La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010 : QPC

[Jurisprudence] La Cour de cassation, juge constitutionnel ?

Réf. : Cass. QPC, 18 juin 2010, 4 arrêts, n° 10-40.005 (N° Lexbase : A4056E3M), n° 10-40.006 (N° Lexbase : A4057E3N), n° 10-40.007 (N° Lexbase : A4058E3P) et n° 10-14.749 (N° Lexbase : A4055E3L) ; Cass. QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009 (N° Lexbase : A7369E3C)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Quelques semaines après l'entrée en vigueur de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la Cour de cassation vient de rendre cinq décisions intéressant directement le droit du travail, quatre relatives à la loi du 20 août 2008 (1) dans son volet "démocratie sociale" (Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.007, n° 10-40.005, n° 10-40.006 et n° 10-14.749) et une concernant la prescription quinquennale des gains et salaires (Cass. QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009). Aucune des questions posées n'ayant été jugée sérieuse, la Cour a refusé de les transmettre au Conseil constitutionnel (I), se comportant de fait comme un juge constitutionnel, loin de l'esprit de la réforme constitutionnelle intervenue en 2008 (II).
Résumés

Pourvois n° 10-40,005, n° 10-40.006 et n° 10-40.007 : l'exigence d'un seuil raisonnable d'audience subordonnant la représentativité d'une organisation syndicale ne constitue pas une atteinte au principe de la liberté syndicale et la représentation légitimée par le vote, loin de violer le principe de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail par l'intermédiaire des syndicats, en assure, au contraire, l'effectivité.

Pourvoi n° 10-14.749 : subordonner la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus ne porte atteinte à aucun des droits et libertés garantis par la Constitution.

Pourvoi n° 10-40.009 : la question posée, relative à la durée de la prescription des actions en paiement des salaires, au demeurant conforme au droit commun, ne présente pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués.

I - Les refus de transmission

  • Procédure de la QPC

L'entrée en vigueur au 1er mars 2010 de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité a provoqué un incontestable engouement et fait naître autant de craintes que d'espoirs (2).

La procédure adoptée confit au Conseil constitutionnel le soin de dire si les dispositions légales contestées par les parties sont ou non inconstitutionnelles et aux juridictions de cassation un rôle de filtre afin de protéger le Conseil contre l'afflux de questions qui ne présenteraient aucun caractère de nouveauté, au regard des normes constitutionnelles concernées, ou de sérieux au regard des chances d'abrogation des dispositions légales déférées.

C'est la vérification par les juridictions de cassation du caractère "sérieux" du grief qui constitue incontestablement la principale source d'incertitudes sur l'avenir de la réforme, dans la mesure où la Cour de cassation et le Conseil d'Etat disposent ainsi d'un critère dont elles peuvent, ou non, faire une interprétation large ou restrictive, selon qu'elles souhaitent jouer un rôle de simple chambre de transmission des QPC ou, au contraire, un véritable rôle de "chambre des requêtes" chargée, en réalité, d'un pré-contrôle de constitutionnalité.

  • Premier bilan

L'examen des premières affaires traitées par la Cour de cassation depuis le 1er mars 2010 a montré qu'environ 20 % des questions transmises par les juridictions du fond, et examinées par la formation ad hoc ou présentées directement devant les différentes chambres et traitées par elles, à l'occasion d'un pourvoi, n'ont pas été transmises, généralement en raison du caractère non sérieux des arguments soulevés (3).

Jusqu'aux cinq premières décisions rendues les 18 et 25 juin 2010, la Cour de cassation n'avait pas eu à prendre parti sur le caractère sérieux de QPC portant directement sur des dispositions du Code du travail (4). C'est désormais chose faite avec quatre décisions en date du 18 juin, et portant sur la constitutionnalité de différentes dispositions issues de la loi du 20 août 2008, dans ses dispositions relatives à la démocratie sociale, et une relative à la prescription quinquennale des gains et salaires en date du 25 juin 2010.

