La lettre juridique n°403 du 14 juillet 2010 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Un mail de "recadrage" peut constituer un avertissement !

Réf. : Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-42.893, Société Médiance, F-D (N° Lexbase : A7223EXS)

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N6296BPU

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Le mail adressé à un salarié par son employeur contenant des critiques sur son travail et réclamant un changement radical dans sa façon de travailler constitue t-il un avertissement ? Oui, répond sans ambiguïté la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 mai 2010. La solution pourrait paraître surprenante. Les juges du Quai de l'Horloge nous ont sans doute habitué à plus de formalisme. Elle implique, en effet, qu'un "simple" mail -que nous qualifierons de "recadrage"- puisse constituer un avertissement, c'est-à-dire une sanction disciplinaire, ce qui n'est pas sans conséquence sur la suite de la procédure disciplinaire s'il doit y avoir... Et puis, surtout, il faut bien le reconnaître, elle n'est pas sans laisser un petit goût d'amertume. En effet, si elle a le mérite de la clarté, subsiste toujours le problème de la preuve de la notification de la sanction. Car, faut-il le rappeler, la décision de sanction doit être écrite et motivée, jusque-là pas de difficultés, mais, et c'est là que le bât pourrait blesser, elle doit être notifiée au salarié soit par lettre recommandée, soit par lettre remise en main propre à l'intéressé contre décharge (C. trav., art. R. 1332-2 N° Lexbase : L1736IAK). Dès lors, un simple mail ne saurait suffire. L'employeur devrait utiliser un courrier électronique recommandé, tel que prévu par l'article 1369-8 du Code civil (N° Lexbase : L6359G9E). Gageons qu'une telle complaisance découle du fait que l'avertissement reste une sanction mineure, n'ayant pas d'incidence directe sur la situation professionnelle du salarié, d'ailleurs, il reste la seule sanction disciplinaire n'imposant pas la tenue d'un entretien préalable... Lorsque l'employeur constate que l'un de ses salariés a eu un comportement fautif, il peut logiquement le sanctionner. La sanction disciplinaire est une mesure unilatérale prise par l'employeur à la suite d'un agissement fautif du salarié. Elle découle de son pouvoir disciplinaire -et non de son pouvoir de direction-. L'article L. 1331-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1858H9P) la définit classiquement comme toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. Ainsi, dès lors que la mesure prise par l'employeur à l'égard d'un salarié est la suite d'un comportement de ce dernier considéré par le premier comme fautif, elle constitue une sanction disciplinaire (1).

Si la loi interdit les sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 1331-2 N° Lexbase : L1860H9R) ou discriminatoires (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L6053IAG à L. 1132-4), en revanche, elle ne dresse pas de listes des sanctions que l'employeur peut prendre. Il revient donc au règlement intérieur de fixer la nature et l'échelle des sanctions disciplinaires (C. trav., art. L. 1321-1 N° Lexbase : L1837H9W). Notons qu'il peut prononcer une sanction moins grave que celle prévue par le règlement intérieur (2).

Précisions utiles : un comportement fautif ne peut résulter que d'un fait imputable au salarié (3). Le comportement fautif doit se rapporter à la prestation de travail pour être sanctionné (4). En effet, seuls les manquements aux obligations résultant du contrat de travail peuvent être considérés comme des fautes professionnelles (5).

De l'avertissement au licenciement disciplinaire, en passant par la mise à pied, la rétrogradation, voire la mutation, les sanctions disciplinaires sont donc nombreuses et offrent finalement un panel assez large à l'employeur, qui dispose ainsi de possibilités aux divers degrés de sévérité afin de sanctionner un salarié fautif.

La forme la moins sévère reste l'avertissement. La difficulté réside dans sa définition. On l'a vu, point d'approche légale. Nous retiendrons simplement ici l'article L. 1332-1 (N° Lexbase : L1862H9T), qui dispose qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui. Et la jurisprudence est étrangement assez peu prolixe en la matière. Les juges ont tout de même eu l'occasion d'affirmer qu'une lettre adressée par l'employeur au salarié pour lui faire des reproches et des mises en demeure constitue un avertissement (6). Par ailleurs, les avertissements, quel que soit leur nombre, n'ont pas par eux-mêmes d'incidence sur la situation du salarié et il n'est donc pas nécessaire de convoquer le salarié à un entretien préalable (7). C'est d'ailleurs le seul type de sanction pour lequel la loi n'impose pas la tenue d'un entretien préalable. On le sent donc bien ici, la frontière entre l'avertissement et la simple observation écrite est difficile à cerner (8).

Or, la caractérisation de la sanction disciplinaire est importante. En effet, de jurisprudence constante, l'employeur ne peut pas sanctionner deux fois la même faute (9). C'est là une simple application de la règle non bis in idem. Il est, ainsi, interdit, par exemple, qu'une faute sanctionnée par un avertissement soit ensuite sanctionnée par une mise à pied ou un licenciement (10). En revanche, la mise à pied conservatoire n'étant pas une sanction disciplinaire, le licenciement qui suit est justifié. Il n'y a pas non plus double sanction lorsque des fautes de même nature ont été commises plusieurs fois et l'employeur décide de prendre en compte les fautes précédentes pour sanctionner plus sévèrement la dernière faute. Lorsque l'employeur prend une nouvelle sanction à la suite de l'annulation d'une première sanction jugée disproportionnée, il ne se heurte pas au principe de non-cumul. Il est également interdit d'invoquer une sanction datant de plus de trois ans à l'appui d'une nouvelle sanction (C. trav., art. L. 1332-5 N° Lexbase : L1869H94).

