La lettre juridique n°373 du 26 novembre 2009 : Notaires

[Jurisprudence] L'obligation du notaire d'informer les parties et d'assurer l'utilité et efficacité des actes auxquels il prête à son concours

Réf. : Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B (N° Lexbase : A3375ELL) ; CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 15 septembre 2009, n° 08/05245 (N° Lexbase : A3863ELN)

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 07 Octobre 2010

Depuis que la jurisprudence a consacré l'existence d'une obligation générale d'information en matière contractuelle -soit qu'elle l'ait fait en la rattachant à l'exigence de bonne foi de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) ou à l'équité de l'article 1135 du même code (N° Lexbase : L1235ABD), soit qu'elle l'ait implicitement, mais nécessairement, reconnue une fois admis que le dol pouvait être constitué par le silence gardé par l'un des contractants sur un élément déterminant du consentement-, cette obligation n'a cessé de s'intensifier, au point de devenir particulièrement contraignante lorsqu'elle pèse sur les professionnels. Le constat n'est plus à faire : l'examen du droit positif atteste de la grande rigueur dont fait preuve la jurisprudence. La responsabilité professionnelle des notaires en constitue, d'ailleurs, un exemple éclairant, la sévérité de la jurisprudence en la matière étant à présent bien connue. Deux arrêts récents, l'un rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 23 septembre 2009, l'autre par la cour d'appel de Paris le 15 septembre 2009, le confirment une nouvelle fois. Dans le premier arrêt, en effet, la propriétaire de deux parcelles contiguës, constituant une unité foncière sur laquelle un permis de construire délivré le 18 mars 1993 avait autorisé la construction de deux villas, avait obtenu, le 17 février 1997, un second permis de construire trois villas sur cette unité foncière, sans que le premier ait été annulé. Ce second permis avait été délivré sous la condition expresse que la propriétaire soit l'unique maître de l'ouvrage de l'opération et qu'aucune division de jouissance privative n'intervienne. Pourtant, par acte authentique du 1er décembre 1997, elle avait vendu à une société l'une des deux parcelles "en ce compris le bénéfice du permis de construire délivré le 17 février 1997", tandis que, le même jour, un état descriptif de division avec règlement de copropriété de ladite parcelle la divisait en trois lots de copropriété horizontale. Ensuite, par acte authentique du 5 décembre 1997 reçu par le même notaire que celui qui avait dressé l'acte du 1er décembre, la société avait vendu en l'état futur d'achèvement à des époux une villa à réaliser sur l'un des lots, les deux autres ayant été vendus ultérieurement. Or, se plaignant d'un retard de livraison de leur villa, de l'intervention d'une décision interruptive de travaux, de l'absence de garantie d'achèvement et de graves malfaçons, les époux acquéreurs avaient, après expertise, notamment assigné la société venderesse et le notaire en paiement de diverses sommes. Laissant, ici, de côté les autres aspects de la demande pour ne retenir que celle dirigée contre le notaire, il importe de relever que les premiers juges, pour dire que le notaire n'était pas responsable des préjudices subis par les époux, et donc les débouter de leurs demandes dirigées contre celui-ci et son assureur, avaient fait valoir que la propriétaire étant architecte, le notaire, chargé de rédiger la vente conclue entre elle et la société le 1er décembre 1997, était fondé à lui faire confiance, en tant que professionnelle, quant aux problèmes relatifs au permis de construire. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en statuant ainsi, alors que le fait que l'architecte, précédemment propriétaire de l'unité foncière dont était détachée la partie de la parcelle vendue, avait obtenu un permis de construire sur cette unité foncière, ne dispensait pas le notaire, tenu d'assurer l'efficacité des actes qu'il dresse, de vérifier la situation de l'immeuble vendu au regard des exigences administratives relatives à la division de propriétés foncières en vue de l'implantation de bâtiments et d'informer les parties de difficultés pouvant en résulter, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Dans l'affaire ayant donné lieu au second arrêt, celui rendu par la cour d'appel de Paris le 15 septembre 2009, des époux avaient fait donation entre vifs, à leur fils unique, en avancement d'hoirie et avec réserve d'usufruit à leur profit, d'un bien immobilier, qu'ils avaient, quelques années plus tôt, donné à bail. L'administration fiscale, considérant que la donation avec réserve d'usufruit était équivalente à une cession et emportait déchéance de l'avantage fiscal, leur a notifié un redressement. Ils avaient, alors, assigné le notaire ayant reçu l'acte en responsabilité pour manquement à son devoir de conseil et, en particulier, pour ne pas les avoir informés que, compte tenu des conditions d'application du dispositif fiscal prévu par la loi "Méhaignerie", il eût été plus judicieux d'attendre un an supplémentaire pour régulariser la donation. Le notaire, pour sa défense, faisait valoir que l'opération consistant dans l'acquisition et la location d'un bien pour un usage familial a un caractère patrimonial, de telle sorte qu'elle n'a pas une finalité essentiellement fiscale et, d'autre part, que, en tout état de cause, les époux devaient porter à sa connaissance les circonstances particulières de l'espèce, tenant notamment au fait qu'ils avaient, depuis la date du bail, bénéficié chaque année d'une réduction d'impôt, ce qu'ils n'avaient pas fait. L'argumentation n'a pas convaincu la cour d'appel qui, décide, en effet, que "l'étendue du devoir de conseil du notaire se détermine essentiellement au regard de la nature de l'acte qu'il dresse ; qu'il a, certes, des limites, en fonction en particulier des mobiles de ses clients portés à sa connaissance, mais ne se restreint pas aux dires explicites de ces derniers sur leurs intentions ; que le notaire doit interroger utilement son client, qu'il ne saurait donc arguer que la seule lecture de l'acte ne révélait pas d'informations fiscales et que la prudence lui impose d'au moins toujours suffisamment attirer l'attention de son client pour mettre ce dernier en mesure de prendre une décision éclairée". Aussi bien en déduit-elle que "la faute du notaire résulte, en l'espèce, de son abstention de s'enquérir des éléments d'appréciation utiles touchant le bien objet de la donation et qu'il a engagé sa responsabilité professionnelle dans les conditions de l'article 1382 du Code civil".

