Jurisprudence : CA Nancy, 23-11-2023, n° 23/01082, Confirmation


République Française

Au nom du peuple français

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Cour d'appel de Nancy

Chambre de l'Exécution - JEX


Arrêt n° /23 du 23 NOVEMBRE 2023


Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 23/01082 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FFS5


Décision déférée à la cour : jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de VERDUN, R.G.n° 22/00367, en date du 09 mai 2023,



APPELANTS :

Monsieur [Aa], [J], [K] [M]

né le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 15], domicilié [… …]

Représenté par Me Fabrice HAGNIER, avocat au barreau de MEUSE


Madame [B] [M]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 14], domiciliée [Adresse 2]

Représentée par Me Fabrice HAGNIER, avocat au barreau de MEUSE


INTIMEE :

La banque CIC EST (anciennement Société Nancéienne Varin Bernier SNVB),

Banque régie par les articles L 511-1 et suivants du code monétaire et financier🏛, SA au capital de 225 000 000 €, dont le siège social est situé [Adresse 9] sous le numéro 754 800 712, prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

Représentée par Me Sylvain BEYNA de la SELARL LÉGICONSEIL AVOCATS, avocat au barreau de MEUSE



COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue le 19 Octobre 2023, en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre,

Madame Nathalie ABEL, conseillère,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère, chargée du rapport

qui en ont délibéré ;


Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET ;


ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement le 23 novembre 2023 date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛 ;


signé par Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, et par Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSE DU LITIGE


Par jugement en date du 24 octobre 2006, le tribunal de commerce de Reims a condamné M. [Aa] [M] à payer la société Nancéienne Varin Bernier (SNVB) la somme de 33 000 euros en principal, en sa qualité de caution solidaire de l'EURL EBJ ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, avec intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2004 jusqu'à parfait règlement, outre la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance. Ce jugement a été déclaré commun et opposable à son épouse, Mme [Ab] [T] épouse [M] et il a été jugé que ces condamnations pourront être exécutées sur l'ensemble des biens dépendant de la communauté matrimoniale des époux [M].


Par arrêt en date du 28 janvier 2008 signifié le 11 février 2008, la cour d'appel de Reims a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions, et y ajoutant, a condamné les époux [M] à payer à la SA SNVB une indemnité de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.


Une hypothèque judiciaire provisoire a été inscrite le 22 juillet 2020. Elle a été convertie en hypothèque judiciaire définitive le 10 septembre 2020, publiée le 22 septembre 2020 sous les références 5504P01 volume 2020V725, valable jusqu'au 22 septembre 2030 pour la somme totale de 45 355,55 euros.


Le 3 mars 2022, la SA CIC EST venant aux droits de la SNVB a fait délivrer à M. [Aa] [M] un commandement valant saisie de l'immeuble à usage d'habitation sis à [Localité 12], [Adresse 2], cadastré section A n°[Cadastre 4], n°[Cadastre 5], n°[Cadastre 6], n°[Cadastre 7] et n°[Cadastre 10], lieudit [Localité 13], pour avoir paiement de la somme de 43 802,30 euros. Ce commandement a été publié au Service de la Publicité Foncière de [Localité 11] 1 le 12 avril 2022 sous référence D03984 5504P31 S0009. Il a été dénoncé à Mme [Ab] [T] épouse [M] par acte d'huissier en date du 4 mars 2022.


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Par acte d'huissier en date du 19 mai 2022, dénoncé à Mme [B] [M] le 19 mai 2022, la SA CIC EST a fait assigner M. [Aa] [M] à l'audience d'orientation du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Verdun statuant en matière de saisie immobilière afin de voir notamment ordonner la vente forcée des biens saisis et mentionner qu'elle est titulaire d'une créance d'un montant de 43 802,30 euros.


La SA CIC EST s'est opposée à voir déclarer le bien insaisissable sur le fondement des articles L. 112-2, 7° et L. 112-3 du code des procédures civiles d'exécution🏛, à défaut de justifier d'une pathologie y afférent et d'un bien meuble ne pouvant être transporté dans un autre lieu ou de travaux d'adaptation des lieux indissociables du bien immobilier. Elle s'est prévalue d'un avis de valeur de 45 000 euros au 18 novembre 2021 justifiant de la nécessité de la saisie et de la mise à prix de 15 000 euros.


