Le Quotidien du 31 août 2023

Le Quotidien

Congés

[Brèves] Enfant malade ou handicapé : renforcement de la protection des parents salariés

Réf. : Loi n° 2023-622, du 19 juillet 2023, visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité N° Lexbase : L2156MIP

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N6472BZQ

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par Lisa Poinsot

Le 30 Août 2023

Publiée au Journal officiel du 20 juillet 2023, la loi n° 2023-622 permet aux salariés de bénéficier d’une augmentation de jours de congés pour événements familiaux.

Salarié en congé de présence parentale :

  • protection contre le licenciement

Le salarié qui bénéficie d’un congé de présence parentale peut désormais bénéficier d’une protection contre le licenciement pour toute la durée du congé et durant les périodes travaillées dans les cas où le congé de présence parentale est fractionné ou pris à temps partiel.

L’employeur peut néanmoins le licencier s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’état de santé de son enfant.

  • assouplissement des conditions de versement de l’allocation journalière de présence parentale (AJPP)

La première demande pourra entraîner le versement d’une avance dans l’attente de l’avis favorable du service du contrôle médical des CPAM.

En outre, le caractère explicite de l’accord du service de contrôle parental pour le renouvellement est quant à lui supprimé.

    Pour aller plus loin :

    Salarié en congé pour événements familiaux :

    La durée de certains congés familiaux est allongée :

    • le congé pour décès d’un enfant est porté à 12 jours ouvrables (au lieu de 5 jours) pour un enfant âgé de 25 ans ;
    • le congé pour décès d’un enfant est porté à 14 jours ouvrables (au lieu de 7) lorsque l’enfant est âgé de moins de 25 ans, quel que soit son âge si l’enfant décédé est lui-même parent ou encore en cas de décès d’une personne âgée de moins de 25 ans à la charge effective et permanente du salarié ;
    • le congé pour annonce de la survenue d’un handicap, d’une pathologie chronique nécessitant un apprentissage thérapeutique ou d’un cancer chez un enfant est désormais de 5 jours ouvrables (au lieu de 2).
    Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les congés liés au décès, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0174ETM.

     

    newsid:486472

    Droit pénal international et européen

    [Brèves] MAE délivré pour l’exercice de poursuites pénales : le motif facultatif de refus d’exécution ne s’applique pas

    Réf. : Cass. crim., 9 août 2023, n° 23-84.328, F-B N° Lexbase : A63241DL

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    N6613BZX

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    par Adélaïde Léon

    Le 19 Septembre 2023

    ► L'article 695-22-1 du Code de procédure pénale énumèrant des cas de refus d'exécution facultatifs n'est applicable qu'aux mandats d'arrêt européens délivrés pour l'exécution de condamnations prononcées à l'issue d'un procès au cours duquel l'intéressé n'a pas comparu. Tel n’est pas le cas des mandats d'arrêt européens délivrés pour l'exercice de poursuites pénales, peu important l'existence d'une décision de placement en détention provisoire ordonnée en l'absence de l'intéressé.

    Rappel de la procédure. Un tribunal polonais délivre une ordonnance prescrivant le placement en détention provisoire d’un ressortissant polonais, pour permettre l’exercice de poursuites pénales, des chefs notamment de participation à une organisation criminelle et d’acquisition intracommunautaire de stupéfiants et de substances psychotrope.

    Sur le fondement de cette ordonnance, un autre tribunal régional polonais a délivré un mandat d’arrêt européen à l’encontre de l’intéressé.

    Par la suite, l’individu est placé sous écrou extraditionnel et ne consent pas à sa remise.

    En cause d’appel. Dans le cadre de la procédure d’exécution du mandat d’arrêt européen, la chambre de l’instruction a rejeté la demande du prévenu tendant au refus d’exécution du mandat d’arrêt européen et rejeté le moyen tiré du motif de non-exécution facultatif de l’article 695-22-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1571MAG estimant que celui-ci n’était pas applicable, car le mandat n’était émis que pour l’exercice de poursuite.

    Or, l’article 695-22-1 du Code de procédure pénale prévoit que lorsque le mandat d’arrêt européen est émis aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté, son exécution peut être refusée dans le cas où l’intéressé n’a pas comparu en personne lors du procès à l’issue duquel la peine ou la mesure de sûreté a été prononcée.

    Le ressortissant polonais a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.

    Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir ainsi statué alors que le motif de refus de remise facultatif visé à l’article 695-22-1 du Code de procédure pénale peut être opposé lorsque le mandat est émis aux fins d’exécution d’une mesure de sûreté privative de liberté. Or, selon le prévenu, tel est le cas d’un mandat d’arrêt émis en vertu d’une ordonnance de placement en détention provisoire et pour permettre l’exercice de poursuites pénales.

    Décision. La Haute juridiction rejette le pourvoi au visa de l’article 695-22-1 du Code de procédure pénale.

    Selon la Chambre criminelle, l’article 695-22-1 du Code de procédure pénale doit être interprété à la lumière de la décision-cadre 2008/909/JAI, du Conseil du 27 novembre 2008 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l'Union européenne.

    Il résulte de cette interprétation que cet article n’est applicable qu’aux mandats d’arrêt européens délivrés pour l’exécution de condamnations prononcées à l’issue d’un procès au cours duquel l’intéressé n’a pas comparu.

    En revanche, il n’est pas applicable aux mandants d’arrêt européens délivrés pour l’exercice de poursuites pénales, nonobstant l’existence d’une décision de placement en détention provisoire ordonnée en l’absence de l’intéressé.

