La lettre juridique n°373 du 26 novembre 2009 : Consommation

[Jurisprudence] Arbitrage et consommation : refus de reconnaître une sentence arbitrale contraire à une disposition communautaire impérative - Quand l'autorité de la chose jugée ne s'impose pas au consommateur

Réf. : CJCE, 6 octobre 2009, Aff. C-40/08, Asturcom Telecomunicaciones SL - Cristina Rodriguez Nogueira (N° Lexbase : A6853ELE)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

le 07 Octobre 2010

L'arbitrage n'est pas l'apanage des litiges entre grandes entreprises, "multinationales", ou entre un ancien ministre et une ancienne banque publique. Ce mode de résolution des litiges présente, en réalité, des aspects bien plus divers et il peut, en certaines hypothèses, s'appliquer à de petits litiges de consommation. L'arbitrage se distingue du mode le plus commun de résolution des litiges en ce que précisément il ne procède pas d'une saisine du juge étatique. Dans ce système, le "départiteur" tient son autorité, son pouvoir de juger, non pas du Souverain mais de l'accord des parties. Ce n'est donc pas l'Etat ou une institution internationale qui délègue l'autorité, le pouvoir de juger, d'où chez certains une opposition de principe à la possibilité même d'un arbitrage.
Appliqué aux rapports de consommation, et une fois rejeté l'argument trop réducteur de la dangerosité du système, le recours à l'arbitrage peut également être problématique si l'accord de volonté qui en fonde le principe est contestable. En d'autres termes, la partie présumée faible a-t-elle véritablement donné son consentement à l'arbitrage ? La clause qui prévoie dans le contrat qu'en cas de litige, tout contentieux sera tranché par un ou plusieurs arbitre(s) a-t-elle été pleinement comprise et acceptée par le consommateur, celui-là même qui n'a pas rédigé le contrat ? Répondre à cette question revient à s'interroger sur le caractère abusif ou non, d'une telle clause que la pratique qualifie de clause compromissoire.
La Cour de justice des Communautés européennes, saisie d'une question préjudicielle, a pu dans un arrêt du 6 octobre 2009 préciser les conditions du recours à l'arbitrage et, plus encore, celle de la reconnaissance de la sentence rendue dans un litige de consommation. A l'origine de cette affaire, un banal contrat de consommation espagnol, contrat d'adhésion donc, sur un abonnement de téléphonie mobile. Le contrat comprenait "une clause arbitrale soumettant tout litige afférent à l'exécution de ce contrat à l'arbitrage de l'Asociación Europea de Arbitraje de Derecho y Equidad (Association européenne d'arbitrage et d'amiable composition)". Une consommatrice, qui avait souscrit à ce contrat, n'avait pas payé l'intégralité de ses factures et avait résilié par anticipation le contrat à durée indéterminée qui la liait à l'opérateur de téléphonie mobile. Ce dernier avait alors saisi la juridiction arbitrale contre la consommatrice qui fut finalement condamnée au paiement de la somme de 669,90 euros. La sentence arbitrale est en toute logique devenue définitive puisque la partie perdante, en l'occurrence notre consommatrice, n'avait engagé aucune action en annulation de celle-ci. Le juge basque de l'exécution, le Juzgado de Primera Instancia de Bilbao fut alors saisi d'une demande d'exécution de la sentence arbitrale pour voir l'opérateur recouvrer sa créance. La décision de renvoi du juge basque est importante, notamment parce qu'elle propose une description complète des conséquences de cette clause compromissoire sur la situation du consommateur : "la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'abonnement présente un caractère abusif, eu égard, notamment, au motif que, tout d'abord, les frais que le consommateur devait exposer pour se déplacer au siège de l'instance arbitrale étaient supérieurs au montant de la somme faisant l'objet du litige. Ensuite, selon la même juridiction, ce siège est situé à une distance importante du domicile du consommateur et n'est pas indiqué dans le contrat. Enfin, cette instance élabore elle-même les contrats qui sont ensuite utilisés par les entreprises de télécommunication".

