d’appel est déposée devant une cour d’appel incompétente par une personne n’ayant pas qualité pour le faire ? Cette déclaration d’appel est-elle interruptive, et l’interruption survit-elle en ce cas à la décision d’irrecevabilité prononcée par la première cour d’appel saisie ? Tout dépend du contenu du motif d’irrecevabilité retenu par le juge d’appel. Il nous semble que, si la cour d’appel déclare l’appel irrecevable en retenant le motif tiré de son incompétence, l’effet interruptif de la première déclaration d’appel devrait survivre à son irrecevabilité. Mais, si la première cour d’appel déclare l’appel irrecevable en se fondant sur le défaut de qualité à relever appel de l’appelant, l’effet interruptif associé à la première déclaration devrait être neutralisé en principe. Quid si la cour d’appel vise, dans le dispositif de son arrêt, les deux motifs ? La réponse devient ici nettement plus délicate à apporter… Ainsi, il y a fort à parier que ce revirement fera l’objet de précisions dans les mois à venir car, à l’évidence, le principe nouveau posé par l’arrêt du 5 octobre 2023, et qui nous semble devoir être pleinement approuvé en ce qu’il redonne sa pleine effectivité à l’article 2241 du Code civil, est susceptible de soulever, dans les prétoires, quelques difficultés.

À retenir : La régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d’une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d’appel interrompu par une première déclaration d’appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d’irrecevabilité n’est intervenue.

  • Irrecevabilité du déféré de l’ordonnance du président rejetant la caducité de la déclaration d’appel (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 22-16.906, F-B N° Lexbase : A17101KK)

En affirmant que, sur renvoi après cassation, le déféré de l’ordonnance du président rejetant la caducité de la déclaration d’appel est irrecevable, au motif que les articles 1037-1 N° Lexbase : L7045LEN et 916, alinéa 2 N° Lexbase : L8615LYQ du Code de procédure civile n’ouvrent le déféré que s’il est mis fin à l’instance, la Cour de cassation rend une décision qui ne peut emporter que l’adhésion dans un premier temps, et susciter la réflexion dans un second temps. Tout d’abord, parce que si les cas de caducité de déclaration d’appel sont assez nombreux, ceux portant sur la caducité de déclaration de saisine sont assez peu courant en pratique, tout simplement parce que ces procédures de renvoi après cassation ne sont légion non plus. De fait, un arrêt portant sur cette thématique est donc nécessairement intéressant. Ensuite, parce que l’arrêt rapporté l’est d’autant plus, dans le contexte d’une énième réforme annoncée de notre procédure civile, qu’il invite, une fois n’est pas coutume, à faire le constat des nombreuses incohérences de notre droit positif, lesquelles résultent d’un travail législatif qui manque singulièrement de rigueur.

En l’espèce, après cassation, la société Axa saisit la cour d’appel de renvoi, par déclaration de saisine, dans les conditions fixées par l’article 1037-1 du Code de procédure civile, intimant une première société, et une société, en sa qualité de liquidateur judiciaire d’une seconde. L'affaire est fixée à bref délai. Au motif, semble-t-il, que la déclaration de saisine n’aurait pas été signifiée à l’une des parties défaillantes dans le délai de dix jours prévu par l’alinéa 2 de l’article 1037-1 du Code de procédure civile, le président est saisi d’un incident de caducité. Par ordonnance, le président écarte la caducité. L’ordonnance est déférée à la cour d’appel qui déclare le déféré irrecevable. Un pourvoi en cassation est formé dans lequel la demanderesse fait grief à l’arrêt rendu le 30 mars 2022, par la cour d’appel de Toulouse, d’avoir déclaré irrecevable le déféré formé à l’encontre l’ordonnance du président de chambre de la cour d’appel, en invoquant principalement deux arguments.

Le premier argument se fonde sur la violation des articles 1037-1 et 916 du Code de procédure civile par la cour d’appel en ce qu’elle aurait rejeté le déféré au motif que l’ordonnance du premier président n’a pas mis fin à l’instance, alors même que, selon la demanderesse, le président de chambre ou le magistrat désigné par le premier président avait une compétence exclusive pour statuer sur l'incident de caducité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi, et sa décision était assortie de l'autorité de la chose jugée. Par conséquent, cette décision est susceptible d’un recours en déféré, indépendamment du fait qu'elle n'ait pas mis fin à l'instance.

Le second argument se fonde sur le fait que la cour d’appel n’aurait pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, invoquant de nouveau la violation des articles 1037-1 et 916 du Code de procédure civile car, selon la demanderesse, l’article 916 du code précité prévoit que les ordonnances du conseiller de la mise en état peuvent faire l'objet d'un recours en déféré lorsqu'elles statuent sur la caducité de l'appel, et qu’en l’espèce, la cour d'appel a constaté que l'article 1037-1 renvoyait aux dispositions de l'article 916 du même code. Puisque l'ordonnance du 16 mars 2021 statuait sur la caducité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi en rejetant ces demandes de caducité, elle pouvait bien faire l'objet d'un recours en déféré conformément à l'article 916 du code précité.

Par arrêt en date du 5 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi, au visa des articles 1037-1 et 916 du Code de procédure civile, au motif que c’est à bon droit que la cour d’appel a déclaré irrecevable le déféré formé contre l’ordonnance du président de chambre ayant rejeté la demande de caducité de la déclaration de saisie.

Dans la procédure d’appel, en circuit ordinaire tout du moins, l’article 916, alinéa 3, du Code de procédure civile ouvre largement le déféré des ordonnances de mise en état, et la modification de ce texte par le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 [30], entrée en vigueur le 1er janvier 2021, n’y change rien. De fait, lorsqu’un conseiller de la mise en état statue sur une question de caducité, le déféré est ouvert, quelle que soit l’issue de l’incident. Toutefois, dans la procédure sur renvoi de cassation, qui n’est pas une procédure d’appel ordinaire, c’est l’article 1037-1 du code de procédure civile qui régit le cas particulier du déféré des ordonnances du de chambre ou le magistrat désigné par le premier président. Selon ce texte, « Les ordonnances du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président statuant sur la caducité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi ou sur l’irrecevabilité des conclusions de l’intervenant forcé ou volontaire ont autorité de la chose jugée. Elles peuvent être déférées dans les conditions des alinéas 2 et 4 de l’article 916 ». À la lecture de ce texte, l’on comprend donc que, par principe, le déféré de l’ordonnance du président en renvoi de cassation est donc ouvert. Toutefois, l’article 916 du Code de procédure civile, auquel renvoie l’article 1031-7 du même code, et plus précisément son alinéa 2, précise que les ordonnances « peuvent être déférées par requête à la cour dans les quinze jours de leur date lorsqu’elles ont pour effet de mettre fin à l’instance, lorsqu’elles constatent son extinction ou lorsqu’elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps ». En reprenant les hypothèses visées par ce texte, l’on peut immédiatement écarter celle relative au renvoi aux mesures provisoire en matière de divorce ou de séparation de corps qui est sans intérêt ici, et en ce qui concerne le constat de l’extinction, seule la caducité est susceptible d’avoir un intérêt dans la mesure où le président ne pouvait être saisi d’aucun autre incident d’instance. Le problème est qu’en l’espèce, l’on se trouve dans le cas d’une caducité de la citation, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est rigoureusement impossible, à ce jour, de dire si, oui ou non, la citation en renvoi de cassation est la signification de la déclaration de saisine, la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question manquant singulièrement de clarté [31]… En outre, l’extinction doit être constatée, et ce n’est pas le cas si la caducité est écartée, comme c’était le cas en l’espèce. Finalement, il faut comprendre que ce n’est que lorsqu’il est mis fin à l’instance que le déféré est ouvert contre l’ordonnance du président en renvoi de cassation, lequel dispose de pouvoirs très limités en vertu des dispositions de l’article 1037-1 du Code de procédure civile, les alinéas 2 et 7 de ce texte prévoyant seulement qu’il statue sur la caducité de la déclaration de saisine si elle n’est pas signifiée dans le délai de dix jours de l’avis de fixation, et sur l’irrecevabilité des conclusions de l’intervenant forcé ou volontaire [32]. L’arrêt commenté doit être approuvé, nous semble-t-il, même si l’on peut regretter que la Cour de cassation n’a pas jugé opportun d’ajouter à un texte visiblement mal rédigé, comme l’était l’article 916 du Code de procédure civile dans sa version antérieure à la réforme de 2017, en ce qu’il prévoyait un déféré pour l’ordonnance de mise en état qui déclarait irrecevable les conclusions de l’intimé, alors que rien n’était prévu pour l’ordonnance qui déclarait les conclusions recevables, de sorte que seul le pourvoi était ouvert. Pour ce qui nous intéresse ici, l’on pourrait considérer que cette absence de déféré a été réfléchie par le législateur dans l’objectif de ne pas retarder l’issue de la procédure sur renvoi de cassation. Idée séduisante, mais dans ce cas, l’ordonnance du président devrait être dépourvue de toute autorité de chose jugée, de telle sorte que la cour d’appel devrait pouvoir statuer sur cette caducité de la déclaration de saisine. Or l’article 1037-1 du Code de procédure civile dispose que, lorsque le président écarte cette caducité, il n’y a pas de déféré possible, et la cour d’appel ne peut être saisie de cette question puisque le président s’est prononcé par une ordonnance ayant autorité de chose jugée ; ordonnance dont l’autorité de chose jugée s’impose donc à la cour d’appel... En pareille hypothèse, seul le pourvoi sera ouvert, avec l’arrêt au fond, puisque l’ordonnance du président n’aura pas mis fin à l’instance. L’on ne peut que regretter le fait que le législateur n’ait pas opérer un renvoi de l’article 1037-1 à l’alinéa 3 de l’article 916 du même code, plutôt qu’à son alinéa 2, ou alors qu’il n’est pas jugé bon de ne pas conférer autorité de chose jugée aux ordonnances non susceptibles de déféré, ce qui aurait permis à la cour d’appel de statuer de manière définitive sur cette question de procédure. Gageons que la réforme annoncée de notre procédure civile soit l’occasion d’un travail législatif plus rigoureux qui permette de rectifier cette maladresse de renvoi lourde de conséquences. Peut-être pourrait-elle être aussi l’occasion de donner davantage de pouvoirs au président de chambre, que ce soit en circuit ordinaire à bref délai ou en renvoi de cassation, tout en prévoyant que ce pouvoir juridictionnel est partagé avec la cour d’appel [33]. Il convient de rappeler que, lorsque l’affaire a été fixée dans un délai très bref, la saisine du président est susceptible de retarder l’issue de la procédure, surtout si un déféré est formé. Il n’est pourtant pas rare en pratique qu’un incident, parfois tardif, oblige la cour d’appel à annuler les fixations à bref délai pour que soit évacuée la question de procédure, ce qui est contraire à l’exigence de célérité propre au bref délai…

À retenir : sur renvoi après cassation, le déféré de l’ordonnance du président rejetant la caducité de la déclaration d’appel est irrecevable car les articles 1037-1 et 916, alinéa 2, du code de procédure civile n’ouvre le déféré que dans l’hypothèse où il est mis fin à l’instance.

  • Quand le déféré est ouvert, le pourvoi en cassation est irrecevable (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 21-21.534, F-B N° Lexbase : A17121KM)

Définir le déféré est devenu un exercice périlleux auquel nous ne nous livrerons pas ici… Au mieux, il est possible de le présenter comme une spécificité de la procédure d’appel qui permet à un plaideur de contester une décision prise au cours de l’instance, à la condition toutefois qu’un texte le prévoit. Si le déféré concerne essentiellement la procédure d’appel avec représentation obligatoire, à l’occasion de laquelle il peut permettre à un plaideur de contester une ordonnance du conseiller de la mise en état ou du président, en circuit court, et, uniquement lorsqu’il est mis fin à l’instance, dans le cas particulier du renvoi de cassation, il est aussi susceptible de concerner la procédure sans représentation obligatoire [34]. L’explosion des incidents de procédure ces dix dernières années, qui a entraîné la création des audiences d’incident, alors que ces incidents étaient jadis si peu nombreux qu’ils étaient simplement évoqués en conférences de mise en état, a conduit le déféré a prendre une place très importante dans les procédures en appel, au point qu’il est possible de se demander s’il ne tend pas à devenir progressivement une voie de recours que les parties doivent utiliser lorsqu’il est ouvert, comme l’indique la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 octobre 2023, et qui est déjà promis à publication.

En l’espèce, une société se pourvoit en cassation à l’encontre d’une ordonnance du président de chambre d’une cour d'appel, dans une procédure d'appel à bref délai, ayant déclaré caduque la déclaration d'appel formé contre l'ordonnance rendue par le juge-commissaire d’un tribunal de commerce. Le pourvoi a été examiné d'office quant à sa recevabilité. Pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le pourvoi est irrecevable, et précise que, dans une procédure d'appel à bref délai, les ordonnances du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, statuant sur la caducité ou sur l'irrecevabilité en application des articles 905-1 N° Lexbase : L7035LEB et 905-2 N° Lexbase : L7036LEC du Code de procédure civile, peuvent être déférées à la cour d'appel, tout en rappelant que le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'à l'encontre des jugements rendus en dernier ressort.

La solution retenue interroge lorsque la Cour de cassation rappelle que le pourvoi en cassation n’est ouvert qu’au jugement rendu en dernier ressort, principe conforme à l’article 605 du code de procédure civile au visa duquel l’arrêt est rendu. Mais, si l’ordonnance du président n’est pas rendue en dernier ressort, cela reviendrait à suggérer qu’elle l’est en premier ressort, et donc qu’elle peut faire l’objet d’une voie de recours… Or, seul le déféré est disponible à ce stade, et jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas une voie de recours ! L’on peine donc à comprendre l’intérêt de cette précision qui, en réalité, obscurcit plus qu’elle n’éclaire à la compréhension de l’arrêt rapporté, ce d’autant que ce n’est bien évidemment pas la première fois qu’un plaideur fait fi du déféré, et prend le risque de former directement un pourvoi en cassation contre l’ordonnance. La première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà indiqué sur cette thématique que « l’ordonnance du conseiller de la mise en état (…) revêtue de l’autorité de la chose jugée, est devenue irrévocable », ce dont elle avait déduit que « le pourvoi, fût-il formé avec celui dirigé contre l’arrêt au fond, est irrecevable.» [35] De son côté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait également eu l’occasion d’affirmer, au visa des articles 605 N° Lexbase : L6762H7L et 916 du Code de procédure civile, que l’ordonnance du président étant susceptible d’un déféré, le pourvoi n’est pas recevable [36] ! Dans l’arrêt rapporté, il sera remarqué que la Cour de cassation fait que répéter la solution, à la différence qu’elle ajoute cette précision relative au « jugement en dernier ressort » dont on peine à comprendre l’intérêt.

L’arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pose un principe clair : Lorsque l’ordonnance est susceptible d’un déféré, le plaideur qui entend la contester n’a d’autre choix que de former un déféré, la voie du pourvoi en cassation étant indisponible. Et il doit être rappelé que le plaideur ne pourra pas attendre l’arrêt au fond pour former un pourvoi en cassation contre l’arrêt au fond et l’ordonnance de mise en état parce que cette ordonnance étant irrévocable, elle n’est plus susceptible du moindre recours… Et donc d’un pourvoi en cassation. Si le déféré est ouvert, c’est ce recours que le plaideur devra exercer, et seulement lui. Seul l’arrêt sur déféré, qui constitue un jugement en dernier ressort, sera susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation qui pourra être dirigé, éventuellement, contre l’arrêt au fond et contre l’arrêt sur déféré. Ce n’est que dans l’hypothèse dans laquelle le déféré n’est pas ouvert que l’ordonnance de mise en état pourra faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Tel sera le cas, par exemple, des ordonnances de mise en état rendues en 2020, lorsque le conseiller de la mise en état a statué sur les fins de non-recevoir autres que celles de l’article 914 du code de procédure civile. Le déféré n’étant pas ouvert, jusqu’au 1er janvier 2021, il nous semble que, la seule voie de contestation possible de ces ordonnances soit le pourvoi en cassation, notamment en annulation pour excès de pouvoir lorsque les conseillers de la mise en état ont outrepassé leurs pouvoirs juridictionnels, comme en témoigne l’arrêt n° 22-14.430 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 5 octobre 2023 et commenté infra.

À retenir : si le déféré est ouvert pour contester une ordonnance, c’est ce recours que la partie devra exercer, et lui-seul. Il n’y a que dans l’hypothèse où le déféré n’est pas ouvert que l’ordonnance de mise en état, ou rendue par un juge-commissaire d’un tribunal de commerce comme dans l’espèce rapportée, pourra faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

  • Déféré contre les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur les “nouvelles“ fins de non-recevoir (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 22-14.430, F-B N° Lexbase : A17171KS)

Avec le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 [37], le législateur a élargi les pouvoirs juridictionnels du juge de la mise en état à toutes les fins de non-recevoir [38], mais ce qu’il n’a curieusement pas envisagé, c’est qu’en modifiant les pouvoirs de ce dernier, ils modifiait nécessairement, par voie de conséquence, ceux du conseiller de la mise en état, notamment parce que l’article 907 du Code de procédure civile N° Lexbase : L3973LUP renvoie aux textes concernant la procédure de première instance ; renvoi auquel il devrait toutefois être mis un terme à l'occasion de la réforme à venir de la procédure d'appel. Assez rapidement, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a suscité le débat en décidant, dans un avis du 3 juin 2021 [39], que le conseiller de la mise en état pouvait connaître, en appel, de toutes les fins de non-recevoir fraîchement tombées dans l’escarcelle du juge de la mise en état en première instance pour tous les appels formés à compter du 1er janvier 2020. Le problème est qu’au 1er janvier 2020, l’article 916 du code de procédure civile N° Lexbase : L8615LYQ n'ayant pas encore été modifié par le décret n° 2021-1452 du 27 novembre 2020 [40], le conseiller de la mise en état pouvait donc être saisi, mais sans possibilité de déférer son ordonnance à la cour d’appel… C’est ce qui explique que, dans l’avis rendu le 3 juin 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait pris le soin de préciser que « le conseiller de la mise en état ne peut donc statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu'il relève d'office qu'à compter de cette date », soit le 1er janvier 2021, date d'entrée en vigueur de l’article 916 du Code de procédure civile modifié. En d’autres termes, le conseiller de la mise en état ne pouvait statuer, qu'à compter du 1er janvier 2021 et dans des appels formés à compter du 1er janvier 2020, sur des fins de non-recevoir autres que celles prévues à l'article 914 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7247LE7. C’est précisément ce point qui a été négligé par les plaideurs dans une affaire à l’origine d’un arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

En l’espèce, les 10 et 17 janvier 2020, les CSE de deux compagnies aériennes ont relevé appel d’un jugement rendu le 26 novembre 2019 dans une instance les opposant à M. X. Par ordonnance du 19 novembre 2020, un conseiller de la mise en état a rejeté l'incident soulevé par l’intimé, lequel a alors déféré cette ordonnance à la cour d'appel. Par arrêt en date du 2 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a déclaré que le conseiller de la mise en état était incompétent pour statuer sur les fins de non-recevoir. Un pourvoi en cassation est formé dans lequel le demandeur argue de la violation des articles 907 et 789, 6° du Code de procédure civile N° Lexbase : L9322LTG car, selon lui, à la suite du dépôt le 20 mai 2020 des conclusions d’incident de l’intimé, dans lesquelles il soulevait des fins de non-recevoir tirées, notamment, du défaut de capacité et de pouvoir d'ester en justice des deux demandeurs, le CME avait rendu son ordonnance le 19 novembre 2020, soit antérieurement à la possibilité de former un déféré contre une ordonnance statuant sur une fin de non-recevoir.

