La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010 : Fiscalité internationale

[Questions à...] Les droits du contribuable dans le cadre de la nouvelle coopération fiscale internationale - Questions à Franck Le Mentec, Avocat à la Cour, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral

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[Questions à...] Les droits du contribuable dans le cadre de la nouvelle coopération fiscale internationale - Questions à Franck Le Mentec, Avocat à la Cour, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211041-questions-a-les-droits-du-contribuable-dans-le-cadre-de-la-nouvelle-cooperation-fiscale-internationa
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 07 Octobre 2010

Depuis quelques années, la lutte contre la fraude fiscale internationale et l'objectif de transparence et d'échange de renseignements occupe une place de choix parmi les préoccupations des responsables politiques, justifiée par quelques scandales récents internationaux et par le fait que la crise financière mondiale a braqué les projecteurs sur les centres financiers en général. Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, la plus grande organisation fiscale internationale avec 91 Etats membres, placée sous l'égide de l'OCDE, a engagé, le 1er mars 2010, une vaste opération de "contrôle de conformité" des accords de coopération fiscale en vigueur, dont les premiers rapports, devraient être présentés lors de la réunion du Forum fiscal mondial, prévue les 28 et 29 septembre prochains à Singapour. C'est dans ce contexte que le Centre d'études des politiques fiscales et financières publiques (CEPFFP) organisait, le 15 juin 2010, une matinée d'études à la Sorbonne, sur le thème de la nouvelle coopération fiscale internationale. Au programme de ce colloque, étaient notamment présentés le rôle de l'OCDE dans l'émergence d'une nouvelle coopération fiscale internationale, l'approche française de la promotion de cette nouvelle coopération, ou encore des approches comparées de l'échange effectif de renseignements. Mais cette recherche accrue de transparence ne doit pas se faire au détriment des droits des contribuables. Tel était l'objet de l'intervention de Franck Le Mentec, Avocat à la Cour, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral, Observatoire des Conventions fiscales internationales. Nous avons souhaité le rencontrer pour revenir sur cette question fondamentale des droits du contribuable. Lexbase : L'on assiste depuis quelques années à une intensification des procédures d'échange de renseignements, pouvez-vous, brièvement, faire le point sur les nouveaux outils d'échanges d'informations et de renseignements dont dispose l'administration fiscale française ?

Franck Le Mentec : Plus qu'une intensification, nous assistons à présent à un emballement des initiatives étatiques en ce domaine. Cela se traduit, premièrement, par le renforcement des cadres bilatéraux d'échanges, à la suite des décisions prises lors du G20 tenu à Londres en avril 2009, et multilatéraux, comme l'illustre la mise en place du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales. Deuxièmement, on peut relever la constitution de bases de données par les autorités fiscales, regroupant diverses informations sur les contribuables, tant en France (base EVAFISC) qu'au niveau européen (base EUROFISC). A n'en pas douter, des bases de données multilatérales, dépassant le cadre de l'Union européenne devraient prochainement voir le jour. On peut, notamment, relever à cet égard l'accord Swift en cours d'adoption, qui organise le transfert des données bancaires entre l'Europe et les Etats-Unis.

Lexbase : Quelle est la place du contribuable dans ce nouveau cadre ? Dans quelle mesure ses droits se trouvent-ils menacés ?

Franck Le Mentec : Notre propos ici n'est, bien entendu, pas de remettre en cause ce resserrement de la coopération fiscale internationale qui a pour objectif légitime de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale.

On s'aperçoit, cependant, que ces nouvelles procédures se mettent en oeuvre sans égard aux droits du contribuable, notamment ses droits de la défense et son droit à l'information.

En effet, l'échange d'information n'est conçu principalement qu'à travers le prisme étatique. A titre d'exemple, selon l'article 26 (ancienne et nouvelle version) de la convention-modèle OCDE, "les renseignements obtenus [...] ne sont communiqués qu'aux personnes et autorités concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts" -ce qui inclut le contribuable-. La Directive de 1977 reprend le même principe (Directive (CE) 77/799 du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs N° Lexbase : L9296AUT).

