La lettre juridique n°330 du 11 décembre 2008

La lettre juridique - Édition n°330

Éditorial

La "retraite chapeau" : le lapin blanc, l'opportunité et la cause... histoire d'une fausse "bonne idée"

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N9190BHT

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Au commencement, il y a une intention parfaitement louable d'assurer les "vieux jours" de ses collaborateurs zélés (essentiellement les cadres dirigeants, voire le principal dirigeant social uniquement), en leur accordant un complément de retraite, dite sur-complémentaire (pour ne pas dire surabondante), ou "retraite chapeau" (parce qu'elle participerait d'une protection sociale via une rémunération complémentaire du dirigeant retraité ? Ou bien, déjà, parce qu'elle est accordée d'un coup de baguette, telle un lapin blanc sortant du chapeau de la "fée-société", sans que l'on sache vraiment d'où elle peut bien venir ; le pourquoi du comment ?). Le montant de la retraite correspond alors, le plus souvent, à un pourcentage de la rémunération perçue par le dirigeant la dernière année de son activité au sein de la société, et son versement annuel, telle une rente viagère, s'enclenche à l'âge où son bénéficiaire peut liquider ses droits à la retraite.

Point n'est besoin ici de dire qu'elle a ses défenseurs -en général, ceux de la liberté contractuelle absolue-, et ses détracteurs -à commencer par les URSSAF qui ont entendu, sans y parvenir, assujettir immédiatement aux cotisations sociales ses revenus différés-. Les actionnaires des sociétés concernées par ces régimes privilégiés sont évidemment versatiles selon la date à laquelle on se place. Le cas "Daniel Bernard", ancien dirigeant du groupe Carrefour, en est un exemple topique. A priori, il semble que le conseil des rémunérations du groupe ait validé, à plusieurs reprises, le principe même d'une retraite sur-complémentaire au bénéfice du dirigeant de l'époque. En fait d'intention louable, il s'agit de lever une double hypocrisie selon laquelle, d'une part, les rémunérations des dirigeants sociaux proposées en France étaient notoirement inférieures à celles de leurs homologues de groupes étrangers, donc non concurrentielles ; et d'autre part, ceci expliquant cela, l'assujettissement aux charges sociales rédhibitoire des fortes rémunérations encourageait, certainement, la distribution de rémunérations complémentaires différées et étalées dans le temps. Mais, lorsqu'il s'agit de débarquer un dirigeant social à grands cris d'orfraies, sous couverture médiatique, force est de constater que la théorie du bouc émissaire chère à René Girard bat son plein et que la pression populaire oblige à revoir sa copie et à désavouer, aujourd'hui, ce que l'équipe dirigeante d'hier avait -plus ou moins, on y reviendra- approuvé.

Et le tribunal de commerce de Paris, le 23 avril 2007, d'estimer, que la "retraite chapeau" n'était pas disproportionnée aux services que le demandeur avait rendu au groupe et que la différence des ordres de grandeur entre le montant de l'indemnité litigieuse et la taille des comptes de la société rendait peu significatif l'effet négatif de la comptabilisation de cet avantage sur les comptes. En application de l'article L. 225-47 du Code de commerce, le conseil d'administration avait, donc, selon le tribunal, régulièrement approuvé la retraite supplémentaire de son ancien président. En conséquence, le tribunal, qui n'était appelé à se prononcer ni sur le bien-fondé de la retraite supplémentaire, ni sur le montant qui a été fixé, mais seulement sur la réalité et la régularité de la prestation revendiquée, avait accueilli la demande de Daniel Bernard.

A priori, pacta sunt servanda : à partir du moment où les règles en vigueur à l'époque de l'attribution de cette retraite sur-complémentaire étaient respectées, la messe était dite... la société condamnée à respecter son engagement. Seulement, une fois n'est pas coutume, les juges consulaires ont été désavoués par les magistrats professionnels de la cour d'appel, le 7 octobre dernier, à travers un arrêt promis à la plus large presse, et sur lequel reviennent, tour à tour, Gilles Auzero, Professeur à l'Université de Montesquieu-Bordeaux IV, pour l'oeil d'un spécialiste de droit social, et Deen Gibirila, Professeur à l'Université de Toulouse I, pour celui d'un spécialiste de droit des sociétés.

En substance, la cour infirme la position du tribunal de commerce, en estimant, au contraire, que la "retraite chapeau" était disproportionnée aux services que le demandeur avait rendu au groupe et qu'elle constituait une charge excessive pour le groupe débiteur. Elle se livre, en fait, à un exposé méthodique des règles actuellement en vigueur, notamment celles issues de la loi du 26 juillet 2005, pour la confiance et la modernisation de l'économie, obligeant à la transparence la plus totale concernant l'ensemble des rémunérations actuelles et à venir des dirigeants sociaux à l'adresse des actionnaires. Au passage, la cour anticipe même et fait siennes les recommandations du MEDEF et de l'AFEP, du 6 octobre 2008 limitant le montant des droits acquis chaque année au titre des retraites supplémentaires. Les magistrats admettent que ces dispositions n'étaient pas applicables en l'espèce, que le principe de la retraite chapeau avait régulièrement était validé par le conseil d'administration, mais, d'abord, que son montant n'était pas déterminé de manière suffisamment précise, ensuite, que les services rendus par Daniel Bernard ne justifiaient pas l'attribution d'une telle rémunération, qui plus est deux ans après son départ définitif du groupe, enfin, et par conséquent, que cet engagement devait faire l'objet d'une procédure d'approbation des conventions régleméntées... approbation qui n'avait pas été obtenue, ni même requise.

C'est, donc, sur le terrain du plus pur droit des sociétés que la cour d'appel infirme la décision des juges consulaires. Pour autant, il est intéressant de se risquer, également, à une analyse civiliste de cette infirmation. Ce faisant, la cour d'appel, fidèle à Henri Capitant et à Jacques Maury, ne confond pas l'objet et la cause de l'obligation. Si dans la théorie classique de Domat, on a coutume de dire que "la cause de l'obligation de l'une des parties réside dans l'objet de l'obligation de l'autre, et réciproquement", c'est oublier que face à la cause objective de l'obligation, a prospéré, tout au long du XXème siècle, la théorie de la cause subjective qui permet d'introduire, avec la question de la cause, la notion d'ordre public social et économique, la légitimité de l'obligation et, globalement, son "honnêteté". Or, en relevant le caractère évidemment disproportionné du montant annuel de la retraite sur-complémentaire accordée au regard des services rendus pas le dirigeant social -au demeurant déjà rémunéré à l'époque des faits pour ces services-, n'aurait-on pas pu tout simplement relever que l'engagement n'était pas véritablement causé, bien que l'objet de l'obligation fût, de part et d'autre, identifié ou indentifiable, parce que la cause efficiente, c'est-à-dire le fait générateur, n'était pas conforme à l'ordre public économique, et parce que la cause finale, c'est-à-dire le but de l'obligation, n'était en rien conforme à l'intérêt social de l'entreprise, constituant une charge manifestement excessive et injustifiée.

Et les causalistes de triompher face à Planiol, si l'objet de l'obligation d'une partie fait défaut ou est illicite, alors que l'objet de l'obligation de l'autre est valable, seule la notion de cause permet de justifier la nullité de l'obligation. Par conséquent, respect des conditions d'approbation des conventions réglementées ou non, proportionnée, la retraite chapeau revêt-elle un intérêt quelconque ? Disproportionnée, justifie-t-elle d'une cause ? Abundans cautela non nocet, une précaution excessive ne fait pas de tort, mais est-elle, au final, si utile face à l'imperium de la cause licite ? Opportunité était, peut-être également, donnée aux magistrats de rappeler que la volonté des parties n'est pas inviolable, même dans l'enceinte d'une société commerciale où règne, en principe, la liberté de disposer de ses biens.

"N'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi" (John Donne) : propos que pourront, désormais, méditer les dirigeant sociaux, à l'annonce d'une "retraite chapeau".

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Licenciement

[Jurisprudence] CDD et résolution judiciaire pour manquement à l'obligation de reclassement : les juges du fond doivent caractériser la faute grave

Réf. : Cass. soc., 26 novembre 2008, n° 07-40.802, M. Serge Lamotte, F-P+B (N° Lexbase : A4653EBX)

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N9173BH9

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'application combinée des règles relatives à la rupture anticipée du CDD et de l'obligation de reclassement du salarié inapte place les juges du fond devant des difficultés qu'ils ne parviennent pas toujours à surmonter, comme le montre un arrêt de cassation rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 novembre 2008. Pour la première fois, la Haute juridiction affirme que le salarié qui demande la résolution judiciaire anticipée du CDD, aux torts de l'employeur, parce que ce dernier a manqué à son obligation de reclassement, peut obtenir gain de cause à condition de déterminer en quoi ce manquement constitue une faute grave (II). La solution est parfaitement conforme à l'application combinée des règles du CDD et de l'inaptitude (I).
Résumé

La résolution judiciaire du contrat de travail à durée déterminée peut être prononcée pour manquement à l'obligation de reclassement dès lors que ce manquement constitue une faute grave.