Dans cette affaire, une salariée s'était vue adresser, de la part de son employeur, un message électronique articulant un certain nombre de critiques et réclamant un changement radical. Le lendemain, elle était convoquée à un entretien préalable à un licenciement. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

L'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamné au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts et au remboursement aux organismes sociaux des indemnités de chômage dans la limite de six mois, alors, selon le moyen, que le pouvoir de direction de l'employeur ne saurait être confondu avec son pouvoir disciplinaire, ni donc une directive ou un rappel à l'ordre du salarié avec une sanction disciplinaire. Dès lors, ne saurait constituer une sanction l'envoi au salarié d'un courrier électronique dans lequel l'employeur, tout en lui faisant part de son impression sur un certain relâchement, lui rappelle les directives qu'il doit mettre en oeuvre, l'invite à se ressaisir dans l'accomplissement de ses fonctions, et lui indique qu'il fera le point sur sa situation dans un délai donné. Un tel message manifeste de la part de l'employeur l'exercice de son pouvoir de direction et, le cas échéant, de contrôle, mais non pas disciplinaire. Ainsi, en décidant que le courrier électronique litigieux constituait une sanction et que les faits en cause ne pouvaient être sanctionnés une seconde fois par le prononcé du licenciement, tout en constatant que ce message enjoignait à la salariée de se conformer aux instructions, règlements, et pratiques en vigueur dans l'entreprise, ce qui révélait l'exercice par l'employeur de son pouvoir de donner des directives au salarié, mais non pas de son pouvoir disciplinaire, la cour d'appel aurait violé l'article L. 1331-1 du Code du travail et le principe "non bis in idem".

A tort. Selon la Haute juridiction, après avoir relevé que, dans son message électronique, l'employeur adressait divers reproches à la salariée et l'invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d'août, la cour d'appel a justement décidé que cette lettre sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, de sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement, lequel devait, dès lors, être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

On le voit bien ici, au risque de se répéter, la frontière est bien mince entre de simples remarques et un avertissement. Dans cette affaire, l'employeur avait reproché, par mail, certains manquements de la salariée, ces manquements étant d'origine professionnelle, les juges du fond en ont déduit que ce mail constituait un avertissement. La solution n'est, cependant, pas nouvelle. En 2007, déjà, les juges du Quai de l'Horloge avaient retenu qu'un mail pouvait constituer un avertissement (11). En l'espèce, l'employeur avait adressé des reproches à la salariée dans un courrier, puis dans un mail, pour des faits qu'il estimait fautifs. Or, selon la Haute juridiction, la cour d'appel a pu en déduire que les mises en garde contenues dans ces documents constituaient des sanctions et que les mêmes faits ne pouvaient être une seconde fois sanctionnés.

Les juges ont adopté, dans ces deux affaires, le même modus operandi. Le principe de base est le même : la règle non bis in idem interdit à l'employeur de sanctionner deux fois les mêmes faits. Dans cette optique, dans un souci apparent de protection du salarié licencié pour faute grave, la Haute juridiction a considéré que le mail envoyé au salarié pour lui reprocher tel comportement devait être assimilé à un avertissement écrit. Dès lors, le licenciement prononcé pour les mêmes faits se retrouvait dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Surtout, ce qu'il est important de retenir, c'est que l'avertissement peut être établi en l'absence de toute mention explicite dans le mail, ce qui est le cas dans l'affaire nous intéressant, c'est-à-dire que les juges du fond peuvent la déduire à partir du seul contenu de ce même mail. Dès lors, mettre en garde un salarié dans un courriel, même de façon informelle, constitue un avertissement, lequel interdit donc une nouvelle sanction reposant sur les mêmes faits. Ce qui impose la plus grande vigilance...


(1) Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-46.547, M. Serge Denoize c/ Chambre de commerce et d'industrie de Marseille Provence, F-D (N° Lexbase : A9888DLS).
(2) Cass. soc., 20 avril 1989, n° 86-42.234, Société Cegedur Pechiney c/ M. Lascovitch (N° Lexbase : A8745AA7).
(3) Cass. soc., 21 mars 2000, n° 98-40.130, Mlle Benamsili c/ Société PCM 4 (N° Lexbase : A4970AG8).
(4) Cass. soc., 2 avril 1997, n° 94-43.352, Société SFOB c/ Monsieur Jean-Claude X (N° Lexbase : A1633ACH).
(5) Cass. soc., 21 mars 2000, n° 97-44.370, M. Marino c/ Société Semitag (N° Lexbase : A6367AGW). Encore récemment, Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66.792, M. Ludovic Chaput, FS-P+B (N° Lexbase : A6840E3Q).
(6) Cass. soc., 13 octobre 1993, n° 92-40.474, M. Fernandez c/ Société Marnier Lapostolle (N° Lexbase : A3906AAW).
(7) Cass. soc., 19 janvier 1989, n° 86-45.505, Société à responsabilité limitée Soco c/ Mme Hy (N° Lexbase : A8823AAZ).
(8) Cass. soc. 13 octobre 1993, n° 92-40.474 (N° Lexbase : A3906AAW).
(9) Cass. soc., 25 juin 1986, n° 84-41.606, Société anonyme Cora Labuissière c/ Mme Fajs (N° Lexbase : A9530AA9).
(10) Cass. soc., 30 septembre 2003, n° 01-40.658, M. René, Luc Georgin c/ M. Michel Pautrat, F-D (N° Lexbase : A6589C9W).
(11) Cass. soc., 6 mars 2007, n° 05-43.698, Société Lexon, F-D (N° Lexbase : A6011DU8).

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