La lettre juridique n°852 du 28 janvier 2021 : Covid-19

[Point de vue...] Rave party Covid : mise en danger d’autrui ?

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par Caroline Lacroix, Maître de conférences HDR en droit privé & sciences criminelles, Université Evry-val d’Essonne - Paris Saclay

le 27 Janvier 2021


Mots-clés : mise en danger d’autrui • covid-19 • rave party • fête clandestine


 

Revendiquant « un droit à la fête », quelque 2 400 personnes, venues de toute la France et même de l'étranger, se sont données rendez-vous du 31 décembre au samedi 2 janvier 2021 au matin pour une fête clandestine du Nouvel an organisée à Lieuron, au sud de Rennes. La rave party a eu lieu dans des hangars désaffectés d’une zone d’activités.

Selon le ministre de l’Intérieur, 1 645 verbalisations ont été dressées à l’encontre des participants. Un tweet dudit ministre indiquait que les gendarmes avaient établi « 1 225 infractions covid (masques-rassemblement-couvre-feu) + 420 infractions diverses dont 225 en lien avec les stupéfiants ». Parallèlement, L'Agence Régionale de Santé (ARS) de Bretagne, soulignant que l’évènement « présente un très fort risque de diffusion de la Covid-19 », a publié ses recommandations aux participants de la rave party de Lieuron [1].

De son côté, le parquet a ouvert une enquête notamment pour « organisation illicite d'un rassemblement festif à caractère musical », « violences volontaires sur personnes dépositaires de l'autorité publique », ou encore « infractions à la législation sur les stupéfiants et notamment la facilitation de l’usage ». Un individu a été mis en examen, notamment pour organisation illicite de cette manifestation et mise en danger de la vie d'autrui. Selon un communiqué du procureur de la République, le mis en cause aurait reconnu avoir participé à l'organisation de cet événement et communiqué le lieu de rendez-vous de la rave party à plus de 1 000 personnes. Il a été placé en détention provisoire.

Si l’organisation d’une rave party en période de crise sanitaire constitue à l’évidence une prise de risque sur le plan de la santé publique, l’infraction de mise en danger d’autrui, prévue à l’article 223-1 du Code pénal (N° Lexbase : L3399IQX), peut-elle s’appliquer ? Sans préjuger des suites judiciaires à venir et de l’éventuelle décision du tribunal correctionnel, un petit exercice de simulation, à la manière d’un cas pratique, pour tenter de répondre à cette question s’impose.

Le délit dénoncé se définit comme « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Cette infraction, instituée par le législateur dans le Code pénal de 1994, réprime, indépendamment de la réalisation d’un résultat, le seul comportement dangereux. Afin d’établir l’infraction, et suivant la méthodologie imposée par la Chambre criminelle, les juges doivent successivement établir l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, imposée par la loi ou le règlement, dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit. Il leur appartient ensuite d’apprécier le caractère immédiat du risque créé, puis de rechercher si le manquement relevé résulte d’une violation manifestement délibérée de l’obligation de prudence ou de sécurité [2].

I. L’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité́ imposée par la loi ou le règlement

L’infraction ne peut exister sans le support préalable d’une obligation textuelle particulière. L’identification d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est un « préalable indispensable » à l'infraction [3]. En premier lieu, le champ d’application de l’infraction est circonscrit par la nature de l’obligation : elle doit être particulière et non générale. Une telle obligation se définit comme celle « qui impose un modèle de conduite circonstanciée », fixant de manière objective l'attitude à adopter sans faculté d’appréciation individuelle [4]. Sont ainsi particulières les obligations « objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d’appréciation personnelle du sujet » [5]. En second lieu, l’obligation visée par le texte doit être édictée par la loi ou le règlement. S’agissant de la notion de règlement, celle-ci renvoie, d’une part, à la conception constitutionnelle de la réglementation [6] et, d’autre part, ne vise que les actes à caractère général, et non les actes individuels. Aux juges de rechercher la loi ou le règlement édictant l'obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été́ violée [7].