Commentaire

I - La nécessaire combinaison des régimes du CDD et du droit commun du travail

  • Combinaisons légales

Le salarié qui a conclu avec son employeur un contrat de travail à durée déterminée se trouve dans une situation particulière. Il est, en effet, soumis à un régime spécifique, définissant, notamment, des modalités particulières de rupture de son contrat de travail (1), tout en étant soumis, pour le reste, aux règles applicables à tous les salariés, à moins que la loi n'en dispose autrement.

Dans un certain nombre d'hypothèses, la particularité du CDD a obligé le législateur à aménager les règles applicables à tous les salariés pour tenir compte, soit du terme affectant le contrat, soit de ses modes de rupture spécifiques. C'est ainsi que le régime de l'inaptitude contient des dispositions applicables de plein droit aux salariés en CDD, certaines qui ne leur sont pas applicables et d'autres, enfin, qui ont dû être adaptées pour leur être applicables ; ainsi, si l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur en vertu de l'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97) s'applique de plein droit aux salariés en CDD, l'obligation de reprendre le paiement des salaires si le salarié n'est pas reclassé ou licencié dans le mois qui suit l'avis du médecin du travail ne l'est pas, précisément parce que les articles L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) et L. 1226-11 (N° Lexbase : L1028H9X) du Code du travail visent expressément le salarié "licencié", écartant par la même le CDD qui échappe au régime du "licenciement" (2). Par ailleurs, le Code du travail a adapté le régime de la rupture du contrat de travail des salariés en CDD inaptes à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle : la rupture anticipée du contrat n'est possible qu'en cas de faute grave ou de force majeure (3), et la rupture du contrat du salarié qui ne peut pas être reclassé sera prononcée par le juge prud'homal statuant sur la demande de résolution formée par l'employeur (4).

  • Combinaisons jurisprudentielles

Dans d'autres hypothèses, c'est le juge qui a été amené à combiner les régimes pour adapter l'application de la règle de droit commun aux particularités du régime du CDD.

Ainsi, il a été admis que, si le salarié pouvait demander la résiliation judiciaire du CDD, c'est à la condition que la faute reprochée à l'employeur, et qualifiée selon les exigences posées par l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA), soit conforme aux exigences de l'article L. 1243-1 du Code du travail aux termes duquel, "sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure" (5).

Une même solution a été retenue s'agissant de la prise d'acte par le salarié de la rupture de son CDD, la Haute juridiction ayant, également, subordonné la condamnation de l'employeur pour rupture abusive à la preuve d'une faute grave et justifiant la décision prise par le salarié (6).

II - La combinaison du régime de la rupture anticipée du CDD et de l'inaptitude

  • L'affaire

C'est dans ce contexte qu'intervient l'arrêt rendu le 26 novembre 2008 par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par contrat d'une durée de six mois. Le médecin du travail l'avait déclaré inapte à occuper le poste qui lui avait été confié, à l'issue de la seconde visite, sans, toutefois, le déclarer inapte à tout emploi dans l'entreprise. Considérant que son employeur n'avait pas cherché à le reclasser, il avait saisi la juridiction prud'homale, notamment, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et de paiement de dommages-intérêts.

La cour d'appel de Rennes l'avait débouté de ses demandes après avoir relevé que le salarié ne rapportait la preuve d'aucun manquement professionnel de l'employeur. Cet arrêt est cassé pour manque de base légale, les juges rennais s'étant déterminés "par un motif général, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement et si ce manquement était constitutif d'une faute grave".

  • L'exigence d'une faute grave justifiée

Cette solution, qui constitue, sur ces faits précis, une première, nous semble justifiée.

Les salariés titulaires d'un CDD doivent, en effet, se voir appliquer, à la fois, les règles propres à la rupture de ce type de contrat et les autres dispositions du Code du travail qui leur sont applicables, dans le cadre d'une application combinée des régimes. Dès lors que le salarié demande la résolution judiciaire de son contrat, celle-ci doit impérativement être examinée dans le cadre de l'article L. 1243-1 du Code du travail et les juges ne peuvent prononcer cette résolution que si la faute grave de l'employeur est établie. Pour déterminer l'existence d'une faute, les juges doivent préciser à quelle obligation professionnelle l'employeur a manqué, avant de s'interroger sur la gravité de celle-ci au regard des circonstances qui ont entouré la rupture, de l'importance des droits du salarié qui ont été bafoués et des conséquences, pour celui-ci, de la faute constatée. Ce n'est que si les juges du fond examinent les faits de l'espèce, dans ce cadre juridique précis, qu'ils pourront, alors, déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de résiliation judiciaire et, le cas échéant, fixer le montant des indemnités dues au salarié.

C'est, d'ailleurs, pour cette raison et dans l'hypothèse symétrique où l'employeur rompt le contrat de travail à durée déterminée d'un salarié qui a refusé de reprendre le travail, sous prétexte que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement, que la Cour de cassation subordonne la validité de la rupture anticipée à la qualification de faute grave du salarié (7).


(1) C. trav., art. L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T) à L. 1243-12.
(2) Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-44.913, Société protectrice des animaux de Charnay Les Mâcon c/ Mme Frédérique Legrand, FS-P+B (N° Lexbase : A6518DIA), Dr. soc., 2005, p. 918, obs. C. Roy-Loustaunau.
(3) C. trav., art. L. 1226-19 (N° Lexbase : L1042H9H).
(4) C. trav., art. L. 1226-20 (N° Lexbase : L1045H9L). Le juge fixera, alors, l'indemnité accordée au salarié dans le cadre de l'article L. 1226-21 (N° Lexbase : L1049H9Q).
(5) Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-40.489, Association SAOS Toulouse Football club "TFC" c/ M. Eric Garcin, F-P (N° Lexbase : A7762DAQ), D., 2004, p. 1473, note J. Mouly ; Dr. soc., 2004, p. 306, note Ch. Radé : "l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de fournir du travail à M. Z ; [...] la cour d'appel a, ainsi, caractérisé la faute grave justifiant la résiliation du contrat de travail".
(6) Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 04-48.655, Société Sanbel, FS-P+B (N° Lexbase : A7749DSS) : "la cour d'appel, qui a accordé au salarié des dommages-intérêts, sans caractériser l'existence d'une faute grave commise par l'employeur, a privé sa décision de base légale" ; Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.240, Mme Isabelle Bacoux, FS-P+B (N° Lexbase : A5661DWL). Selon la Haute juridiction, en effet, "en application de l'article L. 122-3-8 du Code du travail [N° Lexbase : L5457AC4, art. L. 1243-1,recod. N° Lexbase : L1457H9T], lorsqu'un salarié rompt le contrat de travail à durée déterminée et qu'il invoque des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits invoqués sont ou non constitutifs d'une faute grave" ; Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-41.070, M. David Mazzoncini, FS-P+B (N° Lexbase : A0889D4P) : "en application de l'article L. 122-3-8 du Code du travail, lorsqu'un salarié rompt le contrat de travail à durée déterminée en invoquant des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits invoqués sont ou non constitutifs d'une faute grave". Dans le même sens, CA Toulouse, 27 juin 2008, n° 07/02940.
(7) Cass. soc., 20 sept. 2006, n° 05-40.295, M. Bruno Bouillon, F-D (N° Lexbase : A3084DRN).

Décision

Cass. soc., 26 novembre 2008, n° 07-40.802, M. Serge Lamotte, F-P+B (N° Lexbase : A4653EBX)

Cassation partielle, CA Rennes, 5ème ch. prud'homale, 23 mai 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-3-8, alinéa 1er (N° Lexbase : L5457AC4), et L. 122-24-4, alinéa 1er (N° Lexbase : L1401G9R), devenus L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T) et L. 1226-2 (N° Lexbase : L1006H97)

Mots clef : contrat à durée déterminée ; obligation de reclassement ; résolution judiciaire ; faute grave.

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Famille et personnes

[Jurisprudence] L'audition de l'enfant et le principe du contradictoire

Réf. : Cass. civ. 1, 3 décembre 2008, n° 07-11.552, M. Fodil Merakeb, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4769EBA)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010




L'arrêt du 3 décembre 2008 rappelle, s'il en était besoin, que le principe du contradictoire s'applique aussi à l'audition de l'enfant, laquelle ne saurait rester, quoique qu'on ait pu en dire, une affaire entre le mineur et le juge. La Cour de cassation en déduit que les parties doivent donc être avisées de cette audition (I), sans se prononcer sur l'application du principe du contradictoire au contenu de celle-ci (II). I - Le principe du contradictoire et l'existence de l'audition

Fondements. Rendue au visa du texte général imposant au juge le respect du principe du contradictoire et du texte particulier qui impose le respect de celui-ci lorsque le juge décide d'entendre un mineur en vertu de l'article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8349HW7), la décision du 3 décembre 2008 n'énonce en réalité qu'une évidence. Elle mérite, toutefois, une attention particulière en ce qu'elle met en exergue le fait que l'audition de l'enfant constitue bien un acte procédural. Une telle qualification a, en effet, été parfois remise en cause, au regard du caractère informel de l'audition du mineur. L'application logique du principe du contradictoire à l'audition du mineur conduit à exiger du juge qu'il informe les parties de sa décision d'entendre l'enfant et qu'il fasse état de cette information dans le dossier de procédure ou dans sa décision. L'arrêt commenté reproche à la cour d'appel d'avoir mentionné l'audition de l'enfant dans sa décision sans préciser, dans la décision elle-même ou dans le dossier de procédure, que les parties avaient été informées de celle-ci.