Par arrêt en date du 5 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que, les nouvelles attributions conférées par le décret du 11 décembre 2019 au conseiller de la mise en état s'exercent sous réserve que soit ouvert contre ses décisions un déféré devant la cour d'appel, juridiction appelée à trancher en dernier ressort les affaires dont elle est saisie, et qu’à cette fin, le décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 a complété l'article 916 du Code de procédure civile pour étendre le déféré aux ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur toutes fins de non-recevoir. Or, comme le précise la Cour de cassation, dans la rédaction antérieure de ce texte, le déféré n'était ouvert qu'à l'encontre des ordonnances par lesquelles ce conseiller tranchait les fins de non-recevoir tirées de l'irrecevabilité de l'appel et celles tirées de l'irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909 N° Lexbase : L7240LEU, 910 N° Lexbase : L7241LEW et 930-1 N° Lexbase : L7249LE9 de ce code, dont la connaissance lui était déjà confiée par l'article 914, dans des conditions spécifiquement fixées par ce texte, ce dont elle déduit que le décret du 27 novembre 2020 étant, au terme de son article 12, alinéa 2, entré en vigueur le 1er janvier 2021, pour s'appliquer aux instances d'appel en cours, le conseiller de la mise en état ne peut statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu'il relève d'office qu'à compter de cette date. La Haute juridiction approuve donc le raisonnement de la cour d’appel qui, ayant constaté que le conseiller de la mise en état avait rendu une ordonnance le 19 novembre 2020 suite aux conclusions d'incident de l’intimé, notifiées le 20 mai 2020, soulevant des fins de non-recevoir tirées notamment du défaut de capacité et de pouvoir d'ester en justice des deux demandeurs, soit antérieurement à la possibilité de former un déféré contre une ordonnance ayant statué sur une fin de non-recevoir, en a exactement déduit que ce conseiller de la mise en état n'était pas compétent pour statuer sur cet incident.

Si la solution de la Cour de cassation semble devoir être approuvée de prime abord, une lecture plus attentive de l’arrêt nous conduit à nuancer ce propos. Il nous semble en effet curieux que la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire approuve une cour d’appel qui se prononce sur un déféré formé le 28 novembre 2020, c’est-à-dire à une date à laquelle, précisément, le déféré n’était pas ouvert… En principe, et c’est ce que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle dans l’arrêt n° 21-21.534 rendu le même jour que l’espèce rapportée, et commenté supra, lorsque le déféré est ouvert, le pourvoi est irrecevable, ce dont il faut donc déduire que, lorsque le déféré est fermé, c'est le pourvoi qui s'ouvre, comme c'était le cas avant la réforme de 2017, lorsque le conseiller de la mise en état rejetait l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé [41]. Par ailleurs, du côté de la cour d’appel, il est possible de s’interroger sur le fait de savoir s’il n’aurait pas été plus pertinent de faire usage du déféré nullité [42] plutôt que de statuer sur un déféré qui n’était pas ouvert ? Le déféré nullité lui aurait permis de prononcer la nullité de l'ordonnance de mise en état, sans aller jusqu’à déclarer le conseiller de la mise en état incompétent, ce qui semble évident lorsque ce dernier statue au-delà de ce que ses pouvoirs juridictionnels lui permettent de faire. Dans cette affaire, sauf si l'arrêt au fond a été rendu entre temps, l’instance se poursuit puisqu’il n’y a pas été mis fin, de sorte que l'intimé va pouvoir enfin saisir le conseiller de la mise en état qui est donc compétent depuis le 1er janvier 2021. Mais l'intimé devra s'interroger sur le fait de savoir si les fins de non-recevoir soumises initialement au conseiller de la mise en état ne lui échappaient pas au profit de la cour d'appel, en ce qu'elles « auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge [43]. » Reste que, au-delà de ce cas d’espèce, tous les avocats savent bien que, depuis 2020, de nombreux incidents ont été formés sur lesquels des conseillers de la mise en état incompétents ont rendu des ordonnances, et des cours d'appel des arrêts sur déféré… Dans ces affaires, les conseillers de la mise en état comme les cours d’appel, parce qu’ils ont excédé les limites de leurs pouvoirs juridictionnels, ont commis des excès de pouvoir qui ont vicié les procédures, dont certaines sont encore en cours… Avec l’arrêt rapporté, les avocats des plaideurs mécontents savent maintenant que ces juges ne pouvaient pas statuer, ce d’autant que ces ordonnances de mise en état et ces arrêts sur déféré ont autorité de chose jugée, ce qui empêche les parties de soumettre ces fins de non-recevoir à la cour d'appel, qui seule pouvait en connaître… Il y a donc fort à parier que dans les mois à venir, la Cour de cassation soit amenée à se prononcer encore sur ce point de procédure dès lors que les plaideurs mécontents de l'arrêt au fond vont pouvoir envisager un pourvoi en cassation contre l'ordonnance, ou l'arrêt sur déféré, et espérer obtenir, par voie de conséquence, une cassation de l'arrêt au fond.

À retenir : le décret du 27 novembre 2020 étant, au terme de son article 12, alinéa 2, entré en vigueur le 1er janvier 2021, pour s'appliquer aux instances d'appel en cours, le conseiller de la mise en état ne peut statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu'il relève d'office qu'à compter de cette date.

  • Quand la Cour de cassation affirme que l’identité partielle de la matière litigieuse constitue un cas d’admission de la litispendance (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 21-23.235, F-B N° Lexbase : A17081KH)

En affirmant, au visa de l’article 100 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1362H49, que si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande, et qu’à défaut d’une telle demande, elle peut le faire d'office, l’o pourrait se dire que l’arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne mérite pas spécialement de retenir l’attention tant la solution est connue de tous. Pourtant, en lisant plus attentivement cette décision, l’on mesure assez rapidement que la haute juridiction va bien au-delà du simple rappel d’une règle connue de tous pour admettre une conception extensive de la litispendance lorsque celle-ci est réalisée dans le cas d’une identité partielle seulement de la matière litigieuse [44].

En l’espèce, le 2 mai 2007, une banque consent à un emprunteur un prêt pour un investissement immobilier. À la suite d'impayés ayant donné lieu à la constatation de la déchéance du terme, la banque assigne son débiteur en paiement devant le tribunal de grande instance de Pontoise le 31 mai 2010. Ce dernier assigne, le 23 juillet 2010, devant le tribunal de grande instance de Marseille, une société ainsi que divers établissements bancaires parmi lesquels la banque, et des notaires afin de voir engager leur responsabilité civile à la suite du dépôt d'une plainte pénale. Le 9 août 2019, le client forme une demande reconventionnelle destinée à mettre en cause la responsabilité de la banque du fait de manquements dans son obligation d’information et de mise en garde et visant au paiement d’une somme résultant de la perte de chance devant le tribunal de grande instance de Pontoise. À la demande de la banque, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Pontoise a, par ordonnance du 22 octobre 2020, constaté que la condition de litispendance était caractérisée entre la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formulée par l’emprunteur à l’encontre de la banque, dont la juridiction était saisie, et son action en responsabilité en cours devant le tribunal de grande instance de Marseille dans le cadre de son action civile. En conséquence, le juge a ordonné le dessaisissement du tribunal de grande instance de Pontoise au profit du tribunal judiciaire de Marseille. L’emprunteur a interjeté appel de cette décision.

La cour d’appel de Versailles, par arrêt en date du 17 juin 2021, confirme l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état au motif que l'exception de litispendance était valable, et a ordonné, en conséquence, le dessaisissement du tribunal de Pontoise. Pour motiver leur décision, les juges d’appel relèvent qu’en l’espèce, la juridiction saisie en premier, au sens de l’article 100 du code de procédure civile, est « celle saisie en premier de cette demande de [l’emprunteur], en l’occurrence le Tribunal de grande instance de Marseille auprès duquel il avait assigné la banque en réparation de son préjudice, et non celle saisie auparavant par la banque, procédure à l’occasion de laquelle [l’emprunteur] avait à nouveau formulé sa demande de réparation à titre reconventionnel, c’est-à-dire le Tribunal de grande instance de Pontoise ». Ils ajoutent d’ailleurs que, « ce n’est qu’à la faveur de ces derniers développements que la banque a pu se convaincre qu’était constituée une situation de litispendance suffisamment précise pour la soumettre au juge de la mise en état ».

Dans son pourvoi en cassation, le demandeur arguait de la violation de l’article 100 du Code de procédure civile par la cour d’appel, notamment en ce que, « c'est l'acte introductif d'instance et non la formation de la demande qui date chronologiquement l'antériorité de la saisine. » Or, pour juger qu'il existait une situation de litispendance sur la demande de réparation à l'encontre de la banque, la cour d'appel a pourtant retenu que la juridiction saisie en premier, au sens de l'article 100 du Code de procédure civile, était celle saisie en premier de cette demande, en l'occurrence le tribunal de grande instance de Marseille auprès duquel il avait assigné la banque en réparation de son préjudice, et non celle saisie auparavant par la banque, procédure à l'occasion de laquelle le demandeur avait à nouveau formulé sa demande de réparation à titre reconventionnel, c'est-à-dire le tribunal de grande instance de Pontoise.

Par arrêt en date du 5 octobre 2023, la Cour de cassation, au visa de l’article 100 du Code de procédure civile, prononce la cassation de l’arrêt de la cour d’appel au motif que, si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. Or, comme le relève la Cour de cassation, la cour d’appel « avait relevé que le tribunal de grande instance de Pontoise avait été saisi en premier lieu, ce dont il résultait qu’il ne pouvait se dessaisir au profit de la juridiction de Marseille, saisie en second lieu ».

Parce que la litispendance doit éviter que deux juridictions statuent concomitamment sur une même demande, en permettant à l’une d’elles de se dessaisir au profit de l’autre, elle suppose, pour être constituée, qu’un même litige soit porté devant deux juridictions différentes. Pour la Cour de cassation, il ne pouvait y avoir - jusqu’à l’arrêt commenté du moins - litispendance qu’en présence deux demandes identiques, c’est-à-dire deux demandes présentant une identité totale de matière litigieuse en ce qu’elles ont le même objet et soumettent au juge la même prétention [45], portée devant deux juridictions différentes. Par ailleurs, lorsque les deux juridictions devant lesquelles la même affaire est pendante sont de même degré, un critère chronologique joue puisque l’article 100 du Code de procédure civile prévoit que la juridiction « saisie en second lieu », devant laquelle doit être soulevée l’exception de procédure, doit se dessaisir au profit de l’autre. Quid lorsque, comme en l’espèce, une demande initiale est présentée devant une première juridiction, qu’une demande initiale, différente de la première, est présentée devant une seconde juridiction, et qu’enfin une demande reconventionnelle [46] – identique à la première demande – est présentée devant la première juridiction ? Jusqu’à présent, le positionnement de la Cour de cassation était très clair : dès lors que l’identité de la matière litigieuse n’est que partielle [47], il ne s’agit plus, pour la haute juridiction, de deux demandes identiques, et dans ce cas, l’exception de litispendance doit laisser la place à l’exception de connexité dès lors que les deux demandes sont unies par un simple lien entre elles. Avec l’arrêt du 5 octobre 2023, la Cour de cassation assouplit sa position en admettant une identité seulement partielle de matière litigieuse puisque, précisément, l’identité de matière litigieuse ne concerne que la demande reconventionnelle destinée à mettre en cause la responsabilité de la banque.

L’admission de la litispendance fondée sur l’identité partielle de matière litigieuse résultant de la présentation de la demande reconventionnelle complique toutefois la mise en œuvre du critère chronologique qui doit permettre de déterminer, en présence de juridictions de même degré, celle qui doit se dessaisir au profit de l’autre. En application de l’article 100 du Code de procédure civile, c’est en principe la juridiction « saisie en second lieu », devant laquelle doit être soulevée l’exception de procédure, qui doit se dessaisir au profit de l’autre, et la Cour de cassation apprécie la date de saisine de la juridiction en se référant à l’acte qui matérialise cette saisine, du moins lorsque celui-ci est distinct de l’acte introductif d’instance [48]. Mais, dans l’espèce rapporté, il sera observé que l’identité de litige n’a pas existé dès la saisine de la seconde juridiction par la deuxième demande. L’identité de litige n’a existé qu’à compter par la présentation de la demande reconventionnelle en responsabilité de l’emprunteur devant tribunal de grande instance de Pontoise saisi de la première demande. Partant, deux options s’offraient à la Cour de cassation dans l’application de l’article 100 du Code de procédure civile : soit elle prenait en compte uniquement les demandes réalisant la litispendance, soit la demande initiale présentée le 23 juillet 2010 devant le tribunal de grande instance de Marseille dans la cadre de la plainte pénale et la demande reconventionnelle présentée le 9 août 2019 devant le tribunal judiciaire de Pontoise, soit tenir compte uniquement de la saisine des juridictions réalisée respectivement par les demandes initiales présentées, d’une part, par la banque devant le tribunal de grande instance de Pontoise le 31 mai 2010, et d’autre part, par l’emprunteur devant le tribunal de grande instance de Marseille, dans la cadre de la plainte pénale, le 23 juillet 2010. Dans le premier cas, le tribunal de grande instance de Pontoise étant saisi en second, il devait se dessaisir au profit de celui de Marseille ; dans le second cas, c’était l’inverse. On notera que la cour d’appel avait opté pour la chronologie des demandes, mais la cassation prononcée par Haute juridiction, au visa de l’article 100 du code de procédure civile, qu’elle privilégie la chronologie des saisines initiales, même si la litispendance n’est réalisée que par la demande reconventionnelle. Comme le fait remarquer Corinne Bléry, « c’est là l’apport essentiel de l’arrêt… dont il résulte que le déclinatoire de litispendance bénéficie ici d’une certaine souplesse qui lui est généralement déniée [49]. »

Si, dans le silence des textes, et notamment de l’article 100 du code de procédure civile, l’opinion doctrinale majoritaire considère que l’exception de litispendance doit être présentée in limine litis, et simultanément avec toute autre exception de procédure, au motif qu’une situation de litispendance peut être immédiatement décelée en raison des éléments objectifs qui la caractérise, au titre par exemple que l’exception d’incompétence, l’arrêt rapporté témoigne de ce qu’il n’est pas si évident qu’il n’y paraît de prime abord de détecter un cas de litispendance. Dans l’espèce rapportée, il sera rappelé que ce n’est que neuf ans après la saisine de la première juridiction que nait la litispendance, en raison de la demande reconventionnelle. Et il nous semble que la logique la plus élémentaire commande, nous semble-t-il, de ne point pouvoir reprocher à un plaideur de ne pas avoir présenté de déclinatoire de litispendance avant que la litispendance n’ait précisément été constituée… Pour cette raison, la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 5 octobre 2023 doit être pleinement approuvée.

À retenir : en vertu de l’article 100 du Code de procédure civile, si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d’office. En application de ce principe, la juridiction saisie en premier du litige ne peut se dessaisir au profit de celle saisie en second, même si elle est saisie en second de la demande reconventionnelle qui constitue la litispendance.

  • La CPVE dans la procédure d’appel sans représentation obligatoire contre un jugement en matière d’assistance éducative, c’est possible (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 22-13.863, F-B N° Lexbase : A20421KT)

La communication par voie électronique (CPVE) ne cesse de nourrir un contentieux important qui donne lieu à une jurisprudence riche d’enseignements. Reste que la lecture de certaines décisions rendues par la Cour de cassation peut laisser le lecteur averti quelque peu perplexe quant à l’intérêt de la solution rappelée. Il en est ainsi, de prime abord, de l’arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui mérite néanmoins d’être signalé en ce qu’il comporte un rappel utile concernant la délimitation du champ d’application de la CPVE facultative laquelle ne semble pas être aussi évidente que l’on aurait pu le penser pour les juges du fond, y compris pour des actes dont la dématérialisation a pourtant toujours été possible, ce qui est le cas de la déclaration d’appel en procédure orale.

En l’espèce, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Saint-Pierre rend un jugement en matière d’assistance éducative le 17 août 2020, dont l’avocat des parents interjette appel par voie électronique le 4 novembre 2020. Par arrêt en date du 10 février 2021, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, déclare l’appel irrecevable au motif qu’il ne pouvait être formé que « selon les formes prescrites par la loi, à savoir par déclaration au greffe de la cour d'appel ou par courrier recommandé adressé au même greffe, que le code de procédure civile ne prévoit aucune exception à ce principe et qu'alors que la procédure devant la chambre des mineurs, statuant en matière d'assistance éducative, est orale, la voie du RPVA, strictement réservée aux procédures écrites, ne saurait être admise pour se substituer à la déclaration au greffe ou au courrier recommandé avec accusé de réception. »

Un pourvoi en cassation est formé par les parents pour violation des articles 748-1 N° Lexbase : L0378IG4, 748-3 N° Lexbase : L1183LQU et 748-6 N° Lexbase : L1184LQW du Code de procédure civile N° Lexbase : L0378IG4, ensemble l’article 2 de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication électronique devant les cours d’appel N° Lexbase : Z99935SQ en vertu duquel, « dans les procédures sans représentation obligatoire en matière civile, et notamment en matière d’assistance éducative, la déclaration d’appel peut être valablement adressée au greffe de la cour d’appel par la voie électronique par le biais du réseau privé virtuel des avocats (RPVA). »

Au visa de l’article 748-1 du Code de procédure civile et de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 5 octobre 2023, casse l’arrêt rendu par la cour d’appel au motif que, « en matière d’appel contre un jugement d’assistance éducative, régi par la procédure sans représentation obligatoire conformément à l’article 1192 du code de procédure civile, les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique par le biais du « réseau privé virtuel des avocats », de sorte qu’en statuant comme ils l’ont fait, alors que la déclaration d'appel avait été transmise par le biais du RPVA, les juges d’appel ont violé les dispositions de l’article 748-1 du Code de procédure civile et de l’arrêté du 20 mai 2020 précité.

