La lettre juridique n°852 du 28 janvier 2021 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] L’irrecevabilité de la tierce-opposition de l’associé de SCI contre la décision de condamnation de la SCI après admission de la créance à son passif

Réf. : Cass com., 20 janvier 2021, n° 19-13.539, F-P+I (N° Lexbase : A00034DH)

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[Jurisprudence] L’irrecevabilité de la tierce-opposition de l’associé de SCI contre la décision de condamnation de la SCI après admission de la créance à son passif. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64650337-jurisprudence-lirrecevabilite-de-la-tierceopposition-de-lassocie-de-sci-contre-la-decision-de-condam
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 27 Janvier 2021


Mots-clés : procédure collective atteignant une SCI • condamnation de la SCI envers un créancier par décision définitive avant le jugement d’ouverture • admission de la créance au passif • poursuite des associés par le créancier social • recevabilité de la tierce-opposition des associés contre la décision de condamnation (non) • défaut d'intérêt à agir

L’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision irrévocable d’admission d’une créance au passif de la liquidation d’une société civile s’impose à ses associés, de sorte que, s’il n’a pas présenté contre une telle décision la réclamation prévue par l’article R. 624-8 du Code de commerce, dans le délai fixé par ce texte, l’associé d’une société civile en liquidation judiciaire est sans intérêt à former tierce-opposition à la décision, antérieure, condamnant la société au paiement de ladite créance et sur le fondement de laquelle celle-ci a été admise.


Chacun connaît les dangers que recèle l’appartenance à une société de personnes. En cause, l’obligation indéfinie de l’associé au passif social. Ces dangers se révèlent spécialement en cas de procédure collective de la société. La question est alors de savoir comment les associés peuvent se prémunir des poursuites des créanciers sociaux et quelle peut avoir l’incidence de l’admission au passif de la créance détenue par le créancier social. La tentation est évidement grande d’exercer des recours pour essayer de ne pas payer ce que doit la société, mais, ainsi que nous allons le voir, sa marge de manœuvre est limitée et il doit parfaitement la maîtriser.

En l’espèce, Une caisse régionale de crédit agricole mutuel (la banque) a consenti deux prêts à une société civile immobilière (la SCI), en 2007.

Par un arrêt du 24 mars 2011, devenu irrévocable le 28 juin 2012, confirmant partiellement un jugement du 29 juin 2010 du tribunal de grande instance de Châteauroux, la cour d’appel de Bourges a condamné la SCI à payer à la banque diverses sommes dues au titre de ces prêts.

La SCI a été mise en redressement judiciaire le 3 février 2014, puis en liquidation judiciaire le 9 février 2015, et les créances déclarées par la banque, sur le fondement de l’arrêt du 24 mars 2011, ont été admises par une ordonnance du juge-commissaire du 2 février 2015.

Assignés en paiement par la banque en leur qualité d’associés de la SCI, tenus en tant que tels des dettes de celles-ci à proportion de leur part dans le capital social, les consorts X ont formé tierce-opposition à l’arrêt du 24 mars 2011 et demandé l’annulation des deux contrats de prêt et le rejet de la demande en paiement formée par la banque contre la SCI.

Les juges du fond ont déclaré recevable la tierce-opposition des associés. La banque s’est pourvue en cassation.

La question posée à la Cour de cassation est la suivante : les associés de SCI sont-ils recevables en leur tierce-opposition formée contre la décision passée en force de chose jugée condamnant les associés au paiement, dès lors que les associés de la SCI n’ont pas formé réclamation contre l’état des créances, une fois admises au passif de la SCI les créances de la banque ?

La Cour de cassation va répondre par la négative à la question posée en cassant la décision de la cour d’appel : « L’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision irrévocable d’admission d’une créance au passif de la liquidation d’une société civile s’impose à ses associés, de sorte que, s’il n’a pas présenté contre une telle décision la réclamation prévue par l’article R. 624-8 du code de commerce, dans le délai fixé par ce texte, l’associé d’une société civile en liquidation judiciaire est sans intérêt à former tierce-opposition à la décision, antérieure, condamnant la société au paiement de ladite créance et sur le fondement de laquelle celle-ci a été admise ».

En droit commun, la tierce-opposition est recevable pendant trente ans. Les associés de la SCI, tiers à la décision de condamnation de la SCI envers la banque, ont évidemment intérêt à faire rétracter cette décision. En effet, ils seront tenus indéfiniment au passif social, chacun en tenant compte de la part respective qu’ils détiennent dans le capital social.

Si une procédure collective s’ouvre contre la SCI, le créancier, en possession du titre exécutoire contre son débiteur, devra néanmoins déclarer sa créance au passif. La déclaration de créance ne pourra pas être contestée sur le fond, du fait du titre exécutoire, mais pourra faire l’objet de discussion sur la forme et sur l’adéquation par rapport au titre obtenu, le créancier titulaire d’un titre pour 100 ne pouvant évidemment pas déclarer 200 [1].

Une fois l’admission au passif intervenue, elle sera reportée sur l’état des créances. Le greffier du tribunal fera publier au BODDAC un avis d’insertion informant de ce que l’état des créances a été déposé au greffe. Courra alors un délai d’un mois à compter de cette insertion pour les personnes qui ne sont pas des parties à la décision d’admission, mais qui sont intéressées par celle-ci. Il en est ainsi des associés de sociétés civiles, dans la mesure où, à défaut pour la société d’avoir un patrimoine suffisant pour payer les créanciers, ces derniers pourront agir contre les associés pour obtenir paiement de la dette sociale, les associés étant tenus à la dette sociale indéfiniment, chacun d’eux respectivement en pourcentage de la fraction du capital social qu’ils détiennent. Là se mesure l’intérêt des associés indéfiniment tenus du passif social à remettre en cause la décision d’admission au passif. Notons que, en liquidation judiciaire, l’insuffisance patrimoniale fait l’objet d’une présomption simple [2].

