La lettre juridique n°474 du 23 février 2012

La lettre juridique - Édition n°474

Éditorial

L'Inquisition constitutionnelle : Debré, Torquemada, même combat ?

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N0360BTI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Purger l'ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles, permettre au citoyen de faire valoir les droits qu'il tire de la Constitution et assurer la prééminence de la Constitution dans l'ordre juridique", tel est, selon le Professeur Bertrand Mathieu, l'ambition de la question prioritaire de constitutionnalité, plus connue désormais sous l'acronyme familier de QPC. "Purger", le vocable est fort : du latin purgo (nettoyer, purifier), il tire son origine des termes grecs "passer par le feu"...

Oh ! Je vous vois venir : établir un parallélisme entre la QPC et l'Inquisition, encore un théorie tirée par les cheveux...

Bon, passons sur le fait que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, introduisant les articles 61-1 et 62 dans la Constitution de 1958, fut adoptée à l'initiative du proto-chanoine de la cathédrale Notre-Dame d'Embrun et, néanmoins, chanoine ad honores de Saint-Hilaire de Poitiers, de Saint-Julien du Mans, de Saint-Martin de Tours, de Saint-Maurice d'Angers, de Saint-Jean de Lyon, de Saint-Etienne de Châlons et de Saint-Germain-des-Prés à Paris ! On est tout de même loin du Concile de Latran II de 1139 et de son Anathème contre les ennemis de la Foi.

Mieux ! Rien n'est plus laïque que la QPC : l'article 61-1 de la Constitution ouvre aux citoyens le droit de contester, à l'occasion des procès intentés devant les juridictions administratives et judiciaires ou celles régies par le Code des juridictions financières, la constitutionnalité d'une loi portant atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Voilà donc la "recherche d'un absolu légitimant la Loi", aurait pu écrire Hannah Arendt. Mais, si la philosophe allemande parlait de légitimation de la Loi, dans son Essai sur la Révolution, c'était au sujet du culte de l'Etre suprême ; ce culte, certes déiste, des valeurs dont se réclamait la République, imposé par décret du 18 floréal an II, sous l'égide de Robespierre, et visant à une déchristianisation progressive de la société française. La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (celle de 1793) était, ainsi, affichée sur les murs des temples de la Raison, comme pour mieux répandre le nouveau culte iconoclaste... mais, un culte tout de même. Alors, que la DDHC et le reste du bloc constitutionnel soient l'alpha et l'oméga de la société française, les normes et "valeurs" auxquelles tout doit être subordonné, il ne s'agit là, bien entendu, que d'un parallélisme trompeur. Rien à voir avec cette "institution barbare" chargée de purger l'hérésie du monde chrétien et de consacrer l'orthodoxie, c'est-à-dire de statuer sur la conformité doctrinale d'une croyance ou d'un acte aux normes et "valeurs" auxquelles tout est subordonné !

Bon, il faut dire que la procédure inquisitoire de la QPC ne nous aide pas, non plus, à nous détacher de ce parallélisme encombrant. L'on sait que, si l'hérésie était l'apanage des tribunaux d'exception de l'Inquisition, c'est bien parce que l'inquisiteur pouvait se saisir lui-même d'une question ; contrairement, aux juridictions séculières ou ecclésiastiques ordinaires, il procédait aux enquêtes sur sa propre initiative. Or, la loi organique du 10 décembre 2009, les décrets du 16 février 2010, ainsi que le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité auraient pu se contenter d'établir une procédure accusatoire, selon laquelle seule la dénonciation d'un vice de conformité d'une norme législative pouvait saisir in fine le Conseil constitutionnel. Mais, cela aurait été renier la spécificité inquisitoriale française. L'on ne se bat pas, en haut lieu, pour maintenir l'institution du juge d'instruction, "le personnage le plus puissant de France", selon Napoléon, pour abandonner cette vieille "passe" judiciaire que constitue l'office du juge. C'est pourquoi l'article 7 du règlement de procédure du 4 février 2010 permet au Conseil constitutionnel de soulever d'office un grief d'inconstitutionnalité non soulevé par l'auteur de la question. Il peut, ainsi, se prononcer, le cas échéant, sur des questions n'ayant pas été soulevées par les juridictions ordinaires, ou même, n'ayant pas été renvoyées par la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat, alors qu'elles avaient été soulevées devant le juge a quo. Les Sages de la rue de Montpensier en font peu l'usage, comme en matière de droit d'appel de la personne mise en examen contre les ordonnances et décisions du juge d'instruction et du juge des libertés (Cons. const., décision n° 2011-153 QPC du 13 juillet 2011), mais ils rappellent que l'incompétence négative du législateur peut être soulevée d'office par le Conseil (Cons. const., décision n° 2010-33 QPC, du 22 septembre 2010). Toutefois, divergence fondamentale, le Conseil constitutionnel ne s'autosaisit pas pour autant, mis à part les cas de saisie automatique pour les règlements des assemblées ou les lois organiques, et à l'exception du cas où "l'autorité de filtrage" ne remplit pas, lui, son office dans le délai de trois mois à compter de sa saisine ; encore que le Conseil constitutionnel puisse rejeter une demande tendant à sa saisine directe, comme dans cette décision du 2 février 2012.

Point de parallélisme trompeur, vous dis-je ! Mais, il faut admettre que les terminologies sont facétieuses : on soumet à la question une disposition législative, comme Bernard Gui cherchait l'aveu d'une hérésie en torturant le corps et l'âme. Désormais, la loi est décortiquée, triturée, analysée dans tous les sens et, surtout, dans celui favorable à l'instruction à charge pour établir sa non-conformité doctrinale ou, au contraire, pour le Gouvernement, son orthodoxie exemplaire... Certes, les dispositions déclarées non conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution ne sont pas "excommuniées", elles sont simplement écartées de l'ordre normatif, et ce faisant de la société, pour être parfois brûlées en place publique à l'image des anciennes dispositions relatives à la garde à vue... Toutefois, comparaison n'est pas raison.

Reste à savoir à qui profite la QPC. "L'histoire de l'Inquisition est l'illustration du drame qui menace les hommes chaque fois qu'une liaison organique s'établit entre l'Etat et l'Eglise", écrivait Bartolomé Bennassar, dans L'inquisition espagnole, XVème-XIXème siècles. L'historien espagnol montre, là, la concussion organique entre l'Inquisition et le pouvoir, qu'il soit temporel ou spirituel. L'enquête inquisitoriale, quel bon moyen d'envoyer ad patres une idée ou un personnage encombrant ! La lutte contre l'hérésie constituait, alors, le moyen de préserver l'ordre social ; et pour sûr, Frédéric Ier Barberousse ne s'est pas fait prier lorsqu'il reçut, de la décrétale ad abolendam, en 1184, les rennes de l'Inquisition, dans tout l'Empire. Le contrôle de la constitutionnalité des lois en France était, quant à lui, dans le débat doctrinal depuis au moins un demi-siècle, et il est entré dans le débat politique il y a vingt ans. La réforme constitutionnelle a, dès son entrée en vigueur, "bousculé bien des habitudes et bien des conservatismes juridictionnels", comme l'annonçait Bertrand Mathieu, devant la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Mais, l'autre enjeu essentiel de cette réforme était de ne pas attenter à la sécurité juridique, plus que nécessaire. Il convenait, dès lors, de limiter les possibilités de recours à des fins purement dilatoires, d'où le filtre juridictionnel. Aussi, contrairement à l'Inquisition, la QPC est le résultat d'un savant équilibre entre une émancipation des droits du justiciable et la nécessité de maintenir l'ordre juridique, et donc social ; si la QPC profite aux justiciables, pour un plus grand respect de leurs droits et libertés, elle constitue un contre-pouvoir certain, certes encadré, mais non un avatar procédural au service des pouvoirs publics. C'est tout le contraire de l'Inquisition en somme ! A moins qu'au lieu et place de la Foi, ce soit le Peuple qui prime, désormais... Autre dieu, mêmes moeurs ; dès lors, la Raison peut bien constituer la nouvelle doxa, le principe est, finalement, toujours de contrôler la conformité à la norme supérieure, qu'elle soit un décalogue ou non...

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Février 2012

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public

Le 23 Février 2012

Par un arrêt du 3 février 2012 (CE 2° et 7° s-s-r., 3 février 2012, n° 353737, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6899IB7), le Conseil d'Etat indique les conditions dans lesquelles la conclusion d'un accord de coopération entre deux personnes publiques, intervenu dans le cadre d'une entente des articles L. 5221-1 (N° Lexbase : L1965GUC) et L. 5221-2 (N° Lexbase : L1966GUD) du Code général des collectivités territoriales, peut être dispensée du respect des dispositions de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (loi "Sapin"), concernant les délégations de service public (N° Lexbase : L8653AGL). Cet arrêt s'inscrit, en même temps qu'il le prolonge, dans le mouvement jurisprudentiel, national et européen, reconnaissant que les relations entre personnes publiques, tissées dans une logique de mutualisation des services, justifient qu'il soit dérogé aux règles du droit de la commande publique. Les relations entre coopération intercommunale et droit de la commande publique ont longtemps constitué un sujet de questionnements, voire de doutes et de craintes. L'on craignait, en effet, que le second ne vienne déployer ses effets jusqu'aux relations contractuelles nées entre collectivités territoriales dans le cadre de l'intercommunalité (1) ou, pour le dire autrement, que l'obligation de mise en concurrence ne vienne brider la liberté d'organisation des personnes publiques en les empêchant, notamment, de procéder à la mutualisation de certains de leurs services. Après avoir été très exigeant, le droit de l'Union européenne a adressé, par l'intermédiaire de la Cour de justice (2), des signes d'espoir et d'apaisement aux autorités nationales. Même la Commission européenne, pourtant initialement très offensive sur cette question, a fini par faire montre de souplesse en laissant entendre qu'elle pourrait admettre "de nouveaux assouplissements des possibilités de coopération public-public' hors le droit des marchés publics" (3), dans un document de travail du 4 octobre 2011.

C'est dans ce climat renouvelé, et plus favorable qu'il ne l'était aux relations horizontales qu'entretiennent les collectivités territoriales, que le Conseil d'Etat vient de rendre une solution, que l'on n'osait même pas imaginer il y a quelques années. Dans cette décision du 3 février 2012, rendu contrairement aux conclusions du rapporteur public M. Bertrand Dacosta (4), la Haute juridiction administrative avait à se prononcer sur un litige mettant en cause une entente intercommunale conclue sur le fondement des articles L. 5221-1 et L. 5221-2 du Code général des collectivités territoriales. En l'espèce, une commune avait confié la délégation du service public de la distribution d'eau à la société X. Cette convention avait pris fin le 31 juillet 2011, et la commune avait décidé de ne pas relancer une procédure de passation d'une nouvelle délégation de service public. Elle avait préféré conclure une convention pour l'exploitation du service de distribution d'eau potable avec la communauté d'agglomération dans le cadre d'une entente intercommunale.

La société X a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'un référé contractuel. Ce dernier a, alors, requalifié la convention en délégation de service public et l'a annulée au motif que sa conclusion n'avait pas été précédée des règles de publicité idoines. Pour ce faire, le juge du référé contractuel s'est fondé sur plusieurs éléments. Le fait, tout d'abord, que la convention confiait pour une durée de trente ans à la communauté d'agglomération la production et la distribution de l'eau potable sur le territoire de la commune. La circonstance, ensuite, que la communauté d'agglomération exploitait le service public à ses risques et périls et percevait sur les usagers une redevance comportant une partie fixe et une partie proportionnelle à la consommation d'eau. Enfin, a joué un rôle important le fait que, si les parties soutenaient que la convention se limitait "à instaurer entre elles une coopération destinée à mutualiser leurs moyens pour la rénovation d'une unité de traitement de l'eau et l'exploitation des réseaux de distribution de l'eau, il ne résult[ait] d'aucune des stipulations de la convention que la commune [...] s'engagerait à assurer un service en faveur de la communauté d'agglomération [...] en contrepartie de celui fourni par celle-ci, ni que les redevances perçues auraient pour seul objet d'assurer le remboursement des frais engagés par la communauté d'agglomération".

La question posée au Conseil d'Etat était donc relativement simple : l'opération réalisée par la commune dans le cadre d'une entente pouvait-elle s'analyser en une forme de coopération entre collectivités publiques échappant aux exigences du droit de la commande publique, ou devait-elle être qualifiée de délégation de service public, et tombant donc sous le coup des dispositions de la loi "Sapin" du 19 janvier 1993, codifiées aux articles L. 1411-1 (N° Lexbase : L0551IGI) et suivants du Code général des collectivités territoriales ? Le Conseil d'Etat a retenu la première interprétation, contrairement à son rapporteur public, en considérant "qu'une commune peut accomplir les missions de service public qui lui incombent par ses propres moyens ou en coopération avec d'autres personnes publiques, selon des modalités prévues par le législateur [...] elle peut, ainsi, conclure, hors règles de la commande publique, sur le fondement de l'article L. 5221-1 du Code général des collectivités territoriales, une convention constitutive d'une entente pour exercer en coopération avec des communes, établissements publics de coopération intercommunale ou syndicats mixtes, de mêmes missions, notamment par la mutualisation de moyens dédiés à l'exploitation d'un service public, à la condition que cette entente ne permette pas une intervention à des fins lucratives de l'une de ces personnes publiques, agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel". Appliquant cette grille d'analyse au cas d'espèce, le Conseil d'Etat considère que la convention litigieuse, conclue à des fins de coopération entre personnes publiques dans le cadre de relations qui ne sont pas celles du marché, n'était pas soumise aux règles de la commande publique. L'analyse de cette solution (II) nécessite un rappel des solutions consacrées par le droit positif (I).

I - Les personnes publiques disposent d'une compétence discrétionnaire quant à la détermination du mode de gestion de leurs services publics, sous réserve, toutefois, des missions qui ne sont pas susceptibles d'être déléguées et qui doivent donc obligatoirement être gérées en régie directe. C'est ce qu'indique avec une très grande clarté l'arrêt "Commune d'Aix-en-Provence" du 6 avril 2007 (5) : "lorsque des collectivités publiques sont responsables d'un service public, elles peuvent, dès lors que la nature de ce service n'y fait pas par elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un tiers". Le même arrêt de 2007 précise "qu'à cette fin, sauf si un texte en dispose autrement, elles doivent en principe conclure avec un opérateur, quel que soit son statut juridique et alors même qu'elles l'auraient créé ou auraient contribué à sa création ou encore qu'elles en seraient membres, associés ou actionnaires, un contrat de délégation de service public ou, si la rémunération de leur cocontractant n'est pas substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service, un marché public de service". Cette règle, imposant de respecter le droit de la commande publique (droit des délégations de service public ou droit des marchés publics) est, cependant, assortie de plusieurs exceptions.

