La lettre juridique n°939 du 23 mars 2023

La lettre juridique - Édition n°939

Éditorial

[A la une] La LOPMI : un OLNI (objet législatif non identifié) dans le ciel judiciaire

Réf. : Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) N° Lexbase : L6260MGX

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N4730BZ9

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par Antoine Botton, Professeur à l’Université Toulouse 1 - Capitole, Directeur du Master pénal et de l’Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle

Le 22 Mars 2023

La LOPMI est sans doute un OLNI (objet législatif non identifié) tant son contenu et sa structure étonnent.

Quant au contenu d’abord, il faut reconnaître, avec le professeur Dreyer [1], que l’incrimination de l’outrage sexiste -au demeurant, aggravé- n’y a pas tout à fait sa place. Pas plus d’ailleurs que les dispositions de procédure pénale étudiées dans ce dossier spécial : que viennent faire dans une loi du ministère de l’Intérieur des dispositions telles que celles étendant le domaine de la procédure pénale dérogatoire [2] ou encore celles permettant le recours à l’amende forfaitaire pour certains délits [3] ? Ne sont-ce pas là des questions ressortissant plutôt à une loi de réforme de la procédure pénale, que ce soit la précédente -Loi de confiance dans l’institution judiciaire- ou la prochaine, celle devant résulter du Plan d’action ?

Ce mélange des genres ou, plus précisément, cette incursion du ministère « de la police » dans le domaine judiciaire, ne manquent pas de surprendre les défenseurs de l’État de droit et de son attribut principal, le principe de séparation des pouvoirs.

Ces défenseurs ont néanmoins concentré leurs efforts sur la manifestation la plus saillante de cette confusion des pouvoirs : la réforme de la police judiciaire. Cette réforme, qui vise également à mieux « armer » les enquêteurs face à l’évolution de la criminalité, place principalement la police judiciaire sous un nouveau commandement départemental, mettant ainsi un terme à sa direction centrale et spécifique. Est-ce la fin de l’indépendance de la police judiciaire et avec elle, de l’autorité qui la dirige lors des enquêtes et instructions ? Beaucoup le craignent en effet [4].

La structure de la LOPMI est tout aussi bigarrée que sa teneur.  La lecture de son plan est d’emblée source d’interrogations : en quoi doter la police judiciaire d’« un équipement à la pointe du numérique » (Chapitre II du Titre II) [5] ne relève-t-il pas du « renforce(ment) de la fonction investigation » (Chapitre III du Titre IV) ? De même, comment nettement distinguer cette « fonction » de la « filière » investigation (Chapitre II du Titre IV) tant la refonte de cette dernière poursuit exclusivement l’amélioration de son fonctionnement ?

Au-delà de ces incongruités ponctuelles, pour partie liées aux amendements parlementaires, un reproche formel plus appuyé peut être adressé à la loi. Comment, en effet, la réforme principale qu’elle porte, la restructuration de la police judiciaire, peut-elle n’être connue que par la lecture du rapport annexé à -et approuvé, il est vrai, par- la loi [6] ? Est-ce tout à fait satisfaisant, du point de vue de l’accessibilité de la norme, qu’il faille au lecteur -aguerri ou non- de la LOPMI rechercher au sein de son « annexe » ce qui en constitue sans doute l’essence ?

Heureusement, dès lors, que la rédaction en chef du Lexbase pénal ait conçu le présent dossier. Nul doute en effet qu’après sa lecture, les juristes que nous sommes -ou non- auront, malgré les défauts certains de la LOPMI, une connaissance précise de ses principales dispositions. Ils ne nous restent plus alors qu’à positionner notre œil dans le viseur du téléobjectif afin de tenter d’apercevoir, ne serait-ce que subrepticement, les contours de cet OLNI.

 

[1] E. Dreyer, Outrage sexiste ou outrage à la raison ?, Gazette du Palais, 14 février 2023.

[2] V. infra, notre contribution : La police judiciaire dans la LOPMI : ses nouveaux acteurs et ses nouveaux actes, Lexbase Pénal, mars 2023 N° Lexbase : N4729BZ8.

[3] V. infra, F. Romey, Extension des incriminations pouvant faire l’objet d’une amende forfaitaire dans la LOPMI (Tableau).

[4] V. notamment, D. Sénat, Réforme de la police judiciaire : « Une véritable régression dans la lutte contre la criminalité organisée », Tribune, Le Monde, 3 novembre 2022 [en ligne] ; Tribune collective, Le projet de réforme de la police judiciaire menace l’efficacité des enquêtes et l’indépendance de la justice, Le Monde, 31 août 2022 [en ligne].

[5] V. Sur ces aspects de la LOPMI, infra, A.-S. Chavent-Leclere, Analyse des dispositions procédurales et substantielles de lutte contre la cybercriminalité dans la LOPMI, Lexbase Pénal, mars 2023 N° Lexbase : N4652BZC ; S. Porcher, La LOPMI ou la consécration de l’assurance des cyberattaques, Lexbase Pénal, mars 2023 N° Lexbase : N4657BZI.

[6] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, n° 2.3.2.

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Sécurité intérieure

[Textes] La police judiciaire dans la LOPMI : ses nouveaux acteurs et ses nouveaux actes

Réf. : Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) N° Lexbase : L6260MGX

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N4729BZ8

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par Antoine Botton, Professeur à l’Université Toulouse 1 - Capitole, Co-directeur du Master pénal et de l’Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle

Le 23 Mars 2023

Mots-clés :  police judiciaire • procédure pénale • phase pré-sentencielle • actes d’enquête • réforme • simplification et renforcement des investigations • régime dérogatoire de procédure pénale

Principalement commentée sous cet angle, la LOPMI ne se résume pourtant pas à la seule « départementalisation » de la police judiciaire. Elle comprend en effet un certain nombre de dispositions visant à simplifier et à renforcer les investigations, tant du point de vue des acteurs que des actes qu’ils peuvent accomplir. En cela, elle réforme indéniablement une part de la phase pré-sentencielle de la procédure pénale.


 

À tout le moins, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) a suscité de vives réactions chez les magistrats et policiers. Dans une tribune détaillée, l’Avocat général David Sénat a ainsi qualifié cette réforme de « véritable régression dans la lutte contre le crime organisé », arguant plus précisément que « la réforme projetée de la police judiciaire, tout à la fois partielle et inefficace, est une atteinte au continuum auquel concourent policiers et magistrats » [1]. La critique est rude mais partagée par un grand nombre de professionnels déplorant particulièrement la réforme structurelle de la police judiciaire [2] ; réforme qui consiste principalement à « départementaliser » cette police judiciaire en la fondant dans une direction unique et départementale de la police nationale.

Pourtant, la LOPMI [3] est bien entrée en vigueur le 24 janvier 2023, avec pour ambition affichée de « répondre aux enjeux sécuritaires et territoriaux des années à venir » [4], la restructuration de la police judiciaire visant précisément, pour reprendre les termes mêmes du futur ex-directeur central de la police judiciaire, à lutter contre « l’embolisation des services » de police [5].

Que le lecteur se rassure toutefois, il ne sera nullement question ici de l’utilité pratique d’une telle réforme, tant notre incompétence en ce domaine est manifeste.

Il conviendra ici de se concentrer sur les enjeux juridiques de la LOPMI et ce, comme le titre de cette étude l’indique, en considérant son effet tant sur les acteurs que sur les actes de police judiciaire.

Sur le premier point, la restructuration de la police judiciaire suscite principalement deux interrogations juridiques. D’une part, pareille réforme met-elle à mal le principe de séparation des pouvoirs ou, si l’on préfère, celui d’indépendance de l’autorité judiciaire ? D’autre part, la départementalisation de la police judiciaire ne risque-t-elle pas de nuire à l’efficacité des enquêtes touchant à la délinquance et à la criminalité organisées ?

Si la réorganisation de la police judiciaire est centrale dans la loi commentée, elle ne la résume pas pour autant. En effet, celle-ci comprend également des dispositions facilitant l’accès au grade d’officier de police judiciaire (OPJ) [6] ou créant des assistants d’enquête [7]. Ces réformes, visant elles aussi à « renforcer la filière d’investigation » [8], soulèvent des interrogations quant à la suffisance des compétences et partant, des garanties d’intervention de ces nouveaux acteurs.

Quant au second point, touchant aux actes de police judiciaire, la présente loi est une illustration de la volonté législative contemporaine de simplification et de renforcement des investigations. Simplification dans la mesure où certaines formalités jusque-là requises disparaissent ou ne sont plus sanctionnées. Renforcement car la LOPMI étend le champ d’application des techniques spéciales d’enquête du régime dérogatoire de délinquance organisée. En cela, précisons qu’elle réussit là où la loi de programmation pour la justice 2018-2022 du 23 mars 2019 [9] avait échoué puisque le Conseil constitutionnel, saisi de l’examen a priori de la LOPMI, n’a cette fois-ci [10] rien trouvé à redire à pareille expansion du régime dérogatoire [11].

Ces évolutions, en facilitant les investigations, impliquent fatalement une réduction des garanties et des droits de la personne mise en cause, dans une dimension et un contexte qu’il conviendra de cerner.

Toutefois, comme annoncé plus haut, avant d’envisager ces nouveaux actes (II.), il faut considérer l’incidence de la LOPMI sur les acteurs de la police judiciaire (I.).

I. Les acteurs de la police judiciaire dans la LOPMI

La conception managériale de la justice pénale ne se cantonne pas à la phase juridictionnelle, la preuve en est : elle préside directement à la réforme étudiée de l’enquête de police judiciaire. De fait, tant l’apparition de « turbo-OPJ » que d’assistants d’enquête visent à accélérer et fluidifier le cours des investigations. La fusion de la police judiciaire dans une direction unique, à l’échelon départemental, répond à ce même souci d’efficacité procédurale et partant, répressive.

En premier lieu et d’une part, la qualité d’OPJ peut dorénavant s’obtenir sans compter trois ans de service dans la gendarmerie ou la police [12], même si l’habilitation par le procureur général près la cour d’appel à exercer les fonctions attachées à cette qualité ne pourra intervenir qu’après 30 mois de service à compter de leur formation initiale – et non de leur titularisation – [13].  Ces dispositions, remises en cause par les auteurs de la saisine a priori du Conseil constitutionnel, ont d’ailleurs précisément été validées en considération de la persistance de cette habilitation par l’autorité judiciaire, la norme constitutionnelle opérante étant ici l’article 66 de la Constitution dont il résulte que « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire » [14]. Cela étant précisé, la réforme vise une augmentation sensible du nombre d’OPJ. À cet égard et ainsi qu’il l’est exprimé dans le rapport annexé à la LOPMI, l’objectif du ministère de l’Intérieur est de disposer de 2 800 nouveaux OPJ en 2023 contre 1 200 en 2021 [15].

D’autre part et suivant une même logique, sont créés des assistants d’enquête ayant « pour mission de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers et les agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale, aux seules fins d’effectuer, à la demande expresse et sous le contrôle de l’officier de police judiciaire ou, lorsqu’il est compétent, de l’agent de police judiciaire » certains actes tels que la convocation de personnes, la notification de ses droits à la victime, la mise en œuvre des réquisitions ou encore la transcription d’interceptions de télécommunications [16]. Si le champ de compétences de ces assistants d’enquête est relativement étendu, il faut cependant relever qu’il connaît des limites constitutionnelles. À ce titre, le Conseil, dans la décision de contrôle de la présente loi, a partiellement censuré les dispositions étudiées en ce qu’elles permettaient aux assistants d’enquête d’opérer des transcriptions de communication identifiées comme nécessaires par de simples agents de police judiciaire. Considérant qu’une telle possibilité ne garantissait pas le contrôle par un OPJ sur de telles opérations, le juge constitutionnel les a effectivement jugées contraires à l’article 66 de la Constitution [17].

Cette censure enseigne ainsi que la participation des assistants d’enquête à l’exécution d’actes particulièrement attentatoires à un droit ou une liberté – tels que ceux d’interception de télécommunications – est conditionnée par la qualité d’OPJ de l’ordonnateur. C’est sans doute là la moindre des exigences à une époque où le contrôle par le procureur de la République de l’accès aux données dans le cadre de réquisitions a été jugé contraire au droit de l’Union européenne. Comment en effet ne pas percevoir le décalage entre cette exigence conventionnelle, récemment reconnue par la Cour de cassation [18], et la possibilité laissée, dans les dispositions commentées, aux assistants d’enquête de procéder aux réquisitions de données personnelles « avec l’autorisation préalable du procureur de la République » (sic) [19] ?

Par ailleurs, au vu l’objectif sus-évoqué d’augmentation importante et à court terme du nombre d’OPJ, comment ne pas relativiser l’exigence constitutionnelle de leur intervention ? Dans cette perspective, il est utile de rappeler que le même Conseil constitutionnel, dans sa décision « Garde à vue I » du 30 juillet 2010 [20], avait précisément jugé que le fait qu’entre « 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire (soit) passé de 25 000 à 53 000 » constituait une modification nécessitant de réexaminer sa position initiale de validité du régime de garde à vue. Il sous-entendait nécessairement que la garantie de placement en garde à vue par OPJ n’était plus la même depuis que ceux-ci étaient moins strictement sélectionnés. Or, tel sera fatalement le résultat d’une formation accélérée de policiers et gendarmes frais émoulus de leur scolarité, ainsi que l’ambitionne le ministère de l’Intérieur.

En second lieu, la réforme principale concernant les acteurs de la police judiciaire consiste évidemment dans la refonte de leur commandement. Ainsi que le rapport annexé à la LOMPI le précise, l’objectif est effectivement d’unifier la direction de la police nationale à l’échelle départementale [21]. Par conséquent, la police judiciaire sera dorénavant fondue dans – et donc pilotée par – des directions départementales de la police nationale (DDPN), ceci impliquant la suppression de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

Comme rappelé en introduction, cette réorganisation de la police judiciaire a suscité, chez les magistrats et policiers, des critiques de deux ordres.

Tout d’abord, la réforme est perçue comme une atteinte au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, avec la perspective de remontées d’informations directes au préfet dans des affaires en cours. Le risque est réel tant l’autorité du préfet sur les DDPN est indéniable. Il faut néanmoins remarquer que de telles remontées d’informations au pouvoir exécutif sont d’ores et déjà permises par la combinaison des articles 35, alinéa 3 N° Lexbase : L4928IXS et 39-1 N° Lexbase : L4929IXT du Code de procédure pénale. Or, ces dispositions prévoyant la communication au ministre de la Justice de rapports particuliers portant sur des procédures judiciaires en cours ont, rappelons-le, été déclarées conformes au dit principe d’indépendance de l’autorité judiciaire [22].

La dernière comparaison est toutefois abusive, donc partiellement trompeuse. D’une part, cette communication entre magistrats de l’autorité judiciaire et potentiellement le ministre de la Justice ne sauraient être assimilée à celle entre le préfet et la future DDPN. D’autre part, l’échelon départemental et partant, la proximité pouvant exister entre « les partenaires de la police nationale participant au continuum de sécurité » [23] dans le département multiplient fatalement les hypothèses de communications problématiques d’informations sur les affaires en cours.

La réforme est ensuite critiquée sous l’angle de son efficacité. Précisément, l’échelle départementale tranche a priori avec les échelles régionales (JRS), inter-régionales (JIRS) voire nationales (PNF, PNAT) qui caractérisent aujourd’hui l’organisation de la justice pénale, notamment dans sa dimension de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées [24]. Dans un même ordre d’idées, les premiers succès du parquet européen dans la mission qui lui est aujourd’hui assignée [25] font forcément douter de la pertinence d’une conception de la police judiciaire à si petit échelon. De telles observations restent néanmoins sujettes à discussion.

D’une part, la délinquance et la criminalité ne se résument pas à celles organisées. Or, l’objectif de la réforme est précisément de permettre une meilleure lutte contre la délinquance du quotidien, où le ressort départemental trouve alors sa raison d’être. D’autre part, le rapport annexé à la LOPMI fait mention de certaines garanties pour le maintien d’une police judiciaire adaptée à une délinquance de grande ampleur, au premier rang desquelles on trouve le maintien des offices centraux et la création ponctuelle d’un échelon zonal de police judiciaire [26]. Sera-ce suffisant ? Selon un certain nombre d’acteurs et de commentateurs autorisés, assurément non [27].

Si la LOPMI est essentiellement commentée par le prisme des acteurs de la police judiciaire, elle vise également à simplifier et renforcer leur action. Pour ce faire, elle leur facilite l’accomplissement d’actes d’enquête déjà permis mais aussi leur ouvre l’usage de nouveaux actes ou des techniques spéciales d’enquête du régime dérogatoire de procédure pénale.

II. Les actes de la police judiciaire dans la LOPMI

La LOPMI poursuit ici deux objets principaux : simplifier et renforcer l’action des enquêteurs.

Au titre de la simplification, l’article 3 de la loi adapte l’article 706-154 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6563MG8 relatif aux saisies simplifiées – eu égard au régime de l’article 706-153 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7453LPQ –  de comptes bancaires aux progrès technologiques, en y ajoutant celle des « actifs numériques ». De même, l’article 20 allège le dispositif d’intervention de la police technique et scientifique en leur permettant, sur sollicitation d’un OPJ ou d’un APJ, de directement procéder aux constatations et examens techniques sans qu’il soit préalablement procédé à une réquisition.

Surtout, l’article 23 de la LOPMI légalise une pratique : l’autorisation générale et préalable de réquisitions par le procureur de la République dans le cadre d’enquêtes préliminaires. Concrètement, suivant cette pratique, le procureur peut autoriser pour l’avenir la réalisation de réquisitions par les officiers ou agents de police judiciaire, sans que ceux-ci aient à constamment à le solliciter à cette fin. Or, pareille autorisation générale et préalable avait précisément été jugée illégale par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, celle-ci ayant considéré, dans une formule de principe, que « l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de faire procéder à des examens techniques ou scientifiques doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête préliminaire en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable » avant d’ajouter que « cette interprétation est commandée par la nécessité de garantir la direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République » [28]. La loi commentée met donc un terme à l’interdiction jurisprudentielle, tout en entourant cette faculté d’autorisation générale de certaines limites et garanties. Ces réquisitions préalablement autorisées sont ainsi cantonnées aux seuls cas visés par la loi, tels que la remise d’enregistrements de vidéoprotection ou encore de données relatives à l’état civil ; sont limitées dans le temps (six mois au maximum) ; donnent systématiquement lieu à un avis au procureur de la République qui peut les modifier ou y mettre un terme à tout moment. À cela s’ajoute que le dispositif fera l’objet d’une évaluation dans le délai de deux ans suivant la date de promulgation de la LOPMI.

Ces garanties ont été jugées suffisantes par le Conseil constitutionnel, qui a validé le dispositif, et ce, principalement « au regard de la nature des informations pouvant faire l’objet de réquisitions » [29]. Si les informations ainsi obtenues ne portent effectivement pas d’atteintes graves à la vie privée, il n’en demeure pas moins que cette simplification du régime des réquisitions dans l’enquête préliminaire tranche avec l’exigence européenne déjà évoquée concernant les autorisations d’accès aux données personnelles dans un cadre d’enquête. Il faut à cet égard relever que ces nouvelles dispositions, contenues dans l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6551MGQ, ne tiennent pas compte de l’affirmation jurisprudentielle précitée suivant laquelle : « Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas préalablement à l’accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante » [30].

- Poursuivant un objet de renforcement de l’action de la police judiciaire, la LOPMI (article 16) étend par ailleurs la procédure dérogatoire de délinquance et de criminalité organisées au délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse commis en bande organisée ainsi qu’aux crimes sériels de meurtre et de viol, les ajoutant pour ce faire à liste de l’article 706-73 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6560MG3. Cette expansion du régime dérogatoire et partant, des techniques spéciales d’enquête qu’il contient, appelle principalement deux observations.

En premier lieu, le développement ponctuel du champ d’application de ces techniques spéciales s’oppose à la tentative d’extension générale à tous les crimes du législateur du 23 mars 2019 [31]. Comme relevé en introduction, le législateur actuel a sans doute appris des erreurs passées, ayant notamment retenu que le Conseil constitutionnel avait précisément refusé que le régime dérogatoire soit applicable à des infractions qui, seraient-elles graves, ne revêtiraient pas le caractère de gravité justifiant la mise en œuvre de techniques d’enquête particulièrement attentatoires aux droits et libertés [32]. Suivant cette logique, le Conseil a justement relevé dans sa décision relative à la LOPMI que les délits et crimes ajoutés à la liste de l’article 706-73 du Code de procédure pénale répondent aux critères de complexité et de gravité, permettant ainsi que soit mis en œuvre à leur égard l’ensemble des techniques spéciales d’enquête, garde à vue dérogatoire comprise [33].

En second lieu, la LOPMI rend le régime dérogatoire applicable à un nouveau type d’infractions : les crimes sériels. En cela, elle est comparable à la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui, quant à elle, étendait -par renvoi- une partie du régime dérogatoire à certaines infractions d’affaires listées dans un article 706-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6054LM8. Comme cette dernière, la loi commentée, en ouvrant le domaine d’application de la procédure pénale dérogatoire aux crimes sériels, procède par là même à sa « parcellisation », loin de l’idéal d’unification des règles dérogatoires ayant présidé à la création, par la loi Perben II du 9 mars 2004 N° Lexbase : L1768DP8, des articles 706-73 et suivants du Code de procédure pénale. Si l’on résume la situation, il n’y a plus aujourd’hui un régime dérogatoire mais des dispositions exceptionnelles qui s’appliquent au gré d’un renvoi ponctuel [34] ou de la présence sur l’une des listes d’infractions [35] que comprend le Titre XXV du Livre IV du Code de procédure pénale consacré à « la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées et aux crimes ». Or, dans cette perspective, si la présente loi offre des outils assurant l’efficacité des investigations relatives aux crimes sériels de meurtre de viol, elle participe nécessairement au chaos législatif. Pour le dire autrement, sans doute justifié sur le fond, cet ultime ajout à la liste de l’article 706-73 du Code de procédure pénale rend urgente l’intervention d’un législateur soucieux de l’intelligibilité de notre procédure pénale.