    Pour aller plus loin :

    • A. Gogorza et Th. Herrant, Panorama de droit pénal international et européen (mai 2022 – avril 2023), Lexbase Pénal, mai 2023 N° Lexbase : N5460BZA.
    • G. Taupiac-Nouvel, ÉTUDE : L'exécution des peines dans l'Union européenne, Les motifs du refus de reconnaissance et d'exécution, Droit pénal général (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E1758GAD.

    newsid:486613

    Mineurs

    [Brèves] Placement de l’enfant chez un tiers digne de confiance : précisions réglementaires

    Réf. : Décret n° 2023-826, du 28 août 2023, relatif aux modalités d'accompagnement du tiers digne de confiance, de l'accueil durable et bénévole par un tiers et de désignation de la personne de confiance par un mineur N° Lexbase : L5769MII

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    N6612BZW

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    par Anne-Lise Lonné-Clément

    Le 30 Août 2023

    ► Publié au Journal officiel du 30 août 2023, le décret n° 2023-826, du 28 août 2023, vient préciser les modalités d'accompagnement du tiers digne de confiance, de l'accueil durable et bénévole par un tiers et de désignation de la personne de confiance par un mineur.

    Pour mémoire, la loi n° 2022-140, du 7 février 2022, relative à la protection des enfants  N° Lexbase : L1950MBT, est venue accorder une priorité à l’accueil de l’enfant par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance avant de le confier à l’ASE. La faveur légale pour le placement de l’enfant chez un proche se manifeste notamment par la mise en place d’une information et d’un accompagnement du membre de la famille ou de la personne digne de confiance auprès de qui l’enfant est placé par un référent de l’ASE, en l’absence de mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (v. A. Gouttenoire et Y. Favier, La loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfant : une réforme pragmatique, Lexbase Droit privé, mars 2022, n° 899 N° Lexbase : N0880BZM).

    • S’agissant, tout d’abord, des modalités de l'information et de l'accompagnement du tiers de confiance, désigné par le juge des enfants, auquel un enfant a été confié, un nouvel article D. 221-24-2 du Code de l'action sociale et des familles précise qu’il s’agit d'assurer :

    1° La bonne prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant par le membre de la famille ou le tiers digne de confiance à qui l'enfant a été confié ;

    2° L'implication de ces derniers dans la mise en œuvre du projet pour l'enfant, en veillant en particulier à sa bonne santé et au suivi de sa scolarité ;

    3° La contribution de cet accueil au développement physique, affectif, intellectuel et social de l'enfant.

    Cet accompagnement apporte aide et soutien au membre de la famille ou au tiers digne de confiance à qui l'enfant a été confié. Les modalités de contact d'urgence avec le service de l'aide sociale à l'enfance ou l'organisme habilité sont déterminées par le président du conseil départemental.

    L'accompagnement prend notamment la forme d'entretiens et de visites au domicile du membre de la famille ou du tiers digne de confiance à qui l'enfant a été confié, par un référent désigné par le service de l'aide sociale à l'enfance ou par l'organisme habilité. Ce référent rencontre également l'enfant, de manière régulière et autant que de besoin. Cet accompagnement est renforcé pour les enfants de moins de trois ans.

    L'accompagnement prend en compte le lien avec les parents et peut prendre appui sur un réseau de partenaires de proximité.

    L’article D. 221-24-3 du même code prévoit également la mise en place d'évaluations régulières, qui sont transmises au juge des enfants par le président du conseil départemental.  

    • S’agissant, ensuite, des modalités d'accueil durable et bénévole par un tiers, l’article D. 221-24-4 du même code précise que ces personnes perçoivent une allocation qui couvre les dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite de l'enfant, conformément aux dispositions de l'article L. 228-3 du présent code N° Lexbase : L5300DKI. Cette indemnité est calculée conformément aux dispositions de l'article R. 228-3 N° Lexbase : L5520G7L ; le montant et les modalités de versement de l’allocation sont fixées par le président du conseil départemental.
    • Enfin, le texte vient préciser les modalités de désignation, par chaque mineur bénéficiant d'une prestation d'aide sociale à l'enfance, de la personne de confiance de son choix. Selon le nouvel article D. 223-11-1, le mineur est informé, par le service de l'aide sociale à l'enfance, qu'il peut désigner une personne de confiance, en application de l'article L. 223-1-3 N° Lexbase : L2381MBS. Le mineur procède, par écrit ou oralement, à la désignation de la personne de confiance, qu'il choisit librement en concertation avec son éducateur référent.

    newsid:486612

    Sociétés

    [Jurisprudence] La nature des actes pouvant faire l’objet d’une reprise par une société immatriculée

    Réf. : Cass. com., 17 mai 2023, n° 22-16.031, F-B N° Lexbase : A39419UI

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    N6254BZN

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    par Marie Pierre, Professeur associé, Département Droit des Affaires et management des ressources humaines – TBS EDUCATION, Avocat à la cour

    Le 28 Juillet 2023

    Mots-clés : société en formation • mécanisme de reprise • nature des actes • engagements contractuels ­• obligations délictuelles ou quasi délictuelles • concurrence déloyale • responsabilité ­• fait générateur.

    Si la responsabilité de la personne morale résulte de celle de ses organes et notamment de la faute de ses dirigeants, encore faut-il que la qualité de dirigeant existe au moment des faits. Dans la mesure où la société n'était ni constituée ni immatriculée aux moments des faits litigieux, les agissements fautifs de son fondateur ne pouvaient engager sa responsabilité.