En premier lieu, les personnes publiques peuvent "ne pas passer un tel contrat lorsque, eu égard à la nature de l'activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l'exerce, le tiers auquel elles s'adressent ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel" (6). En deuxième lieu, et c'était le principal apport de l'arrêt "Commune d'Aix-en-Provence", "lorsqu'une personne privée exerce, sous sa responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut, en tout état de cause, être regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la dévolution d'une mission de service public [...] son activité peut, cependant, se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des financements" (7).

En troisième lieu, sont dispensées du respect du droit de la commande publique, les opérations de gestion en régie ou en quasi-régie. Les personnes publiques peuvent, en effet, décider d'assurer la gestion du service public en régie, soit en régie simple, soit dans le cadre d'une régie dotée de l'autonomie financière et, le cas échéant, d'une personnalité juridique propre. Les personnes publiques doivent aussi être regardées comme gérant directement le service public si elles créent, à cette fin, un organisme dont l'objet statutaire exclusif est, sous réserve d'une diversification purement accessoire, de gérer ce service, et si elles exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui qu'elles exercent sur leurs propres services leur donnant, notamment, les moyens de s'assurer du strict respect de son objet statutaire. Cet organisme doit, alors, être regardé, comme n'étant pas un opérateur auquel les collectivités publiques ne pourraient faire appel qu'en concluant un contrat de délégation de service public ou un marché public de service. L'hypothèse ici visée est celle du contrat de quasi-régie, encore appelé contrat de prestations intégrées ou contrat in house. L'arrêt "Commune d'Aix-en-Provence" ajoute qu'un tel organisme peut, notamment, être mis en place lorsque plusieurs collectivités publiques décident de créer et de gérer ensemble un service public, ce qui vise, à l'évidence, les hypothèses de coopération entre collectivités territoriales dans le cadre de l'intercommunalité.

Initialement très méfiante à l'égard des relations contractuelles entretenues entre collectivités territoriales, la Cour de justice a assoupli sa position en plusieurs temps, au travers d'un élargissement compréhensif de la notion de contrat in house. Elle a admis, tout d'abord, que l'exception du contrat in house pouvait s'appliquer lorsque plusieurs personnes publiques contrôlaient conjointement leur cocontractant, lequel réalise l'essentiel de son activité avec elle (8). Par la suite, et ce fut une avancée considérable, elle a considéré, dans l'arrêt "Coditel Brabant" du 13 novembre 2008 (9), que, "dans les cas où une autorité publique s'affilie à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, en vue de lui transférer la gestion d'un service public, le contrôle que les autorités affiliées à cette société exercent sur celle-ci, pour être qualifié d'analogue au contrôle qu'elles exercent sur leurs propres services, peut être exercé conjointement par ces autorités, statuant, le cas échéant, à la majorité" . Cet arrêt a été interprété, à raison, comme validant les mécanismes de coopération intercommunale débouchant sur la création d'une institution commune ("coopération verticale institutionnalisée" selon la formule de la Commission européenne). Il a été utilement complété par l'arrêt "Commission c/ Allemagne" du 6 juin 2009 (10), qui a admis que le respect des règles de publicité et de mise en concurrence ne s'imposait pas dans le cadre d'une coopération horizontale non institutionnalisée, c'est-à-dire dans l'hypothèse où les relations contractuelles sont nouées entre des collectivités territoriales en dehors de toute personne morale dédiée. Plus précisément, il a été décidé qu'une coopération public-public pouvait exister en dehors de la situation où des entités in house étaient contrôlées conjointement. A son tour, cet arrêt a été prolongé par un document de travail de la Commission européenne du 4 octobre 2011. Dans ce document, la Commission rappelle qu'il convient de "distinguer, d'une part, les activités qui doivent être ouvertes à la concurrence entre les opérateurs économiques comme le prévoient les règles UE sur les marchés publics et, d'autre part, les autres arrangements auxquels les pouvoirs adjudicateurs peuvent recourir pour assurer l'accomplissement de leurs missions de service public et qui ne relèvent pas des Directives UE sur les marchés publics". Outre l'hypothèse de la création d'une personne morale dédiée, la Commission admet que la coopération entre personnes publiques peut s'opérer sans la création de filiale contrôlée conjointement et admet qu'elle peut, alors, échapper au droit de la commande publique.

II - L'affaire dont était saisi le Conseil d'Etat concernait précisément un cas de coopération horizontale non institutionnalisée. L'entente est, en effet, l'une des formes les plus anciennes de coopération entre collectivités territoriales, elle constitue même, selon C. Debouy, avec les conventions et commissions syndicales, la forme la plus "embryonnaire" de la coopération intercommunale (11). Apparue pour la première fois dans une loi du 18 juillet 1837 (à ses articles 72 et 73), l'entente a d'abord été instituée au profit des départements par la loi du 10 août 1871 (à ses articles 89 à 91), avant que son champ d'application ne soit élargi au profit des communes par la loi municipale du 5 avril 1884 (à ses articles 116 à 118). Bien plus tard, la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4), a étendu le champ des ententes aux établissements publics de coopération intercommunale et aux syndicats mixtes. Les ententes présentent la particularité, contrairement aux autres procédés de coopération intercommunale (commission syndicale, syndicat de communes, communauté de communes, communauté d'agglomération, communauté urbaine, métropoles, pôles métropolitains), de ne pas se traduire par la création d'une nouvelle personne publique se superposant aux communes. Initialement, ce refus s'expliquait par la volonté d'éviter qu'elles ne fassent concurrence aux communes. Cette considération n'a, évidemment, plus aucune portée aujourd'hui, et les ententes s'apparentent donc à des formes atténuées de coopération intercommunale. Elles sont constituées sur la base d'un accord conclu entre deux ou plusieurs conseils municipaux, organes délibérants d'établissements publics de coopération intercommunale ou de syndicats mixtes appartenant, ou non, au même département, et portant sur des objets d'utilité communale ou intercommunale intéressant ses membres.

Dans la présente espèce, la question était de savoir si l'entente conclue entre la commune et la communauté d'agglomération et visant à confier à la seconde l'exploitation du service public de distribution d'eau potable pouvait être assimilée à une coopération horizontale non institutionnalisée. Rappelant les principes posés par la jurisprudence "Commune d'Aix-en-Provence", le Conseil d'Etat a considéré qu'une commune pouvait accomplir les missions de service public qui lui incombent, soit par ses propres moyens (i.e. en régie directe), soit en coopération avec d'autres personnes publiques, dans les conditions prévues par le législateur. Mais il est, également, allé bien au-delà de la solution de 2007 en posant un principe, qu'il a immédiatement assorti d'une condition. Le principe est celui selon lequel une commune peut conclure une convention, hors règles de la commande publique, dans le cadre d'une entente pour exercer en coopération avec des communes, des établissements publics de coopération intercommunale ou des syndicats mixtes, de mêmes missions, notamment par la mutualisation de moyens dédiés à l'exploitation d'un service public. Cette faculté n'est, cependant, ouverte qu'à la stricte condition que cette entente ne permette pas une intervention à des fins lucratives de l'une de ces personnes publiques, agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel.

Se pose immédiatement la question de savoir si ce raisonnement est respectueux des exigences européennes. Il n'est pas contestable que le droit français et le droit de l'Union européenne se rejoignent sur le plan de la méthode permettant de déterminer si de tels rapports de coopération public-public doivent être régis par le droit de la commande publique. Le Conseil d'Etat, comme la Cour de justice de l'Union européenne, écartent fort logiquement la notion de contrat in house qui est ici sans objet, car elle suppose une relation de type verticale entre une "filiale" publique et une personne publique jouant le rôle de "maison-mère". Dès lors que la coopération public-public est purement fonctionnelle et horizontale, et ne débouche aucunement sur la création d'une entité ad hoc, la notion de contrat in house n'est d'aucune utilité, et il est alors logique de rechercher un autre fondement permettant de justifier la dérogation au droit de la commande publique. De ce point de vue, la jurisprudence du Conseil d'Etat semble plus construite et plus aboutie, que celle de la Cour de justice. L'arrêt "Commission c/ Allemagne" du 9 juin 2009 ne comporte, en effet, aucun élément de conceptualisation des relations horizontales non institutionnalisées entre personnes publiques. La Cour se contente d'indiquer qu'un contrat de coopération entre deux autorités étatiques peut être conclu sans respecter les obligations de mise en concurrence prévues par les Directives, dès lors "qu'il constitue tant le fondement que le cadre juridique pour la construction et l'exploitation futures d'une installation destinée à l'accomplissement d'un service public" (point 44).

La jurisprudence du Conseil d'Etat est assurément plus pertinente car elle fait référence, pour justifier la dérogation au droit de la commande publique, à la notion d'opérateur sur un marché. Plus précisément, une commune peut conclure, dans le cadre d'une entente, une convention avec une autre personne publique, sans qu'il lui soit nécessaire d'appliquer les règles de publicité et de mise en concurrence, dès lors que cette entente ne permet pas une intervention à des fins lucratives d'une personne publique, "agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel". Cette notion, déjà utilisée par le passé (12), est pertinente car elle fonde la dérogation au droit de la commande publique. C'est parce qu'un contrat met aux prises deux personnes publiques, portant sur l'organisation d'un service public ou sur l'exercice d'une compétence, et qu'aucune d'entre elles ne se comporte comme un opérateur économique, c'est-à-dire tel un opérateur intervenant sur un marché concurrentiel, que le respect du droit de la commande publique ne s'impose pas. Son respect ne s'impose pas, car il est sans objet. Ce n'est que dans la période toute récente que la Commission européenne a fait référence à cette notion d'opérateur sur un marché. En effet, le document de travail du 4 octobre 2011 précise que "la coopération exemptée des règles sur les marchés publics et dont l'objectif est de remplir une mission de service public doit être constituée uniquement d'entités non actives commercialement sur le marché (du moins à titre principal)" (p. 16).

Il reste que, si le droit français et le droit de l'Union européenne semblent se rejoindre sur la méthode à mettre en oeuvre et sur le fondement justifiant la non-soumission des coopérations public-public horizontales non institutionnalisées au droit de la commande publique, il n'est pas certain que les deux droits en retiennent la même conception. La difficulté est, en effet, de déterminer à partir de quel stade une personne publique devient un opérateur économique intervenant sur un marché concurrentiel. Le document de travail de la Commission fixe trois conditions cumulatives, tenant à l'absence totale de participation de capitaux privés dans la coopération entre pouvoirs adjudicateurs sans création d'une structure spécifique, au fait que l'accord doit porter sur une réelle coopération visant à effectuer conjointement une mission commune et, enfin, à ce que la coopération doit être guidée que par des considérations relatives à l'intérêt public. Dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat, deux éléments ont joué un rôle décisif : l'objet de l'entente et la nature des relations financières entre la commune et l'EPCI. Concernant l'objet de l'entente, l'arrêt relève que la convention tendait à l'exploitation d'un même service public, en continuité géographique, sur l'ensemble du territoire couvert par les personnes publiques, et qu'elle avait donc pour objet de permettre à la commune de bénéficier des installations plus performantes de la communauté d'agglomération. S'agissant des transferts financiers entre les deux personnes publiques, l'arrêt relève que la convention litigieuse n'a "pas provoqué de transferts de financiers indirects entre collectivités autres que ceux résultant strictement de la compensation de charges d'investissement et d'exploitation du service mutualisé".

En définitive, l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat peut faire l'objet de deux lectures, radicalement opposées. Il peut être interprété comme prenant en compte les nécessités liées à la mutualisation des services entre personnes publiques. Mais il peut également être lu comme fournissant, a contrario, une sorte de vademecum, permettant aux personnes publiques de se soustraire aux règles de publicité et de mise en concurrence. Nul doute que la Cour de justice ne manquera pas, dès que l'occasion lui en sera donnée, de s'assurer que les conditions énoncées par la Commission européenne sont pleinement respectées, et que cette jurisprudence du Conseil d'Etat n'est pas utilisée par les personnes publiques afin d'esquiver les exigences du droit de la commande publique.


(1) E. Fatôme et A. Ménéménis, Concurrence et liberté d'organisation des personnes publiques : éléments d'analyse, AJDA, 2006, p. 67 ; F. Llorens et P. Soler-Couteaux, L'intercommunalité est-elle sérieusement menacée par le droit communautaire des marchés publics ?, Contrats Marchés publ., 2007, repère 9 ; F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Coopération public-public et droit communautaire : quelles perspectives ?, Contrats Marchés publ., 2011, repère 11.
(2) CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-324/07 (N° Lexbase : A2174EB7), Contrats Marchés publ., 2009, comm. 34, note W. Zimmer ; CJCE, 6 juin 2009, aff. C-480/06 (N° Lexbase : A9625EHX), Contrats Marchés publ., 2009, comm. 226, note H. Hoepffner.
(3) F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Coopération public-public et droit communautaire : quelles perspectives ?, préc..
(4) Que nous remercions pour leur aimable communication.
(5) CE, S, 6 avril 2007, n° 284736, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9332DU8), Rec. CE, p. 155, Contrats Marchés publ., 2007, comm. 191, note G. Eckert, RJEP, 2007, p. 273, concl. F. Séners, AJDA, 2007, p. 1020, chron. C. Landais et F. Lénica, Dr. adm., 2007, comm. 95, note M. Bazex et S. Blazy, JCP éd. A, 2007, 2125, note F. Linditch, et 2128, note J.-M. Pontier.
(6) CE, Avis, 23 octobre 2003, n° 369315 (N° Lexbase : A0929IDR), EDCE n° 55, p. 209, Contrats Marchés publ., 2004, comm. 76, Contrats Marchés publ., 2004, repère 4, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux.
(7) CE, Avis, 18 mai 2004, n° 370169 (N° Lexbase : A0930IDS), EDCE n° 56, p. 185.
(8) CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04 (N° Lexbase : A3283DPB), CJCE, 19 avril 2007, aff. C-295/05 (N° Lexbase : A9407DUX), Rec. CJCE, 2007, I, p. 2999.
(9) CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-324/07, préc..
(10) CJUE, 9 juin 2009, aff. C.480/06 (N° Lexbase : A9625EHX), Rec., 2009, p. I-04747, Contrats Marchés publ., 2009, comm. 226, note H. Hoepffner.
(11) C. Debouy, Ententes, conventions et commissions syndicales, Jurisclasseur Collectivités territoriales, fasc. n° 210.
(12) CE, Avis, 23 octobre 2003, préc.; CE, Ass., 31 mai 2006, n° 275531, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7224DPA), Contrats Marchés publ., 2006, comm. 202, note G. Eckert ; CE, S, 6 avril 2007, Commune d'Aix-en-Provence, préc.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Appel du jugement d'extension d'une liquidation judiciaire : les conséquences du principe d'unicité de la procédure collective