L'intérêt de l'arrêt de la CJCE du 6 octobre dernier ne réside pourtant pas dans la détermination de clause abusive, difficilement contestable ici. On se contentera de rappeler que la Directive 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (N° Lexbase : L7468AU7, JOCE n° L. 095 du 21 avril 1993), applicable aux faits de l'espèce, dispose, notamment, que peuvent être considérées comme abusives les clause qui ont pour objet "de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat" (point q de l'annexe de la Directive). De manière plus générale, toute clause "n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat" (article 3 de la Directive). Le déséquilibre était ici indiscutablement significatif dans la mesure où le système institué avait pour effet de dissuader le consommateur de se présenter devant une autorité qui était, en revanche, facilement accessible pour le professionnel. Mieux encore, et plus spécifiquement, il s'agissait bien d'une clause visée par l'annexe de la Directive, puisqu'elle empêchait dans les faits le consommateur de saisir la juridiction compétente. A quoi bon, en effet, saisir un arbitre si les seuls frais de déplacement jusqu'à la juridiction sont supérieurs au montant du litige ? A quoi bon accepter de se présenter devant lui en tant que défendeur si le seul droit de se défendre est plus onéreux encore une fois que le montant du litige ?

Au fond donc, la clause compromissoire était bien dans cette hypothèse une clause abusive et la question posée au juge était ainsi désormais uniquement de savoir si le consommateur qui n'avait pas contesté la sentence arbitrale, avait en conséquence perdu toute chance de voir écartée la clause litigieuse. Le juge espagnol posa la question préjudicielle suivante à la CJCE : "la protection des consommateurs qu'assure la Directive [93/13] implique-t-elle que la juridiction saisie d'un recours en exécution forcée d'une sentence arbitrale définitive, rendue sans comparution du consommateur, apprécie d'office la nullité de la convention d'arbitrage et, par conséquent, annule la sentence au motif que ladite convention d'arbitrage comporte une clause d'arbitrage abusive au détriment du consommateur ?". Dans le cadre de la procédure d'exécution forcée, alors que la sentence arbitrale est devenue définitive, la juridiction saisie doit-elle, alors que le consommateur ne l'a pas fait, soulever le caractère abusif de la clause ?

Il est important de rappeler le contexte jurisprudentiel dans lequel s'inscrivait cette question préjudicielle, en l'occurrence celui d'un contrôle toujours plus important, mais surtout voulu plus efficace, des clauses abusives dans les contrats de consommation : la CJCE avait d'ailleurs déjà jugé que le juge national, en vertu de cette même Directive, est tenu d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause contenue dans un contrat de consommation (CJCE, 26 octobre 2006, C-168/05, Mostaza Claro c/ Centro Móvil Milenium SL N° Lexbase : A0140DSY, Rec. 2006, I, p. 10421, Europe décembre 2006, comm. 378, note L. Idot). Dans cette précédente affaire, en Espagne également, le contrat d'abonnement téléphonique comportait une clause compromissoire et la cliente consommatrice si elle avait bien payé ses factures, avait néanmoins elle aussi résilié par anticipation le contrat. Une sentence arbitrale avait été rendue contre la cliente qui n'avait pas, dans un premier temps, contesté la validité de cette clause d'arbitrage. Elle avait, néanmoins, formé un recours contre la sentence devant le juge étatique à la différence des faits de l'arrêt de 2009 ici commenté. La première consommatrice n'avait pas relevé le caractère abusif de la clause mais elle n'avait pas attendu que l'opérateur téléphonique demande l'exécution de la sentence. Saisi au fond, le juge national avait pu alors, selon la Cour de justice, soulever d'office le caractère abusif de la clause compromissoire.

