La lettre juridique n°646 du 10 mars 2016 : Bancaire

[Jurisprudence] La prescription des actions du professionnel dans les crédits immobiliers à un consommateur

Réf. : Cass. civ. 1, 11 février 2016, quatre arrêts, n° 14-28.383, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7326PKK) ; n° 14-27.143, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7325PKI) ; n° 14-29.539, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7327PKL) ; n° 14-22.938, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7324PKH)

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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque de l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"

le 11 Mars 2016

1. Principe. La Cour de cassation vient, le 11 février 2016, dans quatre arrêts, de régler le jeu de la prescription des actions en justice des prêteurs professionnels relatives à des crédits immobiliers non remboursés. Dans trois arrêts de cassation (Cass. civ. 1, 11 février 2016, trois arrêts, n° 14-28.383, F-P+B+R+I ; n° 14-27.143, F-P+B+R+I ; n° 14-29.539, F-P+B+R+I), et dans un arrêt de rejet (Cass. civ. 1, 11 février 2016, n° 14-22.938, F-P+B+R+I, la première chambre civile reproduit un attendu de principe dont la clarté le dote d'une belle autorité. Dans les arrêts de cassation, la solution contredit directement les divers motifs des juges du fond. Dans l'arrêt de rejet, en outre, elle rejette le pourvoi incident de la banque en réaffirmant que, le crédit étant un service, l'article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) discuté s'applique aux crédits immobiliers des espèces en cause (v. n° 2). D'autres décisions, également très récentes, confirment le vaste domaine d'application de cet article (1). Pour les quatre espèces étudiées, la question posée était celle de savoir comment appliquer cet article qui établit un délai de prescription biennale pour les actions du prêteur professionnel contre un consommateur qui ne règle pas ses échéances. 2. Consommateur. Alors même que la logique économique la plus élémentaire fait parler d'investisseur, l'emprunteur immobilier est un consommateur. La perspective d'une construction doctrinale sur l'investisseur n'avait pas d'angle d'ouverture dans ce débat judiciaire, la question étant au demeurant tranchée. La Cour de cassation avait ainsi naguère évincé le thème de l'investisseur en jugeant que l'emprunteur bénéficie du régime de protection du crédit immobilier, ici en cause, même si l'immeuble est acquis pour le louer (2). En 2012, la première chambre civile a jugé que l'emprunteur est un consommateur de services de crédit pour lui appliquer l'article L. 137-2 du Code de la consommation au coeur des quatre arrêts (3) ; l'application est faite "ensemble" avec les articles 2233 (N° Lexbase : L7218IAL) et 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) du Code civil, lesquels disposent respectivement, d'une part, que la prescription ne court pas contre une dette à terme et, d'autre part, que la prescription des actions personnelles ou mobilières court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de les exercer (4).

3. Solution. Les décisions intervenues règlent la question de cette prescription qui est d'une importance majeure pour les établissements comme pour les emprunteurs. La solution de principe est rendue au visa des trois articles précités. La Haute juridiction juge que, à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéances successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité (5). On peut classiquement scinder cet attendu selon lequel "la prescription se divise comme la dette elle-même", ce qui implique que la division de la dette (I) commande la division de la prescription (II).

I - La division de la dette

4. Singulier pluriel. L'article L. 137-2 du Code de la consommation invite à considérer les faits, à savoir une réalité singulière (la dette) composée d'une pluralité (les termes). A défaut d'indiquer un événement unique pour critère de départ de la prescription, l'article implique la considération des termes successifs de la dette (A) et l'éviction d'un terme unique (B).

A - La considération des termes successifs de la dette

5. Les termes du crédit. L'expression de "dette à termes successifs" que la Cour de cassation utilise convient pour la plupart des crédits immobiliers dont font partie ceux des espèces commentées. Mais les crédits in fine, qui servent à quelques opérations de gestion de patrimoine (...), ou les crédits relais, n'ont en principe qu'un seul terme. La solution jurisprudentielle apportée ne les intéresse guère. Pour leur part, les crédits immobiliers classiques, remboursables sur plusieurs années, montraient parfois ces termes successifs. Ainsi en était-il grâce, notamment, à l'ancien article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L2564ABL), relatif à la prescription quinquennale des dettes payables par échéances périodiques, ce qui par définition amenait à considérait les termes (6) ; des exemples avec des prescriptions plus longues ont dû être rares et moins spécifiques à défaut de prescription plus courte et donc contentieuse.