Réf. : Cass. com. 6 décembre 2011, n° 10-24.885, F-P+B (N° Lexbase : A2011H4A)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Institut François Gény, Université de Lorraine)

Le 23 Février 2012

La société à l'égard de laquelle la liquidation judiciaire d'une autre société a été étendue peut-elle faire appel du jugement d'extension ? Dans l'affirmative, quelles formalités doivent être impérativement respectées pour que cet appel soit recevable ? Telles sont les questions au coeur de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rendu le 6 décembre 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Ainsi, la liquidation judiciaire de la SARL BPV, prononcée par un jugement du 29 septembre 2009, a été étendue à la SARL Les 4P, bénéficiant d'un plan de continuation adopté depuis le 15 septembre 2003, au motif que les relations financières étaient anormales entre ces deux sociétés, justifiant ainsi la confusion de leurs patrimoines (C. com., art. L. 621-2, al. 2 N° Lexbase : L8848INZ). La SARL Les 4P fait appel de cette décision le 7 octobre 2009. Elle considère que, bénéficiant d'un plan de continuation, aucune procédure collective ne peut lui être étendue. De son côté, le liquidateur a soulevé l'irrecevabilité de l'appel interjeté, faute d'avoir été intimé en qualité de liquidateur de la société à laquelle la procédure a été étendue, contrairement à l'article R. 661-6, 1° du Code de commerce (N° Lexbase : L0392IGM). Le magistrat de la mise en l'état a fait droit à cette demande par ordonnance du 7 avril 2010. La société appelante a déféré cette décision devant la cour. Dans un arrêt du 15 juillet 2010 (CA Pau, 2ème ch., sect. 1, 15 juillet 2010, n° 10/01768 N° Lexbase : A8560E4S), la cour d'appel de Pau considère que l'appel interjeté contre la décision d'extension de la liquidation judiciaire relève du régime des articles L. 661-1 (N° Lexbase : L8963INB) et R. 661-6 du Code de commerce, par conséquent, le mandataire de la partie qui interjette appel doit être intimé. La cour d'appel poursuit en indiquant que ce dernier n'a pas été intimé pour la société bénéficiant du plan de continuation, mais seulement en qualité d'intimé pour la société à l'égard de laquelle la procédure collective a été étendue. Pour cette raison, la cour confirme l'ordonnance déférée ayant déclaré l'appel irrecevable. La SARL Les 4P et son commissaire à l'exécution du plan rédigent un pourvoi contre l'arrêt du 15 juillet 2010. Sur le visa des articles R. 661-6, 1° du Code de commerce dans sa rédaction issue du décret n° 2009-160 du 12 février 2009 (N° Lexbase : L9187ICA) et de l'article L. 621-2, alinéa 2, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), la Cour de cassation censure la cour d'appel pour violation des textes précités. L'arrêt du 6 décembre 2011 évoque le droit de faire appel de jugement du débiteur visé par l'extension (I), ainsi que les modalités pour interjeter appel (II) pour les procédures collectives ouvertes après le 15 février 2009 et soumises aux dispositions législatives du livre VI du Code de commerce dont la rédaction est issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 et des aux dispositions réglementaires modifiées par le décret n° 2009-160 du 12 février 2009.

I - Le droit de faire appel du débiteur visé par l'extension de la procédure collective

Les voies de recours en droit des entreprises en difficulté se caractérisent par leur complexité. En effet, dans un premier temps, le législateur a eu tendance à limiter volontairement leur exercice, ou du moins, à les encadrer (en restreignant les personnes ayant qualité pour les exercer, en limitant le délai pour agir, notamment) afin de trouver rapidement une solution aux difficultés de l'entreprise. Toutefois, de telles restrictions ont permis le développement des recours-nullité, de manière plus significative que dans d'autres domaines du droit. Puis, sous l'impulsion de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), l'exercice des voies de recours a été fortement assoupli, notamment sous l'influence des droits de la défense. En outre, ces voies de recours sont souvent plus sophistiquées qu'en droit commun (J.-P. Rémery, Les voies de recours dans la réforme de la loi de sauvegarde des entreprises, JCP éd. G, 2009, I, 129) et n'ont pas été oubliées par le législateur lors de la réforme opérée par l'ordonnance du 18 décembre 2008 précitée. En effet, l'article L. 661-1 du Code de commerce a notamment été modifié, afin de répondre aux attentes légitimes des praticiens à propos des décisions assimilées aux décisions d'ouverture, au nombre desquels figurent celles statuant sur l'extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines. En effet, jusqu'à la réforme de 2008, le régime juridique de l'extension de procédure pour confusion de patrimoines était essentiellement de nature jurisprudentielle car il s'agit d'une création prétorienne. L'ordonnance de 2008 la consacre indirectement en accordant le droit de faire appel au débiteur visé par une décision d'extension de procédure collective.

Sous l'empire des dispositions légales antérieures à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, la Cour de cassation avait déjà considéré que le débiteur visé par le jugement d'extension d'une liquidation judiciaire dispose d'un droit propre à contester cette décision (Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-20.674, F-D N° Lexbase : A4208DIP, Act. proc. coll., 2005, n° 150 ; RTDCom., 2005, p. 608, n° 18, obs. J.-L. Vallens). La réforme de 2005 n'avait apporté aucune précision sur cette question. Désormais le 3° de l'article L 661-1, I du Code de commerce prévoit des règles spéciales aux décisions statuant sur l'extension d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Elles peuvent faire l'objet d'un appel ou d'un pourvoi en cassation de la part du débiteur qui est soumis initialement à la procédure collective ainsi que de la part du débiteur visé par cette extension (appelé parfois le "débiteur cible"), du mandataire judiciaire, de l'administrateur et du ministère public. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 6 décembre 2011, la procédure initialement ouverte était une liquidation judiciaire que le mandataire avait souhaité étendre à une autre société, in bonis (suite à l'adoption de son plan de continuation : Cass. com. 21 février 2006, n° 04-10.187, FS-P+B N° Lexbase : A1747DNZ, LPA, 27 avril 2006, p. 1, nos obs.). Dans ces conditions, il paraît logique que cette dernière puisse contester le jugement prononçant l'extension car n'étant pas en cessation des paiements, le jugement lui fait réellement grief. Cette possibilité lui est effectivement ouverte, car la procédure collective initiale a été ouverte en septembre 2009, soit postérieurement à l'entrée en application des dispositions réformées par l'ordonnance du 18 décembre 2009 et son décret d'application du 12 février 2009, précités, fixée au 15 février 2009. Pour cette raison, l'arrêt du 6 décembre 2011 vise les textes dans leur dernière rédaction. Par ailleurs, il semble qu'il s'agisse d'une première application de ces dispositions du livre VI du Code de commerce, d'où l'intérêt de relever cet arrêt.

Outre la mise en oeuvre de la dernière rédaction de dispositions juridiques, l'arrêt du 6 décembre 2011 apporte des précisions pratiques importantes, en application du principe de l'unicité de la procédure collective, consécutivement au prononcé de l'extension pour confusion des patrimoines de plusieurs débiteurs.

II - Le principe d'unicité de la procédure collective : un liquidateur judiciaire unique

Jusqu'en 2005, il convenait de distinguer entre deux types d'extension de procédure : l'extension véritable, également appelée l'extension lato sensu, fondée sur la fictivité d'une personne morale ou sur la confusion des patrimoines et l'extension légale. Cette dernière existait déjà sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8), mais la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR) avait multiplié le nombre de cas dans lesquels elle pouvait être prononcée. Pratiquement, l'extension légale est une sanction prononcée à l'égard du dirigeant d'une personne morale débitrice, qui consiste à prononcer à l'encontre du dirigeant un redressement judiciaire, dont le déroulement est totalement indépendant de la procédure collective de la personne morale. Cette extension légale a été abrogée par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (P.-M. Le Corre, Droit et Pratique des procédures collectives, Dalloz-Action, 2010-2011, n° 214.41). Par conséquent, il n'existe plus que l'extension qui avait été qualifiée d'"extension véritable" par la doctrine (F. Derrida, P. Godé, J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaire des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 585).

Dans la présente affaire, l'extension de procédure contestée, a été prononcée en raison de la confusion des patrimoines de deux sociétés. Ainsi, le liquidateur prétend que les actifs et les passifs des deux personnes morales sont mélangés à un tel point que l'on ne puisse pas distinguer l'actif appartenant à chaque société, ni les dettes afférentes à chacune d'elles. Il y aurait alors un mélange matériel inextricable (F. Reille, La notion de confusion de patrimoines, cause d'extension des procédures collectives, Litec, 2006, spéc. n° 625 et s.) empêchant de mener à bien le déroulement de la liquidation judiciaire initialement ouverte. Par conséquent, ce "mélange patrimonial" justifie que la procédure initiale soit étendue à la seconde société afin qu'une procédure unique se déroule avec les deux débiteurs, sans pour autant remettre en cause l'existence des personnes morales. Toutefois, cette affirmation doit être appréciée au regard de la procédure ouverte, car en application de l'article 1844-7, 7° du Code civil (N° Lexbase : L3736HBY), le prononcé de la liquidation judiciaire entraîne la dissolution de la société, par conséquent sa personnalité juridique ne subsiste que pour les besoins de la liquidation.

Ainsi, en raison du prononcé de l'extension d'une procédure collective, un débiteur in bonis, se trouve sous l'influence de celle-ci, sans qu'il soit nécessaire de prononcer un jugement d'ouverture au sens strict. Par conséquent, le jugement prononçant l'extension est qualifié de "décision assimilée à une décision d'ouverture" par la doctrine (J.-P. Réméry, précité), car elle ne produit que certains effets attachés aux décisions d'ouverture d'une procédure collective. En effet, le tribunal n'a pas besoin de fixer la date de cessation des paiements du débiteur visé dans la procédure précédemment ouverte (Cass. com., 25 mai 1993, n° 91-10.998, inédit N° Lexbase : A1203C3X). Cette solution se justifie pleinement sur le plan pratique, car ce dernier n'a pas nécessairement cessé ses paiements. En outre, le jugement prononçant l'extension pouvant lui faire grief (et lui faisant certainement grief), il doit pouvoir le contester.

A l'opposé, la procédure initiale ouverte produit des effets à l'égard du débiteur à l'encontre duquel elle a été étendue. Ainsi, la date de cessation des paiements fixée par le tribunal, produit ses effets à l'égard des deux sociétés débitrices, comme dans la présente affaire. Il en est de même pour les organes. Les mandataires désignés dans la procédure initialement ouverte sont automatiquement organes pour le débiteur "attiré" dans la sphère de la procédure. C'est ce que l'on appelle le principe d'unicité de la procédure en matière d'extension, en vertu duquel la situation juridique des débiteurs est identique (Cass. com., 17 novembre 1992, n° 90-22.130, publié N° Lexbase : A4803ABI, Bull. IV, n° 357 ; Cass. com., 22 octobre 1996, n° 94-20.760, inédit N° Lexbase : A7780CYS). Par conséquent, si l'on applique cette règle à l'affaire à l'origine de l'arrêt du 6 décembre 2011, le mandataire judiciaire désigné en qualité de liquidateur dans la procédure initialement ouverte, est également organe à l'égard de la seconde société, et ce, sans qu'il soit besoin de le mentionner expressément dans la décision d'extension de la procédure pour confusion des patrimoines. C'est ce que rappelle la Cour de cassation : "en raison de l'unicité de la procédure collective découlant d'une décision d'extension fondée sur la confusion du patrimoine des débiteurs, ceux-ci ont un liquidateur judiciaire unique". Autrement formulé, le liquidateur de l'un est également et simultanément le liquidateur de l'autre.

Pratiquement, l'article L. 661-1, 3° du Code de commerce permet au débiteur visé par l'extension de la procédure de faire appel de cette décision, mais à condition, que le liquidateur désigné dans la procédure collective soit intimé, conformément à l'article R. 661-6 1° du même code. Comme précédemment indiqué, en application du principe d'unicité de la procédure collective, le liquidateur du débiteur soumis à la liquidation judiciaire étendue est également le liquidateur du débiteur visé par l'extension. Par conséquent, si le liquidateur est intimé au titre de ce premier débiteur, il l'est automatiquement en qualité d'intimé du débiteur visé par la l'extension, auteur de l'appel interjeté contre la décision d'extension. Pour cette raison, la Cour de cassation censure la cour d'appel, et précise "qu'il importe peu que le débiteur appelant d'une telle décision n'ait pas été précisé en intimant ce liquidateur que celui-ci était aussi intimé en qualité de liquidateur de sa propre liquidation". Il n'est pas nécessaire d'être intimé deux fois, car l'unicité de la procédure collective implique l'unicité des organes de cette même procédure, sous réserve de la nécessité de désigner deux liquidateurs consécutivement à l'extension, et ce comme pour toutes les autres liquidations judiciaires.

Ainsi, l'arrêt du 6 décembre 2011 constitue une première application du droit de faire appel reconnu par l'ordonnance du 18 décembre 2008 au débiteur visé par la décision d'extension d'une procédure collective. Il précise également le régime juridique de l'extension, et certains effets du principe de l'unicité de procédure : l'unicité des organes de la procédure. En l'occurrence, s'agissant d'une liquidation judiciaire, il y avait un liquidateur judiciaire unique. Reste alors en suspens, la solution au fond de ce litige. Le débiteur visé par l'extension étant une société bénéficiant d'un plan de continuation, dont rien ne dit qu'il n'était pas respecté, dans ces conditions, peut-on prononcer l'extension d'une liquidation judiciaire à un débiteur dont les opérations résultant du plan n'ont pas encore pris fin (C. com., art L. 640-2, al.2 N° Lexbase : L8862INK) ? Le doute est permis. Peut-être, une prochaine décision de la Cour de cassation nous le précisera-t-elle ?

