La lettre juridique n°373 du 26 novembre 2009

La lettre juridique - Édition n°373

Éditorial

Une victoire à la Pyrrhus ou le chemin de croix de la laïcité

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


La nuit du 26 novembre 2012 : sueur froide ! Dans un cauchemar sur fond de lutte contre le temps ou, plus exactement, contre une nouvelle forme du virus H1N1, à bout souffle, nous nous trouvons complètement perdu dans les rues, en quête, en vain, d'une pharmacie pour acheter un remède du docteur Esculape... Point de croix verte à l'horizon...

Mais, n'allons pas trop vite en besogne ; car, au commencement était le verbe.

3 novembre 2009. Ce qu'il y a de palpitant avec le droit supranational et, notamment, avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, c'est que, lorsqu'elle ne s'invite pas dans l'actualité, dans le cadre de débats houleux comme celui sur le régime de la garde à vue et sur la présence de l'avocat dès la première heure -en contrariété avec les prescriptions gouvernementales en cours d'étude-, ses décisions s'invitent, alors, dans un cadre qui apparaît comparativement presque apaisé, vu moindre écho médiatique : celui de la laïcité (bien que le débat ressurgisse à l'occasion d'une lycéenne venue écouter, le 12 novembre dernier, les parlementaires vêtue d'un hidjab, certains députés réclamant une modification du règlement pour interdire le port des signes religieux dans l'enceinte du Palais Bourbon).

Le sujet est éminemment épineux, tant il est trop souvent obscurci par les passions ; et l'on se souviendra que des croisades à la loi de 1905, en passant par la Saint-Barthélemy et par la tradition anticléricale littéraire et politique française, les rapports entre l'Etat et la Religion sont de ceux qu'il convient, en général, de ne pas évoquer, sauf à craindre l'ire de tel ou untel qui se sentira troublé dans sa liberté de conscience.

Pourtant, sans aller jusqu'à étudier la métaphysique et, plus particulièrement, l'ontologie de la laïcité, il n'est pas inintéressant, lorsque la Cour européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt rendu le 3 novembre 2009, conclut à la restriction à l'exercice de la liberté de conscience du fait de la présence de crucifix dans les salles de classe italiennes, comme une évidence, de se poser une série de questions, à l'apparence toute aussi évidente : est-ce, là, le combat moderne de la laïcité ? Quels sont les contours de l'enseignement du fait religieux à l'école ? Quelle est la place de l'iconographie religieuse au XXIème siècle, en Europe ?

A lire l'arrêt rendu, une mère de famille alléguait que l'exposition de la Croix dans les salles de classe de l'école publique fréquentée par ses enfants était une ingérence incompatible avec la liberté de conviction et de religion, ainsi qu'avec le droit à une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques. Et, pour les juges de Strasbourg, la présence du crucifix dans les salles de classe italiennes est l'héritage d'une conception confessionnelle de l'Etat qui se heurte, aujourd'hui, au devoir de laïcité de celui-ci, et peut méconnaître les droits protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH). L'Etat accorderait, ainsi, à la religion catholique une position privilégiée qui se traduirait par une ingérence étatique dans le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le Gouvernement italien aura beau clamer que cette présence possède, également, une signification éthique, compréhensible et appréciable indépendamment de l'adhésion à la tradition religieuse ou historique, cette position selon laquelle la Croix serait parfaitement compatible avec la laïcité ne va pas être suivie par les juges européens, qui feront droit à la demande de la parente d'élève.

Nul, de bon sens, ne viendra, ici, remettre en cause le principe de laïcité, notamment, dans le cadre scolaire, et surtout pas en France : quand en Italie se pose la question de la présence d'une croix, symbole du christianisme (pour les non-initiés), dans les salles de classe, la France interdit, d'ores et déjà, les signes religieux ostensibles dans l'enceinte des établissements scolaires publics. Mais, restons humbles : la dichotomie a, sans doute, une origine très historique ; elle est probablement due au fait que "Rome" ait quitté Avignon pour réintégrer les bords du Tibre, voilà bien longtemps (le 17 janvier 1377), et que, sauf à reprocher à la France, la défense des Etats pontificaux sous Charlemagne, Napoléon III, à la faveur du Risorgimento, aura lavé l'affront d'un pouvoir spirituel prétendant exercer, également, un pouvoir temporel.

Pour autant, qu'il nous soit permis de penser que cette histoire de crucifix dans les salles de classe italiennes, qui enseignent assez peu Voltaire et Diderot à vrai dire, nous laisse un goût amer quant à l'urgence d'un nouvel ordre laïc fondé sur un véritable équilibre avec la tradition religieuse. Loin de nous tout propos à la faveur d'une théorie du complot ou d'un lobbysme religieux omniprésent et transcendant notre société -et nous reprenons Racine à notre compte, "sur la voûte des cieux notre histoire est écrite"- mais, à écarter de notre vue les symboles religieux, avec autant de ferveur qu'on croirait presque à l'émergence d'une nouvelle foi, le laïcisme qui, comme de nombreux mots au suffixe en "isme", appelle souvent à la prudence, on en viendrait presque à croire que là est le principal combat de la laïcité et que, finalement, la liberté de conscience, telle Janus, si elle oblige à ne pas heurter la foi individuelle des uns et l'absence de foi des autres, oblige, également, à ce que l'on n'attente pas au très fond de notre âme collective et, plus singulièrement, aux influences religieuses rampantes de certains de nos régimes juridiques en vigueur et, plus étonnement, de certaines nouvelles normes.

La semaine dernière, nous nous étions fait l'écho de la forte inspiration canonique des dispositions régissant l'adoption en France, depuis le Pape Nicolas 1er (celui du IXème siècle s'entend) ; est-il encore utile de rappeler l'influence de la religion dans le débat sur l'interruption volontaire de grossesse, 70 ans après la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat ; son influence dans le débat sur le Pacs, sur la recherche médicale et embryonnaire ; son influence dans le débat sur la responsabilité médicale et la perte d'une chance au regard du handicap, etc. ? Alors, lorsque le Conseil constitutionnel retoque un ensemble de dispositions de la loi n° 2009-1255 du 19 octobre 2009, tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers permettant d'adapter le droit du financement à la finance islamique, on s'étonnera, ou pas, d'ailleurs, qu'il le fasse en arguant... du seul cavalier législatif. En effet, l'article 16 complétait l'article 2011 du Code civil afin d'adapter le régime de la fiducie pour permettre l'émission, en France, d'instruments financiers conformes aux principes de la finance islamique, c'est-à-dire l'émission de sukuk (obligations islamiques permettant de contourner l'interdiction religieuse du versement d'intérêts). Cette censure n'était, toutefois, que technique, le Conseil constitutionnel ne s'opposant pas, sur le fond, à l'idée de modifier le Code civil pour favoriser la finance islamique. Il n'y a, alors, qu'à se souvenir des dispositions, dans le même sens, adoptées et non contestées, de la loi de modernisation de l'économie de 2008. Enfin, rappelons au demeurant qu'en la matière, la jurisprudence n'est pas en reste : le Conseil d'Etat a bien, le 6 avril 2001, validé les lois du 17 octobre 1919 et du 1er juin 1924 qui font obligation aux pouvoirs publics d'Alsace-Moselle d'instituer un enseignement religieux dans toutes les écoles primaires publiques et dans tous les établissements publics du second degré des départements concernés ; ces lois ne contrevenant ni au principe de laïcité institué postérieurement par les Constitutions de 1946 et de 1958, ni à l'article 9 de la CESDH, les parents des élèves étant libres de faire assister leurs enfants à cet enseignement.

Sur un autre chapitre et à la lumière de cet arrêt du 3 novembre 2009, une question récurrente nous taraude : la neutralité de l'Etat implique-t-elle un silence total sur le fait religieux dans le cadre de l'enseignement, ou bien signifie-t-elle que le fait religieux doit être traité à l'école, avec un maximum d'objectivité ? A lire Jean-Claude Ricci, Directeur de l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence, si enseigner le fait religieux n'est pas un exercice facile, encore faut-il bien prendre l'exacte mesure de la difficulté et de ses motifs. Tout d'abord, c'est un enseignement qui se situe dans un cadre fortement connoté, ensuite le matériau "religieux" ne s'offre pas de la même manière que d'autres matériaux, à l'action pédagogique de l'enseignant.... Et, le crucifix fait évidemment parti de ces "matériaux-symboles" qui, s'il n'est pas obligatoire de le clouer au frontispice de l'école, il est difficile de le dissocier aussi bien de l'enseignement du fait religieux, que de l'enseignement de l'Histoire ou de la culture. Imagine t'on les "clercs de la laïcité" -excusez l'antinomie- supprimer les reproductions du Portement de Croix de Jérôme Bosch, du Christ sur la Croix de Vélazquez, de La Descente de Croix de Rembrandt ou de La Déposition du Caravage, des salles de cours ou des espaces publics ? Imagine-t-on écarter Bach de Dieu, ou l'inverse tant on ne sait plus lequel des deux magnifie l'autre !

Enfin, si après l'émoi provoqué par la régie publicitaire de la RATP autour des affiches du film Coco avant Chanel, l'Autorité de régulation professionnelle de publicité s'est finalement prononcée sur la possibilité de faire apparaître des cigarettes sur des affiches, sous certaines conditions, il convient de ne pas oublier qu'après la "pipe de Tati", c'est fut "clope de Delon", pour promouvoir un célèbre parfum, qui fut gommée des espaces publicitaires. Et, déjà, en 2005, la cigarette de Jean-Paul Sartre avait disparu d'une affiche de la Bibliothèque nationale de France, comme celle d'André Malraux, en 1996, d'un timbre de la Poste. Au nom de la lutte contre un autre "opium" du peuple, ne verra-t-on pas le crucifix disparaître de l'espace public, sinon des écrans ? Exit le "Christ ventriloque" dans les inénarrables Don Camillo, des fêtes de fin d'année, au nom de la liberté de conscience de ceux qui ne sont pas adeptes de la religion en cause -mais qui n'ont d'autre choix que de visionner la série franco-italienne au regard du désert audiovisuel ambiant- ? Plus sérieusement, quid des affiches en faveur d'une exposition d'art du Quattrocento ? Quid de la calotte du Cardinal-Duc exposée en peinture dans les couloirs de La Sorbonne, sans parler de la coupole ornée d'une croix au sommet du bâtiment symbole de l'éclairage des consciences ? Ces questions ne sont pas empiriques : que l'on se souvienne que la Croix-Rouge qui, pour officier en terre musulmane, a dû s'adapter et prendre les oripeaux du Croissant-Rouge, l'Empire ottoman considérant, en 1876, que la Croix-Rouge était un symbole chrétien qui rappelait l'emblème des Croisés...

Quant à la croix verte qui signale les pharmacies, qui se souvient qu'elle est tirée du même symbole de protection civile et militaire porté... par les Croisés du Moyen-âge ; la couleur verte ayant été choisie parce qu'une loi de la Révolution Française attribua le vert aux collets des pharmaciens militaires ? A quand, une action contre la croix verte et le caducée polythéiste de nos pharmacies au nom de la laïcité ostensible ?

On en oublierait presque que le mot "laïc" vient du latin laicus qui signifie "commun", "du peuple", terme emprunté au grec laikos par opposition à klerikos ; le laïc désignant toute personne ni clerc, ni religieuse, mais qui appartient, cependant, à l'Eglise, c'est-à-dire qui est baptisée... Alors que la Croix, comme d'autres symboles d'autres religions, fasse partie du paysage culturel, populaire, et collectif dans un pays où réside, en son sein, l'Etat pontifical lui-même... là est-il vraiement le combat de la laïcité ? "La religion est le lieu où un peuple se donne la définition de ce qu'il tient pour le vrai", écrivait Hegel dans La raison dans l'histoire.

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Licenciement

[Jurisprudence] Ratification du mandat de signer une lettre de licenciement

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.076, Société Argos c/ Mme Michèle Serot, FS-P+B (N° Lexbase : A1883EN3)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La procédure de licenciement est rythmée par une série d'actes juridiques dont la responsabilité pèse expressément sur l'employeur en application de la loi. Pour autant, il ne saurait être raisonnablement contesté que ce dernier est en mesure de donner mandat pour se faire représenter à ces divers actes juridiques. A cet égard, et ainsi que le confirme la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 novembre 2009, l'employeur peut parfaitement donner mandat de signer la lettre de licenciement. Bien plus, et c'est l'apport majeur de cette décision, dès lors qu'il est relevé que la lettre de notification a été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines et que la procédure de licenciement a été menée à terme, il faut considérer que le mandat de signer la lettre de licenciement a été ratifié.

Résumé

Dès lors qu'il est constaté que la lettre de licenciement a été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines et que la procédure a été menée à terme, il convient de considérer que le mandat de signer la lettre de licenciement a été ratifié.

I - La représentation de l'employeur au cours de la procédure de licenciement

  • Nécessité de la représentation

Antérieurement à la recodification, la loi envisageait la faculté pour l'employeur de se faire représenter au cours de la procédure de licenciement dans une seule hypothèse. L'ancien article L. 122-14 du Code du travail (N° Lexbase : L9576GQQ) disposait, en effet, que "l'employeur ou son représentant qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandé ou par lettre remise en main propre contre décharge en lui indiquant l'objet de la convocation". Alors même que ce texte pouvait être interprété comme limitant la représentation au seul envoi des convocations (1), la Cour de cassation a ouvert le champ de la représentation à d'autres étapes de la procédure de licenciement, autorisant l'employeur à se faire représenter tant au cours de l'entretien préalable (2), que pour la notification du licenciement (3).

Le "nouveau" Code du travail n'envisage plus du tout une telle faculté de représentation. Désormais, qu'il s'agisse de la convocation à l'entretien préalable (C. trav., art. L. 1232-2 N° Lexbase : L1075H9P), du déroulement de l'entretien (C. trav., art. L. 1232-3 N° Lexbase : L1076H9Q) ou de la notification du licenciement (C. trav., art. L. 1232-6 N° Lexbase : L1084H9Z), la loi se borne à viser "l'employeur". Est-ce à dire que toute possibilité de représentation de l'employeur est exclue ? Une réponse négative doit être apportée à cette interrogation, que ce soit pour des raisons pratiques ou pour des raisons juridiques.

Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que, dans bien des cas, l'employeur, au sens juridique du terme, est une personne morale. Or, à l'évidence, celle-ci ne saurait pas plus mener un entretien que notifier une mesure de licenciement. Ces démarches ne peuvent être accomplies que par la personne physique représentant l'employeur. A cet égard, la représentation est moins une possibilité qu'une nécessité. Au-delà, lorsque l'employeur est un entrepreneur individuel (i.e. une personne physique), on ne voit pas ce qui pourrait s'opposer à ce qu'il délègue ses pouvoirs à une autre personne agissant en son nom et pour son compte.

  • Régime de la représentation

Le pouvoir d'agir au nom et pour le compte de l'employeur relève de la technique du mandat. Sans doute fait-on souvent référence en la matière à la notion de délégation de pouvoir. Mais, ainsi qu'il l'a été parfaitement démontré, la délégation de pouvoir est fondamentalement un mandat, bien que celui-ci revête, à certains égards, une nature particulière (4).

Lorsque l'employeur fait le choix, ou se trouve contraint, d'être représenté, il fait donc nécessairement appel au mandat. Il convient, dès lors, de ne pas être surpris que la Cour de cassation fasse en la matière application du régime juridique du mandat, tel qu'il est organisé par le Code civil. Ainsi, la Haute juridiction a plusieurs fois rappelé qu'aucune disposition légale n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit (5). Cette solution ne fait que reprendre la règle selon laquelle le mandat est un contrat consensuel (C. civ., art. 1985 N° Lexbase : L2208ABE). De même, la Chambre sociale fait parfois usage de la théorie du mandat apparent (6). Enfin, et c'est ce que tend à signifier l'arrêt commenté, l'employeur peut se retrouver engagé envers un salarié s'il y a eu ratification du mandat.

II - La ratification du mandat de signer la lettre de licenciement

  • L'affaire

Ainsi que nous l'avons vu précédemment, il est parfaitement possible à un employeur de donner mandat de notifier en son nom un licenciement. Dans cette hypothèse, la lettre de notification engagera l'employeur ou, plus exactement, il conviendra de considérer que c'est lui qui est à l'origine de la rupture du contrat de travail.

En l'espèce, une salariée, engagée en 1979 en qualité d'aide-comptable, avait été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre du 8 novembre 2005. Elle avait contestée cette décision devant la juridiction prud'homale. Pour condamner la société employeur à payer à la salariée une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué avait énoncé que la lettre de licenciement indiquait le nom dactylographié de M. C. et comportait une signature précédée de "po". Les juges d'appel avaient, ensuite, considéré que, si la lettre de licenciement peut être signée par une personne de l'entreprise ayant expressément reçu pouvoir de le faire par l'employeur et qu'il n'est pas nécessaire que cette délégation soit écrite, le représentant de l'employeur doit, en revanche, agir effectivement au nom de l'entreprise dans laquelle il exerce. La lettre de licenciement ne précisant nullement l'identité de la personne signataire de la lettre de rupture, il était, dès lors, impossible de vérifier, d'une part, que celle-ci exerçait au sein de l'entreprise et, d'autre part, qu'elle avait reçu pouvoir de le faire par l'employeur. Par voie de conséquence, ces irrégularités de fond avaient eu pour conséquence d'ôter au licenciement toute cause réelle et sérieuse.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z) et L. 1235-2 (N° Lexbase : L1340H9I) du Code du travail, ensemble l'article 1998 du Code civil (N° Lexbase : L2221ABU). Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la lettre de licenciement avait été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines et que la procédure de licenciement avait été menée à terme, ce dont il résultait que le mandat de signer la lettre de licenciement avait été ratifié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés".

  • Une solution curieuse

Il est classiquement enseigné que, par application de l'alinéa 2 de l'article 1998 du Code civil, malgré l'absence ou le dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu s'il a ratifié l'acte du mandataire (7). La ratification suppose donc qu'un acte juridique ait été accompli et, qu'en outre, il l'ait été par un mandataire. Or, en l'espèce, si une lettre de notification du licenciement avait bien été adressée au salarié, celle-ci ne précisait nullement l'identité de la personne signataire. En d'autres termes, il était impossible de déterminer si celle-ci avait bien la qualité de mandataire. A s'en tenir à ce constat, on en vient à se demander si un mandat existait bien en l'espèce, ce qui nous éloigne de la question de la ratification.

La Cour de cassation ne s'arrête cependant pas à de telles considérations. Elle semble considérer que le mandataire était, en l'espèce, identifié, puisque la lettre de licenciement avait été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines. C'est donc ce dernier qui devait sans doute être considéré comme mandataire. Mais peut-on, pour autant, affirmer, avec la Chambre sociale, que le mandat de signer la lettre de licenciement avait été ratifié ?

Ainsi que le juge avec constance la Cour de cassation, la ratification résulte de tous actes, faits et circonstances qui manifestent, de la part du mandant, la volonté certaine de ratifier (8). Or, on peut légitimement se demander où se situait, en l'espèce, la ratification du "mandant", c'est-à-dire, faut-il le rappeler, l'employeur. A lire le motif de principe retenu par la Cour de cassation, la ratification découlerait du fait que la procédure de licenciement avait été menée à terme. Sauf à considérer que la ratification puisse procéder d'actes antérieurs à la signature de la lettre de notification, il faut sans doute comprendre que c'est l'envoi de la lettre de rupture qui valait ratification du mandat de signer la lettre de licenciement. Si telle est la bonne interprétation, il aurait été souhaitable que la Cour de cassation l'affirme plus clairement.

