La lettre juridique n°939 du 23 mars 2023 : Procédure civile

[Focus] Conclusions devant la cour d’appel, à fond la forme !

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par Farid Seba, ancien Avoué à la cour, Avocat spécialiste en procédure d’appel, formateur en procédure civile

le 23 Mars 2023

Mots-clés : appel • conclusions • dispositif des conclusions • formalisme • sanction • conseiller de la mise en état • plaise à la cour • plaise au conseiller de la mise en état • interpellation du juge • saisine de la cour • forme des conclusions • identité des parties • chapeau des écritures • corps des conclusions • recevabilité des conclusions • infirmation • réformation • adresse des parties • récapitulation • concentration des prétentions • fin de non-recevoir • moyens de procédure • nom des parties • numéro de RG • répertoire général • personne morale • représentant personne morale

C’est aujourd’hui un lieu commun que de dire que la procédure civile est devenue le champ de bataille où s’affrontent magistrats et avocats au sujet de l’application de règles de forme dont l’utilité est inversement proportionnelle à la complexité. Chapeau, motifs et dispositif des conclusions, illustrent bien ce constat. Pour autant, il est parfaitement possible d’en maîtriser les subtilités. C’est l’objet de cette contribution.


 

Le 30 janvier 2023, sous l’autorité d’un collectif réunissant notamment de Hauts magistrats de la Cour de cassation ainsi que des représentants de la profession d’avocat, une charte de présentation des écritures tant de première instance que d’appel, a été rendue publique à l’attention des professionnels du droit. Ce texte, revêtu du sceau et de la signature des instances de chacune des professions, magistrats et avocats, se veut avant tout un guide pratique « non contraignant » sur l’art et la manière de présenter les conclusions.

Reprenant peu ou prou certaines des règles du Code de procédure civile sur le formalisme des écritures, il est mis à la disposition des juridictions et des barreaux qui souhaiteraient, localement, signer une convention ou un protocole sur cette question.

Si l’intention est parfaitement louable, le procédé dérange.

En effet, outre le fait que ce texte est dépourvu de caractère juridiquement contraignant, ce type de convention ne pouvant déroger ou suppléer à la règle de droit (Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 18-14.708, F-P+B+I N° Lexbase : A7137ZPZ), force est de constater qu’il ne permet pas au praticien de faire clairement la distinction entre ce que le Code de procédure civile exige et sanctionne, et la simple recommandation destinée à corriger tant les excès que les manquements des avocats dans la rédaction de leurs conclusions.

La question est pourtant cruciale, tant les exigences procédurales sur cette question se sont accrues au fur et à mesure des réformes de procédure et de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation rendant ainsi la rédaction des conclusions devant la cour de plus en plus technique pour ne pas dire catastrophique.

Le train des réformes ne connaissant pas la panne, il y a fort à parier que dans un avenir relativement proche, une énième réforme de procédure civile sur la forme des conclusions devant la cour, réforme probablement construite à partir des propositions de la Direction des affaires civiles et du sceau du 27 août 2021, vienne obscurcir encore plus le paysage procédural.

Et ce, même si ces propositions n’ont manifestement pas recueilli l’assentiment des instances de la profession d’avocat dont le rapport du 17 septembre 2021, rappelle qu'elle est dans son ensemble opposée, à juste titre, à « l’accroissement abusif des contraintes méthodologiques assimilées à des règles processuelles assorties de sanctions irréversibles, qui génèrent une augmentation des incidents de procédure, des recours, ainsi qu’un alourdissement et un allongement des procès dans le but illusoire de compenser l’absence chronique des moyens dévolus à l’institution judiciaire ».

Voilà qui est dit !

En attendant, l’étude de la forme des conclusions devant la cour et des sanctions encourues, peut être articulée à partir des trois composantes suivantes : le chapeau ou l’entête des conclusions (I), le corps des conclusions (II) et enfin le dispositif (III).

I. Le chapeau des conclusions devant la cour

Les dispositions de l’article 961 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7255LEG prévoient que les conclusions des parties ne sont pas recevables tant que les mentions requises à l’article 960 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0359ITH n’ont pas été fournies.

Rappelons qu’un acte de procédure irrecevable est dépourvu d’effet juridique.