L’article 748-1 du Code de procédure civile visé par la Cour de cassation pose en principe que l’utilisation de la voie électronique est facultative. Elle ne devient obligatoire qu’à compter de l’instant où une disposition spéciale impose ce type de transmission. Mais ce texte pose, dans le même temps, une limite : le respect de l’article 748-6 du Code de procédure civile et des arrêtés techniques qu’il prévoit ; arrêtés techniques qui peuvent exclure certains actes de procédure du dispositif de la CPVE lorsque celle-ci est facultative. L’article 748-1 du code précité n’opère pas de distinction selon que la procédure suivie est écrite ou orale, de sorte qu’il n’appartenait pas aux juges d’appel de distinguer là où la loi ne distingue pas. La CPVE s’applique en procédure orale car, si la formulation orale des prétentions par les parties excluait, par nature, toute possibilité de dématérialisation, l’entrée en vigueur des dispositions du décret du 1er octobre 2010 [50], a nécessairement changé la donne en organisant, pour les procédures orales, le passage de la forme orale à la forme écrite… Reste que, même antérieurement à cette métamorphose, le Code de procédure civile a toujours exigé la réalisation de certains actes de procédure sur support papier. C’est ce qui explique que, lorsque la CPVE a été étendue aux procédures sans représentation, l’article 1er de l’arrêté du 5 mai 2010 [51] a limité le recours facultatif à la communication par voie électronique aux « envois et remises des déclarations d’appel, des actes de constitution et des pièces qui leur sont associées ». L’application de cette disposition a donné lieu à une jurisprudence abondante qui a généré une situation complexe - et source d’erreurs - pour les avocats, comme certaines décisions rendues en application du droit antérieur à l’entrée en vigueur des dispositions de l’arrêté du 20 mai 2020 précité en témoignent [52]. Selon cette jurisprudence, dans les procédures sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, l’arrêté du 5 mai 2010 s’appliquait et les actes non énumérés dans l’arrêté devaient nécessairement être remis ou adressés par voie papier, alors que, dans l’hypothèse où la représentation était obligatoire devant la cour d’appel, tous les actes étaient transmissibles par voie électronique, nonobstant la liste établie par l’arrêté consolidé du 30 mars 2011 relatifs à la communication électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel N° Lexbase : L9025IPX, car l’article 930-1, alinéa 1er, du Code de procédure civile N° Lexbase : L7249LE9 vise, sans opérer de distinction, les « actes de procédure » [53]. Si la situation s’est simplifiée avec l’entrée en vigueur des dispositions de l’arrêté du 20 mai 2020 qui n’opère plus de distinction selon que la procédure suivie devant la cour d’appel est avec ou sans représentation obligatoire, et ne limite plus les actes susceptibles de transmission dématérialisée dans ce dernier cas, il n’en demeure pas moins que la remise des actes par voie électronique est obligatoire en procédure avec représentation obligatoire [54], alors qu’elle est facultative en procédure sans représentation obligatoire [55], et l’examen des textes – comme de la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions de l’arrêté du 20 mai 2020 – montre que la CPVE n’a jamais été interdite dans la procédure d’appel sans représentation obligatoire ; tout au plus était-elle limitée aux actes écrits autonomes avant le décret de 2010, dont la déclaration d’appel fait partie. Aucune disposition issue des arrêtés de 2010 ou 2020 n’apporte, par ailleurs, de dérogation à cette règle en matière d’assistance éducative.

À retenir : l’article 748-1 du Code de procédure civile permet la transmission de la déclaration d’appel au greffe par voie électronique dans les procédures sans représentation obligatoire, y compris en matière d’assistance éducative, aucun arrêté technique n’apportant en ce domaine une quelconque limitation à la règle sus-énoncée.

  • Relevé d’office de la péremption du commandement (Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 21-17.190, F-B N° Lexbase : A17131KN)

Le 5 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu riche d’enseignements relativement à la question du relevé d’office de la péremption du commandement valant saisie. Si ce n’est pas la première fois que la Haute juridiction traite ce point de procédure, l’arrêt commenté doit retenir l’attention car, en affirmant au sein de ce dernier, qu’il résulte des articles R. 321-20 N° Lexbase : L8667LYN et R. 321-21 N° Lexbase : L7887IUN du Code des procédures civiles d’exécution que si le juge de l’exécution peut relever d’office la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, il n’est toutefois pas tenu de le faire, mais également qu’en application de l’article R. 322-60 N° Lexbase : L2479ITY du même code, les parties ne sont pas recevables à présenter de nouvelles contestations ou de nouvelles demandes à l’occasion de l’instance d’appel du jugement d’adjudication, la Haute juridiction poursuit son œuvre jurisprudentielle sur la délimitation des frontières de l’office du juge de l’exécution en matière de péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, et apporte un éclairage intéressant sur les limites de l’effet dévolutif de l’appel formé à l’encontre du jugement d’adjudication ayant statué sur des contestations.

En l’espèce, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine a engagé une procédure de saisie immobilière, postérieurement à la délivrance de l’assignation à l’audience d’orientation et au dépôt du cahier des conditions de vente. La partie saisie fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et assigne les organes de la procédure collective en intervention forcée pour cette audience d’orientation qui, entre temps, avait fait l’objet de plusieurs renvois. Par jugement d’orientation, le juge de l’exécution a débouté la partie saisie et le mandataire judiciaire de leurs contestations et fixé la date de la vente forcée.

Le saisi interjette appel du jugement d’orientation, lequel sera déclaré irrecevable par arrêt du 23 avril 2019, tout comme le pourvoi formé contre cette décision, rejeté par arrêt du 19 novembre 2020 [56]. La date d’adjudication a alors été fixée, et l’occasion de l’audience d’adjudication, le saisi a élevé des contestations en sollicitant, à titre principal la suspension de la procédure, et à titre subsidiaire le report de l’adjudication, en se fondant sur le pourvoi en cassation qui était alors en cours. Par jugement du 2 septembre 2019, le juge de l'exécution a déclaré irrecevable la demande du saisi tendant à la suspension de la procédure de saisie immobilière, rejeté sa demande de report de l'adjudication et adjugé l'immeuble saisi. Le saisi a interjeté appel de ce jugement, conformément à l’alinéa 2 de l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution, et soutenait, pour la première fois, la caducité du commandement… En excipant de sa péremption.

Par arrêt en date du 9 mars 2021, la cour d’appel d’Angers déclare son appel recevable uniquement du chef de disposition du jugement entrepris ayant déclaré irrecevable sa demande de suspension de la procédure de saisie immobilière engagée à son encontre par la banque, rejette sa demande de report de l'adjudication de l'immeuble saisi, et le juge irrecevable en ses demandes telles que présentées en appel.

Dans son pourvoi, le saisi fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait, alors « que le commandement de payer valant saisie cesse de plein droit de produire effet si, dans les deux ans de sa publication, il n'a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi ; que le juge qui constate que le commandement de payer valant saisie immobilière est périmé le relève d'office ; que la cour d'appel, en ne relevant pas la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière alors que celle-ci était acquise, a violé l'article R. 321-20 du Code des procédures civiles d'exécution dans sa rédaction applicable en la cause », d’une part, et que d’autre part, « à l'expiration du délai de péremption de deux ans prévu à l'article R. 321-20 du Code des procédures civiles d'exécution dans sa rédaction applicable en la cause, toute partie intéressée peut demander au juge de l'exécution de constater la péremption du commandement de payer valant saisie ; que le moyen tiré de la caducité ou de la péremption du commandement peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel, et qu'en déclarant [le saisi] irrecevable en ses demandes présentées en appel au motif qu’il ne critique pas le jugement d'adjudication en ce qu'il a refusé de faire droit à ses demandes de sursis à statuer et de report au motif que le pourvoi en cassation ne présente aucun caractère suspensif et [qu’] il se contente de solliciter l'annulation de la procédure d'adjudication et du jugement déféré au motif que le commandement de saisie immobilière est devenu caduc dès avant l'audience d'adjudication alors que sa déclaration d'appel fixant l'étendue de la dévolution à l'égard des parties intimées en vertu de l'article 562 du code de procédure civile ne tend pas à l'annulation du jugement et qu'il n'a pas saisi le premier juge de sa contestation relative à la caducité du commandement, qui est nouvelle en appel et comme telle irrecevable en application de l'article 564 N° Lexbase : L0394IGP du même code », la cour d’appel aurait ainsi violé l'article R. 321-21 du Code des procédures civiles d'exécution.

Par arrêt du 5 octobre 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette les pourvois principal et incident. Reprenant point par point les arguments développés par la demanderesse, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que, selon l'article R. 321-20 du Code des procédures civiles d'exécution, le commandement de payer valant saisie cesse de plein droit de produire effet si, dans les cinq ans de sa publication, il n'a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi, et que, si, selon l'article R. 321-21 du même code, à l'expiration du délai prévu à l'article R. 321-20 et jusqu'à la publication du titre de vente, toute partie intéressée peut demander au juge de l'exécution de constater la péremption du commandement et d'ordonner la mention de celle-ci en marge de la copie du commandement publié au fichier immobilier, il résulte de la combinaison de ces textes que, si le juge de l'exécution peut relever d'office la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, il n'est toutefois pas tenu de le faire. Poursuivant son raisonnement, la Cour de cassation affirme également que, selon l'article R. 322-60, alinéa 2, du Code des procédures civiles d'exécution, seul le jugement d'adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d'appel de ce chef, ce dont il résulte que les parties ne sont pas recevables à présenter de nouvelles contestations ou de nouvelles demandes à l'occasion de cette instance d'appel. De facto, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du Code de procédure civile, l'arrêt, qui a relevé que le saisi n'avait pas saisi le juge de l'exécution de sa contestation relative à la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, se trouve légalement justifié de ce chef.

Le premier apport de l’arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation réside assurément dans la délimitation des frontières de l’office du juge de l’exécution en matière de péremption du commandement de payer valant saisie immobilière. Par un arrêt du 21 mars 2019 [57], la deuxième chambre civile avait déjà eu l’occasion de préciser que le juge de l’exécution statuant en matière de saisie immobilière pouvait relever d’office la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, solution qu’elle avait confirmée par deux arrêts en 2020 [58]. Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation avait indiqué que la cour d’appel, saisie d’une demande de péremption du commandement valant saisie et d’une demande de caducité de celui-ci, a fait une exacte application de l’article R. 321-20 du Code des procédures civiles d’exécution en examinant en premier lieu si le commandement était périmé et, constatant qu’il l’était, n’a pas statué sur la demande de caducité, et mettait déjà en exergue la subsidiarité de ce relevé d’office en retenant que la cour d’appel n’avait pas commis d’excès de pouvoir en l’espèce en prorogeant un commandement de payer valant saisie immobilière après avoir vérifié qu’il ne s’était pas écoulé plus de deux années (cinq années aujourd’hui [59]) depuis la publication de la dernière décision de prorogation, peu important que le commandement alors périmé ait pu être indûment prorogé par une décision antérieure non contestée par les parties. L’arrêt rendu le 5 octobre 2023 vient affiner davantage encore les contours de l’office du juge de l’exécution en cas de péremption du commandement. Pour se faire, elle commence par rappeler que selon l’article R. 321-20 du Code des procédures civiles d’exécution, le commandement de payer valant saisie cesse de plein droit de produire effet si, dans les cinq ans de sa publication, il n’a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi, et que, selon l’article R. 321-21 du même code, à l’expiration du délai prévu à l’article R. 321-20 et jusqu’à la publication du titre de vente, toute partie intéressée peut demander au juge de l’exécution de constater la péremption du commandement et d’ordonner la mention de celle-ci en marge de la copie du commandement publié au fichier immobilier. Or, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, il sera observé que le saisi, qui ne s’était pas prévalu de cette péremption lors des contestations élevées à l’audience d’adjudication, présentait ce moyen pour la première fois devant la cour d’appel. Bien conscient qu’un risque d’irrecevabilité pesait, il arguait donc qu’il appartenait au juge de l’exécution de relever d’office cette péremption. La Cour de cassation ne le suit pas dans son raisonnement, et retient une autre interprétation de la lecture combinée des articles R. 321-20 et R. 320-21 du Code des procédures civiles d’exécution en retenant que, si le juge de l’exécution peut relever d’office la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, il n’est toutefois pas tenu de le faire.

Le second apport de l’arrêt rendu le 5 octobre 2023 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation porte sur les limites de l’effet dévolutif de l’appel formé à l’encontre du jugement d’adjudication ayant statué sur des contestations. Sur ce point, il résulte de l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution que « Le jugement d’adjudication est notifié par le créancier poursuivant, au débiteur, aux créanciers inscrits, à l’adjudicataire ainsi qu’à toute personne ayant élevé une contestation tranchée par la décision. Seul le jugement d’adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d’appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification ». Dans l’arrêt commenté, l’on voit bien que le saisi avait élevé des contestations à l’audience d’adjudication tenant en une demande de suspension des poursuites, et une demande de report, que le juge de l’exécution a rejetées, maintenant ainsi l’adjudication. Ce n’est que devant la cour d’appel que le saisi s’est prévalu pour la première fois de la péremption du commandement de payer valant saisie, laquelle était survenue avant la date d’adjudication. Si la cour d’appel a confirmé le jugement sur les prétentions qui avaient été soutenues en première instance, elle a déclaré irrecevable le moyen nouveau tiré de la péremption du commandement, au visa de l’article 564 du Code de procédure civile, ce que le saisi critiquait dans son pourvoi. La Cour de cassation, sans approuver le raisonnement tenu de la cour d’appel, rejette néanmoins le pourvoi en opérant par substitution de motifs [60], ce qui doit mériter toute notre attention. En reprenant le raisonnement suivi par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 octobre 2023, l’on constate qu’elle déduit de l’article R. 322-60, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution que les parties ne sont pas recevables à présenter de nouvelles contestations ou de nouvelles demandes à l’occasion de cette instance d’appel. Pour la Cour de cassation, l’alinéa 2 de l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution entraine, pour l’audience d’adjudication en tout cas, les mêmes conséquences que celles résultant de l’article R. 311-5 du même code : l’irrecevabilité des contestations et demandes incidentes formées après l’audience d’orientation, sauf exceptions particulières, sans qu’il soit besoin de se fonder sur l’article 564 du Code de procédure civile. Il faut donc comprendre de la solution retenue dans l’arrêt du 5 octobre 2023 que, seules les contestations et demandes incidentes formées lors de l’audience d’adjudication peuvent être soumises à l’examen de la cour d’appel en raison de la limitation du recours à l’encontre de ce jugement posée par l’alinéa 2 de l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution…

À retenir : en vertu des articles R. 321-20 et R. 321-21 du Code des procédures civiles d’exécution, si le juge de l’exécution peut relever d’office la péremption du commandement de payer valant saisie immobilière, il n’est toutefois pas tenu de le faire. Par ailleurs, il résulte de l’article R. 322-60 du même code que les parties ne sont pas recevables à présenter de nouvelles contestations ou de nouvelles demandes à l’occasion de l’instance d’appel du jugement d’adjudication.


[1] Cass. avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005, FS-B N° Lexbase : A72698AH.

[2] Circ. DACS, NOR: JUSC1721995C du 4 août 2017, de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 N° Lexbase : L6244LGD.

[3] Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU ; C. Bléry, Application inopportune de la notion d’accessoire à la déclaration d’appel, Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 892 N° Lexbase : N0197BZC ; – A. Martinez-Ohayon, Annexe à la déclaration d’appel : valable uniquement en présence d’un empêchement d’ordre technique!, Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 891 N° Lexbase : N0084BZ7 ; D. 2022, 325, note M. Barba ; AJ fam. 2022, 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra.

[4] Cass. avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005, FS-B N° Lexbase : A72698AH ; Y. Ratineau, Utilisation de l’annexe dans la déclaration d’appel : les précisions de la Cour de cassation, Le Quotidien, juillet 2022, n° 915 N° Lexbase : N2262BZS.

[5] La régularisation de la déclaration d’appel aurait mérité des développements mais, faute de pouvoir accéder à l’arrêt d’appel, nous nous sommes résignés à ne pas traiter ce point, l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne comportant pas suffisamment d’éléments pour mener une analyse juridique approfondie du raisonnement tenu par les juges d’appel.

[6] Cass. civ. 2, avis, 22 mars 1999, n° 09-90.005, Bull. avis, n°2.

[7] CE, ass., 25 juin 1948 : Journal L'Aurore, GAJA, n° 62.

[8] CE 4 octobre 1974 : Dame David, Recueil Lebon 464.

[9] Cass. avis, 3 juin 2021, n° 15008 N° Lexbase : A29374UC.

[10] Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile N° Lexbase : L2696LEL.

[11] Circ. DACS, NOR: JUSC1721995C, du 4 août 2017, de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, modifié par le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 N° Lexbase : L6244LGD.

[12]  Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n° 18-22.528, FS-P+B+I N° Lexbase : A89403C4 ; Y. Ratineau, Sanction de l’acte d’appel ne mentionnant pas les chefs critiqués du jugement : entre clarifications et questionnements, Lexbase Droit privé, février 2020, n° 814 N° Lexbase : N2332BYZ.

[13] Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 21-11.401, FS-B N° Lexbase : A791374T ; Y. Ratineau, Panorama de jurisprudence : remettre toujours le métier sur l’ouvrage, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 912 N° Lexbase : N1989BZP.

[14] À condition bien entendu que l’appel ne se limite pas uniquement à ces demandes (car il serait alors irrecevable) ou encore que le tribunal n’ait pas déjà été saisi d’une requête en omission de statuer (car la cour d’appel ne serait pas compétente : CPC, art. 461 N° Lexbase : L6571H7I).

[16] Y. Ratineau, Sanction de l’acte d’appel ne mentionnant pas les chefs critiqués du jugement : entre clarifications et questionnements, Lexbase Droit privé, février 2020, préc.