Il n'en demeure pas moins que la décision rapportée laisse quelque peu dubitatif. En effet, ainsi que l'a antérieurement décidé la Chambre sociale, "la finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement" (9). Or, et c'était l'un des arguments développés par la salariée dans son pourvoi, comment savoir si le mandataire faisait partie de l'entreprise si on ne peut identifier celui qui a signé la lettre de rupture. On pourra rétorquer que ce mandataire était ici connu puisque, ainsi qu'il a été dit précédemment, la lettre avait été signée pour ordre au nom du directeur des ressources humaines. Il reste que ce n'était pas lui qui avait apposé sa signature au bas de l'acte juridique en cause. Il y a, dès lors, tout lieu de penser qu'il s'était substitué une autre personne dans cette tâche ; ce qui renvoie à la technique de la subdélégation.

Reste une dernière question qui, sans être au coeur de l'arrêt commenté, doit être évoquée, ne serait-ce que parce que la Cour de cassation nous offre à cet égard quelques éléments de réponse. Quelle aurait été la sanction si, en l'absence de ratification, il avait été considéré que le signataire de la lettre de notification n'avait pas le pouvoir de le faire ? L'hésitation est ici permise : ou bien on considère, à l'instar des juges d'appel en l'espèce, qu'il s'agit d'une irrégularité de fond entraînant l'absence de cause réelle et sérieuse ; ou bien on s'en tient au constat qu'il s'agit d'une simple irrégularité de forme.

Dans un arrêt rendu le 4 mars 2003, la Cour de cassation a estimé que le fait que le licenciement n'ait pas été prononcé par une personne compétente en vertu des dispositions statutaires ou réglementaires applicables à l'entreprise ne constitue pas une simple irrégularité de forme, mais rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse (10). Cette solution peut être critiquée, ne serait-ce que parce que le fait que la lettre de notification soit signée par une personne qui n'a pas le pouvoir d'engager l'employeur n'a, à l'évidence, aucune conséquence sur le fait que le licenciement peut par ailleurs être parfaitement justifié.

On peut, également, se demander si l'arrêt commenté n'annonce pas, de ce point de vue, une évolution dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette assertion procède du visa de l'article L. 1235-2 du Code du travail, dont on sait qu'il intéresse la sanction du licenciement "simplement" irrégulier en la forme. Il convient, toutefois, de relever qu'à la différence de l'affaire ayant conduit à l'arrêt du 4 mars 2003, aucun texte particulier ne déterminait précisément, en l'espèce, la personne susceptible de prononcer le licenciement.

Il faut, désormais, espérer que la Cour de cassation affirmera plus clairement sa position dans un proche avenir, ne serait-ce qu'au regard de certaines décisions des juges du fond n'ayant pas hésité à prononcer la nullité d'un licenciement consécutivement au fait que le signataire d'une lettre de licenciement n'était pas investi du pouvoir de le faire (11).


(1) V., en ce sens, J. Pélissier et alii, Droit de l'emploi, Dalloz Action, 1999, § 2011.
(2) Cass. soc., 14 juin 1994, n° 92-45.072, Mme Christine Charbonnier c/ Boucherie Despinasse (N° Lexbase : A9926ATS).
(3) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-43.155, M. Quinto Pinna c/ Société Dachs trading international (DTI), publié (N° Lexbase : A3756AYR).
(4) V., N. Ferrier, La délégation de pouvoir, technique d'organisation de l'entreprise, Litec, Bibl. de droit de l'entreprise, Préf. Ph. Pétel, n° 68, spéc., § 71.
(5) Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-43.608, Société Air Littoral c/ Mme Sylvie Bediée, publié (N° Lexbase : A1984DAQ) ; Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-43.322, Société Aspirotechnique c/ M. Christophe Gomez, inédit (N° Lexbase : A0405DDD).
(6) V., en dernier lieu, Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-42.707, Société Schlumberger limited et a. c/ M. Claude Amadieu, F-D (N° Lexbase : A3379ELQ).
(7) Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 4ème éd., 2009, § 585.
(8) Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, op. cit., § 585 et la jurisprudence citée.
(9) Cass. soc., 26 mars 2002, n° 99-43.155, préc..
(10) Cass. soc., 4 mars 2003, n° 00-45.193, Institut Gustave Roussy c/ Mme Liliane Uzureau, FS-P (N° Lexbase : A3708A7H).
(11) CA Versailles, 24 septembre 2009, n° 08/02615, Madame Solange Vinzend c/ SA Distribution Casino France (N° Lexbase : A2125ENZ), SSL, n° 1418, p. 15.


Décision

Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.076, Société Argos c/ Mme Michèle Serot, FS-P+B (N° Lexbase : A1883EN3)

Cassation de CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. C, 8 janvier 2008

Textes visés : C. trav., art. L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z) et L. 1235-2 (N° Lexbase : L1340H9I) ; C. civ., art. 1998 (N° Lexbase : L2221ABU)

Mots-clefs : licenciement ; procédure ; lettre de notification ; signature ; délégation de pouvoirs ; mandat ; ratification

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, Mme Ginette Borruto c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), service gestionnaire, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'adoption en droit français d'une définition générale des discriminations, après la loi du 27 mai 2008 (1), a mis en évidence les difficultés d'une définition claire et opérationnelle. Dans un arrêt en date du 10 novembre 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte deux précisions importantes sur la méthode et les critères d'appréciation de la discrimination, la Cour affirmant que l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement qu'il soit procédé à la comparaison entre deux salariés de l'entreprise et précisant ce qu'il convient d'entendre par "fait de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination" (I). L'arrêt revient, également, de manière opportune, sur la notion de harcèlement, qu'il ne faut pas dissocier artificiellement de celle de mauvaise foi (II).


Résumé

L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés.

Sont de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination le ralentissement de la carrière de la salariée et les difficultés auxquelles elle a été confrontée, dès après sa participation à un mouvement de grève.

Sont constitutifs de faits de harcèlement moral le fait d'installer une salariée avec une collègue dans un bureau aux dimensions restreintes, de la laisser pour compte et de lui confier un travail se limitant à l'archivage et à des rectificatifs de photocopies, sans qu'il puisse être possible de les qualifier de simple manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.

I - Preuve de la discrimination : discours de la méthode

  • Définition de la discrimination

Si l'affirmation d'un principe d'égalité résulte de nombreuses sources nationales (2) et internationales depuis de nombreuses années (3), la notion de discrimination, qui constitue le prolongement de ce principe (4), n'a été que tardivement définie par les instruments chargés de garantir l'effectivité du principe d'égalité (5).

C'est, désormais, la Directive 2006/54 qui remplace les dispositions antérieures et définit la discrimination directe, en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, comme "la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable" (6).

Ces dispositions, et d'autres, d'ailleurs (7), ont été transposées en droit interne par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. La loi a introduit en droit français une définition de la discrimination très proche de celle adoptée par les Directives communautaires. L'article 1er définit, en effet, la discrimination directe comme "la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable".

Comme cela a été signalé, le texte adopté a souhaité ne pas reprendre la formule communautaire de la Directive de 2006 "ne l'aurait été" pour lui substituer l'improbable futur antérieur "ne l'aura été", dont on ne sait pas bien ce qu'il signifie au juste. On remarquera, d'ailleurs, que cette formule n'a pas donné lieu à une rédaction constante dans le texte même des différentes Directives transposées, puisque, dans celles adoptées antérieurement à 2006, les auteurs employaient le conditionnel présent (8).

  • Eléments laissant supposer l'existence d'une discrimination

Les différents textes étudiés font apparaître que la discrimination s'entend d'un traitement qui lèse la personne, c'est-à-dire que celle-ci est moins bien traitée qu'elle ne le devrait. L'établissement de la discrimination induit, par conséquent, nécessairement une comparaison puisque l'égalité ne peut se concevoir que dans un rapport d'altérité.

La jurisprudence a, d'ailleurs, eu l'occasion de préciser quels étaient les éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination qui devaient être prouvés par le demandeur pour que l'employeur soit contraint de se justifier, comme le prévoit l'article L. 1134-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6054IAH).

Dans de nombreuses hypothèses, le salarié produit des tableaux comparatifs (9), mêmes très rudimentaires, que l'employeur peut, bien entendu, discuter et auxquels il peut opposer ses propres tableaux (10). Il appartiendra au juge de déterminer si les panels fournis sont, ou non, pertinents (11).

Le salarié peut également prouver qu'il n'a pas été évalué (12), qu'il n'a bénéficié d'aucun avancement dans l'entreprise, alors que d'autres que lui ont été promus (13), qu'il perçoit un salaire inférieur à la moyenne des salaires des collègues de la même catégorie professionnelle (14) ou, encore, que mention a été faite de ses activités syndicales dans ses rapports d'évaluation (15).

Face à de telles allégations, les juges du fond sont souverains pour leur accorder, ou non, crédit, et les mesures d'expertise ne sont pas de droit (16). Les juges du fond sont seulement soumis à une exigence de motivation et ne doivent pas se contenter de "motifs généraux, voire hypothétiques" (17) pour contraindre l'employeur à se justifier.

Reste à déterminer si le salarié est contraint, au moins a minima, de se comparer avec d'autres salariés de son entreprise lorsqu'il allègue avoir été victime d'une discrimination, et s'il doit être débouté s'il ne le fait pas. C'est tout l'intérêt de cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 novembre 2009.

  • L'affaire

Une salariée avait été engagée, en 1971, par la SNCF, en qualité d'auxiliaire dactylo affectée au centre matériel de Longwy. Elle avait gravi douze échelons de 1976 à 1983 avant d'accéder au statut d'agent de maîtrise. Elle avait, en dernier lieu, exercé ses fonctions au service dit UP voie de Longwy et avait été placée au grade TADP, position de rémunération 20. L'intéressée avait été placée en arrêt longue maladie en 1999, puis en retraite en 2003. Estimant avoir subi un harcèlement moral et une discrimination dans l'évolution de sa carrière à dater de 1985 à la suite d'un mouvement de grève auquel elle avait participé, la salariée a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la condamnation de l'employeur au paiement de sommes à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et pour préjudice financier.

La salariée avait été déboutée de ces demandes par la cour d'appel de Nancy au motif qu'elle se bornait à affirmer avoir subi un ralentissement de carrière de nature discriminatoire sans fournir le moindre élément de comparaison avec d'autres collègues de statut identique, qu'elle avait refusé des propositions de mutation et que des attestations de ses supérieurs hiérarchiques faisaient état de ses difficultés de concentration et d'organisation et de son autoritarisme à l'origine de conflits avec les agents placés sous sa responsabilité.

Sur ce premier point, l'arrêt est cassé pour manque de base légale. Après avoir indiqué que "l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés", la Haute juridiction reproche à la cour d'appel de n'avoir pas recherché "si le ralentissement de la carrière de la salariée et les difficultés auxquelles elle a été confrontée, dès après sa participation à un mouvement de grève, ne laissaient pas supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte".

  • La discrimination n'implique pas la comparaison avec d'autres salariés

L'affirmation selon laquelle "l'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés" est, tout d'abord, parfaitement exacte, même si elle pourrait, de prime abord, surprendre. Certes, habituellement, la preuve d'une discrimination résulte d'une étude comparative du traitement de salariés placés dans une même situation ; d'ailleurs, tant les textes communautaires que la définition introduite par la loi du 27 mai 2008 font expressément mention de cet "autre" avec lequel il convient de comparer le salarié.

Mais cette référence à l'autre n'implique pas que le juge se livre à une appréciation in concreto de la différence de traitement et qu'il trouve effectivement un autre salarié, placé dans la même situation au sein de l'entreprise, qui ait subi un traitement plus favorable, ce qui interdirait de considérer qu'un salarié puisse être victime d'une discrimination uniquement pour des motifs qui lui seraient personnels, sans qu'un autre salarié ne profite, par effet de vase communiquant, du mauvais traitement qui lui est réservé. La comparaison peut donc s'opérer in concreto, et c'est d'ailleurs souvent ainsi qu'il sera procédé, mais elle peut, également, s'opérer in abstracto, comme le suggère d'ailleurs l'usage du conditionnel dans les textes communautaires (ne le serait, au conditionnel présent, ou ne l'aurait été, au conditionnel passé, première forme), par référence soit au bon père de famille, auquel on prêtera les mêmes caractéristiques que le salarié mal traité, soit au salarié lui-même pour déterminer quel traitement il aurait reçu si l'employeur n'avait pas pris en compte de motif discriminatoire.

On le comprend aussitôt, exclure toute possibilité de discrimination sous prétexte que le salarié ne se compare pas avec d'autres collègues de son entreprise nie purement et simplement une hypothèse de discrimination pourtant prévue par la loi ; dans ces conditions, il nous semble même qu'une cassation pour violation de la loi aurait pu être prononcée, et pas seulement pour manque de base légale, qui suggère simplement que la décision d'appel n'avait pas été convenablement motivée.

  • Les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination

La solution est, également, intéressante en ce qu'elle met à jour l'élément de fait pertinent, qui laissait supposer que la salariée avait été victime d'une discrimination et qui aurait dû justifier que son action fut accueillie, et son employeur contraint de se justifier face à ses allégations.

La Cour de cassation relève, en effet, que la carrière de la salariée avait été manifestement ralentie après sa participation à une grève ; c'est donc le caractère simultané de la grève et de l'infléchissement tangible dans le déroulement de sa carrière qui constituait le fait, laissant supposer qu'elle avait pu être victime d'une discrimination. Dès lors, il appartenait à l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L. 1134-1 du Code du travail, de se justifier et, par exemple, de prouver que ce ralentissement résultait de motifs exclusivement professionnels étrangers à la prise en compte d'un motif discriminatoire, qu'il s'agisse d'un motif économique (18) ou de motifs inhérents au comportement du salarié (19).

Ce critère de la simultanéité est, d'ailleurs, habituellement mis en oeuvre pour établir l'imputabilité d'une conséquence à une cause indéterminée, singulièrement en matière de responsabilité civile (20).

II - Harcèlement moral et mauvaise foi de l'employeur

  • Eléments constitutifs du harcèlement moral

L'arrêt portait, également, sur la question de la qualification de faits de harcèlement moral. On sait que l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) le définit comme des "agissements répétés [...] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel" (21).

  • L'affaire

Dans cette affaire, les magistrats de la cour d'appel de Nancy avaient également eu un comportement étrange, puisque, tout en constatant que la salariée "avait été installée avec une collègue dans un bureau aux dimensions restreintes, qu'elle était laissée pour compte, et que le travail qui lui était confié se limitait à l'archivage et à des rectificatifs de photocopies", la cour d'appel avait écarté la qualification de harcèlement moral au profit de celle de manquement de l'employeur à son obligation de loyauté.

Même si on ne sait pas si les autres éléments constitutifs du harcèlement moral étaient ici constitués, notamment ceux faisant référence à l'impact sur la santé du salarié, pareille affirmation était des plus étranges tant la "mise au placard", au sens propre, est de nature à caractère des faits de harcèlement (22).

  • Une solution parfaitement justifiée

La dissociation opérée par les juges du fond entre le harcèlement et la mauvaise foi est tout à fait insolite, et pour tout dire assez dangereuse, puisqu'elle permet de disqualifier certaines comportements et, à l'employeur, d'échapper à ses obligations légales en matière de prévention et de réparation du harcèlement. L'examen de la jurisprudence de la Cour de cassation, mais aussi des moyens présentés par les demandeurs, montre, d'ailleurs, que la mauvaise foi et le harcèlement sont généralement associés ou écartés ensemble (23).

Certes, la qualification de "mauvaise foi" pourrait, sans doute, permettre de retenir l'existence d'une faute commise par l'employeur qui aurait tenté, mais échoué, dans son entreprise de déstabilisation, le salarié ayant résisté psychologiquement au harcèlement. Mais dans cette affaire, il semble que la maladie de la salariée ait été directement liée à ces événements, ce qui justifiait pleinement que la Cour de cassation refuse que l'on dissocie les deux qualifications et qu'on en fasse cadeau à l'entreprise.