Curieusement, cette sanction d’irrecevabilité ne s’applique pas à la requête en déféré (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-18.550, F-D N° Lexbase : A5225KDU) même si cet acte à vocation à saisir la cour d’un recours formé contre une ordonnance du conseiller de la mise en état.

Quoiqu’il en soit, les mentions visées à l’article 960 du Code de procédure civile, sont relatives tant à l’identification de la procédure engagée devant la cour, par son numéro de répertoire général, qu’à l’identification des parties concernées par cette procédure, état civil complet et qualité de ces parties dont la forme varie selon qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale.

Sont donc requis à peine d’irrecevabilité :

  • pour les personnes physiques : les nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, profession, adresse du domicile,
  • pour les personnes morales : la forme sociale de la société (SA, SARL, SAS, SNC, SCI, SELARL...), sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente. Étant précisé que la mention du nom de la personne physique, organe représentant la personne morale, n'est exigée par aucun texte et qu’une mention erronée de ce chef ne peut constituer qu’un vice de forme nécessitant la démonstration de l’existence d’un grief (Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18-20.303, F-P N° Lexbase : A2138ZYT). Ici, point n’est besoin de rappeler que les mentions telles que « agissant poursuites et diligences de son représentant légal », « prise en la personne de son représentant légal » ou « agissant par son représentant légal » sont parfaitement admises et suffisent à satisfaire à l’obligation légale d’identification (Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298 et n° 06-21.254, FS-P+B N° Lexbase : A5831EA9).

S’agissant de l’identification de l’affaire par son numéro de répertoire général, il convient de préciser que l'absence ou la mention erronée de ce numéro sur les conclusions adressées au greffe de la cour, ne peut constituer une cause d'irrecevabilité desdites conclusions.

En effet, la Cour de cassation a jugé que le refus opposé par le greffe à la réception de conclusions pour ce motif, ne rendait pas lesdites conclusions irrecevables. Dès lors, encourt la censure, l’arrêt prononçant la caducité de la déclaration d’appel après avoir écarté les conclusions de l’appelant pourtant transmises dans les délais requis, mais comportant une mention erronée du numéro du répertoire général (Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-14.745, F-P+B+I N° Lexbase : A56813QH).

D’une manière générale, les mentions exigées par les textes sont destinées à parer à toute difficulté d'exécution, de transcription ou de publication de la décision à venir.

En ce sens, elles doivent correspondre à la réalité et ne peuvent servir à dévoyer la procédure.

Dès lors, les conclusions par lesquelles une partie entretient une confusion sur son véritable domicile doivent être déclarées irrecevables (18.683, F-D N° Lexbase : A5675MLR).

En effet, la mention du domicile doit correspondre à une situation réelle et non fictive (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-11.081, FS-B+R N° Lexbase : A14917I3).

Il en va de même de la mention relative à la profession de la partie qui conclut, mention qui bien souvent paraît anodine pour les rédacteurs, mais qui en réalité peut conduire au même résultat d’irrecevabilité des écritures (Cass. civ. 2, 15 novembre 2012, n° 11-13.157, F-D N° Lexbase : A0426IX3).

La sanction de l’irrecevabilité des conclusions, telle que prévue à l’article 961 du Code de procédure civile a fait l’objet d’une précision capitale quant à sa nature à la suite des modifications apportées par le décret du 6 mai 2017.

Elle constitue désormais une fin de non-recevoir dont la régularisation peut intervenir jusqu’au prononcé de la clôture dans la procédure avec mise en état, et jusqu’à l’ouverture des débats dans la procédure sans mise en état,

À condition, bien entendu, que l’irrégularité dont s’agit ne s’apparente pas plutôt à un défaut de mention même de l’existence d’une partie dans le chapeau des conclusions, ce qui aurait pour conséquence que cette partie ne peut s’attribuer le bénéfice desdites conclusions et sera réputée ne pas avoir conclu (Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 20-15.607, F-D N° Lexbase : A042948E).

Selon la position qu’occupent les parties dans le procès d’appel, la sanction d’irrecevabilité aura des effets différents.

Ainsi, l’appelant qui n’aura pas mis ses conclusions en conformité avec les textes, et ce, sans qu’il soit besoin que la régularisation intervienne nécessairement dans le délai de l’article 908 du Code de procédure civile (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-18.350, F-D N° Lexbase : A64247IR), encourra la caducité de son appel pour défaut de conclusions.

