La lettre juridique n°646 du 10 mars 2016 : Fiscalité des entreprises

[Questions à...] Point sur la fiscalité des jeunes entreprises innovantes - Questions à Maître Alfred Lortat-Jacob, Avocat associé, et Gauthier Moulins, avocat au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel

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[Questions à...] Point sur la fiscalité des jeunes entreprises innovantes - Questions à Maître Alfred Lortat-Jacob, Avocat associé, et Gauthier Moulins, avocat au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/30195288-questions-a-point-sur-la-fiscalite-des-jeunes-entreprises-innovantes-questions-a-b-maitre-alfred-lor
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 10 Mars 2016

Plusieurs députés ont déposé, le 16 février 2016, une proposition de loi visant à soutenir d'avantage la création des jeunes entreprises innovantes (JEI), notamment leurs premières années d'existence en adaptant plus concrètement ce régime à leur quotidien. Le régime d'exonération des bénéfices a été prolongé permettant aux entreprises créées jusqu'au 31 décembre 2016 d'en bénéficier. Le législateur a en effet étendu les avantages liés au dispositif JEI aux entreprises créées après le 31 décembre 2013 et jusqu'au 31 décembre 2016, jusqu'au dernier jour de la septième année suivant celle de leur création. Plus généralement, à ce jour, environ 6 600 entreprises bénéficient de ce statut et on estime que 300 nouvelles se constituent chaque année. La mise en place de ce dispositif a présenté de nombreux avantages, permettant de solidifier partiellement ces jeunes structures innovantes et de créer par la même occasion plus de 22 000 emplois. Pour en savoir plus sur ce sujet, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Alfred Lortat-Jacob, Avocat associé, et Gauthier Moulins, avocat au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel.

Lexbase : Pouvez-vous nous définir le régime actuel d'exonération des bénéfices pour les JEI ? Qui peut en bénéficier ?

Alfred Lortat-Jacob et Gauthier Moulins : Le statut de jeune entreprise innovante (JEI) prévu aux articles 44 sexies-0 A (N° Lexbase : L1928KGI) et suivants du CGI a été créé en 2004 et prorogé, pour l'instant, jusqu'au 31 décembre 2016.

Afin d'y être éligible, l'entreprise doit respecter cinq conditions :

1. être une PME selon la définition du droit communautaire, à savoir employer moins de 250 personnes et réaliser un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros ou disposer d'un total de bilan inférieur à 43 millions d'euros ;

2. avoir moins de huit ans. Le statut de JEI peut être sollicité jusqu'au terme de la septième année suivant celle de sa création ;

3. réaliser un volume minimal de dépenses de recherche. L'entreprise doit avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice, des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles. L'appréciation des dépenses de recherche retenues renvoie à celle relatives au crédit d'impôt recherche (CIR) à l'exception de celles liées à l'élaboration de nouvelles collections des entreprises du secteur cuir-textile-habillement, des stylistes et des bureaux de stylistes, et à la veille technologique ;

4. être indépendante. L'entreprise doit être indépendante au sens de l'article 44 sexies du CGI (N° Lexbase : L3941KWU), à savoir notamment être détenue à plus de 50 % par des personnes physiques et/ou par des entités éligibles ;

5. être réellement nouvelle. Elle ne doit pas avoir été créée dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension d'activité préexistante ou d'une reprise d'une telle activité.

Pour s'assurer du respect de ces conditions, l'entreprise a la possibilité d'adresser une demande de confirmation à l'administration fiscale sous la forme d'un rescrit fiscal. Celle-ci dispose, alors, pour répondre d'un délai de trois mois à compter de la date de réception du dossier complet. L'absence de réponse dans ce délai vaut accord tacite.

Par ailleurs, en cas de désaccord entre l'entreprise et l'administration, l'entreprise peut saisir une commission spécifique, afin de se prononcer sur l'application du régime, mais la compétence de cette commission ne s'étend pas à la qualification des dépenses de recherche.

