Lexbase Public n°220 du 27 octobre 2011 : Finances publiques

[Evénement] L'équilibre des finances publiques dans l'espace et le temps

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 27 Octobre 2011

Le 30 septembre 2011 était organisée, au Palais du Luxembourg, une conférence sur le thème "Constitution et équilibre des finances publiques, un débat d'avenir" par l'association pour la Fondation internationale des finances publiques (Fondafip). Cette problématique est devenue de plus en plus prégnante du fait des développements récents de la crise financière qui a débuté en 2008 aux Etats-Unis avec le phénomène des subprimes. En effet, les Etats occidentaux se trouvent maintenant surendettés après avoir volé au secours de leurs systèmes bancaires respectifs alors à la limite de la faillite, problème auquel le sommet européen des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne qui s'est tenu à Bruxelles le 26 octobre 2011 a essayé de remédier. Ce surendettement menace dorénavant directement la souveraineté des Etats, qui sont désormais totalement dépendants des marchés financiers pour financer leurs dépenses courantes, ce qui influe inévitablement sur les politiques conduites au niveau national. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2012 présenté en Conseil des ministres du 28 septembre 2011, qui prévoit la suppression de plus de 30 000 emplois de fonctionnaires, et une première baisse des dépenses de personnel de l'Etat depuis 1945. La première conférence de la journée, consacrée à "l'équilibre des finances publiques dans l'espace et le temps" et à laquelle Lexbase Hebdo - édition publique a assisté et vous propose ici le compte-rendu, a permis aux divers intervenants de développer cette thématique, à l'heure où l'adoption d'une hypothétique "règle d'or" via le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques adopté par l'Assemblée nationale le 13 juillet 2011, donne l'occasion à la classe politique française de "se déchirer" une fois de plus, alors que pour la première fois, la part du budget de la France allouée aux paiement des intérêts de la dette sera supérieure à celle du premier poste de la nation, à savoir l'Education nationale. - Un principe ancré dans l'histoire constitutionnelle et financière

En guise d'introduction, Bertrand Mathieu, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et président de l'Association française de droit constitutionnel (AFDC), rappelle que les principes économiques n'ont jamais été très éloignés du texte de la Constitution. L'on peut citer l'intégration des principes considérés "comme particulièrement nécessaires à notre temps" intégrés au bloc de constitutionnalité avec la décision du 15 janvier 1975, sur l'interruption volontaire de grossesse (Cons. const., décision n° 74-54 du 15 janvier 1975 N° Lexbase : A7569AHS), parmi lesquels l'on retrouve, notamment, le droit à la participation et à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu'à la gestion des entreprises et la nationalisation des services publics nationaux ou des monopoles de fait. En outre, l'adoption des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité sociale est soumise à une procédure déterminée par l'article 47 de la Constitution (N° Lexbase : L0873AHS). Le Conseil constitutionnel apprécie, également, la constitutionnalité des lois de finances, lorsque celles-ci lui sont déférées par un minimum de soixante députés ou sénateurs, censurant fréquemment les "cavaliers" budgétaires ; les Sages se montrant particulièrement sourcilleux vis-à-vis du respect du principe de sincérité. De même, la loi organique relative aux lois de finances (loi organique n° 2001-692, 1er août 2001, relative aux lois de finances N° Lexbase : L1295AXA) dite "LOLF", véritable "constitution financière de l'Etat", a été déférée par deux fois aux Sages, en 2001 puis en 2005. Enfin, le principe d'équilibre des finances publiques a acquis une valeur constitutionnelle depuis la révision du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK), laquelle a déjà inscrit dans l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) "l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ", et prévu que "les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation". Il est, d'ailleurs, à noter que le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques prévoit de remplacer les lois de programmation des finances publiques par des lois-cadres d'équilibre des finances publiques qui auraient une portée plus contraignante via la fixation de "normes d'évolution" des finances publiques.

