Lexbase Droit privé n°527 du 16 mai 2013 : Procédure civile

[Jurisprudence] Le déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état fait obstacle au pourvoi en cassation contre cette décision

Réf. : Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-14.939, F P+B+I (N° Lexbase : A9961KBK)

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France

le 16 Mai 2013

Le déféré est un recours particulier contre certaines ordonnances du conseiller de la mise en état (CME), dont la procédure est peu développée dans le Code de procédure civile et soulève des incertitudes. L'arrêt du 10 avril 2013 apporte des précisions importantes sur la ventilation des recours contre les décisions du CME. L'article 916, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0410IGB) dispose par principe que "les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond". Cela signifie concrètement que ces ordonnances peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation concomitamment à l'arrêt au fond de la cour d'appel. Ce principe est la conséquence d'un principe plus général d'irrecevabilité des recours immédiats des décisions de nature procédurale. Il s'applique également aux décisions du juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 776 N° Lexbase : L7010H7R).

Toutefois, l'article 916, alinéa 2, dispose par exception que certaines décisions du CME peuvent être "déférées par simple requête à la Cour dans les quinze jours de leur date". Ces décisions sont les suivantes :

- celles qui ont pour effet de mettre fin à l'instance ou constater son extinction ;

- celles qui ont trait aux mesures provisoires dans la procédure de divorce ou de séparation de corps ;

- celles qui statuent sur une exception de procédure ou un incident mettant fin à l'instance.

Et depuis l'entrée en vigueur des décrets du 9 décembre 2009 et 28 décembre 2010 qui ont réformé la procédure d'appel :

- celles qui statuent sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou de la caducité de celui-ci ;

- celles qui prononcent l'irrecevabilité des conclusions.

La question soulevée par l'arrêt du 10 avril 2013. L'article 916 du Code de procédure civile fait donc apparaître un double régime de recours dont la coordination n'est pas évidente. Dans l'arrêt commenté, un litige était apparu à propos d'un bail entre le propriétaire et la société locataire. Toutefois, un doute était né sur l'identité du défendeur et le propriétaire avait agi en première instance, puis formé appel, contre deux sociétés distinctes "Numéricable" et "NC numéricable". Le CME avait déclaré recevable l'appel contre le premier intimé et irrecevable l'appel contre le second. L'un des deux appels ayant été déclaré recevable, l'affaire fut examinée au fond par la cour d'appel. Le propriétaire forma alors un pourvoi en cassation, à la fois contre la décision d'irrecevabilité du second appel et contre la décision au fond de la cour d'appel (premier appel).

La situation qui se présentait à la Cour de cassation était atypique. En effet, dans l'hypothèse où le CME prononce l'irrecevabilité de l'appel, la cour d'appel ne statue pas au fond dans la même instance. La décision du CME met fin au litige. En revanche, dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, le CME s'était prononcé sur deux appels formés contre deux intimés différents. Ainsi, deux procédures différentes étaient soumises à la Cour de cassation : un pourvoi contre l'arrêt au fond et un autre pourvoi contre la décision du CME déclarant irrecevable l'un des deux appels. La question se posait de savoir si ces deux pourvois étaient recevables devant la Cour de cassation.

A la lecture de l'article 916, alinéa 1er, on aurait pu penser que la décision du CME avait fait l'objet d'un recours différé corrélativement à la décision au fond et que ce pourvoi était recevable en application du principe général énoncé ci-dessus. Toutefois, la Cour de cassation juge en sens contraire que "les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ont autorité de chose jugée au principal et, en ce cas, peuvent être déférées par simple requête à la cour d'appel dans les quinze jours de leur date". La Cour de cassation déduit ce principe de la combinaison des articles 914, alinéa 2 (N° Lexbase : L0168IPW), et 916, alinéa 2, du Code de procédure civile. Elle en tire une conséquence importante : l'ordonnance du CME ayant prononcé l'irrecevabilité de l'appel était irrévocable et le pourvoi formé contre cette ordonnance était irrecevable, même s'il avait été interjeté concomitamment à la décision au fond.

L'apport direct de l'arrêt. Cette irrecevabilité du pourvoi en cassation constitue un apport important au régime du déféré. D'une part, la Cour de cassation tire les conséquences de la réforme de la procédure d'appel qui accorde l'autorité de la chose jugée aux ordonnances du CME qui statuent sur une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 914, alinéa 2). Il s'agit ici d'une remise en cause de la jurisprudence antérieure, qui jugeait que la décision du CME sur la recevabilité de l'appel pouvait être réexaminée devant la formation collégiale de la cour d'appel même en l'absence de déféré (1). Ainsi, avant la réforme de 2009, le plaideur qui avait laissé passer le délai du déféré pouvait remettre en cause une décision du CME sur la recevabilité de l'appel devant la cour d'appel au moment de l'audience sur le fond du litige. Cette prérogative est désormais révolue.