Cette dernière remarque en appelle une autre, conclusive, qui concerne également le travail législatif. À l’instar d’un de nos collègues s’étonnant que l’incrimination d’outrage sexiste aggravé procède de la LOPMI [36], il est difficile d’admettre que des dispositions de procédure pénale telles que celles relatives aux actes d’enquête en soient issues. La réforme à venir de la procédure, relevant du plan d’action, n’offrait-elle pas une occasion législative idoine ? À moins qu’il faille y voir un autre signe de confusion entre police et justice, moins manifeste mais tout aussi inquiétant que la restructuration de la police judiciaire. Le législateur aurait alors le mérite de la cohérence, au mépris il est vrai d’un principe cardinal de l’État de droit : celui de séparation des pouvoirs. Il serait bon en effet que le ministre de l’Intérieur comme celui de la Justice (re)lisent -ensemble ?- l’article 16 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».

 

[1] D. Sénat, Réforme de la police judiciaire : « Une véritable régression dans la lutte contre la criminalité organisée », Tribune, Le Monde du 3 novembre 2022 [en ligne].

[2] V. Notamment, Le projet de réforme de la police judiciaire menace l’efficacité des enquêtes et l’indépendance de la justice, Tribune collective, Le Monde du 31 août 2022 [en ligne].

[3] Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) N° Lexbase : L6260MGX.

[4] Selon les termes du communiqué de presse du Conseil des ministres du 7 septembre 2022 [en ligne].

[5] Propos rapportés de M. Jérôme Bonet, Directeur de la PJ, face à une mission d’information parlementaire à l’Assemblée nationale : « On ne peut pas se satisfaire de procédures qui dorment par milliers » : à l’Assemblée, le directeur central de la police judiciaire défend une réforme contestée, Le Monde, 17 novembre 2022  [en ligne].

[6] LOPMI, art. 17.

[7] LOPMI, art. 18.

[8] Intitulé du chapitre 1er du Titre IV de la LOPMI.

[9] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[10] V. en effet, à l’inverse, Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. 133 à 147, 158 à 166 N° Lexbase : A5079Y4U : A. Botton, Contrôle de la loi de Programmation Justice : le Conseil constitutionnel entre « chameaux et moustiques » de procédure pénale, JCP G, n°14, avril 2019, p. 634.

[11] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, par. 68 à 77 N° Lexbase : A936588D.

[12] LOPMI, art. 17.

[13] Ibid.

[14] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 78 à 82.

[15] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, n°3.1.1. « Former plus d’officiers de police judiciaire) [en ligne].

[16] C. proc. pén., art. 21-3 N° Lexbase : L6524MGQ (tel qu’issu de l’article 18 de la LOPMI).

[17] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 89.

[18] Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710 ; n° 83.820 ; n° 84.096 N° Lexbase : A84348AM : « Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas préalablement à l’accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante ». Ces arrêts et cette formule ne faisant que tirer les conséquences de l’arrêt HK c/ Prokuratuur rendu par la CJUE (CJUE, 2 mars 2021, aff. C-746/18, HK c/ Prokuratuur, point 52 N° Lexbase : A49864II).

[19] C. proc. pén., art. 21-3, 2e al. 3°.

[20] Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010, Daniel W. et autres (Garde à vue), cons. 17 N° Lexbase : A4551E7P.

[21] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, préc. n° 2.3.2.

[22] Cons. const. décision n° 2021-927 QPC, du 14 septembre 2021, Ligue des droits de l’homme N° Lexbase : A315244I. (Transmission de rapports particuliers par les procureurs à leur autorité hiérarchique) : P. Le Monnier de Gouville, Remontées d'informations du parquet et indépendance judiciaire, La Gazette du Palais, 16 novembre 2021, n° 40, p. 20-23 ; A. Botton, Les magistrats du parquet, des subordonnés indépendants et des parties impartiales, RSC, octobre-décembre 2021, n° 4, p. 887-892.

[23] Expression tirée du rapport annexé à la LOPMI : Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, préc. n° 2.3.2.

[24] V. sur cet aspect, D. Sénat, Réforme de la police judiciaire : « Une véritable régression dans la lutte contre la criminalité organisée », préc.

[25] A. Vidalie, Fraude à la TVA : comment l’Europe a frappé un grand coup avec l’opération « Amiral », Le Monde, 9 février 2023 [en ligne].

[26] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, préc. n° 2.3.2.

[27] Outre la Tribune de D. Sénat, voir également, CSM, communication du 26 octobre 2022 [en ligne] ; C. Cutajar, Départementalisation de la police : une réforme inutile et contestée, AJ pénal, 2022 p. 497.

[28] Cass. crim., 17 décembre 2019, n° 19-83.574, FS-P+B+I N° Lexbase : A1350Z9U.

[29] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 122 à 130.

[30] Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710 ; n° 83820 ; n° 84096, préc.

[31] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, préc.

[32] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. 158 à 166.

[33] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 68 à 77.

[34] C’est le cas de l’article 706-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6054LM8 précité, en matière de délinquance d’affaires.

[35] Il y a en effet deux listes d’infractions contenues aux articles 706-73 (application de l’ensemble des techniques spéciales d’enquête) et 706-73-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6561MG4 (application des techniques spéciales d’enquête à l’exception du régime dérogatoire de garde à vue). Cette distinction résulte de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015, traduction législative d’exigences constitutionnelles N° Lexbase : L2620KG7.

[36] E. Dreyer, Outrage sexiste ou outrage à la raison ?, Gazette du Palais, 14 février 2023.

newsid:484729

Baux commerciaux

[Brèves] Droit d’option du preneur : importantes précisions sur l’indemnité d’occupation due par le locataire qui se maintient dans les lieux

Réf. : Cass. civ. 3, 16 mars 2023, n° 21-19.707, FS-B N° Lexbase : A80189HG

Lecture: 5 min

N4792BZI

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par Vincent Téchené

Le 23 Mars 2023

► L'action en paiement de l’indemnité d'occupation, due par un locataire pour la période ayant précédé l'exercice de son droit d'option, est soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce qui ne court  qu'à compter du jour où le bailleur est informé de l'exercice par le locataire de son droit d'option. Par ailleurs, lorsque le locataire se maintient dans les lieux après l'exercice de son droit d'option, il est redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale, dont le délai court à compter de ce même jour.

Faits et procédure. Le 14 juin 2013, la bailleresse de locaux commerciaux a signifié à sa locataire un congé à effet du 31 décembre 2013, avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2014, moyennant un loyer déplafonné.

Le 30 juin 2015, la locataire, qui avait accepté le renouvellement aux charges et conditions du bail expiré, y a renoncé et a informé le bailleur qu'elle libérerait les lieux le 31 décembre 2015.

Contestant le non-renouvellement du bail, la bailleresse a assigné la locataire en fixation du loyer du bail renouvelé. Par décision du 30 novembre 2016, devenue irrévocable, le juge des loyers commerciaux a constaté que le bail commercial était résilié à compter du 1er janvier 2014.

Le 2 juin 2017, la bailleresse a assigné la locataire en réparation de préjudices résultant d'un défaut de restitution des lieux et en paiement d'une indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2014 au 13 mars 2017. La locataire lui a opposé la prescription biennale.

La cour d’appel de Poitiers (CA Poitiers, 18 mai 2021, n° 19/03537 N° Lexbase : A21634SW) a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en fixation de l'indemnité d'occupation formée par la bailleresse et a condamné la locataire à lui payer une certaine somme à titre d'indemnité complémentaire d'occupation. Cette dernière a donc formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 145-57 N° Lexbase : L5785AI4 et L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID du Code de commerce.

Elle rappelle que selon le premier de ces textes, pendant la durée de l'instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, le locataire est tenu de continuer à payer les loyers échus au prix ancien ou, le cas échéant, au prix qui peut, en tout état de cause, être fixé à titre provisionnel par la juridiction saisie, sauf compte à faire entre le bailleur et le preneur, après fixation définitive du prix du loyer. Dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive, les parties dressent un nouveau bail dans les conditions fixées judiciairement, à moins que le locataire renonce au renouvellement ou que le bailleur refuse celui-ci, à charge de celle des parties qui a manifesté son désaccord de supporter tous les frais.

En outre, selon le second texte, toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.

Dès lors, il résulte de ces textes que l'indemnité d'occupation, due par un locataire pour la période ayant précédé l'exercice de son droit d'option, trouve son origine dans l'application de l'article L. 145-57 du Code de commerce et l'action en paiement de cette indemnité est, comme telle, soumise à la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 de ce code. La Cour de cassation opère ici le rappel d’une solution précédemment dégagée (v. Cass. civ. 3, 5 février 2003, n° 01-16.882, FS-P+B N° Lexbase : A9069A4N).

La Haute juridiction précise ensuite qu’il s'ensuit que le bailleur n'ayant connaissance des faits lui permettant d'agir en paiement de cette indemnité, laquelle se substitue rétroactivement au loyer dû sur le fondement de l'article L. 145-57 du même code, qu'à compter du jour où il est informé de l'exercice par le locataire de son droit d'option, le délai de prescription biennale ne court qu'à compter de cette date.

Par ailleurs, elle ajoute que lorsque le locataire se maintient dans les lieux après l'exercice de son droit d'option, il est redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun soumise à la prescription quinquennale, dont le délai court à compter de ce même jour.

Or, la cour d’appel, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en fixation de l'indemnité d'occupation et condamner la locataire à payer une somme complémentaire pour la période du 1er janvier 2014 au 13 mars 2017, a retenu que la locataire, qui a, elle-même, donné congé, ne peut se prévaloir du fait que son maintien dans les lieux entre dans le champ de la législation relative aux baux commerciaux, de sorte que son occupation, qui ne relève d'aucun droit ni d'aucun titre, est irrégulière et échappe au statut des baux commerciaux.

Elle en avait alors déduit que, la prescription abrégée prévue par l'article L. 145-60 du Code de commerce n'étant pas applicable, le délai de la prescription quinquennale de l'article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC, qui avait commencé à courir le 1er janvier 2016, lendemain de la date de cessation des relations contractuelles, a été valablement interrompu par l'assignation délivrée le 2 juin 2017.

Par conséquent, la Cour en conclut qu’en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le droit d'optionLes conséquences pécuniaires de l'exercice du droit d'option, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E4961AEH.

 

newsid:484792

Baux d'habitation

[Brèves] Mise à jour de la notice d'information annexée au bail d’habitation

Réf. : Arrêté du 16 février 2023 modifiant l'arrêté du 29 mai 2015 relatif au contenu de la notice d'information annexée aux contrats de location de logement à usage de résidence principale N° Lexbase : L2285MH4

Lecture: 1 min

N4795BZM

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 22 Mars 2023

► Un arrêté du 16 février 2023, publié au Journal officiel du 19 mars 2023 vient mettre à jour le contenu de la notice d'information annexée aux contrats de location de logement à usage de résidence principale.

Pour rappel, l’article 3 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 N° Lexbase : Z69598RS détermine le contenu du contrat de location et prévoit que ce contrat doit respecter un contrat type (défini par le décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 N° Lexbase : L6991I8G).

Depuis la loi « ALUR » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 N° Lexbase : L8342IZY), l’article 3 précité impose également aux bailleurs d’annexer au contrat de location une notice d'information relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs ainsi qu'aux voies de conciliation et de recours qui leur sont ouvertes pour régler leurs litiges est annexée au contrat de location.

C’est un arrêté du 29 mai 2015 qui avait fixé le contenu de cette notice d'information annexée aux contrats de location de logement à usage de résidence principale. Ce contenu n’avait encore jamais été mis à jour, malgré les nombreuses évolutions législatives et réglementaires. C’est chose faite avec l’arrêté du 16 février 2023.

newsid:484795

Contentieux de la Sécurité sociale

[Brèves] Fixation des limites du litige aux contestations portées devant la commission de recours amiable

Réf. : Cass. civ. 2, 16 mars 2023, n° 21-11.470, FS-B N° Lexbase : A80099H4

Lecture: 2 min

N4763BZG

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par Laïla Bedja

Le 22 Mars 2023

► Il résulte de la combinaison des articles R. 142-1 et R. 142-18 du Code de la Sécurité sociale que le professionnel de santé qui conteste une notification d'indu peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, dès lors qu'ils concernent les anomalies de facturation et de tarification préalablement contestées ; viole ces textes la cour d'appel qui annule l'indu en totalité alors qu'elle constatait que le professionnel de santé ne contestait, dans sa lettre de réclamation auprès de la commission de recours amiable, qu'une partie de l'indu.

Les faits et procédure. À la suite d’un contrôle de l’application des règles de tarification et de facturation des actes professionnels, la caisse primaire d’assurance maladie a notifié à un professionnel de santé un indu d’un certain montant.

Devant la commission de recours amiable, le professionnel a demandé à la caisse « de mettre à néant les indus pour 13 343,68 euros et lui permettre de se libérer de la somme de 4 584,14 euros par mensualités de 700 euros ».

La commission lui ayant notifié un refus, il a alors saisi d’un recours la juridiction judiciaire.

La cour d’appel. Pour annuler la totalité de l’indu, les juges du fond énoncent que le professionnel, bien qu’il ait demandé une annulation partielle de l’indu devant la CRA, est recevable à développer devant la juridiction de Sécurité sociale tous les arguments venant au soutien de sa demande initiale, la commission de recours amiable ayant précisé que le recours dont elle était saisie, qui visait le bien-fondé de la créance, tendait à une révision de la décision de la caisse.

La décision. Pour la Haute juridiction, cet arrêt est contraire aux articles R. 142-1 N° Lexbase : L1326LKC et R. 142-18 N° Lexbase : L4553LU8 du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige. La contestation devant le juge doit se limiter à la contestation effectuée devant la commission de recours amiable.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le contentieux de la Sécurité sociale, Le recours préalable, in Droit de la protection sociale, Lexbase N° Lexbase : E822334C

newsid:484763

Contrats et obligations

[Brèves] Exécution forcée des promesses unilatérales : pas de modulation dans le temps du revirement de jurisprudence

Réf. : Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-20.399, FS-B N° Lexbase : A80049HW

Lecture: 5 min

N4794BZL

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 22 Mars 2023

► Les promesses unilatérales relevant du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 sont susceptibles d’exécution forcée ; la solution nouvelle ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable, le revirement est donc rétroactif.

A la lecture de l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, ce ne sont pas tant les faits qui attirent l’attention que la motivation de l’arrêt. Statuant pour la première fois depuis le revirement par anticipation opéré par la troisième chambre civile, sur la question de la rétractation de la promesse unilatérale dans le délai d’option, la Chambre commerciale offre un arrêt motivé avec soin.

Faits et procédure. En l’espèce, un protocole d’accord avait été conclu en 2012, lequel contenait deux promesses unilatérales portant sur la cession de droits sociaux. Le délai d’option, d’une durée de six mois, ne commençait à courir qu’à compter du 31 décembre 2015. L’enchaînement est alors classique : rétractation du promettant pendant le délai d’option puis levée de l’option, pendant le délai conventionnellement prévu. Exécution forcée, et donc application par anticipation de la solution adoptée par l’ordonnance du 10 février 2016 (C. civ., art. 1124 N° Lexbase : L0826KZM) à l’instar de la position désormais retenue par la troisième chambre civile (Cass. civ. 3, 23 juin 2021, n° 20-17.554, FS-B N° Lexbase : A95684WB), ou dommages et intérêts ?

Solution. S’alignant sur la position désormais retenue par la troisième chambre civile, la Chambre commerciale casse l’arrêt d’appel au visa de l’ancien article 1134 du Code civil N° Lexbase : L1234ABC. Pour ce faire, elle rappelle d’abord la solution jurisprudentielle qui avait cours avant l’ordonnance de 2016 (exemple : Cass. civ. 3, 15 décembre 2009, n° 08-22.008, F-D N° Lexbase : A7166EP4), ensuite la différence entre l’offre et la promesse, laquelle justifie une différence de régime, puis la solution issue de l’ordonnance (C. civ., art. 1124 N° Lexbase : L0826KZM) qui n'avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce, eu égard à l’application dans le temps de la réforme dont les principes sont rappelés par la Cour (article 9 de l’ordonnance), pour enfin préciser qu’ « il apparaît nécessaire, compte tenu de l’évolution du droit des obligations, de modifier la jurisprudence de la cour pour juger, désormais, à l’instar de la troisième chambre civile, (…), que le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire ».

Si la solution était prévisible, la dernière précision n’avait pas encore été formulée jusqu’alors : la rétractation du promettant est sans effet, y compris lorsqu’elle intervient avant que le délai d’option n’ait commencé à courir. Les faits de l’espèce rendaient possibles une telle précision, même si la rétractation était, en l’espèce, intervenue pendant le délai d’option. La solution est désormais entendue pour la Chambre commerciale.

Mais au-delà du principe, elle prend partie sur un point qui n’avait pas encore été envisagé : celui de la modulation dans le temps du revirement de jurisprudence. Ce dernier était-il rétroactif ? On sait que la réponse est intimement liée à celle du droit à un procès équitable (CESDH, art. 6 § 1 N° Lexbase : L7558AIR). Le promettant invoquait non seulement ce fondement, mais également l’article 1er du protocole n° 1 de la CESDH N° Lexbase : L1625AZ9 relatif au droit au respect des biens, ainsi qu’une atteinte disproportionnée et manifeste au principe de sécurité juridique afin d’éviter l’application de la solution nouvelle à la situation en cause, laquelle était née quelques années avant que ne s’opèrent les chamboulements en matière de promesses unilatérales. Les arguments sont balayés par la Chambre commerciale. Pour cela, elle précise que le revirement « n’était pas imprévisible au jour où » le pourvoi en cassation avait été formé car « une très grande majorité de la doctrine l’appelait de ses vœux bien avant la conclusion (de la promesse donnant lieu au contentieux) et la réforme du droit des contrats ». Ce faisant, « le revirement consacré par la présente décision n’a donc pas pour effet de priver, même rétroactivement, (le promettant) de son droit à un procès équitable ». Il y a donc « lieu d’appliquer à la présente espèce le principe selon lequel la révocation de la promesse avant l’expiration du délai laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».

La référence nourrie aux critiques doctrinales formulée à l’encontre de la solution antérieure ne peut qu’être relevée. La voie de la modulation dans le temps des effets du revirement est donc définitivement fermée par la Chambre commerciale. La solution est donc entendue : exécution forcée des promesses, quelle que soit la date de leur conclusion.

newsid:484794

Contrat de travail

[Brèves] Absence d’un CDD écrit : point de départ du délai de prescription de l’action en justice

Réf. : Cass. soc., 15 mars 2023, n° 20-21.774, FS-B N° Lexbase : A80069HY

Lecture: 4 min

N4766BZK

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par Lisa Poinsot

Le 22 Mars 2023

Lorsque l’action est fondée sur l’absence de contrat écrit, le délai de prescription de 2 ans pour obtenir la requalification d’un CDD en CDI court à compter de l’expiration du délai de 2 jours ouvrables de remise d’un contrat écrit au salarié.

Faits et procédure. Un salarié est engagé par contrat verbal le 27 juin 2008 pour effectuer quelques heures de travail pendant deux mois. Il signe, le 10 juillet 2008, un CDD à temps complet pour une période de plusieurs mois, prorogée par avenant.

À la fin de son contrat de travail, il reçoit un certificat de travail mentionnant les périodes travaillées sans contrat écrit et les périodes prévues par contrat à durée déterminée. Il signe un reçu pour solde de tout compte mentionnant les sommes de fin de contrat perçues au titre du salaire et de la prime de précarité.

Ce salarié saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification de son CDD en CDI à compter de la date de sa première embauche, soit à compter de la période de travail sans contrat écrit.

La cour d’appel (CA Paris, 12 février 2020, n° 19/08385 N° Lexbase : A68603ES) relève qu’après avoir été embauché par contrat verbal du 27 juin 2008, le salarié a signé un CDD le 10 juillet 2008 qui a pris effet le 26 août 2008 et s’est achevé à son terme le 30 juin 2009.

Elle affirme que le point de départ du délai de prescription de l’action en requalification du CDD est fixé au jour du début de la relation en cas d’absence d’écrit et du jour de la signature du CDD en cas d’irrégularité formelle.

Elle en déduit que l’action en requalification en CDI est acquise au plus tard le 10 juillet 2013. Or, le salarié a introduit son instance le 17 février 2014. Sa demande en requalification et les demandes qui y sont liées sont prescrites.

En conséquence, le salarié est débouté de ses demandes.

Le salarié forme alors un pourvoi en cassation en soutenant que l’action en requalification de la relation de travail en CDI n’est pas prescrite dès lors que le délai n’a commencé à courir qu’à compter du terme du dernier contrat, soit le 30 juin 2009. La prescription n’est alors acquise qu’au 17 février 2014, date de saisine de la juridiction prud’homale par le salarié.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi en application de l’article L. 1471-1 du Code du travail N° Lexbase : L1453LKZ, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 N° Lexbase : L0394IXU, de l’article 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 N° Lexbase : Z48695MG et de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC.