(1) Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39) et nos obs., La nouvelle approche des discriminations en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 309 du 18 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3609BGR).
(2) Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (égalité générale N° Lexbase : L1365A9G) ; Préambule de la Constitution de 1946 (égalité entre les femmes et les hommes, principe de non-lésion "dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances" N° Lexbase : L6821BH4).
(3) Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948, notamment son article 7 : "Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination".
(4) Comme l'indique très clairement l'article 2 de la Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH), "le principe de l'égalité de traitement [...] implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial".
(5) Les premières Directives définissant les différents types de discrimination remontent, en effet, à 2000 : cf. infra note 7.
(6) Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte), art. 2-1-a) (N° Lexbase : L4210HK7).
(7) Directive 2000/43/CE du 29 juin 2000, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique (N° Lexbase : L8030AUX) ; Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4) ; Directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 76/207/CEE du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (N° Lexbase : L9630A4G) ; et Directive 2004/113/CE du 13 décembre 2004, mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et services (N° Lexbase : L5024GUM).
(8) Directive 2000/43/CE du 29 juin 2000, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, préc., art 2.2.-a) ; Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, préc., art. 2.2.-a) ; Directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 76/207/CEE du Conseil, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, préc., art. 2.2. ; Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004, mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services, préc., art. 2.2..
(9) Cass. soc., 4 mars 2008, n° 06-45.258, Société Smurfit Kappa, F-D (N° Lexbase : A3290D7Y) ; Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-45.747 et 06-45.794, Mme Josette Amblard c/ Société Régie autonome des transports parisiens (RATP), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4540EAE) et nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal", égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale N° Lexbase : N3848BHY).
(10) Cass. soc., 3 décembre 2008, n° 07-42.976, M. Bruno Barthes, F-D (N° Lexbase : A5293EBN).
(11) Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-42.864, Société Nestlé France, F-D (N° Lexbase : A3509ECX).
(12) Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, M. Patrick Monange, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY), Dr. soc., 2005, p. 827 et lire nos obs., L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans, Lexbase Hebdo n° 161 du 30 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2499AIE). Confirmation : Cass. soc., 14 mai 2008, n° 06-45.507, M. Jean-Pierre Nicolas, F-D (N° Lexbase : A5251D8Y) ; Cass. soc., 31 mars 2009, n° 07-45.522, M. Joseph Circhirillo, F-D (N° Lexbase : A5169EE8, "absence fautive d'entretiens d'évaluation" ; Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-40.944, F-D (N° Lexbase : A1102ELE, "a fait l'objet d'une discrimination en raison de ses activités syndicales le délégué central syndical qui n'a pas été promu au statut de cadre, et ce alors qu'un autre délégué central syndical, avec lequel il se comparait, avait été promu alors qu'il était plus jeune et malgré une ancienneté moindre, l'employeur, qui avait cessé depuis plusieurs années de procéder à des entretiens d'évaluation, n'étant pas en mesure de justifier cette différence de traitement par des éléments objectifs et pertinents").
(13) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-45.747, Mme Josette Amblard, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4540EAE) et lire nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal", égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY) : "la cour d'appel, qui, hors toute dénaturation, a retenu que les tableaux comparatifs produits par la salariée étaient de nature à laisser supposer une inégalité de traitement tant en ce qui concerne l'avancement que la rémunération et que la RATP ne rapportait pas la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence de traitement, a légalement justifié sa décision de considérer la différence alléguée comme établie" ; Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.988, M. Lacaze, FS-P+B (N° Lexbase : A6023EIW) ; Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-40.944, F-D (N° Lexbase : A1102ELE, "a fait l'objet d'une discrimination en raison de ses activités syndicales le délégué central syndical qui n'a pas été promu au statut de cadre et ce, alors qu'un autre délégué central syndical, avec lequel il se comparait, avait été promu alors qu'il était plus jeune et malgré une ancienneté moindre, l'employeur, qui avait cessé depuis plusieurs années de procéder à des entretiens d'évaluation, n'étant pas en mesure de justifier cette différence de traitement par des éléments objectifs et pertinents").
(14) S'agissant, ici, du non-respect du princpe "à travail égal, salaire égal" : Cass. soc., 4 mars 2008, n° 06-45.258, Société Smurfit Kappa, F-D (N° Lexbase : A3290D7Y) : "M. G., après avoir connu une progression rapide à ses débuts, avait, à compter de l'exercice de ses premiers mandats, stagné au même coefficient durant trente ans et perçu un salaire régulièrement en-dessous de la moyenne annuelle des salaires de sa catégorie, sans que l'employeur justifie par des éléments objectifs cette différence de traitement, a pu décider que l'intéressé avait fait l'objet d'une discrimination prohibée par l'article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC, C. trav., art. L. 2141-5, recod. N° Lexbase : L3769IB9)".
(15) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.988, préc..
(16) Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-42.697, Société Renault, FS-P+B (N° Lexbase : A9566ECB) et les obs. de G. Auzero, Discrimination syndicale, mesures d'instruction et prescription, Lexbase Hebdo n° 338 du 18 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5636BIL).
(17) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-42.703, Mme Claudine Goetghebeur, F-D (N° Lexbase : A7258EBG).
(18) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06 43.504, Mme Françoise Bourdin c/ Société centre médico biologique (CMBM), FS P+B+R+I (N° Lexbase : A4538EAC) et nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal", égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, préc. ; Cass. soc., 28 octobre 2008, n° 07-41.856, Société Bouygues Télécom, F-D (N° Lexbase : A0686EBZ).
(19) Cass. soc., 3 décembre 2008, n° 06-45.111, M. Jean-Marie Laugaudin, F-D (N° Lexbase : A7117EB9).
(20) Sur ce sujet, notre étude, Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, Mélanges en l'honneur de Philippe le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 885, et les derniers développements en matière de responsabilité des fabricants de vaccins (lire, par ex., les obs. de A.-L. Blouet-Patin, Affaire du "Distilbène" : la Cour de cassation inverse la charge de la preuve !, Lexbase Hebdo n° 371 du 10 novembre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N3674BMZ).
(21) Pour des illustrations, voir l'étude dans l’Ouvrage "Droit du travail" .
(22) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.055, M. Guy Lambert c/ Mme Chantal Boursier, F-D (N° Lexbase : A8540DI7) : "l'employeur avait affecté la salariée dans un local exigu et sans outils de travail lors de sa reprise du travail le 11 février 1999, que ledit local était dépourvu d'un chauffage décent, que l'employeur avait également volontairement isolé Mme B. des autres salariés de l'entreprise en leur demandant de ne plus lui parler, qu'il avait été encore jusqu'à mettre en doute son équilibre psychologique et avait eu un comportement excessivement autoritaire à son égard ; qu'elle a pu en déduire que par leur conjonction et leur répétition ces faits constituaient un harcèlement moral".
(23) Cass. soc., 25 février 2009, n° 07-41.846, M. Guy Le Roux, F-D (N° Lexbase : A3956EDU) : "mais attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve produits devant elle, la cour d'appel, qui a relevé l'absence de volonté de l'employeur de déstabiliser des salariés auxquels il entendait seulement imposer de nouvelles méthodes de travail, a pu, par une décision motivée et sans devoir suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en déduire que l'existence d'un harcèlement moral n'était pas établie ; qu'elle a ainsi, tirant, sans dénaturation, les conséquences légales de ses constatations ne retenant pas la réalité d'une mauvaise foi de l'employeur, légalement justifié sa décision".

Décision

Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, Mme Ginette Borruto c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), service gestionnaire, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN)

Cassation CA Nancy, ch. soc., 20 avril 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 1134-1 (N° Lexbase : L6054IAH), L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P), L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) et L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B)

Mots clés : discrimination ; notion ; preuve ; harcèlement ; critères

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Sur les conditions de la régularité d'un acte de sous-location

Réf. : Cass. civ. 3, 28 octobre 2009, n° 08-18.736, Communauté d'agglomération Plaine Commune, venant aux droits de la société Marret, FS-P+B (N° Lexbase : A6095EMP)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 07 Octobre 2010

Le sous-locataire ne peut se prévaloir d'un droit au paiement d'une indemnité d'éviction à la suite du refus du propriétaire des locaux de renouveler son bail après la résiliation du bail principal, sans constater que l'acte de renouvellement de la sous-location avait été notifié au propriétaire conformément aux stipulations du bail principal, ou sans relever un acte clair et non équivoque établissant que ce dernier avait tacitement agréé le renouvellement du bail. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 2009. En l'espèce, des locaux à usage commercial avaient été donnés à bail, pour 53 ans à compter du 1er janvier 1987. Le bail autorisait le preneur à sous-louer librement tout ou partie des locaux, à charge de notifier au propriétaire, par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée, les actes de sous-location pour assurer leur opposabilité. Le preneur avait sous-loué une partie des locaux. Le sous-locataire, par acte du 19 avril 1994, établi avec le concours de la propriétaire, avaient cédé son fonds de commerce avec le droit au bail. Par acte du 7 avril 1999, ce bail avait été renouvelé. Le bail principal ayant été résilié par acquisition de la clause résolutoire, le sous-locataire avait demandé au propriétaire le renouvellement de son bail que ce dernier avait refusé au motif que l'acte du 7 avril 1999 ne lui avait pas été notifié. Le sous-locataire a alors assigné le propriétaire des locaux afin de se voir reconnaître le droit à une indemnité d'éviction.

La sous-location, dans le cadre d'un bail, est strictement réglementée par le statut des baux commerciaux. Si elle offre au sous-locataire certains droits à l'encontre du propriétaire, encore faut-il qu'elle soit régulière. L'arrêt rapporté permet de revenir sur les conditions de la régularité d'une sous-location et les sanctions encourues par le sous-locataire si elles ne sont pas remplies.

La sous-location est l'objet d'un a priori négatif du législateur. Si elle est autorisée par le droit commun du bail, encore qu'il soit expressément prévu qu'elle puisse être interdite (C. civ., art. 1717 N° Lexbase : L1839ABQ), le statut des baux commerciaux l'interdit par principe, sauf stipulation du bail ou autorisation du bailleur (C. com., art. L. 145-31 N° Lexbase : L5759AI7). Même, dans ce cas, le propriétaire doit être appelé à concourir à l'acte.

I - L'autorisation de sous-louer

Lorsqu'elle est expresse, elle peut être, comme dans l'espèce rapportée, générale, c'est-à-dire, stipulée au bail et donnée de manière abstraite, pour toute sous-location, éventuellement assortie de conditions. Elle peut également être spécifique, c'est-à-dire, donnée pour un acte de sous-location déterminé.

Il a été jugé que le droit du bailleur de refuser la sous-location n'est soumis à aucune limitation et que les tribunaux ne sauraient autoriser une sous-location (Cass. com., 16 juillet 1962, n° 60-10.426, Société immobilière commerciale et financière c/ Compagnie française svenska cellulosa N° Lexbase : A9632AGT). La théorie de l'abus de droit ne semble donc pouvoir trouver application en la matière.
Une autorisation tacite est possible (Cass. civ. 3, 14 novembre 1978, n° 76-15.069, Consorts Lecuyer c/ Société Chevrier et Compagnie SARL, Dame Wenner, Maire de Saint-Ouen N° Lexbase : A7257AGU), mais rarement admise par les tribunaux. Elle doit, en effet, être non équivoque. Ainsi, le silence du bailleur ne peut valoir renonciation à se prévaloir du droit qu'il tient de la loi d'être prévenu d'une sous-location (Cass. civ. 3, 19 janvier 1968, n° 66-11.986, Société des Etablissements Jean Bargueden c/ Consorts Dubois N° Lexbase : A1634ATP ; Cass. com., 25 janvier 1966, n° 63-12.642, Compagnie française des textiles N° Lexbase : A2875AUZ).

Concernant la portée d'une autorisation donnée, il doit être mentionné un arrêt intéressant qui a reconnu à une partie à un bail commercial la faculté de saisir le juge pour déterminer si le preneur bénéficie ou non d'une autorisation de sous-louer (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-17.636, FS-D N° Lexbase : A5905DZQ). Ecartant l'objection de l'autre partie, en l'espèce, le preneur, qui invoquait le caractère "provocatoire" d'une telle action, la Haute cour a jugé que cette demande constituait une prétention en ce qu'elle tendait à faire trancher une divergence d'interprétation de la situation contractuelle.

Si l'autorisation est générale, et à la condition qu'une sous-location considérée entre dans le champ de ladite autorisation, la question de sa réitération lors du renouvellement, a priori, ne se pose pas. En revanche, si l'autorisation est ponctuelle, il semblerait logique que la régularité du renouvellement de la sous-location soit subordonnée à un nouvel accord.
L'article L. 145-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L5760AI8), qui reconnaît à certaines conditions au sous-locataire un droit au renouvellement direct à l'encontre du bailleur principal, précise également que le propriétaire n'est tenu à ce renouvellement que s'il a expressément ou tacitement agréé la sous-location.
L'autorisation, si elle est nécessaire, n'est toutefois pas suffisante, comme le démontre l'arrêt rapporté. L'article L. 145-31 du Code de commerce impose également de convoquer le bailleur à l'acte de sous-location. Le bail peut, en outre, prévoir des stipulations imposant l'accomplissement de certaines formalités.

II - L'obligation légale d'appeler le bailleur à concourir à l'acte de sous-location et autres formalités contractuelles

A - L'article L. 145-31 du Code de commerce énonce, en effet, que "en cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l'acte".

De jurisprudence constante, et les praticiens doivent être extrêmement vigilants sur ce point eu égard aux sanctions encourues, la condition de l'autorisation du bailleur vient se cumuler avec l'obligation de l'appeler à concourir à l'acte. En conséquence, même s'il a autorisé la sous-location, le bailleur doit être appelé à concourir à l'acte (Cass. civ. 3, 18 mars 1987, n° 85-14.937, SARL Texamtilai c/ Mme Garot et autres N° Lexbase : A8212AGA ; Cass. civ. 3, 22 février 2006, n° 05-12.032, Mme Louise Stives c/ Société Agencement général du bois (AG Bois), FS-P+B+I N° Lexbase : A1446DNU).
Cette obligation s'impose même si l'acte de sous-location n'est pas lui-même un bail soumis au statut des baux commerciaux mais un simple bail dérogatoire visé à l'article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2320IBK) (Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-11.445, Société Exor c/ Société Claire Leroux interperformance N° Lexbase : A7580ABD).

La nécessité d'appeler le bailleur à concourir à l'acte, nonobstant l'existence d'une autorisation préalable, a été, par ailleurs, rappelée dans une espèce où les locaux loués objet de la sous-location étaient à usage d'habitation, le bail étant vraisemblablement mixte à usage commercial et d'habitation (Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-14.700, FS-P+B (N° Lexbase : A3487DRL).

Il a été, en outre, clairement affirmé qu'en cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l'acte de sous-location et que ce concours est exigé non seulement pour le premier contrat, mais également pour les renouvellements amiables suivants (Cass. civ. 3, 5 mai 1970, n° 69-10.121, SARL Société Sottam c/ Ville de Lyon et autre N° Lexbase : A6562AG7 ; Cass. civ. 3, 16 juin 1999, n° 97-15.461, Société Bemon c/ Société Pamar et autres N° Lexbase : A6417AGR). L'arrêt rapporté du 28 octobre 2009 rappelle implicitement que les formalités conditionnant la régularité d'une sous-location doivent également être respectées lors du renouvellement du sous-bail.
Le plus souvent pour pallier l'absence de convocation du bailleur à l'acte de sous-location, le preneur tente de soulever que le bailleur a reconnu la régularité de la sous-location a posteriori. Il a été jugé par exemple, de manière logique, que même s'il n'a pas été convoqué, le bailleur ne pourra se prévaloir de l'irrégularité d'une sous-location si, une fois l'acte conclu, il donne expressément son accord à ce dernier (Cass. civ. 3, 8 avril 1992, n° 90-21.168, Société Gustave Courbet c/ Société Métaux précieux industries et autre N° Lexbase : A3287ACQ).
Toutefois, l'argument est rarement retenu dans la mesure où le preneur s'appuie généralement sur une prétendue autorisation tacite. La Cour de cassation a, en effet, affirmé, d'une manière générale, que la connaissance ou la tolérance, même prolongée, du bailleur à la sous-location ne pouvait être assimilée à son concours à l'acte (Cass. civ. 3, 5 mai 1970, n° 69-10.121, préc. ; Cass. civ. 3, 11 mai 1976, n° 74-10.585, Epoux Bourreau c/ Dame Pebrier, Epoux Grolleau, Dame Bonnet, Epoux Chevrier N° Lexbase : A5476AYH ; Cass. civ. 3, 22 février 2006, n° 05-12.032, Mme Louise Stives c/ Société Agencement général du bois (AG Bois), FS-P+B+I N° Lexbase : A1446DNU ; voir, également, Cass. civ. 3, 29 novembre 1995, n° 93-14.250, Société EMS, société à responsabilité limitée c/ M. Haïm Sayada N° Lexbase : A8601AGN).

Ainsi :
- le simple fait pour le bailleur de répondre à un sous-locataire qui lui réclame des travaux sans émettre de réserver sur sa qualité à les réclamer ne vaut pas ratification de l'acte de sous-location auquel le bailleur n'avait pas été appelé (Cass. civ. 3, 22 février 2006, n° 05-12.032, préc.) ;
- l'acceptation du règlement des loyers par "l'occupant" sur le compte personne du bailleur ne peut s'assimiler à son concours à l'acte de sous-location (Cass. civ. 3, 29 novembre 1995, n° 93-14.250, préc.)

Dans l'arrêt du 28 octobre 2009, le sous-locataire s'est vu refuser le renouvellement en raison de l'absence de notification de l'acte de renouvellement de la sous-location (le bail imposant de notifier au bailleur les actes de sous-location) et de l'absence d'agrément tacite de la sous-location. La Haute cour précise en effet que, si l'agrément peut être tacite, il doit être clair et non équivoque et la simple détention par le mandataire du bailleur de l'acte de sous-location litigieux ne permettait pas de conclure à l'existence de cet agrément.

B - Le bail peut, également, imposer le respect de certaines formalités lors de la conclusion d'un acte de sous-location. La question peut se poser de l'articulation de ces formalités de source contractuelle et l'obligation légale d'appeler le propriétaire à concourir à l'acte, étant précisé que les dispositions de l'article L. 145-31 du Code de commerce ne sont pas qualifiées d'ordre public par l'article L. 145-15 du même code (N° Lexbase : L5743AIK).
Sans surprise, il a été précisé que la mention selon laquelle le preneur fera son affaire personnelle de la sous-location sans avoir besoin du consentement du bailleur ne signifiait pas qu'il était dispensé de l'obligation légale d'appeler le bailleur à l'acte de sous-location et que la renonciation à s'en prévaloir ne peut se présumer (Cass. civ. 3, 21 mars 1990, n° 89-11.733, Gangate c/ Mme Baillié, inédit au bulletin N° Lexbase : A0266CYI).
Il a été également jugé que la clause du bail stipulant que le propriétaire doit être informé des sous-locations n'exonère pas le preneur de son obligation de l'appeler à concourir à l'acte (Cass. civ. 3, 4 octobre 1995, n° 93-18.775, Mme Christine Martin, épouse Jeanneret c/ Société Maubrey Finet et autres N° Lexbase : A9951ATQ).

L'arrêt rapporté semble à première vue s'éloigner de cette dernière solution. Le bail prévoyait en effet que le preneur devait notifier l'acte de sous-location, formalité qui n'avait pas été accomplie lors du renouvellement de cet acte. La demande du sous-locataire formée à l'encontre du bailleur principal et tendant à se voir reconnaître un droit au renouvellement a été rejetée en raison de l'absence de respect de cette formalité et d'agrément à la sous-location dont la fonction, semble-t-il, aurait pu être de régulariser a posteriori l'absence d'accomplissement de cette formalité. N'est donc pas évoquée l'absence de convocation à l'acte de sous-location. Il ne faut, toutefois, pas en conclure que toute stipulation contractuelle imposant au preneur d'informer le bailleur des actes de sous-location le dispenserait d'appeler le bailleur à concourir à l'acte de sous-location. En effet, il semble, en l'espèce, que le bailleur n'ait refusé le renouvellement que pour le défaut de notification sans lui-même se prévaloir de l'absence de convocation à concourir à l'acte.

En conséquence, et à moins qu'une clause du bail ne prévoit expressément que le preneur est dispensé de convoquer le bailleur à l'acte de sous-location, et sous réserve de la validité d'une telle clause, il faut convoquer le bailleur à l'acte de sous-location, et à ses renouvellements, formalité qui viendra s'ajouter le cas échéant avec d'autres formalités contractuelles qu'il conviendra également de respecter.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Création de la fonction de vice-Bâtonnier - Questions à Maître Jean-Yves Le Borgne, futur vice-Bâtonnier du barreau de Paris

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N4667BMS

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Le 1er janvier 2010, Maître Jean-Yves Le Borgne, éminent pénaliste, deviendra le premier vice-Bâtonnier de l'histoire du Barreau français. L'Institution de cette fonction par le décret du 14 octobre 2009 (décret n° 2009-1233, modifiant le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et relatif au vice-Bâtonnier N° Lexbase : L8677IE4) répond à des impératifs d'efficacité, de modernité, et surtout, d'opportunité, puisque le texte a été spécialement établi pour permettre au barreau de Paris de régler les difficultés liées à sa représentation. Cet ordre est le premier de France. Près de vingt-et-un mille avocats y sont inscrits -soit environ la moitié de la profession-, issus tant du contentieux que du conseil. L'importance de ce barreau, en termes d'effectifs (il emploie plus de 180 salariés), de professionnels inscrits et d'image dans la vie publique, implique que son Bâtonnier assume une mission dont il serait irréaliste de croire qu'elle puisse être honorée par une seule personne, comme le soulignait Jean Castelain (2), lors de sa campagne (3). C'est dans le cadre des élections à la mandature 2010/2012, que ce dernier a donc présenté une candidature bicéphale (proche du ticket instauré aux USA pour les élections présidentielles), Jean-Yves Le Borgne, étant candidat à ses côtés à des fonctions juridiquement virtuelles de vice-Bâtonnier. Malgré la noblesse des objectifs poursuivis, des oppositions, notamment de la part de l'establishment conservateur se sont élevées. Fort heureusement, les avocats ont tranché, Jean Castelain et Jean-Yves Le Borgne ayant rassemblé, de loin, la majorité des suffrages (4). L'article 4 du décret 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID) dispose, désormais, que "tout candidat à l'élection aux fonctions de Bâtonnier peut présenter la candidature d'un avocat appelé à exercer les fonctions de vice-Bâtonnier".

Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré celui qui sera dans quelques semaines vice-Bâtonnier du barreau de Paris, pour nous exposer les raisons de cette nouvelle fonction, son régime et son opportunité pour les autres barreaux.

Lexbase : A quand remonte l'idée d'instaurer un vice-Bâtonnier ?

Jean-Yves Le Borgne : J'ai eu cette idée, voilà déjà plus d'une décennie, après avoir été candidat au bâtonnat de Paris. En 1996, quatre ans après la fusion des avocats et des conseils juridiques, la question se posait de l'opportunité de la représentation par une seule personne de ces deux activités, désormais ralliées sous la même bannière. Cette proposition avait, aussi, pour objet de pallier l'impossibilité pour la même personne de remplir au mieux toutes les missions attachées à la fonction de Bâtonnier. Celui-ci doit "être disponible pour chacun et compétent dans tous les domaines" (5). Parallèlement, il se doit d'assister à de nombreuses manifestations, plus encore à Paris qu'ailleurs. Mais, à l'époque, cette idée n'a pas reçu d'écho. La France est un pays de droit écrit et le monde judiciaire est un monde conservateur fortement attaché au texte (en dehors duquel rien n'existe, ou presque) ce qui explique, me semble-t-il, les réticences qu'a, dans un premier temps, soulevées l'instauration de cette nouvelle fonction.

Depuis la fin des années 90, les effectifs du barreau de Paris n'ont cessé de grossir, tandis que s'alourdissaient les charges de son Bâtonnier. Par ailleurs, la question de la juste représentation des divers modes d'exercice de la profession restait sans réponse appropriée. Il devenait urgent de réformer les institutions, qui n'avaient pas été modifiées depuis près de vingt ans (à l'occasion de la fusion des avocats et des conseils juridiques). Jean Castelain l'a compris et il a estimé que la candidature bicéphale était la réponse la plus adaptée à la situation. Certaines oppositions, notamment de la part d'une partie de l'establishment, se sont élevées, parce que notre proposition était novatrice, au point d'être en rupture totale avec une tradition monarchique solidement établie. Certains ont même cru devoir dénoncer un coup électoral de notre part. C'était oublier que l'idée avait été avancée de nombreuses années auparavant, excluant que l'on puisse nous prêter un tel dessein strictement tactique.

Nous avons décidé de nous en remettre aux principaux intéressés : les avocats du barreau de Paris. Nous les avons rencontrés et leur avons expliqué notre projet en toute transparence. Leur jugement sur notre proposition a été majoritairement favorable et leurs suffrages ont confirmé leur intérêt pour notre projet. Le fait que le principe de la réforme soit entre leurs mains, sans qu'on ait dû préalablement recourir à un texte, a certainement aidé notre cause. La complémentarité de nos candidatures représentait aussi une chance : Jean Castelain est associé au monde des affaires et du conseil, alors que je le suis au monde judiciaire. En même temps, nos compétences ne sont pas cloisonnées, puisqu'il plaide régulièrement et que j'interviens, aujourd'hui, essentiellement sur des dossiers politiques et financiers.

Lexbase : Il existait, déjà, des possibilités de délégation. Qu'apporte le statut de vice-Bâtonnier ? Quels sont les cas d'empêchements visés par le décret ?

Jean-Yves Le Borgne : L'article 7 du décret du 27 novembre 1991, dans sa version antérieure, disposait, en effet, que "le Bâtonnier [pouvait] déléguer à un ou plusieurs membres du conseil de l'ordre une partie de ses pouvoirs pour un temps limité". En outre, "en cas d'absence ou d'empêchement temporaire, il [pouvait] pour la durée de cette absence ou de cet empêchement, déléguer la totalité de ses pouvoirs à un ou plusieurs membres de ce conseil". Hors le cas de l'empêchement, les délégations sont toujours limitées dans leur objet et dans le temps.

Désormais, le texte prévoit que "le Bâtonnier peut déléguer une partie de ses pouvoirs au vice-Bâtonnier, s'il en existe". Les pouvoirs délégués ne le sont plus nécessairement de façon temporaire. Par ailleurs, l'autorité liée au titre était nécessaire vis-à-vis des interlocuteurs, qui n'auront plus à se poser la question de la capacité de décision, puisqu'ils traiteront avec l'alter ego du Bâtonnier. Est, parallèlement, conservé le système des délégations temporaires accordées aux autres membres du conseil de l'Ordre. Enfin, en cas d'absence ou d'empêchement temporaire, le Bâtonnier, pourra déléguer la totalité de ses pouvoirs au vice-Bâtonnier. L'idée est que, quelle que soit la situation, l'ordre échappe à la paralysie liée à l'indisponibilité de son chef.

L'empêchement sera souvent dû aux obligations du Bâtonnier, dont la présence pourra être requise à plusieurs endroits différents. Dans notre tandem, Jean Castelain, plus orienté sur l'international, honorera en priorité les événements qui se dérouleront à l'étranger, tandis que mon champ d'intervention sera, vraisemblablement, plus hexagonal. La notion d'empêchement vise bien entendu également la maladie. Le cas du décès du Bâtonnier n'est pas prévu par le nouveau texte ; il faudra certainement aménager ce cas de figure dans l'avenir, pour poser la règle de l'exécution par le vice-Bâtonnier du temps de mandat que le Bâtonnier disparu n'aura pas pu accomplir.

Lexbase : Le statut de vice-Bâtonnier pose la question de l'entente et de la confiance entre le Bâtonnier et le vice-Bâtonnier. Comment cette entente et cette confiance doivent-elles se traduire ?

Jean-Yves Le Borgne : Il est certain que le rapport qui unit le Bâtonnier et le vice-Bâtonnier doit être solide et reposer sur la confiance. C'est le cas entre Jean Castelain et moi. Nous nous connaissons bien et nous avons déjà eu l'occasion de travailler ensemble, lorsque nous étions tous deux membres du conseil de l'Ordre en 1992. Nous nous estimons et nous nous respectons. Néanmoins, il pourra arriver, pour les prochaines mandatures, qu'un duo soit proposé pour des raisons politiques, sans que cette alliance recouvre une véritable harmonie. Il fallait, donc, prévoir un système prévenant d'éventuels conflits et une paralysie de l'institution. Dans cette optique nous avons souhaité que le vice-Bâtonnier ne dispose que de pouvoirs délégués ; le dispositif de la délégation (tant au profit du vice-Bâtonnier qu'à celui des membres du conseil de l'Ordre), révocable à tout moment par le déléguant, met dans la main du Bâtonnier l'instrument de règlement de tout conflit potentiel.

Lexbase : Lors de la campagne, vous avez pris l'engagement de ne pas vous présenter aux fonctions de Bâtonnier à l'issue de votre mandat de vice-Bâtonnier et de ne pas être rémunéré. Pour quelles raisons ? Pensez-vous que cela doive s'appliquer à vos successeurs ?

Jean-Yves Le Borgne : J'ai pris ces deux engagements, dès le début de la campagne, pour attester du bien-fondé et de la légitimité de la démarche et écarter les soupçons d'intérêt personnel. Ces prises de position sont effectivement motivées par des raisons politiques. L'objectif était d'apaiser les craintes de ceux qui demeuraient sceptiques sur les nécessités ou les motivations de notre projet.

Prévoir que le vice-Bâtonnier ne postulerait pas aux fonctions de Bâtonnier à l'issue de son mandat permet également d'éviter la stratégie "Poutine/Medvedev". Cette règle non écrite a aussi l'avantage de laisser le vice-Bâtonnier assumer son mandat sans avoir à gérer simultanément une préoccupation électorale. En effet, si le vice-Bâtonnier envisageait de succéder au Bâtonnier, il serait candidat l'année même de sa prise de fonction, ce qui n'est pas souhaitable.

Quant à l'absence de rémunération, elle n'est pas destinée à s'appliquer à mes successeurs. Au début des années quatre-vingt, quand il a été question d'indemniser le Bâtonnier, Bernard de Bigot du Granrut, qui en a pris l'initiative, l'a fait voter pour son successeur. Depuis cette époque, les Bâtonniers ont été indemnisés, ce qui est légitime compte tenu de l'importance de leur mission et du temps qu'ils lui consacrent.

Lexbase : Le statut de vice-Bâtonnier se justifie à Paris. Qu'en est-il pour les autres barreaux ? Quelle idée ont-ils d'une telle fonction ?

Jean-Yves Le Borgne : Concernant Paris, pour les raisons que j'ai exposées précédemment, l'instauration d'un tel statut se justifie pleinement. Elle est même indispensable et les avocats des autres barreaux l'admettent majoritairement. Mais le barreau des Hauts-de-Seine s'est, également, déclaré favorable à cette institution nouvelle. Tout comme le barreau de Paris, ce barreau est protéiforme, à la fois très orienté sur le monde des affaires et comportant aussi un important barreau judiciaire.

Les autres barreaux de France ont montré moins d'intérêt pour l'institution nouvelle. Néanmoins, avec le temps, je suis certain que certains Ordres, confrontés à l'ampleur de la tâche et aux spécificités de la représentation d'activités professionnelles différentes, opteront pour l'élection d'un ticket de Bâtonniers.


(1) Avocat depuis 1973, Jean-Yves Le Borgne a consacré toute sa carrière au droit pénal. Après avoir plaidé de nombreuses affaires d'assises, il se consacre, désormais, au droit pénal politique et financier. Il a été 4ème secrétaire de la Conférence du stage et membre du conseil de l'Ordre.
(2) Jean Castelain, associé gérant du cabinet Granrut, est avocat depuis 1978. Spécialisé en propriété intellectuelle et droit de la presse, il a été 12ème secrétaire de la Conférence du stage, membre du conseil de l`Ordre et du CNB.
(3)"Est-il raisonnable de faire peser une telle charge sur les épaules d'une seule femme ou d'un seul homme ?", extrait de Tribune pour un vice-Bâtonnier, J. Castelain.
(4) A l'issue du second tour des élections du Bâtonnier de Paris, Jean Castelain est élu avec 4 608 voix, soit 52,14 % des suffrages exprimés ; Jean-Yves Le Borgne, lui, avait recueilli, dès le premier tour, la majorité absolue des voix.
(5) Tribune pour un vice-Bâtonnier, J. Castelain, préc..

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Protection sociale

[Jurisprudence] Sauf dispositions contraires, le contrat de groupe couvrant les cadres de l'entreprise souscrit auprès d'une société d'assurance reste régi par le Code des assurances

Réf. : Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, Société Axa France vie, FS-P+B (N° Lexbase : A2727EMX)

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N4632BMI

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262 - Université de Rennes 1)

Le 07 Octobre 2010


Au regard de la multiplication des règles ayant pour objet les dispositifs de protection sociale complémentaire d'origine professionnelle (complémentaire santé, prévoyance, retraite supplémentaire), il n'est pas incongru d'affirmer qu'un droit de la protection sociale d'entreprise s'est progressivement construit. Sa visibilité est, toutefois, quasi inexistante tant le cadre juridique applicable à la protection sociale d'entreprise est complexe (I). Cette complexité est regrettable en elle-même, mais, surtout, en ce qu'elle peut emporter des effets juridiques peu opportuns, dont un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 octobre 2009 constitue une illustration -malheureusement- éclatante (II).

Résumé

L'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2792HIA) est une disposition qui, selon l'article L. 931-1 du même code (N° Lexbase : L2760HI3), ne s'applique qu'aux opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance, à l'exclusion des contrats souscrits dans ce même cadre auprès d'une société d'assurance, qui restent régis par les dispositions du Code des assurances.

I - Le cadre juridique de la protection sociale d'entreprise : de nombreux facteurs de complexité

L'éparpillement des règles applicables représente sans nul doute l'un des principaux facteurs de complexité auquel les entreprises se heurtent à l'occasion de l'instauration d'un régime de prévoyance pour leurs salariés. A l'heure où la simplification du droit devient un leitmotiv pour nos législateurs, l'on ne peut que constater avec grand regret que, dans le domaine de la protection sociale complémentaire d'origine professionnelle, aucune traduction d'une éventuelle simplification n'est intervenue. Pourtant, une occasion s'est récemment présentée de clarifier certaines dispositions applicables en la matière. En effet, la recodification du Code du travail -dont l'entrée en vigueur s'est produite au 1er mai 2008- aurait pu permettre de regrouper dans un titre commun l'ensemble des dispositions du droit du travail ayant trait à la protection sociale d'entreprise. Cette occasion n'a pas été saisie (1). Le cadre juridique continue donc d'être littéralement éclaté, puisque le droit applicable se trouve contenu dans plusieurs codes (Code du travail, Code de la Sécurité sociale, Code des assurances, Code de la mutualité, Code général des impôts (2)) ; dans des textes législatifs non codifiés (spécialement la loi "Evin" (3)) ; dans des textes conventionnels, au rang desquels on peut citer la Convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, mais, également, le fameux accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, relatif à la modernisation du marché du travail et son avenant n° 3 du 18 mai 2009, ayant trait à la portabilité des garanties en matière de prévoyance largo sensu ; et dans la doctrine administrative, qui est omniprésente et incontournable afin de déterminer les conditions pour que le régime d'entreprise bénéficie du régime fiscal et social de faveur (4). Cette dispersion des règles applicables soulève inévitablement des difficultés d'ordre pratique, qu'une bonne connaissance du domaine et une veille juridique attentive (5) peuvent atténuer.

Plus fondamentalement, doit être mise en avant l'absence d'unité conceptuelle en matière de protection sociale complémentaire. Déjà problématique en lui-même, l'empilement de textes se réalise sans recherche d'une quelconque cohérence d'ensemble. Il en ressort l'impression que les pouvoirs publics "naviguent à vue", gèrent au coup par coup les évolutions législatives et réglementaires et sont dans la réaction bien davantage que dans l'anticipation et la planification d'une véritable politique. Qui plus est, "la politique législative et réglementaire française (à la différence d'autres Etats de l'Union européenne comme l'Allemagne) tend à gommer, autant que faire se peut, les dimensions sociales de la protection sociale d'entreprise pour principalement traiter ce sujet comme un pur produit d'assurance" (6).

La pluralité des organismes d'assurance habilités à mettre en oeuvre des opérations de prévoyance (7) n'est pas non plus sans soulever des difficultés d'ordre juridique. Pour souscrire un contrat collectif visant à garantir les salariés contre certains risques lourds (incapacité de travail, invalidité, décès), l'entreprise a le choix entre trois catégories d'offreur : les sociétés d'assurance, les mutuelles et les institutions paritaires de prévoyance. Or, il s'agit là d'entreprises d'assurance n'ayant pas la même nature juridique et obéissant, par voie de conséquence, à des règles d'organisation et de fonctionnement différentes. Certes, sous l'effet du droit communautaire qui s'intéresse à l'activité développée et non à celui qui l'exerce et à l'occasion des transpositions successives des Directives "assurance", une certaine forme de banalisation s'est opérée entre les différents offreurs (8) ; cela se vérifie tout particulièrement en ce qui concerne les règles applicables aux structures dont l'alignement est manifeste (normes prudentielles à respecter, marges de solvabilité, autorité de contrôle (9)). Mais c'est d'harmonisation dont il s'agit et non d'unification ; subsistent, dès lors, des différences de régime juridique se manifestant spécialement dans les relations entre l'entreprise d'assurance et le souscripteur d'un contrat, les textes applicables n'étant pas identiques (le Code des assurances pour les sociétés d'assurance, le Code de la Sécurité sociale pour les institutions paritaires et le Code de la mutualité pour les mutuelles). L'arrêt commenté constitue, à cet égard, un formidable révélateur des conséquences de cette diversité juridique.

II - Une illustration inédite mais topique des effets induits de la complexité du cadre juridique de la protection sociale d'entreprise

La complexité ci-dessus décrite peut s'avérer contre-productive alors que les pouvoirs publics n'ont de cesse d'encourager toutes les formes de protection sociale complémentaire. En effet, l'accessibilité réduite de ces dispositifs est très certainement un frein à leur développement, particulièrement dans les petites et moyennes entreprises. Cette complexité peut également déboucher, comme au cas d'espèce, sur une certaine forme d'inégalité juridique.

  • Le contexte juridique de l'affaire

En application de l'article 7 de la Convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947, les employeurs doivent verser à une institution de prévoyance ou un organisme d'assurance une contribution représentant au moins 1,5 % de la tranche A du salaire de certains personnels d'encadrement (10) et ce, afin de financer des avantages en matière de prévoyance, dont prioritairement des garanties en cas de décès. A défaut d'avoir souscrit un tel contrat, l'article 8 précise qu'en cas de décès du cadre, l'employeur doit en assumer les conséquences au regard des ayants droit en leur versant une somme représentant trois fois le plafond annuel de la Sécurité sociale (11).

  • Les faits de l'espèce

Une entreprise avait souscrit, auprès de l'assureur Axa, un contrat de groupe afin de satisfaire à l'obligation que l'article 7 de la Convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947 met à la charge des employeurs. Le 25 septembre 2001, un cadre de l'entreprise décède et sa veuve demande à la société d'assurance des informations sur la garantie (capital décès) souscrite par l'employeur. Axa lui oppose la réalisation -à compter du 2 septembre 2001- du contrat de groupe, résiliation qui serait intervenue faute pour l'entreprise souscriptrice de s'être acquittée du paiement de sa contribution alors que l'article 5 du contrat stipulait que l'admission du salarié aux garanties était conditionnée au paiement de la cotisation par l'employeur.

La veuve assigne alors l'employeur en paiement du capital décès prévu par défaut (article 8 de la convention de 1947), tout en appelant à la cause l'assureur. Et c'est l'assureur qui est condamné en appel au paiement de la garantie contractuelle, sur le fondement de l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale, qui imposerait, dans une telle situation, "à l'institution concernée de poursuivre le paiement des cotisations, sans pouvoir priver d'effet la garantie souscrite au profit du salarié, au seul motif d'une absence de règlement de la cotisation due par l'employeur".

  • La solution

La décision d'appel est cassée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au motif que l'article L. 932-9 du Code de la sécurité sociale est une disposition qui, selon "l'article L. 931-1 du même code, ne s'applique qu'aux opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance à l'exclusion des contrats souscrits dans ce même cadre auprès d'une société d'assurance qui restent régis par les dispositions du Code des assurances". Il est donc reproché aux juges du fond d'avoir refusé de faire application des dispositions du Code des assurances (spécialement l'article L. 132-20 (12)), alors même que la nature juridique de l'assureur en cause ne le faisait pas entrer dans le champ de l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale. Au cas d'espèce, l'assureur était donc délié de toute obligation à l'égard des ayants droit du salarié décédé car il pouvait valablement leur opposer la résiliation du contrat de groupe survenue consécutivement au non paiement de la contribution patronale.