6. Un nouvel article. L'adoption de l'article L. 137-2 du Code de la consommation (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I) a changé les choses. Cet article a été introduit au cours de la discussion parlementaire, en s'inspirant de l'action des "marchands" contre leurs clients soumise à un délai de deux ans (C. civ., art. 2272, anc. N° Lexbase : L2559ABE) . Il a ainsi complété l'article L. 137-1, prévu dans la proposition de loi qui, entre professionnel et consommateur, interdit de modifier conventionnellement les délais de prescription. Mais la disposition a été véritablement réécrite en visant le rapport professionnel/consommateur, excluant la notion de marchands (au revoir le droit commercial...), et en visant "les biens et les services", et non plus les marchandises. Cet article qui fait juger que les crédits sont des services (v. n° 2 et n° 8) invite à relever la révolution en cours.

7. La révolution des services. Caractéristique de l'économie moderne, l'omniprésence des services peut sembler banale. Pourtant, le phénomène interroge le droit français qui doit assumer la révolution des services sans "théorie juridique des services" (8). Souvent laissé aux discussions et choix nationaux par le droit européen, le contrat n'est pas le principal vecteur d'évolution. Les autorités européennes ne s'embarrassent guère des contrats spéciaux : on régit les activités en identifiant des services, soit des ensembles comprenant des professionnels et des prestations imposant abstraitement des obligations détaillées ou clauses légales plus ou moins lourdes.

Le "jeu" de ces services fait déjà hésiter quant à la simple question de leur existence ou domaine d'application. Ainsi, en l'espèce, en visant les services, l'article L. 137-2 a fait se demander si le crédit était un service. Le droit français ne répond pas explicitement à la question. La qualification conduisant au régime d'un contrat spécial ne suffit donc pas ou plus. Ici, la qualification d'opération ou de prêt soumis au Code de la consommation ne dit pas d'évidence que l'on est en présence d'un service. Comme le fait souvent la foisonnante législation européenne, l'article L. 137-2 régit les activités par le concept économique et social de service qui devient... juridique !

A l'instar des services financiers qui englobent les crédits, le droit européen consacre, notamment à travers le Code monétaire et financier, les services de paiement, les services d'investissement (9) et, d'un autre type, des services à distance ou encore de démarchage... Dans sa logique, le droit européen a qualifié les crédits de services financiers. Cela donne un argument de texte. A la suite des Directives européennes, le Code de la consommation qualifie les crédits de services financiers pour l'application des règles relatives aux services financiers à distance (10). Le Code monétaire et financier classe du reste les opérations de banque aux côtés de divers services (services de paiement, d'investissement, de prestation de conseil en investissement). En effet, la législation sur le démarchage bancaire et financier vise nombre d'opérations de banque au même titre que les services (C. mon. fin., art. L. 341-1 N° Lexbase : L3755I3H et s.). Ces dispositions démontrent que les crédits sont des services financiers, des services. Les travaux législatifs ont pu s'inspirer des concepts et conceptions du droit européen. L'application de l'article L. 137-2 aux crédits immobiliers d'espèce était inévitable à raison d'un libellé qui a des racines profondes, ce que la Haute juridiction a l'occasion de réaffirmer dans l'un des quatre arrêts commentés (11).

8. Retour aux espèces. La solution considérant les termes successifs de la dette a pu s'inspirer de la logique de l'application d'anciens articles du Code civil, les évoquant, on l'a dit. La chambre saisie avait, du reste, déjà formulé cette solution au moyen de la même phrase (12).

Pourtant, depuis qu'elle avait décidé d'appliquer l'article L. 137-2, en 2012, la Cour de cassation n'avait pas considéré le caractère de dette payable par termes successifs. Elle avait fait prévaloir l'article 2224 (sans viser l'article 2233 traitant des dettes à terme). Ainsi, elle jugeait il y a quelques mois : "le point de départ du délai de prescription biennale prévu [...] se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée, soit, dans le cas d'une action en paiement au titre d'un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé" (13). On avait alors pu relever qu'un alignement semblait s'opérer sur le crédit à la consommation tout en relevant la différence de nature des règles en cause (14). Le caractère de dettes successives ne dominait alors pas la motivation, même si l'un des arrêts cassés avait fait démarrer le délai de prescription biennale de l'article L. 137-2 à la seule "date de déchéance du terme de ces prêts", ce qui méconnaissait les termes échus, autant le premier impayé que les suivants.