D'autre part, en interdisant le pourvoi en cassation contre la décision du CME, même lorsqu'il est interjeté concomitamment à la décision au fond, la Cour de cassation fait du déféré la seule voie de recours contre une ordonnance statuant sur la recevabilité de l'appel. Ce faisant, la Cour de cassation ajoute une précision à l'article 916, alinéa 2, du Code de procédure civile. En effet, cet article prévoit simplement que certaines décisions du CME "peuvent être déférées" à la cour d'appel. La Cour de cassation précise que les décisions du CME revêtues de l'autorité de la chose jugée peuvent uniquement être déférées à la cour d'appel, à l'exclusion de toute autre voie de recours formée immédiatement ou concomitamment à la décision au fond. En d'autres termes, le déféré est un passage obligé pour attaquer une décision du CME ayant autorité de la chose jugée. Le plaideur qui attend la décision au fond perd l'opportunité de porter cette question devant la Cour de cassation. C'est bien le sens de la décision commentée. La Cour de cassation affirme ainsi que "le pourvoi |contre la décision du CME, ndlr], fût-il formé avec celui dirigé contre l'arrêt au fond, est irrecevable".

L'apport indirect de l'arrêt sur la nature du déféré. Indirectement, l'arrêt commenté semble modifier la nature du déféré. Jusqu'à présent, certains auteurs considéraient que l'instance née du déférée était la même que celle poursuivie devant le CME (2). Autrement dit, le déféré ne faisait pas naître une nouvelle instance. Cette interprétation ne s'accorde pourtant pas avec l'arrêt du 10 avril 2013. En effet, la Cour de cassation fait application des articles 914, alinéa 2, et 916, alinéa 2, du Code de procédure civile, "en leur rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2011". Ainsi, la Cour de cassation applique au litige la réforme de la procédure d'appel issue des décrets de 2009 et 2010 (3). Toutefois, comme l'a remarqué un auteur (4), les dispositions transitoires de ces décrets prévoyaient une application de la nouvelle procédure "aux appels formés à compter du 1er janvier 2011". Or, dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, l'appel datait de 2009. Les nouvelles dispositions n'auraient pas dû s'appliquer au litige. Toutefois, la procédure de référé était postérieure au 1er janvier 2011. Dans l'arrêt étudié, tout se passe comme si la Cour de cassation avait traité l'instance sur le déféré comme une instance indépendante et qu'elle avait appliqué à cette instance la nouvelle procédure d'appel. Cette interprétation n'est pas évidente dans l'arrêt et, en tout état de cause, la décision de la Cour de cassation n'est pas conforme aux dispositions transitoires du décret du 9 décembre 2009 (5). Toutefois, cet arrêt s'intègre dans un mouvement jurisprudentiel plus général qui tend à traiter le déféré comme un recours de droit commun similaire à un appel et qui crée une instance dérivée dans la procédure d'appel. Par exemple, dans un arrêt du 3 mars 1992 (6), la Cour de cassation avait jugé que le déféré n'avait pas le caractère d'un appel, et elle avait admis en conséquence que le CME dont la décision était attaquée siège ensuite dans la formation collégiale de la Cour d'appel statuant sur le déféré. Toutefois, la Cour de cassation juge désormais que le CME ne peut siéger dans la formation de la cour d'appel qui statue sur le déféré de sa décision (7). Si la nouvelle solution découle logiquement du procès équitable, elle tend également à traiter le déféré commun un recours de droit commun et elle va donc dans le sens d'une instance autonome. On attendra de voir, avec la réforme de la procédure d'appel, si cette tendance jurisprudentielle se confirme.


(1) Cass. civ. 2, 20 juillet 1987, n° 86-13.244 (N° Lexbase : A8608AHB), D., 1988, 128, note Remy.
(2) L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Lexisnexis, 7ème éd., 2011, n° 779, p. 720.
(3) Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW) ; décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010, modifiant la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L9934INA).
(4) Ch. Laporte, Déféré : application immédiate du décret Magendie, JCP éd. G, 2013, 461.
(5) Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, art. 15, al.2.
(6) Cass. civ. 1, 3 mars 1992, n° 90-11.088 (N° Lexbase : A4996AHI), JCP éd. G, 1993, II, 21977, note du Rusquec.
(7) Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-14.004, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8946EKK), JCP éd. G, 2010, 551, n° 21, obs. S. Amrani-Mekki.

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