Une telle recherche en l’espèce conduit d’abord à admettre qu’il apparait clairement qu’un certain nombre d’obligations imposées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie peuvent être identifiées sans pour autant préjuger qu’elles puissent nécessairement suffire à caractériser l’infraction. Ainsi en est-il :

• du non-respect du couvre-feu : depuis le 15 décembre un couvre-feu de 20 heures à 6 heures est en vigueur sur l’ensemble du territoire métropolitain en vertu de l’article 2 du décret n° 2020-1582, du 14 décembre 2020, modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310, du 29 octobre 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire (N° Lexbase : L1030LZ8).

• du non-respect du port du masque : depuis le 20 juillet 2020, le port du masque est obligatoire à partir de l'âge de 11 ans dans les lieux publics clos ainsi que dans les bureaux non-individuels et les espaces professionnels communs depuis le 1er septembre 2020. Il peut également être imposé en extérieur dans les zones où le virus circule activement, sur décision du préfet ou du maire. Concernant la ville de Lieuron, un arrêté municipal prévoit que le port du masque est obligatoire dans toutes les rues de la ville.

Si ces deux obligations peuvent être considérées comme des obligations de prudence ou de sécurité, trouvent leur source dans un texte et présentent la particularité nécessaire, elles ne paraissent cependant pas permettre la caractérisation de l’infraction. En effet, l’infraction de mise en danger suppose de s'assurer que l'obligation violée incombe bien aux personnes poursuivies [8]. Or, en l’espèce, ces obligations s’imposent aux participants et non à l’organisateur lui-même.

En revanche, l’existence d’un arrêté préfectoral interdisant ce type de rassemblement adopté pour lutter contre l’épidémie pourrait peut-être remplir la condition préalable.

En admettant la condition préalable satisfaite, et afin de pouvoir poursuivre l’exercice, le délit suppose en second lieu une exposition directe à un risque immédiat de mort, de mutilation ou d’infirmité permanente.

II. Une exposition directe à un risque immédiat grave

Concernant la nature du risque, le législateur n’a envisagé de prendre en considération que les risques les plus importants : la mort ou les atteintes à l’intégrité physique graves. Toute la difficulté réside dans le fait de déterminer l’éventuelle gravité de conséquences qui, par hypothèse, ne se réaliseront pas. Ainsi, n’est-il nécessaire que soit constatée la contraction du covid-19 chez une victime, ici les participants à la fête illégale, la simple exposition au risque étant suffisante. L’exposition au risque doit également être directe et le risque immédiat. L’agent doit avoir créé un danger certain, actuel et non hypothétique. La condition d'immédiateté s'attache au risque lui-même, indépendamment de sa réalisation, qui peut être instantanée ou différée [9].

Le non-respect des obligations réglementaires relatives à la protection contre les risques liés à l'exposition au virus du covid-19 expose-telle de manière directe et immédiate à un risque certain de mort, ou d'infirmité permanente ? Rien n’est moins sûr.

Si l’on ne peut nier que le fait de rassembler de très nombreuses personnes en un même lieu sans respecter les gestes barrières expose vraisemblablement au risque d’une contamination, il semble plus difficile de caractériser un risque immédiat de mort ou de blessures graves. Il ne s’agit pas ici de minimiser les conséquences de l’épidémie de covid-19 laquelle a déjà fait plus de 68 000 morts sur notre territoire [10]. Mais les données épidémiologiques connues et les connaissances scientifiques seront au cœur des débats. L’existence du risque encouru par une personne contaminée par le covid-19 montre un risque de mort ou d’infirmité permanente. Néanmoins, l’exposition au virus n’implique pas nécessairement de conséquences graves. Ainsi lit-on sur le site de l’Inserm que « La façon dont se manifeste la Covid-19 est très hétérogène et une part non négligeable des personnes qui sont infectées ne développent pas de symptômes […] Dans 80% des cas environ, les symptômes restent légers ou modérés et disparaissent après 5 à 14 jours ». Enfin, concernant le profil des personnes décédées de la covid-19, il est mentionné que « Selon les données disponibles début novembre 2020, plus de 9 patients sur 10 décédés de la Covid-19 sont âgés d’au moins 65 ans », ce qui pour cette dernière donnée est loin du profil habituel du « teuffeur » !

