La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010 : Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] Les conditions d'exercice du droit de retrait par un associé d'une SCP d'avocats

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 23 février 2010, n° 09/05901 (N° Lexbase : A9087ESD)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole

le 07 Octobre 2010

En dehors des sociétés à capital variable et, si les statuts le prévoient, des sociétés par actions simplifiées (1), le principe de l'intangibilité du capital social fait obstacle à l'octroi d'un droit de retrait aux associés des sociétés commerciales. Cette prérogative est donc l'apanage des membres des sociétés civiles (2), à moins que des dispositions spécifiques en aménagent l'exercice dès lors que les conditions posées ne portent pas atteinte au caractère d'ordre public du retrait. C'est le cas des sociétés civiles professionnelles, alors que depuis la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 (N° Lexbase : L5745IEI), les associés des sociétés civiles d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé ne sont plus privés du droit de retrait ; ils en disposent malgré toute stipulation statutaire contraire (3). Cependant, la mise en oeuvre de ce mécanisme fort utile auquel ont fréquemment recours les intéressés est encombrée d'incertitudes qui génèrent un contentieux récurrent que les nombreuses solutions dégagées par les tribunaux ne parviennent parfois pas à résoudre. Toujours est-il que le législateur, relayé par les associés eux-mêmes exprimant leur volonté dans les statuts, tente de réglementer le droit de retrait afin que les intérêts des parties en cause soient préservés lors de son exercice. Il s'agit d'éviter, d'une part, que cette prérogative soit exercée intempestivement ou frauduleusement, et d'autre part, qu'elle soit injustement contrecarrée. A défaut, il appartient aux juges de démêler les écheveaux des litiges. La recherche de l'équilibre entre les intérêts divergents des uns et des autres constitue l'enjeu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 février 2010, rapporté. 1. Bien que la sortie d'un associé risque de compromettre la survie de la société en raison du sacrifice de l'intérêt social au profit de l'intérêt individuel de l'intéressé, ce retrait paraît justifié dans les sociétés civiles, qui plus est, celles à caractère professionnel dans lesquelles l'intuitu personae occupe une place prépondérante. En effet, autant dans les SCP le retrait se présente comme un droit discrétionnaire mis en oeuvre "lorsqu'un associé le demande" (4), autant dans les autres sociétés civiles ce retrait est conditionné par le consentement unanime des autres associés ou, à défaut, par l'existence de justes motifs tels qu'une mésentente grave entre associés et l'atteinte à l'honorabilité du demandeur (5), lorsqu'il est autorisé par une décision de justice (6).

En outre, il ne paraît pas souhaitable, ni opportun de maintenir de force un associé au sein de la société, alors qu'il n'a plus l'envie d'affecter ses biens ou son industrie à l'entreprise commune. Sa présence pourrait nuire au climat social et ainsi perturber le fonctionnement de la société.

C'est donc tout à fait normalement qu'un avocat avait notifié, par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 28 juin 2004, sa décision de se retirer d'une société civile professionnelle (la DFC). Au sein de cette société créée en 1978 et ayant son siège social à Amiens, il avait exercé son activité depuis 1998 et avait détenu une part sociale parmi les 150 existantes.

L'affaire aurait pu s'arrêter là, puisque la société n'avait élevé aucune protestation contre le voeu légitime de se retirer émis par l'intéressé. Mais, un conflit naquit de ce que tous les collaborateurs de l'un des cabinets secondaires à la tête de laquelle s'était trouvé l'associé retrayant avaient adressé leur démission à la DFC au début d'août 2004. En outre, la presque totalité de la clientèle avait déserté ce cabinet.

Ladite société s'estimant lésée par ce retrait préjudiciable à son égard avait demandé à être indemnisée. Le différend avait donné lieu à un arbitrage le 11 décembre 2007 qu'elle avait sollicité auprès du Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Amiens sur le fondement d'une clause compromissoire prévue par les statuts. L'avocat retiré avait signé le règlement d'arbitrage le 2 juin 2008.

En dépit des contestations formulées par ce dernier, l'arbitre qui s'était déclaré compétent l'avait condamné à verser à la SCP une certaine somme d'argent représentant le préjudice subi par elle et en avait ordonné l'exécution provisoire.