Les époux [M] ont conclu à l'insaisissabilité des biens saisis et au débouté des demandes, ainsi qu'à la condamnation de la SA CIC EST au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et atteinte à la dignité humaine.


Mme [B] [M] a fait état d'un lourd handicap ayant nécessité l'installation d'un lit médicalisé fait sur mesure, et les époux [M] ont indiqué que les objets indispensables à son handicap étaient intégrés à leur maison et étaient devenus des immeubles par destination, rendant le bien immobilier insaisissable. Les époux [M] se sont prévalus de l'inutilité de la saisie au regard de l'état de leur bien qui est inhabitable (absence d'assainissement, de douche et de baignoire, et présence de fuites en toiture et dans la plomberie), s'agissant d'un bien de faible valeur ne pouvant être saisi.



Par jugement en date du 9 mai 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Verdun statuant en matière de saisie immobilière a :


- rejeté la demande aux fins d'insaisissabilité du bien immobilier,

- rejeté la demande aux fins de mainlevée de la mesure d'exécution forcée pour inutilité,

- rejeté la demande d'indemnisation pour procédure abusive,

- constaté que les conditions des articles L. 311-2 et L. 311-6 du code des procédures civiles d'exécution🏛🏛 sont réunies,

- ordonné la vente forcée sur saisie immobilière des biens figurant au commandement de payer signifié à M. [U] [M] le 3 mars 2022, publié au Service de la Publicité Foncière de [Localité 11] 1 le 12 avril 2022 sous référence D03984, 5504P31 S 9 et dénoncé à son épouse par acte d'huissier en date du 4 mars 2022, à la requête de la SA CIC EST,

- mentionné le montant total de la créance du CIC EST à la date du 8 mars 2023 à hauteur de 42 836,07 euros, ainsi qu'il suit :

* principal : 33 000 euros,

* intérêts arrêtés au 8 mars 2023 : 9 450,93 euros,

* frais : 1 404,53 euros,

* acomptes reçus : 1 019,39 euros,

- dit que les intérêts dûs continueront à courir jusqu'à la distribution du prix de vente,

- fixé la date de la vente forcée à l'audience du jeudi 14 septembre 2023 à 11 heures 30,

- déterminé les modalités de visite de l'immeuble ainsi qu'il suit : visite organisée par la SELARL Jurisact, commissaire de justice, dans les 15 jours précédant la vente, pendant une durée de deux heures minimum, avec le concours d'un serrurier et de la force publique si nécessaire ,

- rejeté les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé qu'en application des dispositions combinées des articles R. 121-21 et R. 311-1 du code des procédures civiles d'exécution🏛🏛, le délai d'appel et l'appel lui-même n'ont pas d'effet suspensif,

- dit que les dépens seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.


Le juge de l'exécution a retenu que la maison des époux [M] n'était pas insaisissable du fait de la qualité de personne handicapée de Mme [M] et des objets en lien avec cette qualité. Il a jugé que la vente immobilière forcée ne constituait pas un abus de procédure et qu'elle était utile au regard du montant de la créance et de l'estimation du bien réalisée par les époux [M] entre 10 000 euros et 15 000 euros en tenant compte de l'ensemble des réparations à effectuer. Il a réduit le montant des frais exposés aux sommes justifiées. Il a ordonné la vente forcée à défaut de demande de vente amiable formée par les époux [M].


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Le 17 mai 2023, les époux [M] ont formé appel du jugement tendant à son infirmation en tous ses chefs critiqués.