L'obtention du statut de JEI pour une entreprise apporte des avantages, aussi bien fiscaux que sociaux.

  • Allégements fiscaux

une exonération à 100 % de l'IS ou de l'IR sur les bénéfices réalisés au titre du premier exercice bénéficiaire, puis à 50 % au titre de l'exercice bénéficiaire suivant ;
une exonération totale d'imposition forfaitaire annuelle (IFA), tant que dure le statut de JEI ;
- sur délibération des collectivités territoriales, une JEI peut bénéficier d'une exonération de la cotisation économique territoriale et de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant 7 ans (les avantages accordés aux JEI ne peuvent excéder le plafond des aides "de minimis" fixé par la Commission européenne, soit 200 000 euros sur trois exercices fiscaux) ;
- la plus-value imposable pour les associés/actionnaires bénéficie, en matière d'impôt sur le revenu, de l'abattement majoré, à savoir 50 % en cas de détention entre 1 et 4 ans ; 65 % en cas de détention entre 4 et 8 ans ; et 85 % en cas de détention de plus de 8 ans.

  • Exonérations sociales

L'entreprise qualifiée de JEI est exonérée de cotisations sociales patronales pour les salariés affectés à des travaux de R&D ou d'innovation. Cette exonération est également ouverte aux mandataires sociaux relevant du régime général de Sécurité sociale.

L'exonération s'applique dans la limite d'un double plafonnement :

- une rémunération mensuelle brute par personne plafonnée à 6 599,78 euros en 2016 (4,5 fois le Smic mensuel brut) ;
- un plafond annuel de cotisations éligibles par établissement fixé à 193 080 euros en 2016 (5 fois le plafond annuel de la Sécurité sociale).

Lexbase : En pratique, ce régime est-il efficace ? Permet-il une véritable avancée économique ?

Alfred Lortat-Jacob et Gauthier Moulins : S'agissant de l'efficacité de ce régime, quelques chiffres sont à mettre en avant (source DGE 2015 et ACOSS 2014) :

3 000 entreprises ont bénéficié du dispositif en 2013 et leurs dépenses de R&D se sont élevées à 700 millions d'euros ;
6 600 entreprises ont bénéficié du dispositif depuis 2004 ;
- depuis 2015, les JEI ont bénéficié d'exonération de charges sociales à hauteur d'un montant total de 1 050 millions d'euros (109 millions d'euros en 2013) et de charges fiscales à hauteur d'un montant total de 120 millions d'euros (8 millions d'euros en 2013) ;
- le statut JEI représentait 22 000 emplois salariés en 2012.

Au travers de ces chiffres, on peut s'interroger sur l'efficacité réelle de ce dispositif.

Sur une période supérieure à dix années, le nombre d'entreprises qui ont bénéficié de ce dispositif est limité en comparaison du nombre d'entreprises intervenant sur les marchés innovants.

En outre, seulement 22 000 emplois salariés travaillent dans des entreprises sous ce statut, ce qui, là encore, est limité lorsque l'on compare cette donnée aux 26 millions d'emplois salariés en France.

Cependant, il faut reconnaître que le statut de JEI constitue une avancée économique dans les avantages fiscaux et sociaux qu'il octroie à des entreprises en plein développement et à fort potentiel.

Dès lors, il convient de relativiser l'efficacité de ce dispositif qui, certes, est limité par rapport à l'approche et la perspective économique qu'il représente.

Lexbase : Quelles seraient les évolutions qu'apporterait la proposition de loi du 16 février 2016 ?

Alfred Lortat-Jacob et Gauthier Moulins : Le 16 février 2016, une proposition de loi a été déposée par plusieurs députés, en vue d'améliorer le statut des JEI.