Les tiers intéressés sont donc recevables à former une réclamation, voie de recours particulière au droit des entreprises en difficulté [3]. Bien qu’elle ne soit qu’une variété de tierce-opposition, seule la réclamation est recevable contre l’état des créances [4]. Passé le délai du mois à compter de l’insertion au BODDACC la réclamation cesse d’être recevable. La décision d’admission s’impose alors aux associés.

Parce que l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission au passif, une fois à l’abri de la réclamation, s’impose aux associés indéfiniment tenus du passif social, ceux-ci ne disposent plus d’aucun moyen pour prétendre qu’ils devraient autre chose au créancier social que ce que l’état des créances démontre.

On comprend dès lors le raisonnement imparable de la Cour de cassation : puisque l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission au passif du créancier social s’impose aux associés, ceux-ci ne peuvent plus remettre en cause la décision antérieure de condamnation de la SCI à l’égard du créancier social. Ils sont par conséquent dépourvus d’intérêt à agir pour former la tierce-opposition de droit commun contre la décision qui a condamné la SCI envers la banque.

Les praticiens retiendront de cet arrêt la leçon. Les associés de SCI peuvent intervenir à l’instance au cours de laquelle le créancier recherche la condamnation de la SCI, en qualité d’intervenant volontaire accessoire. Dans ce cas, ayant été présents à l’instance, ils ne seront plus des tiers recevables à former tierce-opposition. Si la SCI est placée sous procédure collective, la tierce-opposition contre la décision de condamnation de la SCI devra être engagée avant la décision d’admission au passif. Une fois la décision d’admission intervenue, les associés sont sans intérêt à former tierce-opposition contre la décision de condamnation de la SCI. Les associés peuvent également exercer une réclamation contre l’état des créances, une fois la décision d’admission intervenue, dans le délai du mois de l’avis d’insertion au BODACC du dépôt au greffe de l’état des créances. Au-delà, point de salut !

 

[1] Cass. com., 13 septembre 2017, n° 15-28.833, F-P+B (N° Lexbase : A0870WSZ) ; Act. proc. coll., 2017/17, comm. 260, note P. Cagnoli ; Rev. proc. coll., mai/juin 2018, comm. 101, p. 55, note P. Cagnoli ; P.-M. Le Corre, Lexbase Affaires, in Chron., septembre 2017, n° 523 (N° Lexbase : N0192BXE). Sur cette question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 11ème éd., 2021/2022, n° 663.511.

[2] Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-10.413, P (N° Lexbase : A3178DWM), D., 2007, AJ 1414, obs. A. Lienhard ; D., 2008, Pan. 579, obs. P.-M. Le Corre ; RJDA, 2007/8-9, p. 766, rapp. Besançon ; Gaz. proc. coll., 2007/3, p. 18, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2007, n° 128, note C. Régnaut-Moutier ; JCP G, 2007, II, 10128, note J.-P. Legros ; JCP E, 2007, Chron. 2119, n° 10, obs. Ph. Pétel ; JCP E, 2007, n° 1877, n° 10, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; LPA, 14 août 2007, n° 162, p. 18, note Vinckel ; Dr. sociétés, 2007, n° 130, note F.-X. Lucas ; Dr. sociétés, 2007, n° 157, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll., 2007, n° 19, obs. Ch. Lebel ; Rev. sociétés, 2007, 620, note J.-F. Barbièri ; RTD com., 2007, 550, n° 1, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RTD com., 2007, 597, n° 3, obs. A. Martin-Serf ; Banque et droit, juillet-août 2007, 57, note Storck ; RJ com., 2007, 345, note M.-H. Monsérié-Bon ; Defrénois, 2007, 1571, 38675, n° 9, note D. Gibirila ; Bull. Joly Sociétés, 2007, 1174, note F. Pérochon ; P.-M. Le Corre, Lexbase édition Privée, in Chron., juin 2007, n° 265 (N° Lexbase : N5621BBS) – Cass. com., 16 juin 2009, n° 07-14.913, F-D (N° Lexbase : A2894EIZ), Rev. proc. coll., 2010, n° 123, note Ch. Lebel – Cass. com., 2 octobre 2019, n° 18-11.854, F-D (N° Lexbase : A5008ZQK), Rev. proc. coll., juillet/août 2020, comm. 108, note Dumont. Sur le détail de la question, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 11ème éd., 2021/2022, n° 731.232.

[3] Sur la notion de personnes intéressées autre que les parties recevables à former une réclamation, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 11ème éd., 2021/2022, n° 683.221.

[4] Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-25.571, F-P+B (N° Lexbase : A1860H4N) ; D., 2012, Actu 7, note A. Lienhard ; Gaz. Pal., 28 avril 2012, n° 118, p. 39, note E. Le Corre-Broly ; Bull. Joly Entrep. en diff., mars 2012, comm. 60, p. 88, note S. Brena – CA Angers, 17 décembre 2019, n° 18/02553 (N° Lexbase : A5592Z8M), arrêt aimablement communiqué par Me J.-P. Riou, avocat au Barreau de Nantes.

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