Dans ces circonstances, les quatre arrêts commentés sont d'un apport déterminant, ce qui forge leur valeur de principe ; ils peuvent être vus comme un revirement par rapport à la décision précitée de 2014 (15). On plonge au coeur des arrêts rendus qui évincent un point de départ unique du délai de prescription qui postulerait un terme unique.

B - L'éviction d'un terme unique

9. Influence du crédit à la consommation. Les trois arrêts qui prononcent une cassation montrent que les juges du fond ont cherché un seul point de départ de la prescription. On peut penser qu'ils ont été influencés par le jeu du délai de forclusion prévu en matière de crédit à la consommation, mais qui n'existe pas dans le régime du crédit immobilier. Ainsi, dans la troisième espèce précitée (16), l'arrêt d'appel avait jugé que "la défaillance de l'emprunteur [...] est l'événement qui constitue le point de départ nécessaire mais suffisant du délai d'action sans que celle-ci soit subordonnée au prononcé de l'exigibilité anticipée du terme, [...] et que la prescription biennale qui a commencé à courir à compter du premier incident de paiement non régularisé atteint l'intégralité de l'action née du contrat". L'idée que l'intégralité de l'action en justice est atteinte mime la solution de la forclusion consacrée dans le crédit à la consommation, où est instauré un point unique de départ du délai : le premier incident de paiement non régularisé. Mais le tout est expressément prévu par la loi pour établir un délai de forclusion (et non de prescription) (17).

Dans les deux autres espèces où une cassation est prononcée, les juges du fond ont encore utilisé l'idée de "premier incident de paiement non régularisé", et encore comme seul point de départ du délai de deux ans (18). Mais, toujours pour annuler un commandement de payer, il servit aussi à évincer un autre mécanisme : "le prononcé de la déchéance du terme, laissé à la seule appréciation du créancier, ne peut constituer le point de départ du délai de prescription" (19). Contrairement aux termes de cette motivation, que le juge du droit censure, la déchéance du terme relève de l'exercice même du droit de résiliation ou résolution. Principe du droit des obligations, ce droit de prononcer la déchéance du terme ne peut ni être confié à une autre personne que le créancier..., ni être méconnu si la mesure est prononcée, comme le suggérait le juge du fond.

10. Fondamentalement. Dans le crédit à la consommation, la loi a notamment attaché à un événement spécial (premier incident de paiement non-régularisé) la forclusion, sanction spéciale consistant en l'impossibilité d'agir en justice (C. consom., art. L. 311-52 N° Lexbase : L9554IMS). Le choix du législateur défavorise les financiers professionnels (20) ; considérer le premier incident de paiement fait démarrer le délai de prescription dès que possible, c'est une faveur au débiteur. On se l'explique parce que les crédits à la consommation ont toujours vu leur légitimité discutée, notamment parce qu'ils sont un facteur de surendettement.

11. La forclusion puise profond ses fondements (21) et, en pur droit, l'article L. 132-7 établit quant à lui, assez logiquement, une prescription d'une nature différente. Cela interdit une interprétation par analogie de la disposition de forclusion.

De façon surabondante, la forclusion ne peut pas "transformer" l'article L. 132-7 à raison du caractère propre des lois sur le crédit composant le Code de la consommation. Elles n'établissent aucun contrat spécial de crédit qui pourrait tendre vers un régime unique (22). Enfin, et toujours de façon surabondante, l'appartenance des deux articles au même Code de la consommation est indifférente car son unité est très partielle (23).

Ces nuances techniques s'illustrent dans un cas spécial. Les parties se soumettent parfois conventionnellement au régime légal du crédit immobilier ; le prêteur professionnel peut ainsi préserver sa méthode de travail, bien rôdée, même en présence d'un client professionnel. Dans ce cas, il vient d'être jugé que l'article L. 137-2 ne s'applique pas pour la raison que l'on vient d'expliquer, une partie du code n'en vaut pas une autre (24). Les professionnels prendront garde, dans la rédaction de la clause qui soumet leur prêt au régime du crédit immobilier, à ne pas viser le consommateur ou le Code de la consommation dans son entier : la solution pourrait sinon être autre.

