La lettre juridique n°852 du 28 janvier 2021 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Retour sur la résiliation tacite d’un contrat administratif par l’administration

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 11 décembre 2020, n° 427616, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A653339T)

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par Thomas Vaseux et Sandra Hahn Duraffourg, Avocats au barreau de Paris, De Gaulle Fleurance & Associés

le 28 Janvier 2021

 


Mots clés : contrats administratifs – résiliation – circonstances exceptionnelles

Par un arrêt du 11 décembre 2020, le Conseil d'État a confirmé la possibilité pour un contrat administratif d’être regardé comme tacitement résilié par l’administration.


 

Cette décision s’inscrit dans le prolongement de sa jurisprudence « Département de la Seine-Saint-Denis » du 27 février 2019 [1].

Dans cette affaire, une commune avait confié en 1995 à un opérateur économique la réalisation d’une zone d’aménagement concertée. La convention d’aménagement prévoyait la construction de 94 logements en quatre tranches successives. Or, si la première tranche s’est achevée en 2000, les trois dernières tranches n’ont jamais été engagées en raison des conclusions d’une étude hydraulique réalisée en 1996 faisant état de risques d’inondation. En réponse à une relance du titulaire du contrat en 2012, la commune a indiqué que l’aménagement des zones concernées par les trois dernières tranches était arrêté pour un motif d’intérêt général.

Cette information a conduit le cocontractant à saisir le juge administratif d’une requête indemnitaire tendant à la réparation du préjudice subi du fait notamment de la résiliation de la convention par la commune. Le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de l’opérateur et la cour administrative d’appel de Marseille a ensuite rejeté l’appel intenté par l’opérateur. Dans son arrêt en date du 26 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille relevait notamment que la convention n’avait pas été résiliée par la commune.

Le cocontractant s’est ensuite pourvu en cassation devant le Conseil d’État. La Haute juridiction a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel en considérant que la convention d’aménagement avait été, au regard du comportement non équivoque de la commune, tacitement résiliée par cette dernière.   

Cet arrêt permet ainsi au Conseil d’État de réaffirmer la reconnaissance d’une résiliation tacite d’un contrat administratif par l’administration (I). Une telle résiliation tacite, dont certaines implications pratiques demeurent encore à déterminer, n’est susceptible d’être caractérisée que dans des hypothèses exceptionnelles (II).           

I. La réaffirmation de la résiliation tacite d’un contrat administratif par l’administration

La reconnaissance de la possibilité pour un contrat administratif d’être regardé comme ayant été tacitement résilié par l’administration n’a été explicitement affirmée que très récemment par la jurisprudence (A) dans un souci de préservation des intérêts du cocontractant (B).

A. La consécration tardive de la possibilité pour un contrat administratif d’être résilié tacitement par l’administration

La possibilité pour l’administration de résilier unilatéralement un contrat administratif, notamment en cas de faute de son cocontractant ou pour motif d’intérêt général, est reconnue depuis longtemps par la jurisprudence [2]. Cette faculté est désormais codifiée, pour les marchés publics et les concessions, dans le Code de la commande publique [3].

La jurisprudence ne s’est toutefois que très rarement intéressée à la matérialisation de la décision de résiliation. La résiliation d’un contrat résulte en effet en général d’une décision expresse et seules quelques décisions anciennes du Conseil d’État, recensées par le rapporteur public Gilles Pellissier dans ses conclusions sur l’arrêt « Département de la Seine-Saint-Denis » [4], ont pu déduire du comportement de l’administration la volonté de celle-ci de résilier tacitement un contrat [5]. Ce manque de jurisprudence contraste avec les nombreuses hypothèses dans lesquelles le juge administratif déduit du comportement de l’administration l’existence de décisions tacites. C’est notamment le cas s’agissant de la réception tacite de prestations [6], de la renonciation à une partie des travaux [7], ou encore de la renonciation à l’application de pénalités de retard [8].  Cette jurisprudence peu nombreuse en matière de résiliation tacite se justifie au regard des effets d’une telle résiliation sur la force obligatoire du contrat et la sécurité des relations contractuelles.

Ce n’est ainsi que dans son arrêt « Département de Seine Saint-Denis » précité du 27 février 2019 que le Conseil d’État a consacré explicitement la possibilité pour un contrat administratif d’être regardé comme tacitement résilié par l’administration, tout en réitérant le principe du caractère formel de la résiliation. Ce principe, repris par le Conseil d’État dans la décision ici commentée, a pour objet de protéger les intérêts du cocontractant de l’administration.

  1. B. La nécessité de préserver les intérêts du cocontractant de l’administration

La relation contractuelle entre l’administration et son cocontractant est, pour les contrats administratifs, profondément asymétrique.

