La lettre juridique n°373 du 26 novembre 2009 : Protection sociale

[Jurisprudence] Sauf dispositions contraires, le contrat de groupe couvrant les cadres de l'entreprise souscrit auprès d'une société d'assurance reste régi par le Code des assurances

Réf. : Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, Société Axa France vie, FS-P+B (N° Lexbase : A2727EMX)

Lecture: 10 min

N4632BMI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Sauf dispositions contraires, le contrat de groupe couvrant les cadres de l'entreprise souscrit auprès d'une société d'assurance reste régi par le Code des assurances. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212180-jurisprudence-sauf-dispositions-contraires-le-contrat-de-groupe-couvrant-les-cadres-de-lentreprise-s
Copier

par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262 - Université de Rennes 1)

le 07 Octobre 2010


Au regard de la multiplication des règles ayant pour objet les dispositifs de protection sociale complémentaire d'origine professionnelle (complémentaire santé, prévoyance, retraite supplémentaire), il n'est pas incongru d'affirmer qu'un droit de la protection sociale d'entreprise s'est progressivement construit. Sa visibilité est, toutefois, quasi inexistante tant le cadre juridique applicable à la protection sociale d'entreprise est complexe (I). Cette complexité est regrettable en elle-même, mais, surtout, en ce qu'elle peut emporter des effets juridiques peu opportuns, dont un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 octobre 2009 constitue une illustration -malheureusement- éclatante (II).

Résumé

L'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2792HIA) est une disposition qui, selon l'article L. 931-1 du même code (N° Lexbase : L2760HI3), ne s'applique qu'aux opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance, à l'exclusion des contrats souscrits dans ce même cadre auprès d'une société d'assurance, qui restent régis par les dispositions du Code des assurances.

I - Le cadre juridique de la protection sociale d'entreprise : de nombreux facteurs de complexité

L'éparpillement des règles applicables représente sans nul doute l'un des principaux facteurs de complexité auquel les entreprises se heurtent à l'occasion de l'instauration d'un régime de prévoyance pour leurs salariés. A l'heure où la simplification du droit devient un leitmotiv pour nos législateurs, l'on ne peut que constater avec grand regret que, dans le domaine de la protection sociale complémentaire d'origine professionnelle, aucune traduction d'une éventuelle simplification n'est intervenue. Pourtant, une occasion s'est récemment présentée de clarifier certaines dispositions applicables en la matière. En effet, la recodification du Code du travail -dont l'entrée en vigueur s'est produite au 1er mai 2008- aurait pu permettre de regrouper dans un titre commun l'ensemble des dispositions du droit du travail ayant trait à la protection sociale d'entreprise. Cette occasion n'a pas été saisie (1). Le cadre juridique continue donc d'être littéralement éclaté, puisque le droit applicable se trouve contenu dans plusieurs codes (Code du travail, Code de la Sécurité sociale, Code des assurances, Code de la mutualité, Code général des impôts (2)) ; dans des textes législatifs non codifiés (spécialement la loi "Evin" (3)) ; dans des textes conventionnels, au rang desquels on peut citer la Convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, mais, également, le fameux accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, relatif à la modernisation du marché du travail et son avenant n° 3 du 18 mai 2009, ayant trait à la portabilité des garanties en matière de prévoyance largo sensu ; et dans la doctrine administrative, qui est omniprésente et incontournable afin de déterminer les conditions pour que le régime d'entreprise bénéficie du régime fiscal et social de faveur (4). Cette dispersion des règles applicables soulève inévitablement des difficultés d'ordre pratique, qu'une bonne connaissance du domaine et une veille juridique attentive (5) peuvent atténuer.

Plus fondamentalement, doit être mise en avant l'absence d'unité conceptuelle en matière de protection sociale complémentaire. Déjà problématique en lui-même, l'empilement de textes se réalise sans recherche d'une quelconque cohérence d'ensemble. Il en ressort l'impression que les pouvoirs publics "naviguent à vue", gèrent au coup par coup les évolutions législatives et réglementaires et sont dans la réaction bien davantage que dans l'anticipation et la planification d'une véritable politique. Qui plus est, "la politique législative et réglementaire française (à la différence d'autres Etats de l'Union européenne comme l'Allemagne) tend à gommer, autant que faire se peut, les dimensions sociales de la protection sociale d'entreprise pour principalement traiter ce sujet comme un pur produit d'assurance" (6).

