La lettre juridique n°373 du 26 novembre 2009 : Licenciement

[Jurisprudence] Ratification du mandat de signer une lettre de licenciement

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.076, Société Argos c/ Mme Michèle Serot, FS-P+B (N° Lexbase : A1883EN3)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La procédure de licenciement est rythmée par une série d'actes juridiques dont la responsabilité pèse expressément sur l'employeur en application de la loi. Pour autant, il ne saurait être raisonnablement contesté que ce dernier est en mesure de donner mandat pour se faire représenter à ces divers actes juridiques. A cet égard, et ainsi que le confirme la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 novembre 2009, l'employeur peut parfaitement donner mandat de signer la lettre de licenciement. Bien plus, et c'est l'apport majeur de cette décision, dès lors qu'il est relevé que la lettre de notification a été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines et que la procédure de licenciement a été menée à terme, il faut considérer que le mandat de signer la lettre de licenciement a été ratifié.

Résumé

Dès lors qu'il est constaté que la lettre de licenciement a été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines et que la procédure a été menée à terme, il convient de considérer que le mandat de signer la lettre de licenciement a été ratifié.

I - La représentation de l'employeur au cours de la procédure de licenciement

  • Nécessité de la représentation

Antérieurement à la recodification, la loi envisageait la faculté pour l'employeur de se faire représenter au cours de la procédure de licenciement dans une seule hypothèse. L'ancien article L. 122-14 du Code du travail (N° Lexbase : L9576GQQ) disposait, en effet, que "l'employeur ou son représentant qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandé ou par lettre remise en main propre contre décharge en lui indiquant l'objet de la convocation". Alors même que ce texte pouvait être interprété comme limitant la représentation au seul envoi des convocations (1), la Cour de cassation a ouvert le champ de la représentation à d'autres étapes de la procédure de licenciement, autorisant l'employeur à se faire représenter tant au cours de l'entretien préalable (2), que pour la notification du licenciement (3).

Le "nouveau" Code du travail n'envisage plus du tout une telle faculté de représentation. Désormais, qu'il s'agisse de la convocation à l'entretien préalable (C. trav., art. L. 1232-2 N° Lexbase : L1075H9P), du déroulement de l'entretien (C. trav., art. L. 1232-3 N° Lexbase : L1076H9Q) ou de la notification du licenciement (C. trav., art. L. 1232-6 N° Lexbase : L1084H9Z), la loi se borne à viser "l'employeur". Est-ce à dire que toute possibilité de représentation de l'employeur est exclue ? Une réponse négative doit être apportée à cette interrogation, que ce soit pour des raisons pratiques ou pour des raisons juridiques.

Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que, dans bien des cas, l'employeur, au sens juridique du terme, est une personne morale. Or, à l'évidence, celle-ci ne saurait pas plus mener un entretien que notifier une mesure de licenciement. Ces démarches ne peuvent être accomplies que par la personne physique représentant l'employeur. A cet égard, la représentation est moins une possibilité qu'une nécessité. Au-delà, lorsque l'employeur est un entrepreneur individuel (i.e. une personne physique), on ne voit pas ce qui pourrait s'opposer à ce qu'il délègue ses pouvoirs à une autre personne agissant en son nom et pour son compte.

  • Régime de la représentation

Le pouvoir d'agir au nom et pour le compte de l'employeur relève de la technique du mandat. Sans doute fait-on souvent référence en la matière à la notion de délégation de pouvoir. Mais, ainsi qu'il l'a été parfaitement démontré, la délégation de pouvoir est fondamentalement un mandat, bien que celui-ci revête, à certains égards, une nature particulière (4).

Lorsque l'employeur fait le choix, ou se trouve contraint, d'être représenté, il fait donc nécessairement appel au mandat. Il convient, dès lors, de ne pas être surpris que la Cour de cassation fasse en la matière application du régime juridique du mandat, tel qu'il est organisé par le Code civil. Ainsi, la Haute juridiction a plusieurs fois rappelé qu'aucune disposition légale n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit (5). Cette solution ne fait que reprendre la règle selon laquelle le mandat est un contrat consensuel (C. civ., art. 1985 N° Lexbase : L2208ABE). De même, la Chambre sociale fait parfois usage de la théorie du mandat apparent (6). Enfin, et c'est ce que tend à signifier l'arrêt commenté, l'employeur peut se retrouver engagé envers un salarié s'il y a eu ratification du mandat.