La passivité du consommateur, plusieurs fois rappelée dans l'arrêt du 9 octobre 2009, peut-elle néanmoins justifier une position moins affirmée alors même qu'est en jeu l'autorité de la chose jugée ? En l'occurrence cette consommatrice n'a, à aucun moment, saisi un juge pour que soit considérée comme nulle la sentence arbitrale qui lui était opposée. Elle ne semble pas plus d'ailleurs avoir demandé au juge de l'exécution à qui il était demandé de rendre la sentence exécutoire de reconnaître ladite sentence comme nulle en vertu du caractère abusif de la clause qui donnait compétence à un arbitre pour trancher le litige. Il s'agissait alors pour la CJCE de déterminer si devait être assurée au consommateur une "protection absolue", alors même qu'il avait été, sinon négligeant, du moins très passif dans la procédure qui lui était opposée.

Pour la Cour, qui rappelle l'importance qu'elle accorde à l'autorité de la chose jugée (CJCE 30 septembre 2003, Aff. C-224/01, Gerhard Köbler c/ Republik Osterreich N° Lexbase : A6934C9P, Rec. 2003, I, p. 10239, spéc. pt. 36), une atteinte au principe ne peut résulter que du droit interne de la juridiction saisie. Or, la Cour considère que "les règles procédurales fixées par le système espagnol de protection des consommateurs contre les clauses contractuelles abusives ne rendent pas impossibles ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés au consommateur par la Directive 93/13". Et dans la mesure où le système procédural permet de refuser l'exécution d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, puisque par ailleurs les exigences de protection des consommateurs contre les clauses abusives revêtent un caractère d'ordre public, "il incombe [à la juridiction nationale] de tirer toutes les conséquences qui en découlent selon le droit national afin de s'assurer que le consommateur n'est pas lié par ladite clause". C'est donc bien, sous la réserve des règles de procédure de droit interne, une protection absolue du consommateur, qu'entend assurer la Cour de justice. Pour autant, cette protection a pour limite le domaine même d'intervention du droit communautaire. Dans la mesure où les règles d'exécution des décisions de justice ne sont pas harmonisées, la protection du consommateur le plus négligeant par des règles d'ordre public dépend encore aujourd'hui des règles de reconnaissance des sentences arbitrales de chaque Etat membre. En France, la sentence ne sera susceptible d'exécution forcée qu'après une procédure d'exequatur (C. proc. civ., art. 1477 N° Lexbase : L2320ADB). Le juge peut refuser l'exequatur si les dispositions de la sentence sont contraires à l'ordre public (Cass. civ. 2, 17 juin 1971, n° 70-12.218, Société française des Transports pétroliers c/ Delepine, publié au bulletin N° Lexbase : A8718CHD, Bull. civ. III, 1971, n° 222). L'article 2061 du Code civil (N° Lexbase : L2307AB3) limite, qui plus est, la validité des clauses compromissoires aux seules activités professionnelles. L'arbitre, qui est compétent pour apprécier sa propre compétence (c'est le principe "compétence compétence"), est évidemment tenu par les dispositions d'ordre public dont les dispositions de la Directive de 1993 et de l'article 2061 du Code civil font incontestablement partie.

Ici donc, dans cette opposition entre les règles nationales propres à l'arbitrage et l'ordre public communautaire, ce dernier l'emporte. Il s'agit là d'une exception singulière aux règles de la procédure arbitrale et à la reconnaissance des sentences arbitrales : le consommateur est protégé par "une disposition impérative qui tend à substituer à l'équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l'égalité entre ces derniers" (CJCE, 26 octobre 2006, préc.). Un souci d'efficacité de la règle de fond s'oppose alors à une mise en oeuvre trop rigoureuse des mécanismes de l'arbitrage. On en retiendra surtout, qu'il n'est peut-être plus nécessaire de se présenter devant un juge non-étatique que l'on n'estime pas compétent pour connaître du litige, ni même de contester la sentence rendue pour être protégé et peut-être même surprotégé par le système judiciaire. A condition bien évidemment d'être un consommateur.

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