La Cour de cassation considère en effet que la diligence impartie par l'article 908 du Code de procédure civile, s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954 du même code lequel renvoi expressément à l’article 961 (Cass. civ. 2, 31-01-2019, n° 18-10.983, F-D N° Lexbase : A9839YUX).

Quant à l’intimé, il sera réputé ne pas avoir conclu devant la cour et s’être approprié les motifs du jugement. (Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-20.018, F-P+B N° Lexbase : A9849YSL).

L’appréciation du caractère effectif et réel des mentions visées à l’article 960 du Code de procédure civile, ressort de la compétence du conseiller de la mise en état, lequel, depuis la réforme introduite par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, s’est vu attribuer compétence pour trancher les fins de non recevoir. Du moins celles relatives à la procédure d’appel et non à l’appel lui-même (Avis, 3 juin 2021, n° 15008 A29374UC et Avis, 11 octobre 2022, n° 22-70.010, FS-B N° Lexbase : A40718N4). Cette compétence étant dévolue à la cour en l’absence de désignation d’un conseiller de la mise en état.

Par ailleurs, cette question, dans sa matérialité, échappe naturellement au contrôle de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.740, F-D N° Lexbase : A51698QI).

Enfin, la régularisation de cette fin de non recevoir peut non seulement prendre la forme de nouvelles conclusions rectifiant la mention litigieuse ou apportant les précisions manquantes, mais également résulter de la production d’une pièce communiquée en annexe des conclusions avec le même effet (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-18.350, F-D N° Lexbase : A64247IR).

II. Le corps des conclusions devant la cour d’appel

A. L’orientation des conclusions

La partie discussion des conclusions comporte généralement un titre dont la fonction principale est d’identifier la juridiction à laquelle sont adressées les écritures.

La logique procédurale veut que l’on s’adresse à la formation de la cour d’appel, conseiller de la mise en état ou juge du fond, qui est compétente pour trancher les demandes que contiennent les conclusions.

Cette interpellation doit se faire de manière claire et précise, sans ambiguïté, puisque sa formulation commande l’orientation, par le greffe, des conclusions vers le magistrat appelé à trancher la question soulevée.

Ce principe trouve une illustration à l’article 914 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7247LE7 lequel précise que les parties qui saisissent le conseiller de la mise en état dans la limite de sa compétence, le font par des conclusions « spécialement adressées à ce magistrat ».

Dans certaines hypothèses, il y va de la recevabilité de la demande (Cass. civ. 2, 12 mai 2016, n° 14-25.054, FS-P+B N° Lexbase : A0787RPT), même si la Cour de cassation reste toutefois attentive à la mention effective des demandes dans les conclusions des parties (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT) [1].

B. Le contenu des conclusions dans sa forme

De la même manière que pour le chapeau, c’est principalement l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED qui fixe les règles de forme que doivent prendre les conclusions devant la cour relativement à leur contenu.

Cependant toutes les conclusions remises à la cour par les parties ne semblent pas concernées par l’exigence de ces mentions.

En effet, par un système de renvoi aux articles 905-2 N° Lexbase : L7035LEB et 908 N° Lexbase : L7239LET à 910 N° Lexbase : L7241LEW qui visent les conclusions des parties devant la cour, conclusions des parties dont il est expressément fait mention en ouverture de l’article 954 du Code de procédure civile, la lecture de l’article 910-1 N° Lexbase : L7041LEI du même code permet de conclure que ces règles de forme ne s’appliquent d’une part, qu’aux conclusions qui déterminent l’objet du litige, c’est-à-dire les conclusions au fond, et d’autre part qu’aux conclusions qui soulèvent un incident de procédure, quel qu’il soit, dont la finalité est de mettre fin à l’instance.

Ce qui n’est pas le cas, par exemple, de conclusions par lesquelles il est sollicité le sursis à statuer de l’instance, ou encore, de conclusions tendant à voire trancher par le conseiller de la mise en état un simple incident de communication de pièce.

S’agissant plus précisément du contenu des conclusions, les parties sont invitées à formuler expressément leurs prétentions ainsi que les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, le tout agrémenté de l’indication des pièces correspondantes avec numérotation.

Si ces dispositions, dont le but est d’assurer une clarté et une lisibilité des écritures des parties, imposent un ordonnancement relativement précis des prétentions et des moyens en fait et en droit, l’article 954 du Code de procédure civile n’exige pas pour autant que ces prétentions et ces moyens figurent formellement sous un paragraphe intitulé « discussion ».

