La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Modalités de la consultation du CHSCT en cas d'aménagement important modifiant les conditions de travail

Réf. : Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-13.640, CHSCT de l'UIRD sud c/ Société France Télécom, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6704E3P)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Longtemps resté dans l'ombre des autres institutions représentatives du personnel, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) tend à occuper désormais une place de premier ordre au sein de l'entreprise (1). Un important arrêt rendu le 30 juin 2010 par la Cour de cassation, qui aura les honneurs de son rapport annuel, le confirme. Etait en cause, en l'espèce, l'obligation de consultation du CHSCT prévu par l'article L. 4612-8 du Code du travail (N° Lexbase : L1754H9T), lorsqu'est arrêtée une décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail. Outre qu'elle vient préciser ce que recouvre cette notion, la Chambre sociale affirme qu'en l'absence de CHSCT unique compétent pour l'ensemble des sites concernés, le projet qui excède nécessairement les prérogatives de chacun des CHSCT impose la consultation de tous les CHSCT territorialement compétents pour ces sites.
Résumé

Constitue une décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail au sens de ce texte, un projet de regroupement sur un même site d'un service commun réparti sur plusieurs sites intéressant 80 salariés, dont la mise en oeuvre doit entraîner le transfert hors de leur secteur géographique d'origine ou le changement des attributions de ces salariés.

En l'absence d'un CHSCT unique compétent pour l'ensemble des sites concernés, le projet qui excède nécessairement les prérogatives de chacun des CHSCT impose la consultation de tous les CHSCT territorialement compétents pour ces sites.

I - L'obligation de consulter le CHSCT

  • Les exigences légales

En application de l'article L. 4612-8 du Code du travail, "le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail".

Compte tenu de sa formulation pour le moins compréhensive, ce texte confère à l'obligation de consulter le CHSCT un champ d'application très large (2). Pour autant, on ne saurait considérer que toute "décision d'aménagement" doit lui être soumise dès lors qu'elle modifie les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail (3). L'obligation de consulter le CHSCT est essentiellement bornée par le caractère "important" de la décision d'aménagement (4). Ainsi que le souligne un auteur, "l'aménagement important est celui dont les conséquences sont significatives d'un point de vue quantitatif (nombre de personnes concernées) ou qualitatif (impact notable sur les conditions de travail)". Ce même auteur n'en relève pas moins que "la jurisprudence fait primer l'approche quantitative, dans le cadre d'une lecture résolument extensive de la notion de projet important" (5).

Si l'arrêt rapporté ne paraît pas remettre en cause la véracité de cette dernière assertion, il démontre, toutefois, à notre sens que la Cour de cassation n'entend pas se désintéresser de l'approche quantitative.

  • L'affaire

Etait en cause, en l'espèce, une "Unité d'intervention Rhône et Durance" (UIRD), établissement secondaire de France Télécom couvrant les départements de la Drôme, de l'Ardèche, du Vaucluse, des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence. Cet établissement comporte deux CHSCT distincts. L'un dont la compétence concerne les sites de la Drôme et de l'Ardèche (CHSCT UIRD nord), l'autre les sites du Vaucluse et des Alpes (CHSCT UIRD sud).

Jusqu'en 2007, un service de pilotage de conduite d'activités était organisé qui comprenait 80 agents répartis sur plusieurs sites dont 19 étaient affectés sur le site d'Avignon. La société France Télécom a décidé le regroupement du service de pilotage de conduite d'activités et partant des salariés concernés sur le site unique de Montélimar. Reprochant à la société France Télécom de ne pas l'avoir consulté avant la mise en oeuvre du regroupement, le CHSCT UIRD sud a saisi le Président du tribunal de grande instance statuant en référé pour demander la condamnation de la société à surseoir au projet de redéploiement, la réintégration des agents et la consultation du CHSCT.