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Donation accomplie moins de trois mois avant le décès : règles de preuve contraire à la présomption de fictivité

Lecture: 9 min

N0216BT8

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

Le 23 Février 2012

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 janvier 2012 (Cass. com., 17 janvier 2012, n° 10-27.185, F-D N° Lexbase : A1344IBE), vient de préciser, dans un sens favorable au contribuable, le régime de preuve contraire s'agissant de la présomption de propriété des biens appartenant pour l'usufruit au défunt et pour la nue-propriété à ses présomptifs héritiers, la donation ayant été consentie moins de trois mois avant le décès. Ainsi, la Cour décide que la preuve contraire à la présomption de fictivité démontrant la sincérité d'une donation partage opérée mois de trois mois avant un décès survenu de manière soudaine peut être apportée par les héritiers en s'appuyant sur des attestations pourtant comprises dans la période des trois mois précédant le décès. Les faits dans cette affaire sont les suivants : par acte du 16 octobre 2002, une contribuable, décédée le 9 décembre suivant, a fait donation entre vifs, à titre de partage anticipé, à ses trois enfants, de la nue-propriété de cent cinquante parts qu'elle possédait dans une SCI. Après dépôt de la déclaration de succession et perception des droits, l'administration fiscale, se prévalant de l'article 751 du CGI (N° Lexbase : L5296H9Z), a adressé aux héritiers une proposition de rectification par laquelle elle entendait rejeter du passif successoral la soulte de la donation-partage. Après rejet de ses contestations, l'un des héritiers a saisi le juge aux fins d'obtenir l'annulation de la procédure et de la décision de rejet du 25 octobre 2006. La cour d'appel de Paris lui a donné raison. Le directeur des services fiscaux de Paris a saisi la Cour de cassation d'un pourvoi.

L'apport de l'arrêt est de préciser les conditions dans lesquelles peut être combattue la présomption simple de l'article 751 du CGI, en apportant la preuve de la sincérité des conventions des contractants. L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation ici commenté se place dans le prolongement de l'arrêt rendu par cette même chambre le 23 mars 2010 (Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-65.820, F-D N° Lexbase : A1676EUM) et illustre la libéralisation progressive du contenu et des modalités selon lesquelles le contribuable peut combattre la présomption de l'article 751 du CGI, notamment en présence d'une opération de démembrement effectuée moins de trois mois avant le décès du donateur. Cet assouplissement progressif de la jurisprudence, à l'origine stricte de la Cour de cassation, s'effectue de façon moins volontaire que subie, ainsi que le montre l'intervention du législateur en 2008, postérieurement à un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 23 janvier 2007 (Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-14.403, F-P+B N° Lexbase : A6790DTN). Cependant, la solution retenue par les juges sous l'arrêt du 17 janvier 2012 retient l'argument selon lequel le décès, dans un court laps de temps suivant la donation, a constitué un événement inattendu lors de la signature de l'acte, de nature à écarter toute intention d'éluder fictivement les droits de succession, argument que la Cour de cassation avait pourtant écarté le 13 juin 1995 (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-21.732 N° Lexbase : A5957CSG et n° 93-21.734 N° Lexbase : A5958CSH, inédits au Bulletin).

I - La présomption simple édictée par les dispositions de l'article 751 du CGI est sévère mais découle de la loi

La Cour de cassation tire les conséquences des termes généraux du texte et, dans l'espèce jugée par cette juridiction le 17 janvier 2012, il était constant que les conditions d'application de la présomption de l'article 751 du CGI étaient réunies.

A - Les conditions d'application de la présomption simple de l'article 751 du CGI

Les dispositions de l'article 751 du CGI réputent, du point de vue fiscal, faire partie, jusqu'à preuve contraire, de la succession de l'usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant pour l'usufruit au défunt, et, pour la nue-propriété, à l'un de ses présomptifs héritiers ou descendants, même exclu par testament ou à ses donataires ou légataires institués, même par testament postérieur ou à des personnes interposées. Il n'en va autrement que s'il y a eu donation régulière et, que cette donation, si elle n'est pas constatée dans un contrat de mariage, a été consentie plus de trois mois avant le décès ou qu'il y a eu démembrement de propriété effectué à titre gratuit, réalisé plus de trois mois avant le décès, constaté par acte authentique.

Ainsi, la présomption ne peut être combattue que si deux conditions sont réunies. D'une part, la donation doit être régulière et, d'autre part, la donation doit dater de plus de trois mois avant le décès du de cujus. Lorsque la donation, comme c'était le cas dans l'espèce jugée le 17 janvier 2012, est intervenue moins de trois mois avant le décès, les héritiers sont en droit d'apporter la preuve contraire à la présomption. Le juge a fait une application restrictive des dispositions législatives de l'article 751 du CGI, en jugeant, notamment, que la preuve contraire n'est pas regardée comme apportée s'il ne peut être établi que le démembrement avait eu lieu antérieurement à la donation partage (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-21.732 et n° 93-21.734, inédits au Bulletin, précités). La présomption de l'article 751 du CGI s'étend d'ailleurs au conjoint de l'héritier présomptif ; il en est ainsi lorsque le défunt a vendu la nue-propriété d'immeubles à sa nièce, héritière présomptive, et au mari de celle-ci, en s'en réservant l'usufruit viager (Cass. com., 1er octobre 1996, n° 94-15.134, inédit au Bulletin N° Lexbase : A0769CL3).

B - La loi réserve à l'héritier ou au légataire la preuve contraire à la présomption de propriété du défunt usufruitier du bien en cause

La présomption simple de fictivité de l'opération de démembrement effectuée moins de trois mois avant le décès du donateur a pour objectif d'empêcher que des personnes ne délaissent de leur vivant la nue-propriété de tout ou partie de leurs biens en faveur de leurs héritiers présomptifs ou de leurs légataires, dans le seul but que les héritiers ne paient pas l'impôt de mutation par décès. L'usufruitier est présumé propriétaire de la totalité du bien si la nue-propriété appartient soit à un héritier présomptif ou à un de ses descendants, même exclus par testament, soit à un donataire ou légataire, même institué par testament postérieur au démembrement de propriété, ou aux personnes réputées interposées entre le défunt et les héritiers, donataires ou légataires et désignées aux articles 911, alinéa 2 (N° Lexbase : L0058HPT), et 1010 (N° Lexbase : L0167HPU) du Code civil.

Les éléments constitutifs de la preuve contraire sont appréciés souverainement par le juge et les motifs constituant cette appréciation ne peuvent utilement être critiqués devant la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 28 octobre 1986, n° 84-17.664, publié au Bulletin N° Lexbase : A5617AAB et Cass. com., 27 juin 1989, n° 87-19.514, publié au Bulletin N° Lexbase : A3214AHI). Le juge peut décider, sans inverser la charge de la preuve, que le contribuable apporte la preuve contraire à la présomption de propriété édictée par l'article 751 du CGI, dès lors qu'il constate que la cession de la nue-propriété du bien litigieux a été effectuée par acte authentique (Cass. com., 16 janvier 2001, n° 97-20.041 N° Lexbase : A4194ARR).

Lorsque la conclusion de la donation est intervenue moins de trois mois avant le décès, la preuve de la régularité de la donation n'est pas, a priori, de nature à renverser cette présomption.

II - La décision du 17 janvier 2012 illustre l'assouplissement progressif des modalités d'apport de la preuve contraire permettant de combattre la présomption de l'article 751 du CGI

La jurisprudence de la Cour de cassation "libéralise" progressivement le contenu et les modalités à partir desquelles peut être combattue la présomption de l'article 751 du CGI.

A - Une jurisprudence progressivement plus favorable au contribuable qui apporte la preuve de la sincérité des conventions passées

Les héritiers sont en droit d'apporter la preuve contraire à la présomption. Les conditions dans lesquelles cette preuve est apportée ont été interprétées, dans un premier mouvement de jurisprudence, de manière stricte par la Cour de cassation, qui a refusé d'admettre comme preuve contraire la donation régulière d'une somme d'argent permettant d'acheter la nue-propriété d'un bien. La Cour de cassation a, ainsi, jugé que la donation régulière permettant d'écarter la présomption de fictivité du démembrement était celle de la nue-propriété ou de l'usufruit du bien, et non la donation d'une somme d'argent permettant d'acheter la nue-propriété ou l'usufruit de celui-ci, quand bien même cette donation serait elle-même réalisée régulièrement (Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-14.403, F-P+B, précité).

C'est pour assouplir cette lecture jurisprudentielle stricte des conditions dans lesquelles la présomption simple peut être combattue que la loi de finances pour 2008 (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 N° Lexbase : L5488H3N) a ouvert une possibilité d'apporter la preuve contraire en présence de donation des fonds permettant l'acquisition de la nue-propriété plus de trois mois avant le décès. Cette preuve contraire peut, notamment, résulter d'une donation des deniers constatée par un acte ayant date certaine, quel qu'en soit l'auteur, en vue de financer, plus de trois mois avant le décès, l'acquisition de tout ou partie de la nue-propriété d'un bien, sous réserve de justifier de l'origine des deniers dans l'acte en constatant l'emploi.

Les héritiers peuvent, par ailleurs, démontrer que la donation, intervenue moins de trois mois avant le décès, était envisagée plus de trois mois avant. Ils peuvent, notamment, s'appliquer à démontrer que, à une date antérieure à celle à laquelle est intervenu l'acte authentique de donation, soit trois mois avant le décès, une pluralité d'indices permettait de considérer que la transmission avait eu lieu. C'est la position qu'a adoptée la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 mars 2010, le juge ayant, à cette occasion, estimé que la preuve contraire à la présomption était rapportée, dès lors que la donation avait été envisagée plus de trois mois avant le décès, les difficultés pour évaluer les biens de grande valeur retardant la signature de l'acte et l'éventualité, au jour de la donation, d'un décès brutal du donateur ne pouvant être envisagée (Cass. com., 12 mars 2010, trois arrêts, n° 09-65.820 N° Lexbase : A1676EUM, n° 09-65.821 N° Lexbase : A1677EUN et n° 09-65.824 N° Lexbase : A1678EUP, F-D).

Cette décision précisait les modalités de décompte du délai de trois mois avant le décès, la donation ayant eu lieu avant la date de l'acte la constatant. La décision de la Cour de cassation du 17 janvier 2012 prolonge la jurisprudence du 12 mars 2010 en s'appuyant, pour retenir la sincérité de la donation, sur des éléments survenus moins de trois mois avant la donation.

B - La preuve contraire à la présomption de propriété de l'article 751 du CGI est apportée si le décès intervenu dans un court laps de temps suivant la donation constitue un événement inattendu lors de la signature de l'acte

En l'espèce, le directeur des services fiscaux de Paris faisait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé mal fondé le redressement alors que, en s'appuyant sur des attestations portant sur la période comprise dans les trois mois précédant le décès et sans rapport avec la donation, la cour avait privé sa décision de base légale au regard de l'article 751 du CGI. La Cour de cassation, après avoir rappelé que l'héritier avait produit une attestation établie par le médecin traitant de sa mère d'où il résultait que sa mère était en bonne santé début octobre 2002, ainsi que deux autres attestations rédigées par des personnes l'ayant rencontrée peu de temps avant son décès qui confirmaient cet état et témoignaient du caractère soudain et surprenant de celui-ci, juge que la cour d'appel, qui a souverainement estimé que ces éléments suffisaient à démontrer la sincérité de la donation litigieuse, a légalement justifié sa décision.

Ce faisant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur la solution retenue le 13 juin 1995 (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-21.732 et n° 93-21.734, inédits au Bulletin, précités), espèce dans laquelle elle avait rejeté l'allégation de l'héritier selon laquelle le décès dans un court laps de temps suivant la donation constituait un événement inattendu lors de la signature de l'acte, de nature à écarter toute intention d'éluder fictivement les droits de succession. La Cour de cassation avait alors considéré que l'héritier n'apportait pas la preuve contraire à la présomption de propriété édictée à l'article 751 du CGI, en retenant, d'une part, que le démembrement de la propriété n'était pas caractérisé avant l'acte de donation-partage et, d'autre part, que les donateurs avaient agi dans l'urgence de leur santé précaire. Toutefois, dans l'arrêt du 13 juin 1995 précité, le démembrement de la propriété n'était, en tout état de cause, pas caractérisé avant l'acte de donation partage. Tout au contraire, dans la décision du 17 janvier 2012, les témoignages circonstanciés et concordants établissaient que le décès était survenu soudainement et avait surpris l'entourage. La Cour de cassation juge alors que le service était mal fondé à critiquer la date des attestations, l'important étant que le contenu pertinent de ces attestations portait sur des faits contemporains de la donation critiquée.

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Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Février 2012

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France

Le 23 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. L'auteur revient, en premier lieu, sur la loi du 13 décembre 2011, relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelle (loi n° 2011-1862). En second lieu, ce sont l'ordonnance du 16 novembre 2011 portant transposition de la Directive 2008/52/CE (N° Lexbase : L8976H3T) du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (ordonnance n° 2011-1540), et le décret du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends (décret n° 2012-66) qui ont retenu l'attention de l'auteur. L'actualité de la procédure civile est marquée par l'adoption de nombreuses dispositions législatives et réglementaires auxquelles cette chronique est consacrée. Ces dispositions concernent la compétence des juridictions et la disparition, dix ans après sa création, de la juridiction de proximité. La procédure civile en matière familiale subit également quelques retouches. Enfin, une refonte des modes alternatifs de règlement des litiges est opérée par voie d'ordonnance et de décret. Elle concerne les trois grandes procédures alternatives : médiation, conciliation et procédure participative.

I - Réforme de la compétence des juridictions civiles et ajustements procéduraux

  • Loi du 13 décembre 2011, relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelle (N° Lexbase : L3703IRL)

La loi du 13 décembre 2011 est un des textes qui reprend les préconisations du rapport "Guinchard" (1). Elle réorganise une partie du contentieux civil en procédant à des transferts de compétences. Elle redéfinit la compétence en matière d'injonction de payer française et européenne. Elle retouche modestement la procédure civile en matière familiale.

L'entrée en vigueur des principaux articles civils de la loi est fixée au 1er février 2013.