[17] Déjà en ce sens : Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-16.954, F-P+B+I N° Lexbase : A56913QT.

[18] Cons. const., n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 N° Lexbase : A944634M ; Y. Ratineau, Conformité des procédures sans audience à la Constitution : quand le Conseil constitutionnel valide l’adaptation du droit à un procès équitable à l’état d’urgence sanitaire, Lexbase Droit privé, décembre 2020, n° 846 N° Lexbase : N5505BYK.

[19] Cons. const., n° 2020-866 QPC du 19 novembre 2020 : préc.

[20] CEDH, 9 juin 2022, Xavier Lucas c/ France, n° 15567/20 N° Lexbase : A0732727 ; V. not. : Dalloz actualité, 16 juin 2022, obs. C. Bléry ; Gaz. Pal. 26 juillet 2022, p. 34, obs. S. Amrani-Mekki.

[21] Il convient de rappeler ici que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, par exemple, retenu l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel lorsque celle-ci est dépourvue des chefs de jugements critiqués (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA ; Cass. civ. 2, 20 mai 2021, nos 19-22.316, F-P N° Lexbase : A25334SM, Y. Ratineau, Dispositif des conclusions d’appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juin 2021, n° 868 N° Lexbase : N7812BYY ; F. Seba, Conclusions devant la cour d’appel, à fond la forme !, Lexbase Droit privé, mars 2023 n° 939 N° Lexbase : N4720BZT), ou prononcé la solution formaliste de trop avec la neutralisation de l’annexe à la déclaration d’appel (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU) ; C. Bléry, Application inopportune de la notion d’accessoire à la déclaration d’appel, Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 892 N° Lexbase : N0197BZC ; A. Martinez-Ohayon, Brèves, Annexe à la déclaration d’appel : valable uniquement en présence d’un empêchement d’ordre technique !, Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 891 N° Lexbase : N0084BZ7; D. 2022, 325, note M. Barba ; AJ fam. 2022, 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra).

[22] Par ex. : Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017 N° Lexbase : A0732727, Y. Joseph-Ratineau, Précision des chefs de jugement critiqués dans le dispositif des conclusions d’appel : Tout va bien (ou presque) : Lexbase Droit privé, mars 2022 N° Lexbase : N0911BZR ; v. égal. : Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-23.456 N° Lexbase : A34268LH ; Cass. civ. 2, 8 juin 2023, n° 21-22.263, F-B N° Lexbase : A79179YU ; n° 21-19.997, F-B N° Lexbase : A79169YT ; n° 21-23.684, F-B N° Lexbase : A79209YY ; v. égal. : Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-15.445, F-B N° Lexbase : A79949Z4. Pour une étude de ces décisions, v. C. Perret, Procédure d’appel : l’expression d’un formalisme raisonné, Lexbase Droit privé, août 2023, n° 950 N° Lexbase : N5987BZR.

[23] Décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions N° Lexbase : Z45979TY. Arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel N° Lexbase : L5628MB3.

[24] Cass. civ. 2, avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005 N° Lexbase : A0732727. V. : Y. Ratineau, Utilisation de l’annexe dans la déclaration d’appel : les précisions de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juillet 2022, n° 915 N° Lexbase : N2262BZS.

[25] Not. : Cass. civ. 2, 9 juillet 2009, n° 06-46.220, FS-P+B N° Lexbase : A7198EIG, Brèves, De l'appel formé devant une cour d'appel dans le ressort de laquelle n'est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, Lexbase Social, juillet 2009, n° 360 N° Lexbase : N1130BLG, RTD civ. 2010. 370, obs. crit. P. Théry ; Cass. com, 29 mars 2017, n° 15-17.659, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6067UMN, P. Le More, Compétence des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence, Lexbase Affaires, juin 2017, n° 513 N° Lexbase : N8739BWL ; Cass. civ.2, 19 novembre 2020, n° 19-22.185 N° Lexbase : A0732727.

[26] Cass. civ. 2, 1er octobre 2020, n° 19-11.490, FS-P+B+I N° Lexbase : A49893WP, A. Martinez-Ohayon, Saisine de deux cours d’appel distinctes : la validité du second appel sous certaines conditions, Lexbase Droit privé, octobre 2020, n° 839 N° Lexbase : N4801BYH, Dalloz actualité, 28 oct. 2020, obs. R. Laffly. – Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-14.086, F-P+B+I N° Lexbase : A56583QM ; Cass. civ. 2, 18 mars 2021, n° 20-14.466, F-D N° Lexbase : A89694LR ; Cass. civ. 1, 22 septembre 2021, n° 20-15.817, FS-B N° Lexbase : A134547X, C. Lhermitte, Appel irrecevable et appel hors délai ou quand le désordre de l’Ordre permet que tout rentre dans l’ordre, Lexbase Avocats, octobre 2021 N° Lexbase : N8974BYZ.

[27] Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-10.663, FS-P+B, N° Lexbase : A8907Y4N, A. Seïd Algadi, Effet interruptif d’une déclaration d’appel formée devant une cour d’appel incompétente, Lexbase Droit privé, juillet 2019, n° 790 N° Lexbase : N9799BX9, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. R. Laffly. – Cass. civ. 2, 27 juin 2019, n° 18-11.471, F-D N° Lexbase : A3025ZHI, Proc. 2019, comm. 245, obs. H. Croze ; Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 19-24.924, F-D, N° Lexbase : A06897B7.

[29] Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-12.865, F-D N° Lexbase : A198979K, D. 2022, 1687, note J. Jourdan-Marques.

[30] Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions N° Lexbase : L2353L8N.

[31] Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 20-22.558, FS-B N° Lexbase : A51368LS, A. Martinez-Ohayon, Cour d’appel de renvoi : les formalités relatives à la procédure à jour fixe doivent-elles être réitérées ?, Lexbase Droit privé, octobre 2022, n° 919 N° Lexbase : N2770BZM ; Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 19-25.033, F-B N° Lexbase : A30697R4, A. Martinez-Ohayon, Précision sur la qualification de l’arrêt réputé contradictoire, Lexbase Droit privé, mars 2022, n° 900 N° Lexbase : N0916BZX, AJ fam. 2022, 243, obs. F. Eudier et D. d’Ambra ; V. égal. : Cass. civ. 2, 14 avril 2005, n° 03-14.510, F-P+B N° Lexbase : A8675DHR, Dr. et pr. 2005, 359, obs. Leborgne).

[32] L’on pourrait rajouter l’hypothèse de l’irrecevabilité de l’appel en application de l’article 964 du Code de procédure civile, même si en pratique la question ne devrait pas se poser dans la mesure où le timbre fiscal n’est pas dû en procédure sur renvoi de cassation, ce dernier ayant déjà été réglé à l’occasion de l’instance d’appel.

[33] Cass. civ. 3, 4 mars 2021, n° 19-12.564 F-P N° Lexbase : A01994KL, Y. Ratineau, Panorama, Procédure à bref délai : retour sur les cinq arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 2 décembre 2021, Lexbase Droit privé, janvier 2022, n° 889 N° Lexbase : N9941BYT, D. 2021. 1048, obs. N. Damas.

[35] Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-14.939, F-P+B+I N° Lexbase : A9961KBK, E. Vergès, Le déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état fait obstacle au pourvoi en cassation contre cette décision, Lexbase Droit privé, mai 2013, n° 527 N° Lexbase : N7026BTE.

[36] Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 19-17.469, F-P+B+I N° Lexbase : A88383TI, A. Martinez-Ohayon, Procédure à bref délai : irrecevabilité du pourvoi dirigé à l’encontre de l’ordonnance rendue par le président de chambre de la cour d’appel, Lexbase Droit privé, septembre 2020, n° 837.

[37] Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile N° Lexbase : L8421LT3.

[39] Cass. civ. 2, avis, 3 juin 2021, n° 15008 N° Lexbase : A29374UC ; v. égal. : Cass. civ. 2, avis, 11 oct. 2022, n° 22-70.010, FS-B N° Lexbase : A40718N4, D. 2022. 2015 , note M. Barba et T. Le Bars.

[40] Décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 portant diverses dispositions relatives notamment à la procédure civile et à la procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions N° Lexbase : L2353L8N.

[41] Cass. civ. 3, 28 février 2018, n° 15-20.116, F-D N° Lexbase : A0481XGW, D. 2019, 555, obs. N. Fricero.

[42] Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-19.301, F-P+B+I N° Lexbase : A47583HA, A. Martinez-Ohayon, L’ouverture «minime» d’une voie de recours à l’encontre de la décision de radiation du CME, Lexbase Droit privé, janvier 2020, n° 809 N° Lexbase : N1911BYG, RTD civ. 2020, 449, obs. P. Théry.

[43] Cass. civ. 2, avis, 3 juin 2021, préc.

[44] V., Dalloz actualité, 20 octobre 2023, obs. C. Bléry.

[45] Cass. soc., 17 décembre 1984, n° 84-60.350 N° Lexbase : A3272AAG ; Cass. civ. 2, 24 février 1988, n° 86-16.414 N° Lexbase : A4646CZ4.

[46] En l’espèce, cette demande reconventionnelle était hybride en ce qu’elle contenait un moyen de défense à la demande en paiement dirigée contre l’emprunteur, et une demande tendant à ce que la responsabilité de la banque demanderesse soit engagée. Or, bien qu’elle ne le dise pas explicitement, l’on sait que depuis l’arrêt « Cesareo » (Cass. Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, P+B+R+I N° Lexbase : A4261DQU) la Cour de cassation impose en réalité un principe de concentration des demandes, et non seulement des moyens qui oblige les parties à présenter, dès l’instance initiale, l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature, soit à fonder la demande, « soit à justifier son rejet total ou partiel ». Si le défendeur oublie un moyen de défense, il ne peut plus présenter une demande fondée sur celui-ci. Or, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, il sera observé que, si l’emprunteur n’avait pas présenté ce moyen de défense dans l’instance relative à la demande en paiement devant le Tribunal de grande instance de Pontoise, et que ce tribunal avait rendu un jugement avant le tribunal de grande instance de Marseille, il aurait pu lui être reproché, par ce dernier, de ne pas avoir concentré ses défenses à Pontoise.

[47] La Cour de cassation a, par exemple, décidé qu’il n'y a pas litispendance entre une instance en divorce et une instance de conversion de séparation de corps en divorce (Cass. civ. 2, 23 juin 1982, no 81-11.700 N° Lexbase : A7185CIX) ou entre l'action en concurrence déloyale qu'exerce une société contre d'anciens salariés et l'action en détermination des conditions de rupture du contrat de travail que forment contre elle ces derniers (Cass. soc., 13 octobre 1988, no 85-45.486 N° Lexbase : A8560AAB).

[48] Cass. civ. 3, 10 décembre 1985, n° 84-16.799, P N° Lexbase : A5319AAA.

[49] V., Dalloz actualité, 20 octobre 2023, obs. C. Bléry.

[50] Décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale N° Lexbase : L0992IN3.

[51] Arrêté 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans les procédures sans représentation obligatoire devant les cours d’appel N° Lexbase : Z11402KH.

[52] Cass. civ. 2, 17 novembre 2022, n° 21-16.185, FS-B N° Lexbase : A28598T3 ; Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-14.144, FS-D N° Lexbase : A82638YP.

[53] Il convient de signaler que lorsque la procédure relevait du premier président, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation jugeait qu’elle n’était soumise ni à l’arrêté de 2010, ni à celui de 2011, et qu’elle ne pouvait être diligentée par voie électronique dans la mesure où le premier président est lui-même une juridiction autonome au sein de la cour d’appel.

[54] CPC, art. 930-1 précité

[55] CPC, art. 748-1 précité

[56] Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-21.365 N° Lexbase : A17131KN.

[57] Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-31.170, F-P+B N° Lexbase : A8975Y48 ; A. Seïd Algadi, Effet du commandement valant saisie immobilière en cas de constat de la péremption, Lexbase Droit privé, mars 2019, n° 809 N° Lexbase : N8228BXZ ; v. déjà en ce sens : Cass. civ. 2, 18 octobre 2018, n° 17-21.293, F-P+B N° Lexbase : A0005YHN ; A. Seïd Algadi, Effet du commandement valant saisie immobilière en cas de constat de péremption, Lexbase Droit privé, novembre 2018, n° 759 N° Lexbase : N6089BXS.

[58] Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-11.722, F-P+B+I N° Lexbase : A06343MG, A. Martinez-Ohayon, La péremption du commandement de payer valant saisie immobilière s’impose au juge la constatant et prime sur un éventuel incident de caducité, Lexbase Droit privé, mai 2020, n° 820 N° Lexbase : N3410BYX ; Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-10.469, F-P+B+I N° Lexbase : A05083MR ; A. Martinez-Ohayon, Irrecevabilité du pourvoi dirigé à l’encontre d’un arrêt confirmant la prorogation des effets du commandement de payer valant saisie immobilière indûment prorogé par une décision antérieure, Lexbase Droit privé, juin 2020 N° Lexbase : N3406BYS ; V. égal. : F. Kieffer, Caducité sur péremption ne vaut… Ou petite physiologie de la péremption du commandement, Lexbase Droit privé, juin 2020, n° 828 N° Lexbase : N3743BYB.

[59] L’article 2, 4°, du décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020 a modifié l’alinéa 1er de l’article R. 322-20 du code des procédures civiles d’exécution qui dispose, depuis son entrée en vigueur au 1er janvier 2021, et qui est applicable aux instances en cours à cette date, que, « Le commandement de payer valant saisie cesse de plein droit de produire effet si, dans les cinq ans de sa publication, il n’a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi ». Antérieurement à cette modification, le délai de péremption du commandement était de deux ans.

[60] CPC, art. 620, al. 1er N° Lexbase : L6779H79 ; CPC, art. 1015 N° Lexbase : L5802L8E.

newsid:487295

Procédure civile

[Brèves] Instance en remboursement : le renouvellement d’une hypothèque provisoire est-il interruptif de la péremption d’instance ?

Réf. : Cass. civ. 2, 23 novembre 2023, n° 21-21.872, FS-B N° Lexbase : A862913Y

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N7566BZA

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

Pour être interruptive de la péremption d'instance, une diligence doit être effectuée dans l'instance concernée par l'acte de péremption ; n'est, dès lors, pas interruptive de la péremption de l'instance en remboursement, engagée par la caution, le renouvellement d'une hypothèque provisoire effectuée par cette dernière.

Faits et procédure. Dans cette affaire, des époux ont contracté un prêt pour l’acquisition d’un bien immobilier, garanti par un cautionnement de la société Crédit logement (la caution). Cette dernière a versé à la banque une certaine somme au titre de plusieurs échéances demeurées impayées, suivant quittance subrogative. Puis, elle a assigné les époux en remboursement de la somme versée au prêteur. La caution a interjeté appel du jugement l’ayant débouté de sa demande sur le fondement de l’article 2308 du Code civil N° Lexbase : L0163L8K. Par ordonnance du 2 juillet 2020, un conseiller de la mise en état, saisi par les intimés, a relevé que la dernière diligence accomplie était constituée par leurs écritures du 6 décembre 2017 et a constaté la péremption de l'instance. La caution a déféré cette ordonnance à la cour d'appel.

Pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Aix-en-Provence, 24 juin 2021, n° 20/07694) d’avoir constaté la péremption de l'instance et que le jugement rendu le 3 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Marseille avait force de chose jugée. L’intéressée fait valoir la violation de l’article 386 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2277H44.

En l’espèce, la cour d’appel a déduit que le renouvellement de l'hypothèque provisoire, prise par la caution, n'avait pas interrompu la péremption dans l'instance en remboursement engagée par cette dernière, relevant que les diligences devaient être menées dans l'instance susceptible d'être déclarée périmée.

Solution. Énonçant la solution précitée, aux termes des dispositions de l’article 386 du Code de procédure civile, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel, déclare le moyen non fondé, et rejette le pourvoi.

Pour aller plus loin : v. N. Fricero, ÉTUDE : Les incidents d’instance, L'extinction de l’instance : péremption – désistement – transaction, in Procédure civile (dir. É. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E15397IT.

 

newsid:487566

Procédure civile

[Brèves] Irrecevabilité d'une demande d'avis lorsque la procédure de consultation des parties et du ministère public n'a pas été respectée

Réf. : Cass. avis, 7 décembre 2023, n° 15016, FS N° Lexbase : A1314188

Lecture: 2 min

N7760BZG

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

► Lorsque le juge envisage de solliciter l'avis de la Cour de cassation en application de l'article L. 441-1 du Code de l'organisation judiciaire, il en avise les parties et le ministère public, à peine d'irrecevabilité, et il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu'il fixe, à moins qu'ils n'aient déjà conclu sur ce point ; dès lors, la mention dans le jugement indiquant simplement que « en cours de délibéré, les observations des parties et du ministère public sur la perspective d'une demande d'avis de la Cour de cassation ont été provoquées » est jugée insuffisante pour établir qu'un délai spécifique a été fixé pour que les parties puissent faire valoir leurs observations.

La décision sollicitant l'avis est notifiée, ainsi que la date de transmission du dossier, aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; le ministère public auprès de la juridiction est avisé ; à défaut, la demande d’avis est irrecevable.

Tel est le rappel effectué par un avis de la Cour de cassation, rendu le 7 décembre 2023 (v. en ce sens, Cass. avis, 27 février 2017, n° 17003 N° Lexbase : A0123TSD et n° 17004 N° Lexbase : A0124TSE ; Cass. avis, 3 octobre 2019, n° 15017 N° Lexbase : A5140ZQG).

En l'espèce, la Cour de cassation a reçu une demande d’avis formée par le juge aux affaires familiales d’un tribunal judiciaire. Il ressort de l’avis que le jugement mentionnait seulement que « en cours de délibéré, les observations des parties et du ministère public sur la perspective d'une demande d'avis de la Cour de cassation ont été provoquées ». En conséquence, il ne résulte, d'aucun élément du dossier transmis à la Cour de cassation qu'un délai a été fixé pour recueillir les éventuelles observations écrites des parties. Par ailleurs, aucun élément ne relève que le ministère public et les parties ont été avisés de la date de transmission du dossier à la Cour de cassation ni que le ministère public a été avisé de la décision sollicitant l'avis.

Ces formalités n'ayant pas été accomplies et la mention dans le jugement étant insuffisante, la demande d’avis est irrecevable.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La saisine pour avis de la Cour de cassastion, in Procédure civile (dir. É. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E3918EUN.

