La lettre juridique n°715 du 12 octobre 2017 : Huissiers

[Jurisprudence] Quand la Cour de cassation explicite enfin ce qui suspend ou proroge le délai de péremption du commandement de payer valant saisie immobilière !

Réf. : Cass. civ. 2, 7 septembre 2017, n° 16-17.824, F-P+B (N° Lexbase : A1208WR8)

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par Jean-Jacques Bourdillat, Docteur en droit, Juriste consultant au Cridon-Lyon, Chargé de cours à l'Université Lumière-Lyon 2

le 12 Octobre 2017

Par un arrêt de la deuxième chambre civile, rendu le 7 septembre 2017, la Cour de cassation a retenu que le délai de péremption du commandement valant saisie immobilière est suspendu par la mention en marge de sa copie publiée d'une décision de justice emportant la suspension des procédures d'exécution, tant que cette décision produit ses effets, ainsi que d'une décision ordonnant le report, en vertu d'une disposition particulière, de l'adjudication ou la réitération des enchères, dans l'attente de l'adjudication à intervenir ; en dehors de ces cas, le délai est prorogé par la publication d'un jugement ordonnant la prorogation des effets du commandement. Parmi les trois articles de la partie réglementaire du Code des procédures civiles d'exécution consacrés à La péremption du commandement de payer valant saisie, le moins qu'on puisse affirmer est que le dernier des trois, l'article R. 321-22 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2419ITR ; sur la suspension et la prorogation du délai, cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9645E8Q) manque -ou manquait- singulièrement de clarté. Si dans le cadre d'un enseignement universitaire général, il était aisé -et confortable- de citer ce texte pour n'en souligner que le caractère obscur et attendre que la Cour de cassation vienne un jour en préciser le sens, si ce n'est son sens, pour tous les praticiens de la saisie immobilière, qu'ils soient avocats ou -surtout- magistrats, tous spécialisés, la difficulté d'application demeurait et l'évitement n'avait pas sa place. Ecrit selon toute vraisemblance à la hâte par un rédacteur qui, sans conteste, connaissait on ne peut mieux son sujet, la lecture et l'interprétation de ce texte pouvaient, néanmoins, laisser perplexes ceux à qui il s'adressait. Là où deux phrases paraissaient indispensables pour distinguer la suspension du délai de péremption de sa prorogation, pour faire simple, ou (trop) rapide, le réformateur n'en rédigeait qu'une seule. En fait, de faire simple, c'est la complication et, pire, l'obscurité, qui prenaient la place. Le sujet était pourtant on ne peut plus crucial car si du côté du créancier poursuivant -qu'il soit saisissant ou subrogé dans les poursuites-, il fallait toujours veiller à ce que le commandement soit en vigueur pour que soit maintenue la régularité des poursuites, du côté du saisi -qu'il soit débiteur ou tiers détenteur- la péremption de cet acte cardinal d'exécution était un moyen de défense imparable. Entre les deux parties, poursuivante et saisie, le juge de l'exécution devait trancher et faire de son mieux pour mettre en oeuvre un texte flou, à la limite du caractère incohérent ou inachevé, incomplet. L'intérêt de la question était on ne peut plus important et il n'est pas surprenant qu'en pratique, de nombreux avocats de créanciers poursuivants n'avaient aucun scrupule à solliciter une prorogation du délai de validité du commandement par simple précaution, c'est-à-dire alors que l'intérêt à agir ainsi n'existait forcément pas, les juges n'ayant alors pas plus de scrupule à faire droit à ces demandes, peu important alors pour eux le risque d'une infirmation, si ce n'est d'une condamnation par voie de cassation.

Au tout début de cette rentrée automnale, par l'arrêt de censure partielle rapporté prononcé en formation restreinte ce 7 septembre 2017, la deuxième chambre civile vient pour la première fois, à notre connaissance, nous préciser sa lecture, et donc son interprétation, des deux articles R. 321-20 (N° Lexbase : L2417ITP) et R. 321-22. Du moins, et compte tenu de leur articulation, elle nous livre la clé de lecture de l'article R. 321-22 en opérant la distinction entre ce qui relève de la suspension du délai de péremption du commandement d'une part, et ce qui participe de sa prorogation, d'autre part. En décidant de diriger vers son solennel Bulletin sa décision, la Haute cour assure une diffusion opportune de cette clé qu'il faudra reproduire. A tous les praticiens maintenant de vérifier si cette clé fonctionne et fonctionne bien. Quant à la manoeuvre de contournement dont pouvaient bénéficier jusqu'ici certains étudiants, elle est désormais amenée à disparaître. Le droit n'en sera que plus riche.