12. Il résulte du tout que le point du premier incident de paiement non régularisé est hors de propos, sauf pour calculer la prescription de la première échéance impayée. Quant au jour où le prêteur devait savoir devoir agir, il semble absorbé par le fait même des termes : chaque partie les connaît par la convention ! Se dresse alors la double conséquence d'avoir à considérer, d'une part, les termes successifs, le premier terme impayé comme les suivants et, d'autre part, la fréquente déchéance du terme. Comme le juge la Cour de cassation, il faut considérer la division de la prescription.

II - La division de la prescription

13. Le contexte. Les termes successifs donnent une prescription divisée, ce qui signifie qu'elle s'applique à chacun d'eux. En soi, la solution n'est pas inconnue (25). Les quatre arrêts commentés appellent à clairement les distinguer, non sans dire au préalable le contexte dans lequel le juge examine ces délais.

La prescription joue contre toute action en justice. La première qui vienne à l'esprit est l'action en paiement, comme des décisions viennent de le montrer hors le domaine du crédit (v. n° 1). L'action en paiement n'est finalement qu'une action en exécution forcée que le titre exécutoire permet. Le cas échéant, le délai joue également contre la possibilité de procéder à un acte d'exécution forcée qui, lui aussi, interrompt le délai de prescription ou de forclusion, du reste comme toute mesure conservatoire du Code des procédures civiles d'exécution (C. civ., art. 2244). S'agissant d'un crédit immobilier, comme dans les quatre espèces rapportées, un commandement de payer à fin de saisie immobilière (26) aura été délivré aux emprunteurs (C. proc. civ. exécution, art. R. 321-3 N° Lexbase : L7888IUP) (27), ce qui se retrouve dans les arrêts commentés.

Ainsi, une demande en justice ou un acte d'exécution doit intervenir dans le délai de deux ans. Le délai de prescription court de façon variable, selon les termes successifs ou échéances (A) ou l'éventuelle déchéance du terme (B).

A - La prescription à partir des échéances

14. Le jeu de la solution. Dans la dernière espèce des quatre précitées, la Cour de cassation rejette le pourvoi principal formé par l'emprunteur contre l'arrêt d'appel qui avait appliqué la solution de principe (28). La Haute juridiction illustre la solution en citant les dates utiles à l'exercice de son contrôle de pur droit.

L'arrêt d'appel n'est pas cassé parce qu'il a retenu que "les emprunteurs avaient cessé de rembourser les mensualités à compter du 7 juillet 2009 et que la banque avait prononcé la déchéance du terme le 24 février 2010" ; l'arrêt d'appel a donc "exactement retenu que l'action engagée le 7 février 2012 n'était pas prescrite en ce qu'elle tendait au paiement des échéances dues à compter du 7 février 2010 et du capital devenu exigible". Le banquier était donc prescrit pour les échéances survenues avant la déchéance et depuis plus de deux ans, soit celles entre le 7 juillet 2009 et deux ans avant l'action du 7 février 2012, soit le 7 février 2010 ; le banquier a ainsi vu sept mois d'échéances prescrites (si les termes étaient mensuels et de début de mois comme il est d'usage).

La situation explique que le consommateur ait formé un pourvoi (principal), espérant une prescription plus large (considérant le premier incident de paiement non régularisé !) (29). On comprend aussi que le banquier ait formé un pourvoi incident, espérant, pour sa part, récupérer sept échéances jugées prescrites.

15. Suites. Il faut aussi rappeler que la prescription cesse encore de courir si une médiation est demandée ou, a fortiori, si l'emprunteur demande un délai de grâce au juge (C. consom., art. L. 313-12 N° Lexbase : L1529HIH ; v. infra n° 16 ; s'il fait des règlements, il veillera à payer des sommes qui ne sont pas prescrites). Les quatre décisions rendues soulignent le régime propre de chaque échéance, chacune ayant son délai de prescription. Les seuls termes successifs peuvent faire l'objet d'une assignation, d'un acte d'exécution ou d'une mesure conservatoire. Si au terme d'une vingtaine de mois (d'échéances impayées) le professionnel espère encore que le client redresse sa situation, ce peut être un moyen de préserver les droits du prêteur professionnel tout en évitant une procédure de saisie immobilière. Les seules échéances échues peuvent faire l'objet d'un commandement à fin de saisie immobilière, mais à commencer cette lourde procédure, autant la conduire pour l'entière dette et donc après avoir prononcé la déchéance du terme.