Toutefois, un grand nombre de conventions signées par la France est plus proche de la convention-modèle OCDE de 1963, en ce qu'elles prévoient que les renseignements obtenus ne peuvent être communiqués qu'aux personnes "chargées" de l'établissement de l'impôt, même si les conventions récemment signées tendent à reprendre le modèle OCDE (v. notamment les Conventions récemment signées avec l'Australie ou le Royaume-Uni).

Or, dans ce cas, l'administration ne s'estime pas compétente à transmettre au contribuable les renseignements qu'elle utilise à son encontre. Cette approche restrictive a été validée par le Conseil d'Etat (CE 8° et 9° s-s-r., 5 mars 1993, n° 105069 N° Lexbase : A8692AMU : RJF, 5/93, n° 674 ; Dr. fisc. 1993, n° 45, comm. 2127).

Autre illustration, en principe, le strict respect de la condition de réciprocité devrait être considéré comme essentiel, dès lors qu'il est imposé par l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) qui l'érige en condition de supériorité des Traités sur le droit interne.

L'administration fiscale française dispose de droits étendus, et notamment d'un accès total aux comptes bancaires des particuliers et des entreprises. Or, à l'heure actuelle, l'administration ne se prévaut pas, dans un tel cas, de la limitation tenant à la condition de réciprocité et elle transmet le cas échéant des documents bancaires à des pays qui, dans le cas inverse, les lui aurait refusés.

Par ailleurs, lorsque la France est le pays requis, pour que le contribuable soit éventuellement en mesure de saisir une juridiction de son désaccord sur le principe de la transmission de telle ou telle information, il conviendrait qu'il en soit averti au préalable. Tel n'est nullement le cas en France. D'autre pays, tels les Pays-Bas ou l'Allemagne, ont introduit quant à eux un processus d'information obligatoire.

Lexbase : Sur quels principes peut-on s'appuyer pour restaurer la place du contribuable ?

Franck Le Mentec : Les garde-fous traditionnels -que sont l'interdiction pour les Etats de pratiquer ce que l'OCDE nomme des "fishing expeditions", c'est-à-dire l'interdiction d'aller à la pêche aux renseignements, ou encore les règles applicables en matière de secret- apparaissent limités, dès lors que le contribuable ne peut en contrôler le bon respect.

Lexbase : Outre ces principes traditionnels, existe-t-il de nouveaux moyens ?

Franck Le Mentec : Le débat concernant la compatibilité des procédures d'échanges d'informations avec les règles applicables en matière de protection des données est actuellement en train de s'ouvrir.

On peut citer, notamment, l'avis très intéressant de la CNIL, rendu le 12 novembre 2009, concernant la création de la base française EVAFISC (délibération n° 2009-588 du 12 novembre 2009, portant avis sur un projet d'arrêté du ministère du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat portant création par la direction générale des finances publiques d'un fichier de comptes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales). Cet avis s'apparente à un rappel à l'ordre à l'intention des autorités fiscales ignorant les règles de protection des données personnelles.

De même, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) a émis deux avis, comportant de fortes réserves sur les nouveaux outils de coopération mis en place. Un premier avis, en date du 30 octobre 2009, concerne les nouvelles mesures d'échange d'information qui vont être prises en matière de TVA et la création de la base EUROFISC.

Le second avis, rendu le 6 janvier 2010, concernant quant à lui la proposition de Directive du Conseil du 2 février 2009 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, comporte des réserves encore plus marquées que le premier avis. On relèvera, notamment, le paragraphe suivant : "le CEPD a remarqué que la proposition ne contient aucune disposition sur le principe de transparence, par exemple sur la manière dont l'échange d'informations est communiqué au grand public ou dont les personnes concernées seront informées du traitement des données. Le CEPD invite dès lors instamment le législateur à adopter une disposition concernant la transparence de l'échange d'informations".

Aussi, le droit communautaire ainsi que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ont été, à ce jour, peu sollicités en ce domaine, alors qu'ils peuvent constituer des armes juridiques efficaces.

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