    La société acquiert la personnalité morale à compter de son immatriculation [1]. Une période plus ou moins longue peut donc s’écouler entre le moment où le projet de constitution de la société par les fondateurs prend forme, lors de la signature des statuts ou même quelque temps avant [2], et l’immatriculation de la société au Registre national des entreprises (RNE) [3]. Or, des actes nécessaires à la préparation de l’activité sociale peuvent être conclus par les fondateurs antérieurement à cette date [4]. À défaut de capacité juridique, la société ne peut pas contracter et n’est donc pas engagée. Cette période de formation est régie par les articles 1843 du Code civil N° Lexbase : L2014AB9 et L. 210-6 du Code de commerce N° Lexbase : L5793AIE. Ces textes indiquent que les engagements souscrits pendant la phase de constitution de la société pèsent sur ceux qui les ont contractés, à moins d’être repris par celle-ci lors de son immatriculation ou postérieurement à cette date [5], sous réserve que les fondateurs aient agi non dans leur intérêt personnel, mais au nom et pour le compte de la société en formation. La reprise permet dès lors non seulement d’accroître la confiance des tiers dans la mesure où les engagements sont pris en charge par la société, mais protège aussi les fondateurs en limitant leur responsabilité personnelle à l’égard des cocontractants.

    Quelle est précisément la nature des actes susceptibles d’être repris par la société une fois celle-ci immatriculée ? Est-ce que les obligations nées de faits délictuels ou quasi délictuels accomplis par les fondateurs pourraient également donner lieu à reprise ? Sur ce point, la doctrine est apparue divergente [6]. Sans répondre de manière catégorique, la jurisprudence semble de son côté exclure les faits délictuels ou quasi délictuels du mécanisme de reprise, en empruntant des chemins quelque peu différents. Le raisonnement des juges s’appuie parfois sur la technique de la représentation, et plus précisément sur l’imputabilité à la société des faits fautifs commis par ses organes, comme l’illustre le récent arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 mai 2023. D’autres décisions proposent une autre voie, orientée vers la recherche de faits générateurs distincts : la faute imputable à la société immatriculée, distincte de celle commise par son fondateur.

    L’impossible imputabilité à la société des agissements déloyaux commis par les fondateurs avant son immatriculation. Les faits à l’origine de l’affaire qui a donné lieu à la décision de la Cour de cassation le 17 mai dernier sont simples : le 16 septembre 2014, le salarié d’une société transfère de sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle divers documents commerciaux techniques stratégiques, notamment des fichiers clients potentiels, avant son licenciement, intervenu le 26 septembre 2014. À peine plus d’un mois après avoir été licencié, le salarié crée une société concurrente à celle de son ancien employeur. Ce dernier engage alors une action en concurrence déloyale contre la société nouvellement constituée, invoquant un trouble commercial lié au détournement de ces documents commerciaux, et obtient gain de cause devant la cour d’appel. Les juges du fond retiennent la faute, considérant d’une part que les transferts des messages, qualifiables de détournements, étaient destinés à servir les intérêts de l’ancien salarié dans la perspective de la création d’une autre société dont il est devenu le dirigeant. Ils considèrent, d’autre part, que les actes de concurrence déloyale reprochés à une personne morale s'apprécient en considération de ceux des personnes physiques qui lui sont attachées, telles que leur dirigeant. Statuant sur les deux moyens, la Haute juridiction casse l’arrêt au visa des articles 1382, devenu 1240 N° Lexbase : L0950KZ9, du Code civil, et de l’article L. 210-6 du Code de commerce.

    S’agissant du détournement des documents, la Cour considère, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, que la faute n’est pas suffisamment caractérisée, à défaut de constater l'appropriation ou la détention par la société concurrente des informations confidentielles obtenues pendant l'exécution du contrat de travail du salarié.

    Sur le second moyen, la Cour de cassation indique qu’il résulte de l’article 1240 du Code civil que la faute de la personne morale résulte de celle de ses organes. Elle rappelle également les termes de l’article L. 210-6 du Code de commerce, selon lequel les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au Registre du commerce et des sociétés ; les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Elle censure alors la cour d’appel qui, pour condamner la société pour concurrence déloyale, avait considéré que les actes reprochés à une personne morale s'apprécient en considération de ceux des personnes physiques qui lui sont attachées, telles que leur dirigeant ; selon la haute Cour, à la date des faits litigieux, la société n'était ni constituée ni immatriculée, de sorte que les agissements fautifs de l’ancien salarié, qui n’était pas encore dirigeant, ne pouvaient engager sa responsabilité.

    La responsabilité de la société est donc écartée non seulement parce que la faute à son égard n’est pas caractérisée, mais aussi parce que l’imputabilité à la société de la faute commise par son dirigeant, sous-tendue par la technique de la représentation, ne peut être relevée, faute d’existence de la société à la date des faits.

    Il convient de rapprocher cette décision d’un arrêt fort ancien – et sans doute le seul – de la cour d’appel de Paris qui avait retenu que les conséquences d’un fait de concurrence déloyale perpétré par les fondateurs pendant la période de formation ne sauraient être supportées par la société par le jeu de la reprise [7]. En l’espèce, des cadres, après avoir démissionné d’une entreprise pour créer une société concurrente, avaient débauché des salariés de leur ancienne société et leur avaient consenti des contrats de travail au nom de la nouvelle société non encore immatriculée. La reprise des contrats ayant eu lieu, l’ancien employeur assigna la société concurrente nouvellement créée en dommages et intérêts. La cour d’appel avait alors décidé que l’article 5 alinéa 2 de la loi du 24 juillet 1966 [8] ne concernait que les engagements commerciaux, et ne saurait englober un fait de concurrence déloyale.

    Dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le reproche fait aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé la faute de la société doit retenir notre attention. Puisque la faute du fondateur ne peut être imputée à une société non immatriculée, la responsabilité de celle-ci ne peut reposer que sur un fait générateur distinct, qui lui est personnellement imputable. C’est sans doute ce fait générateur qu’il convient de relever, comme l’indiquent un certain nombre de décisions.

    Un fait générateur distinct. Certaines fautes commises par les fondateurs d’une société ont un lien évident avec des actes de concurrence déloyale imputables à celle-ci une fois immatriculée. Pour autant, la condamnation de la société implique de relever une faute qui lui est personnellement imputable, distincte de celle retenue à la charge de son fondateur [9].

    Par exemple, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1991 [10], deux anciens salariés d’une société liés à celle-ci par une clause de non-concurrence ont, après avoir démissionné de celle-ci, fondé dans la même localité une société concurrente dont ils sont devenus les co-gérants. L’ancien employeur a alors assigné la société nouvellement créée en concurrence déloyale. Pour censurer les juges du fond qui avaient rejeté cette demande, la Cour de cassation a rappelé, au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil et de l’article 5 de la loi du 24 juillet 1966, devenu L. 210-6 du Code de commerce, que « toute personne qui, sciemment, emploie un salarié en violation d'une clause de non-concurrence souscrite par ce dernier commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction » [11].

    La solution vise le réembauchage des salariés par une société concurrente alors qu’il s’agissait en réalité de la création d’une société par ces derniers. Sans doute la Cour a-t-elle choisi de s’aligner sur la jurisprudence, constante, selon laquelle toute personne qui, sciemment, embauche un salarié en violation d'une clause de non-concurrence souscrite par ce dernier, commet une faute délictuelle et s’expose à une condamnation pour concurrence déloyale, sans qu’il soit nécessaire d’établir à son encontre l’existence de manœuvres déloyales [12], étant complice de la violation par le salarié de l’obligation contractuelle de non-concurrence [13]. La responsabilité délictuelle du nouvel employeur peut être recherchée au moyen d’une action en concurrence déloyale. Une telle action ne fait pas obstacle à celle portée devant le conseil de prud’hommes par l’ancien employeur, en réparation du préjudice causé par la faute – de nature contractuelle – du salarié [14]. Ces deux actions, l'une délictuelle et l'autre contractuelle, tendent à la réparation d'un préjudice différent et peuvent se cumuler [15]. La complicité de la société concurrente constitue le fait générateur de la responsabilité délictuelle du nouvel employeur. Sa faute est caractérisée, sans qu’il soit besoin d’établir à son encontre l’existence de manœuvres déloyales [16].

    Une solution similaire a récemment été retenue dans une affaire impliquant un salarié, non lié cette fois par une clause de non-concurrence, mais qui avait fondé une société concurrente à celle de l’employeur avant même le terme de son contrat de travail. Les juges du fond avaient considéré que le contrat ne stipulant pas de clause de non-concurrence, il n’existait pas de faute imputable à l’ancien salarié dont la nouvelle société se serait rendue complice. Au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel, au motif que « constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d’une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant ceux-ci » [17]. Là encore, la faute de la société est caractérisée par manquement à la réglementation, ayant été constituée alors même qu’un contrat de travail liait toujours son fondateur par ailleurs [18].

    À l’inverse et logiquement, la Cour de cassation a écarté la responsabilité pour concurrence déloyale d’une société créée par un ancien salarié d’une entreprise concurrente – non tenu par une clause de non-concurrence –, dans la mesure où cette création était intervenue après la rupture de son contrat de travail ; le salarié avait certes commencé à préparer son activité professionnelle future alors qu’il était encore en poste, mais, selon la Cour, la concurrence avec son ancien employeur n’était devenue effective qu’une fois le contrat de travail rompu [19]La faute de la société nouvellement constituée n’était donc pas caractérisée.

    Sans se prononcer de manière explicite sur la nature des actes accomplis par les fondateurs et pouvant faire l’objet d’une reprise par la société immatriculée, la jurisprudence semble viser les seuls engagements contractuels. La responsabilité délictuelle de la société ne peut pas se fonder sur le mécanisme d’imputabilité à son encontre d’actes de concurrence déloyale commis par son fondateur pendant la période de formation, faute d’être dotée de la personnalité juridique à cette date. La représentation de la société par ses organes dirigeants est en effet hors de propos. Il convient donc de rechercher un fait générateur distinct, autrement dit de caractériser la faute de la société immatriculée, quand bien même celle-ci est étroitement liée aux agissements fautifs du fondateur : il s’agit pour la société de débuter son activité et de réaliser des actes d’exploitation par manquement à la réglementation et au mépris de la loyauté de la concurrence.

    Réserver le mécanisme de reprise aux seuls engagements contractuels pour le compte de la société en formation apparaît conforme à l’esprit des textes, notamment les articles 1843 du Code civil et L. 210-6 du Code de commerce : les termes « engagement », « actes », « souscrits », « obligations », « contractées », font écho au vocable utilisé dans le domaine des obligations contractuelles. En outre, si la reprise est destinée à protéger les fondateurs en limitant leur responsabilité personnelle à l’égard des cocontractants, elle ne fait jamais disparaître la responsabilité délictuelle de l’auteur d’un fait fautif.