  • Mise en cause de l'exigence d'un seuil d'audience électorale de 10 % comme critère de la représentativité syndicale

Trois des premières questions transmises à la Cour de cassation portaient sur la conformité à la Constitution du seuil d'audience électorale de 10 % exigé par la loi du 20 août 2010 pour établir la représentativité des organisations syndicales aux niveaux de l'entreprise, l'établissement et les groupes d'entreprises.

Plus précisément, les juridictions d'instance avaient transmis à la Cour la question de la conformité de l'article 2 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 modifiant les articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-2 (N° Lexbase : L3804IBI) et L. 2122-3 (N° Lexbase : L3740IB7) du Code du travail au regard des droits et libertés garantis par l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4), disposant que "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix" et à l'alinéa 8 de ce même Préambule, disposant que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises" (pourvoi n° 10-40.007). Dans une deuxième affaire, c'étaient également les articles 1er et 5 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, modifiant les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN), L. 2122-1, L. 2122-2, L. 2122-3, L. 2122-4 (N° Lexbase : L3798IBB), L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD), L. 2143-4 (N° Lexbase : L3782IBP), L. 2143-5 (N° Lexbase : L3732IBT) et L. 2143-6 (N° Lexbase : L3785IBS) du Code du travail, qui étaient accusés de porter également atteinte au principe constitutionnel de sécurité juridique pris dans l'obligation qu'il emporte de clarté et d'intelligibilité de la loi (pourvoi n° 10-40.005). La troisième affaire mettait en cause l'article 8 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 au regard des dispositions des alinéas 5 et 6 du Préambule de la Constitution de 1946 (pourvoi n° 10-40.006).

Quoi que portant exactement sur les mêmes dispositions de la loi du 20 août 2008 et ne mobilisant pas toujours les mêmes droits et libertés garantis par la Constitution, ces trois questions ont reçu la même réponse et ont été soumises au même traitement, puisqu'aucune n'a été transmise au Conseil constitutionnel en raison de leur absence de nouveauté et de caractère sérieux.

Pour la formation ad hoc, en effet, "l'exigence d'un seuil raisonnable d'audience subordonnant la représentativité d'une organisation syndicale ne constitue pas une atteinte au principe de la liberté syndicale et où la représentation légitimée par le vote, loin de violer le principe de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail par l'intermédiaire des syndicats, en assure au contraire l'effectivité".

  • Mise en cause de la condition subordonnant la possibilité pour les syndicats de désigner des représentants au comité d'entreprise à la présence d'élus

Une autre question contestait la constitutionnalité du nouveau critère de désignation des représentants des syndicats de l'entreprise au comité d'entreprise, dans les entreprises de 300 salariés et plus, et qui impose d'y avoir "des élus".

Le tribunal qui avait saisi la Haute juridiction demandait, en effet, à celle-ci si l"es dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 sont [...] contraires aux droits et libertés à valeur constitutionnelle et, plus précisément, au principe de la liberté syndicale tel qu'il est consacré au sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, au droit des travailleurs à participer, par l'intermédiaire de leurs représentants, à la détermination de leurs conditions de travail, tel qu'il est consacré au huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et au principe d'égalité devant la loi, tel qu'il est consacré à l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et aux articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 5 et 6 (N° Lexbase : L1370A9M) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen".

La réponse a été encore plus lapidaire que dans les autres affaires et le sort réservé à la question identique, la Cour ayant considéré que la question n'était ni nouvelle, ni sérieuse, "en ce que subordonner la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus ne porte atteinte à aucun des droits et libertés garantis par la Constitution" (pourvoi n° 10-14.749).

  • Mise en cause de la prescription quinquennale des gains et salaires

La dernière question concernait la constitutionnalité de la prescription quinquennale des gains et salaires de l'article L. 3245-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7244IAK), en ce qu'elle porterait atteinte au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, au principe d'égalité, au droit de propriété, au droit à un travail et au principe de non-discrimination.

Dans un arrêt en date du 25 juin 2010, la Cour de cassation a considéré que cette question n'était ni nouvelle, ni sérieuse, "au regard des exigences qui s'attachent aux dispositions, règles et principes de valeur constitutionnelle invoqués" (pourvoi n° 10-40.009).