A - La suppression de la juridiction de proximité

La juridiction de proximité a été instituée par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (loi n° 2002-1138 N° Lexbase : L6903A4G). Sa compétence civile, initialement limitée par un seuil de 1 500 euros l'avait cantonnée à un contentieux marginal. Par la suite, la loi du 26 janvier 2005, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (loi n° 2005-47 N° Lexbase : L5285G7U), a augmenté le taux de compétence à 4 000 euros. Brusquement, ces juridictions se sont vues confier un contentieux de masse. Le rapport "Guinchard" a mis en exergue un ensemble de critiques qui étaient adressées à la juridiction de proximité. Tout d'abord, la création d'un nouvel ordre de juridictions avait complexifié la répartition des compétences en matière civile. La situation était d'autant plus regrettable que le tribunal d'instance devait absorber les compétences de la juridiction de proximité lorsque cette dernière faisait défaut. Ensuite, le contentieux très volumineux auquel les juges ont dû faire face a réduit la proximité entre eux et le justiciable. Comme pour les autres juridictions, le retard du contentieux de proximité s'est accumulé. Enfin, les juges de proximité avaient à faire face à un contentieux d'une technicité égale à celle des autres juridictions. La solitude de ces juges, le caractère non-professionnel de leur fonction et leur service à temps partiel ne leur permettaient pas toujours d'être armés pour remplir leur fonction (2). La commission "Guichard" avait donc préconisé la disparition de la juridiction de proximité et l'absorbation de son contentieux par le tribunal d'instance. En revanche, elle avait estimé nécessaire le maintien des juges de proximité.

La loi du 13 décembre 2011 a repris une grande partie de ces préconisations. Dans un premier chapitre intitulé "suppression de la juridiction de proximité et maintien des juges de proximité", elle définit les attributions des juges de proximité, lesquels peuvent exercer les fonctions de juge au sein d'un tribunal de grande instance ou être chargés de fonctions juridictionnelles dans un tribunal d'instance. Les juges de proximité sont rattachés au tribunal de grande instance et leur service est déterminé par le président de ce tribunal. Ils peuvent être affectés au tribunal d'instance et leur service est alors défini par le magistrat qui préside et administre cette juridiction.

De façon concrète, les fonctions des juges de proximité sont définies strictement par la loi. Ils peuvent :

- siéger comme assesseur du tribunal de grande instance ;

- statuer sur les requêtes en injonction de payer, mais leur compétence ne s'étend pas à la procédure contradictoire lorsque le débiteur forme une opposition à l'injonction ;

- procéder à des mesures d'instruction limitativement énumérées : transport sur les lieux, audition des parties à l'occasion de leur comparution personnelle, audition des témoins à l'occasion d'une enquête.

En définitive, le rôle du juge de proximité est strictement cantonné. Il ne peut plus siéger seul dans une juridiction de jugement mais peut participer à une juridiction collégiale comme assesseur (en pratique, le tribunal de grande instance). Il peut exercer des fonctions juridictionnelles au sein du tribunal d'instance ou du tribunal de grande instance uniquement en matière d'injonction de payer. Enfin, il se voit confier certaines fonctions d'instruction également au sein d'un tribunal d'instance ou d'un tribunal de grande instance. En d'autres termes, le juge de proximité retrouve sa fonction de juge auxiliaire qui avait été imaginée à l'origine.

L'application de la loi dans le temps est étonnante puisque les juges de proximité sont rattachés au tribunal de grande instance à partir du 1er janvier 2013, mais les affaires en cours devant les juridictions de proximité ne sont transférées qu'à partir du 1er juillet 2013. La juridiction de proximité étant supprimée, sa compétence est dévolue au tribunal d'instance.

B - La compétence du tribunal d'instance

La compétence du tribunal d'instance est redéfinie par la loi du 13 mars 2011 de façon implicite. Avec la suppression de la juridiction de proximité, le tribunal d'instance retrouve un taux de compétence de 0 à 10 000 euros. Plus précisément, l'article L. 221-4 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7861HNH) prévoit que "Sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires fixant la compétence particulière des autres juridictions, le tribunal d'instance connaît, en matière civile, de toutes actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 10 000 euros. Il connaît aussi des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros".

La loi du 13 décembre n'ayant pas modifié le taux de ressort, le tribunal d'instance statuera désormais en dernier ressort jusqu'à 4 000 euros et à charge d'appel de 40 00 euros à 10 000 euros.

Par ailleurs, la loi précise que "le tribunal d'instance connaît des demandes formées en application du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (N° Lexbase : L1110HYR)" (3).

Enfin, pour opérer une clarification de l'article 317 du Code civil (N° Lexbase : L3822IRY) relatif à la juridiction compétente pour délivrer un acte de notoriété, l'article 19 de la loi modifie cette disposition, laquelle prévoit désormais que "chacun des parents ou l'enfant peut demander au juge du tribunal d'instance du lieu de naissance ou de leur domicile que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire".

Le législateur opère également un transfert de certaines compétences dévolues au tribunal d'instance vers le tribunal de grande instance.

C - La compétence du tribunal de grande instance

La compétence de droit commun du tribunal de grande instance demeure inchangée puisque l'article L. 211-3 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7827HN9) n'a pas été modifié. Cette disposition prévoit que "le tribunal de grande instance connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction".

De plus, la loi du 13 décembre 2011 prévoit, dans un chapitre VI, un "transfert de compétences entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance". Ce transfert concerne d'abord la matière douanière. Le Code des douanes comporte un certain nombre de dispositions relevant des juridictions civiles. La loi du 13 décembre 2011 prévoit ainsi que les affaires des douanes qui ne relèvent pas des juridictions répressives entrent dans la compétence du tribunal de grande instance.

Par ailleurs, certaines affaires relevant de la compétence exclusive du tribunal d'instance seront dévolues au tribunal d'instance ou au tribunal de grande instance en fonction du montant de la demande. Il s'agit :

- des contestations auxquelles peuvent donner lieu l'exercice de la servitude et le règlement des indemnités (C. for., art. L. 322-8 N° Lexbase : L0063IS7) ;

- des contestations sur les indemnités de classement des objets mobiliers (C. patr., art. L. 622-4 N° Lexbase : L3966HCU) ;

- des actions relatives à la vente des objets abandonnés ou laissés en gage par les voyageurs aux aubergistes ou hôteliers, ainsi qu'à la vente de certains objets abandonnés (4).

D - L'injonction de payer

Procédure française d'injonction de payer

La procédure d'injonction de payer relevait de la compétence du tribunal d'instance ou de la juridiction de proximité en fonction du montant de la demande. En revanche, pour les montants dépassant les 10 000  euros, l'injonction de payer demeurait de la compétence du tribunal d'instance en vertu de l'article L. 221-7 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7864HNL). Avec la disparition de la juridiction de proximité, cette compétence aurait été entièrement dévolue au tribunal d'instance. En réalité, l'article 221-7 du Code de l'organisation judiciaire a été totalement réécrit, faisant ainsi disparaître la compétence exclusive du tribunal d'instance. On doit comprendre que l'injonction de payer relève, comme toutes les autres actions, d'une répartition entre tribunal d'instance et tribunal de grande instance selon le montant de la demande. On rappelle que cette procédure peut être conduite devant un juge de proximité, puisque l'article L. 212-3-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L3719IR8) permet à ce juge de statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition.

Procédure européenne d'injonction de payer

Le législateur réserve une compétence exclusive en matière civile au juge du tribunal d'instance pour toutes les demandes formées en application du règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer (N° Lexbase : L1426IRA) (COJ, art. L. 221-7, précité). Cette procédure (créée par le décret n° 2008-1346 du 17 décembre 2008 relatif aux procédures européennes d'injonction de payer et de règlement des petits litiges N° Lexbase : L2782ICZ) est réglementée par les articles 1424-1 (N° Lexbase : L2992ICS) et suivants du Code de procédure civile. Elle permet de faciliter l'exécution des dettes transfrontalières. En matière commerciale, la compétence pour connaître de l'injonction de payer européenne est dévolue au président du tribunal de commerce.

E - La procédure familiale

La procédure civile en matière familiale fait l'objet de plusieurs modifications, dont certaines à titre expérimental.

Médiation obligatoire

Durant trois années à compter de la promulgation de la loi, certains tribunaux de grande instance seront désignés pour instaurer une procédure de médiation obligatoire en matière familiale pour tous les litiges concernant l'exercice de l'autorité parentale, la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ou la convention homologuée qui porte sur ces questions (5). L'article 15 de la loi dispose : "à peine d'irrecevabilité que le juge peut soulever d'office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d'une tentative de médiation familiale". Cette médiation obligatoire ne s'applique pas dans plusieurs situations :

- si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l'homologation d'une convention ;

- si l'absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime (6) ;

- si cette tentative de médiation préalable risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d'intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d'avoir accès au juge dans un délai raisonnable. Cette dernière exception, introduite par le Sénat, tient compte des difficultés rencontrées par les services de médiation familiale et des délais importants que rencontrent certains couples pour obtenir un rendez-vous avec ce service.

La convention d'honoraires obligatoire

La loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ), est modifiée pour réglementer les relations entre les avocats et leurs clients dans les procédures de divorce. Ainsi, l'article 10 in fine de la loi prévoit désormais que "l'avocat est tenu de conclure avec son client une convention d'honoraires pour les procédures de divorce". La loi prévoit encore que des barèmes indicatifs seront publiés par arrêté du Garde des Sceaux après consultation du Conseil national des barreaux.

II - Le nouveau cadre procédural des modes conventionnels de règlement des litiges civils

  • Ordonnance du 16 novembre 2011 portant transposition de la Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commercial (N° Lexbase : L2513IRI) et décret du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends (N° Lexbase : L8264IRI)

Les procédures de médiation et de conciliation sont bien connues en procédure civile française. Les articles 127 (N° Lexbase : L1108IND) et suivants du Code de procédure civile, aménagent les règles applicables à des modes alternatifs de règlement des litiges. Toutefois, les modes amiables de résolution des différends viennent de connaître d'importantes modifications sous l'impulsion de deux mouvements d'origines différentes. Le premier est la Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Cette Directive avait pour objectif premier de fournir des règles communes applicables aux médiations de litiges transfrontaliers. Elle a fait l'objet d'une transposition très large par l'ordonnance du 16 novembre 2011, laquelle a institué des règles communes applicables aux litiges transfrontaliers et internes (7). Le second texte est la loi du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (loi n° 2010-1609 N° Lexbase : L9762INU), qui a institué la convention de procédure participative (8). Ce contrat spécial est intégré dans le Code civil aux articles 2062 (N° Lexbase : L9826INA) et suivants. Ces deux textes devaient faire l'objet d'une transposition dans le Code de procédure civile ; ce qui fut fait avec le décret du 20 janvier 2012, relatif à la résolution amiable des différends.

Cet arsenal juridique, d'origine européenne, législative et réglementaire a paradoxalement conduit le gouvernement à proposer une vision unitaire des procédures alternatives conventionnelles. Si les règles relatives à la résolution amiable des litiges sont disséminées dans des textes très différents (ordonnance, Code civil, Code de procédure civile), on se retrouve, en définitive, face à deux grands modes de résolution amiable des litiges : d'un côté, la résolution judiciaire qui comprend la conciliation et la médiation judiciaire (C. pr. civ., art. 127 N° Lexbase : L1108IND à 131-15) ; d'un autre côté, la résolution conventionnelle du litige, qui comprend, la médiation, la conciliation et la procédure participative.

A - Le cadre général : l'ordonnance du 16 novembre 2011

Cette ordonnance réforme la loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD).

Définition de la médiation

La médiation est définie dans l'ordonnance de façon très large, de sorte qu'elle regroupe toutes les formes de règlement amiable des litiges. Il s'agit de "tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige".

Les qualités que doit présenter le médiateur

Le médiateur doit accomplir sa mission "avec impartialité, compétence et diligence". L'impartialité et la compétence sont les deux qualités requises pour que la procédure amiable ait une chance d'aboutir. La diligence est une transcription de l'exigence européenne d'efficacité du médiateur. En revanche, le gouvernement a choisi de ne pas imposer d'exigence d'indépendance. L'indépendance étant protégée par des règles statutaires, elle aurait conduit à restreindre le choix du médiateur par les parties. Au contraire, la souplesse de la procédure amiable doit permettre aux parties de conserver une grande liberté de choix, pourvu que le tiers qui assure la médiation soit impartial.

Le principe de confidentialité

L'une des clés de la réussite d'une procédure amiable repose sur la confiance que les parties peuvent investir dans cette procédure. Il est essentiel que les déclarations des parties ne puissent être utilisées contre elles dans une procédure juridictionnelle qui pourrait faire suite à l'échec de la médiation. Pour cette raison, l'ordonnance prévoit que " sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité".

Cette confidentialité concerne les déclarations des parties et les constatations du médiateur. Ces éléments ne peuvent être, ni divulgués à des tiers, ni produits dans une procédure subséquence (judiciaire ou arbitrale).

En revanche, la confidentialité peut être écartée dans trois situations :

- avec l'accord des parties ;

- en présence de raisons impérieuses d'ordre public ou de motifs liés à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou à l'intégrité physique ou psychologique de la personne ;

- si la publicité de certaines informations est nécessaire pour exécuter l'accord.

L'accord consécutif à la médiation

Si les parties aboutissent à un accord, celui-ci peut être soumis au juge pour homologation en vue de lui conférer une force exécutoire. Il n'y a là aucune nouveauté. De même, si le médiateur a été nommé par le juge, il doit rendre compte du résultat de sa mission (accord ou échec de la procédure). Enfin, dans l'accord, les parties ne peuvent porter atteinte à des droits dont elles n'ont pas la libre disposition (droits indisponibles comme l'état des personnes).

Dispositions spécifiques à la médiation judiciaire

L'ordonnance comporte une section relative à la médiation judiciaire qui ne présente pas d'originalité par rapport au droit existant. Le texte rappelle que le juge peut désigner un médiateur à tout moment de la procédure avec l'accord des parties, à l'exception du préalable de conciliation en matière de divorce et de séparation de corps. Dans toutes les autres matières, sans accord des parties, le juge peut tout de même leur enjoindre de rencontrer un médiateur afin d'être informées sur l'objet et le déroulement de la mesure de médiation.

L'ordonnance définit également les règles applicables aux médiations payantes (9). Les parties peuvent librement se répartir le coût de la médiation. Dans le cas contraire, le juge les fixe à part égales ou, le cas échéant, en tenant compte de la situation économique des parties. L'aide juridictionnelle peut être accordée pour les médiations judiciaires payantes.

Le juge fixe la durée de la médiation. Il peut renouveler cette durée ou mettre fin à la mission du médiateur avant l'expiration du délai qu'il a déterminé.

Champ d'application de l'ordonnance

L'ordonnance s'applique par simple transposition à tous les litiges civils transfrontaliers. Il s'agit là d'une règle imposée par la directive européenne. En revanche, l'extension de la transposition de la directive aux litiges internes est une initiative de la France. Elle n'avait qu'un caractère facultatif.