 

newsid:487760

Responsabilité

[Brèves] Rupture abusive et brutale d’une relation impliquant une SCP d’huissiers : application du droit commun

Réf. : Cass. com., 6 décembre 2023, n° 21-25.369, F-D N° Lexbase : A865917T

Lecture: 4 min

N7779BZ7

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 26 Avril 2024

► La victime d’une rupture abusive et brutale peut décider de fonder son action sur le droit commun et non sur la disposition spéciale du Code de commerce ; si cette rupture abusive et brutale est caractérisée, le préjudice subi est alors égal à « la perte de la marge brute que la victime de la rupture aurait pu réaliser pendant la durée du préavis non respecté », y compris lorsque le co-contractant victime est un huissier

Faits et procédure. En l’espèce, une SCP d’huissiers s’était vu confier par l’Urssaf le recouvrement de créances. Une convention initiale unissait donc la société et l’Urssaf qui était initialement d’une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction. Quatre ans après le début de la convention, l’Urssaf avait fait savoir à la SCP qu’elle entendait mettre un terme à la convention moyennant un délai d’un peu moins de quatre mois. La SCP assigna donc l’Urssaf pour rupture abusive et brutale de la relation contractuelle. La cour d’appel avait d’une part retenu la responsabilité contractuelle de l’Urssaf sur le fondement du droit commun mais avait considéré que, s’agissant de l’évaluation du préjudice subi par la SCP, la jurisprudence indemnisant la perte de marge subie pendant la durée de préavis devait être écartée, et ce, en raison du caractère spécifique de l’activité de l’étude d’huissiers (CA Douai, 7 octobre 2021, n° 19/06337 N° Lexbase : A748848T).

Moyens du pourvoi. La SCP considérait d’une part que la rupture de la convention relevait de l’article L. 410-1 du Code de commerce N° Lexbase : L6581AIL, dans sa version applicable au litige, à savoir celle antérieure à l’ordonnance n° 2021-649, du 26 mai 2021, lequel a vocation à s’appliquer à « toutes les activités de production, de distribution et de services ». Elle considérait, d’autre part, que « la réparation du préjudice résultant du non-respect d’une obligation de respecter un préavis doit replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le juste préavis avait été exécuté ».

Solution. S’agissant du premier moyen, le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation relève que la cour d’appel n’a pas écarté la disposition spéciale issue du Code de commerce, mais s’est simplement fondée sur le droit commun pour sanctionner la rupture du contrat sans respecter de délai de préavis suffisant.

Deux remarques s’imposent. La première tient à l’application de l’article L. 410-1 du Code de commerce aux huissiers. Si certaines professions sont exclues du domaine d’application de cette disposition, à ce jour, il n’a pas été statué sur celle d’huissier. L’arrêt n’y répond pas, ce qui amène à la seconde remarque.

L’arrêt n’exclut pas la possibilité pour la cour d’appel de statuer sur le fondement du droit commun. S’agissant de l’application de l’article L. 410-1, seule la cour d’appel de Paris est en mesure de statuer sur ce fondement. Mais, la cour d’appel, autre que celle de Paris, celle de Douai en l’espèce, pouvait connaître de la question mais exclusivement sur le fondement du droit commun (Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.866, F-D N° Lexbase : A0508M7X). Tel était le cas en l’espèce. La victime d’une rupture brutale peut donc décider de délaisser le droit spécial au profit du droit commun (Cass. com., 8 février 2017, n° 14-28.232 N° Lexbase : A4746TBE).

S’agissant du second moyen, relatif au non-respect d’un délai de préavis raisonnable, la Cour de cassation considère qu’y compris en présence d’huissiers, « le préjudice subi du fait du non-respect d’un préavis raisonnable consiste en la perte de la marge brute que la victime de la rupture aurait pu réaliser pendant la durée du préavis non-respecté ». La cassation est donc prononcée au visa des textes antérieurs à l’ordonnance du 10 février 2016, et notamment l’article 1134 du Code civil. Une solution identique avait déjà été dégagée en présence d’un délai de préavis légalement fixé (Cass. com., 26 octobre 2022, n° 21-12.848 N° Lexbase : A55608RD).

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Secret professionnel

[Brèves] « Le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du CPC »

Réf. : Cass. civ. 1, 6 décembre 2023, n° 22-19.285, FS-B N° Lexbase : A6695174

Lecture: 5 min

N7695BZZ

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par Marie Le Guerroué

Le 14 Décembre 2023

► Le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l'avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates.

Faits et procédure. Un avocat inscrit au barreau de Toulouse avait conclu avec une société une convention de prestations juridiques. La société, soutenant que l'avocat avait commis un détournement de clientèle et une rétention de dossiers, avait déposé plainte pour abus de confiance. La convention avait été résiliée à l'initiative de l'avocat. Le président d'un tribunal judiciaire, saisi d'une requête de la société sur le fondement des articles 145 N° Lexbase : L1497H49, 845 N° Lexbase : L9340LT4 et 846 N° Lexbase : L9341LT7 du Code de procédure civile, avait désigné un huissier de justice, avec mission de se rendre au cabinet professionnel de l'avocat et de procéder, avec l'aide éventuelle d'un expert informatique, notamment, à la recherche de documents et correspondances de nature à établir les faits litigieux, les copies réalisées devant être séquestrées entre les mains de l'huissier de justice. L'ordonnance avait été exécutée. L'avocat avait alors assigné la société en rétractation de cette ordonnance, opposant le secret professionnel.

En cause d’appel. Pour rétracter l'ordonnance sur requête, l'arrêt rendu par la cour d’appel de Toulouse retient qu'aucun texte n'autorise la consultation ou la saisie des documents détenus par un avocat au sein de son cabinet en dehors de la procédure prévue à l'article 56-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1314MAW et que le juge a autorisé des mesures sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile qui ne sont pas légalement admissibles en ce qu'elles portent atteinte au secret professionnel des avocats.

Devant la Cour de cassation, la société fait grief à l'arrêt rendu par la cour d’appel de rétracter l'ordonnance, de prononcer la nullité du procès-verbal et de restituer les pièces appréhendées.

Solution. La Haute juridiction rend sa décision au visa de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et les articles 145 du Code de procédure civile, 66-5, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ et 4 du décret n° 2005-790, du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L6025IGA, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2023-552, du 30 juin 2023, portant Code de déontologie des avocats N° Lexbase : L0651MIX.
Elle énonce que le droit à un procès équitable, garanti par le premier de ces textes, implique que chaque partie à l'instance soit en mesure d'apporter la preuve des éléments nécessaires au succès de ses prétentions. Aux termes du deuxième de ces textes, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Constituent des mesures légalement admissibles, au sens de ce texte, des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Si, selon le troisième de ces textes, le secret professionnel couvre en toutes matières, dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier, il est institué dans l'intérêt du client ayant droit au respect du secret des informations le concernant et non dans celui de l'avocat. En application du quatrième de ces textes, l'avocat ne peut commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, à moins qu'il n'assure sa propre défense devant une juridiction.
Pour la Cour, il s'en déduit que le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l'avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en œuvre avec des garanties adéquates.
La Cour de cassation estime qu’ en statuant comme elle l’a fait, la cour d'appel a donc violé les textes susvisés.
Cassation. La Cour casse et annule la décision rendue par la cour d'appel de Toulouse.

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Voies d'exécution

[Le point sur...] La saisie des rémunérations : pour une nouvelle ère

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par Mylène Aressy, Juriste, Chambre nationale des commissaires de justice

Le 26 Avril 2024

Mots-clés : exécution forcée renforcée • droits de la défense • droit à l’exécution forcée • efficacité • délais accélérés • modernité • nouvelle charge pour le commissaire de justice • dématérialisation • numérique • suppression du recours judiciaire préalable

Plus de trente ans plus tard, après la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, la procédure de saisie des rémunérations rejoint enfin le droit commun des procédures civiles d’exécution avec la suppression de la phase de conciliation judiciaire préalable et de l’autorisation de la saisie par le juge. La réforme opère un jeu d’équilibriste contemporain en renforçant les droits du créancier par une meilleure attractivité de la procédure, et en préservant les droits et garanties du débiteur. La procédure est dynamisée et modernisée grâce à l’intervention du numérique dans sa mise en œuvre comme son déroulement. Le commissaire de justice est l’acteur de confiance de cette réforme il se voit confier le monopole de la charge de la répartition actuellement supportée par des tribunaux engorgés. L’autre objectif de cette réforme déjà amorcé dans la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, portant sur la simplification de la procédure civile est de recentrer le juge sur son cœur de métier et sur son office juridictionnel.


 

La loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L2962MKW vient d’être publiée au Journal officiel ce 21 novembre 2023 : son article 47 touchant largement à la saisie des rémunérations est dès lors irrévocable.

C’est chose certaine, la nouvelle réforme de la saisie des rémunérations entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2025 [1].

Une série de décrets interviendra prochainement pour préciser les modalités d’application de la mise en œuvre de cette nouvelle procédure.

Dans cette attente, retour sur cette réforme prometteuse.

I. Une réforme contemporaine de la saisie des rémunérations 

La réforme réaligne logiquement la saisie des rémunérations sur les autres procédures d’exécution (A) et fait place à une procédure efficace qui s’inscrit dans l’ère de la dématérialisation des procédures (B).

A. Une procédure réajustée au service du droit à l’exécution forcée

1) La sauvegarde des droits du créancier

Actuellement la procédure de saisie des rémunérations existante est jugée lente, complexe et peu efficace de sorte qu’elle n'intéresse peu les créanciers lesquels l’utilisent en dernier recours dans le processus de recouvrement.

Ce manque de résultat est regrettable, tant le droit à l’exécution forcée des décisions de justice est constitutionnellement et conventionnellement protégé.

Le Conseil constitutionnel estime que : « Toute société dans laquelle la garantie de droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; qu’est garanti par cette disposition le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif qui comprend celui d’obtenir l’exécution des décisions juridictionnelles » [2].

Il affirme que : « le droit d’obtenir l’exécution d’une décision de justice fait partie intégrante du droit à un recours juridictionnel » [3] et sanctionne l’absence d’un droit effectif à l’exécution forcée sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen N° Lexbase : L1363A9D.

Au niveau conventionnel, si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que ses protocoles additionnels ne font pas expressément du droit à l’exécution des décisions de justice un droit fondamental, la Cour européenne des droits de l’Homme l’a progressivement érigé comme tel.

L’arrêt de principe « Hornsby contre Grèce » en date du 19 mars 1997 [4] consacre implicitement le droit à l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Convention N° Lexbase : L1370A9M. Il énonce que le droit à un procès équitable « serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie ».

La Cour a par la suite reconnu, de manière expresse l’existence d’un « droit à l’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit » [5].

Il en résulte qu’il pèse sur les États une obligation positive de mettre en place un système effectif, en pratique comme en droit, qui assure l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées. La responsabilité des États peut se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de diligences ou encore empêchent l’exécution [6].

Le droit à l’exécution du titre exécutoire dans un délai raisonnable bénéficie d’une protection européenne et nationale importante de sorte que l’État doit créer les conditions adéquates permettant à un créancier d’obtenir son dû. L’inefficacité des procédures nationales est sanctionnée.

La réforme de la saisie des rémunérations concourt à cet objectif. En supprimant le recours préalable au juge et en imposant des délais, elle devient plus rapide, allégée, et renforce le droit à l’exécution forcée des créanciers.

Elle instaure un nouveau moyen légal de contrainte opportun pour le créancier qui pourra prendre en compte cette nouvelle procédure dans sa stratégie de choix des poursuites et non plus la relayer à un second plan.

Dans sa récente décision du 16 novembre 2023 [7], le Conseil constitutionnel confirme la poursuite de cet objectif d’efficacité en énonçant qu’en « adoptant ces dispositions, le législateur a entendu accroître l’efficacité de la procédure de saisie des rémunérations et permettre à un créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible d’en obtenir plus rapidement le paiement. Il a ainsi entendu mettre en œuvre le droit d’obtenir l’exécution des décisions de justice, qui découle du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

2) Le réalignement logique de la procédure de saisie des rémunérations sur le droit commun des mesures d’exécution

En avril 2022, le comité des états généraux de la justice faisait le constat que « la justice peine de plus en plus à répondre à la demande des justiciables dans des conditions de délai et de qualité acceptables », « souffre de problèmes structurels graves et, en contact direct avec les évolutions sociales », ne répondant « plus correctement aux exigences des citoyens. Pour ceux-ci, elle est lente, difficilement accessible et compréhensible, voire imprévisible ». [8]

La saisie des rémunérations telle qu’elle existe aujourd’hui, est l’exemple procédural type qui s’inscrit dans ce contexte de lenteur et de lourdeur juridique.

Actuellement, le recours au juge est indispensable pour qu’elle soit mise en œuvre, elle est de ce fait souvent jugée trop lente (délai d’audiencement pouvant parfois aller jusqu’à un an) et loin d’être pleinement efficace (long délai de répartition, deux par an dans certains tribunaux).

Elle est par ailleurs la « seule mesure d’exécution forcée mobilière qui fait l’objet d’une intervention préalable du juge de l’exécution et d’une mise en œuvre par les services du greffe des tribunaux judiciaires » [9].

Par ailleurs, les règles actuelles applicables à la saisie des rémunérations n’existent que de façon résiduelle dans le Code des procédures civiles d’exécution [10], lequel renvoie au Code du travail qui en contient la majeure partie [11].

Alors que toutes les procédures d’exécution forcée sont codifiées de manière autonome depuis 2012, ce renvoi est surprenant et confère un caractère particulier à cette mesure [12].

Un caractère particulier qui peut trouver à s’expliquer en raison la nature particulière du salaire, assiette de la saisie, mais il est difficilement compréhensible, procéduralement, de placer cette procédure en dehors des autres puisque d’autres notions protégées font elles-mêmes l’objet de saisies régies par le Code des procédures civiles d’exécution (tel est le cas des aliments qui sont saisis par le biais de la procédure de paiement direct prévue dans le Code des procédures civiles d’exécution [13])

Dès lors, elle revêt un caractère un peu désuet.

Un alignement de la saisie des rémunérations sur le droit commun des procédures civiles d’exécution était souhaitable et bienvenu par souci de cohérence.

C’est chose faite avec la nouvelle réforme qui replace les règles applicables à la saisie des rémunérations au sein du Code des procédures civiles d’exécution [14] et qui supprime le recours judiciaire préalable à l’acte de saisie.

Le premier acte délivré n’est plus une requête déposée devant un juge mais un commandement de payer adressé au débiteur, s’appuyant classiquement directement sur un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Modèle hybride, le nouveau modèle emprunte aux règles de procédures d’exécution déjà existantes qui s’inspire à la fois de la procédure de paiement direct (le commissaire de justice s’adressant directement à un employeur sans autorisation judiciaire) et de la procédure de saisie vente (en raison du commandement de payer préalable délivré au débiteur).

Le nombre d’actes délivrés par le commissaire de justice sera, par ailleurs, sensiblement équivalent aux autres procédures civiles d’exécution forcée.

La saisie des rémunérations est remise au même niveau que les autres mesures d’exécution forcée. Désormais c’est logiquement le Code du travail qui renverra au Code des procédures civiles d’exécution [15].

Ce nouveau modèle permettra de « recentrer le juge de l’exécution sur son office [16] » ; qui tranchera seulement les questions et difficultés juridiques nées de la mise en œuvre de la procédure et qui sera déchargé de la mission administrative et comptable de la répartition (voir infra).

B. Une procédure dynamisée empreinte de modernité

1) Une efficacité renforcée par des délais accélérés

La nouvelle procédure de saisie des rémunérations supprime le passage préalable obligatoire devant le juge.

Le premier acte de procédure qu’est la requête est remplacé par la signification d’un commandement de payer qui ouvre un délai d’un mois au débiteur pour s’exécuter, trouver un accord ou contester la mesure [17].

En substituant un commandement de payer à la requête, la réduction des délais de procédure sera une conséquence immédiate de la réforme.

Actuellement, le délai d’audiencement des requêtes est long, pouvant parfois dépasser une année dans certains tribunaux. En supprimant l’audience, ce délai d’audiencement ne posera plus de difficulté.

Par ailleurs, la réforme instaure un véritable rythme à la procédure de saisie des rémunérations en prévoyant de nouveaux délais uniformes là où aujourd’hui il n’en existe pas dans les textes et relèvent en pratique de chaque tribunal.

C’est ainsi que deux nouveaux délais font leur apparition : un délai d’un mois qui est ouvert par le commandement de payer les sommes dues afin que le débiteur puisse s’exécuter, trouver un accord ou contester la mesure [18] et un délai de trois mois qui est un délai maximal laissé au créancier pour signifier son procès-verbal de saisie à l’employeur sanctionné à peine de caducité [19].

Cette procédure doit alors être mise en œuvre rapidement, le créancier devant réagir entre un mois minimum et trois mois maximum après le commandement de payer.

Au stade de son déroulement, la procédure est de ce fait dynamisée.

Au stade de la gestion de la répartition, la procédure sera aussi accélérée.

D’une part, on peut légitimement penser qu’à l’instar de sa mission de gestion des dossiers, le commissaire de justice répartiteur sera certainement soumis à des délais de reversement soit sur le fondement du droit existant [20] soit par disposition spéciale intervenant dans un prochain décret.

D’autre part, un outil unique va faire son apparition : le registre numérique des saisies des rémunérations.

2) Une modernité souhaitée à l’aune du numérique

Depuis quelques années l’objectif de dématérialisation des procédures civiles est engagé.

Le développement numérique est au cœur des préoccupations de l’État avec néanmoins un constat que « le numérique est insuffisamment pris en compte dans la conception des réformes et peut freiner leur mise en œuvre et leur réussite, entraînant le découragement dans les juridictions » [21].

L’État a émis le souhait « de supprimer le papier en 2027 » pour toutes les juridictions. L’objectif étant de renforcer « la proximité avec les justiciables » [22].

Il a par exemple pour projet de développer des applications pour smartphone afin d’obtenir des informations sur le fonctionnement de la justice, de localiser un tribunal compétent ou encore simuler une pension alimentaire ou une aide juridictionnelle [23].

Le constat est clair : le recours au numérique est encouragé.

La réforme de la saisie des rémunérations s’inscrit dans cette dynamique avec la mise en place d’un registre dénommé « registre numérique des saisies des rémunérations ».