Dans leurs dernières conclusions transmises le 24 août 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les époux [M], appelants, demandent à la cour :


- de juger leur appel recevable et bien fondé,

En conséquence,

- d'infirmer le jugement rendu entre les parties par le juge de l'exécution de Verdun en date du 9 mai 2023, en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau, sur le fondement des articles L. 112-2-7° et L. 112-3 du code des procédures civiles d'exécution, de l'article 22 de la loi n°491-650 du 9 juillet 1991, modifiée par la loi 92-644 du 13 juillet 1992, et des articles 1240 et suivants du code civil🏛,

- de juger insaisissable le bien dont ils sont propriétaires situé [Adresse 8] à [Localité 12],

- de débouter la SA CIC EST de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour déciderait d'autoriser la vente forcée sur le bien immobilier dont s'agit, sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui protège le droit au respect de l'intimité de la vie privée, et des articles 1414 et 1415 du code civil🏛🏛,

- de juger que s'agissant d'une dette professionnelle, seule la part indivise de M. [U] [M] peut être appréhendée,

- de condamner la SA CIC EST pour procédure abusive et atteinte à la dignité humaine, à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- de condamner la SA CIC EST à leur payer la somme de 4 000 euros au titre des frais de l'instance, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la SA CIC EST aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction est requise au profit de Me Fabrice Hagnier, avocat aux offres de droit.


Au soutien de leurs demandes, les époux [M] font valoir en substance :


- que selon les dispositions des articles L. 112-2-7° et L. 112-3 du code des procédures civiles d'exécution, ni les objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades, ni les immeubles par destination, ne peuvent être saisis ; que leur maison d'habitation doit être déclarée insaisissable en ce qu'elle est indispensable aux soins que justifient les nombreuses pathologies de Mme [M], lourdement handicapée, caractérisés par la présence d'un lit médicalisé réalisé sur mesure qui ne peut en être retiré ; que l'ampleur et le caractère onéreux de ce matériel ne permet pas de le déplacer en un autre lieu ; que les installations effectuées dans les sanitaires sont indissociables des murs de la maison (barres et largeurs d'espace) ;

- que ce bien de faible valeur ne peut être saisi selon l'article 22 de la loi n°491-650 du 9 juillet 1991 modifiée par la loi 92-644 du 13 juillet 1992, et qu'il appartient au juge de l'exécution d'ordonner la mainlevée de la vente qui est totalement inutile ; que le bien immobilier a été évalué par l'agence immobilière La Forêt à 10 000 euros, maximum 15 000 euros, compte tenu de son état déplorable confirmé par un devis de réparations à hauteur de 41 820 euros (état extérieur délabré, absence d'assainissement, fuite dans la plomberie et sur le toit, absence de douche et de baignoire) ; que l'acharnement de la SA CIC EST justifie l'allocation de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée sur le fondement de l'article 22 précité et des articles 1240 et suivants du code civil ;

- que la demande tendant à voir limiter la saisie à la part indivise de M. [U] [M], s'agissant d'une dette professionnelle, peut être rattachée aux demandes de première instance par un lien suffisant et tend à faire écarter les prétentions adverses, de sorte qu'elle est recevable à hauteur de cour ; que la protection du logement familial n'est opposable au créancier de l'un des époux que si la preuve est rapportée de l'accord de Mme [M] relativement à la souscription de la créance par son époux, selon les articles 1414 et 1415 du code civil ; qu'il ne s'agit pas d'une obligation relevant de l'article 220 du code civil🏛 ; que seul M. [U] [M] peut être qualifié de débiteur d'une créance professionnelle, qui ne peut engager la communauté des époux mais seulement la part indivise de M. [U] [M] sur le bien saisi ;

- que la saisie est diligentée à l'encontre de leur logement familial, ce qui caractérise un abus de saisie et une violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales protégeant le droit au respect de l'intimité de la vie privée.


Dans ses dernières conclusions transmises le 18 septembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA CIC EST, intimée, demande à la cour sur le fondement des articles R. 322-4, R. 322-5 et R. 322-26 du code des procédures civiles d'exécution🏛🏛🏛 :


- de déclarer l'appel formulé par les époux [M] mal fondé et de les en débouter,

- de dire et juger irrecevable comme nouvelle à hauteur d'appel la demande nouvelle tendant à voir seule la part indivise de M. [M] appréhendée,

En conséquence,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Verdun en date du 9 mai 2023,

- de renvoyer le dossier devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Verdun pour fixation d'une nouvelle date de vente forcée,

- de condamner solidairement, et subsidiairement in solidum, M. [U] [M] et MAbe [B] [M] née [T] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner solidairement, et subsidiairement in solidum, M. [U] [M] et MAbe [B] [M] née [T] aux entiers frais et dépens, en ce compris le timbre fiscal de 225 euros.