La Haute juridiction rappelle que le délai de prescription d'une action en requalification d'un CDD en CDI court :

  • lorsque cette action est fondée sur l'absence d'établissement d'un écrit, à compter de l'expiration du délai de deux jours ouvrables imparti à l'employeur pour transmettre au salarié le contrat de travail ;
  • lorsqu'elle est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, à compter de la conclusion de ce contrat ;
  • lorsqu'elle est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, à compter du terme du contrat ;
  • en cas de succession de contrats à durée déterminée, à compter du terme du dernier contrat.

Pour aller plus loin :

  • lire B. Desaint, La prescription en droit du travail : synthèse sous forme de tableaux, Lexbase Social, novembre 2021, n° 885 N° Lexbase : N9492BY9 ;
  • v. infographies, INFO187, La saisine du conseil de prud’hommes (CPH), Droit social N° Lexbase : X6495ATQ ;
  • v. formulaire, MDS0141, Requête aux fins de saisine du conseil de prud’hommes et de convocation devant le Bureau de conciliation et d’orientation, Droit du travail N° Lexbase : X4488CHP ;
  • v. ÉTUDE : Les sanctions du non-respect des règles relatives au contrat à durée déterminée, La requalification sanction du CDD en CDI, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E7876ESI ;
  • v. ÉTUDE : Le formalisme du contrat de travail à durée déterminée, La remise du CDD au salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E7766ESG.

 

newsid:484766

Domaine public

[Actes de colloques] Les transformations contemporaines du droit domanial - La problématique du trait de côte

Lecture: 22 min

N4733BZC

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par Franck Constanza, Avocat au barreau de Marseille

Le 22 Mars 2023

La gestion du recul du trait de côte est au cœur de la loi du 22 août 2021, dite « Climat et résilience » N° Lexbase : L6065L7R et de l’ordonnance du 6 avril 2022, relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte N° Lexbase : L2885MCT [1].

La problématique du recul du trait de côte, en lien avec le thème du présent colloque, n’apparaît pas de prime abord.

Un indice est donné par la définition du trait de côte, dont on observera qu’elle ne ressort pas des textes applicables. On se réfèrera à celle que retient le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), à laquelle renvoie le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.

Le trait de côte est, à cet égard, regardé comme « la limite portée sur la carte séparant la terre de la mer » [2].

Cette définition recoupe, voire se confond avec celle de rivage de la mer qui participe de la délimitation du domaine public maritime naturel et dont elle est une notion clé.

Le rivage de la mer, tel qu’il est défini dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) [3], est une notion mouvante dès lors que sa délimitation dépend de phénomènes physiques qui, s’ils surviennent, ont pour effet d’étendre d’autant les limites du domaine public maritime naturel, avec pour effet l’incorporation  automatique des propriétés privées à ce domaine.

La délimitation du rivage de la mer contribue ainsi à fixer, selon la formule du Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 mai 2013, « la limite entre le domaine public maritime naturel et les propriétés privées » [4].

La notion de trait de côte ne remplit pas juridiquement la même fonction. Il n’en demeure pas moins qu’elle trace la limite entre terre et mer et qu’à ce titre le recul du trait de côte, tel qu’il est appréhendé par la loi « Climat et résilience », esquisse un domaine public maritime naturel potentiel ou en devenir.

On évitera ici – même si la formule est tentante – de parler de domaine public maritime naturel par anticipation au regard de la jurisprudence « Association Eurolat » [5], qui postule une applicabilité des règles de la domanialité publique à un bien ne relevant pas du domaine public, mais dont l’affectation à un service public est certaine.

Les règles de la domanialité publique ne s’appliquent pas à l’espace délimité par le recul du trait de côte, qui reste encadré par la loi « Climat et résilience » et l’ordonnance du 6 avril 2022.

Il nous faut décrire ce corpus législatif, avant d’en apprécier les interactions.
 

I. Le corpus normatif

Le corpus normatif, formé par la loi et l’ordonnance, définit « une politique d’aménagement du littoral, appréhendée au travers du trait de côte, en adéquation avec les réalités du changement climatique » [6].

Il comprend deux volets.


A. La gestion intégrée du recul du trait de côte

Le premier volet met en place une gestion intégrée du recul du trait de côte, qui figure à l’article L. 321-13 A du Code de l’environnement N° Lexbase : L3065MCI.

Cette stratégie existait dans la pratique administrative. Une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte avait été adoptée en 2012, à la suite du Grenelle de la mer en 2009, qui a été actualisée en 2017 et sur le fondement de laquelle ont été élaborées les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte [7].

Il y a donc là une consécration législative de la gestion intégrée du recul du trait de côte.

Cette stratégie se décline à deux échelons.

À l’échelon national, tout d’abord, dans la mesure où il appartient à l’État d’élaborer « la stratégie nationale de gestion intégrée du recul du trait de côte […] qui constitue le cadre de référence pour la protection du milieu et la gestion intégrée et concertée des activités au regard de l’évolution du trait de côte » [8].

Notons que la reconnaissance de la gestion intégrée du trait de côte a été incluse, dans le débat législatif, au cours de l’examen du Sénat en seconde lecture. Le Gouvernement y était défavorable au motif que l’érosion côtière « ne pourrait être assimilée à un risque stricto sensu dès lors qu’il s’agit là d’un phénomène progressif pouvant être anticipé » [9], entendant ainsi exclure la compétence de l’État quant à sa prévention pour la transférer aux collectivités territoriales.

Cette stratégie nationale est établie en concertation avec les collectivités territoriales et le Conseil national de la mer et des littoraux créé, à cet effet, par la loi « Climat et résilience » [10].

Elle est adoptée par décret [11].

À l’échelon local, ensuite, dès lors que les collectivités territoriales sont invitées à adhérer à cette stratégie nationale, mais il ne s’agit, toutefois, que d’une simple faculté.

Les régions, qui comportent des territoires littoraux, ont ainsi la possibilité, à travers le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) [12], de fixer « des objectifs de moyen et long termes en matière de gestion du trait de côte en cohérence avec les orientations de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte » [13].

Les collectivités compétentes en matière de GEMAPI peuvent également élaborer des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte afin de mettre en œuvre « les principes » de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.

Ces stratégies locales doivent prendre en compte les objectifs et les règles générales définis par le SRADDET [14].


B. La mise en place d’un zonage protecteur

Le second volet est purement urbanistique.

Jusqu’alors, la prévention des risques liés à l’érosion côtière relevait principalement des plans de prévention des risques littoraux (PPRL), élaborés et approuvés par les services déconcentrés de l’État [15].

L’idée exposée plus haut, selon laquelle l’érosion côtière n’est pas un risque naturel prévisible, a fait son chemin pour aboutir à un renversement de paradigme. Le postulat, qui s’est imposé, a conduit à placer les collectivités territoriales, compétentes en matière d’urbanisme, au cœur même de la lutte contre le recul du trait de côte.

Un premier pas a été franchi avec l’ordonnance n° 2020-744, du 17 juin 2020, relative à la modernisation des schémas de cohérence territoriale (SCOT) N° Lexbase : L4299LXI [16].
Le document d’orientation et d’objectifs doit définir « les orientations de gestion des milieux aquatiques, de prévention des risques naturels liés à la mer et d’adaptation des territoires au recul du trait de côte » et la possibilité lui est ouverte d’identifier des « secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation » [17].

Le SCOT devient ainsi « le principal instrument permettant de planifier les enjeux liés à l’érosion côtière avant la loi « Climat et résilience » [18].

Il était donc cohérent, dans ces conditions, de doter les collectivités territoriales des outils leur permettant d’intégrer, au sein des plans locaux d’urbanisme (PLU), les enjeux liés au recul du trait de côte.

La loi « Climat et résilience » et l’ordonnance du 6 avril 2022 sont sur ce point ambivalents. En effet, si la loi permet aux autorités compétentes de mettre en place un zonage protecteur de nature à freiner l’érosion côtière, l’ordonnance apporte des dérogations notables à la loi « Littoral » N° Lexbase : L7941AG9.

Concernant le zonage spécifique, le dispositif juridique en cause n’est ouvert qu’aux seules communes inscrites sur une liste fixée par décret [19], qui tient compte de la particulière vulnérabilité de leur territoire au recul du trait de côte et qui ne sont pas couvertes par un PPRL [20].


1) Le zonage propre au recul du trait de côte

Les communes éligibles doivent préalablement établir une carte locale d’exposition de leur territoire au recul du trait de côte [21].

Le document graphique du règlement du PLU, applicable dans ces communes, délimite alors :

- la zone exposée au recul du trait de côte à l’horizon de trente ans ;

- la zone exposée au recul du trait de côte à un horizon compris entre trente et cent ans [22].

Au sein de la zone 0-30 ans, une distinction est faite entre les espaces urbanisés et ceux qui ne le sont pas.

Dans les premiers, sont autorisés :

- les travaux de réfection et d’adaptation des constructions existantes à la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les deux types de zones ;

- les constructions ou installations nouvelles nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau, à condition qu’elle présente un caractère démontable ;

- les extensions des constructions existantes à la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les deux types de zones, à condition qu’elles présentent un caractère démontable [23].

Dans les espaces non urbanisés des zones 0-30 ans, seules sont autorisées les constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau, à condition que ces constructions et installations présentent également un caractère démontable [24].

La zone 30-100 ans reste constructible, mais cette constructibilité est relative.

Une obligation de démolition est mise à la charge des propriétaires concernant les constructions nouvelles et les extensions des constructions existantes à compter de la date d’entrée en vigueur du PLU délimitant les deux types de zones, lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au- delà d’une durée de trois ans [25].

En dehors de cette hypothèse, il reste possible de construire à la condition de consigner, entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations, une somme correspondant au coût prévisionnel de la démolition et de la remise en état [26].

 Ce zonage protecteur est contrebalancé par une planification stratégique des opérations de relocalisation.


2) Les opérations de relocalisation

En matière de relocalisation des constructions exposées au recul du trait de côte, le SCOT occupe une place essentielle, dès lors que le document d’orientation et d’objectifs peut identifier « des secteurs visant à accueillir des installations et des constructions pour des projets de relocalisation » [27].

Ces secteurs de relocalisation doivent être situés au-delà de la bande littorale et des zones 0-30 ans/30-100 ans, ainsi qu’en dehors des espaces remarquables du littoral [28].

Il appartient aux auteurs de PLU de retranscrire et parachever la planification des opérations de relocalisation.

À cet effet, les dispositions du Code de l’urbanisme relatives aux PLU ont été adaptées à la prise en compte du retrait de côte :

- les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durables prennent en compte « l’adaptation des espaces agricoles, naturels et forestiers, des activités humaines et des espaces urbanisés, exposés au recul du trait de côte » [29] ;

- des emplacements peuvent être réservés pour « la relocalisation d’équipements, de constructions et d’installations exposés au recul du trait de côte, en dehors des zones  touchées par ce recul » [30].

L’ordonnance du 6 avril 2022 prévoit des dispositions spécifiques concernant les opérations d’aménagement.

Ainsi, lorsqu’un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) prévoit une opération d’aménagement, dont l’objet est de mettre en œuvre la recomposition spatiale du territoire d’une ou plusieurs communes figurant sur la liste de l’article L. 321-15 du Code de l’environnement N° Lexbase : L3068MCM, il peut « délimiter sur le territoire qu’il couvre des secteurs de relocalisation de constructions, d’ouvrages ou d’installations menacés par l’évolution du trait de côte » [31].

À l’intérieur de ces secteurs – et c’est toute l’ambivalence du corpus législatif décrit – des dérogations à la loi Littoral sont autorisées sous réserve, toutefois, de l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites :

- le principe d’extension de l’urbanisation en continuité des villages et agglomérations existantes [32] peut être méconnu, à la condition que les biens soient relocalisés en dehors des espaces proches du rivage, des espaces littoraux remarquables et d’une bande d’une largeur d’un kilomètre à compter de la limite haute du rivage [33] ;

- dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages [34], il est possible « d’étendre le périmètre bâti existant », dès lors que les biens sont relocalisés en dehors des espaces proches du rivage et des espaces littoraux remarquables et que cette extension aboutit au plus à la création d’un village, au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9980LML [35] ;

- l’obligation de prévoir des coupures d’urbanisation dans les SCOT et les PLU [36] disparaît, sauf en ce qui concerne les espaces proches du rivage et les espaces littoraux remarquables [37] ;

- les dérogations apportées à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9980LML peuvent, à titre exceptionnel, s’appliquer dans les espaces proches du rivage, les zones 0- 30 ans et 30-100 ans, ainsi que dans les espaces littoraux remarquables, sous réserve de l’autorisation du ministre chargé de l’Urbanisme et de l’avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites [38].
 

II. Les interactions

A. Les limites futures du domaine public maritime naturel

Il est clair, en premier lieu, que les zones 0-30 ans et 30-100 ans ont vocation à définir les limites futures du domaine public maritime naturel, dans l’hypothèse où l’érosion côtière devait entraîner un recul du trait de côte et, donc, une avancée des limites hautes du rivage de la mer.


B. Les digues à la mer

Il apparaît, ensuite, que le régime applicable dans les zones 30-100 ans, qui peut conduire à la démolition des constructions nouvelles et celle des extensions des constructions existantes, s’apparente à la protection élevée dont bénéficie le domaine public maritime à travers, notamment, les dispositions de l’article L. 2132-3 du Code général de la propriété des personnes publique N° Lexbase : L4572IQE : « Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende ».

Ce point soulève une question.

Si l’on comprend bien le I de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3, les constructions nouvelles et les extensions des constructions existantes, édifiées dans la  zone 30-100 ans, doivent être démolies, à compter de l’entrée en vigueur du PLU délimitant ladite zone, lorsque le recul du trait de côte est tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà d’une durée de trois ans.

L’obligation de démolition et de remise en état est ordonnée par arrêté du maire [39].

Que sera alors le sort des « digues à la mer », qui sont au cœur de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 24 mai 2013 précitée [40] ?

Un propriétaire riverain du domaine public maritime naturel peut être autorisé à construire une digue à la mer, conformément à l’article 33 de la loi du 16 septembre 1807, relative au dessèchement des marais [en ligne].

Lorsque son fonds se trouve submergé par les plus hauts flots, il est automatiquement incorporé au domaine public maritime naturel et « l’État devient propriétaire des ouvrages  construits en même temps que le fonds dont la propriété lui est transférée du fait de l’action des  flots » [41].

Dans cette hypothèse, le propriétaire des ouvrages ne peut se voir contraint à la démolition.

Le Conseil constitutionnel considère en effet que : « Considérant, toutefois, que, lorsqu’une digue à la mer construite par un propriétaire est incorporée au domaine public maritime naturel en raison de la progression du rivage de la mer, il peut être imposé à l’intéressé de procéder à sa destruction ; que ce dernier pourrait ainsi voir sa propriété privée de la protection assurée par l’ouvrage qu’il avait légalement érigé ; que, dans  ces conditions, la garantie des droits du propriétaire riverain de la mer ayant élevé une digue à  la mer ne serait pas assurée s’il était forcé de la détruire à ses frais en raison de l’évolution des limites du domaine public maritime naturel ; que, sous cette réserve, le 1° de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques est conforme à l’article 16 de la Déclaration de 1789 » [42].

Si l’on suit la logique de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3, une telle digue régulièrement édifiée sur un fonds privé, avant même qu’il ne soit recouvert par les plus hauts flots, est condamnée à la démolition, à partir du moment où le recul du trait de côte sera tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée au-delà de trois ans.

La démolition et la remise en état incombent alors au seul propriétaire, qui ne pourra réclamer aucune indemnisation, en vertu du VI de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3 [43].

Une telle situation heurte de plein fouet la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Comment, dans ces conditions, combiner les normes en présence ?

Une première piste revient à opposer la décision du Conseil constitutionnel du 24 mai 2013 au VI de l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3.

Elle doit cependant être immédiatement relativisée.

En effet, une réserve d’interprétation est d’interprétation stricte. Or la réserve émise par la Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 mai 2013, ne vaut a priori que pour le 1° de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4505IQW.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 2021 relative à la loi « Climat et résilience », ne s’est toutefois pas prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 242 de la loi du 22 août 2021, dont est issu l’article L. 121-22-5 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L3053MC3 [44].

Une question prioritaire de constitutionnalité est donc toujours possible.

Reste un point.


C. L’aptitude de l’État à imposer les orientations de la stratégie nationale

Il nous faut, en effet, nous arrêter sur les effets de la stratégie nationale de gestion du trait de côte.

La stratégie de gestion du trait de côte relève du droit souple [45], selon les trois critères d’identification du droit souple retenus par le Conseil d’Etat [46].

C’est d’ailleurs la position du tribunal administratif de Montpellier dans une espèce récente [47].

Les orientations de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte qui, par définition, ne comportent aucune obligation, ne sont pas, pour autant, dépourvues de toute normativité.

Il est clair, à cet égard, qu’en donnant à la stratégie nationale, comme aux stratégies locales, une « assise législative », la loi permet de renforcer leur normativité [48]. Cette normativité reste toutefois faible et diffuse.

La loi « Climat et résilience » ne modifie pas, en effet, la hiérarchie des normes en droit de l’urbanisme, telle qu’elle ressort des articles L. 131-1 et suivants du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L4668LX8 et n’érige donc pas les orientations de la stratégie nationale en normes de  référence.

La pénétration du droit souple, généré par la stratégie nationale de gestion du trait de côte, se fera donc à travers le SRADDET et les stratégies locales.

Le SRADDET doit être élaboré « en cohérence avec les orientations de la gestion intégrée du trait de côte » [49].

Le rapport de cohérence laisse, aux auteurs du SRADDET, une certaine marge de manœuvre dans l’intégration des orientations de la stratégie nationale de gestion du trait de côte [50].

Quant au rapport SRADDET/SCOT, il s’inscrit uniquement dans une obligation de prise en compte s’agissant des objectifs définis par le schéma régional, qui distend encore un peu plus la normativité des orientations de la stratégie nationale de gestion du trait de côte [51] et autorise l’instrument de planification « à s’éloigner desdites orientations pour un motif tiré de l’intérêt de l’opération envisagée, dès lors qu’il est justifié » [52].

La pénétration des orientations de la gestion nationale du trait de côte est également favorisée par l’adoption de stratégies locales, lorsque les autorités compétentes décident d’en élaborer une.

Dans cette hypothèse, de telles stratégies locales doivent prendre en compte les objectifs du SRADDET, mais elles sont également tenues par la stratégie nationale, qu’elles ont pour objet de mettre en œuvre [53].

La faible normativité apparente des orientations de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte ne doit, pourtant, pas tromper.

L’État conserve, en effet, un pouvoir de pression non négligeable, ce qui permet à une autrice d’affirmer que « ce dernier demeure le “maître du jeu” des rapports qui se nouent entre lui et les collectivités territoriales » [54].

Cette force de persuasion est susceptible de s’exercer, en premier lieu, à travers la conclusion des PPA, nécessaires à la réalisation des opérations de relocalisation, qui sont un préalable à la possibilité de faire jouer les dérogations à la loi Littoral [55].

Certes, de tels PPA n’imposent pas aux collectivités concernées d’élaborer préalablement une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte.

Il n’en demeure pas moins que les dérogations à la loi Littoral ne pourront être mises en œuvre qu’après que l’autorité administrative compétente de l’État a donné son accord, de telle sorte qu’il y a, là, un moyen de pression pouvant contraindre les collectivités intéressées à adopter une stratégie locale qui, selon les termes de l’article L. 321-16 du Code de l’environnement N° Lexbase : L3069MCN, devra mettre en œuvre les principes de la stratégie nationale.

Les pouvoirs des préfets relatifs à l’entrée en vigueur des documents d’urbanisme, ensuite, peuvent également être un moyen pour l’État d’imposer d’y inclure les orientations de la stratégie nationale de gestion du trait de côte [56].

Enfin, il n’est pas exclu que l’État utilise sa compétence exclusive en matière de domaine public maritime « pour limiter, voire neutraliser, les projets des collectivités territoriales déviant des orientations fixées par l’État, en particulier, des ouvrages de défense contre la mer » [57].

Il n’est pas exclu, non plus, que les services de l’État élaborent des lignes directrices fondées sur la stratégie nationale afin d’instruire les dossiers de demandes d’utilisation du domaine public maritime, présentées par les collectivités territoriales, ou les demandes de dérogation à la loi « Littoral » dans le cadre des opérations de recomposition spatiale [58].

En conclusion, on voit ainsi que le corpus normatif, composé par la loi « Climat et résilience » et l’ordonnance du 6 avril 2022, a une incidence indirecte, mais certaine, sur le domaine public maritime naturel, d’une part, parce qu’il préfigure sa délimitation future en cas d’érosion côtière continue et, d’autre part, parce que l’État est à même d’imposer les règles qui contribueront à sa gestion et s’apparentent à celles gouvernant la domanialité publique, alors même que les terrains concernés restent des propriétés privées.


[1] Loi n° 2021-1104, du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R ; ordonnance n° 2022-489, du 6 avril 2022, relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte N° Lexbase : L2885MCT.

[2] [En ligne].

[3] CGPPP, art. L. 2111-1, 1° N° Lexbase : L4505IQW : « Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu’elle couvre et découvre jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques ».

[4] Cons. const., décision n° 2013-316 QPC, du 24 mai 2013, SCI Pascal et autre N° Lexbase : Z70645ZI.