Audition d'office. Le fait que l'audition de l'enfant ait été décidée d'office par le juge dans l'espèce commentée confère, toutefois, à la décision du 3 décembre 2008 une portée particulière. En effet, l'article 338-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2035H47) selon lequel "la décision statuant sur la demande d'audition formée par le mineur n'est susceptible d'aucun recours" ne paraît pas s'appliquer à la décision ordonnant d'office l'audition du mineur. L'information des parties quant à cette décision est d'autant plus essentielle qu'elles peuvent la contester et ainsi éviter que l'audition ait lieu. Il est donc impératif que les parties n'apprennent pas que le juge a entendu l'enfant seulement lors de l'énoncé de la décision.

Audition à la demande du mineur. L'information préalable des parties quant à la décision du juge d'entendre l'enfant est moins nécessaire lorsque celle-ci fait suite à une demande de l'enfant. Avant l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, relative à la protection de l'enfance (loi n° 2007-293 N° Lexbase : L5932HUA), qui modifie l'article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8349HW7), les parties ne pouvaient pas contester la décision du juge d'entendre l'enfant qui le souhaite. L'information est d'autant moins nécessaire, du point de vue du recours, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, en janvier 2009, que l'audition est de droit, dès lors que le mineur la sollicite. Il reste, cependant, que cette audition est subordonnée au discernement du mineur et que les parties pourraient vouloir l'empêcher en invoquant le défaut de discernement de l'enfant. Il semblerait plus logique que les parties soient dans tous les cas informées de la décision du juge d'entendre l'enfant, pour pouvoir ensuite être informées du contenu de l'audition. Il serait en effet opportun que la Cour de cassation impose également le respect du principe du contradictoire sur ce dernier point...

II - Le principe du contradictoire et le contenu de l'audition

Référence à l'audition dans la décision. Les différents textes instituant une obligation d'entendre le mineur imposent l'audition sans contraindre le magistrat à motiver sa décision par le désir de l'enfant. La Cour de cassation avait décidé, dans le cadre d'une procédure d'assistance éducative, qu'"aucune disposition légale n'impose de rapporter dans l'arrêt les propos [que le mineur] a pu tenir" (1). Toutefois, la Cour de cassation, par une décision du 20 novembre 1996 (2), a cassé un arrêt de la cour d'appel d'Amiens qui n'avait pas précisé "si elle avait tenu compte des sentiments exprimés par [le mineur]". Un arrêt du 10 juin 1998 (3) affirme, de manière générale, que le juge doit tenir compte des sentiments du mineur entendu. Il ne s'agit, cependant, pas d'exiger du magistrat qu'il indique s'il a ou non statué en conformité avec les sentiments exprimés par l'enfant, ce qui reviendrait à exiger qu'il rapporte au moins le sens de ces derniers. La Cour de cassation impose donc seulement une exigence de forme : le juge doit faire part des éléments qui ont fondé sa décision et parmi eux, le cas échéant, l'audition de l'enfant, sans pour autant mentionner les sentiments de ce dernier.

Silence des textes quant à la transcription de la parole du mineur. L'article 388-1 du Code civil, relativement détaillé quant aux modalités de la convocation de l'enfant à son audition et de son assistance, reste silencieux quant à la forme selon laquelle le juge est amené à recueillir la parole de l'enfant. Les dispositions du Code de procédure civile relatives à l'audition du mineur sont également muettes sur ce point. La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 janvier 1994 (4), avait constaté qu'aucun texte n'impose que l'audition de l'enfant fasse l'objet d'un procès-verbal. Le silence des textes quant à la retranscription de l'audition de l'enfant par le juge conduit à lui appliquer les principes généraux du droit processuel. L'audition du mineur constitue un acte de procédure qui ne doit pas échapper au principe du contradictoire ni dans son existence, ni dans son contenu.

Information minimum des parties. Le caractère particulier de l'audition d'un enfant, dans le cadre de procédures familiales, rend toutefois malaisée la communication aux parties des propos tenus par l'enfant et explique la diversité des pratiques judiciaires constatées depuis 1987. La communication aux parties d'un résumé des propos de l'enfant paraît cependant un minimum indispensable au respect du principe du contradictoire. Informées de la convocation du mineur pour son audition, les parties doivent connaître le résultat de cette mesure. L'argument selon lequel l'enfant risque de ne pas se confier au juge n'est pas recevable : les propos du mineur vont certainement peser sur la décision du juge et il est essentiel que les parties puissent les discuter conformément à la définition même du principe du contradictoire.


(1) Cass. civ. 1, 20 novembre 1985, n° 84-13.094, Mme Sanon c/ Consorts Lagarde, Dessennes, Mme Moreau, Préfet du Val de Marne (N° Lexbase : A5950AAM), Gaz. Pal., 1986, 2, 609.
(2) J. Hauser, Audition de l'enfant : application immédiate et motivation des décisions, RTDCiv., 1997 ; P. Murat, Précisions sur la portée processuelle de l'audition du mineur, Dr. fam., 1997, n° 2, p. 14 ; Y. Benhamou, note sous Cass. civ. 2, 20 novembre 1996, n° 93-19.937 (N° Lexbase : A8308ABC), D., 1997, 192.
(3) Cass. civ. 2, 10 juin 1998, n° 97-20.905, inédit (N° Lexbase : A9256CQU), JCP éd. G, 1999, 101, obs. Y. Favier.
(4) Cass. civ. 1, 19 janvier 1994, n° 92-16.359, Mme B. c/ B., inédit (N° Lexbase : A7767CWL).

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Sociétés

[Jurisprudence] L'opposabilité d'une clause compromissoire insérée dans le règlement intérieur d'une société coopérative

Réf. : Cass. civ. 1, 22 octobre 2008, n° 07-18.744, Société Système U centrale régionale Sud, F-D (N° Lexbase : A9425EAC)

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N9174BHA

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

L'arbitrage connaît depuis quelques années un développement certain, en raison, notamment, de la rapidité de la procédure et de la confidentialité des décisions, avantages particulièrement appréciés dans le monde des affaires. Ce succès se manifeste tant en aval des litiges, par un recours plus fréquent aux compromis d'arbitrage, qu'en amont, par l'insertion plus systématique d'une clause compromissoire dans les contrats. Mais, reconnaissons aussi que la loi du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) a, à l'évidence, joué un rôle non négligeable dans l'augmentation des recours à ce mode alternatif de règlement des litiges. En effet, l'article 2061 du Code civil disposait antérieurement que "la clause compromissoire est nulle s'il n'est disposé autrement par la loi", alors que l'actuelle version de cet article, issue de la loi "NRE", précise, au contraire, que "sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus en raison d'une activité professionnelle" (C. civ., art. 2061 N° Lexbase : L2307AB3). Et nos juges ne sont pas en reste car affection du monde des affaires et promotion législative s'accompagnent, aujourd'hui, d'une jurisprudence indéniablement favorable pour les conventions d'arbitrage. En témoigne un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre 2008. En l'espèce, le dirigeant d'une société (la société) adhérente d'une société coopérative, centrale d'achat dans la grande distribution, a quitté ses fonctions et a vendu la totalité des actions représentant le capital social de la société. La coopérative a, alors, mis en oeuvre la procédure d'arbitrage prévue au contrat, prétendant que le droit de préemption qui lui était conféré était opposable au dirigeant.
Une sentence arbitrale a dit la clause compromissoire et celle relative au droit de préemption opposables au dirigeant et a condamné ce dernier à indemniser la centrale d'achat. La cour d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 26 juin 2007, annule la sentence retenant, d'abord, que le dirigeant n'était pas associé de la société coopérative en son nom personnel et qu'il n'était que le dirigeant de la société adhérente, ensuite, qu'il n'était pas partie, à titre personnel à l'acte prévoyant la clause compromissoire et ne pouvait donc se voir opposer cette clause à l'occasion de la vente de ses parts dans la société adhérente, seule partie au règlement intérieur et aux statuts.
La centrale d'achat forme, avec succès, un pourvoi en cassation. La Cour régulatrice relève qu'en application de l'article 3 du règlement intérieur de la société coopérative, selon lequel la personnalité et l'activité d'une société, personne morale, se confondent avec la personnalité et l'activité de celui ou de ceux qui la contrôlent directement ou indirectement et la dirigent, le dirigeant avait nécessairement adhéré à titre personnel à ce règlement et accepté d'être lié par les clauses le concernant directement en tant que dirigeant social, particulièrement la clause d'arbitrage et celle relative au droit de préemption. Elle en conclut que la cour d'appel a violé l'article 1484, alinéa 2-1, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2327ADK), en application duquel le recours en annulation est ouvert si l'arbitre a statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle ou expirée.