Pour dire n'y avoir lieu à référé sur la demande du CHSCT sud de l'Unité d'Intervention Rhône et Durance, l'arrêt attaqué a retenu qu'en considération de l'objet du projet de regroupement de l'activité "pilotage de conduite d'activité" de l'UIRD sur le seul site de Montélimar et de son incidence sur le redéploiement des agents du seul site d'Avignon, à qui aucune mutation n'était imposée et qui avaient le choix de rejoindre un autre poste sur le même site notamment dans des services existants, pour ceux qui n'ont pas pris leur retraite cette année là, le juge des référés a pu estimer à juste titre que le seul redéploiement des agents du site d'Avignon ne constituait pas un aménagement important au sens des dispositions de l'article L. 4612-8 du Code du travail, imposant à la direction de France Télécom de consulter ainsi le CHSCT de l'UIRD sud sur ce projet de réorganisation.

  • La solution de la Cour de cassation

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 4612-8 du Code du travail et 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC). Après avoir rappelé la teneur du premier de ces textes, la Chambre sociale vient affirmer que "constitue une décision d'aménagement important modifiant les conditions de travail au sens de ce texte, un projet de regroupement sur un même site d'un service commun réparti sur plusieurs sites intéressant 80 salariés, dont la mise en oeuvre doit entraîner le transfert hors de leur secteur géographique d'origine ou le changement des attributions de ces salariés".

La solution retenue apparaît intéressante à au moins deux égards. Tout d'abord, et bien que la prudence soit ici de mise, elle tend à démontrer que la Cour de cassation entend contrôler l'interprétation que donnent les juges du fond de l'article L. 4612-8 du Code du travail (6). Une telle position apparaîtrait opportune si l'on a égard aux divergences d'appréciation que peut faire naître l'article L. 4612-8 et qu'illustre parfaitement l'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté.

Ensuite, et à cet égard, la solution offre certains éclaircissements, même si elle reste limitée au cas d'espèce. En premier lieu, en se référant expressément au nombre de salariés concernés par la mesure, la Cour de cassation signifie qu'elle entend accorder de l'importance à ce critère afin de déterminer si la décision d'aménagement est importante ou non. Etaient en l'espèce concernés 80 salariés ; ce qui ne peut être tenu pour négligeable. Ce nombre doit, cependant, être relativisé si l'on a égard au fait que l'UIRD employait, au moment du litige, 825 salariés. En second lieu, à la différence de certaines juridictions, la Cour de cassation n'entend pas considérer comme importants des projets de regroupement sur un site unique sans qu'il soit acquis que les conditions de travail des salariés soient modifiées. Tout au contraire, la Chambre sociale prend soin de relever que la mise en oeuvre du projet de regroupement devait entraîner le transfert hors de leur secteur géographique ou le changement d'attributions des salariés (8).

En d'autres termes, il convient d'avoir tout à la fois égard au nombre de salariés concernés par la décision et à ses conséquences. Remarquons, cependant, que celles-ci ne doivent pas seulement être mises en relation avec la santé et la sécurité des salariés, mais aussi avec leurs conditions de travail. Sans doute n'y-a-t-il là qu'une simple application de l'article L. 4612-8. Mais, il faut alors se demander si, en fait, la consultation du CHSCT ne risque pas de faire double emploi avec celle du comité d'entreprise (9). Il importe, cependant, de rappeler que ces deux institutions n'ont pas le même rôle ou, plus exactement, les mêmes préoccupations.

II - Les modalités de la consultation en cas de pluralité de CHSCT

  • La pluralité de CHSCT dans une même entreprise

En l'espèce, pour repousser la demande du CHSCT UIRD sud, les juges d'appel avaient également retenu que le CHSCT UIRD nord avait été consulté sur l'ensemble du projet de réorganisation de l'activité et de ses incidences sur les agents regroupés à Montélimar. Cette argumentation est également censurée par la Cour de cassation, qui affirme "qu'en l'absence d'un CHSCT unique compétent pour l'ensemble des sites concernés, le projet qui excède nécessairement les prérogatives de chacun des CHSCT impose la consultation de tous les CHSCT territorialement compétents pour ces sites".

Cette solution doit être approuvée. Il importe de rappeler qu'une même entreprise peut comporter plusieurs CHSCT, comme elle peut comporter plusieurs comités d'établissements. Une telle démultiplication des institutions représentatives du personnel peut d'autant plus être envisagée pour les CHSCT qu'ils peuvent être mis en place au niveau de secteurs d'activités (10). Toutefois, si le Code du travail prévoit la constitution d'un comité central d'entreprise venant se superposer aux différents comités d'établissement, il n'a pas envisagé semblable institution pour les CHSCT. Par voie de conséquence, il n'existe pas, non plus, pour ces derniers une règle similaire à celle énoncée par l'article L. 2327-2, qui prévoit, rappelons-le, que "le comité central d'entreprise exerce les attributions économiques qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d'établissement".