[5] CE, 2e-6e s.-sect. réunies, 6 mai 1985, n° 41589 et n° 41699, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3186AMX.

[6] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, RFDA, 2022, p. 444.

[7] Ibid.

[8] C. env., art. L. 321-13 A N° Lexbase : L3065MCI.

[9] J.-F. Struillou, Les règles d’utilisation des sols spécifiques aux zones exposées au recul du trait de côte, RFDA, 2022, p. 460.

[10] C. env., art. L. 219-1 A N° Lexbase : L6481L78.

[11] C. env., art. L. 321-13 A N° Lexbase : L3065MCI.

[12] CGCT, art. L. 4251-1 N° Lexbase : L1811MHK.

[13] C. env., art. L. 321-14 N° Lexbase : L3067MCL.

[14] C. env., art. L. 321-16 N° Lexbase : L3069MCN.

[15] N. Huten, Planification urbaine et recomposition spatiale des territoires exposés au recul du trait de côte, RFDA, 2022, p. 452.

[16] JORF n° 0149, du 18 juin 2020.

[17] C. urb., art. L. 141-13, 3°N° Lexbase : L6897L7L.

[18] N. Huten, Planification urbaine et recomposition spatiale des territoires exposés au recul du trait de côte, préc.

[19] C. env., art. L. 321-15 N° Lexbase : L3068MCM. V. le décret n° 2022-750, du 29 avril 2022, établissant la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral N° Lexbase : L6357MCG. Ce décret fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

[20] C. urb., art. L. 121-22-1 N° Lexbase : L7081L7E.

[21] Ibid.

[22] C. urb., art. L. 121-22-2 N° Lexbase : L7083L7H.

[23] C. urb., art. L. 121-22-4, I N° Lexbase : L3052MCZ.

[24] C. urb., art. L. 121-22-4, II N° Lexbase : L3052MCZ.

[25] C. urb., art. L. 121-22-5, I N° Lexbase : L3053MC3.

[26] C. urb., art. L. 121-22-5, 1, II N° Lexbase : L3053MC3.

[27 ]C. urb., art. L. 141-13, 3° N° Lexbase : L6897L7L.

[28] Ibid.

[29] C. urb., art. L. 151-5 N° Lexbase : L1738MHT.

[30] C. urb., art. L. 151-41, 6° N° Lexbase : L6906L7W.

[31] C. urb., art. L. 312-8 N° Lexbase : L3062MCE.

[32] C. urb., art. L. 121-8, al. 1er N° Lexbase : L9980LML.

[33] C. urb., art. L. 312-9, 1° N° Lexbase : L3063MCG.

[34] C. urb., art. L. 121-8, al. 2 N° Lexbase : L9980LML.

[35] C. urb., art. L. 312-9, 2° N° Lexbase : L3063MCG.

[36] C. urb., art. L. 121-22 N° Lexbase : L2339KIH.

[37] C. urb., art. L. 312-9, 3° N° Lexbase : L3063MCG.

[38] Ibid.

[39] C. urb., art. L. 121-22-5 N° Lexbase : L3053MC3.

[40] Cons. const., décision n° 2013-316 QPC, du 24 mai 2013, précité N° Lexbase : A8146KD3.

[41] S. Deliancourt, conclusions sous CAA Marseille, 7e ch., 6 mai 2014,  n° 10MA04256 N° Lexbase : A1620MMX, RFDA, 2014, p. 1075.

[42] Cons. const., décision n° 2013-316 QPC, du 24 mai 2013, précité N° Lexbase : Z70645ZI.

[43] « Nonobstant toutes dispositions contraires, les titulaires de droits réels ou de baux de toute nature portant sur des constructions créées ou aménagées en application du présent paragraphe ne peuvent prétendre à aucune indemnité de la part de l’autorité qui a fait procéder à la démolition et à la remise en état ».

[44] Cons. const., décision n° 2021-825 DC, du 13 août 2021 N° Lexbase : A71314Z7.

[45] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[46] Nous renvoyons, sur ce point, au rapport du Conseil d’État, Le droit souple, Documentation française, 2013, p. 61 et s.

[47] TA Montpellier, 4e ch., 21 mars 2021, n° 1905928 N° Lexbase : A91224K3.

[48] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[49] C. env., art. L. 321-14 N° Lexbase : L3067MCL.

[50] V. C. Touboul, conclusions sous CE, 1e-6e ch. réunies, 2 octobre 2017, n° 398322, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6433WTG, BJDU, n° 1/18, p. 18, ainsi que T. Thuillier, La hiérarchie des normes en droit de l’urbanisme : des clarifications en demi-teinte, BJDU, n° 2/19, p. 91.

[51] C. urb., art. L. 131-2, 1° N° Lexbase : L4669LX9.

[52] T. Thuillier, La hiérarchie des normes en droit de l’urbanisme : des clarifications en demi-teinte, précité, p. 92.

[53] C. env., art. L. 321-16 N° Lexbase : L3069MCN.

[54] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[55] C. urb., art. L. 312-8 N° Lexbase : L3062MCE.

[56] C. urb., L. 143-25 N° Lexbase : L5042L8A pour les SCOT et C. urb., art. L. 153-25 N° Lexbase : L5037L83 pour les territoires qui ne sont pas couverts par un PLU.

[57] M. Crespy-De Coninck, Les stratégies de gestion intégrée du trait de côte, précité.

[58] Ibid.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Intangibilité du fondement juridique de la déclaration de créance en dehors du délai de déclaration de créance

Réf. : Cass. com., 8 mars 2023, n° 21-22.354, F-B N° Lexbase : A92129GB

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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

Le 27 Juillet 2023

Mots-clés : déclaration de créance • fondement juridique • modification • nouvelle déclaration de créance • obligation de respecter le délai de déclaration de créance pour modifier le fondement juridique de la déclaration de créance

Le changement de fondement juridique de la créance impliquant une nouvelle déclaration, il en résulte que la cour d'appel ne viole donc pas, par fausse application, l'article L. 622-25 du Code de commerce en jugeant que la SCI ne pouvait substituer une demande fondée sur la responsabilité contractuelle à celle reposant sur la mise en œuvre de l'article 9 des conditions générales du bail, objet exclusif de sa saisine.


 

On sait que la déclaration de créance est traditionnellement analysée par la Cour de cassation comme un acte équivalent à une demande en justice [1]. Celui qui agit en justice doit préciser le fondement de sa demande. C’est pourquoi il apparaît logique, face à cette construction, de décider que celui qui déclare une créance doit préciser le fondement juridique de sa déclaration de créance.

Mais le créancier peut-il modifier le fondement juridique de sa déclaration de créance ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation par cet arrêt rendu le 8 mars 2023. Même s’il ne constitue pas une première [2], la clarté de sa motivation présente un intérêt de premier plan.

En l’espèce, le 29 novembre 2012, la SCI A. (la SCI) a donné à bail à la société M. un local situé dans un centre commercial, le contrat prévoyant une livraison du local à une date dont le preneur serait avisé, fixée à deux mois avant la date d'ouverture du centre commercial au public. L'article 9 des conditions générales du bail stipulait que, si le preneur ne se présentait pas à la date prévue ou s'il manifestait sa volonté de ne pas exécuter le bail, il devrait verser au bailleur une indemnité forfaitaire correspondant à trois années de loyer de base, toutes taxes comprises.
La société M. a été mise en redressement judiciaire le 30 avril 2013 et les sociétés Thévenot-Perdereau-Manière-Le Baze et BTSG ont été désignées respectivement administrateur judiciaire avec une mission d'assistance et mandataire judiciaire.
La SCI ayant informé la société M. le 4 juillet 2013 que la livraison du local aurait lieu le 7 août 2013, l'administrateur, en application de l'article L. 622-14 du Code de commerce N° Lexbase : L8845INW, l'a informée le 22 juillet suivant qu'il mettait fin au bail à compter du 31 juillet 2013.
Le 31 juillet 2013, la SCI a déclaré au passif de la procédure collective une créance de 233 220 euros correspondant à la mise en œuvre des stipulations de l'article 9 des conditions générales du contrat de bail. Cette créance a été contestée par le mandataire judiciaire.
Par une ordonnance du 23 septembre 2016, le juge-commissaire a constaté que la contestation, qui portait sur l'interprétation des clauses du bail, était sérieuse et ne relevait pas de sa compétence. En conséquence, elle a invité les parties à saisir dans le délai d'un mois, sous peine de forclusion, le juge compétent. La SCI a, par suite, assigné la société M. devant un tribunal de grande instance en fixation de sa créance.

Dans le cadre de cette instance, la SCI a entendu modifier le fondement juridique de sa déclaration de créance, se prévalant non plus de l’article 9 du contrat, mais de l’engagement de la responsabilité contractuelle du locataire.

La cour d’appel [3] n’a pas accepté cette prétention de voir modifié le fondement juridique de la déclaration de créance, en considérant que cela revenait à déclarer une nouvelle créance, ce qui ne pouvait être effectué qu’à l’intérieur du délai de déclaration de créance.

Le bailleur s’est alors pourvu en cassation en soutenant notamment, ce qui seul nous intéressera ici, que si la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, le créancier n'est pas tenu de mentionner le fondement juridique de la créance dès le stade de la déclaration qu'il en fait au passif de son débiteur, et que, s'il en mentionne un, il peut ensuite le modifier sans être tenu d'effectuer une nouvelle déclaration.

La Cour de cassation rejette clairement l’analyse du créancier et, par le fait-même, le pourvoi en jugeant que, puisque la SCI ne pouvait substituer une demande fondée sur la responsabilité contractuelle à celle reposant sur la mise en œuvre de l'article 9 des conditions générales du bail, objet exclusif de sa saisine, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Le point de départ de la solution retenue par la Cour de cassation, tient à l’analyse qu’elle fait de la nature juridique de la déclaration de créance.

Voici le syllogisme de la cour d’appel, que fait sien la Cour de cassation. Majeure du syllogisme : celui qui agit en justice doit préciser le fondement juridique de sa demande. Or mineure du syllogisme  : selon une solution traditionnelle, la déclaration de créance équivaut à une demande en justice. Conclusion : le créancier doit mentionner dans sa déclaration de créance le fondement juridique de celle-ci.

Certes, et comme le soutenait le créancier, en l’espèce, l’article L. 622-25 du Code de commerce N° Lexbase : L9126L77 qui détaille le contenu d’une déclaration de créance ne mentionne pas le fondement juridique de la déclaration de créance. Mais on fera tout aussi bien observer qu’il n’indique pas davantage que le déclarant doit décliner son identité. Il ne viendrait cependant à personne l’idée de soutenir que le créancier peut déclarer une créance sans indiquer son identité.

Pourquoi ? Tout simplement par ce que l’identité de celui qui agit en justice doit être précisée. C’est, à notre sens la même chose pour le fondement juridique de la déclaration de créance. Parce que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, il faut savoir sur quel fondement la déclaration de créance est effectuée. C’est en réalité une mention de l’essence même de la demande en justice et, puisque la déclaration créance équivaut à une demande en justice, cette précision est de l’essence même de la déclaration de créance.

Observons toutefois que, en l’espèce, la Cour de cassation ne s’est pas explicitement prononcée sur la question de savoir si le fondement juridique de la déclaration créance devait ou non être précisé dans celle-ci. Cela ne nous semble cependant pas douteux.

En l’espèce, le problème se situait ailleurs. Au cours de la procédure de contestation de créance, après qu’eut été soulevée une contestation sérieuse obligeant à saisir un juge compétent pour la trancher, le créancier, changeant son fusil d’épaule, a décidé de modifier le fondement juridique de sa déclaration de créance et il lui a été répondu que cela équivalait à une nouvelle déclaration de créance.

On connait bien ces jurisprudences sur la modification du montant ou de la nature de la déclaration de créance. Les déclarations de créances modificatives sont toujours analysées comme des demandes incidentes. Or, en procédure civile, la demande incidente doit être présentée dans le délai de l’action. C’est pourquoi la Cour de cassation juge que la déclaration modificative ou complémentaire de créance doit être effectuée dans le délai de déclaration de créance [4].

C’est cette même solution qui est ici retenue. Il n’est pas totalement interdit au créancier de modifier le fondement juridique de sa déclaration créance. Mais, s’il le fait, il doit encore être dans le délai de déclaration de créance. À défaut, il est forclos et seule la déclaration de créance initiale, comportant le fondement juridique initial, peut être prise en compte.

En l’espèce, la cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation, a rejeté le nouveau fondement juridique de la déclaration de créance, car il équivalait à une nouvelle déclaration de créance, autrement dit à une nouvelle demande en justice.

On ajoutera que si le créancier ne peut modifier le fondement juridique de sa déclaration de créance à l’extérieur du délai de déclaration de créance, cela conduit symétriquement à décider que le juge-commissaire, et plus généralement le juge de la vérification du passif, ne peut admettre une créance sur un fondement autre que celui sur lequel elle a été déclarée.

La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts en ce sens. Elle a ainsi estimé que le créancier ne pouvait faire admettre une créance, qui avait initialement été déclarée sur le fondement d’un engagement d’associé, sur un autre fondement tel celui d’un engagement de caution [5].

La plupart de ces arrêts ont statué sur une problématique de contrat de location. Il a ainsi été jugé que si le bailleur déclare au passif des loyers, il ne peut être admis au passif pour une créance d’indemnité d’occupation [6], cette indemnité étant distincte des loyers.

Réciproquement, il a été jugé que le juge-commissaire ne peut admettre au passif une créance de loyers, alors que le bail n’est plus en cours et que seule était due une indemnité d’occupation, laquelle n’avait pas été déclarée au passif [7].

On ajoutera que le bailleur qui déclare des loyers à échoir ne peut être admis au passif pour une indemnité de résiliation, si les loyers ne deviennent jamais échus parce que le contrat a été résilié. Il lui appartient de déclarer, dans le mois de la résiliation, une indemnité de résiliation, laquelle n’est pas équivalente, sur un plan juridique, à des loyers.

Cette solution, qui apparaît évidente, est pourtant souvent méconnue par les sociétés de crédit-bail ou de locations financières, qui ont tendance à déclarer la « totale », pensant bien faire, alors que leur déclaration est contreproductive [8]. En pratique, une société de crédit-bail déclare le plus souvent les loyers à échoir, mais aussi des loyers échus et parfois même la valeur résiduelle, c’est-à-dire le prix à payer pour lever l’option d’achat. Pourtant, en stricte orthodoxie juridique, le crédit-bailleur ne doit déclarer que les loyers impayés correspondant à une jouissance procurée avant le jugement d’ouverture. Les loyers correspondant à des périodes de jouissance postérieures au jugement d’ouverture et qui seront dus après l’ouverture de la procédure collective ne doivent pas être déclarés : ils ne sont pas nés au jour de l’ouverture de la procédure. Du jugement d’ouverture à l’option sur la continuation du contrat, ces loyers sont des créances postérieures méritantes non soumises à déclaration au passif. Il en est de même si le contrat est continué. Si le contrat est résilié, c’est alors l’indemnité de résiliation qu’il conviendra de déclarer, dans le délai spécialement aménagé à cette fin par le législateur, c’est-à-dire un délai d’un mois qui court à compter de la résiliation.

On mesure donc que la solution retenue par la Cour de cassation n’a rien de nouveau. Elle s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle aujourd’hui bien établie, même si elle est assez méconnue des praticiens. La personne qui déclare une créance au passif doit donc bien prendre garde au fondement juridique sur lequel elle déclare sa créance car elle sait maintenant que, passé le délai de déclaration de sa créance, il sera trop tard pour modifier le fondement juridique de celle-ci.


[1] Cass. com., 14 décembre 1993, n° 93-11.690, publié au bulletin N° Lexbase : A4985CH4

[2] V. ainsi, Cass. com., 13 février 2007, n° 06-11.993, F-D N° Lexbase : A2246DUQ.

[3]  CA Paris, 5-3, 23 juin 2021, n° 19/03051 N° Lexbase : A97224WY.

[4] Cass. com. 4 juill. 2000, n° 97-21.324, inédit  N° Lexbase : A5480CMW ; Cass. com., 7 avril 2004, n° 01-17.601, F-D N° Lexbase : A7457DDK ; Cass. com. 28 septembre 2004, n° 03-11.820, F-D N° Lexbase : A5723DDC.

[5] Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-25.251, F-D N° Lexbase : A4461M94.

[6] Cass. com., 20 mars 2019, n° 17-50.050, F-D N° Lexbase : A8782Y4Z.

[7] Cass. com., 12 juillet 2016, n° 14-28.003, F-D N° Lexbase : A1942RX9, Gaz. Pal., 18 octobre 2016, n° 36, p. 61, note P.-M. Le Corre ; Bull Joly Entrep en diff., novembre/décembre 2016, p. 418, note Fl. Reille ; RTD com., 2017, 425, n° 1, note A. Martin-Serf.

[8] Sur la question, E. Le Corre-Broly, La déclaration de créance du bailleur financier et du crédit-bailleur – L’abus de déclaration peut être dangereux pour la santé financière, Gaz. proc. coll., 2005/1, p. 14.

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Fiscal général

[Actes de colloques] Le droit fiscal, laboratoire du droit administratif ? Recherche sur quelques caractéristiques et évolutions fiscales récentes dans leurs rapports avec le droit administratif

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par Freddy Leprodhomme, doctorant en droit public, Aix-Marseille Université et Avocat au barreau de Marseille

Le 22 Mars 2023

Cette contribution fait partie des interventions du colloque « La transversalité du droit fiscal » qui n’a pas pu se tenir à cause des évènements liés au Covid-19.

L’auteur tient à remercier chaleureusement Madame Armel Le Ruyet pour l’organisation de ce qui s’annonçait comme un superbe colloque et pour son invitation à y participer. Qu’elle soit également remerciée d’avoir fait en sorte que, le colloque n’ayant hélas pu se tenir, les « actes » en puissent néanmoins être publiés.


 

Depuis le 29 décembre 2019, les collectivités territoriales peuvent saisir le représentant de l’État chargé du contrôle de légalité pour solliciter une « prise de position formelle » sur une question de droit, dont la réponse est rendue dans un délai de trois mois [1]. Cette disposition a été codifiée à l’article L. 1116-1 N° Lexbase : L4818LUY ainsi qu’aux articles R. 1116-1 N° Lexbase : L2234LXZ et suivants [2] du Code général des collectivités territoriales.

Il est difficile de ne pas voir dans ce mécanisme l’introduction dans le droit administratif du rescrit fiscal prévu notamment au 1° de l’article L. 80 B du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1449MDZ, que certains auteurs ont pu analyser comme une forme de contractualisation du droit fiscal [3]. La recherche de sécurisation juridique de projets justifie la possibilité de demander l’interprétation d’un texte fiscal ou celle d’une situation de fait au regard du droit positif. En 2019, la spécificité du droit fiscal sert alors d’inspiration pour le droit administratif qui inaugure ce qu’on pourrait appeler un « rescrit préfectoral ».

Le droit fiscal, qui s’intéresse à la relation particulière, emprunte d’une contrainte, qu’unit l’administration fiscale et le redevable de l’impôt, présente un caractère de nature hybride. Branche à la fois du droit public et du droit privé, le droit fiscal voit toutefois son contentieux être majoritairement dévolu à la juridiction administrative [4].

À cet égard, la place du droit fiscal est elle-même singulière au sein du droit public : le droit fiscal administratif comprend un corpus de règles spécifiques à l’intérieur même du droit administratif. L’organisation du contentieux fiscal illustre cette singularité. En effet, la réclamation préalable forme un instrument redoutable susceptible de permettre la satisfaction de son auteur et de réguler l’accès au prétoire. Le recours administratif préalable obligatoire s’est alors multiplié dans de nombreux domaines à partir de l’observation de ses avantages dans le contentieux de l’impôt. De ce point de vue, le contentieux fiscal enrichit le contentieux administratif [5].

Les exemples abondent en effet pour suggérer que le contentieux fiscal anticipe bien souvent, voire sert de laboratoire, au contentieux administratif [6]. Si le contentieux de l’urbanisme s’est distingué comme une source d’inspirations multiples dans les dernières années [7], il reste indéniable, au regard des exemples précédemment évoqués, que le contentieux fiscal a inspiré des solutions du contentieux administratif [8]. Le droit fiscal n’est-il pas une composante des instruments de l’action administrative à côté, notamment, de celle de la fonction publique et du recours aux contrats ou actes unilatéraux ? Qu’en est-il d’une influence du droit fiscal, et non seulement du contentieux fiscal, sur le droit administratif  ? Dans quelle mesure le droit administratif se nourrit-il de manière générale du droit fiscal ? Le droit fiscal est-il à l’avant-garde du droit administratif ?

Notre étude évaluera la portée de cette hypothèse, qui fait du droit fiscal un laboratoire accidentel du droit administratif, et la nuancera en prenant en considération les phénomènes les plus récents d’évolution du droit fiscal (II). Elle s’attachera aussi à révéler l’influence, inversement, que peut avoir le droit administratif sur le droit fiscal (I).

I. Le droit fiscal s’inspire du droit administratif : « l’allégeance du droit fiscal au droit public »  [9]

Le droit fiscal, branche autonome, a trouvé sa voie propre dans le droit administratif. Il s’est ainsi inséré dans le contentieux par un recours de plein contentieux [10] au lieu du plus « traditionnel » recours en excès de pouvoir. Des solutions substantielles sont partagées (A). Le droit fiscal s’est également approprié des solutions administratives relatives au principe de sécurité juridique (B).