Actuellement, il n’existe pas de registre unique et national. Les registres sont tenus par les différents tribunaux de manière éparse, ce qui entraîne en pratique des difficultés (pour un exemple : si le débiteur déménage et qu’une requête en saisie des rémunérations est déposée devant le tribunal du ressort de son nouveau domicile, il n’est alors pas possible pour le tribunal saisi de connaître l’existence d’une précédente saisie des rémunérations entreprise devant une autre juridiction).

Le registre national tel qu’il est envisagé dans le nouveau texte permettra de recenser toutes les saisies des rémunérations diligentées sur le territoire national, le commissaire de justice ayant l’obligation d’y inscrire son commandement ainsi que son procès-verbal de saisie [24].

Il appartiendra à tout commissaire de justice de préalablement et obligatoirement consulter le registre avant d’engager une procédure de saisie des rémunérations afin de vérifier si une procédure n’est pas déjà en cours.

Il constituera, un moyen unique de centralisation de l’inscription des différentes saisies des rémunérations améliorant de fait leur traitement et leur gestion administrative.  

Le registre permettra, en outre, de désigner le commissaire de justice répartiteur de manière aléatoire et d’informer sur la fin de la procédure de saisie des rémunérations.

Parce qu’il recensera des données sensibles et confidentielles propres au débiteur, ce registre devra néanmoins être contrôlé et sécurisé.

Dans l’attente de l’intervention d’un décret en Conseil d’État et de l’avis de la Cnil, il est d’ores et déjà prévu qu’il soit placé sous la responsabilité de la Chambre nationale des commissaires de justice laquelle devra rendre des comptes annuellement au ministre de la Justice [25].

La future procédure fait preuve de modernité et d’uniformisation grâce à ce nouvel outil.

II. Une réforme traditionnelle de la saisie des rémunérations

Les droits des débiteurs sont sauvegardés, la procédure est humanisée (A) et confiée aux mains du commissaire de justice, tiers de confiance (B).

A. Une procédure fidèle au respect des droits de la défense

1) Les garde-fous de la procédure 

Bien que la réforme fasse preuve de modernité et d’efficacité en accélérant les délais de procédure, il n’en demeure pas moins qu’elle reste une procédure soucieuse des droits du débiteur.

À titre liminaire, elle ne peut et ne pourra être engagée qu’en présence d’un titre exécutoire au même titre que toutes les autres mesures d’exécution forcée. Par conséquent il est nécessaire de rappeler que même si le juge n’intervient plus pour autoriser la saisie, il est déjà intervenu durant la phase de jugement.

Par ailleurs, le Conseil d’État a très justement relevé que le principe de cette réforme est de « recentrer le juge de l’exécution sur son office, tout en maintenant un droit au recours effectif des débiteurs » [26].

À ce titre, on relève que le débiteur disposera de plusieurs recours possibles devant le juge de l’exécution durant tout le déroulement de la procédure de saisie des rémunérations.

En premier lieu, le commandement de payer ouvrira un délai d’un mois durant lequel il a la possibilité de saisir le juge de l’exécution de manière spécifique s’il estime la mesure d’exécution infondée [27].

Cette saisine sera suspensive d’exécution ; le juge devra statuer sur la difficulté soulevée et valider le commandement de payer avant que la poursuite de la procédure soit envisagée. Son contrôle reste sur ce point non négligeable.

En second lieu, la réforme prévoit la possibilité pour le débiteur de saisir le juge de l’exécution d’une contestation de la mesure à tout moment de la procédure [28].

Il s’agit là d’un article propre et spécial à la procédure de saisie des rémunérations qui cohabitera avec le droit commun existant. Cette saisine aura pour objet de contrôler la mise en œuvre et l’exercice de la saisie à tous les stades de la procédure. Elle ne sera pas suspensive d’exécution et ce logiquement pour éviter toute contestation dilatoire de la part du débiteur qui entraînerait une paralysie automatique de la mesure.

Enfin, une autre saisine du juge de l’exécution restera ouverte sur le fondement du droit commun des mesures d’exécution forcée lorsque la mesure est considérée inutile ou abusive [29].

Au total c’est donc trois types de recours différents qui sont ouverts au débiteur dont un a pour effet la suspension immédiate de la procédure s’il est exercé dans le délai d’un mois suivant la délivrance du commandement.

Dès lors est instauré un véritable contrôle effectif a posteriori de la légalité et de la validité de la procédure par le juge de l’exécution.

Ce contrôle sera réalisé à plusieurs niveaux et sur le fondement de trois textes différents qui permettra d’englober tout type de contestation et par conséquent d’encadrer strictement le déroulement de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations.

Lors de ces contestations, le rôle de l’avocat est par ailleurs inchangé puisqu’il pourra représenter le débiteur à l’audience.

En parallèle de ces possibles contestations, il est à noter que la réforme octroie une autre possibilité au débiteur qui aura un effet suspensif sur le cours la procédure : celle de parvenir à un accord amiable sur le montant et modalités de paiement avec son créancier[30].

Le principe de la conciliation préalable est maintenu ; si elle aboutit, la procédure est suspendue.

En définitive, la réforme contient plusieurs dispositions protectrices du débiteur, et reste respectueuse des droits de la défense.

2) La protection du salarié saisi inchangée

Actuellement, l’article L 3252-2 du Code du travail N° Lexbase : L0920H9X prévoit que les sommes dues à titre de rémunération ne sont saisissables ou cessibles que dans certaines proportions et selon des seuils déterminés par décret.

Or, si la réforme prévoit le transfert de la majeure partie des règles dans le Code des procédures civiles d’exécution, toutes les règles relatives à la procédure de saisie des rémunérations contenues dans le Code du travail ne sont pas abrogées ; tel est le cas pour cet article.

La procédure de saisie des rémunérations agit sur le salaire et par conséquent sur des sommes revêtant un caractère alimentaire et vital dans la vie du saisi, il était donc légitime que le régime dérogatoire et protecteur perdure. L’objectif d’humanisation des procédures civiles d’exécution, tel qu’il a été entrepris dès 1991, est poursuivi par le législateur.

C’est ainsi que la nouvelle procédure ne modifie pas les dispositions protectrices relatives au salaire et les règles relatives à sa quotité saisissable, elle n’a aucun impact sur l’assiette de la saisie.

Seule la quotité saisissable telle que connue aujourd’hui reste constitutive de l’assiette de la saisie.

La protection du salaire par le maintien de sommes insaisissables permet de laisser un minimum à vivre au saisi.

De la même manière, lors du déroulement d’une procédure de saisie vente, le saisi a droit au respect de sa vie privée ou encore de rester en possession de ses biens indispensables à son quotidien [31].

Encore, lors du déroulement d’une procédure de saisie attribution sur ses comptes bancaires, il lui est laissé à sa disposition une fois par mois un solde bancaire insaisissable correspondant à une somme forfaitaire égale au montant du revenu de solidarité active pour un allocataire seul [32].

D’autre part, la réforme conserve le principe de la conciliation préalable. Seule sa charge est transférée aux commissaires de justice.

Actuellement, la procédure débute par une audience de conciliation devant le juge de l’exécution et préalable à la délivrance du procès-verbal de saisie [33].

La réforme prévoit que le commandement de payer, premier acte de la nouvelle procédure, « somme le débiteur de régler sa dette et l’invite, à défaut, à participer à l’établissement d’un accord sur le montant et les modalités de paiement de celle‑ci » [34].

C’est donc désormais avec le commissaire de justice qui faudra tenter de trouver un accord.

On peut espérer que ce changement d’interlocuteur entraîne un plus grand succès de la conciliation là où la phase de conciliation judiciaire actuelle est relativement peu efficace, le taux de présence des débiteurs à l’audience étant très restreint (environ 20 %).

On peut penser que la conclusion d’un accord sera facilitée avec le commissaire de justice : les débiteurs ont l’habitude de se présenter dans les offices et y sont reçus sans rendez-vous.

Ils connaissent déjà parfois les commissaires de justice et seront plus à même de se présenter à lui pour une tentative de règlement amiable plutôt que devant le juge au sein d’un tribunal, terrain moins intimiste et familier.

Dès lors la réforme offrira a minima une protection inchangée du salarié mais l’on peut espérer une protection améliorée au travers de cette conciliation facilitée.

B. La réaffirmation du rôle essentiel du commissaire de justice dans l’exécution forcée

1) La mission traditionnelle du commissaire de justice saisissant

La quasi-totalité des mesures d’exécution fonctionne sur le même système que celui proposé par la réforme.

Le juge étant déjà intervenu pour établir le titre exécutoire, seul le commissaire de justice a la responsabilité de la mise en œuvre de l’exécution forcée (sauf procédure de saisie immobilière). Il suit le déroulement de la mesure qu’il impulse et encaisse les sommes qu’il reverse au créancier.

La réforme réaligne la procédure de saisie des rémunérations sur le droit commun des autres procédures d’exécution forcée mobilière de sorte que le nouveau rôle que va exercer le commissaire de justice saisissant n’est autre qu’un rôle traditionnel qu’il exerce déjà lors de la mise en œuvre de la plupart des mesures d’exécution forcée.

En effet, il délivre déjà aujourd’hui des commandements de payer ouvrant un certain délai au débiteur pour s’exécuter dans d’autres procédures et la mission de conciliation et de médiation n’est pas une nouveauté.

La tentative de conciliation menée par le commissaire de justice existe dans la procédure de recouvrement des petites créances [35], l’activité de médiation est une activité accessoire du commissaire de justice [36].

La mission de conciliation relève, par ailleurs, par nature de son activité quotidienne. Elle fait partie intégrante de l’exercice de sa profession puisqu’il cherche en réalité naturellement la mise en place préalable à toute mesure d’exécution forcée d’un échéancier qui satisfasse l’ensemble des parties.

La nouvelle loi vient inscrire cette mission dans le statut du commissaire de justice.

Désormais, « les commissaires de justice sont les officiers publics et ministériels qui ont seuls qualité, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, pour :

1° Ramener à exécution les décisions de justice ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire, après avoir tenté, le cas échéant, de susciter un accord entre les parties » [37].

Mandaté par le créancier, le législateur a pu craindre que le commissaire de justice fasse preuve de partialité et soit moins enclin à proposer une conciliation ou un échéancier pour le paiement de la dette.

Il est alors légitime de penser que c’est la raison de ce souhait du législateur d’intégrer au statut du commissaire de justice cette mission de conciliation au sens large ; son statut, sa déontologie et son indépendance faisant de lui un tiers de confiance.

La réforme réaffirme l’existence d’une mission naturelle et traditionnelle exercée par le commissaire de justice mais ne crée aucun bouleversement majeur pour le commissaire saisissant.

2) La nouvelle mission du commissaire de justice répartiteur

La réforme est plus innovante sur la création de la nouvelle fonction de commissaire répartiteur.

Il est en effet prévu que la charge de la répartition des fonds saisis assumée par les greffes des différents tribunaux soit transférée aux commissaires de justice.

L’article 60 de loi prévoit que la nouvelle procédure de saisie des rémunérations est applicable « aux procédures de saisie des rémunérations autorisées ».

En conséquence, ce sont toutes les procédures de saisie en cours au jour de l’entrée en vigueur du texte qui seront transmises aux commissaires de justice.

Les modalités pratiques et l’organisation matérielle de ce transfert seront précisées dans un décret d’application à venir.

Concrètement au début de la mise en œuvre de la saisie et avant la délivrance du procès-verbal de saisie, un commissaire dit « répartiteur » sera désigné, selon un processus aléatoire, à la demande du créancier et par la Chambre nationale. Il interviendra dans la procédure de manière indépendante du commissaire de justice mandaté par le créancier saisissant.

Cette mission ne sera pas supportée par tout commissaire de justice mais seulement sur celui exerçant l’activité de répartiteur à part entière, formé spécialement à cet effet et recensé sur une liste diffusée par la Chambre nationale [38].

Il aura pour mission de « recevoir les paiements du tiers saisi, de les reverser au créancier saisissant et de répartir les fonds en cas de pluralité de créanciers » [39].

En réalité il s’agit d’une mission de séquestre et de comptabilité que le commissaire de justice est habitué à exercer lorsqu’il diligente les autres procédures civiles d’exécution.

Néanmoins, la technicité du calcul des quotités saisissables, le caractère alimentaire du salaire justifient la mise en place d’une formation spéciale et d’un contrôle important.

La réforme ajoute en ce sens un 4 bis à l’article 16 de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut des commissaires de justice : désormais, la Chambre nationale des commissaires de justice aura pour attribution « d’assurer l’organisation de la formation nécessaire à l’activité de commissaire de justice répartiteur lors d’une procédure de saisie des rémunérations et de diffuser annuellement la liste des commissaires de justice ayant satisfait à cette formation ».

Par ailleurs et au même titre que le commissaire de justice saisissant, le commissaire de justice répartiteur verra son activité contrôlée dans le cadre des habituels contrôles de comptabilité.

La distinction des missions de saisie et de réparation permettra aussi un contrôle mutuel de chaque commissaire de justice intervenant à la procédure.

Ce transfert de compétence du juge au commissaire de justice répartiteur permettra au juge de se concentrer sur sa mission de juger en se trouvant libéré d’une tâche administrative lourde qu’est la répartition.

 

[1] Article 60, X, de la loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023, d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : Z31953U8.

[2] Cons. const., décision n° 2014-455 QPC, du 6 mars 2015 N° Lexbase : Z227983L.

[3] Cons. const., décision n° 2017-672 QPC, du 10 novembre 2017 N° Lexbase : Z991867N.

[4] CEDH, 19 mars 1997, Req. n° 25701/94, Hornsby c. Grèce N° Lexbase : A8438AWG.

[5] Par exemple, CEDH, 11 janvier 2001, Req. n° 21463/93, Lunari c. Italie N° Lexbase : A7270AW8.

[6] CEDH, 7 juin 2005, Req. n° 71186/01, Fouklev c. Ukraine [en ligne].

[7] Cons. const., décision n° 2023-855 DC, du 16 novembre 2023 N° Lexbase : A61401ZG.

[8] Rapport du comité Sauvé des États généraux de la justice (octobre 2021 - avril 2022) [en ligne].

[9] CE, Avis consultatif, 3 mai 2023 [en ligne].

[10] CPCEx., art. L. 212-1 N° Lexbase : L5842IRS à L. 212-3 N° Lexbase : L5847IRY.

[11] C. trav., art. L. 3252-1 N° Lexbase : L0916H9S à L. 3252-13 N° Lexbase : L0950H93 et R. 3252-1 N° Lexbase : L8965H9W à R. 3252-44 N° Lexbase : L1711LS8.

[12] Loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L9124AGZ.

[13] CPCEx., art. L. 213-1 N° Lexbase : L2853MAW et s.

[14] CPCEx., nouv. art. L. 212-1 N° Lexbase : L5842IRS à L. 212-16 N° Lexbase : L3503MKX.

[15] C. trav., nouv. art. L. 3252-4 N° Lexbase : L3925IRS.

[16] CE, Avis consultatif, 3 mai 2023 [en ligne].

[17] CPCEx., art. L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79, L. 212-3 N° Lexbase : L3501MKU et nouv. art. L. 212-4 N° Lexbase : L3627MKK.

[18] CPCEx., nouv. art. L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79.

[19] CPCEx., nouv. art. L. 212-6 N° Lexbase : L3629MKM.

[20] C. com., art. R. 444-56 N° Lexbase : L1905MDW.

[21] Rapport du comité Sauvé des États généraux de la justice (octobre 2021 - avril 2022) [en ligne].

[22] Déclaration du M. Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la mise en œuvre des États généraux de la justice, à l’Assemblée nationale, le 10 janvier 2023 [en ligne].

[23] Déclaration du M. Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la mise en œuvre des États généraux de la justice, à l’Assemblée nationale le 10 janvier 2023.

[24] CPCEx., art. L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79 et L. 212-7 N° Lexbase : L3630MKN.

[25] Ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut de commissaire de justice, nouv. art. 16, 12 bis N° Lexbase : L4070K8A.

[26] Avis consultatif du Conseil d’État sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, du 2 mai 2023 [en ligne].

[27] CPCEx., nouv. art. L. 212-4 N° Lexbase : L3627MKK.

[28] CPCEx., nouv. art. L. 212-4.

[29] CPCEx., nouv. art. L. 121-2 N° Lexbase : L5805IRG.

[30] CPCEx., nouv. art. L. 121-2.

[31] CPCEx., art. L. 112-2 N° Lexbase : L5801IRB et R. 112-2 N° Lexbase : L2141ITH.

[32] CPCEx., art. L. 162-2 N° Lexbase : L5836IRL.

[33] C. trav., art. R. 3252-17 N° Lexbase : L4491IAL.

[34] CPCEx., nouv. art. L. 212-3 N° Lexbase : L3501MKU.

[35] CPCEx., art. L. 125-1 N° Lexbase : L7315LPM et R. 125-1 à R. 125-6 N° Lexbase : L9214LTG.

[36] Décret n° 2021-1625, du 10 décembre 2021, relatif aux compétences des commissaires de justice, art. 29 N° Lexbase : Z76251TP.

[37] Ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut des commissaires de justice N° Lexbase : L4070K8A, modifiée par l’article 47 de la nouvelle loi.

[38] CPCEx., nouv. art. L. 212-9 N° Lexbase : L3632MKQ ; ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut des commissaires de justice, art. 16, 4 bis N° Lexbase : Z79272T4.

[39] CPCEx., nouv. art. L. 212-9 N° Lexbase : L3632MKQ.

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Voies d'exécution

[Jurisprudence] Délai d’exécution de l’article L. 111-4 du CPCEx : le point de départ du délai fixé à la signification de la décision

Réf. : Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, no 20-23.523, FS-B N° Lexbase : A17071KG

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par Marilyn Guez, Maître de conférences Université Paris Nanterre

Le 26 Avril 2024

Mots-clés : acte juridictionnel • exécution forcée • délai • titre exécutoire • force exécutoire • prescription • signification

Le délai de dix ans pendant lequel l’exécution d’une décision de justice mentionnée à l’article L. 111-3, 1° du Code des procédures civiles d’exécution peut être poursuivie court à compter du jour où, ayant acquis force exécutoire, cette décision constitue un titre exécutoire au sens de ce texte. Pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire doit avoir été notifié au débiteur, à moins que l’exécution n’en soit volontaire, et être revêtu de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement.