En décidant au double visa de censure des articles R. 321-20 et R. 321-22 "que le délai de péremption du commandement valant saisie immobilière est suspendu par la mention en marge de sa copie publiée d'une décision de justice emportant la suspension des procédures d'exécution, tant que cette décision produit ses effets, ainsi que d'une décision ordonnant le report, en vertu d'une disposition particulière, de l'adjudication ou la réitération des enchères dans l'attente de l'adjudication à intervenir ; qu'en dehors de ces cas, le délai est prorogé par la publication d'un jugement ordonnant la prorogation des effets du commandement", la Cour suprême écrit l'article R. 321-22 tel qu'il aurait dû l'être dans le décret initial, c'est-à-dire, dès le 27 juillet 2006 (sur la suspension ou la prorogation du délai de péremption, cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9645E8Q). Plus de dix années après ce texte, les mots -termes- manquants sont apportés et une ponctuation salutaire est enfin opérée. Les praticiens avisés n'ont aujourd'hui pas d'autre choix que celui de coller de façon matérielle (ou immatérielle) sur le texte même de l'article R. 321-22 le double visa précité et comme par le procédé de l'encre magique, le sens exact de celui-là apparaîtra. Depuis cet arrêt du 7 septembre, les cas de suspension du délai biennal de péremption du commandement sont désormais clairement et strictement définis ; après cela, et ainsi que l'écrivent eux-mêmes les Hauts magistrats, "en dehors de ces cas, le délai est prorogé par la publication d'un jugement ordonnant la prorogation des effets du commandement".

Au-delà de son seul intérêt didactique qui porte sur l'interprétation qui doit être faite de l'article R. 321-22, nous estimons qu'il est plus aisé de comprendre l'arrêt rapporté en le rapprochant de la matière procédurale qui lui a servi de support. Le caractère dense de cette matière n'a rien d'exceptionnel, loin s'en faut.

A l'origine de ce contentieux d'exécution qui n'a comme limite volontaire que celle de la péremption de l'acte de saisie, la suspension de ce délai ou sa prorogation, nous trouvons un commandement de payer valant saisie immobilière qui, signifié le 16 juin 2011, est l'objet d'une publicité au service foncier compétent le 7 juillet 2011. Le 14 février 2013, un premier créancier subrogé a requis et poursuivit l'adjudication aux enchères mais l'adjudicataire n'acquittera jamais son dû. Le 4 juillet 2013, un jugement de prorogation de deux ans des effets du commandement est rendu et publié le même jour. Quelques jours après, le 18 juillet, c'est un autre jugement qui est rendu et qui fixe la date à laquelle il sera procédé à une nouvelle adjudication par réitération des enchères, cette date étant celle du 7 novembre 2013.

A cette audience du 7 novembre 2013, l'adjudication n'a pas été requise en raison d'un règlement opéré au préalable et le créancier alors subrogé n'a conséquemment pas procédé aux formalités de publicité. Toutefois, un autre créancier a sollicité sa subrogation dans les poursuites et par un jugement rendu le 5 décembre 2013, publié le 7 février 2014, faisant droit à cette demande, le juge de l'exécution a fixé au 3 avril 2014 la date d'adjudication par réitération des enchères. A cette date du 3 avril, un jugement a repoussé l'adjudication au 26 juin 2014 et à cette dernière audience, un jugement a été rendu reportant sine die l'adjudication en raison d'un pourvoi en cassation formé contre l'arrêt confirmatif rendu sur le jugement précité de prorogation prononcé le 4 juillet 2013.

Une ordonnance de déchéance du pourvoi a été rendue le 6 novembre 2014, et à la suite de cette décision, le 3 novembre 2015, un troisième créancier inscrit a sollicité du juge de l'exécution, outre sa subrogation dans les poursuites, la prorogation des effets du commandement ainsi que la fixation d'une date de vente. En défense, et pour le seul point qui nous intéresse ici, le débiteur saisi s'est opposé à toute prorogation et a exposé que le commandement est "caduc" (sic) depuis le 3 avril 2014.