Du reste déjà, une circulaire du 25 avril 2020 [11] admettait que « si la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement apparaît constituée par le non-respect des mesures de confinement, l’exigence tenant à la caractérisation d’un risque immédiat de mort ou de blessures graves ne parait pas remplie, au regard des données épidémiologiques connues ».

Par sa méconnaissance délibérée des obligations liées à la pandémie, l’organisateur d’une rave party participe potentiellement à la propagation du virus. Mais, sauf à considérer que la seule contamination est constitutive du risque grave, l’existence d’un lien de causalité direct entre le non-respect du confinement et l’exposition d'autrui à un risque « immédiat » de décès fera sans nul doute l’objet de débats juridiques, factuels et scientifiques, soumis à l’appréciation des juges.

III. Une violation manifestement délibérée de l’obligation

Ce dernier élément de l’infraction est sans doute celui qui posera le moins de difficulté. La seule volonté d’enfreindre la réglementation ne suffit pas à constituer l’élément moral de l’infraction. Le délit de mise en danger d’autrui suppose que l’agent a violé l’obligation considérée de manière manifestement délibérée. En revanche, le texte ne requiert pas la volonté de mettre autrui en danger. La connaissance précise du danger encouru est indifférente au titre de l’élément moral, celui-ci se caractérisant par la connaissance de l’obligation et la volonté d’agir malgré tout. Selon le Professeur Y. Mayaud « La culpabilité commence et s'arrête là où se manifeste la volonté d'agir à l'opposé de ce qui est prescrit, sans tenir compte de ce qui a pu être subjectivement perçu de danger prévisible » [12]. La Cour de cassation admet qu’il n’est pas nécessaire de constater que l'auteur du délit avait eu connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement [13] puisque « l’élément intentionnel de l’infraction résulte du caractère manifestement délibéré de la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, de nature à causer un risque immédiat de mort ou de blessures graves à autrui » [14]. L’organisation d’une rave party comportant plusieurs milliers de personnes démontre un mépris affirmé des obligations à l’application de la réglementation relative à la lutte contre l'épidémie de covid-19 et permet de démontrer que l’intéressé a agi sciemment.

Depuis le début de la pandémie le délit de risques causés à autrui est à l’honneur. Il est invoqué à l’encontre des personnes ne respectant pas le confinement [15], des employeurs pour défaut de mise en place des mesures de protection au sein des entreprises [16], ou encore des décideurs publics pour la gestion de la crise… Mais cette incrimination, qui requiert des conditions nombreuses et précises, n’est pas, loin s’en faut, la solution irréductible de la répression de toute les formes d’« indifférence au sort d’autrui » [17].

Les organisateurs de soirées clandestines sont-ils coupables de mise en danger ? Le jugement à venir nous le dira. Mais peut-être pourrait-on souffler à l’oreille des magistrats qu’il est possible d’explorer une autre voie, non liée spécifiquement à la pandémie de covid-19. Les tribunaux ont déjà par le passé pu admettre des poursuites et des condamnations pour risques causés à autrui à l’encontre des organisateurs de rave party en raison de manquement à la réglementation prévue pour les lieux ouverts au public [18].

 

[1] Agence Régionale de Santé de Bretagne, Rassemblement techno à Lieuron : mesures destinées à freiner la propagation de la covid-19, communiqué de presse, 2 janvier 2021 [en ligne].