Cette solution n'est pas nouvelle. Deux ans plus tôt, la même formation de la Haute juridiction avait été saisie d'un pourvoi dont les faits étaient en tous points identiques à ceux ayant donné lieu à la décision du 22 octobre dernier, puisqu'il s'agissait de la même coopérative et de la même clause. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation avait retenu que la cour d'appel était restée dans les limites de ses attributions en constatant que la clause compromissoire était stipulée à l'article 24 du règlement intérieur et que les dispositions des statuts et du règlement intérieur étaient opposables aux personnes physiques dirigeantes des personnes morales membres du groupement, de sorte que la clause compromissoire n'était pas manifestement nulle ou inapplicable au dirigeant d'une société, associée coopératrice au sein de la société coopérative (Cass. civ. 1, 20 septembre 2006, n° 05-10.781, F-P+B+I N° Lexbase : A3020DRB).

Ce faisant, avec l'arrêt du 22 octobre 2008, la Cour régulatrice confirme que la clause compromissoire contenue dans le règlement intérieur d'une société coopérative peut s'appliquer au dirigeant d'une société coopératrice, quand bien même il n'est pas partie à la convention litigieuse.

De prime abord, cette solution a de quoi surprendre. On rappellera, en effet, qu'aux termes de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), "les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes". Or, la clause compromissoire litigieuse était, en l'espèce, contenue dans le règlement intérieur de la société coopérative dont le dirigeant n'était pas lui-même associé, puisque la coopératrice était la société qu'il dirigeait, dont il était associé et dont il avait cédé les parts. Rappelons que le règlement intérieur est un document unilatéral, infra-statutaire et émanant de l'organe social habilité à exprimer la volonté de la société, qui a vocation à organiser la vie quotidienne de la société. Il s'impose donc à la société, à ses dirigeants, à ses associés, mais aussi à leurs héritiers. En revanche, en vertu de l'effet relatif des conventions, il ne saurait être opposable aux tiers, sauf à prouver qu'ils en avaient connaissance, sachant que le règlement intérieur n'est soumis à aucune règle de publicité. On doit donc en conclure que le dirigeant de la société associée de la coopérative est un tiers au règlement intérieur auquel celui-ci ne saurait a priori être opposable.

C'est sur ce point que certains commentateurs de l'arrêt du 20 septembre 2006 ont pu estimer que la Cour de cassation prenait quelques libertés avec le principe de l'effet relatif des contrats, et que la solution retenue par le juge du droit s'en trouvait ainsi "contestable" (S. Reifegerste, Application au président du conseil d'administration d'une société membre d'un groupement coopératif de la clause compromissoire stipulée dans le règlement intérieur du groupement, JCP éd. E, 2007, n° 9, n° 1268).

Toutefois, une analyse plus précise de l'arrêt conduit à penser que c'est plutôt le principe d'autonomie de la personne morale dont la Cour entend s'affranchir que celui de l'effet relatif des contrats.

En effet, la première chambre civile, pour conclure à l'opposabilité de la clause compromissoire contenue dans le règlement intérieur au dirigeant, relève que ce document précise que "la personnalité et l'activité d'une société, personne morale, se confondent avec la personnalité et l'activité de celui ou de ceux qui la contrôlent directement ou indirectement et la dirigent". La formule a de quoi surprendre, puisque l'un des principes fondateurs du droit des sociétés veut que la société, personne morale, a un patrimoine distinct de celui de ses membres et de ses dirigeants. Or, le règlement intérieur de la coopérative, en l'espèce, s'affranchit de cette règle puisqu'il prévoit clairement que la personnalité de la société se confond avec celle de ceux qui la contrôlent et ceux qui la dirigent : il insiste donc sur le caractère déterminant de l'intuitu personae qui gouverne les relations à l'intérieur de la coopérative au détriment de l'écran que constitue la personne morale. Le principe de l'autonomie de la personne morale n'est pas, pour autant, absolu en droit des sociétés, puisqu'il y est admis de nombreuses exceptions, essentiellement fondées sur la fictivité ou la fraude. Ainsi, en est-il en droit fiscal où la société devient transparente en cas de fraude, notamment, si elle est créée dans le seul but, pour les associés, d'échapper à une procédure de redressement fiscal (par ex. Cass. com., 2 juin 1987, n° 85-18.865, Consorts Bouvier et autres c/ Le directeur général des Impôts N° Lexbase : A8310AAZ). Le droit des procédures collectives est l'autre domaine dans lequel jouent de nombreuses exceptions à l'autonomie du patrimoine social puisqu'il connaît l'extension à une société de la procédure collective ouverte à l'encontre d'une autre société, sur le fondement de la confusion des patrimoines et de la fictivité (C. com., art. L. 621-2 N° Lexbase : L4056HBT).

Mais, dans l'arrêt du 22 octobre 2008, la disparition de l'écran social ne se justifie pas par l'existence d'une situation illicite mais par une limitation contractuelle de l'autonomie du dirigeant par rapport à la société.

De ce constat, la Cour de cassation devait tirer la conclusion qui s'imposait à elle : le dirigeant avait nécessairement adhéré à titre personnel à ce règlement et accepté d'être lié par les clauses le concernant directement en tant que dirigeant social. En d'autres termes, la "disparition" de l'écran social a pour conséquence d'identifier le dirigeant à la société qu'il dirige et, partant, il a tacitement accepté le contrat liant la société à la coopérative.
D'ailleurs, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, s'agissant d'une clause compromissoire et d'un pacte de préemption -toujours pour le même groupe que dans l'arrêt du 22 octobre 2008 et dans celui du 20 septembre 2006-, pour les appliquer au dirigeant associé d'une coopératrice, avait retenu que le préambule des statuts insiste sur l'intuitu personae comme élément déterminant dans les rapports juridiques entre coopérative et associé quand bien même existât l'écran que constitue la personnalité morale (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-14.630, F-D N° Lexbase : A5462DLU).

Si la formule utilisée dans cet arrêt est différente de celle contenue dans l'arrêt du 20 octobre 2008, vraisemblablement parce que la clause est elle-même rédigée en termes distincts, le sens est sensiblement le même : c'est la consécration d'un fort intuitu personae qui justifie la confusion de la personne morale et de son dirigeant.

Par conséquent, la première impression qui se faisait jour à la lecture de l'arrêt du 22 octobre 2008, à savoir la liberté qu'a prise la Cour de cassation avec l'effet relatif des conventions, et les critiques qui avaient pu sembler justifiées dans les commentaires sous l'arrêt du 20 septembre 2006, sont à tempérer. En effet, c'est surtout l'audace de la Cour à s'affranchir de l'autonomie de la personne morale qui fonde sa décision, le non-respect du principe de l'article 1165 du Code civil n'étant que la conséquence logique de ce constat.

Au demeurant, cette solution s'inscrit dans un courant jurisprudentiel plus large, évoqué plus avant, favorable à l'arbitrage et plus particulièrement aux clauses compromissoires. Cela est, notamment, remarquable dans les groupes de sociétés. En effet, la Cour de cassation admet qu'une société appartenant à un groupe de société, si elle n'est pas partie à une convention contenant une clause compromissoire, peut être liée par cette clause, dès lors qu'elle l'a implicitement acceptée (Cass. com., 28 novembre 1989, n° 88-13.523, Société Kis Corporation c/ Société Générale et autres, inédit N° Lexbase : A7856C4Q). De même, la jurisprudence considère que la clause d'arbitrage s'applique à une société d'un groupe non signataire de la convention lorsque cette convention s'inscrit dans une opération économique dans laquelle la société non signataire est impliquée (CA Versailles, 15 septembre 2005 n° 05/2131 ; CA Paris, 11 janvier 1990, Rev. arb., 1992, p. 95, note Cohen).

Il faut donc en conclure que la clause compromissoire rayonne au-delà de la convention, puisqu'elle peut lier des tiers, strictement entendus, au contrat, encore que, dans tous les cas, son application au-delà des parties soit conditionnée par la connaissance de que ces tiers avaient de la clause litigieuse, cette connaissance étant déduite des liens juridiques et économiques étroits entretenus par l'une des parties avec le tiers considéré.