II - La Cour de cassation et le contrôle de constitutionnalité

1. Appréciation des décisions au regard des griefs formulés

  • Conformité du seuil d'audience de 10 %

Les QPC posaient, tout d'abord, la question de la conformité du seuil d'audience de 10 % au droit à l'action syndicale (5) et au droit des salariés à la participation par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (6).

La Cour de cassation a considéré que "l'exigence d'un seuil raisonnable d'audience subordonnant la représentativité d'une organisation syndicale ne constitue pas une atteinte au principe de la liberté syndicale et [...] la représentation légitimée par le vote, loin de violer le principe de participation des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail par l'intermédiaire des syndicats, en assure au contraire l'effectivité".

S'agissant de l'atteinte à la liberté syndicale, la Cour semble considérer que ce seuil ne remet pas en cause la liberté de se syndiquer (liberté syndicale) car il ne concerne que l'acquisition de la qualité de syndicat représentatif et non l'exercice même du droit syndical (droit de se syndiquer, de ne pas se syndiquer, de revendiquer). Dans une conception étroite du droit syndical réduite à la liberté syndicale (7), on ne saurait lui donner tort. Mais on ne pourra pas passer sous silence qu'une grande partie des prérogatives des syndicats est subordonnée à leur représentativité (8), même s'il faut également reconnaître, surtout après la loi du 20 août 2008, que les droits des syndicats non représentatifs, et présentant certains caractères (9), ont été sensiblement réévalués (10).

S'agissant de l'atteinte au principe de participation, la Cour de cassation considère, là aussi implicitement, qu'il n'y a pas de violation à exiger une audience minimale de 10 %, mais, au contraire, souci d'en assurer l'effectivité.

L'affirmation est un peu rapide. Le souci d'assurer l'effectivité du principe de participation constitue, en effet, la finalité de l'atteinte, mais ne permet pas d'affirmer qu'il y n'y a pas d'atteinte au principe de participation. En imposant un seuil d'audience pour l'accès aux prérogatives de négociation collective, la loi porte, en effet, nécessairement atteinte au principe lui-même (11). Se pose, alors, la question de la finalité de cette atteinte (assurer une meilleure effectivité du principe en donnant plus de légitimité aux acteurs), de sa proportionnalité (atteinte qualifiée de "raisonnable" par la Cour de cassation) et de l'adéquation des moyens mis en oeuvre à la finalité recherchée (peut-on atteindre le même objectif par des moyens portant moins atteinte au principe de participation ?). En fixant un seuil d'audience à 10 %, la loi du 20 août 2008 permet, il est vrai mécaniquement, à dix syndicats au plus d'y être représentatifs, ce qui semble, en effet, "raisonnable".

La Cour n'a pas répondu au grief tiré de la violation du principe de clarté et d'intelligibilité de la loi ? Mais on sait qu'un débat existe sur la possibilité d'invoquer ce grief dans la mesure où il ne semble pas constituer un droit ou une liberté que la Constitution garantit (12). Cet arrêt pourrait donc accréditer la thèse de l'exclusion, tout au moins dans le cadre de la QPC, de ce grief qui serait donc réservé au contrôle initial des conformités des lois.

  • Conformité de l'exigence d'élus pour désigner un représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises de 300 salariés et plus

Dans cette affaire, les demandeurs prétendaient que cette exigence portait atteinte au principe de liberté syndicale, de participation des travailleurs, ainsi qu'au principe d'égalité.

Mais, pour la Cour de cassation, "subordonner la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise à la condition pour un syndicat d'y avoir des élus ne porte atteinte à aucun des droits et libertés garantis par la Constitution" (pourvoi n° 10-14.749).

