La lettre juridique n°646 du 10 mars 2016 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Le secret professionnel des avocats : une bouteille à encre ?

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 février 2016, n° 375667, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1012PL3)

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par Christian Louit, Professeur agrégé des facultés de droit, Avocat

le 10 Mars 2016

L'arrêt ici commenté rendu par le Conseil d'Etat en date du 15 février 2016 pose, pour l'essentiel, la question du secret professionnel qui s'impose à la profession d'avocat. Un avocat a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale ayant notamment contrôlé et rapproché les montants figurant sur les documents comptables, les notes d'honoraires et les encaissements bancaires recensés lors du contrôle. Ceci correspond aux caractéristiques de base d'une vérification de comptabilité. A l'issue de cette vérification, l'administration a procédé à des rappels de TVA, sur lesquels nous ne reviendrons pas. Notre avocat s'est pourvu en cassation contre l'arrêt du 20 décembre 2013 (CAA Paris, 2ème ch., 20 décembre 2013, n° 13PA00125 N° Lexbase : A5263MPM) par lequel la cour administrative de Paris a rejeté son recours, fondé essentiellement sur des questions de procédure, particulièrement le respect du secret professionnel qui s'impose à l'avocat. Le considérant principal de la cour était le suivant : "Considérant, en tout état de cause, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des termes de la proposition de rectification du 12 juin 2006, page 3, que les rehaussements litigieux en matière de taxe sur la valeur ajoutée collectée ont été fondés non pas sur des éléments tirés de l'identité des clients de M. C. figurant sur les notes d'honoraires litigieuses, mais sur une base correspondant aux discordances existant entre les montants des encaissements bancaires constatés et les montants des encaissements déclarés par le requérant sur les imprimés CA3 de taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, qu'il résulte de la décision d'admission partielle du 21 octobre 2011, page 3 que M. C. s'est lui-même prévalu de l'identité de ses clients pour justifier l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée d'une partie de ses recettes dont il entendait bénéficier". L'arrêt du Conseil d'Etat précise les limites du secret professionnel couvrant les relations entre les avocats et leurs clients. Ceci étant, il ne nous paraît pas permettre la clarification d'une question essentielle au fonctionnement démocratique d'une société, ni d'ailleurs l'application pratique de cette règle du secret professionnel. I - Les considérants de l'arrêt

Il convient tout d'abord de rappeler que le Code pénal sanctionne la divulgation d'une information à caractère secret par une personne qui en est le dépositaire par état ou par profession.

La peine est d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende (C. pén., art. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG). L'article 226-14 du même code (N° Lexbase : L2280KQI) précise que l'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation d'un secret.

Les associations agréées, auxquelles peuvent adhérer les professions libérales, ont vu cependant encadrer l'obligation de secret professionnel qui pèse, entre autres sur les avocats. C'est ce que rappelle le Conseil d'Etat au cas d'espèce : en vertu de l'article 1649 quater G du Code général des impôts (N° Lexbase : L1829HMP), les documents comptables tenus par les adhérents des associations agréées de professions libérales (et donc d'avocats) comportent "quelle que soit la profession exercée par l'adhérent, l'identité du client, ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires".

Rappelons pour l'histoire que le Conseil d'Etat, par un arrêt d'Assemblée du 12 mars 1982 (CE ass., 12 mars 1982, n° 11099, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9316AKA), avait sanctionné ce dispositif au nom du secret professionnel (v. RJF 1982, 227, concl. Verny ; Dr. fisc., 1982, comm., 1225).

L'article 1649 quater G avait voulu, en son temps, limiter le secret professionnel dont pouvaient notamment se prévaloir les professions médicales, afin de faciliter le contrôle de leurs revenus. Les dispositions de l'article donnent bien sûr accès aux documents visés aux vérificateurs mais aussi à toutes les personnes auxquelles les dispositions légales donnent mission de concourir à la procédure d'imposition, par exemple les membres des commissions départementales des impôts (CE 3° et 8 ° s-s-r, 7 juillet 2004, n° 253711 N° Lexbase : A1359DDP, Dr. fisc., 2004, comm., 814, concl. Seners).