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Marchés publics

[Jurisprudence] Première application par le Conseil d'Etat de la jurisprudence "SMIRGEOMES"

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 5 novembre 2008, n° 310484, Commune de Saint-Nazaire (N° Lexbase : A1742EB7)

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

Le 07 Octobre 2010

Le secteur du mobilier urbain est décidemment un véritable nid à contentieux et sa contribution à la construction du droit des contrats publics se fait chaque année plus importante. Sans doute ne faut-il pas conclure de ce constat que les entreprises sont, dans ce domaine d'activité, plus procédurières qu'ailleurs, mais plutôt qu'il est suffisamment rémunérateur pour attiser les convoitises et susciter les combats les plus rudes, jusque dans les prétoires des juridictions administratives. Le référé précontractuel de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative ([LXB=L6369G9R ]) est devenu, au fil des ans et de la pratique qui en a été faite, un instrument de la bataille à laquelle se livrent les opérateurs économiques. Pour dire les choses autrement, et trop abruptement sans doute, le référé précontractuel a été instrumentalisé. Introduit en droit interne par la loi n° 92-10 du 4 janvier 1992, relative aux recours en matière de passation de certains contrats et marchés de fournitures et de travaux (N° Lexbase : L6995GTA) sous l'impulsion du droit communautaire (il s'agissait de transposer la Directive 89/655 CEE du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux N° Lexbase : L9939AUN), il a pour objet théorique d'assurer la censure rapide de la violation des règles de publicité et de mise en concurrence qui s'imposent préalablement à la passation de certains contrats, dont les contrats de mobilier urbain bien évidemment, puisqu'ils sont des marchés publics (1). Seulement, en pratique, il est devenu autant une arme économique qu'un recours juridictionnel. Moyen de prolonger sur le terrain juridique une bataille perdue sur le terrain économique, le référé précontractuel est devenu, trop souvent, le recours des mauvais perdants, voire des mauvais joueurs. Bertrand Dacosta n'évoquait-il pas récemment un article de la presse économique dénonçant l'habitude prise par certaines entreprises d'engager un tel recours, dans l'espoir de pouvoir monnayer leur désistement (2).

C'est pour mettre fin à de telles pratiques que le Conseil d'Etat a, dans son arrêt "Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe" (SMIRGEOMES) du 3 octobre 2008 (3), fixé une nouvelle définition, plus restrictive, de l'intérêt à agir dans le cadre du référé précontractuel de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (4). Il est, en effet, revenu sur "la tolérance selon laquelle n'importe quelle entreprise candidate pouvait invoquer tout manquement aux obligations de publicité et de procédure, même si celui-ci ne lui préjudiciait pas" (5). Dorénavant, "les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements", et "il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente".

L'intérêt de l'arrêt "Commune de Saint-Nazaire et Communauté d'agglomération de la région nazairienne" rendu par les 2ème et 7ème sous-sections réunies le 5 novembre 2008, réside précisément dans le fait qu'il constitue, sinon la première, du moins l'une des premières applications du critère dégagé par l'arrêt "SMIRGEOMES" (6). Les faits à l'origine de l'affaire étaient très classiques. A la requête de la Société Decaux mobilier urbain, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nantes avait annulé, par une ordonnance du 22 octobre 2007, la procédure de passation du marché public de mobilier urbain engagé par la Commune de Saint-Nazaire et la communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire (ci-après "Carene"). Le juge nantais s'était fondé, pour annuler la procédure, sur ce que la commune et l'établissement public de coopération intercommunale, qui avaient retenu l'esthétique comme un des critères d'attribution du marché, n'avaient pas défini leurs attentes avec une précision suffisante pour écarter l'éventualité d'une décision d'attribution discrétionnaire. Saisi d'un pourvoi en cassation par la Commune de Saint-Nazaire et la Carene, il appartenait au Conseil d'Etat d'apprécier la rectitude juridique du raisonnement du juge des référés précontractuels. Cassant l'ordonnance du juge nantais, le Conseil d'Etat a profité de l'occasion qui lui était donnée pour appliquer la jurisprudence "SMIRGEOMES" (II), dont il faut rappeler ici l'économie (I).

I - Les principes posés par la jurisprudence "SMIRGEOMES"

L'arrêt du 5 novembre 2008 reproduit le considérant de principe posé par la jurisprudence "SMIRGEOMES". Il rappelle, en effet, "qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements ; qu'il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée, et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente". Il s'agit, avec ces nouvelles règles, d'éviter que le juge des référés précontractuels, dont les pouvoirs sont, comme on le sait, très larges, puisse être saisi par n'importe qui, à n'importe quel stade de la procédure (à condition que ce soit avant la signature du contrat, bien évidemment), et sous prétexte de n'importe quel manquement à une obligation de publicité et de mise en concurrence. Nous ne reviendrons pas ici en détail sur les raisons qui ont poussé le juge administratif à adopter cette solution qui revient à modifier considérablement l'office du juge des référés précontractuels (7).

Désormais, le juge des référés précontractuels doit mener une analyse que l'on peut détailler comme suit. Il lui appartient de vérifier si le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence invoqué est, au regard de sa portée (premier élément d'analyse,) et du moment auquel il s'est produit (second élément d'analyse), de nature à léser le requérant. Nul doute que ces deux conditions limitent considérablement les risques d'instrumentalisation du référé précontractuel, puisqu'il ne suffit pas d'avoir été bon juriste en ayant décelé une violation des obligations de publicité et de mise en concurrence pour saisir le juge. Encore faut-il apporter la preuve que le manquement en cause lèse directement ou indirectement le requérant, tant du point de vue de sa substance même, que du point de vue du stade de la procédure de passation auquel ce manquement s'est produit.

La solution de l'arrêt "SMIRGEOMES" illustre, à elle seule, la portée pratique du changement de jurisprudence. Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a considéré que trois manquements invoqués par le requérant (qui étaient la mention erronée selon laquelle le contrat envisagé était couvert par l'Accord sur les Marchés Publics [AMP], le caractère discriminatoire de l'obligation de fournir une "déclaration indiquant l'outillage, le matériel et l'équipement technique dont le candidat dispose pour la réalisation des marchés de même nature", et l'imprécision des codes CPV [vocabulaire Commun Pour les Marchés Publics] utilisés dans les avis d'appel public à la concurrence) n'étaient pas susceptibles d'avoir lésé ou de risquer de léser le requérant, dès lors que sa candidature avait été examinée et que lesdits manquements se rapportaient à une phase de la procédure antérieure à la sélection de son offre. Le requérant invoquait, également, le moyen tiré du caractère insuffisant de la mention des délais d'introduction des recours de la rubrique "VI-4-2", et l'absence d'indication des niveaux minimaux de capacités. Le Conseil d'Etat les a aussi écartés au motif que le requérant n'avait pas établi, ni même allégué, un préjudice.

Nul doute que la jurisprudence "SMIRGEOMES" constitue un "brutal coup d'arrêt" (8), et peut-être même une "révolution" (9), car elle transforme en profondeur le référé précontractuel. Alors qu'il était, hier, un recours contentieux permettant à un requérant de se comporter comme un justicier défenseur des obligations de publicité et de mise en concurrence, sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le point de savoir si la violation invoquée lui a causé personnellement préjudice, il devient, avec l'arrêt "SMIRGEOMES", un recours permettant à une victime de saisir le juge d'un manquement qui l'a directement ou indirectement lésé. L'arrêt "SMIRGEOMES" contribue, comme cela a été souligné récemment par François Llorens et Philippe Soler-Couteaux dans leur très instructif "repère" (10), "à la restructuration du contentieux des contrats administratifs".

II - L'application de la jurisprudence "SMIRGEOMES"

L'arrêt "Commune de Saint-Nazaire" constitue la première application par le Conseil d'Etat des critères dégagés par lui dans l'arrêt "SMIRGEOMES" (B). Mais il faut aussi préciser que les juges du fond se sont eux aussi empressés d'appliquer cette jurisprudence (A).

A - L'application de la jurisprudence "SMIRGEOMES" par les juges du fond

Par une ordonnance du 7 octobre 2008, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Pau a fait une application remarquée (11) des nouvelles règles posées par le Conseil d'Etat quatre jours plus tôt. En l'espèce, le juge palois a considéré que la société requérante n'était pas fondée à invoquer des moyens qui auraient été de nature, sous l'empire de la jurisprudence antérieure, à justifier à coup sûr la remise en cause de la procédure de passation. L'un des moyens invoqués concernait la qualification erronée du contrat en marché de travaux alors qu'il s'agissait d'un marché de fournitures. Ce moyen a été jugé comme ne permettant pas d'établir la lésion des intérêts de la société requérante, dès lors qu'elle avait pu déposer une offre et que ses concurrents n'ont pas été favorisés par cette erreur. Une solution identique a été retenue au sujet du moyen tiré de l'omission, dans l'avis d'appel public à la concurrence publié au BOAMP, de multiples mentions rendues obligatoires par les formulaires communautaires standards dont le Règlement (CE) n° 1564/2005 de la Commission du 7 septembre 2005, établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre des procédures de passation de marchés publics (N° Lexbase : L0273HET) impose le respect. Enfin, le moyen tiré de ce qu'il avait été recouru à la procédure négociée après déclaration d'infructuosité alors que l'objet du marché avait été substantiellement modifié est, lui aussi, rejeté aux motifs que toutes les entreprises ayant déposé une offre dans le cadre de la procédure initiale avaient, ensuite, été admises à négocier dans le cadre de la procédure de substitution.