La pluralité des organismes d'assurance habilités à mettre en oeuvre des opérations de prévoyance (7) n'est pas non plus sans soulever des difficultés d'ordre juridique. Pour souscrire un contrat collectif visant à garantir les salariés contre certains risques lourds (incapacité de travail, invalidité, décès), l'entreprise a le choix entre trois catégories d'offreur : les sociétés d'assurance, les mutuelles et les institutions paritaires de prévoyance. Or, il s'agit là d'entreprises d'assurance n'ayant pas la même nature juridique et obéissant, par voie de conséquence, à des règles d'organisation et de fonctionnement différentes. Certes, sous l'effet du droit communautaire qui s'intéresse à l'activité développée et non à celui qui l'exerce et à l'occasion des transpositions successives des Directives "assurance", une certaine forme de banalisation s'est opérée entre les différents offreurs (8) ; cela se vérifie tout particulièrement en ce qui concerne les règles applicables aux structures dont l'alignement est manifeste (normes prudentielles à respecter, marges de solvabilité, autorité de contrôle (9)). Mais c'est d'harmonisation dont il s'agit et non d'unification ; subsistent, dès lors, des différences de régime juridique se manifestant spécialement dans les relations entre l'entreprise d'assurance et le souscripteur d'un contrat, les textes applicables n'étant pas identiques (le Code des assurances pour les sociétés d'assurance, le Code de la Sécurité sociale pour les institutions paritaires et le Code de la mutualité pour les mutuelles). L'arrêt commenté constitue, à cet égard, un formidable révélateur des conséquences de cette diversité juridique.

II - Une illustration inédite mais topique des effets induits de la complexité du cadre juridique de la protection sociale d'entreprise

La complexité ci-dessus décrite peut s'avérer contre-productive alors que les pouvoirs publics n'ont de cesse d'encourager toutes les formes de protection sociale complémentaire. En effet, l'accessibilité réduite de ces dispositifs est très certainement un frein à leur développement, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises. Cette complexité peut également déboucher, comme au cas d'espèce, sur une certaine forme d'inégalité juridique.

  • Le contexte juridique de l'affaire

En application de l'article 7 de la Convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947, les employeurs doivent verser à une institution de prévoyance ou un organisme d'assurance une contribution représentant au moins 1,5 % de la tranche A du salaire de certains personnels d'encadrement (10) et ce, afin de financer des avantages en matière de prévoyance, dont prioritairement des garanties en cas de décès. A défaut d'avoir souscrit un tel contrat, l'article 8 précise qu'en cas de décès du cadre, l'employeur doit en assumer les conséquences au regard des ayants droit en leur versant une somme représentant trois fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (11).

  • Les faits de l'espèce

Une entreprise avait souscrit, auprès de l'assureur Axa, un contrat de groupe afin de satisfaire à l'obligation que l'article 7 de la Convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947 met à la charge des employeurs. Le 25 septembre 2001, un cadre de l'entreprise décède et sa veuve demande à la société d'assurance des informations sur la garantie (capital décès) souscrite par l'employeur. Axa lui oppose la réalisation -à compter du 2 septembre 2001- du contrat de groupe, résiliation qui serait intervenue faute pour l'entreprise souscriptrice de s'être acquittée du paiement de sa contribution alors que l'article 5 du contrat stipulait que l'admission du salarié aux garanties était conditionnée au paiement de la cotisation par l'employeur.

La veuve assigne alors l'employeur en paiement du capital décès prévu par défaut (article 8 de la convention de 1947), tout en appelant à la cause l'assureur. Et c'est l'assureur qui est condamné en appel au paiement de la garantie contractuelle, sur le fondement de l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale, qui imposerait, dans une telle situation, "à l'institution concernée de poursuivre le paiement des cotisations, sans pouvoir priver d'effet la garantie souscrite au profit du salarié, au seul motif d'une absence de règlement de la cotisation due par l'employeur".

  • La solution

La décision d'appel est cassée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au motif que l'article L. 932-9 du Code de la sécurité sociale est une disposition qui, selon "l'article L. 931-1 du même code, ne s'applique qu'aux opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance à l'exclusion des contrats souscrits dans ce même cadre auprès d'une société d'assurance qui restent régis par les dispositions du Code des assurances". Il est donc reproché aux juges du fond d'avoir refusé de faire application des dispositions du Code des assurances (spécialement l'article L. 132-20 (12)), alors même que la nature juridique de l'assureur en cause ne le faisait pas entrer dans le champ de l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale. Au cas d'espèce, l'assureur était donc délié de toute obligation à l'égard des ayants droit du salarié décédé car il pouvait valablement leur opposer la résiliation du contrat de groupe survenue consécutivement au non paiement de la contribution patronale.

