La lettre juridique n°715 du 12 octobre 2017 : Divorce

[Jurisprudence] Conventions de divorce : jamais avant l'introduction de l'instance !

Réf. : Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, n° 16-23.531, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0361WTK)

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par Jérôme Casey, Avocat associé au barreau de Paris, Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit des régimes matrimoniaux"

le 12 Octobre 2017

A l'heure où l'on parle volontiers de "contractualisation" du droit de la famille, et plus encore de celui du divorce, voici une décision, rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 septembre 2017, qui devrait donner à réfléchir. Non qu'elle soit révolutionnaire, mais parce qu'elle est rendue alors que le droit du divorce a été profondément remanié par l'apparition, depuis le 1er janvier 2017, du divorce par consentement mutuel extra-judiciaire. Les faits d'un fort classique. Un époux, commun en biens, dépose une requête en divorce, mais avant même que ne soit rendue l'ordonnance de non conciliation, un "protocole transactionnel" est signé, prévoyant, outre des dispositions relatives à la jouissance du domicile conjugal et d'une résidence secondaire, que le mari serait attributaire d'un immeuble commun moyennant le paiement d'une soulte à son épouse, et qu'il paierait aussi à celle-ci une prestation compensatoire de 240 000 euros. Le divorce est finalement prononcé et la même décision a aussi annulé le "protocole transactionnel". Le pourvoi de l'épouse, qui faisait grief à la cour d'appel (CA Dijon, 16 juin 2016, n° 15/00642 N° Lexbase : A4110RTE) d'avoir confirmé la nullité dudit protocole prononcée par le premier juge, est rejeté par la Cour de cassation, qui juge qu'"aux termes de l'article 265-2 du Code civil, les époux peuvent passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial ; qu'il s'en déduit qu'une convention comportant, ne serait-ce que pour partie, des stipulations relatives à la liquidation et au partage du régime matrimonial, ne peut être conclues avant l'assignation ou la requête conjointe en divorce ; Et qu'ayant relevé que la convention conclue entre les parties, avant l'introduction de l'instance, portait tant sur la prestation compensatoire que sur le partage de leur régime matrimonial, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle était nulle".

La solution était prévisible, car il est acquis depuis 1982 que les époux ne peuvent signer de convention relative à la liquidation-partage de leur régime matrimonial avant l'introduction de l'instance (Cass. civ. 1, 19 janvier 1982, n° 80-17.149 N° Lexbase : A0889CIR, Bull. civ. I, n° 27), et il en va de même à propos de la fixation de la prestation compensatoire, laquelle ne peut intervenir, fût-ce à titre amiable, avant tout divorce (Cass. civ. 2, 21 mars 1988, n° 86-16.598 N° Lexbase : A7750AAB, Bull. civ. II, n° 74). On rappellera juste que les époux séparés de biens peuvent, eux, liquider et partager les indivisions les liant quand bon leur chante, puisqu'il ne s'agit pas de la liquidation de leur régime matrimonial, mais qu'ils sont bien les seuls. Sous n'importe quel autre régime, la règle de l'article 265-2 du Code civil (N° Lexbase : L2831DZU), ici rappelée par la Cour de cassation, s'applique (y compris en régime de participation aux acquêts, v., Cass. civ. 1, 8 avril 2009, n° 07-15.945, FS-P+B+I N° Lexbase : A8399EES ; Bull. civ. I, n° 80 ; AJ fam., 2009, 219, obs. S. David ; D., 2009, 1201, note V. Egéa). Contrairement à ce que prévoyait l'ancien article 1450 du Code civil (N° Lexbase : L1602ABX), cette convention n'est pas toujours notariée, puisque la loi n'impose l'acte authentique que lorsqu'il y a des biens soumis à publicité foncière (c'est cependant, en pratique, la forme la plus couramment utilisée). Quant au moment à partir duquel on peut recourir à ces conventions, les choses semblent claires : après l'assignation en divorce, ou la signature d'une requête conjointe, ainsi que le présent arrêt le rappelle expressément, ce qui est conforme à l'alinéa 1er de l'article 265-2 qui dispose que ces conventions peuvent être signées "pendant l'instance en divorce". De sorte que la présente décision rejette fort logiquement le pourvoi de l'épouse, puisque la convention portait liquidation, fût-elle partielle seulement, du régime de communauté, et qu'elle avait été signée avant l'assignation en divorce (avant même l'ONC en l'espèce). Le pourvoi a bien tenté de soutenir que la convention pouvait être valide si elle était homologuée par le juge du divorce, mais pareille analyse revenait à prendre de grandes libertés avec le texte de l'article 265-2, et la Cour de cassation ne l'admet pas, ce qui ne devrait surprendre personne.

Pour logique qu'elle est dans les divorces contentieux, la solution interroge quelque peu pour ce qui est du nouveau divorce extra-judiciaire. En effet, dans cette forme de divorce, l'article 229-3, 4° (N° Lexbase : L2607LB8) impose que la convention de divorce comporte, à peine de nullité, "les modalités du règlement complet des effets du divorce conformément au chapitre III du présent titre, notamment s'il y a lieu au versement d'une prestation compensatoire". Or, le chapitre visé est celui consacré aux conséquences du divorce, qui contient une section 2 consacrée aux "effets du divorce pour les époux", laquelle débute par un paragraphe premier intitulé "Dispositions générales", où figure l'article 265-2, ce paragraphe 1 s'opposant à un paragraphe 2 consacré aux "conséquences propres aux divorces autres que par consentement mutuel", ce qui accentue le sentiment que l'article 265-2 est applicable à tous les consentements mutuels. Or, rien n'est moins sûr.