A. Des solutions substantielles fiscales et administratives communes

Nous entendrons insister à cet égard sur l’extension, par une décision relativement récente de la juridiction administrative, des solutions inspirées du droit fiscal à la tarification des services publics [11], au titre d’exemple de solutions substantielles communes au droit fiscal et au droit administratif. Dans un litige concernant des délibérations rétroactives fixant le tarif de redevances, le Conseil d’État a tranché la confrontation de deux principes de même valeur dans la hiérarchie des normes : en premier lieu, l’absence de rétroactivité des actes administratifs (la rétroactivité des règlements ne pouvant intervenir que pour l’avenir) [12], en second lieu le principe du paiement d’une redevance par tout usager ayant bénéficié d’un service, sur le fondement des articles L. 2224-1 N° Lexbase : L8808AAH et L. 2224-2 N° Lexbase : L1727MHG du Code général des collectivités territoriales.

Pour cela, l’application du tarif fixé par la décision antérieure de la collectivité territoriale est retenue. Il est ainsi décidé que « si une délibération de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales modifie les tarifs de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères en prévoyant une date d’entrée en vigueur rétroactive, cette délibération est entachée d’illégalité, mais seulement dans la mesure où la délibération a pour objet d’augmenter le montant de la redevance pour une période antérieure à la date de son entrée en vigueur ». Les conclusions du rapporteur public explicitent cette position : « nous vous proposons de juger qu’une décision tarifaire ne peut légalement prévoir son application à une date antérieure à son entrée en vigueur, et que ce vice ne peut être régularisé par l’intervention ultérieure d’une nouvelle décision tarifaire qui réitèrerait cette rétroactivité. Cependant, eu égard à la nature et à l’objet des redevances pour service rendu, qui constituent la rémunération des prestations fournies aux usagers, la décision d’une collectivité publique fixant le tarif de la REOM doit nécessairement être regardée comme applicable jusqu’à l’intervention d’une nouvelle décision tarifaire s’y substituant. En conséquence, lorsque la collectivité arrête en cours d’année une décision tarifaire en lui donnant une portée rétroactive, cette décision est illégale dans cette mesure, et seul le tarif antérieur est applicable à la période concernée ».

Ce faisant, et la consultation des conclusions du rapporteur public suffit à le confirmer en tant que de besoin, les juges du Palais Royal transposent une solution retenue en matière fiscale, dans laquelle l’application de l’article 1639 A du Code général des impôts N° Lexbase : L1393MDX conduit toujours à appliquer le taux de l’année précédente en cas d’illégalité [13]. Dans cette espèce, c’est de la déclaration d’illégalité issue du moyen tiré de l’exception d’illégalité que la juridiction tire de cet article la possibilité d’appliquer le taux de l’année précédente.

Un autre exemple pouvant être mis en exergue tient dans les discriminations à rebours, mis en avant par Clément Malverti et Cyrille Beaufils. Cette notion est en effet née dans le droit administratif général [14], avant d’apparaître dans le droit fiscal [15]. Il s’agit d’une discrimination positive qui voit des effets inverses se déployer puisqu’est finalement générée une inégalité. En particulier dans le domaine du droit de l’Union européenne, le juge s’attache à vérifier « une incompatibilité manifeste entre l’objectif du droit interne et celui de la directive » [16]. Et tout comme la discrimination à rebours est appréciée de manière restrictive par le juge administratif [17], le juge constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence afin de ne sanctionner que la dénaturation de l’objectif poursuivi par le législateur [18].

B. Des solutions fiscales directement issues du droit administratif

Il est acquis que le droit fiscal organise l’équilibre des prérogatives de l’administration fiscale face aux droits du redevable de l’impôt. Les décisions les plus récentes affinent cette poursuite de recherche d’équilibre, toujours parfois plus insaisissable pour le redevable [19].

Plus récemment, la promotion de la sécurité juridique en faveur de l’administration a aussi concerné l’administration fiscale. La très remarquée décision « Czabaj » du 13 juillet 2016 [20] a ainsi prospéré dans la matière fiscale [21], puisque la solution s’y impose depuis le 31 mars 2017 [22]. Étendant la jurisprudence de droit commun, le Conseil d’État a posé la règle selon laquelle la réclamation préalable doit être présentée à l’administration fiscale dans un délai raisonnable.

Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, peut jouer au bénéfice de l’administration fiscale, en particulier en faisant obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle notifiée à son destinataire ou connue de celui-ci. Autrement dit, le contribuable doit adresser sa réclamation dans un délai raisonnable : au lieu de courir indéfiniment, le délai de réclamation correspond au délai prévu par le livre des procédures augmenté d’un an lorsque le contribuable a eu connaissance des impositions.

Cela étant dit, le principe de sécurité juridique énoncé dans l’arrêt « Czabaj » précité ne comprend pas, en matière fiscale, les décisions implicites de rejet. Ce faisant, le délai de recours contentieux ne peut courir à l’encontre du contribuable tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation ne lui a pas été régulièrement notifiée [23]. En cas de décision implicite de rejet, le délai de recours ne court donc pas, de sorte que le contribuable peut régulièrement saisir le tribunal au-delà du délai normal de deux mois à compter de la naissance de la décision tacite de rejet.

Enfin, la jurisprudence ne retenant pas de délai de recours contentieux à l’égard des requêtes dirigées contre les instructions fiscales et l’introduction de règles de forclusion a été abandonnée en s’appuyant directement sur l’article L. 312-2 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L7218MAL [24].

Il sera également signalé que le droit fiscal connaît une subjectivation, dans le prolongement du mouvement initié dans le droit administratif, à commencer par le régime des contrats administratifs ou encore celui du droit des actes souples [25]. Dans un mouvement parallèle, les redevables de l’impôt se sont en effet vu reconnus la possibilité de contester les rescrits fiscaux, dans un contexte d’essor du droit souple [26], en prenant en compte la théorie du recours parallèle qui empêche historiquement le recours pour excès de pouvoir en présence d’une imposition qui ne peut déférée au juge de l’impôt que par le recours de plein contentieux. Plus précisément, le recours pour excès de pouvoir est désormais ouvert au contribuable par la voie du rescrit « lorsque la prise de position de l’administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, entraînerait des effets notables autres que fiscaux et qu’ainsi, la voie du recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt ne lui permettrait pas d’obtenir un résultat équivalent. Il en va ainsi, notamment, lorsque le fait de se conformer à la prise de position de l’administration aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l’amener à modifier substantiellement un tel projet »  [27]. Le raisonnement s’opère du point de vue du destinataire de l’acte afin d’apprécier sa nature en tant que décision lorsque l’administration fiscale rejette la demande présentée par exemple sur le fondement de l’article L. 80 B du Livre des procédures fiscales.

Le rescrit se rapproche du certificat d’urbanisme prévu à l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9997LM9 [28]. Introduit par une loi du 16 juillet 1971, il a été revu par la loi du 13 décembre 2000 puis complété par le « certificat de projet » issu de la l’ordonnance n° 2014-356, du 20 mars 2014 N° Lexbase : L8117IZN.

Toutefois, dans le rescrit, la prise de position ne prospère que jusqu’à l’intervention d’un changement de fait ou de droit, tandis que la seule limite du certificat d’urbanisme en rapport avec la cristallisation des droits provient de la « préservation de la sécurité ou de la salubrité publique ». Le rescrit incarne la prise en compte respective du domaine de l’impôt et du droit administratif. S’il est né dans ce domaine, « c’est donc du droit fiscal que la lumière du rescrit est venue, avant de se propager au droit des marchés financiers, puis au droit social, avant d’atteindre enfin le droit administratif » [29].

II. Le droit administratif se nourrit partiellement du droit fiscal

En retour, le droit administratif ne se contente pas de partager des solutions communes mais insère des mécanismes fiscaux dans le droit positif. Nous pouvons dans ce cadre déceler quelques tendances significatives (A). Un exercice de prospective est enfin proposé à partir des dernières innovations du droit fiscal (B).

A. L’intégration de mécanismes fiscaux dans le droit administratif

Le droit fiscal suggère également au droit administratif général une voie qu’il tend lui-même à suivre pour appréhender le précontentieux. L’adoption relativement récente du code des relations entre le public et l’administration témoigne de la prise en compte directe d’une œuvre législative préexistante : le livre des procédures fiscales. Le code des relations entre le public et l’administration constitue à cet égard « l’enfant du livre des procédures fiscales ». L’article L. 80 A du LPF N° Lexbase : L6958LLB peut par exemple être rapproché de l’article L. 312-3 alinéa 2 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L7217MAK [30].

Au titre des autres mouvements de stimulation respective du droit administratif et du droit fiscal, citons la jurisprudence relative aux vices de procédure. Pierre Levallois dresse un parallèle entre l’essor d’une « démocratie participative » et « le seul levier dont dispose l’administration fiscale afin de promouvoir la confiance est […] celui des garanties accordées au contribuable » [31]. L’arrêt « Danthony » [32] se trouve préfiguré par des mécanismes fiscaux révélés à l’occasion d’un avis [33] puis de l’arrêt « Meyer » [34]. Aux termes de cette décision devenue célèbre, une irrégularité de procédure n’emporte pas l’illégalité de la décision administrative en l’absence de privation d’une garantie.

Cette comparaison mérite cependant d’être nuancée. En effet, « la décision « Meyer » propose au droit fiscal une conception du vice de procédure ‘’radicalement différente’’ » [35], dont la finalité est un enjeu propre de la fiscalité : le droit de reprise de l’administration.

De manière très récente, en matière douanière, le Tribunal de l’Union européenne a reconnu un devoir de communication des documents qui ont été utilisés [36]. Cette décision pourrait être utilisée en matière fiscale dans l’objectif de faire évoluer la jurisprudence afin que l’obligation de communication intervienne de manière spontanée, et non plus qu’en cas de demande du redevable [37].

Le droit administratif ne s’est pas contenté de ces seuls éléments. Outre la régulation de l’entier contentieux fiscal qui a inspiré le développement de nombreux recours administratifs préalables obligatoires, nous pouvons encore ajouter que la question prioritaire de constitutionnalité posée à propos de dispositions touchant au droit fiscal, qui concerne près d’un quart des décisions rendues selon cette procédure par le Conseil constitutionnel, se diffuse aussi dans le droit administratif, comme si le contrôle incident de conformité de la norme fiscale avait été exploré avant celui de la norme administrative.

Nous pouvoir voir dans la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, notamment dans l’article 23-1 de la loi organique n° 2009-1523, du 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS, la réapparition de l’article L. 199 C, toujours en vigueur, du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L0439LTG. Aux termes de ses dispositions, un moyen nouveau peut être admis à tout moment, « tant devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d’appel », spécificité du contentieux administratif fiscal (cet article étant, par ailleurs, également applicable devant les juridictions de l’ordre judiciaire).

B. Vers de nouvelles innovations du droit administratif à partir du droit fiscal ?

Il est possible d’établir un lien entre d’une part la relation de confiance recherchée entre l’administration et le redevable de l’impôt et le droit à l’erreur récemment promu de manière générale dans le droit administratif d’autre part. Historiquement en effet, « la représentation du contribuable a longtemps été marquée […] par une approche verticale et unifiante le voyant essentiellement comme un sujet de la loi fiscale dont il convenait de s’assurer avant tout qu’il en avait bien respecté les dispositions »  [38]. Désormais pensé de plus en plus à partir de sa dimension pénale, le droit fiscal favorise une distinction claire entre d’un côté la valorisation d’un contribuable vertueux (rescrit, recours hiérarchique [39], réduction des intérêts de retard en cas de rectification spontanée [40], etc.) et de l’autre côté le durcissement des sanctions et le renforcement des moyens d’enquête (notamment obligation de dépôt de plainte [41], extension des délais de reprise à dix ans pour les activités occultes, multiplication des droits de visite, interdiction des transactions dans les cas de manœuvres dilatoires [42]).

La difficile recherche de l’équilibre – certains auteurs comme Pierre Levallois [43] évoquent un déséquilibre naissant – entre le redevable de l’impôt et l’administration fiscale pourrait de nouveau inspirer le droit administratif. À l’instar de l’article précité L. 80 B du Livre des procédures fiscales issu de la loi n° 87-502 « Aicardi », du 8 juillet 1987, modifiant les procédures fiscales et douanières et des rescrits spéciaux, comme en matière d’abus de droit [44], une pratique déjà courante [45]  des collectivités territoriales a été codifiée dans le code général des collectivités territoriales. Ces dernières peuvent saisir le représentant de l’État chargé du contrôle de légalité pour solliciter une prise de position formelle sur une question de droit, rendue dans un délai de trois mois. Un chapitre VI est introduit au Code général des collectivités territoriales. L’expression « prise de position formelle » fait précisément écho à la même notion connue des fiscalistes.

Les logiques du droit fiscal ne sont toutefois pas tout à fait transposables à celles du droit administratif. En découlent les questionnements de la Professeur Laetitia Janicot au sujet du rescrit préfectoral, qui évoque une « nouvelle forme de contrôle de légalité a priori peu favorable à l’autonomie de décision des collectivités territoriales »  [46]. Selon elle, « loin de fluidifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales, elle a pour effet de les compliquer et accroît l’insécurité juridique des actes locaux ». Le contrôle du préfet se trouve avancé dans le temps, sa « non-saisine du juge […] peut également être considérée comme illégale »  [47]. Un nouveau contentieux de la responsabilité, avec un préjudice « résultant de l’annulation de la décision, pourtant conforme à la réponse du préfet » incluant une action récursoire ou un appel en garantie [48].

Dans ces conditions, la sollicitation de conseils informels est préférable, puisqu’« en l’absence d’une telle demande, le risque pour la collectivité de voir l’acte déféré est beaucoup plus limité »  [49]. Les interrogations portant sur ce nouveau dispositif ne sont pas sans rappeler les difficultés soulevées par le rescrit. D’après le Professeur Michel Bouvier, « dans le cas où la réponse donnée ne serait pas en accord avec le droit de l’UE la situation fiscale du contribuable pourrait bien devenir indécidable. Soit le principe de primauté du droit de l’UE est strictement appliqué ce qui interdit l’application d’un rescrit qui lui serait contraire ; soit c’est le principe de sécurité juridique, ou encore de confiance légitime, qui prévaut, dans ce cas le même rescrit devient applicable. Or, ces principes, on le sait, font eux-mêmes partie de ceux reconnus par la Cour de justice de l’Union européenne. On peut bien entendu avancer l’idée qu’une réponse individuelle et de surcroît non publiée ne pose pas problème au regard du principe de primauté mais cela pourrait conduire à limiter la publication des rescrits de portée générale »  [50].

Cet argument abonde dans l’idée qu’il n’est pas possible de conclure à la généralisation du mécanisme du rescrit en droit administratif. Certes, l’article L. 2122-7 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L1318IEK s’inscrit par exemple dans une recherche de sécurisation des administrés, mais relève davantage de la pré-décision que du rescrit en tant que tel [51]. La Professeur Anne-Laure Girard parle d’une « illusion d’un droit commun des rescrits administratifs », puisque, d’un texte originel ambitieux, le législateur a abouti à une « multiplicité de procédures spéciales »  [52]. En ce sens, le droit fiscal tend à former l’un des nombreux laboratoires du droit administratif.

La reconnaissance de l’espérance légitime en droit fiscal peut-il s’accompagner de son introduction dans le droit administratif général hors simple application dans le cas d’une situation régie par le droit de l’Union européenne ?  [53] En sanctionnant la remise en cause rétroactive du bénéfice mondial consolidé, le Conseil d’État a appliqué [54], en matière fiscale, la perte d’une espérance légitime fondée sur l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme [55], piste supplémentaire inspirée du droit fiscal pour le juge administratif [56]

 

[1] Loi n° 2019-1461, du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, art. 74 N° Lexbase : L4571LUT.

[2] Décret n° 2020-634, du 25 mai 2020, portant application de l’article L. 1116-1 du Code général des collectivités territoriales relatif à la demande de prise de position formelle adressée au représentant de l’État N° Lexbase : L2064LXQ.

[3] Le thème de la contractualisation du droit administratif a également pu constituer un sujet discuté par la doctrine.

[4] Le contentieux fiscal relève de la compétence respective de deux juges concurrents, la répartition des compétences étant opérée par l’article L. 199 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L0438LTE. Selon la direction générale des finances publiques en 2016, les affaires d’action fiscale s’élèvent à 23 000 dossiers, dont près de 19 000 affaires devant les tribunaux administratifs, 4 000 devant les cours administratives d’appel, 350 devant le Conseil d’État, tandis que les juridictions judiciaires connaissent, hors procédures pénales, environ 1 000 affaires.

[5] À noter que la réclamation contentieuse fiscale se singularise du recours administratif préalable obligatoire du droit obligatoire en ce que la réponse délivrée sur celle-ci ne remplace pas la décision d’imposition, à l’inverse de la décision adressée après examen du recours administratif préalable obligatoire.

[6] Emmanuel Joannard-Lardant, « Le contentieux fiscal », AJDA 2020, p. 213 : « l’hypothèse du contentieux fiscal comme laboratoire du procès administratif se vérifie dans certains cas. Toutefois, d’importantes limites viennent tempérer cette affirmation car si le particularisme du contentieux fiscal apparaît comme une condition à l’émergence de solutions innovantes, il constitue également le principal obstacle à leur transposition au reste du procès administratif ».

[7] Voir Anne Courrèges, « Le laboratoire du contentieux administratif », DA 2023, n°2, comm. 2. Il est possible de signaler les règles d’encadrement de l’accès au juge et de cristallisation des moyens (C. urb., art. R. 600-5 N° Lexbase : L9491LP9), qu’on peut deviner dans les dispositions de l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative. Le contentieux des autorisations d’urbanisme a aussi été à la pointe des mécanismes de régularisation (C. urb., arts L. 600-5 N° Lexbase : L0035LNM et L. 600-5-1N° Lexbase : L0034LNL).

[8] Ibid.

[9] Louis Trotabas, « Les rapports du droit fiscal et du droit privé », D. 1926, p. 29.

[10] CE Section, 29 juin 1962, « Société des aciéries de Pompey », Rec.

[11] CE 3° et 8° ch.-r., 11 juillet 2019, n° 422577, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6840ZI8, concl. Cytermann ; chron. Bahougne, Camus et Mazzocchi, Droit adm. 2019, n° 12, chron. 4.

[12] CE Assemblée 25 juin 1948, Société du journal « L’Aurore », Rec. p. 289.

[13] CE 9° et 8° ssr., 26 juin 1996, n° 148711 N° Lexbase : A9647ANM, concl. Loloum, Lebon p. 249 ; D. 1996, p. 202 ; Droit fiscal 1996, n° 42, comm. 1 253 ; RJF 9/1996, n° 1 014.

[14] Clément Malverti et Cyrille Beaufils, « Une idée fisc : l’autonomie du contentieux fiscal », AJDA 2021, p. 2 266. Les discriminations à rebours apparaissent. CE 9° et 10° ssr., 6 octobre 2008, n° 310146, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7108EAI, Lebon, concl. Verot, AJDA 2008, p. 1 919 ; note Illiopoulou et Jauréguiberry, RFDA 2009, p. 132 ;

CE Assemblée, 27 juillet 1979, n° 09664 N° Lexbase : A8582B8D.

[15] Cons. const., décision n° 2017-660 QPC, du 6 octobre 2017 N° Lexbase : A8693WT7.

[16] Fabrice Pezet, « L’étrange mort de la lutte contre les discriminations à rebours en France – Vers une jurisprudence post-Metro Holding », REIDF, 2020/4, p.535.

[17] CE 3° et 8° ch.-r., 31 mars 2021, n° 441918, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A00544NC.

[18] Cons. const., décision n° 2019-832/833 QPC , du 3 avril 2020 N° Lexbase : A56883KU.

[19] Emmanuel de Crouy-Chanel, « Procédures fiscales : chronique de l’année 2019 », Droit fiscal 2020, n° 12, étude 207, n°10.

[20] CE Contentieux, 13 juillet 2016, n° 387763, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2114RXL, Lebon p. 340, concl. Henrard ; note Éveillard, Droit adm. 2016, comm. 63 ; note Deygas, Procédures 2016, comm. 312 ; chron. Le Bot, JCP A 2017, p. 2 053 ; note Souvignet, JCP G 2016, p. 1 396 ; RJF 12/2016, n° 1 127 ; note Austry, FR 45/2016, p. 8 ; note Dutheillet de Lamothe et Odinet, AJDA 2016, p. 1 629.

[21] Rappelons qu’en matière d’impôts autres que locaux, le redevable de l’impôt peut introduire une réclamation jusqu’au 31 décembre de l’année suivant la mise en recouvrement (cf. LPF, art. R. 196-2 N° Lexbase : L1308MHW), tandis que le délai expire au 31 décembre de la deuxième année suivant l’avis de mise en recouvrement en matière d’impôts locaux (LPF, art. R. 196-1 N° Lexbase : L4380IXI).

[22] CE Contentieux, 31 mars 2017, n° 389842, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0457UT4, concl. Bohnert et note Pierre, Droit fiscal 2017, n° 24, comm. 351. Le considérant de principe reprend celui de la décision Czabaj : « Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l’être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable. Le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R. 196-1 ou R. 196-2 du livre des procédures fiscales, prolongé, sauf circonstances particulières dont se prévaut le contribuable, d’un an. Dans cette hypothèse, le délai de réclamation court à compter de l’année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l’existence de l’imposition. / (…) Si la notification de la décision ne comporte pas les mentions prévues par l’article R. 421-5 du code de justice administrative ou si la preuve de la notification de cette décision n’est pas établie, le contribuable doit adresser sa réclamation dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle l’acte de poursuite lui a été notifié ou de celle à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. Sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, ce délai ne saurait excéder un an ».