    [1] C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIE.

    [2] Si la fin de la période de formation ne fait pas de doute et correspond à la date de l’immatriculation de la société, le début de cette période est plus difficile à identifier.

    [3] Anciennement Registre du commerce et des sociétés (RCS). Depuis le 1er janvier 2023, le Registre national des entreprises est l'unique organisme d'immatriculation pour les entités françaises exerçant une activité économique.

    [4] Par exemple un contrat de travail, un contrat de bail, etc.

    [5] Selon les cas, soit de manière automatique lors de l’immatriculation de la société, soit après cette date sur décision de l’assemblée générale.

    [6] V. J.-P. Sortais, Constitution des sociétés, Immatriculation des sociétés, Rép. Sociétés, n° 196 ; A. Reygrobellet, La faute ne peut pas être imputée à la société non encore constituée ni immatriculée, Dalloz Actualité, 14 juin 2023.

    [7] CA Paris, 24 février 1977, JCP G, 1978, II, 18957, Note Y. Chartier ; Rev. Sociétés, 1978, 471, note D. Randoux ; RTD com., 1978, 580, obs. C. Chapaud.

    [8] Loi n° 66-537, du 24 juillet 1966, sur les sociétés commerciales, ancien art. 5, al. 2 N° Lexbase : L6202AGS, devenu larticle L. 210-6 du Code de commerce : « Les personnes qui ont agi au nom dune société en formation avant quelle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits à l'origine par la société ».

    [9] V. par ex. Cass. com., 3 décembre 2002, n° 99-21.758, F-D N° Lexbase : A1690A4D, bien que dans cette affaire la responsabilité de la société a été écartée.

    [10] Cass. com., 5 février 1991, n° 88-18.400 N° Lexbase : A9398AAC.

    [11] On peut se demander si le visa de l’article 5 de la loi de 1966 était vraiment nécessaire.

    [12] Cass. com., 16 octobre 2019, n° 18-15.418, F-D N° Lexbase : A9442ZR7. La démonstration de telles manœuvres demeure toutefois nécessaire en l’absence de clause de non-concurrence afin de pouvoir prouver la faute de la part de l’entreprise concurrente.

    [13] V. par ex. Cass. com., 23 avril 1985, n° 83-14.017 N° Lexbase : A2519AAK – Cass. com., 16 octobre 2019, préc.

    [14] Cass. com., 28 janvier 2005, n° 02-47.527, F-P+B N° Lexbase : A2966DGX – Cass. com., 24 mars 1998, n° 96-15.694 N° Lexbase : A5468ACI.

    [15] Cass. com., 24 mars 1998, n° 96-15.694, préc.

    [16] Cass. com., 16 octobre 2019, préc. La démonstration de telles manœuvres sera toutefois nécessaire en l’absence de clause de non-concurrence afin de pouvoir prouver la faute de la part de l’entreprise concurrente.

    [17] Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-19.860, F-B N° Lexbase : A85188XR. À l’inverse, pour cependant une décision plus ancienne, v. Cass. com., 3 décembre 2002, n° 99-21.758 N° Lexbase : A1690A4D : une société est créée par un associé d’une autre société concurrente dont il était resté associé. Pour décider que la société nouvellement constituée s’était rendue coupable de concurrence déloyale, les juges du fond ont retenu que la création, par un associé, d’une société concurrente est constitutive d’une faute à l’égard de la personne morale dont il était resté associé et que cette faute de son fondateur est imputable à la nouvelle société qui doit en répondre. Sur le visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil et de l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 210-6 du Code de commerce, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait statué « sans relever l’existence d’une faute personnellement imputable à la société […] distincte de celle retenue à la charge » de son fondateur.

    [18] Durant l’exécution du contrat de travail, une obligation de non-concurrence de plein droit interdit au salarié, même en l’absence de clause expresse, d’exercer une activité concurrence à celle de son employeur. Cette obligation résulte de l’exigence de bonne foi contractuelle rappelée aux articles 1134 Code civil N° Lexbase : L0857KZR et L. 1222-1 du Code du travail N° Lexbase : L0806H9Q.

    [19] Cass. com., 11 mars 2014, n° 13-11.114, F-D N° Lexbase : A9356MGM.

    newsid:486254

    Sociétés

    [Brèves] Formalités : transposition de la Directive n° 2019/1151

    Réf. : Décret n° 2023-830, du 28 août 2023, relatif à la mise à jour des actes et informations de certains établissements et sociétés N° Lexbase : L5770MIK

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    N6609BZS

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    par Perrine Cathalo

    Le 13 Septembre 2023

    ► Publié au Journal officiel du 30 août 2023, le décret n° 2023-830, du 28 août 2023, est pris pour la transposition de la Directive n° 2019/1151, du 20 juin 2019, modifiant la Directive n° 2017/1132 en ce qui concerne l'utilisation d'outils et de processus numériques en droit des sociétés N° Lexbase : L0120LRU.