En effet, l’administration bénéficie de prérogatives exorbitantes du droit commun (lui permettant notamment de résilier ou de modifier unilatéralement le contrat pour motif d’intérêt général). De plus, le cocontractant ne peut en principe se délier de ses obligations contractuelles en invoquant l’inexécution par l’administration de ses propres obligations. Ce refus de l’exception d’inexécution a toutefois été nuancé par le Conseil d’État qui a admis la possibilité – étroitement conditionnée – pour le cocontractant de l’administration de résilier le contrat en cas de faute de l’administration [9]. Cette faculté est toutefois subordonnée à l’existence d’une clause en ce sens et ne peut être mise en œuvre pour les contrats ayant pour objet l’exécution d’un service public. En outre, la personne publique dispose de la possibilité d’opposer un motif d’intérêt général à son cocontractant qui sera ainsi contraint de poursuivre l’exécution du contrat. Le caractère effectif de cette faculté est ainsi, dans la plupart des cas, très relatif.

Face à l’inertie de l’administration n’exécutant pas ses obligations contractuelles, le cocontractant peut alors seulement envisager l’engagement de la responsabilité contractuelle pour faute si cette dernière est caractérisée, et le cas échéant obtenir une indemnité, voire une condamnation de l’administration à exécuter ses obligations [10].

La reconnaissance d’une résiliation tacite d’un contrat du fait du comportement de l’administration permet ainsi d’équilibrer davantage les relations entre l’administration et ses cocontractants. Cette résiliation tacite permettra ainsi au cocontractant de « passer à autre chose » en obtenant, le cas échéant, une indemnité, ou alors à l’inverse de saisir le juge d’un recours en reprise des relations contractuelles [11]. Toutefois, la résiliation d’un contrat résultant de comportements de l’administration doit rester l’exception à la règle selon laquelle la résiliation intervient en principe de manière formelle. Ce caractère exceptionnel est rappelé ici par le Conseil d’État qui précise qu’un contrat « doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles ».

II. L’appréciation du comportement de l’administration et les conséquences de la reconnaissance de la résiliation tacite

L’appréciation du comportement de l’administration s’effectue au travers d’un faisceau d’indices permettant de limiter de façon stricte les cas dans lesquels la résiliation tacite peut être constatée et sur lequel le Conseil d’État apporte des précisions (A). La résiliation tacite d’un contrat administratif soulève toutefois des nouvelles interrogations (B).

  1. A. L’appréciation stricte de la volonté de l’administration de résilier le contrat : l’utilisation d’un faisceau d’indices

Dans la continuité de sa jurisprudence « Département de la Seine-Saint-Denis » précitée, le Conseil d’État va d’abord rappeler que l’existence d’une résiliation tacite du contrat s’apprécie souverainement par le juge « au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce ». Ces circonstances peuvent notamment résulter « des démarches engagées par la personne publique pour satisfaire les besoins concernés par d'autres moyens, de la période durant laquelle la personne publique a cessé d'exécuter le contrat, compte tenu de sa durée et de son terme, ou encore de l'adoption d'une décision de la personne publique qui a pour effet de rendre impossible la poursuite de l'exécution du contrat ou de faire obstacle à l'exécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles ».

Il s’en infère que deux séries de comportements permettent de déduire la volonté de l’administration de résilier tacitement un contrat. D’une part, l’administration peut adopter un comportement « positif » résultant par exemple dans l’engagement de démarches pour satisfaire les besoins du contrat litigieux par un autre moyen (par exemple par la conclusion d’un contrat distinct ayant un périmètre et un objet identique), ou encore par l’adoption d’une décision rendant impossible l’exécution du contrat. D’autre part, l’administration peut à l’inverse faire preuve d’un comportement « négatif » en s’abstenant d’exécuter le contrat pendant une certaine période. A l’évidence, les comportements « positifs » de l’administration sont moins susceptibles d’interprétation et apparaissent les mieux à même de caractériser une volonté univoque de l’administration de résilier un contrat. Il n’est toutefois pas nécessaire de caractériser à la fois l’existence de comportements « positifs » et de comportements « négatifs » pour caractériser la volonté de l’administration de mettre un terme à une relation contractuelle. Tout sera une question d’appréciation des circonstances de l’espèce.

Ainsi, dans l’arrêt « Département de la Seine-Saint-Denis » précité, le Conseil d’État avait considéré que l’absence de nouvelles commandes depuis le transfert du contrat au nouveau titulaire et la conclusion par la personne publique d’un nouveau marché de maintenance ayant le même objet que le marché en litige étaient des circonstances permettant de considérer que l’administration avait mis fin de façon non-équivoque à un contrat.

