Lexbase Public n°220 du 27 octobre 2011 : Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Octobre 2011

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N8443BSI

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public

le 27 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). La chronique d'actualité des contrats publics en droit interne met l'accent sur deux décisions. La première décision précise les conditions de l'articulation entre le référé précontractuel et le référé contractuel (CE 2° et 7° s-s-r., 30 septembre 2011, n° 350148, publié au recueil Lebon). Le Conseil d'Etat indique que, faute d'avoir été informé par le requérant de l'exercice d'un référé contractuel, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu par l'obligation de suspension de la signature du contrat posée par l'article L. 551-4 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1601IEZ). Le référé contractuel exercé par la suite par le concurrent évincé était donc irrecevable. La seconde décision traite de l'intéressante question du contenu des spécifications techniques dans les marchés publics. S'agissant d'un marché public de services, le juge administratif considère que le pouvoir adjudicateur peut faire mention d'un logiciel informatique déterminé, dès lors qu'il est libre et qu'il peut donc être utilisé, voire même modifié, par plusieurs opérateurs économiques (CE 2° et 7° s-s-r.., 30 septembre 2011, n° 350431, publié au recueil Lebon).
  • Irrecevabilité du référé contractuel faisant suite à un référé précontractuel non notifié au pouvoir adjudicateur par le requérant (CE 2° et 7° s-s-r., 30 septembre 2011, n° 350148, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1556HYB)

L'articulation entre le référé contractuel de l'article L. 551-14 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1603IE4) et le référé précontractuel de l'article L. 551-1 du même code (N° Lexbase : L1591IEN), institué par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), pose de nombreuses questions qui n'ont pas manqué d'alimenter le contentieux administratif et la une des revues juridiques au cours des deux dernières années (1).

Comme chacun sait, la succession des deux référés est par principe interdite (CJA, art. L. 551-14). Mais ce principe comporte trois exceptions, deux posées par le Code de justice administrative et une troisième, ajoutée par la jurisprudence administrative. Un référé contractuel est, tout d'abord, possible lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension automatique de la signature du contrat qui commence à courir à compter de la saisine du juge des référés précontractuels et qui prévaut jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle au pouvoir adjudicateur. De la même façon et fort logiquement, le référé contractuel est recevable lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté l'ordonnance rendue par le juge des référés précontractuels. A ces deux exceptions textuelles, il faut ajouter une dérogation d'origine jurisprudentielle consacrée par l'arrêt "France Agrimer" (2). Selon cette décision, le concurrent évincé peut parfaitement exercer un référé contractuel, après avoir introduit un référé précontractuel, dès lors "qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0165IRKqui prévoit l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours, réduit à onze jours dans le cas d'une transmission électronique, entre cette notification et la conclusion du marché".

Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, l'absence de notification de la part du pouvoir adjudicateur autorise donc le concurrent évincé à exercer un référé contractuel. Cette jurisprudence "France Agrimer" a été prolongée par un arrêt du 24 juin 2011 (3) qui a précisé que le concurrent évincé qui avait été informé dans les délais du rejet de son offre et qui avait donc pu exercer un référé précontractuel était, toutefois, recevable à prolonger ce dernier par un référé contractuel lorsque le pouvoir adjudicateur ne l'a pas informé précisément du délai à partir duquel le contrat pourrait être signé. Il incombe, désormais, au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats non retenus du délai de suspension qu'il entend s'imposer entre la date d'envoi de la notification du rejet de l'offre et la conclusion du marché. Précisant encore la jurisprudence "France Agrimer", un arrêt du 2 août 2011 (4) a ajouté que la computation du délai de standstill s'opérait de date à date, ce qui signifie donc concrètement que ce délai commence à courir à compter du jour de l'envoi de la notification du rejet de l'offre présentée par le concurrent évincé.

L'arrêt n° 350148 du 30 septembre 2011 apporte une nouvelle et précieuse indication quant à l'articulation des deux référés précontractuel et contractuel. Dans la présente espèce, une commune avait engagé une procédure adaptée pour la passation d'un marché à bons de commandes portant sur le nettoyage de réseaux de soufflage et de dégraissage de hottes et ventilations de plusieurs bâtiments municipaux. La société X avait remis, le 28 février 2011, une offre dont la commune avait demandé le détail par courriers des 3 et 24 mars 2011, en raison d'un prix très inférieur à l'estimation du marché. Cette offre a ensuite été écartée, malgré les éléments de réponse fournis par la société, au motif qu'elle était anormalement basse. La société a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande en référé précontractuel le 6 mai 2011, oubliant, toutefois, de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. Par un mémoire en défense du 20 mai 2011, la commune a informé le juge des référés que le contrat avait été signé le 10 mai 2011, jour de la communication de la requête de la société à la commune par le greffe du tribunal administratif. Refusant de rendre les armes, la société a alors changé son fusil d'épaule en présentant des conclusions sur le fondement de l'article L. 551-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1581IEB) (c'est-à-dire du référé contractuel) dans son mémoire en réplique. Le juge des référés du tribunal administratif a prononcé le non-lieu sur la demande en référé précontractuel, et a fait droit à son référé contractuel en annulant le contrat.

Saisi en tant que juge de cassation, il appartenait au Conseil d'Etat de régler la question suivante : l'exercice d'un référé contractuel était-il possible lorsque le requérant avait précédemment présenté un référé précontractuel sans le notifier au pouvoir adjudicateur ? Plus précisément, pouvait-on considérer que le pouvoir adjudicateur avait méconnu l'obligation de suspension de la signature du contrat posée par l'article L. 551-4 du Code de justice administrative (suspension qui vaut à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle), alors qu'il n'avait pas été informé par le concurrent évincé qu'il avait saisi le juge des référés d'un référé précontractuel ?