II - La ratification du mandat de signer la lettre de licenciement

  • L'affaire

Ainsi que nous l'avons vu précédemment, il est parfaitement possible à un employeur de donner mandat de notifier en son nom un licenciement. Dans cette hypothèse, la lettre de notification engagera l'employeur ou, plus exactement, il conviendra de considérer que c'est lui qui est à l'origine de la rupture du contrat de travail.

En l'espèce, une salariée, engagée en 1979 en qualité d'aide-comptable, avait été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre du 8 novembre 2005. Elle avait contestée cette décision devant la juridiction prud'homale. Pour condamner la société employeur à payer à la salariée une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué avait énoncé que la lettre de licenciement indiquait le nom dactylographié de M. C. et comportait une signature précédée de "po". Les juges d'appel avaient, ensuite, considéré que, si la lettre de licenciement peut être signée par une personne de l'entreprise ayant expressément reçu pouvoir de le faire par l'employeur et qu'il n'est pas nécessaire que cette délégation soit écrite, le représentant de l'employeur doit, en revanche, agir effectivement au nom de l'entreprise dans laquelle il exerce. La lettre de licenciement ne précisant nullement l'identité de la personne signataire de la lettre de rupture, il était, dès lors, impossible de vérifier, d'une part, que celle-ci exerçait au sein de l'entreprise et, d'autre part, qu'elle avait reçu pouvoir de le faire par l'employeur. Par voie de conséquence, ces irrégularités de fond avaient eu pour conséquence d'ôter au licenciement toute cause réelle et sérieuse.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z) et L. 1235-2 (N° Lexbase : L1340H9I) du Code du travail, ensemble l'article 1998 du Code civil (N° Lexbase : L2221ABU). Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la lettre de licenciement avait été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines et que la procédure de licenciement avait été menée à terme, ce dont il résultait que le mandat de signer la lettre de licenciement avait été ratifié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés".

  • Une solution curieuse

Il est classiquement enseigné que, par application de l'alinéa 2 de l'article 1998 du Code civil, malgré l'absence ou le dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu s'il a ratifié l'acte du mandataire (7). La ratification suppose donc qu'un acte juridique ait été accompli et, qu'en outre, il l'ait été par un mandataire. Or, en l'espèce, si une lettre de notification du licenciement avait bien été adressée au salarié, celle-ci ne précisait nullement l'identité de la personne signataire. En d'autres termes, il était impossible de déterminer si celle-ci avait bien la qualité de mandataire. A s'en tenir à ce constat, on en vient à se demander si un mandat existait bien en l'espèce, ce qui nous éloigne de la question de la ratification.

La Cour de cassation ne s'arrête cependant pas à de telles considérations. Elle semble considérer que le mandataire était, en l'espèce, identifié, puisque la lettre de licenciement avait été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines. C'est donc ce dernier qui devait sans doute être considéré comme mandataire. Mais peut-on, pour autant, affirmer, avec la Chambre sociale, que le mandat de signer la lettre de licenciement avait été ratifié ?

Ainsi que le juge avec constance la Cour de cassation, la ratification résulte de tous actes, faits et circonstances qui manifestent, de la part du mandant, la volonté certaine de ratifier (8). Or, on peut légitimement se demander où se situait, en l'espèce, la ratification du "mandant", c'est-à-dire, faut-il le rappeler, l'employeur. A lire le motif de principe retenu par la Cour de cassation, la ratification découlerait du fait que la procédure de licenciement avait été menée à terme. Sauf à considérer que la ratification puisse procéder d'actes antérieurs à la signature de la lettre de notification, il faut sans doute comprendre que c'est l'envoi de la lettre de rupture qui valait ratification du mandat de signer la lettre de licenciement. Si telle est la bonne interprétation, il aurait été souhaitable que la Cour de cassation l'affirme plus clairement.

Il n'en demeure pas moins que la décision rapportée laisse quelque peu dubitatif. En effet, ainsi que l'a antérieurement décidé la Chambre sociale, "la finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement" (9). Or, et c'était l'un des arguments développés par la salariée dans son pourvoi, comment savoir si le mandataire faisait partie de l'entreprise si on ne peut identifier celui qui a signé la lettre de rupture. On pourra rétorquer que ce mandataire était ici connu puisque, ainsi qu'il a été dit précédemment, la lettre avait été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines. Il reste que ce n'était pas lui qui avait apposé sa signature au bas de l'acte juridique en cause. Il y a, dès lors, tout lieu de penser qu'il s'était substitué une autre personne dans cette tâche ; ce qui renvoie à la technique de la subdélégation.