    Plus en détail, le décret n° 2023-830 :

    • prévoit les diligences à accomplir par le greffe lorsqu'il est informé par le teneur de registre d'un autre État membre de l'immatriculation ou de la radiation d'un établissement d'une société dont le siège se situe en France (C. com., art. R. 123-71, al. 3 N° Lexbase : L5896MI9) ;
    • fixe les diligences à accomplir par le greffe du lieu de l'immatriculation d'un établissement d'une société ayant son siège dans un autre État membre lorsqu'il est informé par le teneur de registre de cet État de la modification d'informations relatives à cette société (C. com., art. R. 123-71, al. 4) ;
    • prévoit les informations que doit transmettre le greffier au teneur de registre d'un autre État membre en cas d'immatriculation ou de radiation d'un établissement d'une société dont le siège se situe dans cet État (C. com., art. R. 123-71-1 N° Lexbase : L5897MIA) ; et
    • détermine les informations relatives à la société immatriculée en France qui doivent être transmises au teneur de registre de l'État membre dans lequel est immatriculé un établissement de cette société, en cas de modification de ces informations (C. com., art. R. 123-71-2 N° Lexbase : L5898MIB).

    Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 31 août 2023.

    Pour en savoir plus :

    • v. V. Téchené, Publication au JOUE de la Directive relative à l’utilisation d’outils et de processus numériques en droit des sociétés, Lexbase Affaires, juillet 2019, n° 602 N° Lexbase : N9990BXB ;
    • v. P. Cathalo, Union européenne : la Commission poursuit la numérisation du droit des sociétés, Lexbase Affaires, avril 2023, n° 752 N° Lexbase : N4924BZE.

    newsid:486609

    Universités

    [Questions à...] Quel contrôle du juge administratif sur le contentieux de l'enseignement supérieur ? - Questions à Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

    Lecture: 12 min

    N4339BZQ

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    Le 26 Juillet 2023

    Mots clés : enseignement supérieur • enseignants chercheurs • dignité • impartialité • intégrité

    Si les enseignants chercheurs sont soumis au droit de la fonction publique, leur statut particulier leur assure également une grande indépendance ayant pu les mener, du moins selon le juge administratif, à sortir de leur devoir de réserve dans deux affaires jugées par la Haute juridiction administrative à la fin de l'année 2022. Cette dernière peut en outre, régulièrement être amenée à avoir des relations conflictuelles avec les structures internes à la vie universitaire, chargées de faire respecter par les enseignants les obligations (impartialité, intégrité) qui leur incombent dans l'exercice de leurs fonctions. Pour faire le point sur cette thématique, Lexbase Public a interrogé Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas.


     

    Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les grands principes auxquels doivent se conformer les enseignants chercheurs dans l'exercice de leurs fonctions ?

    Didier Truchet : L’architecture des grands principes ressemble à un comprimé multi-couches. La première vient du droit de la fonction publique. Fonctionnaires de l’État, les enseignants-chercheurs sont soumis aux obligations désormais codifiées dans le Code général de la fonction publique : dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité, prévention des conflits d’intérêts, discrétion professionnelle, non-cumul. Ils bénéficient de la liberté d’expression, de la liberté syndicale, des droits de grève, à la non-discrimination, à la protection fonctionnelle. La deuxième couche vient de leur statut particulier d’enseignant-chercheur (Code de l’éducation et décret n° 84-431 du 6 mai 1984 N° Lexbase : L7889H3L) : bénéficiant d’un principe constitutionnel d’indépendance statutaire, ils « jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité » (C. éduc, art. L. 952-2 N° Lexbase : L5715LZP). Les règles relatives au temps de travail (partagé par moitié entre l’enseignement et la recherche), au cumul d’activités, à l’auto-administration des Universités et des corps de Professeurs et de maîtres de conférences sont spécifiques. Une troisième couche concerne leur activité de recherche : il s’agit surtout, en l’état actuel des textes, de l’intégrité scientifique (C. rech., art. L. 221-2 N° Lexbase : L2190IC4).

    Mais les textes ne disent pas tout : les traditions jouent aussi un grand rôle, chaque discipline ayant d’ailleurs les siennes. Mais l’attachement aux « libertés universitaires » (mentionnées dans l’article L. 952-2 du Code de l’éducation depuis la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, de programmation de la recherche N° Lexbase : L2694LZS) est général, même si le contenu et l’évolution de celles-ci ne font pas l’unanimité [1]. Les enseignants-chercheurs se méfient par nature du pouvoir exercé par le ministère ou par les Universités dont l’autonomie croissante accroît considérablement les pouvoirs de leurs présidents. Le principe d’obéissance hiérarchique n’a souvent pas beaucoup de sens pour eux. Ils sont d’ailleurs parmi les rares fonctionnaires à n’être pas notés par leur « supérieur » (qui est avant tout, un pair) et ne sont pas soumis à une obligation d’entretien déontologique avec lui. Et ils sont totalement libres de leur expression en cours et dans leurs publications, sauf bien sûr, à ne pas enfreindre la loi pénale. Si cette liberté qui est au cœur de nos fonctions, paraît aujourd’hui menacée, ce n’est pas tant par le pouvoir politique ou administratif que par certains étudiants, quelques associations, voire des entreprises tentées de leur intenter des « procédures bâillon ».

    Lexbase : Le juge administratif en a-t-il jusqu’ici plutôt fait une interprétation extensive ou restrictive selon vous ?