Faut-il déduire de cette ordonnance du 7 octobre 2008 que le référé précontractuel est devenu, avec la jurisprudence "SMIRGEOMES", un recours de plein contentieux ne permettant d'obtenir la sanction des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence que dans des conditions restrictives, voire exceptionnelles ? Sans doute pas, comme l'illustrent l'ordonnance précitée et celle rendue par le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Versailles le 15 octobre 2008 (12). Dans l'ordonnance du 7 octobre 2008, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Pau rejette des moyens tirés d'une rupture d'égalité de traitement entre les candidats parce qu'ils manquaient en fait ou étaient infondés. A contrario, on doit donc en déduire que de telles irrégularités sont, par nature, susceptibles de léser ou risquent de léser le requérant. Dans l'ordonnance du 15 octobre 2008, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Versailles n'a pas hésité à annuler la procédure de passation en raison d'une mauvaise définition par l'administration de ses besoins et de l'exigence d'un niveau minimal de capacités financières disproportionné. Au total, on peut donc conclure, au regard de ces décisions des juges du fond, que les irrégularités commises sont, en vertu de la jurisprudence "SMIRGEOMES", plus difficilement "sanctionnables" que par le passé, sans aller jusqu'à bénéficier "d'une immunité générale" (13). Il restait encore à savoir si cette interprétation de la jurisprudence "SMIRGEOMES" était celle souhaitée par le Conseil d'Etat. C'est tout l'intérêt de l'arrêt "Commune de Saint-Nazaire et Communauté d'agglomération de la région nazairienne" du 5 novembre 2008.

B - L'application de la jurisprudence "SMIRGEOMES" par le Conseil d'Etat statuant comme juge de cassation

Cet arrêt donne, en effet, l'occasion au Conseil d'Etat statuant comme juge de cassation de préciser le nouveau cadre jurisprudentiel.

En l'espèce, la société Decaux SA soutenait, tout d'abord, que l'avis d'appel public à la concurrence publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics ne respectait pas les prescriptions du paragraphe VIII de l'article 40 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L4616H9T), faute de mention de la date de son envoi à l'office des publications officielles de l'Union européenne. Elle estimait, en outre, que s'agissant d'un marché public de mobilier urbain, le pouvoir adjudicateur ne pouvait au titre de la rubrique "catégorie de services" figurant au point II.1.2) des avis d'appel public à la concurrence, se borner à porter la mention "n°1", dès lors que cette dernière correspond, selon la nomenclature figurant à l'annexe II de la Directive 2004/18/CE du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), reprise à l'article 29 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2689HPB), aux services d'entretien et de réparation. Elle soutenait, enfin, que les codes CPV qui, en vertu de l'annexe II de la Directive, étaient compris dans la catégorie n° 1 relative aux services d'entretien et de réparation, ne correspondaient à aucun des codes CPV mentionnés au point II.1.6.

Le Conseil d'Etat a répondu que les irrégularités invoquées n'étaient pas susceptibles d'avoir lésé la société Decaux SA, pour la simple raison qu'elles se rapportaient à une phase de la procédure antérieure à la sélection des offres. Or, cette société avait franchi ce cap puisqu'à la suite de l'admission de sa candidature, elle avait pu présenter une offre correspondant à l'objet du marché. L'on retrouve ici la solution adoptée par l'arrêt "SMIRGEOMES" et appliquée par le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Pau, dans son ordonnance précitée du 7 octobre 2008. Dès lors que le manquement invoqué par le requérant se rapporte à une phase de la procédure qu'il a franchi avec succès, il n'est plus recevable à saisir le juge du référé précontractuel sur ce fondement.

La société Decaux reprochait, en outre, à la Commune de Saint-Nazaire et à la Carene d'avoir indiqué, dans les avis d'appel public à la concurrence, que la capacité technique des candidats pouvait être prouvée par la "présentation d'une liste des principales fournitures ou des principaux services effectués au cours des trois dernières années indiquant le montant, la date et le destinataire public ou privé", étant entendu que ces livraisons ou prestations pouvaient être prouvées par des attestations des destinataires ou, à défaut, par une déclaration de l'opérateur économique. Plus précisément, la société Decaux soutenait qu'un tel dispositif avait été pris en application de l'arrêté du 28 août 2006, fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs (N° Lexbase : L6697HKA), qui était, lui-même, incompatible avec les objectifs de l'article 48. 2 de la Directive européenne 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU).

Le Conseil d'Etat a rejeté au fond ce moyen tiré de l'inconventionnalité de l'arrêté du 28 août 2006 et de la décision de la Commune de Saint-Nazaire et de la Carene, en soulignant que l'article 48. 2 de la Directive précitée autorisait ce type de dispositif. Plus encore, le juge administratif n'a pas manqué de souligner qu'il était de nature à favoriser "une plus grande concurrence", car facilitant la preuve par les candidats de leurs capacités techniques. Surtout, le Conseil d'Etat a précisé par un motif surabondant (révélé par un "en tout état de cause") que la société Decaux n'était pas fondée à invoquer un tel moyen, dès lors qu'elle n'avait pas établi, ni même soutenu, que les candidatures d'entreprises ne présentant pas des garanties techniques suffisantes auraient été admises. Sur ce point, la société Decaux se voie donc opposer le fait que le manquement allégué n'est pas susceptible de l'avoir lésée, et ne risque pas de la léser, sans doute parce qu'il est d'une portée insuffisante.

S'agissant des autres moyens soulevés par la société Decaux, le Conseil d'Etat y a répondu pour les rejeter au final. Cet examen au fond prouve bien que le référé précontractuel a considérablement changé avec la jurisprudence "SMIRGEOMES". En effet, avant l'arrêt du 3 octobre 2008, le référé précontractuel permettait assez facilement à une entreprise, un tant soit peu rompue au droit des contrats publics, d'obtenir la remise en cause d'une procédure de passation. Il lui suffisait pour cela d'avoir débusqué le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui allait lui permettre de gagner son procès, indépendamment de la question de savoir si le manquement invoqué lui causait ou non personnellement préjudice. Avec l'arrêt "SMIRGEOMES", le référé précontractuel prend une coloration subjective remarquable. Pour espérer obtenir gain de cause devant le juge des référés précontractuels, il faut identifier un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence et apporter la preuve que l'on est personnellement victime de ce manquement. Le mérite de l'arrêt "Commune de Saint-Nazaire" est de montrer que cette subjectivisation du référé précontractuel ne se produit pas au détriment total des exigences de la légalité. On ne peut que s'en féliciter.


(1) CE, sect. A, 4 novembre 2005, n° 247298, Société Jean-Claude Decaux (N° Lexbase : A2732DLR), Rec. CE, p. 477, AJDA, 2006, p.120, note A. Ménéménis, RFDA, 2005, p. 1083, concl. D. Casas, BJCP, 2006, n° 44, p. 27, concl. D. Casas, Dr. adm., 2006, chron. n° 6, F. Brenet.
(2) Bertrand Dacosta (conclusions -qu'il nous a aimablement communiquées- sur CE, 3 octobre 2008, n° 305420, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe) évoquait l'article de L. Rapp et L. Rattode, Marchés publics : trop de formalisme tue la procédure, Les Echos du 23 juillet 2008.
(3) CE, 3 octobre 2008, n° 305420, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe (N° Lexbase : A5971EAE), AJDA, 2008, p. 2161, chronique E. Geffray et S.-J. Liéber, Contrats Marchés publ., 2008, repère 10, F. Llorens et P. Soler-Couteaux, comm. 264, note W. Zimmer, Dr. adm., 2008, comm. 154, note B. Bonnet et A. Lalanne, JCP éd. A, 2008, 2262, note F. Linditch, LPA du 21 novembre 2008, n° 234, p. 15, note S. Hul, RDI, 2008, p. 500, note S. Braconnier.
(4) Dans un précédent commentaire de l'arrêt "SMIRGEOMES", nous avions présenté cette jurisprudence comme opérant un resserrement de l'intérêt à agir (Le resserrement de l'intérêt à agir dans le référé précontractuel, Lexbase Hebdo n° 85, octobre 2008 - édition publique N° Lexbase : N4990BHB). A la lecture de la chronique des responsables du centre de documentation du Conseil d'Etat et de l'arrêt "Commune de Saint-Nazaire", on comprend que le Conseil d'Etat n'a pas entendu se placer sur le seul terrain de l'intérêt à agir pour donner "une bouffée d'oxygène au référé précontractuel" (E. Geffray et S.-J. Liéber, chronique précitée, AJDA, 2008, p. 2161). Il a plutôt opté pour une voie moyenne se situant entre la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Alors que l'intérêt à agir d'un requérant s'apprécie, en principe, par rapport aux conclusions qu'il présente (c'est-à-dire au regard de ce qu'il demande) et non par rapport aux moyens qu'il soulève, le Conseil d'Etat juge dans l'arrêt "SMIRGEOMES" qu'il appartiendra, désormais, au juge des référés précontractuels d'examiner "la recevabilité d'une entreprise à invoquer tel ou tel manquement, appréciée éventuellement manquement par manquement, à l'appui de sa requête".
(5) E. Geffray et S.-J. Liéber, chronique précitée, AJDA, 2008, p. 2163.
(6) Pour les juges du fond, voir TA Pau, n° 08-02028, 7 octobre 2008, Société Spie Communications, Contrats Marchés publ., 2008, comm. 266, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; TA Versailles,15 octobre 2008, n° 08-09207, Société Geomensura, Contrats Marchés publ., 2008, comm. 267, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; TA Lyon, n° 08-06161, 15 octobre 2008, SERI c/Communauté urbaine de Lyon (cité par Stéphane Braconnier, RDI, 2008, p. 500).
(7) Le resserrement de l'intérêt à agir dans le référé précontractuel, Lexbase Hebdo n° 85, octobre 2008 - édition publique, précité.
(8) S. Braconnier, note précitée, RDI, 2008, p. 510.
(9) B. Bonnet et A. Lalanne, note précitée, Dr. adm., 2008, comm. 154.
(10) Repère qui n'a de repère que le nom puisqu'il constitue une analyse très fine de l'arrêt "SMIRGEOMES" et de ses implications potentielles (F. Llorens et P. Soler-Couteaux, L'arrêt "SMIRGEOMES" et la restructuration du contentieux des contrats administratifs : la voie de la raison, Contrats Marchés publ., 2008, repère 10).
(11) F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Contrats Marchés publ., 2008, comm. 266., ordonnance également mentionnée par S. Hul, LPA du 21 novembre 2008, n° 234, p.15.
(12) TA Versailles, 15 octobre 2008, Société Geomensura, précité.
(13) F. Llorens et P. Soler-Couteaux, note précitée, Contrats Marchés publ., 2008, comm. 267.