Reste une dernière question qui, sans être au coeur de l'arrêt commenté, doit être évoquée, ne serait-ce que parce que la Cour de cassation nous offre à cet égard quelques éléments de réponse. Quelle aurait été la sanction si, en l'absence de ratification, il avait été considéré que le signataire de la lettre de notification n'avait pas le pouvoir de le faire ? L'hésitation est ici permise : ou bien on considère, à l'instar des juges d'appel en l'espèce, qu'il s'agit d'une irrégularité de fond entraînant l'absence de cause réelle et sérieuse ; ou bien on s'en tient au constat qu'il s'agit d'une simple irrégularité de forme.

Dans un arrêt rendu le 4 mars 2003, la Cour de cassation a estimé que le fait que le licenciement n'ait pas été prononcé par une personne compétente en vertu des dispositions statutaires ou réglementaires applicables à l'entreprise ne constitue pas une simple irrégularité de forme, mais rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse (10). Cette solution peut être critiquée, ne serait-ce que parce que le fait que la lettre de notification soit signée par une personne qui n'a pas le pouvoir d'engager l'employeur n'a, à l'évidence, aucune conséquence sur le fait que le licenciement peut par ailleurs être parfaitement justifié.

On peut, également, se demander si l'arrêt commenté n'annonce pas, de ce point de vue, une évolution dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette assertion procède du visa de l'article L. 1235-2 du Code du travail, dont on sait qu'il intéresse la sanction du licenciement "simplement" irrégulier en la forme. Il convient, toutefois, de relever qu'à la différence de l'affaire ayant conduit à l'arrêt du 4 mars 2003, aucun texte particulier ne déterminait précisément, en l'espèce, la personne susceptible de prononcer le licenciement.

Il faut, désormais, espérer que la Cour de cassation affirmera plus clairement sa position dans un proche avenir, ne serait-ce qu'au regard de certaines décisions des juges du fond n'ayant pas hésité à prononcer la nullité d'un licenciement consécutivement au fait que le signataire d'une lettre de licenciement n'était pas investi du pouvoir de le faire (11).


(1) V., en ce sens, J. Pélissier et alii, Droit de l'emploi, Dalloz Action, 1999, § 2011.
(2) Cass. soc., 14 juin 1994, n° 92-45.072, Mme Christine Charbonnier c/ Boucherie Despinasse (N° Lexbase : A9926ATS).
(3) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-43.155, M. Quinto Pinna c/ Société Dachs trading international (DTI), publié (N° Lexbase : A3756AYR).
(4) V., N. Ferrier, La délégation de pouvoir, technique d'organisation de l'entreprise, Litec, Bibl. de droit de l'entreprise, Préf. Ph. Pétel, n° 68, spéc., § 71.
(5) Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-43.608, Société Air Littoral c/ Mme Sylvie Bediée, publié (N° Lexbase : A1984DAQ) ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.322, Société Aspirotechnique c/ M. Christophe Gomez, inédit (N° Lexbase : A0405DDD).
(6) V., en dernier lieu, Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-42.707, Société Schlumberger limited et a. c/ M. Claude Amadieu, F-D (N° Lexbase : A3379ELQ).
(7) Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 4ème éd., 2009, § 585.
(8) Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit., § 585 et la jurisprudence citée.
(9) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-43.155, préc..
(10) Cass. soc., 4 mars 2003, n° 00-45.193, Institut Gustave Roussy c/ Mme Liliane Uzureau, FS-P (N° Lexbase : A3708A7H).
(11) CA Versailles, 24 septembre 2009, n° 08/02615, Madame Solange Vinzend c/ SA Distribution Casino France (N° Lexbase : A2125ENZ), SSL, n° 1418, p. 15.


Décision

Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.076, Société Argos c/ Mme Michèle Serot, FS-P+B (N° Lexbase : A1883EN3)

Cassation de CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. C, 8 janvier 2008

Textes visés : C. trav., art. L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z) et L. 1235-2 (N° Lexbase : L1340H9I) ; C. civ., art. 1998 (N° Lexbase : L2221ABU)

Mots-clefs : licenciement ; procédure ; lettre de notification ; signature ; délégation de pouvoirs ; mandat ; ratification

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