    Didier Truchet : Entre les universitaires (les juristes, particulièrement) et le « Palais Royal », plane un grand malentendu. En conférant une valeur constitutionnelle à la « garantie de l’indépendance » des enseignants-chercheurs, la célèbre décision du Conseil constitutionnel n° 84-165 DC du 20 janvier 1984 N° Lexbase : A8085ACG leur avait donné l’impression que ce principe les protégerait contre toute atteinte du législateur au libre exercice de leurs fonctions. Or le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État en ont réduit la portée à quelques aspects seulement du statut : une représentation propre dans les conseils des Universités et une évaluation scientifique par leurs pairs (ce qui revenait surtout à les rendre indépendants des étudiants). En revanche, le principe constitutionnel ne s’applique pas aux fonctions des enseignants-chercheurs ; envers celles-ci, l’indépendance n’est qu’une règle législative, qui ne s’impose donc pas au législateur.

    De nombreux membres de la juridiction administrative connaissent assez bien sinon l’Université, du moins les facultés de droit dans lesquelles ils enseignent comme « PAST ». L’influence du Conseil d’État ne se borne pas à sa jurisprudence : le Conseil national de l’enseignement et de la recherche statuant en formation disciplinaire et le Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche sont présidés par des conseillers d’État désignés par le vice-président du Conseil d’Etat. En outre, sans que cela soit obligatoire, un conseiller d’État siège presque toujours dans le jury d’agrégation de droit public. On peut imaginer que cette connaissance de l’université sert à éclairer le délibéré lorsque le Conseil d’État connaît du contentieux universitaire [2]. Ce contentieux n’est pas considérable [3]. S’agissant des enseignants-chercheurs, il porte surtout sur les recrutements dans les deux corps et sur la jurisprudence du CNESER.

    Synthétiser la jurisprudence n’est pas facile. De manière générale, je pense qu’elle applique les principes à l’enseignement supérieur comme elle le fait à l’égard de tout service public, avec en outre le souci implicite (que le Conseil constitutionnel partage) de ne pas compliquer la tâche du Parlement et du Gouvernement lorsqu’ils entreprennent de le réformer, ce qui est souvent explosif. Cependant, la jurisprudence reconnaît aux universitaires des espaces spécifiques d’indépendance, notamment en refusant de contrôler les appréciations souveraines des jurys d’examen et de concours (notamment de recrutement). Elle se montre également réaliste et nuancée en admettant que certaines règles soient appliquées souplement lorsque l’Université ne peut pas faire autrement. Par exemple, alors que les Professeurs doivent normalement être recrutés par des Professeurs, le Conseil d’État n’a pas censuré la participation de maîtres de conférences au processus dans un cas où l’unité de recherche de rattachement ne comportait aucun Professeur [4]. De même, il juge que « la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline » peuvent conduire à apprécier avec souplesse l’impartialité des membres d’un comité de sélection en admettant qu’ils aient eu inévitablement des liens scientifiques avec des candidats [5].

    Lexbase : Plusieurs décisions récentes ont fait l'objet d'un certain retentissement. Pouvez-vous nous les présenter ?

    Didier Truchet : Deux décisions ont retenu l’attention. Elles ont pour points communs d’avoir été rendues par le Conseil d’État statuant comme juge de cassation des décisions du CNESER (qui ont une nature juridictionnelle et non pas administrative), aux conclusions (disponibles sur la base « Ariane ») de M Raphaël Chambon et de porter sur le comportement reproché par leur Université à des enseignants-chercheurs à l’occasion d’actions menées dans les locaux universitaires par des étudiants opposés à la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018, relative à l’orientation et à la réussite des étudiants N° Lexbase : L4718LIL. Mais elles n’ont pas la même portée.

    La première, qui sera mentionnée dans les Tables du Recueil Lebon, est la décision n° 451523 du 15 novembre 2022 N° Lexbase : A13068TK. L’Université de Nantes reprochait à un maître de conférences de sociologie, M. B…, de s’être associé par ses paroles et sa posture à l’attitude menaçante d’étudiants envers le personnel administratif de l’Université. En première instance, la section disciplinaire lui avait infligé un retard de six mois dans l’avancement d’échelon, ramené à trois mois, en appel, par le CNESER, lequel a considéré qu’en n’ayant pas contribué à apaiser la situation, M. B… avait manqué à son obligation de neutralité qui s’imposait tout particulièrement dans de telles situations. Le Conseil d’État annule la décision du CNESER, au motif que le comportement de M. B… ne constituait pas un manquement à l’obligation de neutralité telle qu’elle s’impose aux universitaires par combinaison des articles que j’ai cités plus haut du Code général de la fonction publique et du Code de l’Éducation. M. B… n’en est pas quitte pour autant : l’affaire est renvoyée au CNESER. La tâche de ce dernier sera délicate : osera-t’il ignorer en pratique (comme il en a le droit en tant que juge du fond) les propos du rapporteur public qui après l’avoir invité à « prendre position clairement position sur les faits établis, ce qu’il s’est abstenu de faire […] », déclare douter que M. B… ait commis une faute disciplinaire ?

    La seconde décision, non mentionnée au Recueil, est la décision n° 465304 du 30 décembre 2022 N° Lexbase : A152487L. Les faits avaient été amplement médiatisés à l’époque : ils avaient en effet de quoi surprendre ! En compagnie du doyen, un Professeur d’histoire du droit, M. CB…, avait participé à un commando qui avait brutalement expulsé des étudiants et des personnes étrangères à l’université qui occupaient un amphithéâtre de la Faculté de droit de Montpellier. Il a été condamné par le tribunal correctionnel à 14 mois de prison (dont huit avec sursis) et à l’interdiction de tout emploi public pendant un an, par un jugement [6] intervenu entre la décision disciplinaire de première instance et celle d’appel. La première a prononcé sa révocation (la plus grave des sept peines prévues par le CGFP) avec interdiction définitive d’exercer toute fonction dans un établissement d’enseignement supérieur public. En appel, le CNESER a choisi la cinquième sanction : interdiction d’exercer pendant quatre ans, avec privation du traitement. Saisi d’un pourvoi de la ministre, le Conseil d’État a cassé la décision du CNESER au motif qu’elle prononçait « une sanction hors de proportion avec les fautes commises » (autrement dit, trop faible). L’affaire est renvoyée au CNESER qui en pratique, n’aura le choix qu’entre la mise à la retraite d’office (la sixième sanction) et la révocation.