L'article 1er propose de faire bénéficier les JEI d'une exonération des bénéfices selon le barème progressif suivant :

- 100 % de son montant pour le 1er exercice ou la 1ère période d'imposition bénéficiaire ;
- 80 % de son montant pour le 2ème exercice ou la 2ème période d'imposition bénéficiaire ;
- 60 % de son montant pour le 3ème exercice ou la 3ème période d'imposition bénéficiaire ;
- 40 % de son montant pour le 4ème exercice ou la 4ème période d'imposition bénéficiaire ;
- 20 % de son montant pour le 5ème exercice ou la 5ème période d'imposition bénéficiaire.

Les articles 2 et 3 proposent de limiter à une durée de cinq ans les dispositifs d'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la cotisation foncière des entreprises mais, de ne plus soumettre le bénéfice d'une telle exonération à une prise de délibération par la collectivité territoriale concernée.

Cette proposition de loi permettrait d'améliorer le statut fiscal des JEI dans la mesure où les allégements fiscaux seraient plus conséquents.

En outre, cette proposition prend en considération les difficultés rencontrées par les JEI en ce qu'elle tient compte du caractère peu adapté du dispositif pour les entreprises au regard de l'exonération d'IS.

Comme le relèvent les auteurs de la proposition de loi, "dans la pratique, les bénéfices réalisés ne sont d'ailleurs que très rarement distribués lors des premiers exercices étant donné leur importance sur le développement de ces entreprises". Ainsi, les JEI pourraient obtenir des allégements fiscaux sur une période supérieure à deux années et obtenir ainsi une réelle exonération d'IS.

Cependant, on peut regretter qu'aucune mesure ne visant à assouplir les conditions d'éligibilité ne soit apportée.

En effet, seules 6 600 entreprises ont bénéficié de ce dispositif, ce qui démontre l'impact encore trop limité du dispositif. Or, les entreprises rencontrent, en pratique, des difficultés à respecter annuellement le plancher minimum des dépenses R&D ou d'innovation (au moins 15 % par an). C'est une des raisons pour lesquelles les JEI sont en nombre restreints aujourd'hui.

Ainsi, dans l'optique d'élargir ce dispositif, un assouplissement de la condition du volume minimale de dépenses de recherche serait souhaitable.

Plusieurs solutions pourraient être retenues :

- diminuer le pourcentage minimum des dépenses de recherche engagées annuellement (10 % par exemple) ou permettre la possibilité de lisser sur plusieurs années le volume des dépenses de recherches afin de maintenir une moyenne de 15 % par an ;
- assouplir les critères d'appréciation des dépenses de R&D éligibles au quota de 15 %.

Lexbase : Pensez-vous que ce statut crée une rupture d'égalité devant l'impôt ? Ou, sinon, faut-il en élargir les conditions d'éligibilité et la portée ?

Alfred Lortat-Jacob et Gauthier Moulins : Cette question est laissée à l'appréciation souveraine du Conseil constitutionnel.

Celui-ci a notamment précisé, dans sa décision n° 2015-466 du 7 mai 2015 (Cons. const., 7 mai 2015, n° 2015-466 QPC N° Lexbase : A5872NHX), que "le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que, pour des motifs d'intérêt général, le législateur édicte, par l'octroi d'avantages fiscaux, des mesures d'incitation au développement d'activités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés".

Il est utile de noter que cette décision concerne l'imposition des gains de cession des parts de JEI.

La réforme du statut des JEI semble s'inscrire dans l'ensemble des mesures d'incitation au développement de l'activité économique.

Or, comme il a précédemment été observé, le statut de JEI n'a actuellement qu'un impact limité sur l'économie française. Il gagnerait à être élargi afin qu'un nombre plus important d'entreprises innovantes puissent en bénéficier.

Ainsi, l'extension de la réforme des JEI apparaît correspondre à la poursuite du but d'intérêt général sur un plan économique. Le Gouvernement a d'ailleurs récemment proposé la mise en oeuvre d'un plan d'action pour encourager les "start-up" à la française.

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