Ici encore, la Cour de cassation semble considérer que la solution relève de l'évidence : le principe de liberté syndicale ne serait pas atteint car cette règle n'empêche, bien entendu, pas les salariés de se syndiquer, et même à admettre que la liberté syndicale englobe plus largement le droit syndical, les syndicats (représentatifs, car tel était bien le problème pour ceux qui n'auraient pas d'élus, ou un seul) exercent, par ailleurs, leurs prérogatives dans l'entreprise par l'intermédiaire de leur délégué syndical, ou du RSS pour les syndicats non représentatifs ; le principe de participation ne serait pas concerné car les salariés l'exercent par le biais de l'élection de leurs représentants au comité ; le principe d'égalité ne serait pas, non plus, concerné car les syndicats ayant des élus ne seraient pas dans la même situation que ceux qui n'en ont pas, excluant ainsi toute atteinte au principe d'égalité.

Le moins que l'on puisse dire est que la motivation de l'arrêt, si tant est que la solution puisse être considérée comme "motivée", est des plus lapidaires. Certes, l'exigence semble là aussi raisonnable car on peut penser qu'en imposant la présence d'élus (en réalité d'un titulaire et d'un remplaçant (13)), la loi du 20 août 2008 a entendu renforcer la légitimité des syndicats présents au comité dans les grandes entreprises en ne permettant qu'à ceux qui ont connu un succès électoral de désigner des représentants. Mais le critère écarte de droit les syndicats représentatifs (audience de 10 % au premier tour) de toute présence dans les comités s'ils n'ont pas remporté de sièges au second tour, et limite donc ainsi la capacité d'action. Pour la Cour de cassation, il n'y a pas ici d'atteinte à la liberté syndicale, pour des raisons que nous avons déjà évoquées, et certainement pas d'atteinte au principe de participation puisque les salariés élisent leurs représentants dans ses mêmes entreprises. Mais que pensez de l'atteinte au principe d'égalité entre syndicats selon la taille de leur entreprise et l'existence d'élus ? Est-il raisonnable d'affirmer qu'il n'y a pas d'atteinte, postulant ainsi l'existence de situations différentes, sans autre explication ? Et comment faire pour déterminer si le seuil de 300 salariés, qui fait basculer l'entreprise d'un critère (la représentativité syndicale) vers un autre (avoir des élus), est parfaitement justifié au regard des finalités de la réforme (renforcer la légitimité syndicale) ?

  • Conformité de la prescription quinquennale

Ici encore, le refus de transmission au Conseil constitutionnel n'est nullement motivé, la Cour de cassation se contentant d'affirmer que les arguments soulevés, et tenant à la violation du "principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, [du] principe d'égalité, [du] droit de propriété, [du] droit à un travail et [du] principe de non-discrimination" ne sont pas sérieux.

On peut, là aussi, être d'accord sur la conformité de cette durée à la Constitution car le délai de cinq ans semble raisonnable pour concilier les droits en présence, le salarié ayant suffisamment de temps pour agir, une fois libéré de l'emprise de son employeur, et le délai ne faisant pas peser sur les entreprises une hypothèque trop durable, d'autant plus que la réforme de la prescription intervenue en 2008 a choisi la durée de cinq ans comme droit commun pour les actions mobilières et personnelles (14).

2. Appréciation des décisions au regard du rôle dévolu à la Cour de cassation dans la procédure de QPC

  • Appréciation au regard des objectifs de la réforme constitutionnelle de 2008

La réforme intervenue en 2008/2009, et applicable depuis le 1er mars 2010, a confié aux juridictions du fond le soin d'écarter les arguments "dépourvus de caractère sérieux" et aux juridictions de cassation les arguments "non sérieux". L'intensité du contrôle n'ayant pas été précisée par les textes, la Cour de cassation doit donc déterminer selon quels critères elle doit transmettre ou non les questions : s'agit-il de ne pas transmettre au Conseil les questions qui, en l'état de sa jurisprudence actuelle, ne sauraient prospérer, au risque d'empêcher ce dernier de changer sa jurisprudence, ou de procéder à ses propres analyses pour déterminer si les arguments pourraient aboutir à l'abrogation de la loi ?