Il résulte de tout cela que lorsqu'une décision intéresse plusieurs établissements ou plusieurs secteurs d'activité, il n'est pas possible de consulter un CHSCT "central". Aussi, dans un tel cas, faute de CHSCT compétent pour l'ensemble de ces périmètres, il n'y a pas d'autre issue que de consulter l'ensemble des CHSCT concernés.

  • La multiplication des consultations

Pour être parfaitement fondée au regard des textes applicables, la jurisprudence de la Cour de cassation risque de rendre bien complexe la mise en oeuvre des décisions de l'employeur dès lors que celui-ci est tenu de consulter les comités d'établissement, le comité central d'entreprise et les CHSCT. Dans une telle hypothèse, il conviendra de soigneusement coordonner ces consultations et, notamment, de déterminer leur ordre (11).

En tout état de cause, l'employeur devra veiller à respecter les prérogatives des uns et des autres. Car, outre une condamnation pour délit d'entrave, il encourra le risque de voir la mise en oeuvre de sa décision suspendue jusqu'à l'accomplissement de ses obligations. Suspension qui pourra être prononcée, ainsi que le laisse clairement entendre la Cour de cassation en visant l'article 809 du Code de procédure civile, par le juge des référés.


(1) Certains ont, à ce propos et à juste titre, pu parler de la "montée en puissance" du CHSCT. V. le titre éponyme de l'article de P.-Y. Verkindt, SSL, n° 1332, p. 10.
(2) V., en ce sens, P.-H. d'Ornano, La consultation du CHSCT en cas d'aménagement important modifiant les conditions de travail, JCP éd. S, 2010, 1226.
(3) On peut légitimement considérer qu'à l'instar du comité d'entreprise, doivent être soumis au CHSCT les accords collectifs dont l'objet entre dans le champ de ses attributions consultatives. Cela paraît d'autant plus envisageable que l'article L. 4612-8 vise "toute décision", sans préciser sa source (comp. C. trav., art. L. 2323-2 N° Lexbase : L2722H9P).
(4) On peut se demander pourquoi le législateur a éprouvé le besoin de qualifier la décision en lui accolant le terme "d'aménagement".
(5) P.-H. d'Ornano, art. préc..
(6) Selon M. d'Ornano, la Cour de cassation aurait choisi de se retrancher derrière l'appréciation souveraine des juges du fond (art. préc. et la jurisprudence citée). L'arrêt commenté pourrait constituer, de ce point de vue, un changement d'optique.
(7) P.-H. d'Ornano, art. préc. et la jurisprudence citée.
(8) Il est sans doute possible de considérer qu'il importe peu qu'au final aucun salarié ne soit transféré hors de son secteur géographique ou ne subisse un changement d'attribution. Seule compte l'éventualité d'une telle conséquence au moment où le projet de décision doit être soumis au CHSCT.
(9) V. l'article L. 2323-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2734H97), qui dispose que "le comité d'entreprise est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle".
(10) Cass. soc., 30 mai 2001, n° 99-60.474, Société Sita Ile-de-France c/ Syndicat Force ouvrière Sita Ile-de-France (N° Lexbase : A5670AT8), Bull. civ. V, n° 192 ; Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-60.438, Société Cegelec Nord et Est, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3155EIP). Il en résulte que plusieurs CHSCT peuvent coexister au sein d'un même établissement.
(11) V., sur la question, P.-H. d'Ornano, pour qui la consultation du CHSCT doit en bonne logique précéder celle du comité d'entreprise.


Décision

Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-13.640, CHSCT de l'UIRD sud c/ Société France Télécom, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6704E3P)

Cassation de CA Nîmes, 1ère ch., sect. A, 10 février 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 4612-8 (N° Lexbase : L1754H9T) ; C. pr. civ., art. 809 (N° Lexbase : L3104ADC)

Mots-clefs : CHSCT ; obligation de consultation ; décision d'aménagement (notion) ; pluralité de CHSCT

Lien base : (N° Lexbase : E3400ET4)

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