B - La prescription à partir de la déchéance du terme

16. Logique. La déchéance du terme s'inscrit dans la logique d'une exécution forcée, notamment d'une saisie du bien immobilier. Si la déchéance du terme n'est pas une fatalité, il faut noter que le banquier ne peut pas, en tout cas moins aujourd'hui qu'hier, se permettre d'accumuler dans son bilan des créances devenant de plus en plus virtuelles au fil des échéances impayées. Les créances des établissements de crédit ou des sociétés de financement sont analysées de plus en plus précisément dans un but de gestion prudentielle et de stabilité financière. Aux antipodes de la politique d'indulgence à l'égard du consommateur, on peut même penser, notamment dans le cadre de l'Union bancaire européenne, qu'assigner promptement et sans faiblesse est une vertu : une mesure de gestion prudentielle. Ainsi, s'il peut y avoir des exceptions, à raison de la qualité d'un client, l'établissement peut devoir sortir de cette situation d'impayés en passant à l'exécution forcée pour faire vendre l'immeuble et que sa créance redevienne du liquide (de la monnaie).

17. Pratique. La déchéance du terme est donc souvent le moyen le plus sûr de recouvrer la créance. Le banquier résilie la convention de prêt, droit que lui réserve la clause de résolution de plein droit : il prononce la déchéance du terme. En somme, il y met un terme, l'expression étant de circonstance. Elle prend la forme d'une lettre, dont la forme est précisée par la convention de prêt, généralement une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et ce après une mise en demeure (30) qui prévient (en général explicitement) du risque de déchéance du terme. Cette mesure est souvent une nécessité parce que la créance est importante : seule la vente forcée de l'immeuble permettra au professionnel de rentrer en possession de l'essentiel du capital prêté.

18. Sanction. La déchéance du terme joue comme une sanction du consommateur : d'un jour à l'autre, il doit rembourser le principal (capital prêté) et les intérêts accumulés, ce que la loi rappelle (C. consom., art. L. 312-22). La résiliation de la convention se fait à son détriment. Transformer l'article L. 132-7 en délai de forclusion poussait à la déchéance et à la saisie ; la nouvelle solution a l'avantage de laisser du temps aux parties pour s'arranger, ce qui est conforme à la volonté du législateur marquée par diverses dispositions protectrices.

L'emprunteur a notamment la possibilité d'obtenir des délais de paiement dans les conditions de l'article L. 313-12 du Code de la consommation, spécialement en cas de licenciement (31). Le créancier peut aussi, au lieu d'exiger le règlement du capital dû, majorer le taux d'intérêt que l'emprunteur payera jusqu'à ce qu'il ait repris le cours normal des échéances contractuelles (C. consom., art. L. 312-22).

Le prononcé de la déchéance du terme suivie d'une saisie sera souvent inévitable. Les pénalités sont alors limitées en cas de défaillance de l'emprunteur à 7 % du capital restant dû et des intérêts échus (C. consom., art. L. 312-22 et R. 312-3 N° Lexbase : L6833ABP). Si le prêteur professionnel était garanti par une caution bancaire, comme dans l'une des espèces, ce sera l'établissement qui le règle qui, subrogé dans les droits de son confrère, devra initier l'exécution forcée dans le délai de deux ans lié à la déchéance du terme. Dans ce cas de défaillance de l'emprunteur, les pénalités sont alors limitées à 7 % du capital restant dû et des intérêts échus (C. consom., art. L. 312-22 et R. 312-3 N° Lexbase : L6833ABP). Cette pénalité doit être considérée comme le capital dû (ensemble des échéances à terme devenues exigibles), le délai de deux ans commençant également à courir contre cette somme qui résulte de la déchéance du terme.