Pour cette raison, l'ordonnance exclut de son champ d'application certains contentieux. Il en va ainsi de la médiation pénale, qui n'est pas modifiée. Il en est également ainsi de la médiation en droit du travail. Devant le conseil des prud'hommes, le préalable de conciliation est obligatoire. La médiation judiciaire est donc systématique. L'ordonnance a ainsi exclut la possibilité de recourir à une médiation conventionnelle pour les litiges internes. En revanche, la transposition de la Directive a imposé que la médiation conventionnelle soit possible dans les litiges transfrontaliers.

Vue d'ensemble

En définitive, l'ordonnance du 16 novembre 2011 ne révolutionne pas les procédures amiables en matière civile (10). Ces procédures étaient largement développées en droit interne. De surcroît, l'ordonnance crée un concept générique de médiation, alors que le droit français connaît aujourd'hui trois procédures distinctes : la conciliation, la médiation et la procédure participative (11). Enfin, l'ordonnance crée une certaine complexité en instaurant une médiation conventionnelle dans les litiges transfrontaliers du travail tout en l'excluant pour les litiges internes. Le paysage français du règlement amiable des litiges n'est donc pas clarifié. Il est, en revanche, unifié grâce aux principes communs à toutes les formes de règlement amiable : impartialité, compétence et confidentialité sont consacrées comme de véritables principes directeurs des modes alternatifs de règlement des litiges.

En procédure civile, l'ordonnance est complétée par un important décret du 20 janvier 2012, relatif à la résolution amiable des différends.

B - L'intégration des règlements amiables conventionnels dans le Code de procédure civile par le décret du 20 janvier 2012

Ce décret est véritablement innovant puisqu'il insère un livre 5 dans le Code de procédure civile relatif à la résolution amiable des différends. Ce livre est divisé en trois titres. Le premier rassemble la médiation et la conciliation conventionnelles, le deuxième concerne la procédure participative, et le troisième est consacré aux dispositions communes.

Très attendu, ce décret permet de mettre en oeuvre à la fois l'ordonnance du 16 novembre 2011, mais également la loi du 22 décembre 2010 qui avait créé, dans le Code civil, la convention de procédure participative. Il permet également d'intégrer les procédures amiables conventionnelles dans le Code de procédure civile.

L'article 1528 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8343IRG) affirme de façon générale que "les parties à un différend peuvent, à leur initiative et dans les conditions prévues par le présent livre, tenter de le résoudre de façon amiable avec l'assistance d'un médiateur, d'un conciliateur de justice ou, dans le cadre d'une procédure participative, de leurs avocats".

1 - Les dispositions communes à tous les règlements amiables

Les articles 1565 (N° Lexbase : L8380IRS) à 1568 du Code de procédure civile définissent des règles communes d'homologation de la convention issue d'un règlement amiable. Ces règles sont applicables à la médiation, à la conciliation, à la procédure participative, mais également aux transactions conclues par les parties en dehors de ces procédures.

La convention peut être soumise pour homologation au juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée. Le juge est saisi sur requête et peut statuer sans débat. Il ne peut modifier les termes de l'accord. En cas d'homologation, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la décision. En cas de refus d'homologation, le requérant peut faire appel selon la procédure gracieuse.

2 - La médiation et la conciliation conventionnelles

Ces deux procédures correspondent à la définition générique de la médiation prévue par l'ordonnance du 16 novembre 2011. Ainsi, l'article 1530 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8345IRI) énonce que "la médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s'entendent, en application des articles 21 et 21-2 de la loi du 8 février 1995 susmentionnée, de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence".

Ces deux procédures sont soumises au principe de confidentialité.

La médiation conventionnelle

Le médiateur peut être une personne physique ou morale. Il ne doit pas avoir fait l'objet d'une condamnation inscrite au casier judiciaire n° 3 et doit posséder une qualification requise au regard du différend.

Si les parties sont parvenues à un accord, il peut faire l'objet d'une homologation par la voie de la requête présentée par l'ensemble des parties ou l'une d'entre elles. Cette homologation confère à l'accord son caractère exécutoire. Si cette exequatur a été obtenue dans l'un des Etats de l'Union Européenne, elle s'impose en France sans avoir recours au juge.

La conciliation conventionnelle

La conciliation se distingue de la médiation par le recours à un conciliateur de justice dont la profession est réglementée par le décret du 20 mars 1978 (décret n° 78-381, relatif aux conciliateurs de justice N° Lexbase : L0747AYC).

Le conciliateur de justice exerce son activité à titre bénévole et il est nommé par le premier président de la cour d'appel. Le conciliateur de justice peut se voir confier une mission par le juge (conciliation judiciaire) ou par les parties (conciliation conventionnelle). Le conciliateur de justice possède des pouvoirs d'instruction. Ces pouvoirs s'exercent avec l'accord des parties. Il peut se rendre sur les lieux, entendre les personnes dont l'audition lui paraît utile. En cas de conciliation, même partielle, il peut être établi un constat d'accord signé par les parties et le conciliateur. Ce constat est obligatoire si la conciliation débouche sur la renonciation à un droit. Le constat est remis à chaque partie et un exemplaire est déposé par le conciliateur au greffe du tribunal d'instance. Pour la conciliation judiciaire, cet accord peut être consigné dans un procès-verbal signé par les parties et le juge. Le constat d'accord conventionnel doit faire l'objet d'une requête en homologation devant le juge d'instance pour obtenir un caractère exécutoire. A l'inverse, en matière de conciliation judiciaire, le procès-verbal qui contient l'accord vaut titre exécutoire.

3 - La procédure participative

Il s'agit des dispositions les plus innovantes du décret puisque cette procédure, créée par la loi du 22 décembre 2010, devait faire l'objet d'un décret d'application pour entrer en vigueur. La date limite de publication du décret avait été fixée au 1er septembre 2011. Le décret du 20 janvier est donc tardif, mais nécessaire. La procédure participative est une institution inspirée des modes de résolution amiable pratiqués dans le système anglo-américain.

La procédure participative est divisée en deux étapes. La première étape, appelée "procédure conventionnelle", définit les règles de résolution amiable du différend. La seconde étape, appelée "procédure aux fins de jugement" concerne, soit l'homologation de l'accord qui met fin à l'entier différend, soit la procédure de jugement du différend persistant.

La procédure participative se distingue nettement de la médiation et de la conciliation. Elle est conduite par les parties avec l'aide de leurs avocats. Elle ne nécessite donc pas le recours à un tiers impartial. Par ailleurs, cette procédure permet d'anticiper la mise en état de l'affaire si le différend persistait à son issue. Une passerelle entre la phase amiable et la phase contentieuse est alors possible.

Dispositions prévues par le Code civil

Le Code civil définit le cadre général de la convention de procédure participative.

La procédure participative se déroule d'abord dans le cadre d'un contrat spécial conclu entre les parties, assistées par leurs avocats. Ce contrat est défini à l'article 2062 du Code civil : "la convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend qui n'a pas encore donné lieu à la saisine d'un juge ou d'un arbitre s'engagent à oeuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend".

Cette convention peut être conclue pour trouver un accord sur les droits dont les parties ont la libre disposition, à l'exclusion des litiges relatifs au contrat de travail. En revanche, la procédure participative est ouverte dans le contentieux du divorce et de la séparation de corps.

Durant la période déterminée par la convention, les parties sont irrecevables à agir en justice. Elles peuvent néanmoins solliciter des mesures conservatoires ou provisoires. Si l'accord ne peut être trouvé, les parties peuvent agir en justice. Si un préalable de conciliation est obligatoire, les parties en sont alors dispensées.

La procédure conventionnelle

L'article 1544 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8359IRZ) définit cette procédure comme celle par laquelle les parties, assistées de leurs avocats, recherchent conjointement, dans les conditions fixées par convention, un accord mettant un terme au différend qui les oppose.

Le Code de procédure civile aménage une procédure de mise en état. Ainsi, la communication des écritures et pièces entre les parties se fait par l'intermédiaire de leurs avocats selon les modalités prévues par la convention. La communication des pièces se fait au moyen d'un bordereau, comme en matière contentieuse. Les parties peuvent également avoir recours à un technicien, quelles choisissent d'un commun accord et qu'elles rémunèrent. Ce technicien est soumis aux mêmes obligations qu'en matière contentieuse. Il doit accomplir sa mission "avec conscience, diligence et impartialité, dans le respect du principe du contradictoire". Il remet aux parties un rapport écrit qui peut être produit en justice. Cette procédure est à mi-chemin entre l'expertise judiciaire et l'expertise dite "amiable" qui est initiée par une seule partie dans une procédure contentieuse.

La procédure conventionnelle peut s'éteindre pour trois causes distinctes :

- la résiliation anticipée par écrit par les parties assistées de leurs avocats ;

- le terme fixé par la convention ;

- la conclusion d'un accord mettant fin en totalité au différend ou l'établissement d'un acte constatant la persistance de tout ou partie de celui-ci.

La procédure aux fins de jugement

La première hypothèse concerne le succès de la procédure amiable. Les parties vont alors conclure un accord qui met fin au différend. Cet accord peut faire l'objet d'une homologation par voie de requête.

La deuxième hypothèse concerne l'échec partiel de la phase amiable. Elle conduit vers une procédure mixte appelée "procédure d'homologation d'un accord partiel et de jugement du différend résiduel".

- les parties peuvent saisir le juge par la voie traditionnelle sur le différend persistant ;

- elles peuvent encore le saisir par requête conjointe. Cette requête fige le litige. Elle contient les prétentions des parties, la convention qui définit l'accord partiel, les pièces communiquées au cours de la phase amiable et, le cas échéant, le rapport du technicien. Durant cette procédure contentieuse, l'évolution du litige sera limitée au strict nécessaire. L'article 1561 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8376IRN) prévoit que "les parties ne peuvent modifier leurs prétentions, si ce n'est pour actualiser le montant d'une demande relative à une créance à exécution successive, opposer un paiement ou une compensation ultérieur ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait postérieur à l'établissement de l'accord". De plus, les moyens des parties sont également limités. La même disposition prévoit que "les parties ne peuvent modifier le fondement juridique de leur demande ou soulever de nouveaux moyens qu'en vue de répondre à l'invitation du juge de fournir les explications de fait ou de droit qu'il estime nécessaires à la solution du litige".

La procédure par requête conjointe est donc tout à fait contraignante. Elle a pour objectif de limiter tout à la fois la définition du litige, mais encore les moyens de droit utilisés par les parties.

La troisième hypothèse concerne l'échec total de la procédure amiable. Trois voies s'offrent alors aux parties :

- soit elles ont recours au juge selon la procédure traditionnelle (assignation ou saisine simplifiée selon les cas) ;

- soit elles agissent en justice par la voie de la requête conjointe selon les règles contraignantes qui ont été définies précédemment ;

- soit l'une des parties saisit le juge par voie de requête unilatérale. La requête unilatérale doit être déposée dans les trois mois suivant le terme de la procédure participative. Elle contient un exposé des moyens de fait et de droit et, est accompagnée de la liste des pièces issues de la procédure amiable. L'autre partie est informée de cette requête par les voies traditionnelles.

Conclusion

L'arsenal législatif et réglementaire relatif à la conciliation est imposant. Directives, lois, ordonnances et décrets se sont enchaînés depuis 2010 pour aboutir à un ensemble plutôt cohérent qui réunit les procédures judiciaires amiables et les procédures conventionnelles. Mises à part une clarification et une harmonisation des règles procédurales, cet enchaînement de réformes est marqué par une seule innovation : la procédure participative. L'intervention des avocats pour résoudre un différend à l'amiable était déjà connue, mais l'insertion d'une procédure détaillée dans le Code est bienvenue. Elle peut inciter les professionnels à choisir cette voie, notamment en raison des avantages qu'elle procure : anticiper la mise en état, cantonner le litige, parvenir à un accord amiable plutôt que de prendre le risque d'un procès. Enfin, de façon plus académique, cette réforme propose une véritable théorie générale des règlements amiables des litiges.


(1) Rapport de la Commission sur la répartition des contentieux présidée par Serge Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée. Cf. à propos de ce texte, C. Blery, Répartition des contentieux et allègement de certaines procédures juridictionnelles. Aspects civils de la loi du 13 décembre 2011, JCP éd. G, 2011, 1465 ; L. Mauger-Vielpeau, Aspects familiaux de la loi du 13 décembre 2011, JCP éd. G, 2012, 90.
(2) Sauf lorsqu'il s'agissait d'anciens magistrats.
(3) COJ, art. L. 221-4-1 (N° Lexbase : L3746IR8). Sur la procédure de règlement des petits litiges, cf. C. pr. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L3011ICI) et suivants.
(4) Loi du 31 mars 1896 relative à la vente des objets abandonnés ou laissés en gage par les voyageurs aux aubergistes ou hôteliers et loi du 31 décembre 1903, relative à la vente de certains objets abandonnés (N° Lexbase : L1805DN8).
(5) C. civ., art. 373-2-6 et suivants (N° Lexbase : L7178IMS).
(6) Ce motif n'est pas précisé par les travaux parlementaires.
(7) N. Nevejans, L'ordonnance du 16 novembre 2011. Un encouragement au développement de la médiation ?, JCP éd. G, 2012, 148.
(8) S. Amrani Mekki, La convention de procédure participative, D., 2011, 3007.
(9) En procédure civile, la médiation judiciaire visée aux articles 131-1 (N° Lexbase : L1435H4W) et suivants du Code de procédure civile est une procédure payante. En revanche, la conciliation judiciaire (C. pr. civ., art. 129-1 N° Lexbase : L1805DN8 et suivants) est gratuite.
(10) L'effet est plus visible en matière administrative puisque l'ordonnance crée un chapitre dédié à la médiation dans le Code de justice administrative.
(11) Laquelle ne relève pas du champ d'application de la Directive.

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Responsabilité

[Chronique] Chronique de responsabilité professionnelle - Février 2012

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 23 Février 2012

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité professionnelle réalisée par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). En matière de responsabilité du notaire, l'auteur de cette chronique a sélectionné deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 janvier 2012 qui rappellent le devoir de conseil qui pèse sur celui-ci (Cass. civ. 1, 26 janvier 2012, deux arrêts, n° 10-25.741, F-D et n° 10-26.688, F-D). Concernant la responsabilité de l'avocat, le Professeur Bakouche s'est arrêté sur deux arrêts : le premier rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 31 janvier 2012 revient sur la responsabilité qui incombe à l'avocat chargé d'un mandat d'assistance et de représentation (Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.388, FS-P+B) ; le second, émanant de la cour d'appel de Paris et rendu le 24 janvier 2012, rappelle que l'avocat doit s'assurer de l'efficacité de l'acte qu'il rédige (CA Paris, 24 janvier 2012, Pôle 2, 1ère ch., n° 10/12111).