[2] Cass. crim., 13 novembre 2019, n° 18-82.718 (N° Lexbase : A6182ZUI) : C. Lacroix, Risques causés à autrui : une valse à 3 temps, Lexbase Pénal, décembre 2019 (N° Lexbase : N1641BYG).

[3] Cass. crim., 22 septembre 2015, n° 14-84.355 (N° Lexbase : A8406NPZ) : C. Fonteix, L’obligation, préalable indispensable du délit de risques causés à autrui, Dalloz actualité, 8 octobre 2015 [en ligne].

[4] CA Aix-en-Provence, 22 novembre 1995, n° 1405D95 (N° Lexbase : A5520XE8) : J. Borricand, note, D., 1996. 405 [en ligne] ; Doucet, note, Gaz. Pal., 1996. 1. 112.

[5] CA Grenoble, 19 février 1999 : M. Redon, note, D., 1999, p. 480; Y. Mayaud, obs., 2000. 33, ibid ; P. Le Bas, note, JCP G, 1999.II.10171 et Cass. crim., 22 septembre 2015, n° 14-84.355 (N° Lexbase : A8406NPZ) : Y. Mayaud, obs., RSC, 2015. 854.

[6] CA Aix-en-Provence, 22 novembre 1995, op. cit. ; Cass. crim., 10 mai 2000, n° 99-80.784 (N° Lexbase : A9179CG3). La violation manifestement délibérée d’un règlement de l’Union européenne qui édicte des obligations particulières de prudence et de sécurité, est également susceptible de constituer une faute de mise en danger délibérée : Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-82.171 (N° Lexbase : A76253KM) : F. Charlent, Blessures involontaires : précisions sur la faute de mise en danger délibérée, Dalloz actualité, 14 mai 2020 [en ligne].

[7] Cass. crim., 13 novembre 2019, no 18-82.718, F-P+B+I (N° Lexbase : A6182ZUI) : F. Charlent, Précisions sur la caractérisation du délit de risque causé à autrui, Dalloz actualité, 2 décembre 2019 [en ligne].

[8] CA Grenoble, 19 février 1999, op. cit.

[9] Cass. crim., 19 avril 2017, n° 16-80.695 (N° Lexbase : A9920U9B) : D., 2017. 869.

[10] Santé publique France, Coronavirus : chiffres clés et évolution de la COVID-19 en France et dans le Monde, 12 janvier 2021 [en ligne].

[11] Circulaire DACG, du 25 mars 2020, de présentation des dispositions applicables pendant l'état d'urgence sanitaire et relative au traitement des infractions commises pendant l'épidémie de Covid-19 (N° Lexbase : L5958LWL).

[12] Y. Mayaud, obs., RSC, 1999, p. 581.

[13] Cass. crim., 16 février 1999, n° 97-86.290 (N° Lexbase : A9291ATB) : A. Cerf, note, D. 2000, p. 9 ; Cass. crim., 1er juin 1999, n° 98-85.257 (N° Lexbase : A0317CLC) : Gaz. Pal., 1999, 2, p. 143.

[14] Cass. crim., 9 mars 1999, n° 98-82.269 (N° Lexbase : A7441CGP) : B. Bouloc, obs., RSC, 1999, p. 808.

[15] E. Daoud, A. Guillemain et E. Pili, Le non-respect de l’obligation de confinement, un délit de mise en danger de la vie d’autrui ? pas sûr du tout, Les surligneurs, 22 mars 2020 [en ligne].

[16] P.-H. Gout, L’entreprise et le droit pénal au temps du covid-19, Dalloz actualité, 30 avril 2020 [en ligne].

[17] J.P. Vial, La répression de l’indifférence au sort d’autrui à l’épreuve du Covid-19, Actu-Juridique.fr, 25 mai 2020 [en ligne].

[18] V. par exemple : CA Paris, 31 mai 2000 : D., 2000, IR 203 ; T. corr., Reims, 19 février 2002, JAC n° 25, obs. C. Lienhard, CA Bourges, Ch. corr. 2, 20 novembre 2003.

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