Pour le divorce par consentement mutuel judiciaire, il n'y a aucun problème, c'est comme avant la réforme de 2016, et il aura bien une instance judiciaire ce qui correspond aux prévisions de l'article 265-2. Mais pour le divorce par consentement mutuel extra-judiciaire, rien n'est prévu. L'article 229-3 se borne à renvoyer au Chapitre III, lequel, ainsi qu'il vient d'être vu, n'a pas été adapté sur cette question spécifique. Dès lors, comment comprendre l'expression "pendant l'instance en divorce" qui figure dans le texte de l'article 265-2 ? Les époux peuvent passer des conventions de divorce "pendant l'instance en divorce", selon ce texte, sauf que dans cette forme de consentement mutuel, il n'existe pas "d'instance en divorce" ! C'est un peu kafkaïen quand même...

Pour autant, il serait assurément illogique, voire absurde, que les époux, ne puissent pas signer de telles conventions alors que le juge n'intervient plus dans cette forme de divorce et que c'est la convention de divorce elle-même qui sert de support à l'entier divorce, comme le dit l'article 229-1. En outre, l'article 1145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1962LCN) prévoit en son alinéa 2 que l'acte de liquidation-partage devra être annexé à la convention de divorce s'il existe des biens soumis à publicité foncière. Il ne peut donc faire de doute que dans ce divorce extra-judiciaire les époux doivent signer une convention portant règlement entier des conséquences de leur divorce. On peut même le dire autrement : dans ce type de divorce, le divorce ne peut exister sans cette convention.

La conclusion s'impose d'elle-même : l'article 265-2 ne s'applique sans doute pas au divorce de l'article 229-1, n'en déplaise au législateur qui a pourtant placé ce texte parmi des "Dispositions générales", ainsi qu'il a été vu. On peut donc penser que le législateur de 2016 n'a pas vu la difficulté, et que les conventions de divorce de l'article 265-2 ne peuvent concerner celles de l'article 229-1. Il serait quand même bon de le dire clairement un jour...

Au total, la place laissée à la convention dans le droit du divorce est désormais aisée à définir. Quand une véritable procédure existe (en ce compris les cas de consentement mutuel judiciaire), toute convention en vue de liquider le régime, ou fixer une prestation compensatoire, doit être signée après l'assignation ou la requête conjointe. C'est le sens de la présente décision. Au contraire, en l'absence de procédure judiciaire, et donc lorsque les parties ont recours au processus amiable de l'article 229-1, la convention est mise au premier plan, puisque c'est elle qui devient la charpente même du mécanisme de désunion, et les dispositions de l'article 265-2 n'ont plus aucune portée, quand bien même leur place dans le Code civil indique le contraire.

L'avenir nous dira quel sera le rôle du juge dans tout ceci... Dans les divorces avec procédure judiciaire, on sait que le juge intervient en amont, et que c'est lui qui donne vie à la convention et à ses prévisions. Dans le divorce extra-judiciaire, par définition, le juge n'intervient plus en amont puisque le but même de la loi a été de le supprimer. Pourtant, qui ne voit qu'il interviendra toujours, mais cette fois en aval de la convention. Le juge homologateur deviendra donc le juge correcteur des malfaçons de la convention. Mais de quel juge s'agit-il ? Du juge du divorce (et donc le JAF), qui est rôdé à ces questions, ou le juge ordinaire des contrats, lequel dispose d'une capacité d'intervention sur les actes juridiques bien plus réduite ? Là encore, la loi n'a rien prévu, et ici aussi il serait bon de le dire clairement un jour... Pour notre part, nous faisons le pari que le juge naturel des conventions de divorce, quelles qu'elles soient, est bien le JAF et que c'est ce juge qui finira par s'imposer. Les conventions de divorce ne sont pas des contrats, et moins encore des contrats de droit commun. Ce sont des conventions, spécialement prévues par la loi, strictement règlementées, ainsi que la présente décision le rappelle. Si les conventions de l'article 265-2 relèvent du JAF (ce que nul ne discute), on ne voit pas comment celles de l'article 229-1, ne relèveraient pas du même juge, alors qu'elles sont encore plus dangereuses que celles de l'article 265-2 puisque mises à exécution sans aucun contrôle judiciaire. Le juge du divorce doit rester le JAF, que ce soit comme juge homologateur, ou comme juge correcteur, et ceci parce que ces conventions ne sont pas des contrats, mais bel et bien des conventions dérogatoires qui mettent fin à l'institution qu'est le mariage. N'en déplaise aux tenants du "tout contrat", dénouer un mariage ce n'est pas exactement la même chose que dénouer une vente.

Les praticiens peuvent donc lire cet arrêt pour ce qu'il est : le rappel d'une solution solidement acquise dans les divorces avec procédure judiciaire. Mais plus que jamais les questions s'accumulent pour le divorce sans juge...

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