Ces arrêts confirment l'intensité de l'obligation d'assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels le notaire apporte son concours (1). Il est, en effet, aujourd'hui acquis que les notaires doivent, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (2), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (3). Sous cet aspect, comme l'énonce le premier arrêt, la Cour de cassation avait déjà pu décider que le notaire, tenu de s'assurer, en sa qualité de rédacteur de l'acte, de l'efficacité de celui-ci, doit vérifier la situation de l'immeuble au regard des exigences administratives (4) ; et comme l'admet le second, que le notaire est tenu d'éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques, de l'acte auquel il prête son concours, et le cas échéant de le déconseiller (5). On relèvera encore que la jurisprudence a, également, jugé que le notaire, qui établit un acte de garantie hypothécaire, a l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (6). Dans le même ordre d'idée, un récent arrêt décidait encore que "le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé" (7). Or, dans tous les cas, cette obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours se double de l'obligation pour le notaire d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement.

Une observation pour finir. Classiquement, on enseignait que la responsabilité du notaire était, du point de vue de sa nature, double : tantôt délictuelle ou quasi délictuelle lorsque le notaire enfreint une obligation tenant à sa seule qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, tantôt contractuelle lorsqu'il se charge, pour le compte de ses clients, de missions plus larges que celles auxquelles il est contraint par la loi car il agit alors non plus en qualité d'officier public, mais en qualité de mandataire ou de gérant d'affaires. Mais, il ressort de l'examen du droit positif que cette présentation apparaît, aujourd'hui, quelque peu dépassée, la nature délictuelle de la responsabilité notariale étant, en effet, presque toujours affirmée. Cette tendance s'explique, notamment, par le fait que, plus ou moins explicitement, la jurisprudence a tendance à rattacher la responsabilité du notaire à son devoir de conseil, ce qui n'est pas anodin si l'on veut bien relever que quel que soit le rôle assumé par le notaire, elle relie, toujours, le devoir de conseil à la qualité de notaire et à ses obligations strictement professionnelles, sans la relier au contrat qui l'unirait à son client. C'est ce qui explique, sans doute, l'extension du champ de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle en la matière, que les deux arrêts commentés confirment, d'ailleurs, en faisant reposer la responsabilité du notaire, dans les deux cas, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.


(1) Sur la question, voir, not., Vincent Téchené, La responsabilité du notaire, rédacteur d'acte, pour défaut d'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place de sûretés, Lexbase Hebdo n° 325, 4 novembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6892BHQ), note sous Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, Société Banque Neuflize OBC, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9).
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459, Maître Jean Perraud c/ Demoiselle Pierrine Giorcelli (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385, Mme Salik c/ Société X-Y (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732, Epoux Barremaecker c/ M. X et autre (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(4) Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758, Société Glinp II, FS-P+B (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (en l'espèce vérification de la commercialité de l'immeuble compte tenu de l'exigence d'un périmètre de protection autour).
(5) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, M. Patrick Hastings c/ M. Christian Grundler, FS-P+B, Bull. civ. I, n° 496 ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, M. Bernard Thomas, FS-P+B (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n°142.
(6) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-14545, Mme Arnaudjouan c/ M. X, publié (N° Lexbase : A2322CG4). Voir déjà, auparavant, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737, Mme Biglia et autre c/ M. Gros et autre (N° Lexbase : A1369AH8).
(7) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, Société Banque Neuflize OBC, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9).
(8) Voir not. Cass. civ., 8 mai 1944, S. 1945, 1, p. 88 ; Cass. civ., 1er juillet 1958, JCP éd. N, 1959, II, 10945 ; Cass. civ. 1, 14 juin 1989, n° 87-15.730, Société civile professionnelle titulaire d'un office notarial X c/ Epoux Arnoud et autre (N° Lexbase : A9850AA3), Defrénois, 1990, art. 34837, n° 97.

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