  • Une solution inopportune et peut-être également contestable

La solution de la Cour de cassation est inopportune et contraire à l'évolution du droit applicable aux opérations de protection sociale complémentaire. Cette évolution se "désintéresse" de plus en plus de la nature juridique de l'assureur pour se centrer sur la nature et l'objet de l'opération d'assurance. De ce point de vue, la loi "Evin" est emblématique, puisque les assureurs se voient tous appliquer un certain nombre de règles communes dans le cadre de dispositifs de prévoyance collective (13) ; ainsi, pour ce texte, peu importe avec quel organisme d'assurance l'entreprise souscrit le contrat de groupe. Or, ici, la solution retenue conduit à appliquer à une même opération (souscription d'un contrat en application de l'article 7 de la Convention collective des cadres) des règles différentes, la différenciation de régime juridique dépendant exclusivement de l'entreprise d'assurance choisie par l'employeur. Pratiquement, cela signifie qu'en cas de non paiement des cotisations par leur employeur, les salariés pourront plus aisément obtenir le bénéfice des garanties si l'assureur est une institution de prévoyance ou encore une mutuelle (et non une société d'assurance) car la résiliation du contrat collectif pour défaut de paiement n'est permise ni par le Code de la Sécurité sociale (art. L. 932-9), ni par le Code de la mutualité (art. L. 221-8-III N° Lexbase : L6032DKM) (14), alors qu'elle l'est par le Code des assurances (art. L. 132-20 N° Lexbase : L0149AAR). Cela crée des disparités entre salariés pour une opération d'assurance identique, sans compter qu'ils peuvent ignorer la perte de la couverture complémentaire (15). Inopportune, la solution l'est sans conteste d'un point de vue social.

Pour autant, la solution semblait juridiquement inévitable puisqu'aucun texte spécial applicable à toutes les catégories d'assureur ne régit le défaut de paiement des cotisations par l'employeur dans le cadre de contrat de groupe, la loi "Evin" étant muette sur ce point. N'existent que des dispositions propres à chaque type d'organisme d'assurance, leur champ d'application ne dépendant que de la nature juridique de l'assureur et non du type d'opération. C'est très clairement le cas de l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale, dont les dispositions ne sont applicables qu'aux opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance. C'est donc logiquement que les juges de cassation en ont écarté l'application pour Axa, qui n'est pas une institution de prévoyance.

Toutefois, on peut se demander si l'absence d'harmonisation des textes sur la question de la résiliation pour non paiement de ses cotisations par l'employeur ne porte pas atteinte au principe de libre concurrence entre opérateurs d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles ne pouvant résilier et devant non seulement mettre en oeuvre les garanties au bénéfice des salariés mais également supporter le coût d'une éventuelle action en justice tendant à obtenir l'exécution du contrat. Par conséquent, à opération d'assurance identique, règles du jeu différentes... ce qui semble une situation juridique peu euro-compatible.


(1) Certains auteurs n'ont, d'ailleurs, pas manqué de fustiger le législateur sur ce point. Voir S. Hennion, JCP éd. E., n° 31/2008, chronique Protection sociale d'entreprise, n° 5.
(2) A cette liste déjà fournie, on peut ajouter le Code du commerce, dans ses dispositions relatives aux rémunérations des dirigeants, spécialement aux avantages de retraite, qui peuvent leur être concédés, et le Code monétaire et financier.
(3) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques (N° Lexbase : L5011E4D).
(4) Un intérêt tout particulier doit être porté à la circulaire n° DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009, relative aux modalités d'assujettissement aux cotisations et contributions de Sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement des prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire (N° Lexbase : L9384ICK). Pour une analyse des apports de ce texte, voir M. Del Sol et M. Delumeau, Le financement des prestations de prévoyance, BSFL, n° 8-9/2009, pp. 425-435.
(5) Pour une veille dédiée, voir la chronique biannuelle d'actualité Protection sociale d'entreprise, sous la direction de Sylvie Hennion, JCP éd. E.
(6) S. Hennion, préc..
(7) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 1er.
(8) D'ailleurs, le droit communautaire évoque ces offreurs en recourant au terme générique d'entreprise d'assurance.
(9) Il s'agit de l'Acam (Autorité de contrôle des assureurs et des mutuelles).
(10) Sont concernés les cadres entrant dans la définition des articles 4 et 4 bis de la convention.
(11) Ainsi, pour un décès survenu en 2009, la somme s'élèverait à 102 924 euros.
(12) Texte dont le deuxième alinéa dispose en substance que le non paiement d'une prime est susceptible d'entraîner la résiliation du contrat.
(13) Loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, art. 2 (principe de non sélection applicable aux contrats "frais de santé" et obligation de prise en charge de la suite des états pathologiques antérieurs à la souscription du contrat) ; et art. 7 (sort des prestations acquises en cas de résiliation du contrat).
(14) Reste à l'assureur à poursuivre en justice l'exécution du contrat par l'entreprise souscriptrice.
(15) La possibilité de se retourner contre l'employeur pour le préjudice né du défaut de paiement, mais, également, de la perte de la protection sociale complémentaire n'est pas discutable, mais sa mise en oeuvre peut s'avérer fort dissuasive.


Décision

Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, Société Axa France vie, FS-P+B (N° Lexbase : A2727EMX)

CA Caen, 1ère ch., sect. civ., 2 septembre 2008

Textes visés : CSS, art. L. 932-9 (N° Lexbase : L2792HIA) et L. 931-1 (N° Lexbase : L2760HI3)

Mots clés : protection sociale complémentaire ; contrat de groupe ; société d'assurance ; Code des assurances

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Collectivités territoriales

[Jurisprudence] L'arbitrage, par le juge administratif, entre intérêt général et propriété privée dans le domaine des mesures de police visant la prévention des catastrophes naturelles

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 21 octobre 2009, n° 310470, Mme Roger (N° Lexbase : A2535EMT)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

Si l'Etat joue un rôle central en matière de prévention des risques naturels, le maire dispose de pouvoirs de police importants dans le domaine de la sécurité et de l'environnement, en application des articles L. 2212-2 (N° Lexbase : L3470ICI) et suivants du Code général des collectivités territoriales (1). Ainsi, si la police de la navigation, la police de la conservation et la police des eaux relèvent du préfet, le maire retrouve sa compétence pour la police des inondations (2). A ce titre, et en cas de danger grave ou imminent, le maire a le pouvoir de prescrire l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances (3). C'est à l'occasion de la prise de l'une de ses mesures que les faits de l'espèce vont témoigner de l'importance et de l'intensité du contrôle du juge administratif en la matière. Par arrêté du 5 mai 2003, le maire de Collias (Gard) a interdit, en attente d'une acquisition amiable de la commune, et dans le cadre des pouvoirs de police générale qu'il tient de l'article L. 2212-2 précité, l'occupation d'un ancien moulin à eau. L'immeuble étant situé à proximité du confluent du Gardon et de l'Alzon, en zone R1, où les constructions nouvelles sont normalement interdites par le plan de prévention des risques naturels approuvé le 2 février 1998 par le préfet du Gard, celui-ci était exposé à des risques en cas de crues exceptionnelles et simultanées de ces deux cours d'eau. Cet arrêté était, plus précisément, fondé sur des motifs tirés de l'ampleur des inondations qui avaient affecté la commune en 2002, et des dégâts causés, à cette occasion, à la propriété de la requérante. La propriétaire a déféré l'arrêté litigieux devant le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté son recours par un jugement du 18 octobre 2005. Selon le juge, l'intéressée n'était pas fondée à soutenir que la commune aurait eu pour but d'acquérir sa propriété et que, notamment, la fixation par le service des domaines de la valeur du bien à 270 000 euros justifiait d'un intérêt financier supposé de ladite commune. L'arrêté a bien été pris dans un but d'intérêt général afin d'assurer la sécurité des personnes et des biens dans la zone concernée. Le détournement de pouvoir allégué par la requérante n'est donc pas établi par les pièces du dossier. Saisie à son tour, la cour administrative d'appel de Marseille (4) confirme la décision des premiers juges en affirmant qu'"eu égard à la gravité des risques encourus, le maire, alerté sur la volonté de Mme X de réintégrer les lieux par sa déclaration de travaux pour la réfection de la toiture déposée en mairie le 3 mars 2003, n'a pas, en l'espèce, commis d'erreur d'appréciation". Les circonstances que le moulin, construit au quatorzième siècle, aurait subi de multiples crues sans dégâts majeurs, que la culture du risque serait bien intégrée par les riverains résidant en zone R1, que des camping-cars seraient autorisés à stationner dans cette zone, et que des moulins y auraient été réhabilités et seraient occupés en tant que résidence principale sont, à les supposer même établies, sans incidences sur la légalité de l'arrêté attaqué.

La propriétaire se pourvoit en cassation contre l'arrêt ainsi rendu par la cour administrative d'appel de Marseille et obtient, assez paradoxalement, gain de cause, en dernier recours. Le Conseil d'Etat accueillant la requête en estimant qu'il n'appartenait pas au maire "de prendre une mesure permanente et définitive privant la propriétaire actuelle de l'usage de son bien en interdisant toute occupation de l'immeuble dans l'attente d'une éventuelle acquisition amiable par la commune", tout en précisant ce qu'il était en mesure d'accomplir dans l'exercice de ces pouvoirs de police. En l'occurrence, il pouvait demander au préfet d'engager la procédure d'expropriation prévue à l'article L. 561-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1719DKU) s'il estimait que les conditions en étaient réunies. Il pouvait, également, en vertu des pouvoirs de police générale qu'il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales, prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde, mais en aucun cas la mesure décidée.

L'arrêt rendu en l'espèce par le Conseil d'Etat illustre la tendance récente du juge administratif à rechercher, ici dans le domaine singulier de l'exercice des mesures de police visant la prévention des catastrophes naturelles, l'équilibre entre intérêt général et intérêts particuliers, mouvement dans lequel le Conseil se montre particulièrement soucieux des atteintes croissantes à la propriété privée. N'étant pas le juge attitré de la protection de la propriété privée, son contrôle ne cesse de s'étendre en la matière, notamment sous l'influence des jurisprudences conventionnelles et constitutionnelles faisant du juge administratif un gardien du droit de propriété au même titre que le juge judiciaire, que l'on conçoive celui-ci, comme en l'espèce, sous l'angle de la libre disposition de ses biens, ou qu'on lui donne d'autres dimensions. Dans son contrôle, le juge administratif n'est pas dépourvu de moyens de protéger le droit de propriété, notamment grâce à l'intensité du contrôle qu'il peut développer en la matière, celui-ci s'analysant en un contrôle normal et "maximum" de la mesure de police prise pour limiter le droit de propriété par rapport aux motifs nécessitant cette mesure. Ce contrôle oblige les maires à prendre les mesures de police en parfaite adéquation avec les motifs de la décision ce qui peut, en un certain sens, être jugé excessif vis-à-vis de la charge et des responsabilités qui pèsent sur les maires en matière de protection de la sécurité et de l'environnement. Au final, la décision du Conseil d'Etat reflète l'attitude particulièrement soucieuse du juge quant aux atteintes croissantes à la propriété privée (I), tout comme son attitude particulièrement rigoureuse dans le contrôle de l'exercice des pouvoirs de police du maire (II).

I - Un juge particulièrement soucieux des atteintes croissantes à la propriété privée

Dans l'arrêt d'espèce, et dans sa recherche de l'équilibre entre l'intérêt général et les intérêts particuliers, l'on peut dire que le juge suprême se montre particulièrement soucieux du respect du droit de propriété, au détriment de la reconnaissance et de la difficulté d'action de certains maires pour faire face à leur charge et à leur responsabilité en matière de prévention des catastrophes naturelles. Ce faisant, il assimile le respect du droit de propriété à une liberté fondamentale (A), tout en le faisant correspondre à l'un de ses attributs, en l'occurrence la liberté de disposer de son bien (B).

A - Le droit de propriété entendu comme liberté fondamentale

Le droit de propriété n'a jamais, jusqu'à une période récente, été caractérisé comme une liberté. Les textes fondamentaux n'emploient jamais le terme de "liberté", l'adverbe "librement" ou l'adjectif "libre" (5). Dans l'esprit des juridictions judiciaires, repris par des nombreux auteurs, le droit de propriété se distinguait des libertés de manière presque évidente, les modalités d'appréciation du juge judiciaire apparaissant assez différentes dans ces deux hypothèses. Ainsi, le droit de propriété est susceptible de limites au nom de l'intérêt général, il n'est donc pas un droit absolu. En ce sens, il ne peut plus être perçu de la même manière qu'il y a deux siècles, car il a perdu son caractère inviolable et sacré. S'il n'est guère contestable que le champ d'application du droit de propriété a été élargi, il est aussi évident que ce droit a subi de nombreuses atteintes. Du fait que l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) n'envisage le droit de propriété que sous le seul angle de la répartition des compétences normatives entre le législateur et le pouvoir réglementaire, certains auteurs avaient cru en déduire que ce droit n'avait pas de reconnaissance constitutionnelle, seul le législateur pouvant l'aménager, au point de pouvoir, dans l'absolu, le supprimer, le "régime de propriété" ne signifiant pas obligatoirement que le droit de propriété existait. L'idée selon laquelle le droit de propriété n'était pas un droit fondamental était soutenue jusqu'en 1982 (6). La doctrine (7) s'appuyait aussi sur le droit comparé, en utilisant les exemples de l'Italie et de l'Allemagne, pour proclamer que le droit de propriété avait désormais une fonction sociale, et qu'il ne pouvait plus être considéré comme un droit (8).

Ce n'est plus en ce sens que le droit de propriété est perçu aujourd'hui. Il y a, incontestablement, un changement profond de perspective qui trouve son fondement, ou son explication, dans plusieurs séries d'arguments qui amènent à penser que le droit de propriété est un droit aussi fondamental que les "véritables libertés". Dans la continuité d'une jurisprudence inaugurée par sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, relative à la loi de nationalisation (N° Lexbase : A8037ACN) (9), le Conseil constitutionnel affirme bien la pleine valeur constitutionnelle du droit de propriété, tout en prévoyant qu'il ne peut s'agir d'un droit absolu mais, même confronté à une autre norme constitutionnelle, les limitations au droit de propriété ne doivent pas en dénaturer le sens et la portée. En ce sens, il réhabilite l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1366A9H) (10), en précisant que la Déclaration a placé "au même rang" le droit de propriété et les autres dispositions (considérant n° 16). S'il est "naturel" de considérer la liberté comme un droit, il doit en être de même pour le droit de propriété.

Du côté du juge administratif, la notion de "liberté fondamentale" était déjà présente dans la jurisprudence grâce à la théorie de la voie de fait, mais elle a pris un essor tout particulier avec la loi du 30 juin 2000, organisant la procédure de référé liberté pour la protection des "libertés fondamentales" (11). La question des contours de celle-ci s'étant immédiatement posée, s'agissant, plus spécialement, du droit de propriété, il apparaissait logique, notamment pour le professeur René Chapus (12), que le droit de propriété fasse partie des libertés fondamentales au sens de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (13), et le Conseil d'Etat n'a pas attendu longtemps pour considérer que le droit de propriété rentrait dans la catégorie des "libertés fondamentales", dans les premières ordonnances faisant application du référé-liberté (14).

Restait la question de la compétence. Il a longtemps régné une véritable tradition ayant la force d'une coutume, de niveau quasi-constitutionnelle, selon laquelle le juge administratif ne pouvait être compétent pour protéger le droit de propriété (15). Or, en réalité, aucun texte n'attribue une quelconque compétence spécifique en matière de droit de propriété. Comme le note Michel Verpeaux, "sans doute était-il évident qu'il ne pouvait s'agir que du juge judiciaire. Celui-ci n'a en, réalité, s'agissant des actes ou des faits de l'administration, qu'une compétence relativement limitée. Celle du juge administratif a eu tendance à se développer" (16).

B - La correspondance entre le droit de propriété et la liberté de disposer de son bien

L'assimilation entre droit de propriété et libre disposition de ses biens s'est faite progressivement. L'expression "libre disposition des biens" a d'abord été tout simplement absente des décisions de la juridiction administrative. La notion de "disposition des biens" n'est pas étrangère au juge de l'excès de pouvoir, mais il n'est point question de "libre disposition des biens", et encore moins d'une liberté de disposer de ses biens comme employé dans son acceptation civiliste et patrimoniale. L'on parle, alors, de disposition d'un bien comme d'une composante du droit de propriété, ce qui conduit le juge administratif à se montrer à tout le moins circonspect dans un registre du droit qu'il sait régi par le principe selon lequel le juge judiciaire est gardien de la propriété privée et de la liberté individuelle.

Puis, c'est le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998 (17), à propos de la procédure obligeant le créancier à acquérir un bien à un prix qui peut lui être imposé, sauf à renoncer à ses droits, a estimé que la privation du libre consentement, qui doit présider à l'acquisition de la propriété, est indissociable de l'exercice de disposer librement de son patrimoine, qui est, lui-même, un attribut essentiel du droit de propriété. Le libre consentement qui doit présider à l'acquisition de la propriété est, en effet, indissociable de l'exercice du droit de disposer librement de son patrimoine, celui-ci étant "un attribut essentiel du droit de propriété".

Mais, c'est surtout au juge administratif du référé que nous devons d'avoir introduit le concept de "libre disposition des biens", dans les premières ordonnances faisant application du référé-liberté à l'occasion de l'application de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT). Qu'il s'agisse de la décision d'apposer des scellés sur un bâtiment dont l'entreprise est propriétaire (affaire "Société Lidl", précitée), de l'immobilisation de trois autobus exploités irrégulièrement (affaire "Belrose", précitée), ou de l'abattage d'un troupeau de bovins qui "supprime la libre disposition de ses biens" (affaire "Ploquin", précitée), le juge des référés a, à chaque fois, précisé que c'était en raison de ses effets sur la libre disposition du bâtiment, des autobus ou du troupeau dont les requérants étaient propriétaires, que les décisions portaient atteinte à une liberté fondamentale. Un lien est, ainsi, directement opéré entre la situation d'un "propriétaire" et la libre disposition des biens, comme si être propriétaire signifiait principalement avoir la libre disposition de ses biens.

Le juge administratif dispose de nombreux moyens pour protéger le droit de propriété et cette liberté de disposer de son bien contre les empiètements de la puissance publique. La procédure de référé est l'un de ses moyens, mais c'est surtout par référence au juge européen que le Conseil d'Etat a pu développer un régime de protection des biens. Suivant les stipulations de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L1625AZ9), "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens". En consacrant, par une série d'arrêts de principe, l'effet direct en droit interne de ces stipulations (18), puis en veillant à ce que l'interprétation qui en serait donnée soit aussi peu éloignée que possible de la jurisprudence élaborée par la Cour européenne de Strasbourg, chaque fois, du moins, que celle-ci serait fixée de manière suffisamment stable (19), le Conseil d'Etat a ouvert un champ d'investigation considérable à la protection des biens des personnes privées, dans le même temps où le juge administratif recherchait, par une série de réformes législatives d'envergure, à se doter des moyens d'assurer l'effectivité de cette protection (20).

L'on sait en effet que depuis la jurisprudence "Sporrong et Lönnroth" (21), le juge de Strasbourg considère tout à fait légitime l'interférence des pouvoirs publics dans l'usage des biens, mais à l'exception des situations où la personne privée se voit imposer une charge disproportionnée, auquel cas la rupture du juste équilibre entre intérêt général et respect du droit privé donne lieu à l'indemnisation des conséquences dommageables des mesures légales. Si elle n'est pas présente dans l'arrêt "Mme Roger contre Commune de Collias", la CESDH et son protocole additionnel n'étant pas au nombre des textes visés par le Conseil d'Etat, la déférence du juge à l'endroit de cette jurisprudence transparaît à travers l'arrêt d'espèce même si, en matière de police administrative, le Conseil a, néanmoins, développé déjà très en avant son contrôle quant à la proportionnalité de la mesure prise. Le présent arrêt est, encore, une illustration de sa capacité à aller très loin dans le contrôle de la mesure de police, fut-ce au détriment des difficultés qu'éprouvent les maires pour faire face à leurs responsabilités.