Dans le présent arrêt du 11 décembre 2020, la renonciation de la commune à poursuivre l’exécution du contrat apparaissait également de façon flagrante. En effet, aucun aménagement de la zone d’aménagement concertée n’avait eu lieu après l’achèvement de la première tranche du programme en 2000 et la commune avait informé le titulaire du contrat, en 2012, de l’arrêt de l’aménagement pour le motif d’intérêt général représenté par le risque d’inondation, sans toutefois ni faire état d’une perspective de reprise des travaux, ni des mesures envisagées afin de remédier à ce risque. Ces éléments ont permis au Conseil d’État de considérer que le contrat devait être regardé comme résilié.

  1. B. Les interrogations soulevées par la reconnaissance de la résiliation tacite

La reconnaissance de la résiliation tacite n’est pas sans poser de nouvelles interrogations qui ont vocation à être encadrées et précisées par la jurisprudence.

La première interrogation réside dans la validité d’une telle résiliation. En effet, il apparaît que, le plus souvent, une telle résiliation tacite devrait être regardée comme irrégulière en ce qu’elle serait dépourvue de motif. Il doit toutefois être noté que tel n’était pas le cas dans l’arrêt commenté où la résiliation tacite a été regardée comme une résiliation pour motif d’intérêt général. En tout état de cause, qu’elle soit irrégulière [12] ou justifiée par un motif d’intérêt général, la résiliation tacite du contrat devrait en principe ouvrir le droit du cocontractant à la réparation intégrale de son préjudice. Le caractère irrégulier de cette résiliation, en raison notamment de l’absence de motif, pourrait toutefois permettre au cocontractant de l’administration de contester la résiliation par le biais d’un recours en reprise des relations contractuelles [13].

La deuxième interrogation réside dans la détermination du point de départ du délai dans lequel le recours en reprise des relations contractuelles doit être introduit. En effet, la jurisprudence considère qu’une telle action doit être intentée dans les deux mois à compter de la date à laquelle le cocontractant « a été informé de la mesure de résiliation ». Un tel principe ne pose pas de difficulté dans le cas de résiliation formelle mais interroge dans l’hypothèse d’une résiliation tacite.

Une dernière interrogation porte sur la détermination de la date à laquelle le contrat doit être regardé comme résilié. Cette date est en effet essentielle afin notamment de déterminer l’étendue du préjudice subi par le cocontractant. Dans l’hypothèse d’une résiliation tacite, notamment lorsqu’une telle résiliation résulte d’une inertie de l’administration, la détermination de cette date risque de s’avérer délicate.

A retenir :

Un contrat administratif peut être regardé comme tacitement résilié du fait d’un comportement non équivoque de l’administration. Ce comportement peut résulter notamment d’actes positifs (décisions faisant obstacle à l’exécution du contrat, conclusion d’un nouveau contrat ayant un objet et un périmètre identique) ou de comportements « négatifs » (absence d’exécution du contrat par l’administration) sur lequel les cocontractants de l’administration doivent rester attentifs. La volonté de l’administration de résilier tacitement un contrat sera appréciée souverainement par le juge, étant précisé qu’une telle résiliation tacite devrait demeurer exceptionnelle.

 

[1] CE, 27 février 2019, n° 414114 (N° Lexbase : A2150YZN).

[2] CE, 2 mai 1958, n° 32401 (N° Lexbase : A9976Y4A), Rec., p. 246.

[3] CCP, art. L. 2195-1 (N° Lexbase : L8184LQ8) et suivants pour les marchés publics et art. L. 3136-1 (N° Lexbase : L3907LR7) et suivants pour les contrats de concession.

[4] Ces conclusions sont disponibles sur le site internet ArianeWeb.

[5] CE, 1er mars 1968, n° 67118 (N° Lexbase : A1103B7Y).

[6] CE, 12 octobre 1988, n° 67968 (N° Lexbase : A8290APQ).

[7] CE, 17 décembre 1982, n° 30259 (N° Lexbase : A2473AL8).

[8] CE, 10 mars 2010, n° 308676 (N° Lexbase : A7939ET9).

[9] CE, 8 octobre. 2014, n° 370644 (N° Lexbase : A0011MY3).

[10] CE, 18 novembre 2005, n° 271898 (N° Lexbase : A6340DLE).

[11] CE, 21 mars 2011, n° 304806 (N° Lexbase : A5712HIE).

[12] CE, 10 octobre 2018, n° 410501 (N° Lexbase : A7023YET).

[13] CE, 21 mars 2011, n° 304806 (N° Lexbase : A5712HIE).

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