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Rémunération

[Jurisprudence] Annulation d'une "retraite chapeau" : le juge au secours de la société débitrice

Réf. : CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 octobre 2008, n° 07/09681, SA Carrefour c/ M. Daniel Bernard (N° Lexbase : A9166EAQ)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


A l'heure où les "parachutes dorés" versés à certains dirigeants sociaux apparaissent plus que jamais sur la sellette, la décision rendue par la cour d'appel de Paris le 7 octobre 2008 prend un relief particulier (1). Etait en cause, en l'espèce, non pas une indemnité de cette nature, mais une retraite dite "chapeau", qui peut, toutefois, entraîner le versement de sommes tout aussi astronomiques. S'il n'est pas totalement injuste de blâmer les bénéficiaires de telles rémunérations différées, l'arrêt rapporté enseigne que c'est, surtout, l'attitude des organes sociaux, prenant de tels engagements au nom de la société, qu'il convient de critiquer. Encore est-il heureux, pour cette dernière, que le juge puisse utilement, pour ne pas dire téléologiquement, mobiliser certains textes légaux afin d'annuler l'engagement litigieux.


Résumé

L'attribution d'une "retraite chapeau" doit être soumise à la procédure des conventions réglementées dès lors qu'elle n'a pas eu pour contrepartie des services particuliers rendus à la société pendant l'exercice des fonctions par le président et que l'avantage accordé n'est pas proportionné à ces services et constitue une charge excessive pour la société.

Commentaire

I - L'avantage consenti au dirigeant social

  • Le régime de retraite supplémentaire en vigueur dans l'entreprise

Etait en cause, en l'espèce, M. B., qui avait exercé les fonctions de président du conseil d'administration de la SA Carrefour entre octobre 1992 et le 4 février 2005, date de prise d'effet de sa démission, intervenue lors de la réunion du conseil d'administration du 3 février 2005.

Bénéficiaire potentiel du régime de retraite supplémentaire en vigueur au sein du groupe Carrefour, M. Bernard n'était, cependant, pas en droit d'y prétendre. En effet, lors de sa démission, il était âgé de 58 ans. Or, classiquement, le droit à retraite supplémentaire était subordonné à la présence de l'intéressé dans l'entreprise à la date de liquidation de ses droits à la retraite, qui ne pouvait intervenir avant l'âge de 60 ans. L'ancien dirigeant faisait, toutefois, valoir que le conseil d'administration de la société avait souscrit à son égard, le 29 août 2001, un engagement particulier de retraite additionnelle, distinct du régime de retraite supplémentaire déjà en vigueur au sein du groupe Carrefour et que cet engagement avait été réitéré le 3 février 2005. Il avait, par voie de conséquence, assigné la SA Carrefour et sollicité sa condamnation au paiement de la somme de 1 243 131 euros au titre de l'annuité de retraite due pour la période du 18 février 2006 au 17 février 2007 et d'une autre somme de même montant au titre de la deuxième annuité. Les premiers juges ayant accueilli sa prétention, la SA Carrefour a formé appel, arguant qu'il n'existait pas d'engagement spécifique de Carrefour à l'égard de M. Bernard, distinct du régime de retraite supplémentaire, et, à titre subsidiaire, que, à le supposer existant, un tel engagement relevait de la procédure de contrôle des conventions réglementées. Celle-ci n'ayant pas été observée et l'engagement invoqué ayant des conséquences dommageables pour la société, ce dernier était, en conséquence, nul et de nul effet.

  • L'existence d'un engagement autonome

Contrairement à ce que soutenait la société Carrefour, la cour d'appel de Paris reconnaît l'existence d'un engagement autonome et indépendant du régime de retraire supplémentaire en vigueur dans le groupe au bénéfice de Daniel Bernard. Il eut été difficile d'en décider autrement.

Il convient de rappeler que, en application de l'article L. 225-47 du Code de commerce (N° Lexbase : L5918AIZ), le conseil d'administration a une compétence exclusive pour déterminer la rémunération de son président (v., sur cette question, J. Mestre et D. Velardocchio, Lamy Sociétés commerciales, 2008, § 3491 et la jurisprudence citée). En l'espèce, le conseil d'administration de la société Carrefour avait entendu user du pouvoir qu'il tenait des dispositions de l'article précité, en allouant une rémunération à M. Bernard sous la forme d'un complément de retraite.

Tout d'abord, le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société Carrefour du 29 août 2001 indique que, "dans le cadre des engagements pris par le Groupe Carrefour en matière de garantie de retraite, le conseil d'administration approuve les propositions du comité des rémunérations concernant la situation qui en résulte pour Daniel Bernard et qui est décrite en annexe". L'annexe à laquelle il est renvoyé est ainsi rédigée : "Garantie de retraite. Le montant global des retraites "Groupe" qui sera attribué à Daniel Bernard, lorsque ce dernier aura atteint l'âge de soixante ans, qu'il soit ou non à cette date Président du Groupe Carrefour, sera égal à 40 % de la rémunération globale "Groupe" qu'il aura perçue au cours de la dernière année de référence indépendamment des pensions acquises au titre des régimes légaux et conventionnels".

Ensuite, le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration de la société Carrefour du 3 févier 2005 énonce que "les conditions matérielles pour le président et le directeur proposées par le comité des rémunération, des nominations et de la gouvernance, lors de sa réunion du 3 février 2005, telles qu'elles ressortent du compte rendu figurant en annexe 3, sont approuvée par le conseil par neuf voix et deux abstentions". Ce compte-rendu précise, quant à lui, que, "conformément aux décisions prises par le conseil d'administration lors de ses séances des 28 juin 2000, 29 août 2001 et 3 mars 2004, Daniel Bernard percevra une retraite supplémentaire dès lors qu'il aura atteint l'âge de soixante ans. Le montant annuel de cette retraite supplémentaire sera égal à 40 % de la rémunération de référence, c'est-à-dire le salaire brut fiscal qu'il a perçu au cours des douze mois précédant la cessation d'activité. La rémunération de référence s'établit à 3 107 829,98 euros (trois millions cent soixante sept mille huit cent vingt neuf euros [sic] et quatre vingt dix huit centimes). Une lettre de confirmation sera adressée par le directeur des ressources humaines groupe à Axa à l'effet d'effectuer, à compter du 18 février 2006, les versements au titre de la retraite supplémentaire de Daniel Bernard dans les conditions décrites ci-dessus".

Au vu de ces éléments, on ne peut qu'approuver la cour d'appel de Paris lorsqu'elle conclut que le conseil d'administration de la société Carrefour avait entendu prendre à l'égard de Daniel Bernard un engagement qui, loin de s'inscrire dans le cadre et dans les limites du régime de retraite supplémentaire de groupe, revêtait un caractère autonome et indépendant dudit régime de retraite en raison de ses particularités, incompatibles avec les conditions d'attribution de celui-ci auxquelles il déroge en faveur de l'intéressé. En effet, tandis que le règlement du régime de retraite supplémentaire de groupe subordonne l'octroi de cet avantage à la présence du bénéficiaire dans l'entreprise à la date de liquidation de ses droits à la retraite au titre des régimes légaux et conventionnels, laquelle ne peut intervenir avant soixante ans, l'engagement visant M. Bernard fixait, comme seule condition à la perception du supplément de retraite, le passage à l'âge de soixante ans, indépendamment de toute exigence de présence dans l'entreprise ou de liquidation de ses droits de base.

A ce stade, on ne peut que se rendre à l'évidence et considérer que la société Carrefour était, a priori, bel et bien engagée à l'égard de Daniel Bernard relativement au versement d'une "retraite chapeau". La cour d'appel va, toutefois, infirmer le jugement déféré en se plaçant sur un autre plan.