A la suite de l'appel interjeté le 24 juin 2008 par l'avocat retiré, la cour d'appel d'Amiens saisie du litige avait, par son arrêt du 19 février 2009, au visa de l'article 47 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1212H4N), renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris. Ce texte permet effectivement la saisine ou le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction compétente dans le ressort de laquelle le magistrat ou l'auxiliaire de justice partie au litige exerce ses fonctions, ou devant une juridiction située dans un département limitrophe.

La juridiction de seconde instance parisienne déboute, en l'espèce, l'appelant de ses différentes demandes de réformation de la sentence arbitrale et d'allocation à son profit de diverses sommes d'argent réclamées notamment à titre d'indemnisation du préjudice dont il prétend avoir souffert.

2. La décision unilatérale de retrait prise par un associé et, par conséquent, imposée à sa société, a pour corollaire la liberté de réinstallation du retrayant. C'est justement cette réinstallation qui soulève des difficultés pratiques d'organisation du retrait, en particulier, celles ayant trait aux modalités et au délai de départ. En outre, on peut s'interroger sur les dangers auxquels se trouve exposée la société à cette occasion et le risque de fragilisation qui la menace, notamment lorsque la décision unilatérale du retrayant intervient alors même que la société vient d'effectuer d'importants investissements, ou pire, lorsque, comme en l'espèce, ce dernier entraîne dans son sillage les collaborateurs et la clientèle attachée au groupement. Cela signifie que le péril est particulièrement important pour les sociétés civiles professionnelles.

C'est ce que tend à sanctionner dans le présent litige la cour d'appel de Paris.

L'appelant estime, toutefois, avoir exercé sans aucune faute son droit de retrait. Il justifie son comportement au regard de la réalité de son statut qui n'a pas connu l'évolution promise. La seule part qu'il a détenu dans le capital de la société a été sans commune mesure avec le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au profit de la structure sociale. En dépit de sa participation à l'essor de la société successivement en tant que collaborateur, salarié et libéral, sa situation a continué à être celle d'un collaborateur de fait dépourvu de tout pouvoir de décision ou de direction de la SCP, son statut d'associé n'ayant été que symbolique.

A ces arguments, il ajoute d'autres griefs faits à la SCP tels que sa mutation unilatérale dans un autre cabinet secondaire, le litige survenu à propos de l'évaluation de sa part sociale, l'impossibilité pour lui d'effectuer normalement le délai de prévenance, des mesures vexatoires tout en l'empêchant de travailler...

Enfin, il conteste avoir été l'auteur d'un quelconque débauchage des collaborateurs et salariés du bureau où il a été en poste, ces derniers ayant délibérément choisi de quitter ce bureau et de le suivre. Il exclut, également, toute responsabilité de sa part dans un démarchage de la clientèle locale qui a été simplement informée de son départ, ou dans l'accomplissement d'un travail direct ou indirect durant la période où il était encore associé de la SCP. En effet, la clientèle prétendument détournée qui l'a suivi était une clientèle spécifique personnelle, sans corrélation géographique et attachée à lui pour ses compétences financières.

La juridiction d'appel parisienne réfute tous ces arguments en s'appuyant essentiellement sur ceux invoqués par la société intimée. La qualité de simple collaborateur de fait alléguée par l'appelant ne saurait être retenue dès lors que la détention d'une seule part suffit à lui conférer celle d'associé d'une SCP, d'autant plus que la loi n'exige pas une détention minimale de parts sociales pour pouvoir en bénéficier. Ainsi, l'associé sortant a perçu en guise de rémunération, outre 1/150ème du capital social, une somme équivalant à 35 % du montant net de ses propres encaissements, ajouter à cela que la SCP a assuré le paiement intégral de ses charges sociales.

De plus, la manifestation de l'intention de quitter la société, pas plus que l'expiration du délai de six mois pendant lequel doit être proposé le rachat des droits sociaux, ne constitue pas un événement susceptible de lui faire perdre la qualité de membre du groupement. Aussi, ne saurait-il impunément, tout en exerçant les fonctions d'avocat au nom de ladite SCP, accomplir celles-ci à titre individuel ou en qualité de membre d'une SEL. Effectivement, la jurisprudence signale que celui qui se retire d'une société civile ne perd sa qualité d'associé qu'après remboursement de la valeur de ses droits sociaux (7). Aussi longtemps que ce remboursement n'a pas été effectué, il conserve les mêmes droits et demeure tenu des mêmes obligations que tout autre associé.