L'occasion a, déjà, été donnée d'insister ici même sur l'importance du devoir d'information et de conseil qui pèse sur les professionnels du droit, relevant, d'ailleurs, que, en réalité, le conseil est avant tout l'instrument permettant d'atteindre l'exigence d'efficacité inhérente à leurs obligations, comme l'exprime l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1981, suivant lequel le devoir de conseil du notaire est destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes (1). Ainsi les notaires doivent-ils, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (2), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (3). Par où l'on voit bien que leur obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels ils prêtent leur concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. La jurisprudence, comme d'ailleurs à l'égard de tous les professionnels, quelque soit leur domaine d'intervention, se montre particulièrement exigeante sur ce terrain, comme en témoignent encore deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 26 janvier 2012.

Dans l'affaire ayant donné lieu au premier arrêt (n° 10-25.741), des époux avaient acquis, par actes reçus par notaire, des appartements vendus en l'état futur d'achèvement et présentés comme pouvant bénéficier des avantages de la loi de défiscalisation dite loi "Besson". Mais l'administration fiscale ayant estimé que les travaux réalisés ne pouvaient être assimilés à une opération de construction, que la mutation ne constituait pas une vente en état futur d'achèvement et que l'opération n'était pas éligible aux avantages de la loi "Besson", les acquéreurs ont dû payer le montant d'un redressement. C'est dans ce contexte qu'ils ont recherché la responsabilité du notaire et sollicité sa condamnation à les indemniser de leur préjudice. La Cour de cassation censure les premiers juges qui avaient rejeté la demande des acquéreurs, la Haute juridiction, sous le visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), décidant en effet "qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si [le notaire] n'avait pas manqué à son devoir de conseil envers les acquéreurs en ne les avertissant pas de l'incertitude affectant le régime fiscal applicable à cette opération et du risque de perte des avantages fiscaux recherchés par ces derniers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Dans la seconde affaire (n° 10-26.688), deux compères chasseurs avaient créé entre eux, en 2004, une association de chasse. Puis, par acte du 2 mars 2005 reçu par notaire, le groupement forestier représenté par l'un d'eux avait consenti à l'autre le droit exclusif de chasse pour lui et les membres de l'association et leurs invités. Mais à la suite d'un différend, les deux parties avaient signé, l'année suivante, un acte reçu par le même notaire mettant fin au bail et constatant le versement à l'un des protagonistes d'une indemnité de 125 000 euros. Estimant finalement avoir été abusé ou s'être fourvoyé sur les termes de l'accord, notamment quant au sort du cheptel, celui-ci a poursuivi la rescision de cet acte et recherché la responsabilité du notaire. Débouté par les juges du fond au motif qu'il ne rapportait pas la preuve de l'erreur invoquée par lui sur l'objet de la transaction, il s'est pourvu en cassation, avec succès, puisque la Cour de cassation casse, sous le visa de l'article 1382 du Code civil, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris : la Cour décide "qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé si [le notaire] avait préalablement informé M. X de la portée exacte de l'acte du 29 décembre 2006 lequel ne faisait aucune référence au sort du cheptel qui selon les stipulations du bail devait rester la propriété du preneur en fin de bail ou en cas de résiliation de celui-ci par anticipation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

On ne reviendra pas sur le devoir de conseil qui pèse sur le notaire et dont les arrêts du 26 janvier 2012 rappellent, classiquement, le principe. Deux remarques peuvent tout de même être faites.

D'abord, première remarque, on rappellera, pour l'avoir signalé dans le cadre de cette Revue, que la Cour de cassation a jugé que le notaire n'est, en principe, pas tenu à une obligation de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours (4). Et l'on se souvient même qu'un arrêt de la première chambre civile du 8 décembre 2009 avait jugé, sous le visa de l'article 1382 du Code civil, que "si le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, il n'a pas à répondre, dès lors qu'ont été prises les mesures propres à garantir la bonne exécution du montage choisi, des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients" (5). Autrement dit, le notaire ne saurait être tenu des aléas financiers liés à l'opération boursière de ses clients, qui en connaissaient ou devaient en connaître les risques, solution que nous avions approuvée en relevant notamment que, d'un point de vue pratique, elle encourageait à la responsabilisation de ceux qui se livrent à des opérations risquées en connaissance de cause (6). Tout cela est parfaitement entendu. Mais le fait que le notaire n'ait pas à prendre parti sur l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours ne signifie évidemment pas qu'il soit dispensé d'informer son client du régime fiscal applicable. Ainsi la jurisprudence affirme-t-elle que le notaire est tenu d'éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques, de l'acte auquel il prête son concours et, le cas échéant, de les déconseiller (7).

Ensuite, seconde remarque, en suggérant dans le premier arrêt que, à raison de sa faute, et du préjudice causé à son client, la responsabilité du notaire pouvait être engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, et en reprochant aux juges du fond dans le second arrêt de ne pas avoir recherché si le notaire ne s'était pas rendu coupable d'une abstention fautive de nature à engager sa responsabilité sur le même fondement, les deux décisions s'inscrivent dans la tendance du droit positif à presque systématiquement affirmer la nature délictuelle de la responsabilité notariale. Sans doute, classiquement, enseignait-on que la responsabilité du notaire était, du point de vue de sa nature, double : tantôt délictuelle ou quasi délictuelle lorsque le notaire enfreint une obligation tenant à sa seule qualité d'officier public, dans l'exercice strictement entendu de sa mission légale, tantôt contractuelle lorsqu'il se charge, pour le compte de ses clients, de missions plus larges que celles auxquelles il est contraint par la loi car il agit alors non plus en qualité d'officier public, mais en qualité de mandataire ou de gérant d'affaires. Mais cette présentation paraît, depuis quelques années déjà, dépassée. L'extension du champ de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle en la matière s'explique probablement par le fait que la jurisprudence, plus ou moins explicitement, rattache le plus souvent la responsabilité du notaire à son devoir de conseil, ce qui n'est pas anodin si l'on veut bien relever que, quel que soit le rôle assumé par le notaire, elle relie toujours le devoir de conseil à la qualité de notaire et à ses obligations strictement professionnelles, sans la relier au contrat qui l'unirait à son client.

  • La responsabilité de l'avocat chargé d'un mandat d'assistance et de représentation et de l'avocat rédacteur d'actes (Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.388, FS-P+B N° Lexbase : A8723IBP et CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 24 janvier 2012, n° 10/12111 N° Lexbase : A3436IBU)

Ce qui est vrai du notaire sur le terrain de la responsabilité l'est, globalement, de l'avocat : la jurisprudence, dont on a rappelé qu'elle se montre rigoureuse à l'égard du premier (8), est certainement également exigeante à l'égard du second. On y a d'ailleurs déjà insisté à plusieurs reprises, pour rappeler que la faute de l'avocat susceptible d'engager sa responsabilité civile peut consister dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client (9) : que l'avocat, investi d'une mission d'assistance et de représentation (10), le soit en vertu d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général l'obligeant, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, ou bien d'un mandat ad negotia, c'est-à-dire d'un mandat qui peut n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire ou bien être l'accessoire ou une extension du mandat ad litem. A vrai dire, la règle est plus générale, et dépasse le cas particulier du mandat : elle signifie que la responsabilité de l'avocat doit être appréciée au regard de la mission qui est la sienne. Et, sous cet aspect, s'il est évident que la solution vaut dans l'hypothèse dans laquelle l'avocat agit en vertu d'un mandat, elle a naturellement vocation à s'appliquer à toutes les hypothèses dans lesquelles il interviendrait en tant que conseil, ou de rédacteur d'actes, et ce en dehors de tout mécanisme de représentation propre au mandat. C'est qu'il faut comprendre que ce qui est déterminant dans l'appréciation de la responsabilité de l'avocat ne tient pas tant à la qualification juridique de son intervention (mandat ou autre) qu'à la détermination de la mission qu'il accepte d'assumer, le mandat n'étant d'ailleurs qu'un instrument permettant, précisément, de déterminer le contenu de cette mission. Au demeurant, la jurisprudence décide, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la théorie du mandat, que l'exécution par l'avocat de son obligation d'information et de conseil s'apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée, jugeant ainsi que "le devoir de conseil et d'information du conseil juridique qui s'exerçait préalablement à la conclusion de l'acte pour assurer son efficacité ne s'étend pas, sauf mission particulière confiée à celui-ci [...] à la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties" (11). Deux affaires, ayant donné lieu, pour la première à un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 31 janvier 2012, et pour la seconde à un arrêt, statuant sur renvoi après cassation, de la cour d'appel de Paris du 24 janvier 2012, méritent d'être ici, même rapidement, évoquées.

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation, le salarié d'une société avait été détaché en qualité de directeur d'exploitation auprès de sa filiale colombienne, le salarié bénéficiant d'un logement et d'un véhicule de fonction, et l'employeur prenant en charge les frais du voyage annuel en France de l'intéressé et des membres de sa famille. Alors que le salarié avait, quelques années plus tard, été licencié pour faute grave, la cour d'appel d'Amiens, par arrêt définitif, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à payer au salarié diverses sommes à ce titre. C'est dans ce contexte que le salarié a recherché la responsabilité de son avocat pour avoir manqué à son obligation de conseil en fixant le montant de sa rémunération brute servant de base au calcul des indemnités qui lui étaient dues sans tenir compte de sa prime de treizième mois, du voyage en France pris en charge par l'employeur et des avantages en nature. Les premiers juges avaient débouté le salarié de sa demande en dommages-intérêts en réparation de la perte de chance résultant du fait que les avantages en nature qui lui avaient été consentis n'avaient pas été intégrés au montant de sa rémunération brute, aux motifs que les avantages en nature dont bénéficiait le salarié n'étaient pas quantifiés par l'employeur et que le salarié ne produisait pas les justifications utiles permettant leur calcul. Leur décision est cassée : après avoir énoncé, sous le visa des articles L. 3221-3 (N° Lexbase : L0799H9H) et R. 3243-1 (N° Lexbase : L5170ICH) du Code du travail, que "la fourniture, par l'employeur, d'un logement et d'un véhicule constitue un avantage en nature qu'il y a lieu d'inclure dans le montant de la rémunération du salarié et qui doit être indiqué sur le bulletin de paie qui lui est remis", la Haute juridiction décide qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors qu'elle avait constaté que le salarié avait perçu des avantages en nature devant être intégrés au montant de sa rémunération brute et qu'il ne pouvait lui être opposé la carence de l'employeur à les faire figurer sur ses bulletins de paie, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Sans doute la censure porte-t-elle, en définitive, sur une question de pur droit du travail, que l'on ne saurait, comme telle, approfondir ici ; elle révèle tout de même, en creux, sur le terrain de la responsabilité civile professionnelle de l'avocat, la consistance du devoir de diligence et d'efficacité qui pèse sur lui. On rappellera, du reste, que les hypothèses dans lesquelles la responsabilité de l'avocat est susceptible d'être engagée sont dès lors nombreuses, d'autant que le devoir de conseil est plus étendu que la simple obligation d'information et implique aussi que l'avocat soit tenu de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires (12).

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris, une comptable salariée, mise en examen pour abus de confiance au préjudice de la société qui l'employait, avait été obligée de constituer des sûretés à hauteur de 2 000 000 de francs (environ 304 898 euros) en garantie des droits de la partie civile. Elle avait ainsi constitué un nantissement sur le fonds de commerce exploité par la SNC dont elle était la gérante et l'associée et ce, avec le concours de son avocat et de l'avocat de son employeur floué. Les formalités de publication de l'acte n'ayant pas été accomplies dans le délai requis, la société victime de l'abus de confiance a assigné l'avocat de sa salariée, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, lui reprochant notamment de ne s'être pas assuré de l'efficacité de l'acte en omettant une élection de domicile pour elle-même, et ne n'avoir pas provoqué l'inscription d'un autre nantissement. La société a également agi contre son propre avocat, sur le terrain de la responsabilité contractuelle cette fois, pour ne pas s'être soucié de savoir si l'acte de nantissement avait été inscrit dans le délai requis, manquant ainsi à son obligation de conseil et de diligence. La cour d'appel, sur la responsabilité du premier, relève que "professionnel du droit, [il] connaissait l'importance des formalités d'élection de domicile et d'inscription du nantissement de sorte qu'en sa qualité de rédacteur de l'acte, il lui appartenait de s'assurer, d'une part, de l'élection de domicile de la société X puisque le fonds de commerce était situé dans le ressort du tribunal de commerce de Coutances (Manche) et, d'autre part, de l'inscription dudit nantissement dès lors que la validité de cette sûreté est soumise à son inscription, elle-même enfermée dans un bref délai", pour en déduire "qu'en s'abstenant d'assurer l'efficacité de l'acte qu'il a rédigé, [l'avocat] a commis une faute envers la société X". Sur la responsabilité du second, elle décide "qu'il [lui] appartenait, même s'il n'était chargé de la rédaction de l'acte, de veiller auprès de [son confrère], dont il connaissait l'intervention, à ce que, dans l'intérêt de la société X, sa mandante, toutes les clauses de l'acte de nantissement et toutes les formalités nécessaires à la validité et à l'efficacité de l'acte fussent prises ; qu'en n'agissant pas ainsi alors que, professionnel du droit, connaissant l'importance que revêtait, pour la société X, la constitution d'une sûreté propre à garantir ses droits de partie civile, il a commis une série de manquements au préjudice de cette société".

L'arrêt rappelle ainsi que l'avocat est tenu, en tant que rédacteur d'actes, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (13), et qu'il lui incombe d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (14). Sous cet aspect, il n'est pas douteux que le devoir d'information et de conseil du rédacteur d'actes implique qu'il ait pris en considération les mobiles des parties, fussent-ils extérieurs à l'acte, au moins lorsqu'il en a eu connaissance (15). La seule véritable limite au devoir de diligence du rédacteur d'actes tient au fait, à examiner la jurisprudence, qu'on considère que le professionnel n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties, du moins dans les hypothèses dans lesquelles aucun élément ne permettait de douter de leur exactitude. Aussi bien, décide-t-on que lorsqu'une partie déclare n'avoir jamais fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le notaire n'a pas à vérifier cette déclaration, sauf à ce qu'existent des raisons objectives de mettre en doute sa véracité (16). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation a, encore, très nettement posé en principe que "l'avocat ne saurait être tenu, dans le cadre de son obligation de conseil, de vérifier les informations fournies par son client s'il n'est pas établi qu'il disposait d'informations de nature à les mettre en doute ni d'attirer son attention sur les conséquences d'une fausse déclaration" (17). Et l'on sait bien que ces solutions valent également, non pas seulement lorsqu'il est question d'apprécier l'exécution par le professionnel de son devoir d'information et de conseil, mais aussi, plus généralement, lorsqu'il s'agit de vérifier qu'il a correctement exécuté son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours, dont on a déjà dit qu'elle constituait en quelque sorte le socle sur lequel se greffait le devoir d'information et de conseil.