Au soutien de ses demandes, la SA CIC EST fait valoir en substance :


- que le bien saisi ne peut être déclaré insaisissable du fait de la qualité d'handicapé de Mme [M] et des objets en lien avec cette qualité ; que Mme [M] ne justifie pas souffrir de pathologies permettant l'application de l'article L. 112-2-7° du code des procédures civiles d'exécution, ni que le lit médicalisé évoqué (livré le 22 juin 2022) a été réalisé sur mesure et qu'il ne peut être transporté en un autre lieu ; qu'il ne s'agit pas d'un immeuble par destination ; que les époux [M] ne justifient pas de travaux réalisés dans l'immeuble saisi spécifiques à une situation de handicap (douche à l'italienne et barre de douche latérale) ;

- que la vente forcée n'est pas inutile en raison du faible prix ; qu'elle justifie d'une créance de 43 802,30 euros et d'une mise à prix de 15 000 euros pour une valeur vénale estimée à 45 000 euros suite à une visite du 18 novembre 2021 ; que cette voie d'exécution n'est pas abusive compte tenu de l'ancienneté de la créance et de plusieurs tentatives antérieures de voies d'exécution ayant permis de percevoir des versements à hauteur de 1 019,39 euros ; qu'au regard de la créance évaluée à 44 802,12 euros, la saisie immobilière à hauteur de 10 000 ou 15 000 euros permettrait de couvrir un tiers de la dette datant de plus de 15 ans ;

- que la demande nouvelle des époux [M] à hauteur de cour portant sur la nature professionnelle de la créance est irrecevable ; que sur le fond, le jugement du tribunal de commerce de Reims, confirmé en toutes ses dispositions, a jugé que l'exécution des condamnations prononcées à l'encontre de M. [U] [M] pouvaient intervenir sur l'ensemble des biens dépendant de la communauté matrimoniale des époux, ce qui a justifié l'inscription d'une hypothèque judiciaire définitive prise le 10 septembre 2020 sur ce fondement ; qu'il n'y a pas eu de déclaration d'insaisissabilité et que la protection du logement familial n'est pas opposable au créancier personnel de l'un des deux époux indivisaires qui peut agir au nom de l'époux endetté pour éviter le partage de l'indivision, même si cela entraine la vente du logement familial ; que la saisie est valable pour sa globalité.


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La clôture de l'instruction a été prononcée le 4 octobre 2023.



MOTIFS DE LA DECISION


Sur la saisissabilité du bien


L'article R. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution🏛 dispose que tous les biens mobiliers ou immobiliers, corporels ou incorporels appartenant au débiteur peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée ou d'une mesure conservatoire, si ce n'est dans les cas où la loi prescrit ou permet leur insaisissabilité.


Or, l'article L. 112-1, 7°, dudit code prévoit que ne peuvent être saisis les objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades, s'agissant d'un principe d'insaisissabilité absolue.


Mme [B] [T] épouse [M] fait valoir qu'en sa qualité de personne handicapée, le lit médicalisé réalisé sur mesure ainsi que les installations effectuées, nécessaires à ses pathologies, sont des immeubles par destination qui sont incorporés à l'immeuble saisi, ce qui a pour effet l'insaisissabilité de ce dernier.


Au contraire, la SA CIC EST conteste la qualité d'immeuble par destination du lit médicalisé, et indique que les époux [M] ne justifient pas de travaux réalisés dans l'immeuble saisi spécifiques à une situation de handicap.


En l'espèce, il y a lieu de constater au préalable que seul M. [U] [M] est propriétaire du bien saisi et qu'il revendique la qualité d'immeuble par destination du lit médicalisé sur mesure et des travaux entrepris, spécifiques à la situation de handicap de son épouse, afin de voir déclarer le logement familial insaisissable.