(1) Article applicable aux ventes immobilières et aux prestations des avocats ; voyez la récente décision dans laquelle un professionnel de l'immobilier, pour une vente en l'état futur d'achèvement, a tenté en vain de recouvrer le solde du prix de l'ouvrage (Cass. civ. 1, 17 février 2016, n° 14-29.612, F-P+B+I N° Lexbase : A3360PLZ) ; Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 14-26.943, F-D (N° Lexbase : A9487N3R).
(2) Cass. crim., 7 août 1990, n° 87-80.303, publié (N° Lexbase : A1019ABD), D., 1990, IR, 225 ; Cass. civ. 3, 10 décembre 1986, n° 85-16.144 (N° Lexbase : A6606AAW), Bull. civ. III, n° 181.
(3) Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-26.508, F-P+B+I (N° Lexbase : A6412IXR) : "les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels".
(4) Une QPC sur le sujet a été posée par un consommateur mais n'a pas été transmise : Cass. QPC, 17 février 2016, n° 15-19.803, F-D (N° Lexbase : A4616PZY).
(5) Sur le sujet en général : J. Klein, Le point de départ de la prescription, préf. N. Molfessis, Economica, 2013.
(6) Cass. civ. 2, 28 mars 1996, n° 94-12.437, inédit (N° Lexbase : A5404C4W), qui distingue parfaitement les termes successifs soumis à l'article 2277 du Code civil, dans sa rédaction d'alors, prescrits au-delà de cinq ans, et le capital restant dû qui n'est pas un terme successif puisque lié à la déchéance du terme.
(7) Sénat, rapport n° 83, Session 2007-2008, p. 55 et 56.
(8) Pour une approche renouvelée de la matière qui considère davantage les services, notre ouvrage, Droit bancaire et financier, préface Daniel Tricot, 2016, Mare et Martin, n° 798.
(9) Les opérations de change liées à des prêts en devise étrangère ne constituent pas un service d'investissement (CJUE, 3 décembre 2015, aff. C-312/14 N° Lexbase : A3339NYC), ce qui les fait échapper à l'application de la Directive "MIF" 2004/39 du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L2056DYS).
(10) C. comsom., art. L. 121-26, al. 2 (N° Lexbase : L7789IZI), en visant les "services mentionnés aux livres Ier à III et au titre V du livre V du Code monétaire et financier" : les crédits relèvent du livre III.
(11) Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, préc., note 3 : "les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels" ; Cass. civ. 1, 11 février 2016, n° 14-22.938, F-P+B+R+I : elle rejette le pourvoi incident de la banque en rappelant l'application de l'article L. 137-2, conformément à la décision précitée de 2012 (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9005BXS).
(12) Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-17.744, F-D (N° Lexbase : A1194IQB) jugeant au visa de l'article 2233 du Code civil (N° Lexbase : L7218IAL), "qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, la cour d'appel a violé le texte susvisé". En revanche, l'idée en a été rejetée dans un contexte spécial, de droit maritime, et sur l'invocation de "termes successifs", mais invoqués semble-t-il à l'appui de l'existence de diverses factures, or la facture ne semble pas être la preuve indiscutable de termes successifs lesquels doivent avoir été stipulés par les parties commerciale (Cass. com., 3 décembre 2013, n° 12-22.093, FS-P+B N° Lexbase : A8478KQ3, Bull. civ. IV, n° 178).
(13) Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-16.950, F-P+B (N° Lexbase : A2125NKW) ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-15.511, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3176MU8).
(14) JCP éd. E, 7 Janvier 2016, 1010, n° 14, obs. N. Mathey (à propos notamment de Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-16.950, préc. et de Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-15.511, préc.).
(15) D. Actualités, 17 février 2016, obs. V. Avena-Robardet.
(16) Cass. civ. 1, 11 février 2016, n° 14-29.539, F-P+B+R+I.
(17) C. consom., art. L. 311-37 (N° Lexbase : L6496AB9 devenu C. consom., art. L. 311-52 N° Lexbase : L9554IMS ; la rédaction du nouveau texte est plus précise tout en gardant le cas de premier incident non-régularisé.
(18) Cass. civ. 1, 11 février 2016, n° 14-28.383, F-P+B+R+I : la cour d'appel avait jugé, pour annuler un commandement de payer valant saisie immobilière, "que le point de départ du délai de prescription biennale se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée, soit, dans le cas d'une action en paiement au titre d'un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé".
(19) Cass. civ. 1, 11 février 2016, n° 14-27.143, F-P+B+R+I.
(20) Ce sont essentiellement : les établissements de crédits dont les banques, établissements de crédits spécialisés, sociétés de financement, ou même nous semble-t-il tout autre professionnel qui ferait, à titre exceptionnel, un crédit à un consommateur.