Toutefois, en dépit d'un très large consensus du Parlement et des réels progrès accomplis grâce à la "LOLF" du 1er août 2001, puis par la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale (loi n° 2005-881 du 2 août 2005 N° Lexbase : L5011HGP), dite "LOLFSS", un certain nombre de difficultés persiste. L'on peut citer la portée limitée du contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois financières, l'insuffisance des moyens propres à garantir leur sincérité (1), ou encore l'indétermination de la date à laquelle l'objectif d'équilibre doit être atteint. Par ailleurs, Bertrand Mathieu souligne, également, que la mise en place de la fameuse "règle d'or" présente le risque d'un carambolage entre le Parlement chargé de voter le budget et le juge constitutionnel éventuellement en charge de le censurer en cas de déséquilibre des comptes publics ; ceci pose évidemment la question de la légitimité de ce juge par rapport aux élus issus du suffrage universel. Cela pourrait donner, en outre, aux juges, des pouvoirs d'appréciation discrétionnaire les conduisant inévitablement à se prononcer en opportunité (2). Poursuivant dans cette idée, Dominique Rousseau, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, souligne que l'équilibre des finances publiques n'est pas forcément un sujet en rapport avec le texte suprême, et que ce dernier encourt, ainsi, un risque de dévalorisation. En outre, aucun élément n'est de nature à assurer que la "règle d'or" sera réellement appliquée. L'on peut ajouter que la "règle d'or" existe déjà, puisque depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 34 de la Constitution énonce que "les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques". Par ailleurs, le fait que les lois de finances et les lois de financement de la Sécurité sociale se voient attribuer une compétence législative exclusive en matière fiscale et de cotisations sociales, comme le prévoit le projet de loi, empêcherait la tenue d'une véritable discussion parlementaire, sur la réforme d'une politique publique, et, plus particulièrement sur les coûts ou économies à réaliser.

Enfin, plus prosaïquement, les électeurs, à la suite de l'adoption de ce principe, pourraient avoir l'impression de voir leur vote se démonétiser puisque, quelle que soit la majorité choisie, celle-ci devra forcément se plier au carcan budgétaire imposé, ce qui ne manquera pas d'influer sur l'élaboration des programmes politiques, ainsi que sur leur application. En outre, ajoute Alain Delcamp, secrétaire général du Sénat, si l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1361A9B), aux termes duquel "tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée", rend le Parlement seul compétent pour établir ou lever de nouveaux impôts, en revanche, le respect de l'équilibre des finances publiques ne relève pas forcément de sa compétence, ni même de sa culture politique. Ainsi, durant la période ayant vu la naissance de l'Etat moderne jusqu'à l'avènement du keynésianisme, à savoir de 1814 jusqu'à 1930, il rappelle que, sur 115 budgets votés, les deux tiers ont été exécutés en déséquilibre. Le "laxisme" budgétaire actuel est donc, n'en déplaise à certains de ses contempteurs, un phénomène récurrent depuis l'avènement de la République en France. La seule période de vertu budgétaire a, ainsi, correspondu avec l'âge d'or économique gaulliste et pompidolien, lequel a pris fin avec le premier choc pétrolier de 1973, le dernier budget voté à l'équilibre datant de 1974. L'on est donc plus en présence d'une "mystique de l'équilibre" que d'une existence concrète de celui-ci. Ainsi, tous les outils déployés par les gouvernants, récemment la loi de programmation des finances publiques, induite par la révision constitutionnelle de 2008, sont, pour l'instant, restés sans réelle efficacité.

La raison essentielle de ce relatif échec constaté jusqu'à présent tient au fait que le sujet recouvre à la fois la souveraineté de l'Etat et l'efficience du rôle joué par les élus désignés par le suffrage universel, à qui les électeurs ont confié la mission d'une bonne administration des biens de la nation. Ainsi, comme le souligne Charles Waline, conseiller des services du Sénat, il reste aujourd'hui extrêmement difficile de trouver un chiffre cohérent du déséquilibre budgétaire, les chiffres communiqués par les pouvoirs publics ne prenant pas en compte, par exemple, les montants des retraites à venir des fonctionnaires. En outre, la France possède déjà de nombreuses règles budgétaires de portée inégale (3), qu'elles proviennent des engagements communautaires, de la Constitution, des lois de finances, de la loi de programmation 2009-2012 ou 2011-2014, ou d'autres règles sans valeur normative réelle comme, par exemple, la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. L'on est donc face à un véritable maquis de normes qui rend un éventuel retour à l'équilibre d'autant plus problématique.