II - Un juge particulièrement sévère dans le contrôle de l'exercice des pouvoirs de police du maire

En matière de police municipale, le maire a, dans la plupart des cas, le pouvoir, non seulement de déterminer les désordres à éviter, mais, également, de fixer les mesures à prendre pour ce faire. Il dispose, ainsi, d'un large pouvoir dans la définition du contenu de la mesure de police. Toutefois, ce pouvoir n'est pas illimité. La mesure de police ne doit, en effet, limiter les droits fondamentaux que lorsque l'ordre public l'exige et dans l'exacte mesure nécessitée par les différents intérêts en cause. Toute mesure de police doit donc déterminer des restrictions qui tentent de réaliser au mieux ces impératifs. C'est en ce sens que l'on peut dire que le contrôle du juge est particulièrement rigoureux ce dont témoigne, une fois de plus, l'arrêt d'espèce. Le juge se livre à un contrôle normal classique de l'adéquation de la décision aux motifs (A), allant même jusqu'à préciser les mesures adéquates à prendre en pareille circonstance, pour rechercher et préciser la parfaite adéquation de la mesure prise aux circonstances de l'espèce (B).

A - Un contrôle normal classique de l'adéquation de la décision aux motifs

Le contrôle normal est, dans certains cas, notamment en matière de décisions administratives prises au titre de la police administrative, d'autant plus poussé que le juge, afin d'assurer la protection des libertés consacrées par les textes, le met en cause au moyen d'un rapport de proportionnalité. Après avoir constaté que l'auteur de l'acte a correctement qualifié le fait, par exemple, comme en l'espèce, un risque d'inondation susceptible de procurer un danger pour la sécurité publique, le juge subordonne la légalité de la décision de police à ce que le contenu de celle-ci (par exemple, en l'espèce, une interdiction) soit, également, déterminé en établissant une proportion entre cette interdiction et l'atteinte, ainsi, portée à un droit ou à une liberté garantie par la règle de droit, et en recherchant, in fine, si l'on ne pouvait pas atteindre le même but (en l'espèce, la protection de la sécurité publique) en donnant, à la décision, un autre contenu, et en prenant les mesures matérielles adéquates pour concilier l'ordre et la liberté (22). En un mot, la mesure administrative sera considérée comme violant la règle de droit si elle n'est pas dans son contenu proportionnée au but recherché et impose des sujétions qui ne sont donc pas justifiables (23). Ceci montre, si besoin était, les précautions qu'il faut prendre quant à l'intensité du contrôle appréciée par rapport aux domaines de l'action administrative. En effet, en matière de police administrative, l'on rencontre des îlots, de plus en plus importants, où le juge n'hésite pas à mettre en oeuvre un contrôle de proportionnalité qui bride sérieusement l'action administrative, afin que celle-ci ne porte pas des atteintes injustifiées aux libertés consacrées par la loi. C'est particulièrement le cas en matière de police des inondations, où la responsabilité des communes est souvent engagée pour non-respect du principe de précaution ou des obligations en matière de police de sécurité.

L'autorité municipale peut d'abord agir, avant même l'inondation, en prenant les mesures de prévention nécessaires comme l'élaboration d'un plan de défense contre les inondations (24), mais la présence d'un plan de prévention des risques ne dispense pas le maire de prendre les mesures adéquates pour faire face à un danger grave ou imminent. Ainsi, celui-ci doit faire usage de ses pouvoirs de police générale pour interdire le camping dans les zones inondables (25). Par exemple, dans l'affaire de la catastrophe du Grand-Bornand, où l'inondation du camping avait provoqué la mort de 23 personnes en juillet 1987, le juge relève une faute lourde du maire pour ne pas avoir prescrit de mesure de précaution, alors que les prévisions météorologiques avaient annoncé des orages violents et que les sols étaient saturés d'eau par les pluviosités intenses des semaines précédentes (26). De plus, selon le Conseil d'Etat, "la circonstance que le retard apporté à la délimitation des zones exposées aux risques naturels engage la responsabilité de l'Etat [...] n'est pas de nature à exonérer la commune de la responsabilité qu'elle encourt du fait de ses obligations en matière de police de la sécurité" (27).

Inversement, le maire peut prendre toutes les mesures qu'appellent les circonstances. Il peut, ainsi, ordonner, afin de détourner les eaux, la mise ne place d'un barrage et la destruction, au droit d'une propriété riveraine, d'un pan de murette le bordant sans commettre, ce faisant, de faute de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité de la commune (28). Il doit, encore, s'assurer que les élèves d'un collège d'enseignement secondaire ne le quitteront pas pour rejoindre leur domicile, dès lors que le service de ramassage scolaire est interrompu compte tenu de pluies diluviennes rendant la circulation impraticable. S'il ne le fait pas, il commet une faute de nature à engager la responsabilité de la commune (29). L'appréciation de l'adéquation de la mesure aux motifs de la décision n'est pas chose aisée pour l'autorité municipale, d'autant plus que le juge recherche le caractère parfait de l'adéquation.

B - Un contrôle poussé dans la recherche de la parfaite adéquation de la mesure prise aux circonstances de l'espèce

Toute mesure de police doit concilier au mieux les impératifs de sécurité publique et l'atteinte aux droits fondamentaux. La conséquence la plus immédiate de cette règle de la parfaite adéquation de la mesure prise aux circonstances de l'espèce est, d'abord, que la mesure de police doit être la mesure la moins contraignante possible pour prévenir efficacement le trouble à l'ordre public. Si ce n'est pas le cas, elle est illégale puisqu'elle restreint inutilement les droits fondamentaux. En d'autres termes, si, en présence d'un même danger pour l'ordre public, plusieurs mesures également efficaces sont concevables, devront être préférées celles qui portent le moins atteinte à la liberté des administrés. L'autorité de police doit donc s'assurer qu'une autre mesure, moins contraignante que celle qu'elle entend prendre, n'est pas aussi efficace. C'est en ce sens que le Conseil d'Etat précise, en l'espèce, ce que le maire était en mesure d'accomplir dans l'exercice de ces pouvoirs de police. En l'occurrence, il pouvait demander au préfet d'engager la procédure d'expropriation prévue à l'article L. 561-1 du Code de l'environnement s'il estimait que les conditions en étaient réunies. Il pouvait, également, en vertu des pouvoirs de police générale qu'il tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales, prendre des mesures temporaires ou limitées de prévention ou de sauvegarde, mais en aucun cas la mesure décidée.

De même, une interdiction ne saurait avoir un champ d'application matériel, temporel ou territorial étendu alors que les exigences de la protection de l'ordre public ne la justifie qu'en ce qui concerne une activité déterminée, un laps de temps déterminé ou un lieu déterminé. Cela conduit à l'idée qu'il existe une présomption d'illégalité des interdictions générales et absolues, car leur étendue tend à prouver que le maire n'a pas tenu compte des circonstances de fait. Ainsi, les décisions jurisprudentielles censurant des interdictions générales et absolues sont légion, la décision d'espèce s'ajoutant à cette longue liste, estimant qu'il n'appartenait pas au maire "de prendre une mesure permanente et définitive privant la propriétaire actuelle de l'usage de son bien en interdisant toute occupation de l'immeuble dans l'attente d'une éventuelle acquisition amiable par la commune".

La dernière conséquence de la règle de la parfaite adéquation des mesures de police aux circonstances de l'affaire est qu'une telle mesure doit être exactement proportionnée aux intérêts en cause. La règle de la proportionnalité permet, dans la recherche de la mesure la plus adaptée aux circonstances de l'espèce, d'aller encore plus loin que la règle du choix de la mesure la moins contraignante possible. Une véritable protection de l'ordre public ne peut, dans la plupart des cas, se faire qu'en multipliant les interdictions. Autant une telle attitude est légitime lorsque le danger pour l'ordre public est grand, autant l'on peut la trouver excessive lorsqu'il s'agit d'un péril mineur qui peut souffrir, dans sa protection, quelques défauts. D'où une nouvelle règle qui atténue les effets mécaniques trop rigoureux de la règle précédente, la règle de la proportionnalité qui oblige le maire à "doser" les sacrifices, à concilier les intérêts en présence en lui interdisant de prescrire une mesure de police imposant aux administrés une charge ou un sacrifice que ne justifierait pas, en équité, la valeur ou l'importance de l'intérêt général qu'il s'agit de protéger. Reste à savoir quels sont les intérêts que l'autorité de police doit concilier, pondérer, et mettre en balance. Plus le législateur serait intervenu pour protéger une liberté, plus les droits de l'autorité de police seraient réduits et, en sens inverse, moins le législateur se serait préoccupé de la garantie d'un droit fondamental, moins l'action de l'autorité de police serait limitée. Si l'on pouvait penser que, relativement à la question du droit de propriété, la liberté de l'autorité de police était assez importante, l'arrêt d'espèce permet, en définitive, de relever que les pouvoirs de l'autorité de police, quand est en cause cette nouvelle forme de liberté fondamentale qu'est le droit de propriété, sont plus que limités.


(1) Selon cet article, "la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : [...] le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux, ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure [...]".
(2) Cf. CE 22 juin 1987, n° 62567, Ville de Rennes c/ Mme Le Lan (N° Lexbase : A5279AP9), Rec. CE, p. 223, LPA, 1987, 26 octobre, note F. Moderne, AJDA, 1988, p. 65, note J. Moreau, D. 1988, somm. n°163, obs. F. Moderne et O. Bon.
(3) CGCT, art. L. 2212-4 (N° Lexbase : L8694AAA).
(4) CAA Marseille, 5ème ch., 10 septembre 2007, n° 06MA00010, Mme Roger (N° Lexbase : A6102DYN).
(5) Cf. l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1364A9E), selon lequel "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité", et l'article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4), qui dispose que "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements".
(6) Voir, en ce sens, M. Verpeaux, Le juge administratif, gardien du droit de propriété, RFDA, 2003, p. 1096 et s..
(7) Voir, par exemple, la présentation qu'en fait R. Savy, La Constitution des juges, D., 1983, chron. p. 105, et la réponse de J.-L. Mestre, Le Conseil constitutionnel, la liberté d'entreprendre et la propriété, D., 1984, chron. p. 1.
(8) Cf. l'article 14, alinéa 2, de la loi fondamentale allemande qui affirme que "l'usage de la propriété doit, en même temps, contribuer au bien public", et l'article 42 de la Constitution italienne qui dispose que la loi peut déterminer les limites de la propriété privée "dans le but d'assurer sa fonction sociale et de la rendre accessible à tous".
(9) Rec. CC, p. 18, JO, 17 janvier 1982, p. 299.
(10) Aux termes de cet article, "le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression".
(11) Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), JO, 1er juillet 2000, p. 9948.
(12) Cf. R. Chapus, Droit du contentieux administratif, n° 1599, 9ème éd., 2001.
(13) Selon lequel : "Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures".
(14) Cf. CE, réf., 23 mars 2001, n° 231559, Société Lidl (N° Lexbase : A2635ATR) ; CE, 9 avril 2001, n° 232208, Belrose (N° Lexbase : A3639ATX) ; CE, 1er juin 2001, n° 234321, Ploquin (N° Lexbase : A7172ATS).
(15) Pour un rappel de cette tradition, inscrite en jurisprudence, voir J. Trémeau, Le référé-liberté, instrument de protection du droit de propriété, AJDA, 2003, p. 653.
(16) M. Verpeaux, Le juge administratif, gardien du droit de propriété, op. cit.
(17) Cons. const., décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, Loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions (N° Lexbase : A8749ACZ), Rec. CC, p. 276, JO, 31 juillet 1998, p. 11710.
(18) Cf. CE sect., 3 juill. 1998, n° 158592, Bitouzet (N° Lexbase : A2355B7D), Rec. CE, p. 288, AJDA, 1998, p. 570, chron. F. Raynaud et P. Fombeur, dans lequel il fut jugé que l'article L. 160-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7364ACQ), lu à la lueur de l'article 1er du Protocole additionnel de la CESDH, ne fait nullement obstacle à ce qu'un propriétaire prétende à obtenir réparation du préjudice consécutif à l'institution d'une servitude "dans le cas exceptionnel où [...] ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi". Ce même raisonnement sera repris ultérieurement dans l'arrêt "Société d'aménagement des coteaux de Saint-Blaine" (CE, sect., 29 décembre 2004, n° 257804 N° Lexbase : A2308DGL, Rec. CE, p. 478, AJDA, 2005, p. 423, chron. C. Landais et F. Lenica), et, plus récemment, dans l'arrêt "M. Mielle" (CE, 27 juin 2007, n° 280693 N° Lexbase : A9608DWR, AJDA, 2007, p. 1328), tous deux relatifs à l'interprétation de la même disposition du Code de l'urbanisme.
(19) Voir, en ce sens, CE, Ass., 5 mars 1999, n° 194658, Rouquette et autres (N° Lexbase : A4008AXQ).
(20) Voir, notamment, la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, précitée, ou encore la loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative sur les pouvoirs d'injonction du juge administratif (N° Lexbase : L1139ATD), JO, 9 février 1995, p. 2175.
(21) CEDH, 23 septembre 1982, Req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth (N° Lexbase : A5103AYN), série A, n° 52.
(22) Voir la décision de principe : CE 19 mai 1933, n° 17413, Benjamin et syndicat d'initiative de Nevers (N° Lexbase : A3106B8K), Rec. CE, p. 541, S. 1934, 3, p. I, concl. Michel, note Mestre, D., 1939, 3, p. 54, concl. Michel, GAJA, n° 47.
(23) CE, 25 janvier 1989, n° 64296, Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle c/ Société Industrielle Teinture et Apprêts (SITA) (N° Lexbase : A1768AQK), Rec. CE, p. 960, Dr. soc. 1990, p. 201, concl. de Clausade ; CE, 12 juin 1987, n° 72388, Société Gantois (N° Lexbase : A3374APN), Rec. CE, p. 208, AJDA, 1987, p. 462, chron. Azibert et de Boisdeffre.
(24) CE, 31 mars 1965, n° 61280, Consorts Peydessus c/ Commune de Loudenvielle (N° Lexbase : A1225B9A), Rec. CE, p. 212.
(25) CE, 31 janvier 1997, n° 156276, Société Camping Les Clos (N° Lexbase : A8018ADC).
(26) CAA Lyon, 2ème ch., 13 mai 1997, n° 94LY00923, Balusson, Mutuelle du Mans IARD (N° Lexbase : A0651BG9), DA, 1997, chron. n° 14.
(27) CE, 14 mars 1986, n° 96272, Commune de Val d'Isère c/ Bové et autres (N° Lexbase : A7680AME), JCP éd. G, 1986, II, n° 20670, concl. Lasserre, obs. F. Moderne.
(28) CE, 31 mars 1965, Consorts Peydessus c/ Commune de Loudenvielle, op. cit..
(29) CE, 14 mai 1986, n° 45296, Commune de Cilaos (N° Lexbase : A4961AMP), Rec. CE, Tables, p. 426, AJDA, 1986, p. 466, note L. Richer, D., 1987, somm. n° 115, obs. F. Moderne et P. Bon.

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Internet

[Manifestations à venir] La presse en ligne et le statut des journalistes après la loi "Hadopi 1"

Lecture: 1 min

N4613BMS

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Le 07 Octobre 2010

L'Atelier "Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information" de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ) organise, avec le concours de l'Atelier "Droit du travail et des nouvelles technologies" une conférence sur le thème de "La presse en ligne et le statut des journalistes après la loi 'Hadopi 1'" (loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : L3432IET), le vendredi 11 décembre 2009.
  • Intervenants

- Sophie Soubelet-Caroit, Avocat au Barreau de Paris
- Antoine Latreille, Professeur à l'Université Paris XI
- Basile Ader, Cabinet Ader, Jolibois, Avocat au Barreau de Paris et Directeur de la rédaction de Legipresse
- Pascale Marie, Directeur du Syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI)
- Bénédicte Wautelet, Directrice juridique du groupe Le Figaro
- Marie-Christine Leclerc-Senova, Directrice des affaires juridiques de la Société civile des auteurs multimedia (SCAM)
- Nathalie Orloff, Responsable juridique du pôle audiovisuel, radio, écrit, presse de la SCAM
- Olivier Da Lage, journaliste
- Christine Baudoin, Cabinet LmtAvocats, Avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit social

  • Date

Vendredi 11 décembre 2009
9h30 - 12h30

  • Lieu

Maison du Barreau
2/4, Rue de Harlay
75001 Paris

  • Tarif

35 euros par personne (gratuit pour les membres de l'ADIJ)

  • Renseignements

Mme Christiane Féral-Schuhl, AMCO
Présidente de l'ADIJ
Fax : 01 70 71 22 22
e-mail : coordination-adij@feral-avocats.com
www.adij.fr

Cette manifestation est validée au titre de la formation continue obligatoire des avocats.