(21) Même si, désormais, la version légale du crédit à la consommation, jusque 75 000 euros, permet de faire des dépenses très légitimes valant investissement... soit éminemment utile à l'emprunteur et à la société
(22) Le crédit à la consommation n'établit pas un contrat spécial qui permettrait d'imaginer un contrat de crédit implicitement consacré par le Code de la consommation ; en effet, en pur droit, ce contrat de crédit n'existe pas parce qu'il n'existe pas véritablement de crédit à la consommation ou de crédit immobilier : il existe seulement des régimes de protection (quoique dits "crédit à la consommation" ou "crédit immobilier") qui, pour exister dans la pratique, exigent la mise en oeuvre d'un contrat spécial par ailleurs consacré (par exemple le prêt du Code civil, ou un autre... le crédit-bail) : JCP éd. E, 7 janvier 2016, 1010, n° 13, nos obs..
(23) La codification à droit constant, imposée par la loi de codification, préserve la teneur de chaque loi codifiée -imposant un principe d'interprétation à droit constant peu souligné-. Le Code de la consommation demeure une compilation de lois ou de dispositions de diverses origines, chacune ayant son domaine et sa logique d'application (par exemple, hier, la loi "Scrivener" -loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 (N° Lexbase : L1051IUH)- et, aujourd'hui la loi dite "Lagarde" -loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 (N° Lexbase : L6505IMU)-, toutes deux sur le crédit à la consommation) ; ce qui peut être vu comme un défaut de la codification : Y. Picod, Droit de la consommation, Sirey, p. 11, n° 14.
(24) Cass. civ. 1, 3 février 2016, n° 15-14.689, F-P+B (N° Lexbase : A3076PK7) ; ce cas de cassation pour défaut de base légale étant lumineux ; sinon, sur la possibilité et les conditions posées par la jurisprudence pour se soumettre à l'un des régimes de protection du crédit à la consommation : JCP éd. E, 7 janvier 2016, 1010, n° 13, préc.
(25) Cass. civ. 1, 28 juin 2012, préc. note 12, rendu au visa de l'article 2233 du Code civil ; parmi les quelques arrêts rendus invitant à diviser la prescription comme la dette l'est, voyez aussi, bien plus ancien : Cass. civ. 2, 17 mai 1993, n° 91-19.477 (N° Lexbase : A7704CUU) ; voyez aussi très clair et en l'absence de déchéance du terme : Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-17.453, F-D (N° Lexbase : A8797HZT).
(26) Le commandement indique notamment (C. proc. civ. exécution, art. R. 321-3 N° Lexbase : L7888IUP) : "1° La constitution d'avocat du créancier poursuivant, laquelle emporte élection de domicile ; 2° L'indication de la date et de la nature du titre exécutoire en vertu duquel le commandement est délivré ; 3° Le décompte des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus ainsi que l'indication du taux des intérêts moratoires ; 4° L'avertissement que le débiteur doit payer ces sommes dans un délai de huit jours, qu'à défaut de paiement, la procédure à fin de vente de l'immeuble se poursuivra et qu'à cet effet, le débiteur sera assigné à comparaître à une audience du juge de l'exécution pour voir statuer sur les modalités de la procédure ; [...]".
(27) A publier au fichier immobilier, puisqu'il met en cause un droit réel immobilier, ce commandement est un préalable à l'assignation ouvrant la procédure de vente judiciaire forcée ou amiable. Il est donc souvent contesté car son invalidation fera qu'il n'a pas pu interrompre le court de la prescription. En effet, pour cette raison ou celle de sa seule tardiveté, s'il intervient après l'expiration du délai de deux ans, le juge saisi devra constater qu'il n'a pas pu empêcher la prescription de certains termes.
(28) Cass. civ. 1, 11 février 2016, n° 14-22.938, FS-P+B+R+I.
(29) La prescription, à la différence de la forclusion, doit être soulevée par le consommateur au cours du procès, le juge n'a pas à la relever d'office.
(30) Ce qui suppose une mise en demeure sauf la rédaction de la clause de déchéance dans le prêt : Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-15.655, FS-P+B (N° Lexbase : A2186NK8), nos obs., in Panorama (n° 16), Lexbase, éd. aff., 2015, n° 443 (N° Lexbase : N9819BU9) ; JCP éd. E, 7 janvier 2016, 1010, n° 4, obs. J. Stoufflet ; Cass. civ. 1, 3 février 2004, n° 01-02.020, FS-P sur le 1er moyen (N° Lexbase : A2258DBA) ; Bull. civ. I, n° 27 ; JCP éd. G, 2004, II, 10149, note E. Treppoz.
(31) Ce qui suspend la prescription au profit du professionnel : Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-13.790, FS-P+B (N° Lexbase : A5537NMZ) ; nos obs. in Panorama (n° 17) , préc..

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