    Lexbase : Quelle philosophie se dégage de ces arrêts ? En approuvez-vous l'orientation ?

    Didier Truchet : À mes yeux, la leçon la plus intéressante concerne les pouvoirs que le Conseil d’État, plus que jamais maître de son office, exerce comme juge de cassation. Je ne suis pas surpris de voir le Conseil d’État aller plus loin dans le contrôle du juge du fond que ce que faisait traditionnellement un juge de cassation : c’est sa jurisprudence depuis la décision « Bonnemaison » [7]. Mais je le suis, dans ces deux affaires, par son degré d’intrusion dans la liberté de jugement du CNESER ! Ce dernier n’a sans doute pas bonne presse au Palais Royal, comme en témoigne le nombre très élevé de ses décisions qui ont été cassées pour des vices de procédure. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, de transformation de la fonction publique N° Lexbase : L5882LRB, en a confié la présidence à un conseiller d’État lorsqu’il statue en matière disciplinaire (C. éduc., art. L. 232-3 N° Lexbase : L6803LRE). Une partie de la communauté universitaire a vu dans cette réforme un nouveau recul des libertés universitaires puisque les enseignants-chercheurs ne se jugent plus exclusivement entre eux. Mais il n’est pas illogique qu’une juridiction administrative soit présidée par un conseiller d’État, comme c’est par exemple le cas des juridictions disciplinaires des professions de santé. Et contrairement à ces dernières, la section disciplinaire des conseils académiques reste présidée par un Professeur.

    Dans l’affaire montpelliéraine, les faits justifient-ils que leur auteur soit exclu à vie de l’Université, comme le pense manifestement le Conseil d’État ? Chacun peut avoir son opinion ! La mienne est que cette sanction (outre la sanction pénale) est vraiment très lourde, même si le comportement de l'intéressé me semble inadmissible et ahurissant. C’est à l’autorité de police compétente d’expulser des étudiants qui empêchent le service public de fonctionner, pas aux universitaires, avec violence qui plus est ! La loi de programmation de la recherche avait tenté de créer un délit d’intrusion et de maintien illicite dans une enceinte universitaire, mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel non au fond, mais parce qu’elle était un « cavalier législatif » (décision n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020, N° Lexbase : A71724AU, § 38).

    L’affaire nantaise est plus riche d’enseignements, non pas tant dans la décision elle-même que dans les conclusions. La neutralité qui s’impose à tout agent public doit être corrélée avec la liberté d’expression particulièrement forte et l’obligation de réserve particulièrement faible des enseignants-chercheurs. Au demeurant, fonder la sanction sur un manquement à la neutralité n’était pas une bonne idée : elle impose de traiter les agents et les usagers indépendamment de toute considération politique, religieuse, idéologique etc. Je comprends bien que le président de l’Université ait en engageant une action disciplinaire, entendu montrer sa solidarité avec le personnel, choqué par l’attitude de M. B … mais je vois mal en quoi celui-ci aurait manqué à la neutralité en manifestant par sa présence un soutien à un mouvement collectif d’étudiants : ce comportement (que je n’approuve pas !) ne préjuge pas son attitude ou ses décisions lors d’un cours ou d’un examen. Je lui fais crédit de faire alors preuve de la tolérance qui est au cœur de notre métier, si malmenée qu’elle puisse être aujourd’hui.

    On peut donc lire ces deux décisions comme un condamnation des violences commises par un universitaire (comme par tout agent public) et comme un hommage à la liberté universitaire. « Un universitaire n’est pas un fonctionnaire comme les autres » lit-on dans les conclusions sur l’affaire nantaise. Elles ont bien raison sur ce point !

    *Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.


    [1] V. pour une critique de leur état en France (dont je ne partage pas intégralement l’analyse), O. Beaud, Le savoir en danger – Menaces sur le savoir académique, PUF, 2021.

    [2] V. Le Conseil d’État et l’Université (J. Caillosse et O. Renaudie, dir.), Dalloz, Thèmes et commentaires, 2015.

    [3] Pour une analyse détaillée, v. Droit de l’enseignement supérieur (B. Beignier et D. Truchet, dir.), Lextenso, 2018, partie VIII p. 389, « Contentieux de l’enseignement supérieur » (par C. Moreau).

    [4] CE, 12 mai 2017, n° 377887 N° Lexbase : A9176WCT.

    [5] CE, 29 mai 2019, n° 424367 N° Lexbase : A56413MU.

    [6] Le rapporteur public indique que la décision en appel de ce jugement interviendra le 28 février 2023.

    [7] À propos d’un médecin : CE, ass, 30 décembre 2014, n° 381245 N° Lexbase : A8359M84 ; v. pour un cas d’application à un enseignant-chercheur, dont la peine avait déjà été jugée trop légère, CE, 6 avril 2016, n° 389821 N° Lexbase : A8804RBP.

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