Ceci étant, ainsi que le rappelle la Haute assemblée au cas d'espèce, la situation n'est pas meilleure pour les non adhérents d'une association agréée, puisque l'article 99 du CGI (N° Lexbase : L0917I74) précise que le livre journal tenu par les non adhérents comporte "quelle que soit la profession exercée, l'identité déclarée par le client, ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires".

Enfin, l'article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L2551DAQ), rappelé par le juge, dispose que les agents de l'administration des impôts peuvent demander toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature par les personnes dépositaires du secret professionnel en vertu des dispositions de l'article 226-13 du Code pénal. Ils ne peuvent demander de renseignements sur la nature des prestations fournies par ces personnes.

En fait, la seule chose couverte, sans discussion et de façon relativement claire, par l'obligation de secret professionnel des avocats est la nature des prestations fournies. Mais cette clarté n'est que relative.

En effet, le Conseil d'Etat au cas d'espèce, toujours sur le fondement de l'article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales, développe un considérant qui peut paraître quelque peu contradictoire : "que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne connaissance, pendant les opérations de contrôle, des factures établies par l'avocat pour des prestations fournies à des clients nommément désignés, dès lors que ces documents ne comportent aucune indication, même sommaire, sur la nature des prestations fournies à ces clients ; qu'elles font en revanche obstacle à ce que le vérificateur procède à des demandes complémentaires relatives à l'identité des clients concernés...".

Ce considérant semble quelque peu obscur quant au secret couvrant l'identité des clients.

Par ailleurs, on remarquera que, si les factures émises par un avocat ne comportent "aucune indication, même sommaire, sur la nature des prestations fournies", il est évident que dans le cadre d'une vérification de droit commun, ces factures courent le risque d'être rejetées, car ne permettant pas d'identifier les prestations fournies. Un avocat scrupuleux pourrait donc établir des factures détaillées, couvertes par le secret professionnel. Une éventuelle irrégularité de la vérification pourrait en naître, si le vérificateur en prenait connaissance. Dans le cas contraire, la vérification serait à l'évidence privée de sa portée.

Dans son ensemble, la question du secret professionnel qui s'impose aux avocats n'est donc pas simple. Elle est complexifiée par différents textes et différentes jurisprudences.

II - La bouteille à encre ?

Alors même que l'arrêt du Conseil d'Etat ici commenté ne lève pas toutes les incertitudes, la jurisprudence et les textes compliquent encore l'analyse.

On peut noter tout d'abord que la jurisprudence récente de certaines cours administratives d'appel divergent parfois de celle du Conseil d'Etat. Il en est ainsi de celle de la cour administrative d'appel de Lyon qui mérite attention sur la lecture de l'article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales.

Ainsi, dans un arrêt du 18 décembre 2014 (CAA Lyon, 5ème ch., 18 décembre 2014, n° 13LY01059, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7027M97), la cour annule le jugement de première instance et sanctionne l'administration fiscale qui avait pris un soin particulier à connaître, de façon précise, la nature des prestations effectuées en se plaignant que celles-ci étaient rédigées en termes très généraux dans les notes d'honoraires, mais qu'en outre elle avait également pris connaissance de l'identité des clients par la photocopie des notes d'honoraires (V. Nioré, Dalloz avocats, exercer et entreprendre, 2015, p. 83).

Pour la cour, l'article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales et l'article 226-13 du Code pénal "font obstacle à ce qu'un vérificateur ait accès aux documents comptables d'un redevable tenu au secret professionnel comportant à la fois l'identité de ses clients et une indication, même sommaire ou codée, concernant la nature des prestations rendues à ces derniers".