(1) Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(4) Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-19.942, F-P+B+I (N° Lexbase : A5171HZK).
(5) Cass. civ. 1, 8 décembre 2009, n° 08-16.495, FS-P+B (N° Lexbase : A4385EP4).
(6) Nos obs., Le notaire n'a pas à répondre des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients, Lexbase Hebdo n° 20 du 25 février 2010 - édition professions (N° Lexbase : N2453BN8).
(7) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496 (loi "Malraux") ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, FS-P+B (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(8) Voir supra.
(9) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-16.268 (N° Lexbase : A8645AAG), Bull. civ. I, n° 17.
(10) Sur la règle selon laquelle la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié, v. not. Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(11) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).
(12) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974, inédit (N° Lexbase : A1188CYN).
(13) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(14) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(15) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496.
(16) Cass. civ. 1, 28 septembre 2004, n° 01-01.081, F-D (N° Lexbase : A4564DDE).
(17) Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 05-16.789, F-D (N° Lexbase : A2275DZB) ; Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12.294, F-P+B+I (N° Lexbase : A1345EUD).

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Santé

[Jurisprudence] Harcèlement dans l'entreprise : dur, dur d'être employeur !

Réf. : Cass. soc., 7 février 2012, deux arrêts, n° 10-18.035, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3661ICL) et n° 10-17.393, FS-P+B (N° Lexbase : A3635ICM)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 23 Février 2012

L'employeur répond de tous les faits de harcèlement qui surviennent dans l'entreprise même s'il n'en est pas personnellement l'auteur, et se trouve souvent confronté à des situations difficiles dans lesquelles il doit agir rapidement, sans toujours savoir exactement ce qu'il s'est passé. Deux arrêts rendus, le 7 février 2012, par la Chambre sociale de la Cour de cassation démontrent à quel point la situation de l'employeur peut être juridiquement délicate. Dans la première affaire (Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.035, FS-P+B+R), l'employeur était confronté à une salariée qu'il suspectait d'avoir inventé de toutes pièces une fausse affaire de harcèlement pour tenter d'échapper à une sanction ; il se croyait sorti d'affaire après l'arrêt d'appel qui lui avait donné raison, mais celui-ci est cassé par la Haute juridiction qui réaffirme le principe selon lequel la mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement "ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis" (I). Dans la seconde (Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-17.393, FS-P+B), l'employeur avait prononcé contre un salarié mis en cause dans une affaire de harcèlement une sanction disciplinaire sur la foi de témoignages nombreux et convergents de salariées qui s'étaient plaintes de son comportement, mais voit celle-ci annulée sous prétexte que les dispositions de l'article L. 1154-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0747H9K), qui aménagent le régime de la preuve du harcèlement, ne profitent qu'au salarié (II). Dur, dur d'être employeur !
Résumés

- Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.035, FS-P+B+R

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

- Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-17.393, FS-P+B

Les dispositions de l'article L.1154-1, relatifs à la preuve du harcèlement moral, ne sont pas applicables lorsque l'employeur cherche à établir des faits de harcèlement moral de l'un de ses salariés.

Commentaire

I - Protection du dénonciateur du harcèlement : la mauvaise foi ne se présume pas !

Cadre juridique applicable. Le Code du travail contient depuis la loi "Roudy" de 1983 (loi n° 83-635 du 13 juillet 1983, portant modification du Code du travail et du Code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L8407INP) des dispositions assurant la protection des salariés qui dénoncent des faits de discrimination sexiste ; des dispositifs comparables ont été mis en place par la loi du 2 novembre 1992 (loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992, relative à l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail modifiant le code du travail et le code de procédure pénal N° Lexbase : L0260AIH) en matière de harcèlement sexuel, puis par la loi du 17 janvier 2002 pour le harcèlement moral (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9).

Ces dispositions ont été généralisées à tous les types de discriminations par la loi du 27 mai 2008 (loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L8986H39) ; l'article 3 de cette loi dispose, en effet, qu'"aucune personne ayant témoigné de bonne foi d'un agissement discriminatoire ou l'ayant relaté ne peut être traitée défavorablement de ce fait" et qu'"aucune décision défavorable à une personne ne peut être fondée sur sa soumission ou son refus de se soumettre à une discrimination prohibée par l'article 2".

L'article 3 contient une référence à la "bonne foi" de celui qui témoigne ou relate qui ne figure pas dans les dispositions des articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) du Code du travail relatifs aux harcèlements moral et sexuel, mais la Cour de cassation en a fait application, dès 2009, et affirme depuis cette date qu'il se déduit de ces articles du Code du travail "que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis" (1) et précise que la mauvaise foi du salarié ne peut être déduite du seul caractère erroné des faits dénoncés (2).

C'est ce que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

L'affaire. Une salariée, engagée en décembre 2005 par la société H. en qualité de vendeuse, avait, en septembre 2007, adressé à son employeur un certificat médical d'arrêt de travail faisant état d'un harcèlement. Elle avait été licenciée pour faute grave en février 2008 pour avoir dénoncé sans fondement des faits de harcèlement moral.

Elle avait demandé la nullité de ce licenciement mais avait été déboutée en appel, la cour ayant considéré qu'ayant dénoncé des faits qui n'étaient pas susceptibles de caractériser un harcèlement moral, elle était de mauvaise foi. La cour avait relevé que la dénonciation avait, en effet, été faite après un entretien de recadrage avec son supérieur hiérarchique, lequel après avoir témoigné de sa satisfaction sur son travail, avait constaté des attitudes contraires à la bonne entente dans le magasin, qu'assistée d'un avocat, et donc, nécessairement informée de la légèreté de ses accusations et de ses conséquences pour elle, elle les avait néanmoins confirmées, tout en omettant encore à ce jour d'apporter les précisions nécessaires à leur crédibilité. La Cour en avait conclu que les accusations de harcèlement constituaient une simple stratégie développée par la salariée après l'entretien et qu'il s'agissait là d'une manoeuvre délibérée pour se soustraire à l'exercice normal par l'employeur de son pouvoir de direction.

L'arrêt est cassé pour violation des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant qu'il s'agissait là de "motifs impropres à caractériser la mauvaise foi laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce".

La Cour de cassation intransigeante. Si l'affirmation du principe n'est pas nouvelle, la sévérité de la cassation doit être ici soulignée car celle-ci est prononcée non pour manque de base légale, c'est-à-dire en raison de l'insuffisance de la motivation, mais bien pour violation de la loi, la cour d'appel ayant considéré comme établie la mauvaise foi de la salariée sans établir qu'elle avait connaissance de la fausseté des faits qu'elle dénonçait.

Or, l'examen de l'arrêt d'appel montre que les juges du fond s'étaient fondés sur un faisceau d'indices laissant apparaître que les faits dénoncés n'étaient que de simples allégations, non corroborées, et que cette accusation avait été lancée à la suite d'un entretien qui s'était mal passé avec son supérieur hiérarchique, ce qui suggérait l'utilisation frauduleuse de la technique de la dénonciation du harcèlement pour tenter de se placer artificiellement sous le régime protecteur de l'article L. 1152-2 du Code du travail.

Dans ces conditions, la cassation semble bien sévère non seulement parce que les circonstances entourant la dénonciation semblaient avoir été analysées avec attention, mais aussi parce que la Cour d'appel avait tenté ainsi de caractériser la mauvaise foi de la salariée, c'est-à-dire la manoeuvre consistant à inventer des faits de harcèlement pour tenter de se protéger d'un éventuel licenciement, de telle sorte qu'elle semblait bien s'être glissée dans le moule défini en 2009 par la Haute juridiction.

Un message sans ambiguïtés. Le message délivré dans ces conditions par la Cour de cassation est des plus clairs : il n'est pas possible de déduire la mauvaise foi des salariés de simples circonstances ni de simples présomptions : l'employeur (visé par cette solution au travers de la censure de l'arrêt d'appel) doit donc rapporter la preuve certaine que le salarié a intentionnellement dénoncé des faits imaginaires ; dès lors que certains indices laissent à penser que le salarié avait des raisons, même infimes, de s'estimer harcelé, alors cette preuve ne pourra en réalité résulter que d'un aveu, en pratique peu probable, ou de témoignages directs de collègues à qui la vraie fausse victime aurait avoué la supercherie ...

La voie est étroite, pour ne pas dire pratiquement infranchissable !

II - Protection du harceleur contre son employeur : l'employeur ne bénéficie d'aucun aménagement probatoire

Cadre juridique. Tenu à l'égard de ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat qui permet à la victime d'obtenir réparation du dommage causé par le harcèlement même s'il n'a commis aucune faute personnelle et qu'il a au contraire réagi dès qu'il a eu connaissance des faits litigieux, l'employeur a tout intérêt à se montrer extrêmement vigilent pour prévenir au sein de l'entreprise tout risque de harcèlement en prenant les mesures qui s'imposent dès que certains signes de tension apparaissent au sein d'une équipe. L'employeur aura alors tout intérêt à séparer les salariés en conflit, lorsque c'est possible.

Il peut aussi prononcer contre le salarié qu'il estime être coupable de harcèlement une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement ; on sait d'ailleurs que la Cour de cassation facilite ces sanctions en considérant que les faits de harcèlement constituent par principe une faute grave (3), justifiant un licenciement immédiat sans indemnités, et accepte de prendre en compte des faits commis en dehors du lieu et du temps de travail dès lors qu'ils se rattachent à la vie de l'entreprise (4).

Reste à déterminer si le régime probatoire très favorable réservé aux victimes par le Code du travail peut également profiter à l'employeur lorsqu'il cherche à prouver le harcèlement de l'un de ses salariés. C'est à cette question, à notre connaissance inédite, que répond, par la négative, la Cour de cassation dans cet autre arrêt (Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-17.393, FS-P+B) en date du 7 février 2012.

L'affaire. Un salarié avait fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de trois jours pour des faits de harcèlement commis sur une salariée de l'entreprise.

Cette sanction avait été annulée en appel, et l'entreprise cherchait à obtenir la cassation de cette décision, en vain puisque le pourvoi est rejeté.

Le demandeur faisait valoir que l'employeur avait rapporté l'existence d'éléments de fait qui laissaient supposer que le salarié avait bien été l'auteur de faits de harcèlement (courriers de salariées harcelées, témoignage d'un collègue indiquant que l'intéressé reconnaissait lui-même qu'il était un "mauvais plaisantin" ne niant pas aller parfois trop loin).

Pour rejeter le pourvoi, la Cour indique que "les dispositions de l'article L.1154-1 ne sont pas applicables lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement moral", ce qui contraint l'employeur à ne pas se contenter de simples présomptions et à établir que le harcèlement est bien constitué dans tous ces éléments.

La solution est pleinement justifiée sur le plan juridique, même si elle place l'employeur dans une situation délicate.

Une solution parfaitement justifiée juridiquement. Sur un plan strictement juridique, l'affirmation est indiscutable. Il suffit d'ailleurs de lire l'article L. 1154-1 du Code du travail pour s'en convaincre puisque le texte vise bien, comme bénéficiaire du régime probatoire allégé, "le candidat à l'emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié", et nullement l'employeur, alors qu'il aurait pu se contenter de viser les circonstances ("lorsqu'il survient un litige [...]"). Dès lors, l'employeur, qui ne peut revendiquer le recours à ce régime dérogatoire, est soumis au droit commun de la preuve.

Une solution pratiquement problématique. Pratiquement, la solution n'est pas des plus confortables pour l'employeur qui se trouve coincé entre la nécessité de réagir vite, dès qu'un risque de harcèlement apparaît, et la prudence qui le conduit à attendre d'avoir suffisamment d'éléments pour caractériser le harcèlement du salarié pour pouvoir agir, au risque de voir sa responsabilité engagée pour n'avoir pas réagi assez rapidement.

L'employeur marche donc sur un fil, même s'il n'est pas dépourvu de toute marge de manoeuvre. Certes, il devra prouver que le salarié a effectivement commis des faits avérés de harcèlement pour le sanctionner sur le plan disciplinaire, même s'il ne va pas jusqu'au licenciement pour faute grave. Mais il dispose d'autres armes qui peuvent se montrer tout aussi efficaces : entretien de "recadrage", accompagné ou non d'un avertissement verbal, changement de fonctions, sans modification du contrat de travail, pour faire cesser une situation tendue entre salariés, etc. Il devra toutefois avec agir avec circonspection car plus il agira vite (et il se doit de réagir rapidement) plus il aura de mal à prouver le harcèlement ... ad augusta per angusta !


(1) Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH), v. nos obs., Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(2) Cass. soc., 27 octobre 2010, n° 08-44.446, FS-D (N° Lexbase : A0297GDD).
(3) Dernièrement Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930, M. Olivier Pointet, FS-P+B sur le second moyen (N° Lexbase : A5262IA7), v. les obs. de L. Casaux, Le harcèlement sexuel en dehors du temps et du lieu de travail constitue une faute grave, Lexbase Hebdo n° 470 du 26 janvier 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N9830BSU) : "les propos à caractère sexuel et les attitudes déplacées du salarié à l'égard de personnes avec lesquelles l'intéressé était en contact en raison de son travail ne relevaient pas de sa vie personnelle".
(4) Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-72.672, FS-P+B (N° Lexbase : A8479HYP), Cass. soc., 11 janvier 2012, préc..

Décisions

- Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.035, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3661ICL)

Cassation, CA Rennes, 5ème ch., 30 mars 2010, n° 09/00387 (N° Lexbase : A6012EU9)

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T)

Mots-clés : harcèlement, dénonciation, mauvaise foi, preuve

Liens base :

- Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-17.393, FS-P+B (N° Lexbase : A3635ICM)

Rejet, CA Dijon, ch. soc., 29 avril 2010, n° 09/00491 (N° Lexbase : A4074GA7)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K)

Mots-clés : harcèlement, sanction disciplinaire, preuve

Liens base :

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