[23]  CE 9° et 10° ch.-r., 8 février 2019, n° 406555, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6213YWZ concl. Meloz et Chesneau, Droit fiscal 2019, n° 36, comm. 358 : « en cas de silence gardé par l’administration fiscale sur la réclamation pendant six mois, le contribuable peut soumettre le litige au tribunal administratif, le délai de recours contentieux ne pouvant par ailleurs courir à son encontre tant qu’une décision expresse de rejet de sa réclamation, laquelle doit être motivée et, conformément aux prévisions de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative, comporter la mention des voies et délais de recours, ne lui a pas été régulièrement notifiée ».

[24] CE Contentieux, 13 mars 2020, n° 435634, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A77453IP, concl. Ciavaldini : « le délai réglementaire dont un contribuable dispose pour former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de tout commentaire par lequel l’autorité compétente prescrit l’interprétation de la loi fiscale, lorsque celui-ci a été inséré au BOFiP-Impôt et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l’adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018, commence à courir au jour de cette mise en ligne ».

[25] A-C. Bezzina, À propos du nouveau recours pour excès de pouvoir contre le rescrit : retour sur les paradoxes de la subjectivation du droit français, RFFP 2017, n° 138, p. 277.

[26] CE Contentieux, 21 mars 2016, n° 368082, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4320Q8I et CE Contentieux, 21 mars 2016, n° 390023, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4296Q8M ; chronique Dutheillet de Lamothe et Odinet, AJ 2016, p. 717 ; note von Coester et Daumas, DA 2016, comm. 10 ; obs. Montecler, D. 2016, p. 715 ; note Seiller, Gaz. Pal. 2016, n° 22, p. 31 ; note Perroud, JCP 2016, p. 623 ; note Aguila et Froger, JCP 2016, p. 671 ; note Chaltiel, LPA 2016, n° 185, p. 11 ; note Melleray, RFDA, 2016, p. 679 ; note Deumier, RTD civ. 2016, p. 571 ; obs. Rontchevsky, RTD com. 2016, p. 298 ; obs. Lombard, RTD com. 2016, p. 711 ; note Pauliat, RD pub. 2017, p. 482.

[27] CE Contentieux, 2 décembre 2016, n° 387613, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9075SNG, concl. Cortot Boucher, note Rigaudeau, Dr. adm. 2017, étude 11 ; note Collet, JCP 2017, étude 88 ; note Plessix, RFDA 2017, p. 351 ; note Girard, RFDA 2018, p. 838. Cf. également Laetitia Janicot, La demande de prise de position formelle – L’extension du rescrit au profit des collectivités territoriales, RFDA 2020, p. 254.

[28] Voir également CE 1° et 6° ssr., 6 juin 2012, n° 329123, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4010INT, Tables p. 892.

[29] Pierre Levallois, L’équilibre menacé de la procédure fiscale, RFDA 2020, p. 525.

[30] Emmanuel Joannard-Lardant, op. cit.

[31] Pierre Levallois, op. cit.

[32] CE Contentieux, 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9048H8M, concl. Dumortier : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivis à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».

[33] CE, avis, 23 avril 1997, n° 133869.

[34] CE Section, 12 avril 2012, n° 320912, concl. Hedary : « si l’administration fiscale est en droit d’utiliser, pour les besoins de l’établissement de l’assiette et du contrôle des impositions de toute nature, tous les renseignements qu’elle a pu recueillir auprès des contribuables, elle ne peut pas, pour obtenir ces renseignements, adresser aux contribuables des demandes de justifications, sur le fondement de dispositions telles que celles de l’article L. 16 du livre des procédures fiscales, en dehors du champ d’application de ces dispositions et en induisant les contribuables en erreur sur l’étendue de leurs obligations et sur les conséquences qu’elle pourrait tirer, sur le fondement des articles L. 69 et L. 73 du livre des procédures fiscales relatifs à la taxation et à l’évaluation d’office, de leur défaut de réponse ; / Toutefois, une telle irrégularité demeure sans conséquence sur le bien-fondé de l’imposition s’il est établi que, n’ayant privé le contribuable d’aucune garantie, elle n’a pas pu avoir d’influence sur la décision de redressement ».

[35] Levallois, op. cit.

[36] Trib. UE, 9 novembre 2022, aff. T-246/19, Royaume du Cambodge c/ Commission européenne N° Lexbase : A29238S3.

[37] F. Foucault, Les enjeux et défis d’une harmonisation européenne du contentieux douanier, Droit fiscal 2023, n° 8, étude 106.

[38] Emmanuel de Crouy-Chanel, « Chronique de procédures fiscales 2018 », Droit fiscal 2019, étude 196.

[39] LPF, art. L. 54 C N° Lexbase : L6922LLX.

[41] LPF, art. L. 228 N° Lexbase : L6506LUI.

[42] LPF, art. L. 247 N° Lexbase : L3853MAX.

[43] Levallois, op. cit.

[44] LPF, art. L. 64 B N° Lexbase : L9136LNP.

[45] O. Magnaval et G. Gien, Le ‘’rescrit’’ préfectoral : une nouvelle garantie pour les collectivités territoriales ?, Droit fiscal 2020, n° 23, act. 308. En ce sens également Conseil d’État, Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets, La Documentation française, coll. Les études du Conseil d’État, 2014, p. 111.

[46] Laetitia Janicot, op. cit.

[47] Ibidem.

[48] Ibid.

[49] Ibid.

[50] M. Bouvier, Sécurité fiscale et ‘’accords fiscaux préventifs’’, Droit fiscal 2015, n° 27, étude 441.

[51] Pierre-Olivier Rigaudeau, « La généralisation du rescrit en droit administratif ? Pas pour tout de suite », DA 2016, n° 4, alerte 35.

[52] Ibidem.

[53] L. Il, Le principe de confiance légitime serait-il entré en droit public interne ?, Les Petites affiches 2017, n° 3, p. 6.

[54] Le principe de l’espérance légitime en matière fiscale avait déjà été reconnu (cf. CE 3° et 8° ssr., 19 novembre 2008, n° 292948, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3127EBG, concl. Escaut ; CE 9° et 10° ssr., 21 octobre 2011, n° 314767, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8315HYM, concl. Legras ; CE Contentieux, 9 mai 2012, n° 308996, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1790ILU, concl. Boucher. Cf. également Bruno Delaunay, « Le contentieux des espérances légitimes en droit fiscal » in Thierry Lambert (dir.), Le contentieux fiscal en débat, LGDJ, coll. Grands colloques, 2014, p. 297.

[55] CE 3/8/9/10 ch.-r., 25 octobre 2017, n° 403320, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4472WXW, concl. Crépey.

[56] Sur ce point, le Conseil d’État a eu l’occasion de juger relativement récemment que la limitation de la durée des concessions minières ne porte pas d’atteinte au droit au respect des biens en raison des objectifs d’intérêt général poursuivis tenant d’une part à la limitation du réchauffement climatique et d’autre part au respect des traités internationaux auxquels la France est partie, en particulier l’Accord de Paris sur le climat du 15 décembre 2015 (cf. CE, 18 décembre 2019, Société IPC Petroleum, n° 421104, Tables, concl. Hoynck ; AJDA 2020, p. 6).

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Retour sur la notion de crédit d’impôt étranger : la simplification du régime des modalités d’imputation

Réf. : BOFiP, Actualité, 1er mars 2023

Lecture: 3 min

N4782BZ7

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par Maxime Loriot, Notaire Stagiaire - Doctorant en droit international privé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 22 Mars 2023

► Une doctrine administrative publiée au Bulletin officiel des Finances publiques-Impôts (BOFiP) en date du 1er mars 2023 renouvelle les modalités d’imputation des crédits d’impôt étrangers au regard de la contribution sociale sur les bénéfices.

Rappel de la notion de contribution sociale sur l’impôt

La contribution sociale sur l’impôt est un impôt dû par les personnes morales qui réunissent deux critères :

  • la soumission à l’IS de plein droit ou sur option,
  • un chiffre d’affaires total supérieur à 763 000 euros  (CGI., art. 235 ter ZC N° Lexbase : L1922KGB).

Cet impôt est recouvré comme en matière d’impôt sur les sociétés et répond aux mêmes garanties et sanctions (CGI., art. 1668 D N° Lexbase : L0681IHP). Elle est par principe calculée par l’entreprise et versée au comptable public chargé du recouvrement de l’impôt sur les sociétés. Elle est liquidée au taux de 3,3 % par les entreprises dont le chiffre d’affaires excède le seuil de 7,63 millions d’euros (CGI., art. 235 ter ZC).

Le paiement de la contribution sociale s’effectue par un relevé d’acompte (imprimé n° 2571-SD) ou un relevé de solde (imprimé n° 2572-SD) indiquant les bases servant au calcul de la contribution sociale par la société.

Par principe, les entreprises ne peuvent s’acquitter de la contribution sociale par imputation de crédits d’impôt de toute nature ou par emploi de la créance née du report en arrière des déficits (CGI., art. 235 ter ZC, IV).

Les cas de dispense des acomptes

Toutefois, les entreprises peuvent être dispensées de plein droit du versement des acomptes dans trois cas limitativement énumérés par le législateur :

  • le montant de la contribution sociale n’excède pas le seuil de 3 000 euros (CGI., art. 366 L annexe III N° Lexbase : L3738HME) ;
  • l’entreprise ne peut déterminer un impôt de référence et son montant d’IS réalisé au titre de l’exercice précédent ou de la dernière période d’imposition est inférieur à un abattement annuel de 763 000 euros.
  • l’entreprise estime que le montant des acomptes qu’elle a déjà versés au titre de l’exercice en cours est équivalent à la contribution dont elle sera redevable au titre de cet exercice (CGI., art. 1668 D, al 4).

L’administration est revenue sur sa position en estimant que lorsqu’une convention fiscale conclue par la France prévoit que des crédits d’impôt attachés à des revenus qui ont leur source dans l’État contractant sont imputables sur l’IS, les crédits d’impôt sont imputables sur le montant de la contribution sociale dans les conditions fixées par la convention.

Limputation des crédits dimpôt étrangers est effectuée en priorité sur lIS, puis sur la contribution (instruction 4 L-2-02 n°49, 26 juin 2002 ; BOFIP BOI-IS-AUT-10-30 §100).

Innovations

Depuis le 1er mars 2023, la doctrine administrative a assoupli sa position. Lorsqu’une convention fiscale conclue entre la France et un autre État cocontractant prévoit que des crédits d’impôt attachés à des revenus ayant leur source dans l’État ou le territoire cocontractant de la France, sont imputables sur l’IS et les impôts de même nature, ces crédits d’impôt s’imputent sur le montant de la contribution sociale, conformément à la convention fiscale.

Les entreprises peuvent désormais déterminer librement l’ordre d’imputation des crédits d’impôt sur l’impôt sur les sociétés et sur la contribution sociale.

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[Focus] Barème « Macron » : exit le contrôle in concreto, place à l’argumentation par chefs de préjudices

Lecture: 21 min

N4783BZ8

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par Farida Khodri, Maître de conférences en droit privé à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, CERCRID UMR CNRS 5137

Le 24 Mars 2023

Mots clefs : barème « Macron » • contrôle in concreto • stratégies de dépassement du barème • juridictions du fond • formation des conseillers prud’hommes

L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er février 2023, dans lequel celle-ci applique à nouveau le barème « Macron » est l’occasion de revenir sur les dernières décisions en la matière, notamment des cours d’appel et sur la réception qu’elles ont de celles du CEDS. Les juges du fond sont-ils rentrés dans le rang en s’alignant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, le cas échéant les phénomènes de résistance ont-ils complètement disparu ? L’analyse des arrêts des cours d’appel révèle, d’une part, un contrôle de conventionalité in concreto devenu très résiduel et, d’autre part, une grande sophistication des arguments des avocats en demande de dépassement du barème. Ces deux mouvements qui donnent à voir un nouveau visage du contentieux du licenciement sans cause réelle et sérieuse ne manquent pas d’interroger sur la technicité de l’office du juge prud’homal et sur sa formation.


La saga judiciaire autour du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, porté par l’article L. 1235-3 du Code du travail N° Lexbase : L1442LKM, toucherait-elle à sa fin ? Dans sa décision publiée le 26 septembre 2022 [1], le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe (CEDS) avait considéré que le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié constituait une « violation » de la Charte sociale européenne au motif que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, au sens de l’article 24.b de la Charte, ne serait pas garanti.

Cette décision condamnant le barème n’a pas pour autant ébranlé la Cour de cassation, qui imperturbable, persiste dans sa doctrine habituelle. Comme elle l’avait déjà énoncé dans ses avis du 17 juillet 2019 [2], elle a de nouveau pris position en faveur du barème dans deux arrêts de principe rendus le 11 mai 2022, assortis d’un communiqué de presse, en estimant que les dispositions de l’article 24 de la  Charte sociale européenne révisée, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers et que son invocation ne peut  dès lors conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 N° Lexbase : L7629LGN [3]. Elle a également considéré le barème comme compatible avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, en ce sens qu’il permettait « raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi »  [4] et que le juge français ne peut en écarter l’application, même au cas par cas (appréciation dite « in concreto ») au regard de cette convention internationale. Le fait que le CEDS a récemment de nouveau critiqué sa position [5] n’a rien changé puisque la Cour de cassation vient de rendre le 1er février 2023 une décision dans laquelle elle applique une nouvelle fois le barème en cassant l’arrêt d’appel qui avait accordé à une salariée, licenciée injustement pour motif économique, plus que celui-ci ne prévoyait. Elle rappelle que le montant accordé en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et en l’absence de possibilité de réintégration est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté exprimée en années complètes du salarié. Dans la mesure où ni la conventionalité du barème, ni sa conformité au droit européen n’ont été évoquées, la Cour de cassation s’est contentée d’appliquer simplement le barème [6] sans revenir sur ce sujet ni sur celui du contrôle selon la situation concrète du salarié.

Ainsi, tout en ne se prononçant pas sur le fond du barème - sa justesse -, elle dit le droit en établissant la conventionalité de celui-ci et l’inapplicabilité de la Charte sociale. Mais est-ce à dire que toute application in concreto du barème serait fatalement retoquée et que les juridictions du fond (CPH et cours d’appel) devraient par conséquent y renoncer ?

L’observation que nous avions faite dans un précédent état des lieux datant de 2022 [7], portant sur le contentieux autour de l’indemnisation du préjudice consécutif à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avait conduit au constat d’une reconnaissance (implicite ou explicite) par les juges du fond de la conventionalité du barème des indemnités de licenciement  et d’une propension à de plus en plus l’appliquer. Nous constations alors la coexistence de trois types de décisions  différentes : celles (peu nombreuses) qui appliquent strictement, voire mécaniquement  le barème sans discussion  aucune sur le caractère adéquat ou non de l’indemnité allouée, celles qui reconnaissent au juge le pouvoir d’écarter l’application du barème si ce dernier [8] ne permet pas une indemnisation appropriée, mais finissent le plus souvent par appliquer le barème au motif que les pièces produites par le salarié ne permettent pas de l’écarter [9] et celles pour qui la conventionalité du barème ne dispense pas le juge d'apprécier qu'il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché [10].

L’analyse des décisions rendues par les juridictions du fond dans l’intervalle des différents arrêts de la Cour de cassation validant le barème et depuis les derniers de mai 2022  en particulier révèle deux mouvements complémentaires désormais à l’œuvre dans ce contentieux : d’une part, une baisse très significative du nombre d’affaires dans lesquelles l’inconventionnalité du barème est invoquée avec corrélativement un contrôle in concreto devenu très résiduel (I.) et, d’autre part, le déploiement de stratégies de plus en plus sophistiquées des avocats des salariés pour desserrer quelque peu l’étau du barème (II.).

I. L’application majoritaire du barème

Alors que, pendant longtemps, les stratégies développées par les avocats des salariés consistaient à éviter l’application du barème « Macron » en arguant notamment de son inconventionnalité, les dossiers dans lesquels cet argument est encore avancé sont aujourd’hui de plus en plus rares (A.). En effet, si quelques juges du fond semblent encore faire de la résistance et prennent en compte la situation personnelle des salariés dans certains cas afin d’écarter l’application du barème, de manière générale, le contrôle « in concreto » apparait clairement en perte de vitesse (B.).

A. Une conventionalité globalement « acceptée »

L’étude du contentieux conduit au constat que la jurisprudence de la Cour de cassation semble plutôt suivie par les juges du fond notamment depuis les arrêts du 22 mai 2022. Ainsi, en dépit de la décision très critique du Comité européen des droits sociaux, les juges du fond considèrent majoritairement le barème comme conforme aux textes européens et internationaux. L’analyse des décisions récentes rendues par les cours d’appel délivre cependant plusieurs autres informations utiles. On y apprend, en premier lieu, que si l’argument relatif à « l’inconventionnalité » du barème est encore évoqué avec quelque succès devant les conseillers prud’hommes, il est de moins en moins invoqué devant les cours d’appel. On constate, en second lieu, que le plus souvent les juridictions appliquent systématiquement, mécaniquement, le barème sans justification particulière [11]. Enfin, même lorsque cette invocation a lieu, l’absence de conventionalité du barème est un argument qui ne prospère quasiment plus puisque la quasi-totalité des arrêts de cours d’appel suit l’argumentaire de la Cour de cassation, relatif à la conventionalité du barème et à l’inapplicabilité de la Charte sociale européenne. Les cours d’appel refusent même, lorsqu’elles y sont invitées, de procéder à une appréciation « in concreto » du préjudice subi par le salarié [12]. Certains arrêts se référent d’ailleurs expressément aux décisions de la Cour de cassation du 22 mai 2022. Ainsi, dans un arrêt du 10 janvier 2023, la cour d’appel d’Agen [13] s’exprime ainsi : « par arrêts du 11 mai 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le barème d'indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n'était pas contraire à l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, que le juge français ne peut écarter même au cas par cas, l'application du barème au regard de cette convention internationale et que la loi française ne peut faire l'objet d'un contrôle de conformité à l'article 24 de la Charte sociale européenne, qui n'est pas d'effet direct ». En conséquence, en application de l'article L. 1235-3 du Code du travail, de l'effectif de l'entreprise et de l’ancienneté du salarié, la cour d’appel lui octroie un montant de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se situant dans la fourchette du barème [14]. D’autres décisions  préfèrent lister les arguments qui rendraient, selon les juges, l’article L. 1235-3 du Code du travail compatible avec les stipulations de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT [15] comme, par exemple, le fait que le juge peut proposer la réintégration du salarié, le fait que le barème est écarté en cas de nullité du licenciement ou  que ces dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont versés en sus des indemnités de rupture (comme l'indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents).

B. L’abandon de la voie du contrôle de conventionalité in concreto ?

Si très peu de décisions ont maintenu un contrôle in concreto, tel est cependant le cas de la cour d’appel de Douai qui, dans un arrêt très diffusé du 21 octobre 2022, écarte le plafonnement du barème de l’article L. 1235-3, en se livrant à un contrôle de conventionalité « in concreto », au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT. Elle décide ainsi d’allouer au salarié un montant de dommages-intérêts supérieur à celui prévu par le barème, au motif que le plafond d’indemnisation applicable était insuffisant pour indemniser de manière adéquate le salarié du préjudice résultant de son licenciement abusif, eu égard à son âge (55 ans), ses charges de famille, et ses difficultés pour retrouver un emploi compte tenu de ses problèmes de santé justifiés, de sorte qu’il ne pouvait espérer ni une évolution de carrière, ni un retour à l’emploi [16]. Selon elle, il « devrait revenir au juge de déterminer un montant en dehors des limites du barème au vu des éléments précis de la cause » lorsqu’il ne permet pas une réparation adéquate. L’analyse du contentieux montre que cette cour n’en était pas à son premier essai et qu’elle avait déjà considéré, dans un arrêt postérieur aux arrêts de la Cour de cassation du 22 mai 2022 [17], que le plafonnement imposé par les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail « ne s'impose au juge que s'il ne porte pas une atteinte de façon disproportionnée aux droits du salarié, compte tenu des conséquences de son licenciement sur sa situation personnelle, et permet à ce dernier de bénéficier d'une réparation appropriée de son préjudice. Elle avait cependant, en l’espèce, fini par appliquer le barème le salarié n’apportant pas la preuve d’une telle disproportion.

La recherche dans le contentieux montre d’autres jugements et arrêts d’appel ayant parfois marqué leur faveur pour le contrôle in concreto [18]. Ainsi, le conseil de  prud’hommes de Clermont-Ferrand a, le 7 février, à son tour écarté l’application du barème, en se basant sur l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 10 de la convention OIT n°158, qui prévoient qu’un salarié injustement licencié a droit à une réparation adéquate de son préjudice [19]. Dans cette décision qui mettait elle aussi en avant les décisions du CEDS et du conseil d’administration de l’OIT qui ont toutes les deux condamné le barème français, les conseillers prud’hommes ont estimé que « plusieurs éléments concourent au dépassement du plafond, ce dernier interdisant une juste indemnisation du préjudice subi par la salariée ».