II - Les juges au secours de la société Carrefour

  • L'applicabilité de la procédure de contrôle des conventions réglementées

En application de l'article L. 225-42-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9221HZK), dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, les compléments de retraite sont soumis à la procédure de contrôle des conventions réglementées. Cette exigence, instituée par la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 (loi pour la confiance et la modernisation de l'économie N° Lexbase : L5001HGC), ne s'applique, toutefois, qu'aux conventions conclues à compter du 1er mai 2005 (art. 8-II de la loi). Par suite, et alors même que la société Carrefour est une société cotée, le texte en question n'était pas applicable, l'engagement du conseil d'administration datant, ainsi qu'il a été vu, du 3 février 2005.

En outre, et de manière plus générale, il est de jurisprudence constante que l'octroi d'un complément de retraite au président du conseil d'administration doit être assimilé à un complément de rémunération dont la fixation, relevant de la compétence exclusive du conseil d'administration, en vertu de l'article L. 225-47 du Code de commerce, échappe à la procédure des articles L. 225-38 (N° Lexbase : L5909AIP) et suivants du même code. Toutefois, pour que le complément de retraite ne soit pas soumis à la procédure des conventions réglementées, trois conditions doivent être réunies :

- la pension est accordée au dirigeant en contrepartie des services particuliers rendus à la société pendant l'exercice de ses fonctions ;

- l'avantage est proportionné à ces services ;

- il ne constitue pas, pour la société, une charge excessive (Cass. com., 3 mars 1987, n° 84-15.726, Union de banques à Paris c/ M. Lebon N° Lexbase : A3045AAZ).

  • La nullité de l'engagement

Pour en revenir à l'arrêt sous examen, après avoir rappelé ces règles de principe, la cour d'appel de Paris va démontrer que la "convention" (2) conclue entre la société Carrefour et M. Bernard aurait dû être soumise à la procédure précitée. Tout d'abord, et au terme d'une motivation particulièrement argumentée (3), les juges du second degré concluent que, "si le bilan de l'action de M. Bernard de 1992 à 2005 est positif, il n'est pas, pour autant, démontré par l'intimé que les services dont il se prévaut, qu'il a rendus dans l'exercice de son mandat de président du conseil d'administration de la société Carrefour, justifient l'allocation d'une rémunération s'ajoutant à celle qu'il a perçue au cours de la période considérée au titre de ce mandat".

Ensuite, l'exigence de proportionnalité de l'avantage en cause et des services qu'il s'agit de rétribuer n'apparaît pas non plus satisfaisante. Ainsi que le soulignent les magistrats parisiens, la rente viagère dont Daniel Bernard demande le paiement dès l'âge de 60 ans présente "un caractère insolite par rapport à la pratique des groupes figurant au CAC 40 en ce que, n'étant pas soumise à la condition de présence du bénéficiaire dans l'entreprise au moment de la liquidation des droits à la retraite au titre des régimes de base [...], elle n'entre pas dans les prévisions des articles 39 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3894IAH) et L. 137 -11 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3315HWP) et qu'eu égard à son montant et à la date de naissance du bénéficiaire, cet engagement, s'il était reconnu valable, nécessiterait la constitution dans les comptes de Carrefour d'une provision d'un montant, non utilement contesté, de l'ordre de cinquante millions d'euros".

Au vu de ces éléments, on admettra, avec les juges du fond, que la "convention" conclue entre M. Bernard et la société Carrefour relevait bien de la procédure de contrôle des conventions réglementées. Par conséquent, l'engagement en cause, qui ne portait pas sur une opération courante et conclue à des conditions normales, au sens de l'article L. 225-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L5910AIQ), exigeait :

- l'information du conseil par l'intéressé ;

- l'autorisation du conseil d'administration ;

- l'information du commissaire aux comptes ;

- un rapport spécial du commissaire aux comptes ;

- et l'approbation de l'assemblée générale (C. com., art. L. 225-40 N° Lexbase : L5911AIR).

Selon les magistrats parisiens, l'engagement précité n'avait pas fait l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration et n'avait pas, davantage, été soumise à l'approbation de l'assemblée des actionnaires. Or, cette "convention" produisant des conséquences dommageables pour la société Carrefour, comme l'établissent les constatations précédemment faites relativement au défaut de proportionnalité du complément de rémunération litigieux, la société Carrefour était fondée à opposer aux demandes de M. Bernard l'exception de nullité de l'obligation qu'il invoque. Les juges du fond en concluent qu'il y a lieu de le débouter de sa demande en paiement de sommes au titre d'une pension de retraite supplémentaire.

On peut, d'un point de vue strictement juridique, ne pas être totalement convaincu par cette solution. On s'accordera, avec ces derniers, pour considérer que la "convention" était de nature à avoir des conséquences dommageables pour la société Carrefour (4). De même, il apparaît que cette même "convention" n'avait pas été soumise à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires. En revanche, on reste quelque peu dubitatif quant à l'affirmation selon laquelle elle n'avait pas fait l'objet d'une autorisation préalable du conseil d'administration. En effet, il peut être considéré que les délibérations du conseil d'administration antérieures à celle du 3 février 2005 ne satisfaisaient pas aux exigences légales, faute pour le conseil de connaître le montant exact de la pension de retraite accordée à Daniel Bernard, qui dépendait du salaire brut perçu au cours des douze mois précédant la cessation de son activité. Mais, ne convient-il pas d'admettre que, lors de la délibération du 3 février 2005, le conseil d'administration avait statué en pleine connaissance de cause et avait, de ce fait, donné son autorisation au sens de la loi ? Répondre par l'affirmative à cette question conduirait à exclure toute nullité de la convention, dans la mesure où l'article L. 225-42 du Code de commerce n'emporte une telle sanction qu'à défaut d'autorisation préalable du conseil et non d'approbation de la convention par l'assemblée générale.

Il convient, toutefois, de souligner, ainsi que le fait la cour d'appel, que la délibération du conseil d'administration doit porter sur le montant et les modalités de la rémunération octroyée au mandataire social et qu'il ne peut être suppléé à cette exigence par la confirmation, par simple référence, d'une décision prise par les membres d'un comité, même mandatés à cette fin par le conseil d'administration (5). Or, ainsi qu'il a été vu précédemment, lors de la délibération du 3 février 2005, le conseil avait simplement approuvé "les conditions matérielles pour le président et le directeur proposées par le comité des rémunérations, des nominations et de la gouvernance lors de sa réunion du 3 février 2005, telles qu'elles ressortent du compte rendu figurant en annexe 3". On peut, par suite, considérer, avec les magistrats parisiens, que le conseil d'administration n'avait pas, en pleine connaissance de cause, statué sur le montant de la pension de retraite versée à M. Bernard.

Au total, on est tenté de dire que la société Carrefour ne peut qu'être reconnaissante à la cour d'appel de Paris de l'avoir faite échapper à un engagement dont les conséquences auraient été, pour le moins, très lourdes. Il reste qu'on ne peut qu'être surpris de la légèreté avec laquelle un conseil d'administration peut s'engager à verser à un dirigeant un complément de retraite égal à 40 % de la rémunération brute perçue au cours de l'année précédant la cessation de ses fonctions.


(1) Sur cet arrêt, v., également, les obs. de Deen Gibirila, Les conditions de perception d'une retraite supplémentaire et de dommages-intérêts par un ancien dirigeant d'une société anonyme, Lexbase Hebdo n° 330 du 10 décembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N9169BH3). 
(2) En fait de convention, il s'agit, plutôt, à notre sens, d'un engagement unilatéral de la société.
(3) Il est, notamment, fait mention du fait que, au cours de la période 2000-2004, les résultats du groupe ont enregistré une progression sensiblement inférieure à celle de ses principaux concurrents mondiaux, que les parts de marché de Carrefour en France se sont détériorées au profit de ses principaux concurrents français et que le cours de l'action Carrefour a baissé de 75 % entre 2000 et 2005.
(4) Sur les sanctions du non-respect de la procédure des conventions réglementées, v. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 21ème éd., 2008, § 599.
(5) V., en ce sens, Cass. com., 11 octobre 2005, n° 02-13.520, Société Ciments Français c/ M. Pierre Conso, F-P+B (N° Lexbase : A0177DL7).


Décision

CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 octobre 2008, n° 07/09681, SA Carrefour c/ M. Daniel Bernard (N° Lexbase : A9166EAQ)

Infirmation de T. com. Paris, 23 avril 2007, aff. n° 2006039939, Monsieur Daniel Bernard c/ Société Carrefour (N° Lexbase : A5524DZM)

Textes concernés : C. com., art. L. 225-38 (N° Lexbase : L5909AIP), L. 225-40 (N° Lexbase : L5911AIR) à L. 225-42 et L. 225-47 (N° Lexbase : L5918AIZ)

Mots-clefs : "retraite chapeau" ; conditions d'octroi ; procédure de contrôle des conventions réglementées.

Lien base : (N° Lexbase : E7515EPZ)

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