 

La décision commentée, rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 5 octobre 2023, qui a les honneurs d’une publication au bulletin, se prononce, de façon inattendue, sur le point de départ du délai décennal, de l’article L.111-4 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5792IRX, fixé pour l’exécution forcée des titres exécutoires de nature juridictionnelle. De façon incidente, la décision revient également sur la notion de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du même code N° Lexbase : L3909LKY. Elle met en lumière les difficultés que suscite l’application de ces dispositions, dont les enjeux théoriques et pratiques sont considérables.

Dans cette affaire, un arrêt condamnant un débiteur au paiement d’une certaine somme est prononcé le 29 mai 2007, puis rectifié le 4 septembre suivant. La décision obtenue n’est, semble-t-il, signifiée que le 16 décembre 2016, puis, à nouveau, le 22 mai 2017. Sur le fondement de cette condamnation, une saisie-attribution est entreprise le 3 août 2018, soit plus de dix ans après le prononcé de la décision. Des contestations s’élèvent sur l’exécution. La saisie-attribution est validée, par le juge de l’exécution, avant que la cour d’appel en ordonne la mainlevée, déclarant prescrite l’action en recouvrement. La cour d’appel juge « que l’arrêt du 29 mai 2007, […] non susceptible d’un recours suspensif, avait, dès son prononcé, autorité et force de chose jugée et que le point de départ de la prescription court donc à compter du 29 mai 2007, l’arrêt rectifié n’ayant pas pour nature de reporter la date d’effet de l’arrêt qu’il rectifie ». Elle ajoute qu’un arrêt ne peut être exécuté, même ayant acquis autorité et force de chose jugée, qu’une fois la copie exécutoire délivrée et après notification ou signification ; cette signification, qui est une condition préalable, n’étant toutefois pas assimilée à un acte d’exécution. La cour juge, en conséquence, tardive la saisie-attribution du 3 août 2018. Le délai d’exécution était-il réellement expiré ? La signification intervenue près de dix ans après le prononcé de la décision pouvait-elle suffire à sauver la saisie-attribution ?

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, sur un moyen de pur droit relevé d’office, fixe le point de départ du délai d’exécution de l’article L.111-4 au jour de la signification du titre exécutoire. L’arrêt commenté, rendu au visa des articles L. 111-3, 1° et L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution et des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A, 502 N° Lexbase : L6619H7B et 503 N° Lexbase : L6620H7C du Code de procédure civile relatifs aux conditions de l’exécution, se fonde sur une analyse détaillée des textes. La cassation est prononcée pour violation de la loi. La cour d’appel, qui avait relevé que l’arrêt du 29 mai 2007, passé en force de chose jugée dès son prononcé, n’avait été signifié que le 16 décembre 2016, aurait dû, selon la Haute juridiction, constater que la saisie-attribution avait été pratiquée dans le délai de l’article L. 111-4 précité. L’arrêt commenté témoigne d’une réelle pédagogie et détaille chacune des étapes du raisonnement ayant permis à la Cour de cassation de parvenir à cette décision. Difficile, pour autant, d’adhérer tant à la motivation de l’arrêt, qu’à la solution retenue. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification présente, en effet, de sérieux inconvénients (I), que rien ne semble justifier (II).

  1. I. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification du jugement civil

L’exclusion d’un décompte du délai d’exécution de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution au jour du prononcé de la décision (A), conduit la deuxième chambre civile à fixer le point de départ de ce délai à la signification de la décision servant de fondement aux poursuites. La solution retenue présente de sérieux inconvénients (B).

A. L’exclusion d’un décompte au jour du prononcé de la décision

L’article L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX, qui figure, désormais, au sein d’un titre du Code des procédures civiles d’exécution dédié aux conditions de l’exécution forcée, énonce, en son alinéa 1er que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 N° Lexbase : L3909LKY ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ». Cette disposition, initialement introduite à l’article 3-1 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 par la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, consacre, sur le plan législatif, l’application après le prononcé du jugement de condamnation d’un délai de prescription spécifique, qui, sauf exceptions, se substitue au délai plus court normalement applicable à l’action en justice. Le délai d’exécution de l’article L.111-4 reprend en le modernisant, un phénomène très ancien, de filiation romaine, conceptualisé dès les années mille-neuf-cent-soixante comme une hypothèse particulière d’interversion des prescriptions. Initialement, l’interversion substituait la prescription trentenaire, de droit commun, au délai plus court de l’action en justice primitive. Après la réforme, ce délai d’exécution, dont la durée est réduite à dix ans, continue de susciter de nombreuses interrogations, quant à la nature du délai extinctif  [1], quant à son champ d’application [2], y compris territorial [3], ou encore quant aux modalités selon lesquelles le délai doit être décompté. Le délai décennal pose, entre autres, la question de son point de départ qui n’est pas unanimement résolue.

Des divergences jurisprudentielles. La jurisprudence du 5 octobre 2023 a le mérite de fixer la position de la deuxième chambre civile sur la question du point de départ du délai d’exécution, mais elle intervient dans un contexte de divergences jurisprudentielles entre les chambres de la Cour de cassation. Or, il n’est pas certain que l’arrêt commenté, compte tenu des inconvénients attachés à la solution retenue, suffise à y mettre un terme. Les solutions jurisprudentielles sont, en effet, hétérogènes. Quand certains arrêts prolongent l’effet interruptif de la prescription résultant de la demande en justice jusqu’aux dates les plus diverses – la signification [4] ou l’acquisition par le jugement civil d’un caractère « définitif » qui en résulterait [5] ; la connaissance par le demandeur de l’arrêt rendu devenu irrévocable [6] –, d’autres arrêts, le plus souvent dans le cadre de la procédure de référé, décident que l’interruption cesse au jour du prononcé de la décision [7]. La première chambre civile de la Cour de cassation a, par exemple, jugé dans une décision du 4 novembre 2015, que l'exécution d’un jugement rendu en Allemagne pouvait être poursuivie pendant le délai prévu à l'article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution courant à compter de la décision d’exequatur pour la dette globale représentant le montant des arrérages capitalisés à cette date [8]. Dans l'arrêt commenté, la cour d’appel, se fondant sur le fait que l’arrêt dont l’exécution était poursuivie, n’était pas susceptible de recours suspensif d’exécution et était doté de l’autorité et de la force de chose jugée dès son prononcé, retient, dans le même sens, pour point de départ du délai d’exécution le moment du prononcé de la décision. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation n'est pas de cet avis.

L’absence d’incidence de la signification sur le cours du délai extinctif. La cour d’appel apporte, toutefois, une importante précision, qui n’est pas démentie par la Cour de cassation. En refusant, à juste titre, d’assimiler la signification de l’arrêt à un acte d’exécution, la cour d’appel juge, implicitement, que la signification n’a pu avoir pour effet d’interrompre le délai d’exécution, qui, selon elle, aurait commencé de courir à compter du prononcé de la décision. En l’espèce, la solution inverse aurait permis de sauver sur ce seul motif la saisie-attribution. L’article 2244 du Code civil N° Lexbase : L4838IRM précise, sur ce point, que « le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ». Si la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt d’appel, l’alternative qu’elle propose, la fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification, prête le flanc à la critique.

B. Les inconvénients d’une reprise du délai de prescription au jour de la signification

La date incertaine de la signification. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification présente une difficulté majeure, liée à l’impossibilité de déterminer, avec certitude, à la seule lecture du jugement civil la date à laquelle l’exécution ne peut plus être poursuivie. Dans cette approche, la reprise du cours de la prescription intervient, en effet, à une date aléatoire, au gré des diligences des parties. Elle est un repère temporel subjectif, qui dépend étroitement de leur comportement après le prononcé de la décision de justice. Avec un tel repère, la date exacte est impossible à déterminer de façon théorique. Pour la connaître, il conviendra de vérifier, dans chaque situation concrète, les démarches accomplies par les parties postérieurement au prononcé du jugement civil. Or, une telle vérification est particulièrement difficile. La mention de la signification n’est pas portée en marge des jugements civils et il n’existe aucun fichier central qui répertorierait, au niveau national, les significations des décisions de justice. Dans ces conditions, sauf à tenir entre ses mains le procès-verbal de signification, il est impossible de savoir si une décision de justice a ou n’a pas été signifiée, partant, si les droits sont ou ne sont pas prescrits. La difficulté est d’autant plus grande que la créance de somme d’argent est un droit disponible, par nature transmissible, dont pourraient se prévaloir les ayants-droits des parties à distance du prononcé de la décision. La solution retenue pose, ainsi, de sérieuses difficultés probatoires, qu’accentue l’absence de délai butoir tant pour la signification, que pour l’exécution des décisions de justice.

Le risque d’imprescriptibilité. La signification du jugement civil n’est, en effet, enfermée dans aucune limite temporelle. Quant à l’exécution des titres exécutoires, l’article L. 111-4, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution précise expressément que le délai butoir de l’article 2232 du Code civil N° Lexbase : L7744K9P n’est pas applicable. Cette dernière disposition précise que les causes de report du point de départ, de suspension ou d’interruption ne peuvent, sauf exceptions, avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. En d’autres termes, en l’absence de délai butoir, tant pour la signification, que pour l’exécution, celle-ci pourrait être poursuivie sans limite de temps. La solution retenue a pour effet de rendre potentiellement imprescriptibles les créances qui résultent de décisions de justice qui n’ont pas été signifiées. En reportant le point de départ de la prescription à un événement aléatoire dans sa réalisation et qui pourrait bien ne jamais intervenir, la deuxième chambre civile prend le risque que resurgissent d’anciennes décisions de justice, à une date où le dépérissement des preuves – preuves de la signification ou du paiement – est un vrai sujet. La solution retenue est évidemment source d’insécurité juridique. La situation n’est pas maîtrisable pour le débiteur, sauf à ce qu’il procède lui-même à la signification. Or, plus le temps passe, plus il est difficile d’imaginer que la partie condamnée prenne le risque de signifier une décision de justice, dont le créancier semble se désintéresser, au seul motif de faire courir le délai d’exécution.

L’incidence d’une nullité de la signification. À l’incertitude juridique et au risque d’imprescriptibilité, s’ajoute un autre inconvénient qui tient aux conséquences d’une éventuelle nullité de la signification. Si la nullité devait être judiciairement déclarée, l’anéantissement rétroactif de l’exploit d’huissier aurait nécessairement pour conséquence faire échec au décompte du temps imparti pour l’exécution. Ainsi, un créancier peu diligent, qui aurait laissé plus de dix ans s’écouler depuis le prononcé du jugement civil, trouverait ici un argument décisif, lorsque le débiteur est à l’origine d’une signification irrégulière. Or, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déjà jugé que la nullité des actes de signification des décisions de justice, qui tend à contester le caractère exécutoire des décisions sur le fondement desquelles la procédure de saisie immobilière est pratiquée constitue non une exception de procédure, mais une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause [9].

Les incidences pratiques de la décision commentée. Les incidences pratiques sur l’exécution forcée sont évidemment considérables. D’une part, la décision commentée ressuscite des créances que l’on croyait définitivement éteintes par l’effet de la prescription, au seul motif que le titre exécutoire qui les consacre n’aurait pas été signifié. La jurisprudence du 25 octobre 2023 permet de poursuivre le recouvrement sur le fondement d’anciennes décisions faute de signification, mais, y compris, faute de preuve de la signification. L’exécution est confortée par le régime juridique de la fin de non-recevoir tirée de la prescription extinctive, qui n’est pas d’ordre public, mais d’intérêt privé et ne peut être relevée d’office par le juge de l’exécution [10]. Du reste, comment le pourrait-il alors qu’aucune mention de la signification n’est portée en marge du jugement civil ?  D’autre part, la décision commentée maintient artificiellement en vie les créances constatées par des décisions de justice tant que celles-ci n’ont pas été signifiés. Indirectement, elle offre au créancier la faculté d’allonger ab initio le délai d’exécution en différant la signification [11]. Ce qui est, côté débiteur, source d’insécurité juridique et constitue une perturbation majeure du cours de l’exécution, se transforme, côté créancier, en un atout, lui permettant de façon injustifiable, de reprendre la main sur l’exécution.

Alors comment la deuxième chambre civile de la Cour de cassation parvient-elle à cette décision ?

II. La qualification de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3, 1° du CPCE subordonnée à la signification

L’analyse du raisonnement suivi par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laisse entrevoir que la décision commentée retient une définition trop restrictive du titre exécutoire, dont elle devrait, en réalité, s’émanciper pour mieux atteindre les finalités de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, qui visent à encadrer le délai d’exécution forcée et, surtout, à mettre un terme définitif à toute insécurité juridique à distance de dix ans du prononcé des décisions de justice (A). Or, l’absence de toute référence au droit commun de la prescription, dans l'arrêt commenté,  n’interdit pas de s’y référer et de proposer un point du départ du délai extinctif plus en adéquation avec les finalités poursuivies (B).

A. L’adoption d’une définition trop restrictive du titre exécutoire

Le champ d’application de l’article L. 111-4 du CPCE. Le raisonnement de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est fondé sur une analyse ordonnée des textes rappelés au visa. Elle déduit, d’abord, de la combinaison des articles L. 111-3, 1° N° Lexbase : L3909LKY et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX du Code des procédures civiles d’exécution que le délai de dix ans pendant lequel l’exécution d’une décision de justice mentionnée à l’article L. 111-3, 1° peut être poursuivie court « à compter du jour où, ayant acquis force exécutoire, cette décision constitue un titre exécutoire au sens de ce texte ». La décision commentée déduit, ensuite, des dispositions des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A à 503 du Code de procédure civile que « pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire […] doit […] avoir été notifié au débiteur, à moins que l’exécution n’en soit volontaire, et être revêtu […] de la formule exécutoire à moins que la loi n’en dispose autrement ». Ce faisant, la décision commentée s’attache dans un premier temps à mettre en lumière le champ d’application de l’article L. 111-4, qui est, en effet, strictement limité aux titres exécutoires de nature juridictionnelle. La première difficulté tient, toutefois, à la définition restrictive qu’elle en donne, qui, indirectement, a une incidence décisive sur la détermination du point de départ du délai d’exécution.

L’interprétation restrictive. Il faut admettre que le titre exécutoire, « notion essentielle des procédures civiles d’exécution » [12], n’est défini ni dans le Code des procédures civiles d’exécution, ni dans le Code de procédure civile [13]. La notion ne l’était pas davantage dans la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L9124AGZ. Le législateur a fait le choix de n’établir qu’une liste des titres exécutoires, codifiée à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Cela explique que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ait eu à s’interroger précisément sur ce qui, au sens de ce texte, constitue un titre exécutoire  entrant dans le champ d’application de l’article L.111-4. D’après l’arrêt commenté, la qualification de titre exécutoire serait subordonnée, par application des articles 501 à 503 précités, à l’apposition de la formule exécutoire et à la signification de la décision. Seule la décision de justice « ayant acquis force exécutoire » serait, ainsi, susceptible d’une telle qualification. Les prémisses du raisonnement ont pour conséquence de retarder l’application du délai décennal au jour de la signification, date à laquelle la décision de justice constituerait, enfin, aux termes des articles 501 et suivants, un titre exécutoire. Cette définition restrictive, pourtant, ne s’impose pas à la lecture des textes invoqués.

Formalisme et utilité du titre exécutoire. « Considéré comme instrumentum » [14], le titre exécutoire se définit, tant par l’aspect extérieur de l’outil, son caractère formel (a), que par les finalités qu’il poursuit (b). (a) Quant à la forme, le titre exécutoire est un acte écrit, en principe revêtu de la formule exécutoire [15], qui puise son autorité dans la nature profonde de l’acte sous-jacent, qui peut être de nature juridictionnel, – l’acte de juridiction qui dit le droit, en restituant alors le negotium. Quant à ses finalités, qui sont plurielles, le titre exécutoire permet, pour l’essentiel, l’exécution forcée directe, immédiate (ou presque) des obligations consacrées par le negotium, laquelle vise à remédier à la résistance ou à l’inertie du débiteur. Les caractères direct et immédiat de l’exécution renvoient au fait que les mesures entreprises sur  le fondement du titre exécutoire ne sont subordonnées à aucune autorisation judiciaire préalable [16].

Le respect des conditions générales de l’exécution. Or, lorsque le titre exécutoire assortit une décision de justice, le caractère exécutoire du titre ne résulte pas du seul prononcé de la décision. L’article 501 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6618H7A énonce, à cet égard, que « le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire ». Le passage en force de chose jugée constitue ainsi l’instant clé, qui détermine, à la fois, la consolidation de la norme juridictionnelle à l’expiration des voies ordinaires de recours et, sauf exceptions, le moment d’acquisition du caractère exécutoire [17]. Or, la rédaction de l’article 501 paraît, à première lecture, subordonner le caractère exécutoire du titre aux « conditions qui suivent », qui sont les conditions générales de l’exécution des articles 502 N° Lexbase : L6619H7B à 508. Elle paraît, en conséquence, ériger notamment la signification de la décision de justice en un élément déterminant de la qualification. Faut-il nécessairement s’en convaincre ? Peut-être pas, notamment à la lecture de l’article 504 N° Lexbase : L6621H7D. Cette disposition énonce que « la preuve du caractère exécutoire ressort du ugement [ndlr. : indépendamment donc de sa signification] lorsque celui-ci n’est susceptible d’aucun recours suspensif ou qu’il bénéficie de l’exécution provisoire. Dans les autres cas, cette preuve résulte : - soit de l’acquiescement de la partie condamnée ; - soit de la notification de la décision et d’un certificat permettant d’établir, par rapprochement avec cette notification, l’absence, dans le délai, d’une opposition, d’un appel, ou d’un pourvoi en cassation lorsque le pourvoi est suspensif ». S’il est certainement difficile de tirer d’une règle probatoire un critère notionnel, reste qu’au cas présent, elle constitue, a minima, un indice de ce que la signification, dont nul ne conteste qu’elle est une condition préalable à l’exécution, n’est peut-être pas indispensable à la définition du titre exécutoire.

L’interprétation utile. Au-delà de l’interprétation littérale des textes et de la discussion, à laquelle invite l’arrêt commenté, quant aux éléments constitutifs du titre exécutoire, l’interprétation des dispositions des articles L. 111-3, 1° et L. 111-4 doit avoir pour objectif d’assurer que l’article L. 111-4 constitue une règle efficace, fonctionnelle, qui permette, à la fois, de garantir le droit à l’exécution et la sécurité juridique, en encadrant et limitant le temps de l’exécution. Retenir une définition moins restrictive du titre exécutoire, en décorrélant l’existence du titre de la signification du jugement civil, permet ainsi d’envisager d’autres points de départ au délai d’exécution, qui seraient plus en adéquation avec les objectifs poursuivis. Du reste, des solutions divergentes apparaissent régulièrement en jurisprudence. En doctrine, différents points de départ ont été proposés, soit l’irrévocabilité du jugement civil, soit le prononcé de la décision de justice. C’est cette dernière solution qui, à notre sens, devrait être retenue [18]. Or, l’un des points surprenants de la décision commentée tient à l’absence de toute référence au droit commun de la prescription.