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Notaires

[Jurisprudence] L'obligation du notaire d'informer les parties et d'assurer l'utilité et efficacité des actes auxquels il prête à son concours

Réf. : Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B (N° Lexbase : A3375ELL) ; CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 15 septembre 2009, n° 08/05245 (N° Lexbase : A3863ELN)

Lecture: 6 min

N4671BMX

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 07 Octobre 2010

Depuis que la jurisprudence a consacré l'existence d'une obligation générale d'information en matière contractuelle -soit qu'elle l'ait fait en la rattachant à l'exigence de bonne foi de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) ou à l'équité de l'article 1135 du même code (N° Lexbase : L1235ABD), soit qu'elle l'ait implicitement, mais nécessairement, reconnue une fois admis que le dol pouvait être constitué par le silence gardé par l'un des contractants sur un élément déterminant du consentement-, cette obligation n'a cessé de s'intensifier, au point de devenir particulièrement contraignante lorsqu'elle pèse sur les professionnels. Le constat n'est plus à faire : l'examen du droit positif atteste de la grande rigueur dont fait preuve la jurisprudence. La responsabilité professionnelle des notaires en constitue, d'ailleurs, un exemple éclairant, la sévérité de la jurisprudence en la matière étant à présent bien connue. Deux arrêts récents, l'un rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 23 septembre 2009, l'autre par la cour d'appel de Paris le 15 septembre 2009, le confirment une nouvelle fois. Dans le premier arrêt, en effet, la propriétaire de deux parcelles contiguës, constituant une unité foncière sur laquelle un permis de construire délivré le 18 mars 1993 avait autorisé la construction de deux villas, avait obtenu, le 17 février 1997, un second permis de construire trois villas sur cette unité foncière, sans que le premier ait été annulé. Ce second permis avait été délivré sous la condition expresse que la propriétaire soit l'unique maître de l'ouvrage de l'opération et qu'aucune division de jouissance privative n'intervienne. Pourtant, par acte authentique du 1er décembre 1997, elle avait vendu à une société l'une des deux parcelles "en ce compris le bénéfice du permis de construire délivré le 17 février 1997", tandis que, le même jour, un état descriptif de division avec règlement de copropriété de ladite parcelle la divisait en trois lots de copropriété horizontale. Ensuite, par acte authentique du 5 décembre 1997 reçu par le même notaire que celui qui avait dressé l'acte du 1er décembre, la société avait vendu en l'état futur d'achèvement à des époux une villa à réaliser sur l'un des lots, les deux autres ayant été vendus ultérieurement. Or, se plaignant d'un retard de livraison de leur villa, de l'intervention d'une décision interruptive de travaux, de l'absence de garantie d'achèvement et de graves malfaçons, les époux acquéreurs avaient, après expertise, notamment assigné la société venderesse et le notaire en paiement de diverses sommes. Laissant, ici, de côté les autres aspects de la demande pour ne retenir que celle dirigée contre le notaire, il importe de relever que les premiers juges, pour dire que le notaire n'était pas responsable des préjudices subis par les époux, et donc les débouter de leurs demandes dirigées contre celui-ci et son assureur, avaient fait valoir que la propriétaire étant architecte, le notaire, chargé de rédiger la vente conclue entre elle et la société le 1er décembre 1997, était fondé à lui faire confiance, en tant que professionnelle, quant aux problèmes relatifs au permis de construire. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en statuant ainsi, alors que le fait que l'architecte, précédemment propriétaire de l'unité foncière dont était détachée la partie de la parcelle vendue, avait obtenu un permis de construire sur cette unité foncière, ne dispensait pas le notaire, tenu d'assurer l'efficacité des actes qu'il dresse, de vérifier la situation de l'immeuble vendu au regard des exigences administratives relatives à la division de propriétés foncières en vue de l'implantation de bâtiments et d'informer les parties de difficultés pouvant en résulter, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Dans l'affaire ayant donné lieu au second arrêt, celui rendu par la cour d'appel de Paris le 15 septembre 2009, des époux avaient fait donation entre vifs, à leur fils unique, en avancement d'hoirie et avec réserve d'usufruit à leur profit, d'un bien immobilier, qu'ils avaient, quelques années plus tôt, donné à bail. L'administration fiscale, considérant que la donation avec réserve d'usufruit était équivalente à une cession et emportait déchéance de l'avantage fiscal, leur a notifié un redressement. Ils avaient, alors, assigné le notaire ayant reçu l'acte en responsabilité pour manquement à son devoir de conseil et, en particulier, pour ne pas les avoir informés que, compte tenu des conditions d'application du dispositif fiscal prévu par la loi "Méhaignerie", il eût été plus judicieux d'attendre un an supplémentaire pour régulariser la donation. Le notaire, pour sa défense, faisait valoir que l'opération consistant dans l'acquisition et la location d'un bien pour un usage familial a un caractère patrimonial, de telle sorte qu'elle n'a pas une finalité essentiellement fiscale et, d'autre part, que, en tout état de cause, les époux devaient porter à sa connaissance les circonstances particulières de l'espèce, tenant notamment au fait qu'ils avaient, depuis la date du bail, bénéficié chaque année d'une réduction d'impôt, ce qu'ils n'avaient pas fait. L'argumentation n'a pas convaincu la cour d'appel qui, décide, en effet, que "l'étendue du devoir de conseil du notaire se détermine essentiellement au regard de la nature de l'acte qu'il dresse ; qu'il a, certes, des limites, en fonction en particulier des mobiles de ses clients portés à sa connaissance, mais ne se restreint pas aux dires explicites de ces derniers sur leurs intentions ; que le notaire doit interroger utilement son client, qu'il ne saurait donc arguer que la seule lecture de l'acte ne révélait pas d'informations fiscales et que la prudence lui impose d'au moins toujours suffisamment attirer l'attention de son client pour mettre ce dernier en mesure de prendre une décision éclairée". Aussi bien en déduit-elle que "la faute du notaire résulte, en l'espèce, de son abstention de s'enquérir des éléments d'appréciation utiles touchant le bien objet de la donation et qu'il a engagé sa responsabilité professionnelle dans les conditions de l'article 1382 du Code civil".

Ces arrêts confirment l'intensité de l'obligation d'assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels le notaire apporte son concours (1). Il est, en effet, aujourd'hui acquis que les notaires doivent, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (2), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (3). Sous cet aspect, comme l'énonce le premier arrêt, la Cour de cassation avait déjà pu décider que le notaire, tenu de s'assurer, en sa qualité de rédacteur de l'acte, de l'efficacité de celui-ci, doit vérifier la situation de l'immeuble au regard des exigences administratives (4) ; et comme l'admet le second, que le notaire est tenu d'éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques, de l'acte auquel il prête son concours, et le cas échéant de le déconseiller (5). On relèvera encore que la jurisprudence a, également, jugé que le notaire, qui établit un acte de garantie hypothécaire, a l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (6). Dans le même ordre d'idée, un récent arrêt décidait encore que "le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé" (7). Or, dans tous les cas, cette obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours se double de l'obligation pour le notaire d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement.

Une observation pour finir. Classiquement, on enseignait que la responsabilité du notaire était, du point de vue de sa nature, double : tantôt délictuelle ou quasi délictuelle lorsque le notaire enfreint une obligation tenant à sa seule qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, tantôt contractuelle lorsqu'il se charge, pour le compte de ses clients, de missions plus larges que celles auxquelles il est contraint par la loi car il agit alors non plus en qualité d'officier public, mais en qualité de mandataire ou de gérant d'affaires. Mais, il ressort de l'examen du droit positif que cette présentation apparaît, aujourd'hui, quelque peu dépassée, la nature délictuelle de la responsabilité notariale étant, en effet, presque toujours affirmée. Cette tendance s'explique, notamment, par le fait que, plus ou moins explicitement, la jurisprudence a tendance à rattacher la responsabilité du notaire à son devoir de conseil, ce qui n'est pas anodin si l'on veut bien relever que quel que soit le rôle assumé par le notaire, elle relie, toujours, le devoir de conseil à la qualité de notaire et à ses obligations strictement professionnelles, sans la relier au contrat qui l'unirait à son client. C'est ce qui explique, sans doute, l'extension du champ de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle en la matière, que les deux arrêts commentés confirment, d'ailleurs, en faisant reposer la responsabilité du notaire, dans les deux cas, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.


(1) Sur la question, voir, not., Vincent Téchené, La responsabilité du notaire, rédacteur d'acte, pour défaut d'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place de sûretés, Lexbase Hebdo n° 325, 4 novembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6892BHQ), note sous Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, Société Banque Neuflize OBC, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9).
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459, Maître Jean Perraud c/ Demoiselle Pierrine Giorcelli (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385, Mme Salik c/ Société X-Y (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732, Epoux Barremaecker c/ M. X et autre (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(4) Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758, Société Glinp II, FS-P+B (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (en l'espèce vérification de la commercialité de l'immeuble compte tenu de l'exigence d'un périmètre de protection autour).
(5) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, M. Patrick Hastings c/ M. Christian Grundler, FS-P+B, Bull. civ. I, n° 496 ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, M. Bernard Thomas, FS-P+B (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n°142.
(6) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-14545, Mme Arnaudjouan c/ M. X, publié (N° Lexbase : A2322CG4). Voir déjà, auparavant, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737, Mme Biglia et autre c/ M. Gros et autre (N° Lexbase : A1369AH8).
(7) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, Société Banque Neuflize OBC, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9).
(8) Voir not. Cass. civ., 8 mai 1944, S. 1945, 1, p. 88 ; Cass. civ., 1er juillet 1958, JCP éd. N, 1959, II, 10945 ; Cass. civ. 1, 14 juin 1989, n° 87-15.730, Société civile professionnelle titulaire d'un office notarial X c/ Epoux Arnoud et autre (N° Lexbase : A9850AA3), Defrénois, 1990, art. 34837, n° 97.

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Sociétés

[Manifestations à venir] L'administrateur indépendant

Lecture: 1 min

N4628BMD

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Le 07 Octobre 2010

Le Centre français de droit comparé organise, le 11 décembre 2009, un colloque consacré à l'administrateur indépendant. En 1995, le rapport "Viénot I" sur le conseil d'administration des sociétés cotées ouvrait, pour la première fois sur le continent européen, la voie au mouvement encore jeune, jusque-là anglo-saxon, de la gouvernance de l'entreprise. L'administrateur indépendant faisait son entrée dans le droit des sociétés en France au travers de codes autorégulateurs successifs relayés sur des points importants par les lois "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) et "LSF" (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB). Ce dernier texte, majeur dans ses conséquences, s'était inspiré de la loi "Sarbanes Oxley", votée en 2002 après le désastre "Enron", cette société qui pourtant répondait à toutes les règles en vigueur de la corporate governance américaine. Soixante-deux pays appliquent actuellement un code de gouvernance de l'entreprise. Un important espace d'autorégulation y a été instauré pour des administrateurs indépendants. Les sociétés ont ainsi pu s'entendre sur leur propre conception de l'indépendance qu'un certain nombre de leurs administrateurs serait appelé à observer dans le cadre de leur mission. L'administrateur indépendant a apporté une dimension nouvelle à la gestion des entreprises. Quelles en sont les possibilités et les limites ? Quinze ans après l'envol de la gouvernance de l'entreprise, domaine apparemment sans bornes, il est utile, tout en prenant en compte plusieurs exemples étrangers, de se poser ces questions sur l'un des rouages marquants de cette grande innovation.
  • Thèmes abordés

Les missions de l'administrateur indépendant en droit français et comparé : le rôle des administrateurs indépendants, outil de bonne gouvernance ? L'administrateur indépendant (témoignage) ; les relations de l'administrateur indépendant avec des tiers.

Approche comparative spécifique : la diversité de l'indépendant (droit américain et canadien ; droit anglais, indien, australien & Commonwealth ; droit allemand ; droit italien ; droit japonais et droit chinois).

Orientations : à propos des administrateurs indépendants, la position de l'Institut français des administrateurs (IFA) ; l'influence de la crise financière mondiale sur les administrateurs indépendants ; la formation des administrateurs indépendants ; présent et avenir des administrateurs indépendants.

  • Intervenants

- Jacques Robert, président du Centre français de droit comparé
- Arnaud Ingen-Housz, avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
- Didier Lamèthe, administrateur de sociétés, secrétaire général du Centre français de droit comparé
- François Basdevant, directeur Fusions et Acquisitions, direction juridique Vivendi
- Hélène Poix, président Pechel Industries Partenaires, administrateur indépendant
- Dominique Schmidt, professeur à l'Université Robert Schuman de Strasbourg, avocat au Barreau de Paris
- Marc Adams, counsel Cleary, Gottlieb Steen Hamilton Paris
- Peter Rosher, counsel Clifford Chance Paris
- Christoph Maurer, docteur en droit, avocat aux Barreaux de Francfort et Paris, associé cabinet Marccus Partners Paris
- Guido Carducci, maître de conférences à l'Université Paris Val de Marne
Pierre Verkhovskoy, avocat associé Clifford Chance Paris
- Jiang Lin, doctorante à l'Université de Paris II, secrétaire général de l'Association des juristes et des économistes chinois en France
- Daniel Lebègue, président de l'Institut français des administrateurs (IFA)
- Georges Berlioz, avocat au Barreau de Paris, Cabinet Berlioz
- Barthelemy Mercadal, professeur émérite au CNAM
- Philippe Lamy, avocat au Barreau de Paris, associé Howrey, ancien directeur juridique

  • Date

Vendredi 11 décembre 2009
8h45 - 18h00

  • Lieu

Ministère de la Justice
Site Michelet
Grand Amphithéâtre
14, rue des Cévennes
75015 Paris

  • Tarif

350 euros

  • Renseignements

Aliette Voinesson
cfdc@legiscomare.com
Fax : 01 44 39 86 28

Colloque validé au titre de la formation continue des avocats

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Régime des entreprises nouvelles et restructuration d'activités préexistantes

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 16 octobre 2009, n° 308308, M. Giraud (N° Lexbase : A0751EMR)

Lecture: 3 min

N4646BMZ

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire, le législateur a introduit des dispositions particulièrement favorables pour les entreprises nouvelles soumises au réel à raison, notamment, de leurs activités industrielles, commerciales ou artisanales consistant en une exonération totale -mais plafonnée- des bénéfices et des plus-values (1) réalisés jusqu'au terme du vingt-troisième mois suivant celui de la création de l'entreprise. Puis, des abattements de 25 %, 50 % et 75 % permettent une sortie progressive de ce régime d'exception (CGI art. 44 sexies N° Lexbase : L5610H9N), sauf pour les entreprises créées dans les zones de revitalisation rurale qui bénéficient d'un retour au régime de droit commun sur neuf ans après le terme d'une période d'exonération spécifique de cinq ans. Ces dispositions ne sont applicables que dans certaines zones en France de sorte que la doctrine a conclu en l'émiettement du territoire fiscal (cf., B. Plagnet, Le régionalisme fiscal ou l'émiettement ?, Bulletin Fiscal Francis Lefebvre, novembre 2003 (2)). Afin de prévenir, autant que faire se peut, les tentatives de fraude, le législateur a posé des garde-fous, dont l'interdiction pour les entreprises créées dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension d'activités préexistantes ou qui reprennent de telles activités de bénéficier des dispositions de l'article 44 sexies du CGI. La décision "Giraud", du 16 octobre 2009, en offre une très intéressante illustration.

Au cas particulier, le contribuable a créé en 1998, avec sa soeur et son épouse, la SARL Jalco, relevant du régime des sociétés de personnes, et proposant des prestations en matière de saisie et de traitement informatique de données économiques et financières, de suivi administratif et de conseil en gestion d'entreprise. Cette société a réalisé, pour les années 1998 à 2000 sujettes à une vérification de comptabilité, la quasi-totalité de son chiffre d'affaires avec plusieurs sociétés relevant du secteur agricole dont elle a assuré le secrétariat et la comptabilité avec les moyens matériels ayant auparavant appartenu à deux de ces sociétés avec le concours de l'épouse du contribuable et dans les mêmes locaux. On apprend, non sans surprise, à la lecture de l'arrêt d'appel (CAA Bordeaux, 4ème ch., 7 juin 2007, n° 04BX00974, M. Alain Giraud N° Lexbase : A8174DXZ), que la société Jalco a assuré des prestations comptables à des tiers, activité pourtant réservée aux professionnels libéraux que sont les experts-comptables (3) dont la profession est réglementée par l'ordonnance du 19 septembre 1945, instituant un monopole légal à leur profit (ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'Ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable N° Lexbase : L8059AIC), et dont la violation emporte des sanctions pénales à l'encontre des contrevenants (Cass. crim., 19 mai 2004, n° 03-83.647 N° Lexbase : A6351DC9 ; Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-82.506 N° Lexbase : A9166AB4).

Dans ce dossier, tout démontrait qu'il s'agissait d'une restructuration d'activités préexistantes à telle enseigne que les circonstances citées par le juge de l'impôt sont topiques : ainsi, le tribunal administratif de Poitiers (TA Poitiers, 25 mars 2004, n° 0300232, M. Alain Giraud, N° Lexbase : A1723EMR) va considérer que ces fonctions de gestion étaient préexistantes aux entreprises clientes de la société Jalco, car l'instruction a fait apparaître que le dirigeant de la société redressée était commun à presque toutes les entreprises clientes et que seule une infime partie de son chiffre d'affaires était réalisée avec une entreprise avec laquelle il n'y avait pas de communauté d'intérêts pour le seul exercice 2000. Tant devant la cour administrative d'appel de Bordeaux que devant le juge de cassation, les critiques du contribuable ne trouveront pas grâce, dès lors qu'il s'avère, en fait, que les prestations proposées par la société Jalco ne sont que la conséquence d'un regroupement d'activités exercées auparavant au sein des structures "clientes".

Cette suite de décisions rendue par les juridictions, que l'on peut rapprocher d'un arrêt de 2004, dans lequel le défaut d'autonomie administrative s'analysait comme une émanation d'une entreprise préexistante (CAA Nantes, 4 février 2004, n° 00NT02037, Société Brioviande N° Lexbase : A0819DCC), démontre le contrôle très serré des circonstances de fait permettant de faire le départ entre les entreprises réellement nouvelles et celles qui tentent de faire croire qu'elles le sont. En effet, la jurisprudence et la doctrine administrative ont fourni des éléments d'appréciation permettant de les distinguer (instruction du 5 novembre 2001, BOI 4 A-6-01 N° Lexbase : X8207AA9) : l'identité au moins partielle d'activité, l'existence de liens privilégiés entre l'entreprise créée et l'entreprise préexistante et le transfert de moyens d'exploitation de l'entreprise préexistante à l'entreprise nouvellement créée caractérisent la restructuration d'activités préexistante (v., notamment, CE 9° et 10° s-s-r., 10 novembre 2006, n° 271520, Société SAEML Sovameuse N° Lexbase : A2875DSB) et ce, quelles qu'en soient l'ampleur, la date et les modalités (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 270343, M. Encinas N° Lexbase : A3553DIG ; CE 3° s-s., 3 septembre 2007, n° 270344, M. Moury N° Lexbase : A0591DYK ; CE 3° s-s., 3 septembre 2007, n° 270345, M. et Mme Buffat N° Lexbase : A0592DYL). Au cas présent, les conditions caractérisant la restructuration d'activités préexistantes étaient remplies justifiant, ainsi, le rejet du bénéfice des dispositions de l'article 44 sexies du CGI.


(1) A l'exclusion des plus-values constatées lors de la réévaluation des éléments d'actifs.
(2) "Au total, les zones prioritaires concernent environ 38 millions d'habitants et il faut y ajouter la Corse ainsi que les départements d'outre-mer qui bénéficient d'une fiscalité plus favorable [...] Autrement dit, près des deux tiers de la population se trouve dans une zone prioritaire ! Une telle proportion a des allures de caricature !", B. Plagnet, op. cit., § 8.
(3) "Est expert comptable ou réviseur comptable au sens de la présente ordonnance celui qui fait profession habituelle de réviser et d'apprécier les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail . Il est également habilité à attester la régularité et la sincérité des comptes de résultats. L'expert-comptable fait aussi profession de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller, redresser et consolider les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail.
L'expert comptable peut aussi organiser les comptabilités et analyser par les procédés de la technique comptable la situation et le fonctionnement des entreprises et organismes sous leurs différents aspects économique, juridique et financier. Il fait rapport de ses constatations, conclusions et suggestions. L'expert-comptable peut aussi accompagner la création d'entreprise sous tous ses aspects comptables ou à finalité économique et financière".