Le Conseil d'Etat répond par la négative. La lettre et l'esprit du Code de justice administrative impliquaient une telle solution. N'oublions pas, en effet, que l'article R. 551-1 de ce code (N° Lexbase : L9813IE8), relatif à la mise en oeuvre du référé précontractuel, dispose que "l'auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur. Cette notification doit être faite en même temps que le dépôt du recours et selon les mêmes modalités. Elle est réputée accomplie à la date de sa réception par le pouvoir adjudicateur". Par ailleurs, cette obligation de notification remplit une fonction bien précise. Elle permet d'informer le pouvoir adjudicateur de ce qu'un référé précontractuel a été exercé et qu'il est donc tenu de respecter la suspension de la signature du contrat jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle (CJA, art. L. 551-4). Dès lors que la commune était dans l'ignorance du référé précontractuel, il ne pouvait pas lui être raisonnablement reproché d'avoir signé le contrat avant l'intervention de la décision du juge du référé précontractuel. La commune n'était donc pas en situation de violation caractérisée et volontaire de l'article L. 551-4 et la société évincée ne pouvait donc pas poursuivre son action sur le terrain du référé contractuel.

  • Les spécifications techniques dans les marchés publics de services : la mention d'un logiciel déterminé est possible (CE 2° et 7° s-s-r.., 30 septembre 2011, n° 350431, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1558HYD)

Selon l'article 6 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2695ICS), "les prestations qui font l'objet d'un marché ou d'un accord-cadre sont définies, dans les documents de la consultation, par des spécifications techniques formulées [...] soit par référence à des normes ou à d'autres documents équivalents accessibles aux candidats, notamment des agréments techniques ou d'autres référentiels techniques élaborés par les organismes de normalisation [...] soit en termes de performances ou d'exigences fonctionnelles [...]". Cette détermination des spécifications techniques par les pouvoirs adjudicateurs pose, parfois, de redoutables difficultés, car elle peut être à l'origine de pratiques ou d'exigences qui visent à privilégier un candidat, et contribuent donc à violer le principe d'égal accès à la commande publique.

Dans l'arrêt rendu le 30 septembre 2011, une région avait lancé une procédure de passation d'un marché public de services ayant pour objet la mise en oeuvre, l'exploitation, la maintenance et l'hébergement d'une plateforme de service pour la solution open source d'espace numérique de travail (ENT) "Lilie" à destination des lycées de la région. Par courriers des 21 et 23 mars 2011, les sociétés X et Y, qui exercent une activité d'éditeur de logiciel d'espace numérique de travail, ont informé la région de leur intention de demander l'annulation de la procédure si la région ne se conformait pas à ses obligations de mise en concurrence, lesquelles faisaient, selon elles, obstacle à ce que l'appel d'offres lancé par la région imposât aux candidats le seul logiciel "Lilie". Saisi par les deux sociétés, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a annulé l'ensemble de la procédure et a enjoint, à la région Picardie, de la reprendre dans son intégralité, si elle entendait conclure le marché. Pour le juge des référés, la spécification par les documents de la consultation du logiciel "Lilie" avait pour effet d'éliminer le déploiement de toute autre solution logicielle. Ce même juge avait, également, relevé, au soutien de sa décision, que la mention du logiciel "Lilie" conférait un avantage concurrentiel à la société Z en sa qualité de co-concepteur et copropriétaire de ce logiciel.

Le Conseil d'Etat censure la solution retenue par le juge des référés. Si l'article 6-IV du Code des marchés publics dispose que, "les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type", ce n'est qu'à la stricte condition qu'une "telle mention ou référence aient pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits". De plus, même dans cette dernière hypothèse, une telle mention demeure possible si elle "est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes 'ou équivalent'" (5).

S'agissant des marchés publics de services, il importe donc de vérifier si la spécification technique en cause a ou non pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l'hypothèse seulement d'une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l'objet du marché ou, si tel n'est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle. Appliquant cette grille d'analyse au cas d'espèce, le Conseil d'Etat relève que le logiciel "Lilie" est un logiciel libre, c'est-à-dire qu'il est librement et gratuitement accessible et modifiable par l'ensemble des entreprises spécialisées dans la réalisation d'espaces numériques de travail à destination des établissements d'enseignement qui étaient, ainsi, toutes à même de l'adapter aux besoins de la collectivité et de présenter une offre indiquant les modalités de cette adaptation. La mention du logiciel "Lilie" ne pouvait donc pas être regardée comme ayant pour effet de favoriser la société Z qui avait participé à sa conception et qui en était copropriétaire, de même qu'elle ne pouvait avoir pour effet d'éliminer les autres entreprises qui avaient toute liberté pour adapter le logiciel libre aux besoins de la région.


(1) Par exemple : P. Rees, Premier bilan de la jurisprudence administrative en matière de référé contractuel, Contrats Marchés publ., 2011, chron. 10.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 340944, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8947GGH).
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 24 juin 2011, n° 346665 et n° 346746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3555HU9).
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 2 août 2011, n° 347526, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9297HWA).
(5) Cette dernière exigence nous vient du droit de l'Union européenne : CJCE, 22 septembre 1988, aff. C-45/87 (N° Lexbase : A8454AUN), Rec. CJCE, 1988, I, p. 4929.

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