  • Une solution inopportune et peut-être également contestable

La solution de la Cour de cassation est inopportune et contraire à l'évolution du droit applicable aux opérations de protection sociale complémentaire. Cette évolution se "désintéresse" de plus en plus de la nature juridique de l'assureur pour se centrer sur la nature et l'objet de l'opération d'assurance. De ce point de vue, la loi "Evin" est emblématique, puisque les assureurs se voient tous appliquer un certain nombre de règles communes dans le cadre de dispositifs de prévoyance collective (13) ; ainsi, pour ce texte, peu importe avec quel organisme d'assurance l'entreprise souscrit le contrat de groupe. Or, ici, la solution retenue conduit à appliquer à une même opération (souscription d'un contrat en application de l'article 7 de la Convention collective des cadres) des règles différentes, la différenciation de régime juridique dépendant exclusivement de l'entreprise d'assurance choisie par l'employeur. Pratiquement, cela signifie qu'en cas de non paiement des cotisations par leur employeur, les salariés pourront plus aisément obtenir le bénéfice des garanties si l'assureur est une institution de prévoyance ou encore une mutuelle (et non une société d'assurance) car la résiliation du contrat collectif pour défaut de paiement n'est permise ni par le Code de la Sécurité sociale (art. L. 932-9), ni par le Code de la mutualité (art. L. 221-8-III N° Lexbase : L6032DKM) (14), alors qu'elle l'est par le Code des assurances (art. L. 132-20 N° Lexbase : L0149AAR). Cela crée des disparités entre salariés pour une opération d'assurance identique, sans compter qu'ils peuvent ignorer la perte de la couverture complémentaire (15). Inopportune, la solution l'est sans conteste d'un point de vue social.

Pour autant, la solution semblait juridiquement inévitable puisqu'aucun texte spécial applicable à toutes les catégories d'assureur ne régit le défaut de paiement des cotisations par l'employeur dans le cadre de contrat de groupe, la loi "Evin" étant muette sur ce point. N'existent que des dispositions propres à chaque type d'organisme d'assurance, leur champ d'application ne dépendant que de la nature juridique de l'assureur et non du type d'opération. C'est très clairement le cas de l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale, dont les dispositions ne sont applicables qu'aux opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance. C'est donc logiquement que les juges de cassation en ont écarté l'application pour Axa, qui n'est pas une institution de prévoyance.

Toutefois, on peut se demander si l'absence d'harmonisation des textes sur la question de la résiliation pour non paiement de ses cotisations par l'employeur ne porte pas atteinte au principe de libre concurrence entre opérateurs d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles ne pouvant résilier et devant non seulement mettre en oeuvre les garanties au bénéfice des salariés mais également supporter le coût d'une éventuelle action en justice tendant à obtenir l'exécution du contrat. Par conséquent, à opération d'assurance identique, règles du jeu différentes... ce qui semble une situation juridique peu euro-compatible.


(1) Certains auteurs n'ont, d'ailleurs, pas manqué de fustiger le législateur sur ce point. Voir S. Hennion, JCP éd. E., n° 31/2008, chronique Protection sociale d'entreprise, n° 5.
(2) A cette liste déjà fournie, on peut ajouter le Code du commerce, dans ses dispositions relatives aux rémunérations des dirigeants, spécialement aux avantages de retraite, qui peuvent leur être concédés, et le Code monétaire et financier.
(3) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques (N° Lexbase : L5011E4D).
(4) Un intérêt tout particulier doit être porté à la circulaire n° DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009, relative aux modalités d'assujettissement aux cotisations et contributions de Sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement des prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire (N° Lexbase : L9384ICK). Pour une analyse des apports de ce texte, voir M. Del Sol et M. Delumeau, Le financement des prestations de prévoyance, BSFL, n° 8-9/2009, pp. 425-435.
(5) Pour une veille dédiée, voir la chronique biannuelle d'actualité Protection sociale d'entreprise, sous la direction de Sylvie Hennion, JCP éd. E.
(6) S. Hennion, préc..
(7) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 1er.
(8) D'ailleurs, le droit communautaire évoque ces offreurs en recourant au terme générique d'entreprise d'assurance.
(9) Il s'agit de l'Acam (Autorité de contrôle des assureurs et des mutuelles).
(10) Sont concernés les cadres entrant dans la définition des articles 4 et 4 bis de la convention.
(11) Ainsi, pour un décès survenu en 2009, la somme s'élèverait à 102 924 euros.
(12) Texte dont le deuxième alinéa dispose en substance que le non paiement d'une prime est susceptible d'entraîner la résiliation du contrat.
(13) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 2 (principe de non sélection applicable aux contrats "frais de santé" et obligation de prise en charge de la suite des états pathologiques antérieurs à la souscription du contrat) ; et art. 7 (sort des prestations acquises en cas de résiliation du contrat).
(14) Reste à l'assureur à poursuivre en justice l'exécution du contrat par l'entreprise souscriptrice.
(15) La possibilité de se retourner contre l'employeur pour le préjudice né du défaut de paiement, mais, également, de la perte de la protection sociale complémentaire n'est pas discutable, mais sa mise en oeuvre peut s'avérer fort dissuasive.


Décision

Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, Société Axa France vie, FS-P+B (N° Lexbase : A2727EMX)

CA Caen, 1ère ch., sect. civ., 2 septembre 2008

Textes visés : CSS, art. L. 932-9 (N° Lexbase : L2792HIA) et L. 931-1 (N° Lexbase : L2760HI3)

Mots clés : protection sociale complémentaire ; contrat de groupe ; société d'assurance ; Code des assurances

Lien base :

newsid:374632

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.