En l'espèce, l'intéressé était demeuré associé jusqu'au jour de la cession de sa part sociale et, par conséquent, était tenu d'exercer ses diligences d'avocat au bénéfice exclusif de la SCP. Au lieu de cela, à dater du 3 septembre 2004, il n'a plus exercé pour le compte de celle-ci. Quelques mois plus tard à partir du 2 novembre 2004, l'avocat retiré a repris à titre individuel son activité professionnelle au sein d'une SARL créée par un confrère et au sein de laquelle exerçaient également les collaborateurs du bureau secondaire de la SCP qu'il dirigeait auparavant. Un peu plus tard, par lettre du 21 janvier 2005, ce dernier a refusé le prix de rachat proposé par la société de sa part sociale, laquelle a donc sollicité la désignation d'un expert pour déterminer la valeur de celle-ci.

La société intimée ne remet pas en cause la faculté de retrait qui correspond à un droit discrétionnaire conféré par l'article 21 de la loi du 29 novembre 1966 et l'article 27 des statuts sociaux. Elle justifie son action en réparation par le préjudice que lui a causé le détournement de clientèle auquel s'est livré l'associé appelant.

En définitive, la cour d'appel de Paris accueille la demande de dommages et intérêts introduite par cette société. Elle relève des faits troublants qui révèlent manifestement des fautes commises par l'avocat retiré tels que, la reconstitution d'un cabinet dans la même ville que celle du cabinet secondaire de la SCP avec les mêmes collaborateurs et la même clientèle, l'aide apportée à un cabinet concurrent. Elle en déduit que ce comportement fautif se trouve bien à l'origine du préjudice subi par la société. Elle le déboute donc de toutes ses demandes de dommages et intérêts et confirme en toutes ses dispositions la sentence arbitrale déférée.


(1) C. com., art. L. 227-14 (N° Lexbase : L6169AIC) et L. 227-15 (N° Lexbase : L6170AID).
(2) C. civ., art. 1869 (N° Lexbase : L2066AB7) ; C. Lapoyade Deschamps, La liberté de se retirer d'une société, D., 1978, p. 123. ; I. Sauget, Le droit de retrait de l'associé, thèse Paris X, 1991 ; X. Fromentin, Les vertus du droit de retrait, JCP éd. N, 2009, n° 30, 1246.
(3) Loi n° 86-18 du 6 janvier 1986, art. 19-1, nouv. (N° Lexbase : L0989AIH).
(4) Loi n° 66-879, 29 novembre 1966, art. 21 (N° Lexbase : L3146AID) ; A. Cathelineau, Le retrait dans les sociétés civiles professionnelles, JCP éd. E, 2001, n° 22, p. 888 ; v., toutefois, les SCP de notaires pour lesquelles il faut distinguer le retrait ordinaire prévu par l'article 18, alinéa 1er, de la loi de 1966, du retrait spécial édicté par l'article 18, alinéa 2, de cette loi qui implique de faire constater la réalité de l'existence d'une mésentente par le TGI du ressort du siège de la SCP statuant en la forme des référés. Le législateur donne la possibilité à l'intéressé d'être nommé à la tête d'un office créé à cet effet et au même endroit par la chancellerie ; J.-F. Pillebout, Les conflits entre notaires associés, Prévention et remèdes, JCP éd. N, 1994, prat. p. 41 ; Cass. civ. 1, 13 avril 1999, n° 96-20.864, inédit au bulletin (N° Lexbase : A4915CST), Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 904, note J.-J. Daigre.
(5) CA Versailles, 31 janvier 2001, LPA, 27 septembre 2001, n° 193, p. 14, nos obs., à propos d'une SCI dont l'associé retrayant exerçait parallèlement la profession d'avocat..
(6) C. civ., art. 1869.
(7) Cass. com., 17 juin 2008, n° 06-15.045, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A2140D97), RJDA, 11/2008, n° 1144 ; Dr. soc., août-sept. 2008, n° 176, obs. R. Mortier ; JCP éd. G, 2008, II, 10169 et JCP éd. N, 2008, n° 41, 1306, notes C. Lebel ; sur ces arrêts, nos obs., La perte de la qualité d'associé de sociétés civiles après le remboursement de la valeur des droits sociaux, RLDA, novembre 2008, n° 1915 ; v., en général, M. Laroche, Perte de la qualité d'associé : quelle date à retenir ?, D., 2009, p. 1772.

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