En refusant de transmettre les trois questions posées, et singulièrement les deux concernant certains aspects de la réforme de la démocratie sociale intervenue en 2008, la Cour de cassation, qui s'est déjà prononcée sur la conventionnalité du seuil d'audience de 10 % (15), semble donc se réserver tous les contrôles de conformité (inconventionnalité et inconstitutionnalité) et ne transmettre au Conseil que les dispositions dont elle considère qu'elles sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, à l'image d'une chambre des requêtes.

La Cour de cassation prive ainsi le Conseil constitutionnel de la possibilité de statuer sur des questions qui semblent poser de véritables problèmes de constitutionnalité, comme le seuil de 10 %. Dans ces conditions, la Cour de cassation ne va-t-elle pas au-delà de la mission qui lui a été confiée dans le cadre de la réforme constitutionnelle de 2008 en se livrant à un véritable contrôle de constitutionnalité des lois, et pas seulement à un contrôle de recevabilité des questions avant leur transmission, et en reléguant le Conseil constitutionnel au second plan, et ce contrairement aux objectifs clairement affichés de la réforme ? C'est en tout cas l'impression que donnent ces premières décisions.

  • Appréciation en opportunité

Au-delà de la question, centrale, de l'interprétation que la Cour de cassation fait du rôle qui lui a été dévolu dans le cadre de la réforme constitutionnelle intervenue en 2008, se pose la question de l'opportunité pour la Cour elle-même d'une telle position. Lorsqu'une QPC a été transmise au Conseil, la décision prise par ce dernier tranche définitivement la question de la conformité du ou des textes déférés à la Constitution, sauf changement de circonstances. Mais lorsque la Cour de cassation refuse de transmettre une QPC, la décision qu'elle prend n'interdit pas aux justiciables de reposer, dans d'autres instances, la même question concernant les mêmes dispositions, et ce en dépit du sort prévisible que la Cour réservera à ces questions. Or, il n'est pas totalement inepte de penser que les syndicats menacés par la réforme de la démocratie sociale, et singulièrement par les seuils d'audience, ne désarmeront pas tant que le Conseil constitutionnel ne se sera pas directement prononcé sur la ou les questions qui font aujourd'hui débat. En pensant limiter le flux des questions par une politique de transmission très restrictive, la Cour pourrait donc bien se trouver prise à son propre piège et voir revenir les mêmes questions...

  • Vers la réforme de la réforme

Il se murmure depuis quelques jours que le Président du Conseil constitutionnel aurait peu gouté les refus de transmission des QPC concernant la loi du 20 août 2008 et qu'une modification des procédures serait déjà à l'étude pour supprimer le critère du caractère "sérieux" des questions et faire ainsi sauter le verrou qu'il semble aujourd'hui constituer, verrou d'autant plus solide que les décisions relatives à la transmission des questions prises par les juridictions de cassation ne sont soumises à aucun recours. En attendant la réforme de la réforme, ne serait-il pas souhaitable que le dialogue des juges s'instaure véritablement et que cette réforme, capitale dans l'évolution du régime de protection des droits et libertés, ne meure pas étouffée ?