Or, il ressort des pièces versées en procédure par Mme [B] [T] épouse [M] qu'elle souffre d'arthrodèse lombaire et de fibromialgie justifiant le bénéfice d'une pension d'invalidité depuis le 1er juin 2012, ce qui atteste d'un handicap au regard des troubles de la marche et des douleurs diffuses en résultant.


En outre, Mme [Ab] [T] épouse [M] produit le bon de livraison et d'installation d'un lit médicalisé réalisé sur mesure le 28 juin 2022, s'agissant d'un lit avec barrières, potences, matelas et surmatelas, spécialement conçu aux dimensions prescrites.


De même, Mme [Ab] [T] épouse [M] justifie, par la production de photographies, de l'exécution de travaux réalisés dans l'immeuble saisi, selon un devis du 14 mai 2020 prévoyant la pose d'une ' douche à l'italienne ' avec une chaise de douche non fixée au mur, de même que d'une barre d'appui, et de toilettes avec cuvette surélevée.


Néanmoins, la preuve n'est pas rapportée que le lit médicalisé réalisé sur mesure (en considération des éléments physiques et du handicap de Mme [B] [M] ) ne peut être enlevé sans détérioration grave de l'immeuble, à l'instar de la barre de douche.


En outre, si les travaux d'aménagement de la salle de bains ont été financés par l'Agence nationale de l'habitat et demeureront incorporés à l'immeuble, en revanche, M. [U] [M] ne rapporte pas la preuve qu'il s'agit d'aménagements indispensables au handicap de Mme [B] [M] ou destinés à des soins liés à sa pathologie.


En effet, le premier juge a retenu à juste titre que les photographies ne démontraient pas que la salle de bains bénéficiait d'une installation sanitaire spécifique au handicap de Mme [B] [M].


Dans ces conditions, M. [U] [M] ne peut utilement se prévaloir de l'insaisissabilité de l'immeuble saisi au motif que les objets et aménagements réalisés dans les lieux saisis sont indispensables au handicap de Mme [B] [M], et constituent des immeubles par destination.


Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.


Sur l'inutilité ou le caractère abusif de la saisie


L'article L. 111-7 du code des procédures civile d'exécution🏛 dispose que ' le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance. L'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation. '


Aussi, l'article L. 121-2 dudit code prévoit que le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.


Aussi, il appartient à M. [Aa] [M] qui poursuit la mainlevée de la mesure de saisie immobilière d'établir qu'elle doit être considérée comme inutile, en ce qu'elle n'est pas nécessaire au recouvrement.


Au préalable, il y a lieu de constater que le jugement d'orientation déféré a mentionné le montant de la créance détenue par la SA CIC EST à hauteur de 42 836,07 euros au 8 mars 2023.


Or, le montant de la mise à prix du bien saisi fixé au cahier des conditions de vente à hauteur de 15 000 euros n'excède pas le montant de la valeur vénale du bien retenu entre 10 000 et 15 000 euros selon l'attestation de l'agence immobilière Laforêt établie le 5 août 2020 en considération de la nécessité d'entreprendre des travaux.


Aussi, la saisie pratiquée n'excède pas ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le recouvrement de sa créance.


En outre, le premier juge a relevé à juste titre que la créance de la SA CIC EST est très ancienne et que les tentatives d'exécution forcée réalisées en 2008 (deux saisies-vente, une saisie-attribution et une requête aux fins de saisie des rémunérations), 2018 (itératif commandement aux fins de saisie vente) et 2020 (requête en saisie des rémunérations) n'ont permis la saisie que d'une somme de 1 019,39 euros.


Aussi, la mesure de saisie immobilière est justifiée par la sauvegarde des droits de la SA CIC EST au regard de la résistance de M. [U] [M].


Par ailleurs, la SA CIC EST, créancière de M. [U] [M], propriétaire du bien saisi affecté au logement familial, peut inscrire une hypothèque judiciaire, puis saisir et faire vendre ledit bien, sans que son conjoint, non propriétaire, ne puisse s'y opposer en arguant de la destination familiale du bien.


En effet, le fait que le bien assure le logement familial est sans incidence sur le droit du créancier de mettre en oeuvre une saisie immobilière, car l'indisponibilité du bien n'emporte pas son insaisissabilité.