De même, dernièrement encore, la cour d'appel de Grenoble vient également d’écarter l’application du barème dans un arrêt du 16 mars 2023 [20], en se fondant sur un raisonnement passablement original basé notamment sur l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.  Selon elle, le Gouvernement français n’a pas respecté, comme il y était tenu, les préconisations faites par le conseil d’administration de l’OIT lors de sa 344ème session qui l’invitait à s’assurer, par des examens réguliers, que les « paramètres d’indemnisation prévus par le barème, permettent dans tous les cas une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ». Or, la cour relève que, depuis leur entrée en vigueur en 2017, les barèmes n’ont fait l’objet d’aucune évaluation, « de sorte qu’il manque une condition déterminante pour que les barèmes […] puissent trouver application ». Elle les écarte, dès lors, « purement et simplement » et accorde à une salariée, avec une ancienneté de neuf ans, 12 mois de salaires en guise de dommages-intérêts, là où le plafond du barème prévoit neuf mois de salaire.

Il est cependant évident que la plupart des cours d’appel suivent la Cour de cassation dans son application stricte du barème et appréhendent désormais majoritairement l’office du juge comme devant se limiter à apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due dans la fourchette du barème. D’ailleurs, si la plupart des arrêts refusent le contrôle de conventionalité in concreto au motif que le barème fixé par l'article L. 1235-3 du Code du travail permet de réparer le préjudice par une indemnisation adaptée, adéquate et appropriée, certains  s’inscrivent  ostensiblement et strictement dans le sillage des arrêts de la Cour de cassation du 11 mai 2022, en s'appuyant explicitement sur ces arrêts pour refuser d'écarter le barème, ou d'effectuer un contrôle de conventionalité in concreto.
Tel est par exemple le cas de la cour d’appel de Toulouse qui, dans un arrêt du 1er juillet 2022, a considéré qu’« il convient de faire application du barème d'indemnisation, la Chambre sociale de la Cour de cassation ayant par deux arrêts du 11 mai 2022, jugé le barème conforme à l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT […]. Ces décisions précisent l'impossibilité pour les juges français de déroger, même au cas par cas, à l'application du barème au regard de cette convention internationale » [21]. Enfin, pour justifier l’application du barème, d’autres juridictions vont même jusqu’à avancer l’argument  d’une atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi, garanti à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 [22].

Parallèlement, de nouveaux fondements juridiques sont désormais mobilisés pour contester l’application stricte des barèmes.

II. La « découverte » de nouveaux fondements et chefs de préjudice en vue de compléter le barème

Le quasi-assèchement de la voie du contrôle in concreto s’est accompagné d’un affûtage des raisonnements des avocats de salariés qui, désormais, tentent d’obtenir ailleurs ce qu’ils ne peuvent plus obtenir du fait de l’existence du barème (A.). Ce nouveau système de contestations du barème, basé sur la nullité et sur la multiplication des demandes, donne au contentieux devant les conseils de prud'hommes et les cours d’appel une toute autre physionomie (B.).

A. Le déploiement de stratégies alternatives pour contourner le barème

Ainsi que le préconisait l’argumentaire actualisé du Syndicat des avocats de France (SAF), les avocats de salariés semblent peu à peu abandonner le terrain du débat autour du barème pour d’autres tactiques juridiques consistant à envisager, pour chaque affaire, tous les fondements juridiques susceptibles d’être mobilisés pour augmenter les indemnités des salariés qu’ils défendent, en obtenant l’indemnisation d’autres préjudices que celui résultant, stricto sensu, d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L’un des moyens le plus utilisé pour contourner la barémisation consiste, avec plus ou moins de succès, à invoquer la nullité de la rupture. Aux termes de l’article L. 1235-3-1 du Code du travail, la nullité a pour effet, d’une part, d’ouvrir droit, au profit du salarié, à une indemnité minimum de 6 mois de salaire à titre de dommages-intérêts et, d’autre part, de permettre au juge d’évaluer le préjudice subi par le salarié licencié sans avoir à se référer à un quelconque barème. Ainsi, les demandes de licenciement nul fondées sur la violation d’une liberté fondamentale, comme la liberté d’expression ou la discrimination, semblent se multiplier [23]. De même, les demandes fondées sur le harcèlement moral [24], arguant d’un licenciement d’un salarié protégé en raison de son mandat, ou d’un licenciement en lien avec la maternité ou en raison d’un congé de maternité ou d’adoption semblent plus nombreuses qu’avant, etc... Il faut également noter que la même affaire comprend souvent l’énoncé de plusieurs chefs de préjudices concomitants [25]. Par exemple, le salarié peut invoquer tout à la fois : une discrimination sur l'accès à la formation, à raison du sexe, un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à cet égard et une déloyauté dans l'exécution de son contrat de travail [26].

En plus de la multiplication des demandes basées sur la nullité, on assiste à la mobilisation de nouveaux et très divers chefs de préjudices qui semblent mis en avant de façon plus systématique qu’avant. L’objectif ici n’est plus de contester l’application du barème, mais de tenter de « glaner » tous azimuts la réparation d’une multitude de préjudices accessoires, en passant au crible les obligations et/ou manquements possibles de l’employeur. Afin d’augmenter le quantum de la réparation totale versée au salarié, les avocats s’intéressent ainsi systématiquement aux heures supplémentaires non payées [27] et demandent parfois corrélativement une condamnation pour travail dissimulé [28] ou pour charge de travail excessive. Ils ont pu également invoquer le non-respect de l'obligation de sécurité de résultat [29], la déloyauté dans l'exécution du contrat de travail [30], la nullité des forfaits-jours pour demander un nombre conséquent d’heures supplémentaires [31], des inégalités de traitement et en conséquence un rappel de salaires, voire le préjudice découlant de l’absence de formation [32] ou d’entretien professionnel [33]. Enfin, fait qui n’est sans doute pas étranger au jeu du barème, les actions en faute inexcusable se développent pour les salariés licenciés pour inaptitude [34], notamment les actions recherchant l’origine professionnelle d’une inaptitude qui n’est pas prise en charge par la CPAM.

B. Le nouveau visage du contentieux autour du licenciement sans cause réelle et sérieuse

On le voit, loin d’être source de sécurité juridique, la mise en place du barème conduit les salariés et leurs avocats à affûter leurs armes et à sophistiquer leurs raisonnements à travers une analyse scrupuleuse et pointilleuse de la situation de chaque salarié à la recherche de manquements de la part de l’employeur qui, jusqu’ici, pouvaient paraître accessoires. Ces nouvelles stratégies risquent de complexifier encore davantage la tâche des juges qui doivent désormais vérifier tous les arguments un à un avant de trancher. Et bien évidemment, ce nouveau type de contentieux, de plus en plus technique, ne peut être qu'une source de lenteurs supplémentaires dans le traitement de litiges.

Un autre moyen à disposition des avocats des salariés consiste à solliciter systématiquement du juge la fixation d’intérêts moratoires tant pour les créances légales et conventionnelles (dites déclaratives) que pour les créances indemnitaires, visant à réparer le ou les préjudices subis par le salarié. En effet, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du Code civil N° Lexbase : L0618KZW, les créances salariales déclaratives sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par le défendeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes [35]. Cependant, selon l’article 1231-7 du Code civil N° Lexbase : L0619KZX, les dommages et intérêts, ou indemnités pour préjudice, qualifiés de créances indemnitaires, ne produisent des intérêts moratoires qu'à compter du jour du prononcé du jugement, sauf si le juge en a décidé autrement. Le juge possède, en effet, en vertu de l'article 1231-7 précité, une liberté pour fixer le point de départ des intérêts, la seule limite étant que la fixation du point de départ ne peut être antérieure à la naissance du préjudice. Quelle que soit la source des sommes dont il s’agit, il peut être intéressant de demander la fixation de ces intérêts qui représentent souvent un montant non négligeable, mais qui est parfois négligé.

Enfin, les demandes systématiques d’indemnisation au titre du remboursement des indemnités chômage ou d’astreinte font florès (voir les décisions précitées) et, après vérification, certains avocats de salariés vont jusqu’à demander des dommages et intérêts pour reversement tardif des indemnités journalières au titre de la prévoyance [36]... Cependant, la suggestion faite par des auteurs de mobiliser la voie de l’abus de droit pour dépasser une application sèche du barème et obtenir réparation de l’intégralité du préjudice, lorsque la décision de licencier le salarié est grossièrement abusive [37], ne semble jusqu’ici que très rarement utilisée par les plaideurs et lorsqu’elle l’est, c’est le plus souvent sans succès [38].

Cette technicité de plus en plus poussée du contentieux prud’homal, qui ne date pas d’aujourd’hui, mais qui a été accentuée par la mise en place du barème d’indemnisation et par les stratégies pour l’éviter ou le compléter, remet sur la table la nécessité d’accentuer la formation juridique des conseillers prud’hommes. Ces juges non professionnels du droit, « recrutés » pour leur connaissance du monde du travail, mais dont l’activité juridictionnelle de plus en plus technique et complexe implique une formation juridique de plus en plus approfondie et qui doit être au surplus sans cesse renouvelée, en raison de l’évolution constante et rapide du droit du travail.


[1] CEDS, décision, 26 septembre 2022.

[2] Ass. plén., 17 juillet 2019, n° 19-70.010 N° Lexbase : A4509ZK9 et n° 19-70.011 N° Lexbase : A3530ZKX.

[3] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-15.247, FP-B+R N° Lexbase : A56217W4.

[4] Cass. soc., 11 mai 2022, n° 21-14.490, FP-B+R N° Lexbase : A56507W8.

[5] CEDS, 5 juillet 2022, Réclam. coll. n° 175/2019, publié le 30 novembre 2022.

[6] Soc. 1er février 2023, n° 21-21.011

[7] F. Khodri, Mise en œuvre concrète du barème encadrant l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse : état des lieux, Lexbase Social, janvier 2022, n° 891 N° Lexbase : N0134BZY.

[8] Eu égard à la situation personnelle du salarié et à l’existence d’autres préjudices non couverts par le barème. 

[9] CA de Grenoble 02-12-2021, n° 19/03519

[10] Voir par exemple en ce sens : CA Chambéry, 23 novembre 2021,  n° 20/01147 , CA PARIS, 16 mars 2021 n° 19/08721.

[11] Voir par exemple : CA Amiens, 2 mars 2023, n° 22/01437 N° Lexbase : A85599G4 ; CA Toulouse, 6 janvier 2023, n° 21/02522 N° Lexbase : A740387C ; CA Bastia, 1er février 2023, n° 21/00130 N° Lexbase : A87269BS ; CA Paris, 15 février 2023, n° 18/10377 N° Lexbase : A73419DA ; CA Paris, 23 février 2023, n° 20/00431 N° Lexbase : A97129EG ; CA Paris, 15 février 2023, n° 18/10384 N° Lexbase : A65889DD ; CA Paris, 2 février 2023, n° 19/11023 N° Lexbase : A90569BZ ; CA Aix-en-Provence, 24 février 2023, n° 19/15499 N° Lexbase : A33999GY ; CA Amiens, 2 mars 2023, n° 22/00792 N° Lexbase : A89689GA ; CA Rennes, 26 janvier 2023, n° 19/08177 N° Lexbase : A64179AW ; CA Poitiers, 25 janvier 2023, n° 21/00622 N° Lexbase : A52069A3 ; CA Douai, 27 janvier 2023, n° 21/01112 N° Lexbase : A55239CK ; CA Douai, 21 octobre 2022, n° 19/02154 N° Lexbase : A683384T ;  CA Toulouse, 14 octobre 2022, n° 21/00380 N° Lexbase : A51438UZ.

[12] Voir par exemple : CA Paris, 21 février 2023, n° 20/07142 N° Lexbase : A66609EE ; CA Versailles, 2 mars 2023, n° 20/02383 N° Lexbase : A23939H4 ; CA Grenoble, 2 mars 2023, n° 21/01667 N° Lexbase : A23699H9 ; CA Agen, 10 janvier 2023, n° 21/00719 N° Lexbase : A126888H ; CA Riom, 17 janvier 2023, n° 20/01002 N° Lexbase : A678989C ; CA Pau, 5 janvier 2023, n° 21/00064 ; CA Chambéry, 10 janvier 2023, n° 21/01052 N° Lexbase : A854387K ; CA Paris, 15 février 2023, n° 20/07205 N° Lexbase : A72159DL ; CA Douai, 27 janvier 2023, n° 19/01137 N° Lexbase : A51449CI ; CA Paris, 1er février 2023, n° 20/00290 N° Lexbase : A56029B4 ; CA Caen, 2 février 2023, n° 21/02512 N° Lexbase : A03179CQ ; CA Paris, 15 février 2023, n° 20/07205 N° Lexbase : A72159DL ; CA Paris, 16 novembre 2022, n° 20/04065 N° Lexbase : A07988U4 ; CA Reims, 14 décembre 2022, n° 21/01855 N° Lexbase : A369983E.

[13] CA Agen, 10 janvier 2023, n° 21/00719 N° Lexbase : A126888H.

[14] Voir aussi : CA Chambéry, 10 janvier 2023, n° 21/01052 N° Lexbase : A854387K ; CA Riom, 17 janvier 2023 n° 20/01002 N° Lexbase : A678989C.

[15] Voir par exemple : CA Paris, 15 février 2023, n° 20/07205 N° Lexbase : A72159DL.

[16] CA Douai, 21 octobre 2022 n° 1736/22 N° Lexbase : A90208RI.

[17] CA Douai, 30 août 2022, n° 21/00062 N° Lexbase : A742784T.

[18] Voir par exemple : CPH Rouen, 30 mai 2022, n° 20/00009 ;  CA Grenoble, 9 juin 2022, n° 20/0912 ; CA Rouen, 9 juin 2022, n° 19/04661 N° Lexbase : A176177D.

[19] CPH Clermont-Ferrand, 7 février 2023, n° 19/000 506 et n° 22/00158.

[20] CA Grenoble, 16 mars 2023, n° 21/02048 N° Lexbase : A97669IK.

[21] CA Toulouse, 1er juillet 2022, n° 20/02914 N° Lexbase : A06928AU.

[22] En ce sens, voir : CA Aix-en-Provence, 24 février 2023, n° 19/08024 N° Lexbase : A36049GL.

[23] Pour des exemples de discrimination en raison de l’état de santé : CA Nîmes, 17 janvier 2023, n° 20/01496 N° Lexbase : A594489Z ; CA Rennes, 1er décembre 2022, n° 20/04701 N° Lexbase : A56158XA ou de discrimination dans l’accès à la formation, à raison du sexe : CA Paris, 1er mars 2023, n° 20/07201 N° Lexbase : A73849GL.

[24]  Voir par exemple : CA Bordeaux, 16 novembre 2022, n° 19/04072 N° Lexbase : A27268YM.

[25] Voir en ce sens : CA Aix-en-Provence, 27 janvier 2023, n° 19/04293 N° Lexbase : A20499BI ; CA Nîmes, 17 janvier 2023, n° 20/01496 N° Lexbase : A594489Z.

[26]  Pour ne prendre qu’un exemple parmi ceux cités, voir : CA Paris, 1er mars 2023, n° 20/07201 N° Lexbase : A73849GL.

[27] Voir par exemple : CA Versailles, 2 mars 2023, n° 20/02383 N° Lexbase : A23939H4.

[28] En ce sens, voir par exemple : CA Nîmes, 17 janvier 2023, n° 20/01496 N° Lexbase : A594489Z.

[29]  Voir par exemple : CA Grenoble, 2 mars 2023, n° 21/01657 N° Lexbase : A23389H3 ; CA Bordeaux, 16 novembre 2022, n° 19/04072 N° Lexbase : A27268YM.

[30] CA Versailles, 2 mars 2023, n° 20/01661 N° Lexbase : A92307HC.

[31] CA Bourges, 3 mars 2023, n° 22/00744 N° Lexbase : A15009HZ ; CA Bourges, 3 mars 2023, n° 22/00223 N° Lexbase : A15639HD ; CA Paris, 2 mars 2023, n° 20/00427 N° Lexbase : A88099GD.

[32] CA Paris, 22 février 2023, n° 19/11168 N° Lexbase : A71299ER.

[33] CA Versailles, 6 avril 2022, n° 20/02657 N° Lexbase : A46627SH.

[34] CA Grenoble, 23 février 2023, n° 21/01383 N° Lexbase : A07189GP.

[35] Voir en ce sens : CA Paris, 16 novembre 2022, n° 20/04065 N° Lexbase : A07988U4.

[36] Voir par exemple : CA Douai, 21 octobre 2022, n° 19/02154 N° Lexbase : A683384T.

[37] E. Dockès, Le licenciement abusif ou comment dépasser les barèmes Macron malgré les arrêts du 11 mai 2022, Droit ouvrier, septembre 2022, p. 349.

[38]  Voir par exemple : CA Amiens, 11 janvier 2023, n° 21/05329 N° Lexbase : A3311887.

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Procédure civile

[Focus] Conclusions devant la cour d’appel, à fond la forme !

Lecture: 20 min

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par Farid Seba, ancien Avoué à la cour, Avocat spécialiste en procédure d’appel, formateur en procédure civile

Le 23 Mars 2023

Mots-clés : appel • conclusions • dispositif des conclusions • formalisme • sanction • conseiller de la mise en état • plaise à la cour • plaise au conseiller de la mise en état • interpellation du juge • saisine de la cour • forme des conclusions • identité des parties • chapeau des écritures • corps des conclusions • recevabilité des conclusions • infirmation • réformation • adresse des parties • récapitulation • concentration des prétentions • fin de non-recevoir • moyens de procédure • nom des parties • numéro de RG • répertoire général • personne morale • représentant personne morale

C’est aujourd’hui un lieu commun que de dire que la procédure civile est devenue le champ de bataille où s’affrontent magistrats et avocats au sujet de l’application de règles de forme dont l’utilité est inversement proportionnelle à la complexité. Chapeau, motifs et dispositif des conclusions, illustrent bien ce constat. Pour autant, il est parfaitement possible d’en maîtriser les subtilités. C’est l’objet de cette contribution.


 

Le 30 janvier 2023, sous l’autorité d’un collectif réunissant notamment de Hauts magistrats de la Cour de cassation ainsi que des représentants de la profession d’avocat, une charte de présentation des écritures tant de première instance que d’appel, a été rendue publique à l’attention des professionnels du droit. Ce texte, revêtu du sceau et de la signature des instances de chacune des professions, magistrats et avocats, se veut avant tout un guide pratique « non contraignant » sur l’art et la manière de présenter les conclusions.

Reprenant peu ou prou certaines des règles du Code de procédure civile sur le formalisme des écritures, il est mis à la disposition des juridictions et des barreaux qui souhaiteraient, localement, signer une convention ou un protocole sur cette question.

Si l’intention est parfaitement louable, le procédé dérange.

En effet, outre le fait que ce texte est dépourvu de caractère juridiquement contraignant, ce type de convention ne pouvant déroger ou suppléer à la règle de droit (Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 18-14.708, F-P+B+I N° Lexbase : A7137ZPZ), force est de constater qu’il ne permet pas au praticien de faire clairement la distinction entre ce que le Code de procédure civile exige et sanctionne, et la simple recommandation destinée à corriger tant les excès que les manquements des avocats dans la rédaction de leurs conclusions.

La question est pourtant cruciale, tant les exigences procédurales sur cette question se sont accrues au fur et à mesure des réformes de procédure et de l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation rendant ainsi la rédaction des conclusions devant la cour de plus en plus technique pour ne pas dire catastrophique.

Le train des réformes ne connaissant pas la panne, il y a fort à parier que dans un avenir relativement proche, une énième réforme de procédure civile sur la forme des conclusions devant la cour, réforme probablement construite à partir des propositions de la Direction des affaires civiles et du sceau du 27 août 2021, vienne obscurcir encore plus le paysage procédural.

Et ce, même si ces propositions n’ont manifestement pas recueilli l’assentiment des instances de la profession d’avocat dont le rapport du 17 septembre 2021, rappelle qu'elle est dans son ensemble opposée, à juste titre, à « l’accroissement abusif des contraintes méthodologiques assimilées à des règles processuelles assorties de sanctions irréversibles, qui génèrent une augmentation des incidents de procédure, des recours, ainsi qu’un alourdissement et un allongement des procès dans le but illusoire de compenser l’absence chronique des moyens dévolus à l’institution judiciaire ».

Voilà qui est dit !

En attendant, l’étude de la forme des conclusions devant la cour et des sanctions encourues, peut être articulée à partir des trois composantes suivantes : le chapeau ou l’entête des conclusions (I), le corps des conclusions (II) et enfin le dispositif (III).

I. Le chapeau des conclusions devant la cour

Les dispositions de l’article 961 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7255LEG prévoient que les conclusions des parties ne sont pas recevables tant que les mentions requises à l’article 960 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0359ITH n’ont pas été fournies.

Rappelons qu’un acte de procédure irrecevable est dépourvu d’effet juridique.

Curieusement, cette sanction d’irrecevabilité ne s’applique pas à la requête en déféré (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-18.550, F-D N° Lexbase : A5225KDU) même si cet acte à vocation à saisir la cour d’un recours formé contre une ordonnance du conseiller de la mise en état.

Quoiqu’il en soit, les mentions visées à l’article 960 du Code de procédure civile, sont relatives tant à l’identification de la procédure engagée devant la cour, par son numéro de répertoire général, qu’à l’identification des parties concernées par cette procédure, état civil complet et qualité de ces parties dont la forme varie selon qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale.