En effet, Il faut et il suffit que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions (Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.736, F-B N° Lexbase : A24628HN).

En outre, si ces exigences de forme ne sont pas directement sanctionnées par la loi, il convient ici de rappeler les dispositions des articles 4 N° Lexbase : L1113H4Y et 9 N° Lexbase : L1123H4D du Code de procédure civile aux termes desquelles, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à fonder les prétentions qu’elles présentent, ou encore, il est exigé des parties qu’elles prouvent conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

Dès lors, la formulation dans le dispositif des conclusions d’une demande d’infirmation ou de confirmation d’un chef de jugement, sans exposer des moyens en fait et en droit au soutien de cette demande, ne met pas la cour en mesure de statuer sur cette demande (Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-17.910, F-P+B+I N° Lexbase : A4232ZD4).

Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs, ce que prévoit le texte de l’article 954 du Code de procédure civile (Cass. Soc., 18 janvier 2023, n° 21-23.796, F-B N° Lexbase : A6067889).

L’obligation faite aux parties d’avoir à exposer leurs moyens en fait et en droit, s’accompagne, depuis la réforme de 2017, d’une seconde obligation dont la principale caractéristique est d’ordre temporel, celle d’avoir à présenter toutes les prétentions dès les premières conclusions visées aux articles 905-2 N° Lexbase : L7036LEC et 908 à 910 du Code de procédure civile, et ce sous peine de sanction.

En effet, l’article 910-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7036LEC, lequel a institutionnalisé le principe de concentration des demandes consacré par l’arrêt d’assemblée plénière du 7 juillet 2006 (Ass. Plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 N° Lexbase : A4261DQU), prévoit expressément l’irrecevabilité de toute demande qui ne serait pas contenu dans les premières conclusions.

Précisons tout de même que cette règle de la concentration dès les premières écritures, ne concerne que les prétentions et non pas les moyens. Les parties sont parfaitement libres de développer de nouveaux moyens au fur et à mesure de la signification de leurs conclusions.

Cette règle de la concentration est toutefois tempérée par ce qu’il est convenu de désigner comme étant l’état non statique du procès d’appel auquel fait référence l’alinéa 2 du texte de l’article 910-4 du Code de procédure civile. En effet, les parties sont parfaitement en mesure de faire évoluer le périmètre de leurs prétentions au gré de l’évolution du litige ou de l’argumentation adverse. [2]

Enfin, pendant le cours de l’instruction de l’affaire, lorsqu’il est désigné, c’est au conseiller de la mise en état qu’il appartient de modérer la forme des conclusions des parties. Cette prérogative tirée de l’article 913 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7246LE4, lui permet d’exiger des parties qu’elles mettent leurs écritures en conformité tant avec l’article 961 du Code de procédure civile qu’avec l’article 954 du même code.

III. Le dispositif des conclusions devant la cour

Il est aujourd’hui bien établi que le dispositif des conclusions signifiées devant la cour doit comporter expressément une demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, s’agissant des conclusions de l’appelant (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA ; 1er juillet 2021, n° 20-10.694 N° Lexbase : A20054YW).

À défaut, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du Code de procédure civile, de relever d'office la caducité de l'appel.

En effet, lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 20-16.208, F-D N° Lexbase : A06827BU, Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-14.681, F-B  N° Lexbase : A34038LM).

Cette sanction, dont la portée a été encadrée et limitée aux seuls appels formés à compter du 17 septembre 2020 (Cass. civ. 2, 20 mai 2021, deux arrêts, n° 20-13.210, F-P N° Lexbase : A25324SL), mais qui s’étend également à l’appel incident formé par l’intimé (Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-10.694, F-B N° Lexbase : A20054YW) peine à trouver une autre forme de justification que celle de la manifestation d’un formalisme de plus en plus accru dans la rédaction des conclusions d’appel. [3].

Enfin, la Cour de cassation, par un arrêt du 3 mars 2022 (Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B N° Lexbase : A24677P3), est venue clarifier sa jurisprudence relative au dispositif des conclusions d’appel en considérant que, si l’appelant qui poursuit la réformation du jugement frappé d’appel, doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner, d’une part, qu’il demande l’infirmation du jugement, et d’autre part, formuler une ou des prétentions, il n’est toutefois pas exigé qu’il précise, dans le dispositif des conclusions, les chefs de dispositif du jugement dont il est demandé l’infirmation.