B. L’absence de toute référence au droit commun de la prescription

La confrontation de l’article L. 111-4 du CPCE au droit commun de la prescription. Dans l’arrêt commenté, il est remarquable que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui relève d’office le moyen de pur droit, fonde son raisonnement exclusivement sur la confrontation des dispositions des articles L. 111-3, 1° N° Lexbase : L3909LKY et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX du Code des procédures civiles d’exécution et des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A à 503 du Code de procédure civile. À la lecture de la décision, la Haute juridicition ne semble pas, un seul instant, tourner le regard vers les articles 2219 N° Lexbase : L7189IAI à 2254 du Code civil. Autrement dit, elle n’a d’yeux que pour les conditions générales de l’exécution et passe sous silence, volontairement ou involontairement, les règles relatives à la prescription extinctive. Ces dernières ont pourtant vocation à s’appliquer. Le droit de l’exécution est à la croisée de la procédure et du droit substantiel ; l’un et l’autre éclairent les dispositions de l’article L. 111-4. Le délai décennal doit, ainsi, être replacé dans le droit commun de la prescription extinctive, autant que dans le droit de l’exécution.

L’application du droit commun de la prescription. Après le prononcé du jugement civil, les droits consacrés par la décision de justice conservent leur nature originelle, les droits prescriptibles le demeurent. Au stade de l’exécution, la durée du délai extinctif demeure profondément liée à la nature des droits subjectifs [19]. La durée décennale est, ainsi, écartée chaque fois que la nature des droits le commande [20]. Les causes de report, de suspension, d’interruption du délai d’exécution sont à rechercher en les confrontant aux solutions dégagées en droit commun, afin de vérifier, non pas tant leur application, que leur pertinence à un stade où le rapport de droit substantiel est clarifié par la décision de justice. Les finalités du délai extinctif ex judicio, c’est-à-dire après le prononcé du jugement civil, sont identiques à celles que poursuit le délai de prescription originel. Ce délai n’est, du reste, qu’interrompu par la demande en justice et il faut bien qu’il reparte. Si survient, au passage, une modification de son quantum, qui relève pour l’essentiel d’une question de politique juridique, celle-ci n’altère en rien la nature du délai de prescription. C’est au droit commun de la prescription extinctive qu’il convient de se référer.

L’apport du droit commun de la prescription. Or, le Code civil demeure peu disert quant à la portée temporelle de l’interruption de la prescription par l’effet de la citation. L’article 2242 du Code civil N° Lexbase : L7180IA8, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, précise, seulement, que l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets « jusqu’à l’extinction de l’instance ». Cette disposition fixe le point d’ancrage du délai d’exécution. L’analyse de son point de départ ne saurait être menée sans une interprétation de l’article 2242. L’absence de toute référence dans l’arrêt commenté à la disposition précitée explique peut-être que le point de départ du délai décennal paraît déterminé sans aucune considération pour le moment de l’extinction de l’instance, qui techniquement n’est pas fixé au jour de la signification. En doctrine, comme en jurisprudence, l’interprétation de l’article 2242 du Code civil est débattue. Techniquement, l’instance s’éteint, en effet, à titre accessoire, par l’effet du jugement civil [21], qui, dès son prononcé, a autorité de la chose jugée et dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche. Certains auteurs lui reconnaissent, toutefois, une signification plus souple qui inclurait « toute la période du procès » jusqu’à l’irrévocabilité du jugement civil [22].

Quid d’un point de départ du délai de l’article L.111-4 du CPCE, au jour du prononcé de la décision ? L’irrévocabilité, parfois choisie comme point de départ du délai d’exécution, ne résout qu’en partie les difficultés que suscitent la solution de l’arrêt commenté. L’irrévocabilité correspond à la clôture des voies extraordinaires de recours. Elle dépend indirectement de la signification de la décision de justice et présente, dès lors, des inconvénients similaires à ceux qui résultent d’une fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification. Le jeu des articles 528-1 N° Lexbase : L6677H7G et 478 N° Lexbase : L6592H7B du Code de procédure civile est envisagé comme correctif, mais il ne gomme qu’en partie les difficultés. Le premier de ces textes a pour effet de rendre irrévocable, à l’égard de la partie comparante, le jugement civil faute d’avoir été signifié dans les deux ans de son prononcé. Le second répute non avenu, à défaut de signification dans les six mois de sa date, le jugement par défaut ou réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel. Ces correctifs, qui auront, le plus souvent, vocation à jouer, sont d’une portée limitée. Leur combinaison laisse de côté un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles il est certain que la prescription ne repartira pas. En réalité, les jalons d’une détermination du point de départ de la prescription au jour du prononcé du jugement sont posés par les dispositions du Code civil. En droit commun, la prescription de l’action personnelle ou mobilière ne court qu’à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ; tandis qu’elle ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Dès lors, sous la double réserve de la connaissance effective des droits et, le cas échéant, de leur liquidité et exigibilité, rien ne semble s’opposer à la fixation du point de départ du délai d’exécution au jour du prononcé du jugement civil exécutoire. Le point de départ proposé, qui est souvent retenu en jurisprudence [23], présente, d’une part, l’avantage de constituer un repère temporel objectif, indépendant d’éventuelles diligences subséquentes que les parties accompliront ou n’accompliront pas. D’autre part, il est immédiatement décelable à la lecture de la décision. Certains objecteront, peut-être, qu’au jour du prononcé du jugement civil, le créancier ne dispose pas encore entre les mains du titre exécutoire. C’est dire que les droits consacrés par la décision de justice commencent de se prescrire avant même que le créancier ne dispose d’une réelle faculté de procéder à l’exécution [24]. L’empêchement n’est, toutefois, que temporaire et ne fait obstacle à l’exécution qu’au seuil d’un délai qui a vocation à durer dix ans, sous réserve des rares hypothèses de prescriptions plus courtes liées à la nature de la créance, mais qui se comptent toujours en années, et dont le court est interrompu et repart de zéro à chaque mesure d’exécution forcée.

 

[1] V. sur cette question, M. Guez, L’extinction du jugement civil, Contribution à l’étude des effets de l’acte juridictionnel, L. Cadiet (dir.), th. Paris 1, 2017, spéc. p. 149-242.

[2] V. notamment, Cass. avis, 4 juillet 2016, no 16006 N° Lexbase : A6160RW3, Gaz. Pal. 19 nov. 2016, 80, note Lauvergnat (délai inapplicable aux créances périodiques nées en application du titre exécutoire). Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, no 17-18.953, Bull. civ. II, no 167 (délai inapplicable à l’action du créancier, sur le fondement de l’art. R. 211-5, al. 1er du CPCEx, contre le tiers saisi) ; Cass. civ. 2, 17 mai 2023, n° 21-17.853, F-B N° Lexbase : A39699UK (délai inapplicable au jugement d’orientation rendu par le juge de l’exécution statuant, à l’occasion de la procédure de saisie immobilière). – Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241, FS-P+B N° Lexbase : A8961Y4N (délai inapplication à l’action en liquidation de l’astreinte soumise au délai de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC). Mais, Cass. civ. 2, 8 juin 2023, no 21-18.615, F-D N° Lexbase : A37439ZN (délai applicable à la créance initialement soumise à la prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L1585K7T).

[3] V. Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 18-22.908, FS-P+B+B+I N° Lexbase : A49653K4 ; LEDB 2020, no 6, p. 6, obs. Mignot ; Gaz. Pal., 3 novembre 2020, p. 68, note Hoffschir ; Rev. prat. rec. 2020, no 5, p. 17, note Laher : « Le délai de 10 ans instauré par l’article 23 de la loi du 17 juin 2008 n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie et qu’en l’absence, sur ce territoire, de délai spécifique au-delà duquel un titre exécutoire ne peut plus être mis à exécution, il y avait lieu de considérer qu’il pouvait l’être dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, ramené en Nouvelle-Calédonie de trente ans à cinq ans ».

[4] En ce sens, Cass.  civ. 3, 15 février 2006, n° 04-19.864, FS-P+B N° Lexbase : A9837DMB.

[5] En ce sens, Cass.  civ. 1, 16 février 1994, n° 92-11.955, publié au bulletin  N° Lexbase : A6150AHA.

[6] En ce sens, Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, précit. : « L'effet interruptif de la prescription résultant d'une action en justice cesse à compter du jour où le litige trouve sa solution ; il s'ensuit qu'en cas d'appel l'effet interruptif de la prescription prend fin à la date à laquelle le demandeur a eu connaissance de l'arrêt rendu, devenu irrévocable, peu important que cette décision ait été interprétée par un arrêt ultérieur ».

[7] En ce sens, Cass. com., 10 octobre 1995, précit. : « L'effet interruptif de prescription produit par une assignation en référé devant le président du tribunal de commerce, en vue de la désignation d'un expert, ne se prolonge, si cette assignation est remise au greffe, que pendant la durée de l'instance, tant que le litige n'a pas trouvé sa solution définitive, c'est-à-dire seulement jusqu'à la désignation de l'expert par le juge ». – Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-10.751, FS-P+B N° Lexbase : A9042DCU : « Une assignation en référé aux fins de rendre commune à un tiers les opérations d'expertise précédemment ordonnées interrompt la prescription à l'égard de ce tiers jusqu'à ce que le litige ait trouvé sa solution, c'est-à-dire jusqu'à la décision rendant communes les opérations d'expertise ». – Cass. civ. 2, 3 octobre 2013, n° 12-18.845, F-D N° Lexbase : A3315KMQ : « L'assignation en référé-expertise n'interrompait le délai de prescription que pendant la durée de l'instance, laquelle se terminait par l'ordonnance commettant un expert ».

[8] Cass.  civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-11.881, FS-P+B+I N° Lexbase : A6503NUE ; JCP 2015. 1262, obs. Salati; D. 2016. 1059, obs. Jault-Seseke; Gaz. Pal. 9 février 2016, 78, note Lauvergnat.

[9] V. Cass. civ. 2, 5 septembre 2019, n° 17-28.471, F-P+B+I N° Lexbase : A3904ZMK.

[10] V. C. civ., art. 2247 N° Lexbase : L7175IAY. – Adde. Cass. civ. 1, 8 novembre 1978, n° 77-13.150, publié au bulletin N° Lexbase : A6700CGA. – Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-41.966, FS-P+B N° Lexbase : A8506DIU.

[11] Ce qui ne présente qu’une utilité relative dès lors que toute mesure d’exécution est interruptive du délai de prescription (C. civ., art. 2244).

[12] V. C. Brenner et P. Crocq † (dir.), Le Lamy Droit de l’exécution forcée, Wolters Kluwer France SAS, Mise à jour : 02/2023, nos 205-5 et s.

[13] V. sur cette question, V. C. Brenner et P. Crocq † (dir.), op. cit., ibid.

[14] L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 12e éd., 2023, n° 739.

[15] V. CPC, art. 502 N° Lexbase : L6619H7B.

[16] V. sur ces développements, l’analyse de C. Brenner et P. Crocq † (dir.), op. cit., ibid.

[17] Comp. CPC, art. 500 N° Lexbase : L6617H79 : « A force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.

Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai ».

[18] Sur cette question, V. M. Guez, L’extinction du jugement civil, Contribution à l’étude des effets de l’acte juridictionnel, th. Paris 1, L. Cadiet (dir.), 2017.

[19] Comp. Ass. plén., 10 juin 2005, n° 03-18.922 N° Lexbase : A6766DIG : « Si le créancier peut poursuivre pendant trente ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut, en vertu de l'article 2277 du Code civil, applicable en raison de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande ».

[20] Qu’il s’agisse d’appliquer un délai plus long (V. CPCE, art. L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX) ou plus courts (V. par ex. pour les créances à échéances périodiques qui demeurent soumises à un délai de prescription quinquennal).

[21] V. CPC, art. 384 N° Lexbase : L2272H4W.

[22] V. notamment, L. Mayer, Le point de départ prévu pour l’exécution du jugement, Gaz. Pal., 2012, p. 2256.

[23] Comp. Cass.  civ. 1, 29 juin 2022, n° 19-17.125, F-D N° Lexbase : A068779C.

[24] Comp. CPC, art. 502 N° Lexbase : L6619H7B.

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Voies d'exécution

[Brèves] Loi d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027 : présentation de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations

Réf. : Loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023, d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, art. 47 N° Lexbase : L2962MKW ; Cons. const., décision n° 2023-855 DC, du 16 novembre 2023 N° Lexbase : A61401ZG

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N7591BZ8

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par Lisa Poinsot et Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

Publiée au Journal officiel du 21 novembre 2023, la loi du 20 novembre 2023, d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, présente des dispositions relatives aux relations de travail. Plus précisément, l’article 47 modifie la procédure de saisie des rémunérations.

Jusqu’à présent, la procédure de saisie des rémunérations est mise en œuvre sur autorisation judiciaire, après échec d’une tentative de conciliation menée par le juge. Si la saisie est autorisée, l’employeur se voit notifier par le greffe du tribunal judiciaire un acte de saisie des rémunérations. Il doit ensuite adresser chaque mois au secrétariat-greffe du tribunal judiciaire une somme égale au plus de la quotité saisissable de la rémunération du salarié.

L’article 47 de la loi d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027 tend à réformer la procédure de saisie des rémunérations qui rejoint désormais le droit commun des procédures civiles d'exécution. 

Par décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel, saisi par 60 députés le 16 octobre 2023 de la question de la constitutionnalité du projet de loi d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027, a jugé que l’article 47 ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée. En outre, cet article ne méconnaîtrait ni le droit à un recours juridictionnel effectif ni les droits de la défense et la liberté individuelle.

En conséquence, le Conseil constitutionnel a jugé l’article 47 conforme à la Constitution. Il a néanmoins émis une réserve en précisant que l’employeur ne peut transmettre que les seules informations strictement nécessaires à l’exécution de la saisie des rémunérations.

Désormais, les commissaires de justice sont chargés de mettre en œuvre l’exécution de la procédure de saisie des rémunérations. Pour cela, il est prévu l’organisation de la formation nécessaire à l’activité de commissaire de justice répartiteur lors d’une procédure de saisie des rémunérations. La liste des commissaires de justice ayant satisfait à cette formation sera diffusée annuellement.

Toutefois, le débiteur a toujours la possibilité de saisir le juge de l’exécution à tout moment d’une contestation de la saisie des rémunérations dont il fait l’objet. De plus, le recours juridictionnel revêt un caractère suspensif dès lors qu’il est exercé par le débiteur dans un délai d’un mois à compter de la signification du commandement de payer.

À noter. L'article 47 de la loi du 20 novembre 2023 entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er juillet 2025. Il est applicable aux cessions des rémunérations et aux procédures de saisie des rémunérations autorisées à cette date.

Pour aller plus loin : 

  • à paraître sur ce sujet un article de M. Aressy, juriste de la Chambre nationale des commissaires de justice, dans la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement du mois de décembre 2023 ;
  • v. ÉTUDE : La protection du salaire, La procédure de saisie du salaire, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1242ET8 ;
  • v. infographie, INFO139, Saisie des rémunérations, Voies d'exécution N° Lexbase : X9586APQ ;
  • lire X. Louise-Alexandrine, La saisie des rémunérations : relooking extrême, Lexbase privé, juin 2023, n° 951 N° Lexbase : N6057BZD ;
  • v. aussi ÉTUDE : La saisie des rémunérations, in Voies d’exécution (dir. N. Fricero, G. Payan), Lexbase N° Lexbase : E8482E8N.

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Voies d'exécution

[Brèves] Saisie de droits incorporels et mise à prix : dispositions censurées par le Conseil constitutionnel

Réf. : Cons. const., décision n° 2023-1068 QPC, du 17 novembre 2023 N° Lexbase : A61411ZH

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N7470BZP

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 13 Décembre 2023

► Le Conseil constitutionnel énonce que les dispositions figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice sont entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif, et en conséquence, les déclarent contraires à la Constitution.

Rappel de la procédure. Le Conseil constitutionnel a été saisi par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. QPC, 12 septembre 2023, n° 23-12.267, F-D N° Lexbase : A82681GC) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC, ainsi que des articles L. 231-1 N° Lexbase : L5861IRI et L. 233-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5862IRK, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2011-1895, du 19 décembre 2011, relative à la partie législative du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L4087IRS.

Motifs de la QPC. La requérante reproche aux dispositions des textes précités de ne pas prévoir, en cas de vente par adjudication faisant suite à une saisie de droits incorporels, la possibilité pour le débiteur de contester devant le juge de l’exécution le montant de leur mise à prix. Selon elle, la vente des droits saisis pourrait ainsi intervenir à un prix manifestement insuffisant. Ces dispositions seraient dès lors entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant le droit de propriété ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif.

Le Conseil constitutionnel déduit de son analyse de la QPC que celle-ci porte sur les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD.

Le Conseil constitutionnel relève qu’en application de l’article L. 231-1 du Code des procédures civiles d’exécution, un créancier muni d’un titre exécutoire peut faire procéder à la saisie de droits incorporels dont son débiteur est titulaire ainsi qu’à leur vente forcée. Par ailleurs, qu’il ressort des dispositions contestées qu’elles donnent compétence au juge de l’exécution pour connaître des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée.

Les Sages relèvent également qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle ressort de l’arrêt de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que, d’une part, en cas de vente par adjudication des droits saisis, le créancier fixe unilatéralement le montant de leur mise à prix et, d’autre part, le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître de la contestation de ce montant. Dès lors, aucune autre disposition ne permet au débiteur de contester devant le juge judiciaire le montant de la mise à prix fixé par le créancier.

En conséquence, le Conseil constitutionnel énonce qu’au regard des conséquences significatives qu’est susceptible d’entraîner pour le débiteur la fixation du montant de la mise à prix des droits saisis, il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours. Il retient que les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant le droit à un recours juridictionnel effectif.

Décision. Le Conseil déclare contraires à la Constitution les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Estimant d’une part que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel reporte leur abrogation au 1er décembre 2024. D’autre part, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la décision, les Sages relèvent qu’il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024, que le débiteur est recevable à contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis devant le juge de l’exécution dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire.

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