Par une décision intéressante qu'il a rendu le 19 novembre 1995 (TGI Paris, 19 novembre 2015, n° 11/00260) -mais qui ne prospérera pas-, le juge de l'exécution a estimé que "la décision de réitération des enchères du 5 décembre 2013 régulièrement publiée en marge du commandement le 7 février 2014 n'a pas opéré une nouvelle prorogation mais a suspendu le délai de péremption courant jusqu'au 4 juillet 2015 et compte tenu des différentes décisions de report de la vente et faute de vente par adjudication, cette suspension est toujours en cours". Partant, il a poursuvi en décidant que "la vente n'ayant à ce jour pas abouti, [le troisième créancier subrogé] est donc bien fondé à solliciter la prorogation des effets du commandement pour une nouvelle durée de deux ans commençant à courir à compter de la vente sur réitération des enchères et à l'expiration de la durée restant à courir à compter de la suspension".

Sur appel de cette décision, la formation spécialisée de la cour d'appel de Paris statuant le 19 mai 2016 (CA Paris, 19 mai 2016, Pôle 4, 8ème ch., n° 15/23028 N° Lexbase : A7392RPH), prend de front le vice rédactionnel de l'article R. 321-22. Comme que le soutient le débiteur saisi appelant, elle considère de façon cohérente que ce texte "contient [...] un seul cas de suspension, soit la mention en marge de la copie du commandement de payer publié d'une décision de justice ordonnant la suspension des procédures d'exécution, et trois cas de prorogation de la durée de ces effets : la publication d'un jugement ordonnant soit la prorogation de ceux-ci, soit le report de la vente, soit la réitération des enchères". Pour elle "il convient d'observer que, dans les deux derniers cas, la procédure approche de son terme, la vente ayant été ordonnée. L'esprit du texte conduit donc à retenir que la durée de prorogation des effets du commandement s'étend jusqu'à la publication de la vente, aucun élément ne justifiant la limitation que souhaite lui donner [le débiteur saisi], étant observé qu'en matière de réitération des enchères, la date de la vente peut être reportée sans qu'une sanction soit encourue". Et la cour de conclure, "au cas d'espèce, la publication le 7 février 2014 du jugement du 5 décembre 2013 proroge les effets du commandement jusqu'à ce que la vente soit publiée. C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que le commandement n'était pas périmé. Le jugement sera donc infirmé seulement en ce qu'il a ordonné la prorogation des effets du commandement au-delà de la publication de la vente, cette mesure étant inutile au regard des dispositions de l'article R. 321-20 précité".

L'argument on ne peut mieux développé par les juges de l'exécution parisiens du second degré ne convient guère au débiteur saisi qui entend que soit constaté ce qu'il désigne à tort la "caducité" du commandement qui grève ses biens et droits immobiliers, c'est-à-dire en réalité, sa péremption. L'argument ne convient pas plus à la Cour régulatrice qui, après avoir enfin donné son code d'accès à l'article R. 321-22 parce que l'occasion lui était présentée, considère que "le jugement ordonnant la réitération des enchères avait uniquement suspendu le cour du délai de péremption, depuis sa publication et jusqu'au 7 novembre 2013, prévue par l'adjudication, et que les renvois ultérieurement ordonnés, pour des motifs étrangers aux causes de report de l'adjudication prévues par les articles R. 322-19 (N° Lexbase : L2438ITH) et R. 322-28 (N° Lexbase : L6800LEL) du Code des procédures civiles d'exécution, étaient sans effet sur le cours de ce délai de péremption".

Partant de ce qui précède, et appliquant à l'espèce cette clé qu'il ne faut pas perdre, donnée par la Haute juridiction, ensemble les articles R. 321-20 et R. 321-22 du Code des procédures civiles d'exécution, publié le 7 juillet 2011, le commandement de payer valant saisie immobilière daté du 16 juin 2011 devait être virtuellement frappé de péremption deux années après, jour pour jour. Toutefois, la décision du juge de l'exécution du 4 juillet 2013, publiée le même jour, ayant décidé de sa prorogation, celle-ci s'est trouvée suspendue par la publication du jugement du 18 juillet 2013 fixant au 7 novembre de la même année la date de l'adjudication sur réitération des enchères, et jusqu'à cette date. Après, et le cas échéant, il appartiendra aux juges composant la cour de renvoi de sortir de nouveau leur almanach et peut-être même leur calculatrice car la suspension d'un délai n'est pas son interruption. A cette heure, le débiteur saisi a déjà dû faire le calcul du délai, si ce n'est le refaire encore.

La décision rapportée aura-t-elle pour directe conséquence d'éviter les demandes de prorogation plus ou moins intempestives que connaissaient de nombreuses juridictions du contentieux de l'exécution immobilière ? Il faut en former le voeu et les juges sauront le faire savoir. Aujourd'hui, et depuis ce 7 septembre, l'article R. 321-22 est lisible. Mieux, il est lisible et compréhensible. Donc applicable. Enfin...

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