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Consommation

[Jurisprudence] Arbitrage et consommation : refus de reconnaître une sentence arbitrale contraire à une disposition communautaire impérative - Quand l'autorité de la chose jugée ne s'impose pas au consommateur

Réf. : CJCE, 6 octobre 2009, Aff. C-40/08, Asturcom Telecomunicaciones SL - Cristina Rodriguez Nogueira (N° Lexbase : A6853ELE)

Lecture: 7 min

N4727BMZ

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

Le 07 Octobre 2010

L'arbitrage n'est pas l'apanage des litiges entre grandes entreprises, "multinationales", ou entre un ancien ministre et une ancienne banque publique. Ce mode de résolution des litiges présente, en réalité, des aspects bien plus divers et il peut, en certaines hypothèses, s'appliquer à de petits litiges de consommation. L'arbitrage se distingue du mode le plus commun de résolution des litiges en ce que précisément il ne procède pas d'une saisine du juge étatique. Dans ce système, le "départiteur" tient son autorité, son pouvoir de juger, non pas du Souverain mais de l'accord des parties. Ce n'est donc pas l'Etat ou une institution internationale qui délègue l'autorité, le pouvoir de juger, d'où chez certains une opposition de principe à la possibilité même d'un arbitrage.
Appliqué aux rapports de consommation, et une fois rejeté l'argument trop réducteur de la dangerosité du système, le recours à l'arbitrage peut également être problématique si l'accord de volonté qui en fonde le principe est contestable. En d'autres termes, la partie présumée faible a-t-elle véritablement donné son consentement à l'arbitrage ? La clause qui prévoie dans le contrat qu'en cas de litige, tout contentieux sera tranché par un ou plusieurs arbitre(s) a-t-elle été pleinement comprise et acceptée par le consommateur, celui-là même qui n'a pas rédigé le contrat ? Répondre à cette question revient à s'interroger sur le caractère abusif ou non, d'une telle clause que la pratique qualifie de clause compromissoire.
La Cour de justice des Communautés européennes, saisie d'une question préjudicielle, a pu dans un arrêt du 6 octobre 2009 préciser les conditions du recours à l'arbitrage et, plus encore, celle de la reconnaissance de la sentence rendue dans un litige de consommation. A l'origine de cette affaire, un banal contrat de consommation espagnol, contrat d'adhésion donc, sur un abonnement de téléphonie mobile. Le contrat comprenait "une clause arbitrale soumettant tout litige afférent à l'exécution de ce contrat à l'arbitrage de l'Asociación Europea de Arbitraje de Derecho y Equidad (Association européenne d'arbitrage et d'amiable composition)". Une consommatrice, qui avait souscrit à ce contrat, n'avait pas payé l'intégralité de ses factures et avait résilié par anticipation le contrat à durée indéterminée qui la liait à l'opérateur de téléphonie mobile. Ce dernier avait alors saisi la juridiction arbitrale contre la consommatrice qui fut finalement condamnée au paiement de la somme de 669,90 euros. La sentence arbitrale est en toute logique devenue définitive puisque la partie perdante, en l'occurrence notre consommatrice, n'avait engagé aucune action en annulation de celle-ci. Le juge basque de l'exécution, le Juzgado de Primera Instancia de Bilbao fut alors saisi d'une demande d'exécution de la sentence arbitrale pour voir l'opérateur recouvrer sa créance. La décision de renvoi du juge basque est importante, notamment parce qu'elle propose une description complète des conséquences de cette clause compromissoire sur la situation du consommateur : "la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'abonnement présente un caractère abusif, eu égard, notamment, au motif que, tout d'abord, les frais que le consommateur devait exposer pour se déplacer au siège de l'instance arbitrale étaient supérieurs au montant de la somme faisant l'objet du litige. Ensuite, selon la même juridiction, ce siège est situé à une distance importante du domicile du consommateur et n'est pas indiqué dans le contrat. Enfin, cette instance élabore elle-même les contrats qui sont ensuite utilisés par les entreprises de télécommunication".

L'intérêt de l'arrêt de la CJCE du 6 octobre dernier ne réside pourtant pas dans la détermination de clause abusive, difficilement contestable ici. On se contentera de rappeler que la Directive 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (N° Lexbase : L7468AU7, JOCE n° L. 095 du 21 avril 1993), applicable aux faits de l'espèce, dispose, notamment, que peuvent être considérées comme abusives les clause qui ont pour objet "de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat" (point q de l'annexe de la Directive). De manière plus générale, toute clause "n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat" (article 3 de la Directive). Le déséquilibre était ici indiscutablement significatif dans la mesure où le système institué avait pour effet de dissuader le consommateur de se présenter devant une autorité qui était, en revanche, facilement accessible pour le professionnel. Mieux encore, et plus spécifiquement, il s'agissait bien d'une clause visée par l'annexe de la Directive, puisqu'elle empêchait dans les faits le consommateur de saisir la juridiction compétente. A quoi bon, en effet, saisir un arbitre si les seuls frais de déplacement jusqu'à la juridiction sont supérieurs au montant du litige ? A quoi bon accepter de se présenter devant lui en tant que défendeur si le seul droit de se défendre est plus onéreux encore une fois que le montant du litige ?

Au fond donc, la clause compromissoire était bien dans cette hypothèse une clause abusive et la question posée au juge était ainsi désormais uniquement de savoir si le consommateur qui n'avait pas contesté la sentence arbitrale, avait en conséquence perdu toute chance de voir écartée la clause litigieuse. Le juge espagnol posa la question préjudicielle suivante à la CJCE : "la protection des consommateurs qu'assure la Directive [93/13] implique-t-elle que la juridiction saisie d'un recours en exécution forcée d'une sentence arbitrale définitive, rendue sans comparution du consommateur, apprécie d'office la nullité de la convention d'arbitrage et, par conséquent, annule la sentence au motif que ladite convention d'arbitrage comporte une clause d'arbitrage abusive au détriment du consommateur ?". Dans le cadre de la procédure d'exécution forcée, alors que la sentence arbitrale est devenue définitive, la juridiction saisie doit-elle, alors que le consommateur ne l'a pas fait, soulever le caractère abusif de la clause ?

Il est important de rappeler le contexte jurisprudentiel dans lequel s'inscrivait cette question préjudicielle, en l'occurrence celui d'un contrôle toujours plus important, mais surtout voulu plus efficace, des clauses abusives dans les contrats de consommation : la CJCE avait d'ailleurs déjà jugé que le juge national, en vertu de cette même Directive, est tenu d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause contenue dans un contrat de consommation (CJCE, 26 octobre 2006, C-168/05, Mostaza Claro c/ Centro Móvil Milenium SL N° Lexbase : A0140DSY, Rec. 2006, I, p. 10421, Europe décembre 2006, comm. 378, note L. Idot). Dans cette précédente affaire, en Espagne également, le contrat d'abonnement téléphonique comportait une clause compromissoire et la cliente consommatrice si elle avait bien payé ses factures, avait néanmoins elle aussi résilié par anticipation le contrat. Une sentence arbitrale avait été rendue contre la cliente qui n'avait pas, dans un premier temps, contesté la validité de cette clause d'arbitrage. Elle avait, néanmoins, formé un recours contre la sentence devant le juge étatique à la différence des faits de l'arrêt de 2009 ici commenté. La première consommatrice n'avait pas relevé le caractère abusif de la clause mais elle n'avait pas attendu que l'opérateur téléphonique demande l'exécution de la sentence. Saisi au fond, le juge national avait pu alors, selon la Cour de justice, soulever d'office le caractère abusif de la clause compromissoire.

La passivité du consommateur, plusieurs fois rappelée dans l'arrêt du 9 octobre 2009, peut-elle néanmoins justifier une position moins affirmée alors même qu'est en jeu l'autorité de la chose jugée ? En l'occurrence cette consommatrice n'a, à aucun moment, saisi un juge pour que soit considérée comme nulle la sentence arbitrale qui lui était opposée. Elle ne semble pas plus d'ailleurs avoir demandé au juge de l'exécution à qui il était demandé de rendre la sentence exécutoire de reconnaître ladite sentence comme nulle en vertu du caractère abusif de la clause qui donnait compétence à un arbitre pour trancher le litige. Il s'agissait alors pour la CJCE de déterminer si devait être assurée au consommateur une "protection absolue", alors même qu'il avait été, sinon négligeant, du moins très passif dans la procédure qui lui était opposée.

Pour la Cour, qui rappelle l'importance qu'elle accorde à l'autorité de la chose jugée (CJCE 30 septembre 2003, Aff. C-224/01, Gerhard Köbler c/ Republik Osterreich N° Lexbase : A6934C9P, Rec. 2003, I, p. 10239, spéc. pt. 36), une atteinte au principe ne peut résulter que du droit interne de la juridiction saisie. Or, la Cour considère que "les règles procédurales fixées par le système espagnol de protection des consommateurs contre les clauses contractuelles abusives ne rendent pas impossibles ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés au consommateur par la Directive 93/13". Et dans la mesure où le système procédural permet de refuser l'exécution d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, puisque par ailleurs les exigences de protection des consommateurs contre les clauses abusives revêtent un caractère d'ordre public, "il incombe [à la juridiction nationale] de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s'assurer que le consommateur n'est pas lié par ladite clause". C'est donc bien, sous la réserve des règles de procédure de droit interne, une protection absolue du consommateur, qu'entend assurer la Cour de justice. Pour autant, cette protection a pour limite le domaine même d'intervention du droit communautaire. Dans la mesure où les règles d'exécution des décisions de justice ne sont pas harmonisées, la protection du consommateur le plus négligeant par des règles d'ordre public dépend encore aujourd'hui des règles de reconnaissance des sentences arbitrales de chaque Etat membre. En France, la sentence ne sera susceptible d'exécution forcée qu'après une procédure d'exequatur (C. proc. civ., art. 1477 N° Lexbase : L2320ADB). Le juge peut refuser l'exequatur si les dispositions de la sentence sont contraires à l'ordre public (Cass. civ. 2, 17 juin 1971, n° 70-12.218, Société française des Transports pétroliers c/ Delepine, publié au bulletin N° Lexbase : A8718CHD, Bull. civ. III, 1971, n° 222). L'article 2061 du Code civil (N° Lexbase : L2307AB3) limite, qui plus est, la validité des clauses compromissoires aux seules activités professionnelles. L'arbitre, qui est compétent pour apprécier sa propre compétence (c'est le principe "compétence compétence"), est évidemment tenu par les dispositions d'ordre public dont les dispositions de la Directive de 1993 et de l'article 2061 du Code civil font incontestablement partie.

Ici donc, dans cette opposition entre les règles nationales propres à l'arbitrage et l'ordre public communautaire, ce dernier l'emporte. Il s'agit là d'une exception singulière aux règles de la procédure arbitrale et à la reconnaissance des sentences arbitrales : le consommateur est protégé par "une disposition impérative qui tend à substituer à l'équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l'égalité entre ces derniers" (CJCE, 26 octobre 2006, préc.). Un souci d'efficacité de la règle de fond s'oppose alors à une mise en oeuvre trop rigoureuse des mécanismes de l'arbitrage. On en retiendra surtout, qu'il n'est peut-être plus nécessaire de se présenter devant un juge non-étatique que l'on n'estime pas compétent pour connaître du litige, ni même de contester la sentence rendue pour être protégé et peut-être même surprotégé par le système judiciaire. A condition bien évidemment d'être un consommateur.

newsid:374727

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Acte anormal de gestion et crédit interentreprises

Réf. : CAA Paris, 2ème ch., 29 septembre 2009, n° 08PA00082, SA France Immobilier Group (N° Lexbase : A9741ELD)

Lecture: 3 min

N4647BM3

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Le bénéfice imposable des entreprises est le bénéfice net déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (CGI, art. 38, N° Lexbase : L3699ICY ; et pour les bénéfices soumis à l'IS : CGI, art. 209 N° Lexbase : L3755IAC). Toutefois, la théorie prétorienne de l'acte anormal de gestion est une limite tangible au principe de liberté de gestion des entreprises en matière d'imposition des bénéfices : elle vise les dépenses injustifiées ou exagérées ainsi que les renonciations à recette qui peuvent, notamment, prendre la forme d'un cautionnement fourni à titre gratuit (CE Contentieux, 17 février 1992, n° 74272, Société Carrefour N° Lexbase : A5069AR8), de prêts et d'avances sans intérêt (CE 9° et 10° s-s-r., 28 mars 2008, n° 277522, SA Clément N° Lexbase : A5917D7B) ou d'abandons de loyers (CE Contentieux, 9 octobre 1991, n° 71413, SA immobilière et de participations Festa N° Lexbase : A9123AQX). Le crédit interentreprises est au centre des faits d'une espèce jugé par la cour administrative d'appel de Paris, le 29 septembre 2009. Nul ne peut ignorer cette forme de crédit qui est très développée en France et qui peut prendre, par exemple, la forme d'un prêt consenti à un fournisseur ou l'octroi de délais de paiement au client pourvu qu'une contrepartie existe et que le contribuable puisse en rapporter la preuve (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 291041, Société Auteuil Investissement N° Lexbase : A3126EBE). Prenant acte de la pratique professionnelle qui répugne à réclamer aux clients des pénalités de retard, on remarquera la solution proposée par le législateur afin de mettre un terme aux contrôles fiscaux à ce titre en substituant la comptabilité de caisse à celle d'engagement (CGI art 237 sexies N° Lexbase : L4750HLI). D'une manière générale, les aides consenties entre différentes entreprises, pour préserver le renom et les débouchés commerciaux notamment, constituent un état de fait qui ne pouvait être ignoré des personnes chargées d'appliquer le droit fiscal.

Au cas particulier, une société a contracté un prêt hypothécaire d'un an pour 17,5 millions de francs (2 667 858 euros) au taux effectif global de 7,35 %. Puis, immédiatement après, elle a consenti un prêt du même montant à une autre société à un taux d'intérêt moindre s'élevant à 4,85 %.

L'administration fiscale a considéré qu'il y avait, là, un acte anormal de gestion -dont la charge de la preuve lui incombe dans l'hypothèse d'une procédure contradictoire (CE Contentieux, 15 février 1999, n° 172171, SARL Le Centre d'Etude N° Lexbase : A4784AXH ; contra en cas de procédure d'imposition d'office : CE Contentieux, 8 janvier 1993, n° 87631, M. Bernard Spitaletto, N° Lexbase : A7997AM7)- et a, alors, réintégré et soumis à l'IS et à la contribution de 10 % la différence entre les intérêts versés au titre du prêt hypothécaire et ceux perçus auprès de la société tierce, soit 395 876 francs (60 351 euros). La question a, alors, trait à la normalité ou l'anormalité de la rémunération du prêt consenti par la société France Immobilier Group : pour la cour administrative d'appel de Paris, il ne faut pas se référer au taux et aux conditions d'emprunt pour l'endettement propre de la société requérante, mais au contraire se placer "par rapport à la rémunération que le prêteur pourrait obtenir d'un établissement financier ou d'un organisme assimilé auprès duquel il placerait, dans des conditions analogues, des sommes d'un montant équivalent" pour en déduire, au cas d'espèce, à la décharge de l'impôt rappelé. Cet arrêt reprend une précédente jurisprudence du Conseil d'Etat qui avait statué dans le même sens (CE Contentieux, 7 octobre 1988, n° 50256, Société Etablissements Pierre Deveugle N° Lexbase : A7296APW).

Eu égard aux faits de l'espèce, la solution fiscale dépend d'un ensemble de circonstances susceptibles de rendre difficile la prévisibilité de la solution à venir. Ainsi, la jurisprudence accepte de prendre en compte les particularismes d'un secteur d'activité -le négoce de ferraille par exemple- pour en déduire que des avances sans intérêt ne sont pas constitutives d'un acte anormal de gestion (CE Contentieux, 9 octobre 1991, n° 67283, SARL Bouly de Lesdain, N° Lexbase : A9118AQR). Elle tient compte, également, de l'existence de liens financiers ou commerciaux entre les sociétés concernées qui ne doivent pas, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, être symboliques (CE 7° et 8° s-s-r., 23 février 1977, n° 92515 N° Lexbase : A5792B8Z ; CE 9° et 10° s-s-r., 26 février 2003, n° 223092, Société Pierre de Reynal et compagnie N° Lexbase : A3402A77). Si le lecteur de la décision rendue par la cour administrative d'appel de Paris a bien deviné le secteur d'activité dans lequel évoluait la seule société requérante, il n'apprend rien de tel concernant l'existence d'éventuels liens financiers ou commerciaux entre les sociétés concernées : à aucun moment, il n'est mentionné l'existence d'une contrepartie profitant à la société France Immobilier Group justifiant que cette dernière ait prêté des fonds à un taux inférieur à celui auquel elle avait contracté car, selon la juridiction d'appel, l'administration fiscale n'a pas démontré l'existence d'un acte anormal de gestion.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Crédit d'impôt recherche : la forme prévaut sur le fond !

Réf. : CAA Nancy, 2ème ch., 1er octobre 2009, n° 08NC00840, Me Villette, mandataire de la SA Lucid'it (N° Lexbase : A1202EMH)

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

Substantiellement réformé en 2007 (loi n° 2007-1822, 24 décembre 2007, de finances pour 2008 N° Lexbase : L5488H3N), le crédit d'impôt recherche (CGI, art. 244 quater B N° Lexbase : L3718ICP) est une aide substantielle pour les entreprises innovantes, mais c'est également un puissant vecteur de contrôles fiscaux (1) ! (cf. Le crédit d'impôt recherche : un avantage fiscal mal maîtrisé N° Lexbase : X2883ACR). Les faits de l'espèce rapportent qu'une entreprise s'est prévalue, pour ses exercices clos en 2001 et 2002, d'une option pour l'application du crédit d'impôt recherche après avoir fait une télédéclaration de ses résultats annuels par voie électronique ainsi que la loi lui permettait de le faire, dans des conditions fixées par voie contractuelle (CGI, art. 1649 quater B bis N° Lexbase : L1799HML ; CGI, ann. III, art. 344 I ter N° Lexbase : L3585HMQ ; CGI, ann. III, art. 344 I quater N° Lexbase : L3587HMS). La question qui se posait, alors, était de déterminer la portée de la formalité du dépôt de la déclaration spéciale prévue pour le calcul de l'impôt. Or, les termes mêmes du texte réglementaire (CGI ann. III, art. 49 septies M N° Lexbase : L1312HMK) précisaient que l'option pour le crédit d'impôt recherche ne pouvait résulter que du dépôt de cette déclaration spéciale.

Après avoir souscrit à ses obligations déclaratives par voie électronique, la société n'a pas envoyé par courrier, ou déposé aux services de l'administration en temps utile, la déclaration spéciale mentionnée par l'article 49 septies M de l'annexe III au CGI qui ne pouvait faire l'objet d'un envoi électronique. Elle s'est contentée de mentionner le montant du crédit d'impôt sur sa déclaration de résultats. Pour la cour administrative d'appel de Nancy, l'absence de dépôt de la déclaration spéciale en temps utile ne vaut pas option sans que le contribuable puisse opposer au service l'équité ou la manifeste disproportion des conséquences sur sa situation économique même si, sur le fond, il n'est pas contesté que les recherches entreprises par la société ouvraient bien droit au crédit d'impôt recherche.

Que penser de cette solution ? On la mettra en parallèle avec une autre décision des juges du fond qui ont statué dans le même sens (TA Paris, 1ère sect., 2ème ch., 8 février 2005 n° 98-819, n° 01-8991 et n° 01-8995, SA Morgan, RJF, juillet 2005, n° 668) et avec un arrêt du Conseil d'Etat qui a dit pour droit qu'une option rétroactive était impossible lorsque les formalités liées à l'exercice de l'option dans les conditions légales n'ont pu être satisfaites en temps et en heures (CE Contentieux, 1er octobre 2001, n° 220683, Association Laboratoire d'études et de recherches des emballages métalliques LEREM N° Lexbase : A4434AW7), de sorte qu'il est fort probable, au cas particulier, que l'arrêt "SA Lucid'it" sera confirmé, sur ce point, en cassation si un pourvoi est formé par le mandataire de la société.

Les conséquences étant particulièrement lourdes, le contribuable et son conseil réaliseront avec profit qu'en droit fiscal, la forme est au moins aussi importante que le fond, et ce d'autant que la rigueur exigée du contribuable quant au dépôt en temps utile de la déclaration spéciale n° 2069 A est toujours d'actualité (v., notamment, instruction du 26 décembre 2008, BOI 4 A-10-08, § 50 et s. N° Lexbase : X4813AEY).


(1) "Selon les entrepreneurs, l'utilisation du crédit d'impôt pour financer la recherche et le développement conduit, presque systématiquement, à un contrôle fiscal se finissant souvent par un redressement, ce qui décourage les entreprises".

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