Sont donc requis à peine d’irrecevabilité :

  • pour les personnes physiques : les nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, profession, adresse du domicile,
  • pour les personnes morales : la forme sociale de la société (SA, SARL, SAS, SNC, SCI, SELARL...), sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente. Étant précisé que la mention du nom de la personne physique, organe représentant la personne morale, n'est exigée par aucun texte et qu’une mention erronée de ce chef ne peut constituer qu’un vice de forme nécessitant la démonstration de l’existence d’un grief (Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18-20.303, F-P N° Lexbase : A2138ZYT). Ici, point n’est besoin de rappeler que les mentions telles que « agissant poursuites et diligences de son représentant légal », « prise en la personne de son représentant légal » ou « agissant par son représentant légal » sont parfaitement admises et suffisent à satisfaire à l’obligation légale d’identification (Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298 et n° 06-21.254, FS-P+B N° Lexbase : A5831EA9).

S’agissant de l’identification de l’affaire par son numéro de répertoire général, il convient de préciser que l'absence ou la mention erronée de ce numéro sur les conclusions adressées au greffe de la cour, ne peut constituer une cause d'irrecevabilité desdites conclusions.

En effet, la Cour de cassation a jugé que le refus opposé par le greffe à la réception de conclusions pour ce motif, ne rendait pas lesdites conclusions irrecevables. Dès lors, encourt la censure, l’arrêt prononçant la caducité de la déclaration d’appel après avoir écarté les conclusions de l’appelant pourtant transmises dans les délais requis, mais comportant une mention erronée du numéro du répertoire général (Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-14.745, F-P+B+I N° Lexbase : A56813QH).

D’une manière générale, les mentions exigées par les textes sont destinées à parer à toute difficulté d'exécution, de transcription ou de publication de la décision à venir.

En ce sens, elles doivent correspondre à la réalité et ne peuvent servir à dévoyer la procédure.

Dès lors, les conclusions par lesquelles une partie entretient une confusion sur son véritable domicile doivent être déclarées irrecevables (18.683, F-D N° Lexbase : A5675MLR).

En effet, la mention du domicile doit correspondre à une situation réelle et non fictive (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-11.081, FS-B+R N° Lexbase : A14917I3).

Il en va de même de la mention relative à la profession de la partie qui conclut, mention qui bien souvent paraît anodine pour les rédacteurs, mais qui en réalité peut conduire au même résultat d’irrecevabilité des écritures (Cass. civ. 2, 15 novembre 2012, n° 11-13.157, F-D N° Lexbase : A0426IX3).

La sanction de l’irrecevabilité des conclusions, telle que prévue à l’article 961 du Code de procédure civile a fait l’objet d’une précision capitale quant à sa nature à la suite des modifications apportées par le décret du 6 mai 2017.

Elle constitue désormais une fin de non-recevoir dont la régularisation peut intervenir jusqu’au prononcé de la clôture dans la procédure avec mise en état, et jusqu’à l’ouverture des débats dans la procédure sans mise en état,

À condition, bien entendu, que l’irrégularité dont s’agit ne s’apparente pas plutôt à un défaut de mention même de l’existence d’une partie dans le chapeau des conclusions, ce qui aurait pour conséquence que cette partie ne peut s’attribuer le bénéfice desdites conclusions et sera réputée ne pas avoir conclu (Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 20-15.607, F-D N° Lexbase : A042948E).

Selon la position qu’occupent les parties dans le procès d’appel, la sanction d’irrecevabilité aura des effets différents.

Ainsi, l’appelant qui n’aura pas mis ses conclusions en conformité avec les textes, et ce, sans qu’il soit besoin que la régularisation intervienne nécessairement dans le délai de l’article 908 du Code de procédure civile (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-18.350, F-D N° Lexbase : A64247IR), encourra la caducité de son appel pour défaut de conclusions.

La Cour de cassation considère en effet que la diligence impartie par l'article 908 du Code de procédure civile, s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954 du même code lequel renvoi expressément à l’article 961 (Cass. civ. 2, 31-01-2019, n° 18-10.983, F-D N° Lexbase : A9839YUX).

Quant à l’intimé, il sera réputé ne pas avoir conclu devant la cour et s’être approprié les motifs du jugement. (Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-20.018, F-P+B N° Lexbase : A9849YSL).

L’appréciation du caractère effectif et réel des mentions visées à l’article 960 du Code de procédure civile, ressort de la compétence du conseiller de la mise en état, lequel, depuis la réforme introduite par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, s’est vu attribuer compétence pour trancher les fins de non recevoir. Du moins celles relatives à la procédure d’appel et non à l’appel lui-même (Avis, 3 juin 2021, n° 15008 A29374UC et Avis, 11 octobre 2022, n° 22-70.010, FS-B N° Lexbase : A40718N4). Cette compétence étant dévolue à la cour en l’absence de désignation d’un conseiller de la mise en état.

Par ailleurs, cette question, dans sa matérialité, échappe naturellement au contrôle de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.740, F-D N° Lexbase : A51698QI).

Enfin, la régularisation de cette fin de non recevoir peut non seulement prendre la forme de nouvelles conclusions rectifiant la mention litigieuse ou apportant les précisions manquantes, mais également résulter de la production d’une pièce communiquée en annexe des conclusions avec le même effet (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-18.350, F-D N° Lexbase : A64247IR).

II. Le corps des conclusions devant la cour d’appel

A. L’orientation des conclusions

La partie discussion des conclusions comporte généralement un titre dont la fonction principale est d’identifier la juridiction à laquelle sont adressées les écritures.

La logique procédurale veut que l’on s’adresse à la formation de la cour d’appel, conseiller de la mise en état ou juge du fond, qui est compétente pour trancher les demandes que contiennent les conclusions.

Cette interpellation doit se faire de manière claire et précise, sans ambiguïté, puisque sa formulation commande l’orientation, par le greffe, des conclusions vers le magistrat appelé à trancher la question soulevée.

Ce principe trouve une illustration à l’article 914 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7247LE7 lequel précise que les parties qui saisissent le conseiller de la mise en état dans la limite de sa compétence, le font par des conclusions « spécialement adressées à ce magistrat ».

Dans certaines hypothèses, il y va de la recevabilité de la demande (Cass. civ. 2, 12 mai 2016, n° 14-25.054, FS-P+B N° Lexbase : A0787RPT), même si la Cour de cassation reste toutefois attentive à la mention effective des demandes dans les conclusions des parties (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT) [1].

B. Le contenu des conclusions dans sa forme

De la même manière que pour le chapeau, c’est principalement l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED qui fixe les règles de forme que doivent prendre les conclusions devant la cour relativement à leur contenu.

Cependant toutes les conclusions remises à la cour par les parties ne semblent pas concernées par l’exigence de ces mentions.

En effet, par un système de renvoi aux articles 905-2 N° Lexbase : L7035LEB et 908 N° Lexbase : L7239LET à 910 N° Lexbase : L7241LEW qui visent les conclusions des parties devant la cour, conclusions des parties dont il est expressément fait mention en ouverture de l’article 954 du Code de procédure civile, la lecture de l’article 910-1 N° Lexbase : L7041LEI du même code permet de conclure que ces règles de forme ne s’appliquent d’une part, qu’aux conclusions qui déterminent l’objet du litige, c’est-à-dire les conclusions au fond, et d’autre part qu’aux conclusions qui soulèvent un incident de procédure, quel qu’il soit, dont la finalité est de mettre fin à l’instance.

Ce qui n’est pas le cas, par exemple, de conclusions par lesquelles il est sollicité le sursis à statuer de l’instance, ou encore, de conclusions tendant à voire trancher par le conseiller de la mise en état un simple incident de communication de pièce.

S’agissant plus précisément du contenu des conclusions, les parties sont invitées à formuler expressément leurs prétentions ainsi que les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, le tout agrémenté de l’indication des pièces correspondantes avec numérotation.

Si ces dispositions, dont le but est d’assurer une clarté et une lisibilité des écritures des parties, imposent un ordonnancement relativement précis des prétentions et des moyens en fait et en droit, l’article 954 du Code de procédure civile n’exige pas pour autant que ces prétentions et ces moyens figurent formellement sous un paragraphe intitulé « discussion ».

En effet, Il faut et il suffit que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions (Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.736, F-B N° Lexbase : A24628HN).

En outre, si ces exigences de forme ne sont pas directement sanctionnées par la loi, il convient ici de rappeler les dispositions des articles 4 N° Lexbase : L1113H4Y et 9 N° Lexbase : L1123H4D du Code de procédure civile aux termes desquelles, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à fonder les prétentions qu’elles présentent, ou encore, il est exigé des parties qu’elles prouvent conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

Dès lors, la formulation dans le dispositif des conclusions d’une demande d’infirmation ou de confirmation d’un chef de jugement, sans exposer des moyens en fait et en droit au soutien de cette demande, ne met pas la cour en mesure de statuer sur cette demande (Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-17.910, F-P+B+I N° Lexbase : A4232ZD4).

Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs, ce que prévoit le texte de l’article 954 du Code de procédure civile (Cass. Soc., 18 janvier 2023, n° 21-23.796, F-B N° Lexbase : A6067889).

L’obligation faite aux parties d’avoir à exposer leurs moyens en fait et en droit, s’accompagne, depuis la réforme de 2017, d’une seconde obligation dont la principale caractéristique est d’ordre temporel, celle d’avoir à présenter toutes les prétentions dès les premières conclusions visées aux articles 905-2 N° Lexbase : L7036LEC et 908 à 910 du Code de procédure civile, et ce sous peine de sanction.

En effet, l’article 910-4 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7036LEC, lequel a institutionnalisé le principe de concentration des demandes consacré par l’arrêt d’assemblée plénière du 7 juillet 2006 (Ass. Plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672 N° Lexbase : A4261DQU), prévoit expressément l’irrecevabilité de toute demande qui ne serait pas contenu dans les premières conclusions.

Précisons tout de même que cette règle de la concentration dès les premières écritures, ne concerne que les prétentions et non pas les moyens. Les parties sont parfaitement libres de développer de nouveaux moyens au fur et à mesure de la signification de leurs conclusions.

Cette règle de la concentration est toutefois tempérée par ce qu’il est convenu de désigner comme étant l’état non statique du procès d’appel auquel fait référence l’alinéa 2 du texte de l’article 910-4 du Code de procédure civile. En effet, les parties sont parfaitement en mesure de faire évoluer le périmètre de leurs prétentions au gré de l’évolution du litige ou de l’argumentation adverse. [2]

Enfin, pendant le cours de l’instruction de l’affaire, lorsqu’il est désigné, c’est au conseiller de la mise en état qu’il appartient de modérer la forme des conclusions des parties. Cette prérogative tirée de l’article 913 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7246LE4, lui permet d’exiger des parties qu’elles mettent leurs écritures en conformité tant avec l’article 961 du Code de procédure civile qu’avec l’article 954 du même code.

III. Le dispositif des conclusions devant la cour

Il est aujourd’hui bien établi que le dispositif des conclusions signifiées devant la cour doit comporter expressément une demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, s’agissant des conclusions de l’appelant (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA ; 1er juillet 2021, n° 20-10.694 N° Lexbase : A20054YW).

À défaut, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue, à l'article 914 du Code de procédure civile, de relever d'office la caducité de l'appel.

En effet, lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (Cass. civ. 2, 4 novembre 2021, n° 20-16.208, F-D N° Lexbase : A06827BU, Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-14.681, F-B  N° Lexbase : A34038LM).

Cette sanction, dont la portée a été encadrée et limitée aux seuls appels formés à compter du 17 septembre 2020 (Cass. civ. 2, 20 mai 2021, deux arrêts, n° 20-13.210, F-P N° Lexbase : A25324SL), mais qui s’étend également à l’appel incident formé par l’intimé (Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-10.694, F-B N° Lexbase : A20054YW) peine à trouver une autre forme de justification que celle de la manifestation d’un formalisme de plus en plus accru dans la rédaction des conclusions d’appel. [3].

Enfin, la Cour de cassation, par un arrêt du 3 mars 2022 (Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B N° Lexbase : A24677P3), est venue clarifier sa jurisprudence relative au dispositif des conclusions d’appel en considérant que, si l’appelant qui poursuit la réformation du jugement frappé d’appel, doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner, d’une part, qu’il demande l’infirmation du jugement, et d’autre part, formuler une ou des prétentions, il n’est toutefois pas exigé qu’il précise, dans le dispositif des conclusions, les chefs de dispositif du jugement dont il est demandé l’infirmation.

Cette précision apportée a mis un terme définitif à l’inquiétude suscitée chez les commentateurs à la suite de l’arrêt rendu le 30 septembre 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 20-16.746, F-D N° Lexbase : A054548P) qui posait comme exigence la mention, dans le dispositif des conclusions, de la réitération précise des chefs de jugement critiqués par l’appel.

Quoiqu’il en soit, c’est précisément dans le dispositif des conclusions que doivent figurer les prétentions au fond que les parties formulent devant la cour.

Ces prétentions au fond sont régulièrement soumises à la cour, seule compétente pour en connaître, et ce, quand bien même le dispositif des conclusions comporterait une interpellation, de fait erroné, au conseiller de la mise en état pour voir trancher ces prétentions (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT).

À cet égard, la Cour de cassation a rappelé qu'une exception de nullité était une prétention et non un moyen et comme telle, devait figurer dans le dispositif des conclusions ; à défaut elle ne pourrait être tranchée (Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, n° 19-12.244, F-B N° Lexbase : A046348N).

Ainsi dans le cas où une partie entend voir infirmer le chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation portant sur la validité d’un acte de procédure, et accueillir cette dernière, elle doit faire apparaître cette prétention dans le dispositif de ses conclusions d’appel (Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 19-23.615, F-P+I N° Lexbase : A81614EY).

En outre, un soin particulier doit être apporté à la formulation même des prétentions.

D’une manière générale, les prétentions des parties visent, en dehors de l’hypothèse conduisant à faire admettre l’existence d’un moyen de procédure, à obtenir de la cour qu’elle infirme, réforme, confirme, condamne, ordonne etc...

Or, la pratique montre que certaines mentions utilisées à tort dans le dispositif des conclusions portent à confusion en ce qu’elles n’introduisent pas de véritables demandes, au sens procédural du terme, et partant de ce constat doivent être évitées.

C’est le cas par exemple des mentions par lesquelles il est demandé à la cour de, dire et juger ; constater ; donner acte.

En effet, la Cour de cassation ne considère pas ces mentions comme introduisant des demandes et comme telles, ne les retient pas (Cass. civ. 2, 9 janvier 2020, n° 18-18.778, F-D N° Lexbase : A46463AC).

Ceci étant, la demande de « constat » existe et peut parfaitement être formulée dans le dispositif des conclusions lorsqu’elle correspond effectivement à la volonté de voir la cour constater une situation de fait ayant des conséquences sur le plan juridique. Il en va ainsi, par exemple, d’une demande de donner acte de renonciation à un droit par une partie.

Enfin, devant la cour, les parties ont l’obligation de récapituler, dans leurs dernières écritures, les prétentions et les moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.

En conclusion, on ne peut que constater qu’un mouvement de révolution dans la structuration des conclusions d’appel a été initié par le législateur, suivi en cela par la Cour de cassation ; mouvement dont pour l’heure il est bien difficile de percevoir l’avantage qu’il pourrait représenter pour le justiciable, mais dont les conséquences en termes de difficultés et de risques à prendre dans la pratique du métier d’avocat sont indéniables.

Cette entropie de la procédure civile, qui prêterait presque à sourire si elle n’était pas la manifestation du déclin d’un système judiciaire qui peine à assumer les carences structurelles dont il est victime depuis de nombreuses années, nous renvoie à cette conversation entre Alice et la chenille dans Alice au pays des merveilles ; la petite fille s’adresse à la chenille et sur un ton inquiet lui dit, « changer si souvent de taille en une seule journée, c’est vraiment troublant » [4].


[1] Pour aller plus loin sur cette question : F. Seba, Conclusions devant la cour, à propos de la formule d’interpellation du juge compétent, Lexbase Droit privé, décembre 2022, n° 926 N° Lexbase : N3450BZS.

[2] Pour aller plus loin sur cette question : L. Koromyslov, Les écritures et les pièces des parties devant la cour d'appel depuis le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 : de la modélisation à la concentration formelle, Lexbase Avocats, juin 2017, n° 242 N° Lexbase : N8718BWS.

[3] À ce sujet : Y. Joseph-Ratineau, Dispositif des conclusions d'appel : application dans le temps de la solution nouvelle de la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, juin 2021, n° 868 N° Lexbase : N7812BYY.

  1. [4] Lewis Caroll, Alice's Adventures in Wonderland  (1865).

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Procédure pénale/Instruction

[Brèves] Le Conseil constitutionnel valide les règles de communication des pièces de l’instruction à un tiers

Réf. : Const. const., décision n° 2023-1037 QPC, du 17 mars 2023 N° Lexbase : Z173602U

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N4728BZ7

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par Adélaïde Léon

Le 22 Mars 2023

► Est conforme à la Constitution le sixième alinéa de l’article 114 du Code de procédure pénale, qui prévoit que les parties ou leurs avocats ne peuvent communiquer à des tiers, pour les besoins de la défense, que les copies des rapports d’expertise. Dès lors, aucune autre pièce du dossier ne peut leur être communiquée.

Rappel de la procédure. Le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le sixième alinéa de l’article 114 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9512I7G dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-993, du 17 août 2015, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne N° Lexbase : L2620KG7.

Dispositions en cause. L’article 114 du Code de procédure pénale autorise, dans le cadre de l’instruction, après la première comparution, les avocats des parties ou, si elles n’ont pas d’avocat, les parties elles-mêmes, à se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier de la procédure.

Plus spécifiquement, les dispositions en cause prévoient que les parties ou leurs avocats ne peuvent communiquer à des tiers, pour les besoins de la défense, que les copies des rapports d’expertise. Dès lors, aucune autre pièce du dossier ne peut leur être communiquée.

Motifs de la QPC. Il est fait grief aux dispositions en cause de ne permettre aux parties et à leurs avocats de communiquer aux tiers que les copies de rapports d’expertise.

En effet, selon le requérant, la communication d’autres pièces du dossier à un tiers pourrait être nécessaire à l’exercice des droits de la défense. Cela peut notamment être le cas lorsque la défense souhaite solliciter un avis technique.

En ce sens, ces dispositions méconnaîtraient les droits de la défense.

Décision. Le Conseil constitutionnel déclare le sixième alinéa de l’article 114 du Code de procédure pénale conforme à la Constitution.

Les Sages affirment tout d’abord que le législateur a entendu, par cette rédaction, préserver le secret de l’instruction et protéger les intérêts des personnes concernées. Dès lors, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d’innocence.

Le Conseil rappelle ensuite les possibilités qui s’ouvrent aux parties et à leurs avocats.

D’une part, les parties peuvent saisir le juge d’instruction d’une demande afin qu’il soit procédé à tout acte qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité. Elles peuvent ainsi lui demander d’ordonner une expertise et qu’il soit prescrit à l’expert d’effectuer certaines recherches ou d’entendre certaines personnes. Une fois déposé, le rapport d’expertise est soumis au contradictoire et les parties peuvent formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.

D’autre part, les parties et leurs avocats conservent la possibilité de communiquer aux tiers, dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, des informations sur le déroulement de l’instruction.

Le Conseil conclut de ces constatations que le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté et que les dispositions concernées doivent être déclarées conformes à la Constitution.

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Vente d'immeubles

[Brèves] Vente d’un bien avec un permis de construire : quid en cas de caducité du permis résultant d'un jugement rendu sur une demande postérieure à la vente ?

Réf. : Cass. civ. 3, 16 mars 2023, n° 21-19.460, FS-B N° Lexbase : A80209HI

Lecture: 2 min

N4799BZR

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 23 Mars 2023

► La conformité du bien vendu aux spécifications contractuelles s'appréciant au moment de la délivrance du bien, une cour d'appel retient à bon droit que, dès lors qu'au jour de la vente le permis de construire n'avait fait l'objet d'aucun recours et qu'un certificat du maire établissait son absence de caducité, le vendeur n'avait pas manqué à son obligation de délivrance, peu important l'effet rétroactif de la caducité du permis de construire résultant d'un jugement rendu sur une demande postérieure à la vente.

Faits et procédure. En l’espèce, une SCI vend à une autre société immobilière une grange à démolir, l'acte de vente faisant état d'un permis de construire deux immeubles sur le terrain, accordé par arrêté municipal du 29 septembre 2004. Il était annexé à cet acte un certificat du 3 décembre 2007 délivré par le maire de la commune attestant de la non-caducité de ce permis de construire.

Par décision du 29 mai 2012, le tribunal administratif de Strasbourg, sur requête d'un voisin, a annulé la décision du maire de la commune du 16 septembre 2008 ayant refusé de constater la péremption de ce permis de construire.

Soutenant qu'elle avait été empêchée de mener à bien son projet du fait, notamment, d'un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, l’acquéreur a assigné le vendeur en paiement de diverses sommes en remboursement de frais et à titre de dommages et intérêts. Il n’obtiendra pas gain de cause.

Solution. La Cour suprême approuve la cour d'appel ayant énoncé, à bon droit, que la conformité du bien vendu et livré aux spécifications contractuelles s'apprécie au moment de la délivrance du bien, soit pour un terrain, lors de la remise des titres de propriété.

La cour d’appel a relevé qu'il résultait des termes de l'acte de vente et des documents annexés l'absence de recours contre le permis de construire et ses transferts successifs, ainsi que son absence de caducité au jour de la signature de l'acte authentique de vente, établie par un certificat du maire du 3 décembre 2007.

Selon la Cour de cassation, elle en a déduit à bon droit, abstraction faite de motifs surabondants relatifs au vice caché et à la délivrance d'un permis de régularisation, que peu importait l'effet rétroactif de la caducité, dès lors que celle-ci résultait d'un jugement rendu sur une demande postérieure à la vente.

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