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir nos deux éditions spéciales Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 édition sociale et Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Nos obs., L'impact de la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité sur le droit du travail, Lexbase Hebdo n° 377 du 8 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9373BM4) (Réf. : Loi n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS).
(3) Nos obs., Question prioritaire de constitutionnalité et droit du travail : premier bilan après trois mois d'application, Lexbase Hebdo n° 398 du 11 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N3042BPD). Sur ces statistiques, voir le site de la Cour de cassation.
(4) Une QPC portait sur le livre IV du Code de la Sécurité sociale avait été transmise au Conseil constitutionnel qui l'a déclaré conforme, sous réserve que les victimes de fautes inexcusables soient intégralement indemnisées de leurs préjudices par le TASS (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, Epoux Lloret N° Lexbase : A9572EZK). Lire nos obs., Le Conseil constitutionnel et les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, Lexbase Hebdo n° 401 du 2 juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4393BPE).
(5) Alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 : "Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix".
(6) Alinéa 8 du préambule de 1946.
(7) Et ne protégeant donc pas le droit syndical au sens du régime de l'action syndicale. Sur ces conceptions, L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 12ème éd., 2003, p. 377.
(8) Désignation d'un délégué syndical, d'un représentant syndical au comité d'entreprise dans les entreprises de moins de 300 salariés, négociation collective des accords, notamment.
(9) Ancienneté d'au moins deux ans, respect des valeurs républicaines et indépendance vis-à-vis de l'employeur ou affiliation à une organisation syndicale représentative sur le plan national et interprofessionnel.
(10) Section syndicale, représentant de la section syndicale, négociation des accords préélectoraux, participation au premier tour des élections professionnelles, désignation de représentants dans les entreprises de 300 salariés et plus pour les organisations y ayant des élus.
(11) Même si la loi du 20 août 2008 a également doté d'autres acteurs, non issus des syndicats représentatifs, du pouvoir de négocier en l'absence de délégué syndical : représentants élus du personnel, dans les entreprises de moins de deux cents salariés, ou RSS en l'absence de possibilité de mandatement (c'est-à-dire dans les entreprises de deux cents salariés et plus dotées d'institutions représentatives du personnel).
(12) En ce sens, la circulaire SG/SADJPV du 1er mars 2010, relative à la présentation du principe de continuité de l'aide juridictionnelle en cas d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel, p. 9.
13) En ce sens, les termes de la circulaire DGT du 13 novembre 2008, relative à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L8532IBM).
(14) C. civ., art. 2224 (N° Lexbase : L7184IAC).
(15) Conformité aux articles 4 de la Convention n° 98 de l'organisation internationale du travail (OIT), 5 de la Convention n° 135 de l'OIT, 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4744AQR), 5 et 6 de la Charte sociale européenne, 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R N° Lexbase : A9981EU9, Dr. soc., 2010, p. 647, chron. L. Pécaut-Rivolier et les obs. de G. Auzero, La réforme du droit de la représentativité déclarée conforme au droit international, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mars 2010 - édition sociale N° Lexbase : N0570BPS).


Décisions

1° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.005, Syndicat CFTC emploi, P+B (N° Lexbase : A4056E3M)

TI Raincy, 2 avril 2010, n° 11-10-000484, Pôle emploi Ile-de-France c/ Syndicat CFTC Emploi (N° Lexbase : A0437EXH)

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : seuil raisonnable ; représentativité syndicale ; atteinte à la liberté syndicale (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

2° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.006, Syndicat solidaires Sud Emploi Languedoc-Roussillon, P+B (N° Lexbase : A4057E3N)

TI Montpellier, 9 avril 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : seuil raisonnable ; représentativité syndicale ; atteinte à la liberté syndicale (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

3° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-40.007, Syndicat FO des métaux de Toulouse et de la région, P+B (N° Lexbase : A4058E3P)

TI Toulouse, 9 avril 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : seuil raisonnable ; représentativité syndicale ; atteinte à la liberté syndicale (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1798ETR)

4° Cass. QPC, 18 juin 2010, n° 10-14.749, Syndicat force ouvrière des personnels civils de la défense nationale confédération générale du travail force ouvrière, P+B (N° Lexbase : A4055E3L)

TI Cherbourg, 12 mars 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK) ; loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise ; conditions ; atteinte à la Constitution (non)

Lien base : (N° Lexbase : E1918ET9)

5° Cass., QPC, 25 juin 2010, n° 10-40.009, Mme Gilberte Marchois, veuve Duffing, P+B (N° Lexbase : A7369E3C)

CA Besançon, 13 avril 2010, n° 10/00787, Madame Gilberte Marchois (N° Lexbase : A9460EXN)

Textes visés : C. trav., art. L. 3245-1 (N° Lexbase : L7244IAK) et L. 7321-1 (N° Lexbase : L3462H94) à L. 7321-5

Mots clés : prescription ; salaires ; conformité à la Constitution ; absence de caractère sérieux

Lien base : (N° Lexbase : E0951ETE)

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