Dans un arrêt du 16 mai 2013 (CAA Lyon, 5ème ch., 16 mai 2013, n° 11LY01009 N° Lexbase : A1684KE4), la cour de Lyon manifeste la même fermeté dans l'interprétation de l'article 13-0 A du Livre des procédures fiscales : "Considérant qu'il résulte de l'instruction que le vérificateur a demandé à Mme D. la communication de ses factures afin d'effectuer un rapprochement entre les dates et les montants des recettes y figurant et ceux mentionnés dans les déclarations de l'intéressé ; qu'il n'est pas contesté que ces factures mentionnent l'identité et l'adresse des clients de Mme D. ainsi que la nature des prestations en cause ; que, nonobstant la présence de ces informations, le vérificateur a confirmé sa demande de communication desdites factures ; qu'en prenant ainsi connaissance de l'identité des clients de Mme D. et de la nature des prestations qui leur ont été rendues, le vérificateur a méconnu les dispositions précitées de l'article 13-0 A du Livre des procédures fiscales alors même, qu'ainsi que le fait valoir le ministre, le vérificateur n'aurait interrogé l'intéressée ni 'sur l'exactitude de l'identité de ses clients ni sur la nature des prestations fournies à ces derniers' ; que, dès lors, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a, pour ce motif, déchargé Mme D. des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles elles a été assujettie au titre des années 2003, 2004 et 2005, ainsi que des pénalités y afférentes".

Le commentaire Lefebvre (RJF, 2013, § 844) est le suivant : " il résulte des articles 66-5 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales que le droit de contrôle de l'administration ne peut porter ni sur l'identité des clients ni sur la nature des prestations rendues par une personne dépositaire du secret professionnel".

Il y aurait donc, sur l'identité des clients, contradiction entre les articles 1649 quater G et 99 du CGI et l'article L. 13-0 A du Livre des procédures fiscales et clairement des réticences de certaines cours administratives d'appel à admettre que l'identité du client ne soit pas protégée lorsque s'applique la règle du secret professionnel.

Le règlement interne national des barreaux (février 2016) (N° Lexbase : L4063IP8) n'a pas lui ces hésitations, même s'il ne fait pas loi : "le secret professionnel de l'avocat est d'ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps" (RIN, art. 2-1). Il couvre notamment "le nom des clients et l'agenda de l'avocat".

Pour les avocats (Me Gavaudan et Abeille, RDSS, 2011, p.65) "le secret professionnel de l'avocat est aujourd'hui un élément clef du fonctionnement moderne de la justice... il n'est établi ni dans l'intérêt des professionnels qui reçoivent des confidences, ni dans celui de ceux, clients ou autres, qui ont livré leurs confidences, mais pour l'intérêt général".

Et la Cour européenne des droits de l'Homme de son côté porte une attention particulière au risque d'atteinte au secret professionnel des avocats (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR), qui garantit le droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances (voir CEDH, 1er décembre 2015, Req. 69436/10 N° Lexbase : A1464NYU).

On ne peut cependant faire abstraction des articles L. 86 (N° Lexbase : L3965ALG) et L. 86 A (N° Lexbase : L7917AEX) du LPF qui précisent que l'identité du client doit être fournie dans le cadre du droit de communication appliqué aux professions non commerciales et interdisent seulement l'information sur la nature des prestations fournies lorsque le contribuable est membre d'une profession non commerciale tenue au secret professionnel.

Nous avons vu que cette protection du secret de la nature des prestations fournies est certainement difficile à faire respecter.

Sans même évoquer les dispositifs mis en place par l'Union européenne pour lutter contre le blanchiment de capitaux, traduits par la loi nationale, et qui ont fait l'objet de nombreux recours, le secret professionnel qui s'impose aux avocats français nous paraît singulièrement et fâcheusement rétréci (1).


(1) Fort heureusement, le Conseil constitutionnel s'est opposé (Cons. const., décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 N° Lexbase : A9152KSR et Cons. const., décision n° 2014-707 DC, du 29 décembre 2014 N° Lexbase : A8031M8X) à des textes attentatoires du secret professionnel.

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