Cette précision apportée a mis un terme définitif à l’inquiétude suscitée chez les commentateurs à la suite de l’arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 20-16.746, F-D N° Lexbase : A054548P) qui posait comme exigence la mention, dans le dispositif des conclusions, de la réitération précise des chefs de jugement critiqués par l’appel.

Quoiqu’il en soit, c’est précisément dans le dispositif des conclusions que doivent figurer les prétentions au fond que les parties formulent devant la cour.

Ces prétentions au fond sont régulièrement soumises à la cour, seule compétente pour en connaître, et ce, quand bien même le dispositif des conclusions comporterait une interpellation, de fait erroné, au conseiller de la mise en état pour voir trancher ces prétentions (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT).

À cet égard, la Cour de cassation a rappelé qu'une exception de nullité était une prétention et non un moyen et comme telle, devait figurer dans le dispositif des conclusions ; à défaut elle ne pourrait être tranchée (Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 19-12.244, F-B N° Lexbase : A046348N).

Ainsi dans le cas où une partie entend voir infirmer le chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation portant sur la validité d’un acte de procédure, et accueillir cette dernière, elle doit faire apparaître cette prétention dans le dispositif de ses conclusions d’appel (Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 19-23.615, F-P+I N° Lexbase : A81614EY).

En outre, un soin particulier doit être apporté à la formulation même des prétentions.

D’une manière générale, les prétentions des parties visent, en dehors de l’hypothèse conduisant à faire admettre l’existence d’un moyen de procédure, à obtenir de la cour qu’elle infirme, réforme, confirme, condamne, ordonne etc...

Or, la pratique montre que certaines mentions utilisées à tort dans le dispositif des conclusions portent à confusion en ce qu’elles n’introduisent pas de véritables demandes, au sens procédural du terme, et partant de ce constat doivent être évitées.

C’est le cas par exemple des mentions par lesquelles il est demandé à la cour de, dire et juger ; constater ; donner acte.

En effet, la Cour de cassation ne considère pas ces mentions comme introduisant des demandes et comme telles, ne les retient pas (Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-18.778, F-D N° Lexbase : A46463AC).

Ceci étant, la demande de « constat » existe et peut parfaitement être formulée dans le dispositif des conclusions lorsqu’elle correspond effectivement à la volonté de voir la cour constater une situation de fait ayant des conséquences sur le plan juridique. Il en va ainsi, par exemple, d’une demande de donner acte de renonciation à un droit par une partie.

Enfin, devant la cour, les parties ont l’obligation de récapituler, dans leurs dernières écritures, les prétentions et les moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.

En conclusion, on ne peut que constater qu’un mouvement de révolution dans la structuration des conclusions d’appel a été initié par le législateur, suivi en cela par la Cour de cassation ; mouvement dont pour l’heure il est bien difficile de percevoir l’avantage qu’il pourrait représenter pour le justiciable, mais dont les conséquences en termes de difficultés et de risques à prendre dans la pratique du métier d’avocat sont indéniables.

Cette entropie de la procédure civile, qui prêterait presque à sourire si elle n’était pas la manifestation du déclin d’un système judiciaire qui peine à assumer les carences structurelles dont il est victime depuis de nombreuses années, nous renvoie à cette conversation entre Alice et la chenille dans Alice au pays des merveilles ; la petite fille s’adresse à la chenille et sur un ton inquiet lui dit, « changer si souvent de taille en une seule journée, c’est vraiment troublant » [4].


[1] Pour aller plus loin sur cette question : F. Seba, Conclusions devant la cour, à propos de la formule d’interpellation du juge compétent, Lexbase Droit privé, décembre 2022, n° 926 N° Lexbase : N3450BZS.

[2] Pour aller plus loin sur cette question : L. Koromyslov, Les écritures et les pièces des parties devant la cour d'appel depuis le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 : de la modélisation à la concentration formelle, Lexbase Avocats, juin 2017, n° 242 N° Lexbase : N8718BWS.

[3] À ce sujet : Y. Joseph-Ratineau, Dispositif des conclusions d'appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juin 2021, n° 868 N° Lexbase : N7812BYY.

  1. [4] Lewis Caroll, Alice's Adventures in Wonderland  (1865).

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