Au surplus, si l'article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, en revanche, le paragraphe 2 précise qu'une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit peut être prévue par la loi si elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.


Or, la recherche de la vente forcée du logement familial par le créancier poursuivant constitue une ingérence dans le droit au respect des biens du débiteur saisi qui poursuit un but légitime d'utilité publique, à savoir la satisfaction des créances pécuniaires de son créancier.


En outre, cette ingérence ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, en ce que les procédures applicables offrent à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis.


En effet, le juge de l'exécution peut être saisi de contestations et demandes incidentes lors de la mise en oeuvre de la procédure de saisie immobilière, portant notamment sur les conditions de validité de la saisie, la validité du titre exécutoire, la validité des déclarations de créance, la propriété de l'immeuble saisi, le quantum de la créance, la demande de vente amiable et la mise à prix de l'immeuble par rapport à sa valeur vénale.


Aussi, le débiteur saisi dispose d'un recours juridictionnel lui permettant de contester le commandement aux fins de saisie immobilière portant sur le logement familial selon une procédure contradictoire conforme aux exigences du procès équitable, de sorte qu'aucun abus de saisie n'est caractérisé sur ce fondement.


Dans ces conditions, le caractère inutile ou abusif de la saisie immobilière n'est pas établi, de sorte que les époux [M] ne peuvent utilement solliciter la mainlevée de la mesure d'exécution forcée, ni l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'abus de saisie et du caractère abusif et injustifié de la procédure.


Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.


Sur la limite du droit de gage du créancier poursuivant


Il résulte de l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution🏛 que les contestations et demandes incidentes soulevées après l'audience d'orientation ne sont recevables que si elles portent sur des actes de la procédure de saisie immobilière postérieurs à cette audience ou si, nées de circonstances postérieures à celle-ci, elles sont de nature à interdire la poursuite de la saisie.


En effet, les dispositions relatives aux demandes nouvelles en appel prévues par le code de procédure civile ne s'appliquent pas à la procédure de saisie immobilière régie exclusivement par l'article R. 311-5 code des procédures civiles d'exécution.


Pour autant, la règle de l'irrecevabilité des contestations formulées pour la première fois en appel ne s'applique que si le débiteur a été régulièrement assigné à l'audience d'orientation.


En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que les époux [M], régulièrement convoqués à l'audience d'orientation, ont été représentés en première instance.


Or, ils soutiennent pour la première fois à hauteur de cour une contestation tendant à voir limiter la saisie à la part indivise de M. [U] [M], au motif que la créance détenue par la SA CIC EST est de nature professionnelle et ne pouvait engager la communauté des époux.


Cependant, cette contestation ne porte pas sur des actes de la procédure de saisie immobilière postérieurs à l'audience d'orientation.


De même, les époux [M] ne font état à ce titre d'aucune circonstance postérieure à l'audience d'orientation de nature à interdire la poursuite de la saisie.


Au surplus, il y a lieu de constater que le bien saisi est un bien propre à M. [U] [M], et que le jugement du tribunal de commerce de Reims du 24 octobre 2006, confirmé en toutes ses dispositions par arrêt en date du 28 janvier 2008, a expressément et définitivement jugé, en tout état de cause, que les condamnations pourront être exécutées sur l'ensemble des biens dépendant de la communauté matrimoniale des époux.


Dans ces conditions, la contestation présentée par les époux [M] doit être déclarée irrecevable à hauteur de cour.


Sur les demandes accessoires


Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.


Les époux [M] qui succombent à hauteur de cour seront condamnés aux dépens d'appel, comprenant le coût du timbre fiscal, et déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.


Eu égard à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :


LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,


CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,


Y ajoutant,


DECLARE irrecevable la contestation formée à hauteur de cour portant sur la limite du droit de gage du créancier poursuivant,


DEBOUTE les époux [M] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,


DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,


CONDAMNE les époux [M] in solidum aux dépens.


Le présent arrêt a été signé par Monsieur MARTIN, président de chambre à la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame Christelle CLABAUX-DUWIQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Minute en onze pages.

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Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

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Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.