- L'équilibre et les budgets des collectivités locales

Cet enchevêtrement de règles a, également, une traduction au niveau local, car comme le rappelle Eric Oliva, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, l'équilibre des finances publiques locales est un principe intangible de l'administration des collectivités, depuis l'arrêté du 4 thermidor an X, qui met les chemins vicinaux à la charge des communes jusqu'à l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances ([LXB=L5337AGR)]). En effet, les collectivités territoriales sont soumises au principe édicté par l'article L. 1612-4 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8446AA3), qui interdit le recours à l'emprunt pour financer des dépenses de fonctionnement. L'on peut mentionner, en outre, les règles garantissant l'autonomie financière des collectivités territoriales, introduites par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République (N° Lexbase : L8035BB9) à l'article 72-2 de la Constitution (N° Lexbase : L8824HBG). Reste à savoir si, comme le souligne Eric Oliva, les concepts de libre administration de ces collectivités et d'obligation d'équilibre de leurs finances ne sont pas contradictoires. Cependant, compte tenu des graves dysfonctionnements parfois constatés au niveau local, une réforme rapide du contrôle budgétaire dans les cas de situations financières très dégradées de collectivités territoriales semble s'imposer petit à petit, de même qu'un mécanisme de sanction à l'égard des élus refusant toute mesure de redressement. Ainsi, dans son rapport 2009 (4), dans lequel un chapitre était consacré à la gestion calamiteuse de la commune de Pont-Saint-Esprit, la Cour des comptes citait en mauvais exemple les graves dérives et les agissements de son maire. Les collectivités territoriales, majoritairement dirigées en France par l'opposition politique, accusent régulièrement le Gouvernement de leur transférer des compétences sans leur allouer les moyens leur permettant d'y faire face (voir Cons. const., décisions du 30 juin 2011, n° 2011-142/145 QPC N° Lexbase : A5587HUH, n° 2011-143 QPC N° Lexbase : A5588HUI, et n° 2011-144 QPC N° Lexbase : A5589HUK) concernant le concours de l'Etat au financement par les départements du RMI, du RMA et du RSA.

- La règle de l'équilibre au niveau international

"Plus c'est local, plus c'est universel", disait Jean Renoir. Qu'en est-il donc de la règle de l'équilibre au niveau international ? Parmi les vingt-sept Etats membres de l'Union européenne, seuls trois d'entre eux (Allemagne, Italie et Pologne) disposent de règles budgétaires de valeur constitutionnelle. Benoît Jean-Antoine, Maître de conférences à l'Université de Rouen, rappelle que le cas allemand, fréquemment cité en exemple, n'est pas à proprement parler bâti sur une règle d'or, mais, plus particulièrement, sur la notion de "frein à l'endettement" (Schuldenbremse). Ce "frein" consiste en une limitation du déficit structurel fédéral à un maximum de 0,35 % du produit intérieur brut et une obligation d'équilibre du budget des Länder à l'horizon 2020. Cependant, le fait même qu'une règle de bonne gestion des finances publiques soit inscrite dans les textes nationaux n'est pas synonyme de gouvernance rigoureuse en toutes circonstances. En témoigne l'abandon par le Royaume-Uni en 2008, au moment où la crise des subprimes commençait à toucher l'Europe, de la "règle de l'investissement soutenable" (sustainable investment rule) limitant à 40 % du produit intérieur brut la dette publique nette. Il fut suivi par six autres pays (Estonie, Finlande, Pays-Bas, Hongrie, Lituanie et Espagne) qui durent supprimer ou suspendre certaines de leurs règles budgétaires nationales "parce qu'elles n'étaient pas suffisamment flexibles ou que la réponse à la crise était en conflit avec la règle" (5).

Ainsi donc, tout semble question de volonté politique et aucune règle, fût-elle gravée dans la partie supérieure de l'équilibre normatif, ne peut permettre de palier à une déficience de celle-ci. Dans le cas même de règles gravées dans la Constitution comme en Allemagne, il est prévu de tenir compte des circonstances internationales. Ainsi, en cas d' "évolution anormale de la conjoncture" et d' "évolution de la conjoncture s'écartant de la situation normale", les mesures restrictives pourront être évitées afin d'éviter une spirale récessive. Un autre volet intéressant de ce sujet concerne l'inévitable affrontement entre Etat central et provinces. Ainsi, la "règle d'or" en vigueur en Italie, consistant en une limitation du recours à l'emprunt au financement de l'investissement, ne s'applique qu'aux communes, provinces et régions.

Au final, l'on peut donc rappeler que l'objectif de réduction des déficits publics doit s'opérer en concordance avec le respect des droits du Parlement et du choix des citoyens. En outre, aucune règle ne permettra par elle-même d'assurer le respect des règles existantes, tel le critère européen de déficit inférieur à 3 % du produit intérieur brut et de 60 % du PIB pour la dette publique brute, alors que le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques ne s'appliquera qu'à compter de 2013, et s'imposera donc, éventuellement à une autre majorité politique que celle l'ayant adopté.


(1) M. Camdessus, Réaliser l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques, La Documentation française, Juin 2010.
(2) A.-M. Le Pourhiet, L'équilibre des finances publiques dans la Constitution, Le Monde, 6 avril 2011 ; lire L'inscription dans la Constitution de l'équilibre des finances publiques : impératif économique et moral ou simple illusion ?, Lexbase Hebdo n° 198 - édition publique (N° Lexbase : N0587BSK).
(3) J.-L. Warsmann, Rapport fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques.
(4) Cour des comptes, Rapport public annuel 2009.
(5) F. Huart, Le débat sur les règles de politique budgétaire, Les Cahiers français, 2010, n° 359, p. 89.

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